Le Souhait de Gwen - Intégrale - Noëline - E-Book

Le Souhait de Gwen - Intégrale E-Book

Noëline

0,0

Beschreibung

Pensant avoir tout perdu, elle se lance dans une nouvelle aventure enneigée...

Faire le deuil de sa meilleure amie, Gwen, découvrir que son petit-ami la trompe avec persévérance... Rien à dire, Victoria n'est pas gâtée pour ces fêtes de fin d'année ! C'est donc sans remords qu'elle part à Samoens exaucer la dernière volonté de Gwen : grimper la montagne pour aller répandre ses cendres sur la neige éternelle. La tâche pourrait paraître difficile quand on n'est pas une grande sportive dans l'âme, mais que dire si, en plus, on est affublé d'un accompagnateur aussi mignon que grognon ? Noël n'a pas fini de nous surprendre !

Découvrez la deuxième série gagnante du concours de Noël, avec une héroïne aussi attachante que drôle, une véritable Bridget Jones des montagnes !

EXTRAIT
D’un pas vif et énergique, je commence à marcher sur le chemin. Le paysage est superbe, les arbres sont recouverts de neige et semblent être figés dans la nature. Je dois bien avouer que c’est la première fois que je vois vraiment la nature sous la neige ! Tout en marchant d’un bon pas, je regarde autour de moi, pour ne pas perdre une miette de ce décor ! Soudain, dans mon dos, j’entends les pas de Mathieu se rapprocher et la neige crisser légèrement sous son poids. Il me dépasse sans aucune difficulté, sans être essoufflé le moins du monde !
— Allez, on y va, ne perdons pas de temps.
Mais quel crâneur ! Monsieur j’ai-des-grandes-jambes-et-je-me-la-pète me demande d’avancer plus vite, alors que je suis déjà à mon maximum. J’ai dû au moins faire 2 kilomètres ! Je me retourne pour évaluer la distance parcourue et me décompose rapidement. J’ai dû parcourir 500 mètres à tout péter !
— Tu as perdu quelque chose ?
— Ma fierté sans doute… maugréé-je entre mes dents.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Noëline a 34 ans et vient de Perpignan. Elle est mariée et a deux enfants. Tout comme son personnage, Victoria, elle travaille dans le milieu médical. Elle a commencé à écrire sur Wattpad pour ensuite se lancer dans l'aventure So Romance par le concours de Noël.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 510

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Tome 1 : La neige éternelle

Chapitre 1

— Tes papiers ?

— C’est bon.

— Ta valise ?

— C’est bon.

— Tu as pensé aux après-skis, à ta doudoune, ton bonnet…

— Oui, maman ! J’ai pensé à tout !

— Bon, bon, ça va, excuse-moi ! Mais je m’inquiète ! Je trouve ce départ pour la montagne précipité, et puis, es-tu obligée de partir ainsi avant Noël ?

— Oui, maman. Ça me fera du bien !

Elle me regarde en retenant ce qu’elle meurt d’envie de me dire. Je tourne la tête et fouille dans mon sac à main pour ne pas lui donner le loisir de me le dire. Je connais déjà son point de vue et je sais qu’elle n’approuve pas mon départ aussi précipité à la montagne, seule, dans un village où je ne connais personne, juste avant les fêtes de Noël. Mais je suis grande, 1,59 m à mon actif, majeure, 22 ans avec 6 ans d’expérience (je trouve le chiffre 22 super, alors j’ai décidé de le garder) et en pleine forme (je regarde toutes les séries de danse sur Netflix, il n’y a pas à dire, ça entretient). Et puis, de toute façon, ma décision est prise, je ne ferai pas marche arrière ! Rien ne pourra me retenir, si ce n’est la SNCF qui annonce mon train avec vingt minutes de retard.

— Écoute, maman, tout ira bien, et puis, m’éloigner un peu d’ici et de Marc me fera le plus grand bien.

— Tu vois ! clame-t-elle, victorieuse. Marc est bien le fond du problème !

— Si tu le dis. Écoute, retourne à la voiture, rentre chez toi et je te promets de te tenir au courant quand j’arrive.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, l’embrasse et grimpe dans le premier wagon du train qui vient juste de stationner devant moi. Mon billet à la main, je commence à remonter l’allée chargée de mon sac à main, mon sac à dos et ma valise rose bonbon, bousculant sans le vouloir d’autres passagers. Après dix minutes de lutte intensive pour atteindre ma place, je m’installe enfin dans mon fauteuil, après avoir hissé tant bien que mal mon bagage au-dessus de mon siège. Je croise mon regard dans la vitre. Tout va bien, j’ai les cheveux en vrac et les joues rougies par l’effort. Qui a dit que je ne suis pas sportive ?

Quand le train démarre enfin, je visse mes écouteurs dans mes oreilles et ferme les yeux, me laissant porter par la musique, tout en restant attentive aux divers arrêts du train.

Après deux changements et une frayeur gare de Lyon (j’ai bien failli ne pas me réveiller pour descendre du train et prendre ma correspondance, ce qui m’a valu de courir dans les couloirs de la gare pour prendre le dernier train in extremis), me voilà enfin arrivée à bon port. « Bon port » reste seulement une expression, car je suis cernée de montagnes ! Je lâche mon sac devant la splendeur du paysage que je distingue malgré la nuit. Les montagnes qui m’entourent sont couvertes de neige et me donnent l’impression d’arriver dans le village du Père Noël. En plus, il neige à petits flocons et cela accentue cette impression.

Passé le temps d’arrêt, je regarde si un taxi est disponible, mais la rue devant la gare reste désespérément vide, les décorations de Noël bougeant légèrement au gré du vent sur les fils électriques. Je sors mon smartphone et commence à chercher le numéro de la compagnie de taxis la plus proche. Mais à 22 heures, je dois bien me résoudre à comprendre que trouver un véhicule ne sera pas une mince affaire. Au bout de 10 minutes d’appels infructueux, je finis par trouver une société qui accepte de venir me récupérer. En attendant, je m’installe dans le hall de la gare, pestant après mon empressement à partir de Perpignan. Si j’avais écouté maman, j’aurais pris le temps de programmer mon voyage un peu mieux. Au lieu de ça, je me suis précipitée à la gare et j’ai acheté mon billet pour le lendemain sans me poser plus de questions !

Pour passer le temps, j’envoie un message pour la rassurer.

Victoria :Bien arrivée à Samoëns, le voyage s’est bien passé, la chambre d’hôtel est superbe. Je t’appelle demain. Bisous.

Bon d’accord, je ne suis pas encore dans ma chambre, mais un petit mensonge pour rassurer maman ne fera pas de mal ! Et puis, je suis presque arrivée après tout… 20 km, qu’est-ce que c’est ?

