Joanna - Alix Roche - E-Book

Joanna E-Book

Alix Roche

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Beschreibung

Joanna naît en 1908, à Agde, dans un midi en pleine crise viticole. Elle va traverser le siècle, ses guerres, elle sera de toutes les conquêtes, relèvera bien des défis.
Ce livre est un témoignage émouvant sur le parcours d’une femme et de son émancipation.
Conjuguant l’intime, une histoire singulière dans la grande histoire, ce livre nous replonge dans la vie de l’époque, ses découvertes et ses tourments.


À PROPOS DE L'AUTEURE 

Après une vie professionnelle consacrée à l’aménagement et à la prospective territoriale, retour aux sources pour Alix Roche avec ce premier livre consacré à l’histoire de Joanna, sa grand-mère.

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AlixROCHE

Joanna

Préambule

« Tout ce qui est écrit continue de vivre dans l’absence »

Louis Aragon

Peu de temps après les fêtes de Noël, Joanna et René s’étaient retrouvés. Après 35 ans de séparation, ils ne s’étaient encore jamais revus. A la grande surprise de Joanna, c’est René qui l’avait appelée, l’invitant à passer quelques jours chez lui, dans son appartement bourgeois avec vue sur la mer, situé au rez-de-jardin, dans les hauteurs de Cannes la Bocca.

Elle n’avait pas hésité, malgré le temps passé et les stigmates de la vie, consciente que ces retrouvailles apporteraient du bonheur à leurs enfants, qui caressaient cet espoir depuis longtemps. Elle était consciente aussi que l’un et l’autre avaient besoin de trouver enfin la paix de leur cœur, avant qu’il ne soit irrémédiablement trop tard.

René avait enfin prononcé les excuses qu’elle attendait depuis si longtemps, il avait fait à sa manière « amende honorable ».

Pourtant, c’est à partir de ce moment-là que l’esprit de Joanna partit à la dérive. Il n’avait fallu que quelques jours, moins d’une semaine, pour que les souvenirs beaux et joyeux de leur rencontre durant les années folles ne prennent le pas sur la réalité du temps présent.

À cette époque, elle était jeune et belle, coiffée à la garçonne, le cœur riche de projets et gonflé d’espérance, elle croquait la vie à belles dents, elle aimait chanter, danser ou écouter des opérettes au Château Vert du Grau d’Agde, avec son amoureux.

Sur la photo qui reste de ces retrouvailles, elle le regarde tendrement avec ce regard un peu inquiet, comme si elle était déjà ailleurs.

Le 21 janvier 1986, elle s’endormit pour toujours, doucement pendant son sommeil, à Venelles, le domicile familial, où nous l’avions accueillie après un appel affolé de mon grand-père, qui s’inquiétait de ses propos.

Joanna était ma grand-mère, notre grand-mère, sans doute son plus beau rôle. Depuis ma plus tendre enfance, elle était là. Elle avait partagé nos joies et nos peines. Elle occupait une place très importante dans ma vie et celle de ma famille.

Témoin des changements profonds, voire des bouleversements de son époque, elle a traversé le siècle, ses conquêtes et ses déchirements.

Elle a su nous transmettre sa douce et tendre affection, la certitude d’être aimés, des valeurs fortes et structurantes pour l’esprit et le corps, l’assurance sereine devant les embûches aussi, celle que nous donne le sentiment d’appartenance, la connaissance de nos origines, de notre histoire.

Son départ fut une grande déchirure pour moi, un sentiment brutal de solitude et d’abandon, malgré la grande famille à laquelle j’appartiens.

J’avais près de 30 ans, mais ce fut une rupture dont je mis de nombreux mois à me remettre, me plongeant dans une dépression inédite. Dans les jours qui ont suivi son départ, tous les objets qu’elle m’avait offerts se sont détruits : le collier de perles fines s’est cassé, le vieil aspirateur a explosé, j’ai eu un accident de voiture avec la Peugeot 107 qu’elle m’avait aidée à financer pour que je puisse venir la voir, me contraignant à une immobilisation de plusieurs semaines.