Mon taxi arrive enfin. Le conducteur me fait signe d’une main sans même descendre du véhicule. Dans le doute, je me tourne pour voir si une autre personne attend un taxi, mais non, je suis désespérément seule dans ce hall. Comme je ne vais pas assez vite à son goût, il actionne le klaxon pour me faire comprendre que je dois me presser. Je m’exécute en bougonnant et en me précipitant sur le trottoir. Toutefois, le froid hivernal a déjà frappé et le sol est recouvert de neige, certes, mais il cache une pellicule de glace ! Mon pied dérape et je me retrouve sur les fesses en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Mon derrière me lance horriblement et je tiens fièrement mon sac à dos en hauteur bien au-dessus de ma tête, alors que ma valise a été éjectée à cinq mètres de moi. Le point positif : ma chute a au moins décollé mon chauffeur de sa voiture et le voilà qui fait le tour du véhicule pour venir à ma rencontre.

— Mademoiselle, vous allez bien ?

— Ça plane pour moi ! dis-je sur le ton de l’humour.

Après tout, mieux vaut en rire, sinon je pleurerais. Je tends mon sac à dos au chauffeur tout en lui demandant de faire très attention à ce dernier et me relève en me frottant les fesses qui n’en finissent plus de me lancer. Je jure intérieurement après Gwendoline de m’avoir embarquée dans ce voyage. Je m’installe tant bien que mal dans la voiture, tandis que le jeune homme installe mes bagages dans le coffre. En se glissant derrière le volant, il me demande :

— Ça va ?

— Oui ! Mon derrière en a vu d’autres.

— Si vous le dites !

Sa réponse me fait prendre conscience du double sens de la mienne et je bénis la nuit qui nous entoure, masquant ainsi mon embarras.

— J’espère que vous avez prévu d’autres chaussures ?

Je baisse les yeux sur mes petites bottines noires toutes neuves fourrées à l’intérieur. Voyant que je ne comprends pas trop sa remarque sur mes chaussures dernier cri, il s’explique :

— On est à la montagne, ici. Il fait froid, il neige, il faut des chaussures adaptées quand on vient dans une région comme la nôtre.

— Je les trouvais bien en partant de chez moi ce matin et puis elles sont fourrées !

— Oh, oui, super ! Mais il semblerait qu’elles ne soient pas antidérapantes. Après, je dis ça pour vous. Si vous voulez pas finir les quatre fers en l’air à tous les coins de rue.

— Mais elles ne sont pas dégagées vos rues ?

Pour toute réponse, il me sourit tout en continuant à conduire. Je continue de fixer mes pieds en silence. Mais ce dernier est trop oppressant, je ne le supporte pas, alors autant parler avec le conducteur. Pour engager une nouvelle fois la conversation, je ne trouve rien de mieux à lui dire que :

— On arrive bientôt ?

… Tout en me maudissant intérieurement. On dirait un enfant de trois ans qui fait un long voyage.

— Non. Il y a encore un peu de route.

— Ah bon ? Pourtant j’avais vu que la gare se trouve à 20 km de Samoëns.

— Oui, c’est bien ça. Vous venez d’où, sans indiscrétion ?

— Perpignan, pourquoi ?

— Eh bien ici, à la montagne, avec le dénivelé, ça prend un peu plus de temps… Il y a des virages et ça ralentit considérablement.

Ne voulant pas davantage passer pour une sotte, trouvant que, pour le moment, j’ai déjà donné à mon chauffeur montagnard assez matière à se moquer, je finis par opter pour le silence. Je tente de deviner le paysage par la fenêtre, mais c’est peine perdue, il fait bien trop noir ici. Par contre, les étoiles brillent de mille feux et je me perds dans leur contemplation, laissant la voiture et les virages me bercer doucement.

— Mademoiselle !

Une main sur mon épaule me secoue légèrement. J’ouvre les yeux et me retrouve nez à nez avec mon chauffeur.

— On est arrivés, j’ai déjà prévenu Martine, elle vous attend à la réception. J’ai également déposé vos bagages dans le hall.

À ces mots, je sursaute.

— Même mon sac à dos ?

— Oui, mais ne craignez rien, j’en ai pris soin. J’ai bien compris qu’il est fragile.

Il tend sa main que je saisis pour sortir de la voiture. Je grimace un peu, mes fesses sont douloureuses. Je ne me suis pas loupée tout à l’heure.

— Merci pour tout, dis-je en marchant prudemment vers le chalet.

Ce dernier est digne d’un conte de fées ! De son toit recouvert de neige tombent des stalactites, montrant ainsi le froid qu’il fait. Sur les rambardes des différents balcons sont accrochés des rubans rouges avec des guirlandes électriques blanches qui clignotent et, de chaque côté de la porte d’entrée, il y a des branches de sapin qui embaument l’air, me donnant l’impression d’arriver dans une forêt. Ici, le ton est donné, on attend Noël !

Au moment où je me retourne pour le regarder partir, je le vois à côté de la voiture, les bras ballants et le visage légèrement choqué.

— Il y a un problème ?

— Un petit, oui ! Vous comptez me payer ?

La honte ! Il tendait la main pour recevoir le prix de sa course et moi, comme une conne, je me la joue grande dame qui descend de sa calèche ! Je fouille immédiatement dans mon sac à la recherche de monnaie pour le régler tout en bredouillant des excuses.

— Je suis navrée, veuillez m’excuser. Je dois avouer que c’est la première fois que je prends le taxi !

— Ça fait beaucoup de premières fois pour la soirée ! se moque-t-il en venant récupérer les billets que je lui tends. La course en chaussures de ville sur la neige, la montagne, le taxi…

— Vous n’avez pas idée, la liste est bien plus longue, dis-je en tentant de rester digne. Hé bien, merci pour votre aide.

Je ne le laisse pas répondre et entre dans le chalet en essayant de marcher le plus naturellement possible, malgré la douleur lancinante de mon postérieur.

Chapitre 2

J’ouvre les yeux et prends le temps de m’étirer en bâillant, tel un chat qui se réveille d’une longue sieste. Après mon arrivée des plus remarquées dans la nuit, Martine, la gérante du chalet, m’a installée comme une reine. La chambre tout en bois est magnifique. Le lit, moelleux à souhait, a gagné très rapidement et m’a emportée dans les bras de Morphée bien plus vite que je ne le pensais. Depuis plusieurs jours déjà, je rencontre des difficultés à trouver le sommeil et je me réveille plusieurs fois par nuit, me faisant avoir la tête d’un vieux paresseux au réveil. Mais, cette nuit, la fatigue m’a terrassée dès que ma tête est entrée en contact avec l’oreiller moelleux et j’ai dormi du sommeil du juste jusqu’à présent. Et vu le soleil qui baigne la pièce, la journée m’a l’air d’être déjà bien avancée ! Je tends la main vers mon téléphone que j’ai posé sur la table de nuit. Plusieurs appels de maman figurent sur l’écran ainsi que l’heure. Midi vingt ! Je bondis hors du lit, mais la douleur me rappelle à l’ordre et c’est version grand-mère Yeta que je m’extirpe de sous les draps. Une fois dans la salle de bains, je ne peux que constater l’énorme bleu qui recouvre l’intégralité de mes fesses. Il est violacé et c’est un peu amusée que je passe sous la douche, en pensant que je suis ravie d’être célibataire, puisque maintenant j’arbore le cul d’un bonobo en chaleur !

Après avoir tenté de remettre un peu d’ordre dans mes cheveux, je m’habille chaudement avant de quitter la chambre. Quand je m’apprête à enfiler mes chaussures, je contemple quelques instants mes superbes bottines mais, très vite, je me rabats sur mes moon boots. Elles sont gris métallisé avec de la fourrure métallisée également et ne passent pas inaperçues, mais il n’y avait pas un choix énorme à Perpignan. Une fois prête, j’attrape ma veste et descends voir s’il y a encore une possibilité de manger.

— Ah ! Vous voilà ! m’accueille Martine en venant vers moi. Je vous ai laissé dormir. J’ai bien vu que le voyage vous avait fatiguée hier, mais je commençais à m’inquiéter de ne pas vous voir descendre. Vous préférez manger ou bien faire un petit déjeuner ?

— Il est encore possible de petit déjeuner ? dis-je, pleine d’espoir.

— Mais bien sûr ! Bon, d’habitude, je permets le petit déjeuner de 7h à 9h30, mais pour vous, je peux bien faire un effort. Vous me semblez sympathique et puis il n’y a pas grand monde dans le gîte pour le moment. Ça ne sera pas la même chose la semaine prochaine, avec les fêtes qui arrivent ! Vous prendrez un café ?

— Oh non. Un chocolat chaud, s’il vous plaît, avec du pain et du beurre, si vous avez ?

Dix minutes plus tard, je me retrouve attablée comme une reine avec un copieux petit déjeuner que je déguste face à une vue magnifique sur la montagne. Habituellement, je ne supporte pas le silence et comble le vide et l’absence avec de la musique mais là, je dois bien reconnaître que ce calme est des plus apaisants. Le chalet est déjà décoré pour les fêtes et des branches de sapin fraîchement coupées encadrent les fenêtres alors que, dans un coin, un sapin dans un joli pot est décoré comme dans les films américains, en rouge et or, et dégage une odeur de forêt des plus agréables. Une fois mon ventre bien rempli, je rejoins mon hôtesse dans le vestibule afin d’avoir quelques informations.

— Martine, pouvez-vous m’indiquer comment me rendre au village, s’il vous plaît ?

— Oui, bien sûr. Il vous faut quelque chose en particulier ? Je peux peut-être vous dépanner ?

— Non, j’ai besoin d’informations sur une randonnée en particulier et seul l’office du tourisme pourra m’aider. Et puis, j’ai quelques affaires à régler.

— Eh bien, je vais faire venir le taxi.

— Encore un taxi ! Il n’y a pas de bus ?

— Si, mais nous sommes à la montagne ici et pas forcément bien desservis.

— Bien. Il sera long à venir ?

— La société se situe à peine à 20 km d’ici, ça ne sera pas long !

Sachant que nous n’avons pas la même notion de temps pour les distances entre Perpignan et ici, je lui fais signe que je patiente dans le salon, alors qu’elle compose le numéro.

Assise face à la baie vitrée, je contemple le paysage en pensant à Gwendoline. Elle m’avait dit que la vue était à couper le souffle, mais elle était loin du compte. Les montagnes enneigées sont impressionnantes et me font me sentir bien plus petite que je ne le suis déjà.

Je me demande comment elle a pu quitter un paysage avec autant de relief pour venir se perdre dans le plat lisse du bord de mer méditerranéen. Certes, elle a fui sa vie d’ici suite à l’annonce de sa maladie, mais elle avait quand même d’autres choix que Perpignan !

Je la revois encore débarquant dans le service d’hématologie où je travaillais à l’époque, couverte d’un simple tee-shirt manches longues, alors que nous étions en plein hiver. J’étais infirmière d’accueil ce jour-là et, en l’installant dans sa chambre, c’est tout naturellement qu’elle m’a dit avoir fui sa région à l’annonce de sa leucémie, afin de se faire suivre au soleil et épargner à sa famille et ses amis le fait de la voir malade. Après avoir pris ses constantes et avoir rempli ses papiers d’entrée, je lui ai proposé de rencontrer notre psychologue du service.

— Pourquoi ? Cela vous choque que je veuille épargner mes proches de la maladie ?

— Euh, non. Je voulais juste que vous sachiez que nous avons quelqu’un à qui vous pouvez vous confier.

— Merci, mais ça ira.

Au fil des jours, nous avons sympathisé et c’est sans vraiment m’en rendre compte que j’ai laissé tomber la barrière entre soignant et soigné. Sa bonne humeur et sa positivité étant tellement agréables que je n’ai pas vu le lien d’amitié s’installer. Rapidement, elle m’a demandé mon numéro de téléphone et je le lui ai donné sans même me poser de questions, alors que j’avais toujours mis un point d’honneur à garder une distance avec mes patients. Je l’ai également aidée à trouver un appartement qui se trouvait, comme par hasard, dans ma résidence. Je l’ai aidée à y emménager avec l’aide de Marc, mon amoureux. Ou devrais-je dire, feu mon amoureux.

Notre amitié a démarré sur les chapeaux de roues et nous nous parlions comme si nous nous étions toujours connues. Elle a réussi à trouver de petits jobs entre deux traitements. Elle avait une force de caractère impressionnante qui forçait le respect. Et quand elle était fatiguée, elle ne disait rien, mais je le devinais sans peine et tentais de l’aider sans être trop présente pour autant. Après tout, elle avait quand même fui sa famille et ses amis pour ne dépendre de personne.

Malheureusement, son courage et sa volonté n’ont pas été suffisants et cette foutue maladie l’a emportée. Et dire qu’il y a encore quelques semaines nous étions ensemble en boîte de nuit à nous déhancher en riant. Rien ne laissait présager que, le lendemain, je la ferais hospitaliser en urgence et qu’elle ne ressortirait pas vivante de l’hôpital !