30 ans plus tard, synchronie troublante, j’éprouve plus que jamais le besoin de lui rendre hommage, de raconter sa vie, et ce que nous avons vécu avec elle, nous ses petits-enfants. Cela fait bien longtemps que j’y songe. Je suis convaincue que c’est ce qu’elle aurait souhaité.

Elle aimait raconter sa vie agathoise, durant de longues promenades en bord de mer, son père, son enfance, les vertus de la mer, s’émerveillant des fleurs de son jardin, émaillant son propos d’expressions en occitan, que j’ai malheureusement oubliées. Elle fut beaucoup plus discrète sur les autres pages de sa vie qui sont pourtant importantes elles aussi, les défis d’un quotidien dans une époque troublée et qui méritent que l’on s’en souvienne.

Ce travail de mémoire, je le lui dois. Le moment est venu pour moi. Je veux laisser une trace de notre histoire familiale, de ceux qui nous ont déjà quittés, pour ma fratrie, pour les enfants et surtout mes petits-enfants. Je souhaite que dans les périodes troublées que nous connaissons avec la guerre aux portes de l’Europe, ils puissent trouver des repères forts pour construire leur propre avenir, ainsi que nous avons pu le faire grâce à nos aïeux.

Avec l’aide de Sigolène, ma fille et son arrière-petite-fille, nous sommes reparties des premiers travaux de généalogie que mon père avait engagés.

Nous avons essayé de rassembler toutes les informations auxquelles les archives nous donnent accès, les photos, les souvenirs de la famille, les articles de la grande histoire dans laquelle s’inscrit sa vie, les souvenirs, les photos et témoignages… pour composer ce récit de vie, accompagné des chansons et des lieux qu’elle aimait tant.

Ce récit respecte le plus possible la réalité, ma réalité, sans toutefois être dénué de fiction là où la matière nous fait défaut.

Aux sources des Montilles de Gaillardy basses

C’est en 700 avant Jésus-Christ que les Grecs de Phocée, cherchant un abri, s’arrêtent auprès d’un cap rocheux qu’ils nommeront « Agathé Tyché » : la « Bonne Fortune ».

La légende familiale veut que nous descendions des Grecs et des Phéniciens. Nous sommes agathois(es) depuis toujours par les femmes.

Agde, la perle noire de la méditerranée, Agde, ville grecque entre mer et embouchure de l’Hérault. Ville bâtie avec la lave du volcan du Mont Saint Loup. Ville portuaire qui a su tirer parti au XVIIe siècle de l’ouverture du canal dumidi.

À la fin du XVIIIe siècle, quand les grands voiliers laissent la place aux navires de commerce, Agde regarde enfin vers la terre, développe la viticulture locale, qui la rendra prospère, avant que la mode des bains de mer et le tourisme ne la supplantent. La branche agathoise de notre famille cultivait et travaillait la vigne.

D’aussi loin que les archives et les actes notariés nous le permettent, nous savons que notre famille dispose d’un bien situé dans le quartier des Montilles de Gaillardy basses au Grau d’Agde.

Les Montilles sont des dunes sur ces grandes plages languedociennes de sable fin, celles-là mêmes qui feront renoncer Richelieu dans ses projets de construction de rade jusqu’au fort de Brescou, mais qui rempliront de bonheur les vacanciers.

Les Montilles de Gaillardy sont une vaste étendue qui part de notre Dame de l’Agenouillade, bordée par la route de saint Vincent, jusqu’à la plage.

Sur le terrain se trouvait une maison qui a pris de nombreux visages dans le temps, au gré des événements traversés. Elle a sans doute d’abord pris la forme d’un cabanon de bois et de briques.