Elle devait le savoir, car c’est à partir de là qu’elle a commencé à m’expliquer sa vie à la montagne et qu’elle m’a parlé de sa famille et ses amis. Je l’ai laissée parler sans dire un mot, l’écoutant religieusement me parler de sa vie d’avant. Sa mère qui n’avait jamais été très courageuse et qui n’aurait pas supporté de la voir dépérir ainsi, son petit ami si gentil et doux qui ne méritait pas de la voir dans cet état-là et ce village qu’elle aimait tant.

En y réfléchissant maintenant, il y avait des indices chez elle qui ne trompent pas. Les sabots en bois suspendus à l’entrée que je trouvais kitch et dont je me moquais à chaque fois que je passais devant et ce poster de montagne que je trouvais bien trop grand dans son salon. Finalement, elle n’avait pas tellement tiré un trait sur son passé. Elle me l’avait simplement caché. Et c’est seulement deux semaines avant sa mort qu’elle m’a tout dévoilé. Comme si elle ressentait le besoin de dire certaines choses. Elle ne s’était pas privée non plus de critiquer Marc qu’elle n’appréciait pas du tout. De ça, elle ne s’en était jamais vraiment cachée. Mais là, elle m’avait laissé sous-entendre qu’il ne m’était pas fidèle. Je n’ai pas voulu y croire, d’autant qu’elle était assommée par le traitement, mais elle avait malheureusement raison. J’ai découvert le pot aux roses en rentrant de l’hôpital, après qu’elle ait poussé son dernier soupir. Ne sachant pas quand elle allait partir, je ne pouvais pas la laisser seule et cela faisait plusieurs soirs que je dormais à l’hôpital. C’est en poussant la porte de l’appartement dans la nuit et en me dirigeant vers ma chambre que j’ai entendu du bruit. J’aurais dû faire demi-tour comme mon premier réflexe m’y incitait, mais la curiosité a été plus forte et c’est la bite dans le cul de la manip radio de l’hôpital que j’ai retrouvé Marc !

— Eh bien, ça alors ! ai-je lâché bêtement, alors que monsieur, en pleines prouesses orgasmiques, avait du mal à arrêter de culbuter cette grosse salope sur qui, d’après les ragots, tout l’hôpital est passé.

— Merde, Vic ! Qu’est-ce que tu fais là ?

Qu’est-ce que je fais là ? Il était sérieux ? Je le retrouvais en train de me tromper, dans mon lit, avec cette poufiasse de Sandra et lui, ce gros connard, ne trouvait rien de mieux que demander ce que je foutais là ?

Les nerfs ont pris le dessus et, c’est en la tirant par sa tignasse blonde peroxydée, d’après ce que laissaient entrevoir ses poils de fouffe, que je l’ai mise dehors sans ménagement.

— Bébé ! Tu peux pas faire ça ! Elle est nue, quand même, laisse-lui le temps de se rhabiller…

— Lui laisser du temps ? Mais t’es sérieux, en plus ? Gwen m’avait prévenue à ton sujet, mais l’amour rend aveugle et je ne voulais pas la croire. T’es qu’un beau salaud !

Sur ces mots, j’ai pris mes affaires que j’ai jetées dans ma valise et suis partie dans l’appartement de Gwen.

— Mademoiselle !

Je sursaute en entendant la voix de Martine qui me ramène au présent. J’essuie mes joues qui, comme à chaque fois que je repense à tout ça, se retrouvent inondées de larmes.

— Excusez-moi. Vous disiez ?

— Le taxi est là.

Chapitre 3

Je passe ma doudoune et me dirige vers la porte d’entrée. J’entends un rire qui fuse, alors que je sors du chalet. Je regarde vers la voiture et découvre mon chauffeur de cette nuit. Dans la vingtaine, il est bien plus blond que ce que je pensais hier soir et porte des lunettes dignes d’un cycliste du tour de France sur la tête. Appuyé à sa portière, il me regarde, mort de rire, alors que je marche prudemment vers lui. Je baisse les yeux sur ma tenue et je dois dire qu’il y a de quoi rire, les boots sont énormes et me donnent une démarche de pingouin ; quant à ma doudoune hyper rembourrée, elle me donne un faux air de Bibendum Michelin.

— Eh bien, quel changement en quelques heures ! rigole-t-il en me voyant avancer.

Je suis sûre qu’il s’étoufferait de rire s’il voyait mon cul de bonobo suite à ma chute. J’envisage de baisser mon pantalon histoire de me débarrasser de lui une bonne fois pour toutes (avec un peu de chance, il avalera sa langue en riant), mais j’ai vraiment besoin de descendre en ville rapidement et il semblerait qu’il n’y ait que lui comme chauffeur dans les environs. C’est d’ailleurs ce que je lui demande, alors que je prends place dans la voiture.

— Il n’y a que vous comme taxi dans le coin ?

— Non, mais je suis le seul à travailler tard le soir et à répondre présent quand Martine a besoin de moi. Alors, on va où ?

— En ville, s’il vous plaît.

— OK. Je préfère vous prévenir, on n’arrivera pas dans cinq minutes, pas la peine de me demander quand on arrive au coin de la rue, dit-il, amusé.

Je ne réponds pas à sa vanne vis-à-vis de ma remarque de cette nuit et regarde le paysage défiler par la fenêtre en silence. Comme je l’avais supposé hier soir, le cadre est digne d’une carte postale. La neige d’un blanc immaculé recouvre des champs immenses qui, je le devine, doivent être d’un vert éclatant l’été.

— Vous voulez que je vous dépose où ? demande-t-il, alors que nous arrivons aux abords du village.

— Eh bien, j’ai besoin d’aller à l’office du tourisme. Je souhaite me rendre aux neiges éternelles ; d’après ce qu’on m’a dit, il y a un lac pas loin et je dois impérativement y aller.

— Ma belle, ça ne va pas être possible.

— Et pourquoi donc ?

— Le gîte est fermé en cette saison et il y a beaucoup trop de neige. Vous ne prévoyez pas vos voyages à l’avance ?

— Pourquoi dites-vous cela ? demandais-je, piquée à vif.

— Eh bien, c’est simple : hier, votre arrivée à plus de 22 heures sans prévoir le transport jusqu’au chalet, aujourd’hui, le fait que vous ne sachiez pas un minimum de choses à savoir sur cette montagne… Vous ne connaissez pas Google ?

— Si, bien évidemment, mais je n’y ai pas pensé. Les choses ont été quelque peu précipitées.

— Je vois ça ! Bon, sinon je vous conseille d’aller à la boutique de location de skis. Demandez Mathieu de la part de Jules, il pourra sûrement vous aider. J’ai quelques courses à faire, je vous retrouve dans 2 heures devant la mairie. Et c’est pas pour une demande en mariage, rigole-t-il devant ma tête médusée.

Mais quel connard ! Il me conforte dans la haute opinion que j’ai des mecs depuis la nuit fatidique où j’ai perdu mon amie et l’homme avec qui je croyais faire ma vie il y a encore une semaine.

Je le regarde partir tout en l’insultant intérieurement, enfin je crois, car des gens me regardent bizarrement. Alors, il se pourrait que je lui aie dit d’aller se faire empapaouter chez les babouins, le tout avec, semble-t-il, mon majeur en l’air. Je le baisse lentement et commence à marcher en direction du magasin que ce con de Jules m’a indiqué.

Mon pas lourd et incertain me donne l’impression d’être l’un des hippopotames de Fantasia. Je n’ai jamais marché sur autant de neige. Il se pourrait même que ça soit la première fois. J’arrive enfin à la porte du magasin, essoufflée mais ravie d’être restée droite sur mes guiboles. Une sonnette retentit pour prévenir de mon arrivée. Je me rapproche du comptoir où une jeune femme s’active. Elle doit avoir la trentaine et semble assez stricte.

— Bonjour, que puis-je pour vous ?

— Bonjour. Le chauffeur de taxi qui m’a conduite au village m’a conseillé de venir chez vous. Il m’a dit de demander Mathieu de la part de Jules. Je dois me rendre aux neiges éternelles et on m’a conseillé un guide pour m’accompagner.

— Pour les neiges éternelles, ça va être dur. Il me semble qu’il y a trop de neige et que le gîte n’est pas ouvert au public. De plus, il faut être un marcheur chevronné en cette période de l’année.

— C’est mon cas ! affirmé-je avec aplomb.

Quoi ? J’ai regardé le film Everest plusieurs fois ! Ça compte, non ?

Je n’ai pas le temps d’y réfléchir plus, que la vendeuse interpelle le fameux Mathieu que Jules m’a conseillé. J’ouvre ma doudoune légèrement, car j’ai l’impression de suer comme un bœuf. Mais j’arrête mon geste quand je le vois entrer dans la boutique. Grand, genre très grand, mais quand je dis grand, je ne suis pas sûre d’être assez claire. Plus de 1,90 m à son actif, brun aux yeux vert foncé, il pourrait être pas mal s’il ne semblait pas aussi bourru.

— Quoi ? répond-il d’une voix grave qui me file un frisson.

— Cette dame cherche un guide de haute montagne.

Elle se retourne, me sourit d’un air crispé et reprend ce qu’elle faisait avant que je ne la dérange. Je la regarde faire en silence.

Il se tourne dans ma direction et sonde le magasin de son regard émeraude perçant. Vu sa hauteur, il ne me voit pas du premier coup et finit par baisser les yeux dans ma direction.

— La dame souhaite se rendre aux neiges éternelles. Je lui ai dit que ce n’est pas possible, mais elle dit qu’elle est randonneuse chevronnée.

— Vraiment ? dit-il en me détaillant en silence.

Je me sens rougir et je suis mal à l’aise sous ce regard inquisiteur. Je tente de sourire pour l’encourager à me dire oui. Soudain, il me demande :

— Vous êtes équipée ?

Je baisse les yeux et regarde à mon tour ma tenue, puis je le regarde à nouveau, fière de moi.

— Oui !

— Alors, non, ça ne va pas le faire !

La sentence est tombée, je viens de me faire éliminer par l’équipe sans même avoir pu trouver mon collier d’immunité ! Il se détourne et repart vers l’arrière-boutique. Ce mec est mon seul espoir et il est hors de question que je le laisse filer.

— S’il vous plaît, Monsieur. Je vais m’équiper, vous avez l’air d’avoir tout ce qu’il faut ici ! dis-je en regardant autour de moi.

— Écoutez, c’est une marche difficile en cette période de l’année. Revenez au printemps.

— Non ! Je dois y aller maintenant ! Je suis déterminée et je trouverai bien quelqu’un pour m’y emmener.

— J’en doute ! Je suis le seul du coin à effectuer ce genre de randonnée en cette période de l’année.

— Alors, avec ou sans vous, je monterai !

Sur ces mots, je me détourne et commence à farfouiller dans les allées du magasin. Je jette dans mon panier une paire de moufles rose poudré, des barres énergétiques au chocolat et un cache-oreilles à paillettes. Alors que je passe devant la caisse, j’entends rigoler. Il a les bras croisés et me regarde faire mes emplettes, l’air goguenard. Je tente de faire comme si je ne le voyais pas et contemple une paire de lunettes de soleil.

— Expérimentée, vous dites ?

— Oui, monsieur ! dis-je en priant pour qu’il ne me demande pas quelle montagne j’ai gravie, car, à mon actif, je crois que je n’ai que la colline des loisirs à Canet pour me rendre à la discothèque qui doit atteindre même pas 5 mètres d’altitude, mais bourrée et en talons, je suis sûre que ça vaut bien le Kilimandjaro.

Il s’approche de moi et me demande :

— Combien ?

— D’expéditions ?

— Non, ça, je me doute déjà de la réponse ! Je vous demande combien vous me payez et aussi combien de jours vous avez ? Vu votre niveau, je ne suis pas sûr d’aller aussi vite que je le souhaite.

— Votre tarif sera le mien ! dis-je, pleine d’espoir.

— Vous êtes sûre ? Ça pourrait être dangereux de me laisser chiffrer !

— Que voulez-vous ! Je suis aventurière dans l’âme, dis-je en m’appuyant sur le portant pour me donner contenance.

Ce que je n’aurais pas dû faire, car le présentoir à lunettes valdingue et Mathieu a toutes les peines du monde à le rattraper. Cependant, il y arrive quand même, mais certaines lunettes finissent au sol. Rouge de honte, je me penche précipitamment pour les ramasser, mais il fait de même. Nous nous percutons au front et je finis le cul par terre, réveillant ainsi la douleur à mon derrière de babouin.

— Je suis désolée ! dis-je en me frottant le front.

Il souffle pour garder son calme, comme si j’y étais pour quelque chose ! Ce n’est pas de ma faute si leur machin ne tient pas debout. Puis il tend la main et m’aide quand même à me relever.

— Je sens que je vais le regretter, mais je vais vous y emmener !

— Oh, merci ! m’exclamé-je en lui sautant presque dans les bras.

— Ne me remerciez pas. J’ai pas envie d’avoir votre mort sur la conscience. En attendant, Margot, tu l’aides à s’équiper comme il faut et je vous retrouve ce soir pour évoquer les modalités du voyage. Je suppose que vous êtes la cliente de Martine ?