La structure du Grau actuel et de ses jetées fut dessinée en 1783, 1870 marqua la fin des travaux qui avaient duré 87 ans. Les historiens nous disent que le peuplement du Grau d’Agde ne peut être antérieur au XIX° siècle, sur l’ensemble de son étendue comprenant le Grau, Saint-Vincent excepté Notre-Dame, sanctuaire marial séculaire. Ce sont les travaux d’endiguement de l’Hérault qui ont permis de générer ces terrains, souvent marécageux et envahis de moustiques.

Jusqu’au milieu du XIX° siècle, le Grau était en effet composé de petits marécages, de champs de Kali (salicornes), de parcelles de vignes ou de jardins. Des haies de « canotes » servaient de limites et de protection contre le vent, aux parcelles cultivées. Ces terres étaient souvent recouvertes de poissons et de coquillages. Ce n’est qu’en 1872 que des mesures d’assainissement seront engagées pour favoriser le développement du Grau, indispensables pour éviter les fièvres paludéennes, engendrées par les émanations des marais.

Les enjeux majeurs pour la gouvernance de la ville, à l’époque, étaient d’éviter l’ensablement du Grau et de se prémunir contre la piraterie. C’est ainsi qu’il fut décidé de supprimer les forêts du littoral pour les donner à des particuliers qui abattirent les arbres et défrichèrent les terres. Les sables antérieurement tenus par les arbres donnèrent naissance à une série de dunes mobiles sous l’action des vents.

Dans les années 1826, la totalité de la section E du cadastre à laquelle appartient le quartier des Montilles comprenait 273 hectares de terres labourables, 276 hectares de vignes, 4 hectares de jardins, 266 hectares de pâtures et de marais. Quant au sol des propriétés bâties, il n’était que d’un hectare.

Les pouvoirs publics laissaient les particuliers défricher et ensuite officialisaient leurs droits de propriété comme le confirme la déclaration du Maire d’Agde, Jacques Antoine Coste Floret, à son conseil municipal le 12 novembre 1857 :

« Les terrains dont il s’agit étaient jadis sans valeur. Ceux qui les ont mis en culture n’y sont parvenus que par de longs et pénibles travaux, de profonds défoncements et de fréquentes fumures. Ce sont presque tous de petits cultivateurs, qui, soit en s’imposant un excès de travail, soit en utilisant les temps de chômage, ont ainsi conquis un fonds de terre.

Il en résulte pour le paysan cet avantage de pouvoir utiliser son travail, même en saison de pluie. L’usurpation a donc eu d’heureuses conséquences. Il s’agit de consolider cet état de choses en fondant cette possession précaire sur des titres réguliers. Prix uniforme pour toutes les parcelles : 40F par hectare, ce procès-verbal de séance étant valable pour une superficie de 83 hectares et 248 possesseurs. ». D’autres décisions de régularisation viendront notamment sur le domaine public de l’État.

La propriété des Montilles fit-elle partie de ces lots régularisés ? C’est tout à fait possible au regard des métiers exercés par mes aïeux agathois.

L’image la plus ancienne que nous ayons de notre bien, sans doute au début des années 1900, est celle d’une grande maison à étage, avec une cheminée et un vaste balcon à colonnes dominant le terrain. De ce balcon, on pouvait voir la mer.

Était-ce une maison de villégiature ? Le cœur d’un domaine viticole, agricole ? Les deux sans doute selon les époques.

Ce bien a été transmis de génération en génération par les femmes, aux filles/femmes de la famille quitte à en organiser le partage, lorsqu’il y avait un frère. Il a ainsi appartenu à Marie Rose Andoque, épouse Bouscat, qui l’a reçu de sa famille et qui l’a transmis en 1895 à Françoise Bouscat, épouse Castan, qui l’a transmis à ses filles Félicie et Joanna Castan en 1949, Joanna l’ayant transmis à sa fille France Dolques, épouse Farges en 1986.

Aujourd’hui, en 2022, il est en passe de nous être transmis. Nous sommes six enfants, la transmission et le partage n’ont pas été construits et maintenant le conserver semble difficile, voire malheureusement impossible, c’est un déchirement. Raconter est sans conteste une façon de garder la mémoire de notre histoire.