— Oui ! Comment le savez-vous ?

— Je l’ai deviné à la description que Jules m’a faite de vous par SMS ! répond-il, goguenard, en me montrant son téléphone.

Sur ces mots, il quitte la pièce sans même me saluer ! Bon, je ne vais pas lui en vouloir, il m’enlève une belle épine du pied en acceptant de m’accompagner. Je me retourne victorieuse et regarde Margot qui semble contrariée.

— Alors, on commence par quoi ?

Elle me détaille de la tête aux pieds comme s’il y avait un travail monstrueux à faire. J’ai l’impression de me retrouver dans Les Reines du Shopping et que Cristina va débarquer en disant « oh, là, là, ma chérie, ça ne va pas du tout ! ». Elle soupire et me dit :

— On va commencer par les chaussures.

— Les chaussures ? Mais elles sont neuves ! Vous avez quoi contre mes godasses dans ce patelin ?

— Peut-être qu’elles sont neuves, mais elles ne sont pas adaptées à la randonnée en haute montagne. D’ailleurs, je ne suis même pas sûre qu’elles soient adaptées à la neige, tout court !

Je regarde mes pieds sans rien dire, mais en pestant contre la vendeuse de Perpignan qui m’a garanti que c’est le dernier accessoire à la mode cet hiver ! De plus, je les ai payées une fortune et mon salaire d’infirmière n’est pas extensible ! Je peste contre Gwen qui aurait pu mieux m’expliquer les choses avant de me laisser dans l’embarras avec ses dernières volontés !

Une heure plus tard, c’est les bras chargés de paquets que je ressors de la boutique d’une démarche plus assurée avec mes nouvelles chaussures de randonnée. Je rejoins Jules qui m’attend, appuyé contre sa voiture. Il fait moins le malin en me voyant approcher !

— Eh bien ! Vous avez enfin l’air d’une montagnarde ! J’ai vu Mathieu. Il m’a dit qu’il acceptait de vous conduire. Vous avez d’autres choses à faire avant de remonter ?

— Oui. Connaissez-vous Madame Lorence ?

— Oui.

— Savez-vous où elle habite ?

— Sa dernière demeure se situe derrière vous, au bout de la rue.

Je me retourne et ne vois que le cimetière. Je le regarde, surprise, alors il reprend :

— C’est un peu compliqué, elle est morte le mois dernier.

— Je ne savais pas qu’elle était malade.

— Comme je vous l’ai dit, c’est compliqué ! se renfrogne-t-il en mettant ses mains dans les poches.

— Puis-je vous laisser mes affaires ? J’aimerais aller me recueillir sur sa tombe.

Il me fait signe que oui de la tête et me lance :

— Deuxième allée sur la droite. Sa tombe est blanche et doit être la plus fleurie.

Après quelques minutes de marche, j’arrive enfin devant la tombe. Effectivement, elle est fleurie, certaines gerbes de fleurs portent la mention « À notre amie », mais l’une d’elles attire mon attention et indique « À ma maman ». Je fais le calcul mentalement entre la date de la mort de la maman de Gwen et celle de mon amie. Elle est décédée pile un mois avant elle. Et la date indiquée sur la tombe remonte au moment où j’ai fait hospitaliser mon amie en urgence.

Elle a été informée de sa mort et ne m’en a rien dit ! Pourquoi, Gwen ? J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi elle a fui ? Cela aurait été bien plus facile de combattre ce crabe de merde entourée des siens !

Je reste encore quelques minutes à me recueillir tout en tentant d’expliquer mentalement à la maman de mon amie les derniers instants de sa fille. Puis, je finis par regagner la voiture, le cœur lourd devant tant de gâchis.

Chapitre 4

Assis depuis une heure devant la carte, Mathieu, aidé de Jules, étudie la meilleure façon d’aborder le col. La tête posée sur ma main, je les écoute se quereller sur le temps pour parcourir la distance d’un lieu à un autre. Je ne pensais pas que grimper sur une montagne était aussi prise de tête ! Pour moi, on chaussait ses chaussures et on montait en allant du point A au point B ! Il semblerait que non. Je soupire de plaisir quand je vois Martine débarquer avec un plateau sur lequel sont disposées des tasses de chocolat chaud fumantes.

— Ah ! Me voilà enfin à la montagne ! dis-je en poussant la carte pour faire de la place.

— Je t’y ai déposée hier à la montagne, pourtant ! souligne Jules en la pliant.

— Alors, comment ça se présente ? s’informe Martine en disposant nos tasses devant nous.

— Bien ! dis-je rapidement, alors que Mathieu et Jules répondent en chœur :

— Bof.

— Je n’aime pas trop cette excursion, réplique Martine en s’asseyant.

— Ne t’inquiète pas, maman. Je ne fais pas les choses quand je ne les sens pas !

« Maman » ? Martine est la mère de Mathieu ? Comment cette petite femme toute rondelette et joviale peut-elle être la mère de ce rustre mal gratté de Mathieu ?

Depuis qu’il est arrivé, il ne m’a pas souri une seule fois ! Il est sérieux et autoritaire. Tout l’inverse de Jules qui, malgré le fait qu’il soit moqueur, a un capital sympathie bien plus agréable. Dommage qu’il ne soit pas guide de haute montagne.

— Youhou !

La main de Mathieu passe devant mon visage et me ramène à la réalité. Tout le monde me regarde, il semblerait qu’ils attendent une réponse à une question, que je n’ai pas entendue, bien sûr.

— Oui ?

— Je disais que Margot m’a informé que tu n’as pas acheté de sac de randonnée. Ça veut dire que tu es équipée ?

— Oui, bien sûr. J’ai mon sac de voyage !

— Tu veux rire ? glousse Jules. Tu ne veux pas parler de ton sac de voyage rose Barbie ?

— Qu’est-ce qu’il a, mon sac de voyage ? Il est très pratique, en plus d’être girly !

— Ma chérie, vous n’y pensez pas ! Il n’est pas du tout adapté ! s’alarme Martine.

Mathieu, quant à lui, reste silencieux et m’observe sérieusement en touillant son chocolat d’un geste énergique. Je me demande si je ne préférerais pas qu’il me parle plutôt que de subir ce regard et ce silence glaçant.

Trouve un truc à dire, Vic, et rapidement, me dis-je mentalement.

— J’avais mal compris ce que Margot m’a demandé au magasin. Désolée. Elle n’a pas été très claire.

Et voilà ! Ni vu ni connu, je t’embrouille ! La faute retombe sur la grande brune du magasin ! Il n’y a pas à dire, il y a des moments où je m’épate toute seule.

— Du coup, je vais faire comment ? demandé-je en papillonnant des yeux.

— Je m’en charge, répond Mister je-fais-la-gueule-tout-le-temps en se levant.

— Tu t’en vas ?

— On a vu tout ce qu’il y a à voir. Départ après-demain. En attendant, repos, car les prochains jours vont être fatigants.

— Ah… On ne part pas demain ?

— Tu veux rire, j’espère ? Il est bientôt 23 heures et on n’est pas couchés. Il nous faut une bonne nuit de sommeil avant d’entamer une telle randonnée. De plus, il te manque des accessoires. Je m’occupe de ça demain. Quant à toi, repos !

Il se penche pour embrasser sa mère et quitte la pièce, suivi de Jules. Je reste un moment silencieuse en les regardant partir et Martine fait pareil à côté de moi. La pendule rythme le temps qui s’écoule dans un lent tic-tac monotone. Je pense à ce voyage que je vais entreprendre après-demain sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Vu la conversation que les garçons ont eue ce soir, il semblerait que ça soit bien plus compliqué que le parcours de santé que Gwen m’a vendu à l’hôpital.

Mon téléphone vibre, me ramenant à la réalité. Je consulte le message et en reste scotchée sur ma chaise. Heureusement que je suis assise, sinon j’en serais tombée à la renverse !

Marc (23h45) :J’ai croisé ta mère aujourd’hui. Elle m’a dit que tu étais partie, mais n’a pas voulu m’en dire plus. Pareil pour tes collègues de travail qui m’ont dit que tu avais pris un congé exceptionnel. Je m’inquiète. Faut qu’on parle de tout ça. Je m’inquiète pour toi…

Non, mais il se fout de ma gueule, ce gros con ? Il s’inquiète pour moi après tout ce qu’il m’a fait ? Il a fini de s’amuser à culbuter cette salope de Sandra et il se souvient de moi ? Eh bien, tu peux attendre avant que je te donne de mes nouvelles ! Et je suis ravie de n’avoir rien dit de mon voyage à mes collègues. Seule maman est au courant et, pour une fois, il semblerait qu’elle ait su tenir sa langue !

Je l’imagine dans le lit en train de regarder son téléphone, attendant que je lui réponde. Eh bien, mon grand, ce n’est pas ce soir que ça arrivera ! Tu vas rester sur ta faim, pour une fois, et ça ne te fera pas de mal !

Sur cette pensée, je me lève brusquement, faisant sursauter Martine au passage.

— Bon, je vais me coucher, Martine. Bonne nuit.

— Oui, bonne nuit, ma belle, et ne mets pas de réveil demain matin, tu auras ton petit déjeuner à n’importe quelle heure. Je veux que tu sois en forme pour ton expédition. Je ne suis pas rassurée de savoir que vous partez là-haut.

— Pourquoi ? Mathieu n’est pas un expert de la montagne ?

— Oh, si, bien sûr. Mais toi, non, et ça se voit à mille lieux à la ronde. Je trouve cela inconscient de partir à cette époque de l’année. Il ne peut pas en être autrement ?

— Non !

Mon ton est sans appel et un peu violent, je dois bien l’avouer. Mais je dois le faire maintenant et il ne me reste pas longtemps pour le réaliser. Personne ne pourra me détourner de mon objectif et j’espère bien qu’il en sera de même pour Mathieu.

Je prends congé de mon hôtesse en lui souhaitant bonne nuit sur un ton plus doux et rejoins ma chambre où je m’endors aussi rapidement que la veille. À croire que la literie est magique dans ce chalet.

J’ouvre les yeux tranquillement et ça doit être la première fois, depuis la mort de Gwen, que je me réveille en étant reposée. Je roule dans le lit et savoure le fait de paresser sous la couette. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas accordé ce moment. Marc aimait avoir la maison bien rangée et que tout soit à sa place. Et moi, je m’activais pour que tout lui convienne, qu’il ait son repas fait et frais tous les jours, que ses vêtements soient bien repassés. En tant que médecin à l’hôpital, il faut qu’il présente bien. Je l’ai rencontré sur la fin de son internat et il a commencé ensuite en tant que praticien en médecine gériatrique. Jamais je ne me serais doutée que tout ce que je faisais pour lui ne servait à rien. Il m’a vendu du vent et a détruit le peu de confiance que j’avais en moi. Va savoir depuis combien de temps il se tape tout ce qui bouge autour de lui ? Quand j’ai découvert le pot aux roses, je me suis empressée d’aller faire une prise de sang. Heureusement pour moi, ce connard baiseur compulsif a gardé un minimum de bon sens et a pensé à se protéger… Ou bien il a joué de chance ! Bref, au final, j’ai eu de la chance, car va savoir combien de temps je serais restée la plus cocue de l’hôpital ? Grâce à Gwen, j’ai découvert son infidélité et ce n’est peut-être pas anodin si elle est décédée dans la nuit.

Du plus vite que mon derrière tout congestionné me le permet, je m’extrais de mon lit et de toutes ces pensées négatives. J’ai déjà accordé bien trop de temps à ce pervers narcissique. Après une bonne douche, je descends dans le salon où attend une table déjà dressée pour moi.

— Martine, je pars me balader dans le coin, dis-je, après avoir pris le temps de me restaurer.

— Ça a été le petit déjeuner ?

— Parfait ! Merci pour tout.

Un peu plus tard, de retour dans ma chambre, je retrouve sur mon lit un sac avec un mot épinglé dessus.

Remplissez-le de l’essentiel, on se retrouve demain à 7h. Prenez une bonne collation avant le départ. Couchez-vous tôt.

Pas de « bonjour » ? Pas de « comment allez-vous » ? Il ne connaît pas le minimum de savoir-vivre ? Il vend du rêve, lui aussi, tiens !

Je m’active et remplis le sac de « l’essentiel », comme dirait grincheux. Rapidement, le soir s’installe et l’angoisse qui va avec depuis quelque temps aussi. Je tente de calmer cette sensation de mal-être en prenant une douche bien chaude pour décontracter mes muscles, puis je finis par m’asseoir près de la fenêtre, les genoux repliés contre ma poitrine et les yeux perdus dans le vide.

— Promets-moi que tu iras !

— Il n’y en aura pas besoin ! Tu vas aller mieux !

— Soyons claires toutes les deux. Tu sais comme moi que c’est la fin ! J’ai besoin de te l’entendre dire.

— Et qu’est-ce que je ferai là-bas ? Je ne suis jamais allée à la montagne, alors qu’on habite même pas à 2 heures de Font-Romeu. Alors les Alpes…

— On s’en fout de ça, ce n’est qu’un détail. J’ai besoin de savoir que tu iras là où j’ai grandi. Et, en temps voulu, tu comprendras !