Les événements tragiques, guerres, maladies, décès ont souvent privé les femmes de la présence de leurs époux. Aussi, si cette terre a connu ses heures d’activité et de bonheur, la famille a toutefois généralement élu domicile dans d’autres maisons agathoises, biterroises ou parisiennes selon les époques, plus propices à la vie quotidienne, aux études, aux métiers. Rue de l’amour, rue du Glacis, rue Diderot à Agde, porte Olivier à Béziers. Néanmoins, elle est dans les esprits de tous et de chacun un point d’ancrage, un repère, le berceau de notre famille.

Partie I. 1907 –1927Les années d’enfance

« On est de son enfance, comme on est d’un pays »

Antoine de Saint-Exupéry

I.1 Les raisins de la colère

John Steinbeck

L’année 1907 fut sans conteste une année difficile pour les Agathois. Deux événements tragiques ont en effet marqué les mois qui ont précédé la naissance de Joanna. Tout d’abord, la crise viticole dans le midi languedocien, du fait des « sucreurs de vin »1, des importations en provenance des colonies et des mouvements dramatiques du printemps réprimés par Georges Clemenceau. Vinrent ensuite les inondations de septembre, qui ont littéralement envahi la commune et mis en péril de nombreuses familles et propriétés.

Bien que relativement préservés du phylloxéra par des vignobles situés en bord de mer qui étaient moins fragiles, mes arrière-grands-parents ont été à leur tour touchés de plein fouet par la crise viticole et ont soutenu la révolte des viticulteurs appelée aussi la révolte « des gueux ».

Tous les comités de défense viticole des quatre départements du midi s’étaient regroupés et avaient adopté leserment des fédérés : 

« Constitués en comité de salut public pour la défense de la viticulture, nous nous jurons tous de nous unir pour la défense viticole, nous la défendrons par tous les moyens. ».

Les discours séparatistes prononcés en occitan inquiétèrent le gouvernement. Les Comités décidèrent de se réunir tous les dimanches, dans une ville différente.

Le 12 mai, le rassemblement de Béziers a vu 150 000 manifestants envahir les allées Paul Riquet et le Champ-de-Mars. Les slogans des banderoles affirmaient : « La victoire ou la mort ! », « Assez de paroles, des actes », « Abèré tant de boun bi et pas pourré mangea de pan ! » 2

Les manifestants, qui venaient de plus de 200 communes, furent rejoints par de nombreux employés et commerçants biterrois. La manifestation fut clôturée par les discours prononcés sur la place de la Citadelle, aujourd’hui Jean-Jaurès. Prirent la parole Marcelin Albert3 qui lança un ultimatum au gouvernement en lui demandant de relever le cours du vin, Ernest Ferroul4 qui fixa cet ultimatum au 10 juin et prôna la grève de l’impôt : 

« Si d’ici le 10 juin, le gouvernement n’a pas trouvé de solution à la crise alors, ce sera la démission des mairies du Midi ! Ce sera la grève de l’impôt ! »

Le 9 juin 1907 marqua l’apogée de la contestation vigneronne dans le midi de la France avec l’incroyable rassemblement de Montpellier. La place de la Comédie fut envahie par une foule estimée à 700 000 personnes, soit près de la moitié des habitants du Languedoc. Cette mobilisation de masse dépassa d’ailleurs les courants politiques ou idéologiques, puisque l’on vit marcher côte à côte des sympathisants de la gauche socialiste et de la droite royaliste.

Le groupe des Agathoises était en tête du cortège et fut très remarqué. La municipalité de Jean Bedos5 avait accordé quelques fonds pour envoyer à cette manifestation le comité de défense viticole, c’était indispensable.

Tout le Languedoc était lié contre Georges Clemenceau. C’est la plus grande manifestation de la troisième république, le journaliste du Figaro écoutant le discours de Marcelin Albert en fut bouleversé : « C’était fou, sublime, terrifiant ».