Un coup donné à la porte me ramène à la réalité, loin, très loin de cette chambre froide et aseptisée où est morte Gwen. Un coup d’œil rapide à mon portable indique 21 heures. Je n’ai pas non plus reçu d’autre message de Marc, ce qui a le mérite de me soulager. Je me lève et vais ouvrir la porte.

— Martine ?

— Excuse-moi de te déranger, ma belle, mais pense à te coucher tôt. La journée sera rude demain et je ne suis pas tranquille de vous savoir sur cette route.

— Détendez-vous, tout se passera bien. Votre fils ne m’aurait pas dit oui s’il pensait que c’était dangereux… Bon OK, je l’ai un peu forcé. Mais, vu son gabarit, il pouvait très bien me dire non !

— Oui, c’est sûr. Bien qu’en ce moment, je ne le suis pas du tout. Enfin il…

Elle s’interrompt et laisse sa phrase en suspens. Cela me gêne un peu et me glace le dos quelques instants. Qu’est-ce qu’elle ne suit pas ? Je n’en sais rien du tout et j’ai envie de lui poser la question mais, paradoxalement, j’ai peur que cela compromette notre sortie de demain. Du coup, je lui souris simplement pour la rassurer et lui dis :

— Ne vous en faites pas, tout ira pour le mieux.

Elle pose sa main délicatement sur ma joue, en souriant à son tour, puis fait demi-tour dans le couloir, le dos légèrement voûté, comme si elle portait le poids du monde. Je la regarde quelques instants avant de retourner dans ma chambre. Elle a raison, demain la journée sera longue !

Chapitre 5

— Voilà, je ne peux pas aller plus loin ! annonce Jules qui, décidément, doit être le chauffeur attitré de ce bled paumé.

Il est venu au chalet me récupérer avant de rejoindre Mathieu dans la rue principale de Samoëns. Ils m’ont demandé de rester dans la voiture pendant qu’ils chargeaient le matériel. Je ne me suis pas fait prier, il fait un froid glacial en ce 21 décembre. Quand enfin ils m’ont rejointe, c’est d’un simple signe de tête que mon guide m’a saluée, lançant finalement un froid bien plus important que celui qui règne dehors à mon avis.

Depuis, nous avons parcouru la route dans un silence absolu. Même la radio est éteinte. Quand enfin Jules se gare, je ne suis pas mécontente de m’extirper de la voiture. Mon cul est toujours aussi douloureux mais, au moins, dehors, l’air sera plus respirable que dans l’habitacle. Je rejoins les garçons près du coffre et attrape mon sac à dos pour montrer mon enthousiasme. Je le place sur mon dos et plaque les mains sur mes hanches, victorieuse et conquérante ! La montagne n’a qu’à bien se tenir !

— Tu vas où comme ça ? demande Mathieu, tranquillement.

— Vers l’infini et au-delà ! dis-je en levant le poing comme Buzz l’éclair.

— Ouais, ben, on va se calmer, Woody, car il te manque une partie du paquetage !

Il me fait signe de m’approcher. Je le fais en bougonnant :

— Buzz, pas Woody.

— Pardon ?

— Tu connais même pas tes classiques !

— Je connais la montagne et aujourd’hui, crois-moi, c’est ce qui importe le plus !

Sur ces mots, il me retourne sans ménagement et commence à harnacher mon sac comme on le ferait avec une jument ! Il tire et pousse le sac me secouant comme un prunier.

— Tu cherches pas un job d’appoint en ce moment ? lui demandé-je soudainement.

— Non, pourquoi ?

— Parce que je crois qu’ils recrutent chez Orangina !

— Très drôle ! dit-il en tirant sur une sangle pour la dernière fois, alors que le rire de Jules explose derrière nous.

Sûrement que Mathieu doit lui lancer l’un de ses fameux regards de la mort qui tue car, tout d’un coup, le rire s’arrête et Jules annonce :

— Bon, les amis, c’est pas que je ne vous aime pas, mais il fait froid et je n’ai pas envie de vous retarder dans votre excursion.

Il ouvre la portière arrière de son véhicule, se penche, en ressort chargé et me dit :

— Tiens, tu oublies ton sac si précieux.

Je l’attrape rapidement et le passe sur le devant. Me voilà chargée comme un mulet. Dommage que je n’aie pas prévu de sherpas pour monter avec nous ! J’essaierai d’y penser pour la prochaine fois.

La prochaine fois ? Mais ça ne va pas bien dans ma tête ? Ce doit être sans doute lié au manque d’oxygène. Il est hors de question que je retente l’expérience !

— C’est parti, Victoria ?

— Tu sais ce qu’on dit ! Quand faut y aller, faut y aller !

Je me mets en marche, passe devant lui et commence à emprunter le sentier, d’un pas déterminé histoire de lui montrer que je suis une presque professionnelle de la randonnée !

— Tu vas où ? demande Mathieu avec un brin d’exaspération dans la voix.

— Eh bien, je commence la rando !

— Super ! Je salue ta motivation. Mais si tu pouvais la mettre dans la bonne direction, ça serait mieux !

Du doigt, il m’indique un chemin qui monte, alors que celui que je commençais à emprunter, lui, descend !

— Ah ! Oui, bien sûr ! Évidemment pour monter sur la montagne le chemin qu’on prend grimpe…

— C’est un peu le principe !

— Eh bien, je vous laisse. Je vois que ton séjour promet, Mathieu, lance Jules en prenant place derrière son volant et en riant comme un âne.

Quel couillon, ce mec ! Heureusement qu’il ne vient pas avec nous, pas besoin de ses remarques moqueuses et douteuses.

D’un pas vif et énergique, je commence à marcher sur le chemin. Le paysage est superbe, les arbres sont recouverts de neige et semblent être figés dans la nature. Je dois bien avouer que c’est la première fois que je vois vraiment la nature sous la neige ! Tout en marchant d’un bon pas, je regarde autour de moi, pour ne pas perdre une miette de ce décor ! Soudain, dans mon dos, j’entends les pas de Mathieu se rapprocher et la neige crisser légèrement sous son poids. Il me dépasse sans aucune difficulté, sans être essoufflé le moins du monde !

— Allez, on y va, ne perdons pas de temps.

Mais quel crâneur ! Monsieur j’ai-des-grandes-jambes-et-je-me-la-pète me demande d’avancer plus vite, alors que je suis déjà à mon maximum. J’ai dû au moins faire 2 kilomètres ! Je me retourne pour évaluer la distance parcourue et me décompose rapidement. J’ai dû parcourir 500 mètres à tout péter !

— Tu as perdu quelque chose ?

— Ma fierté sans doute… maugréé-je entre mes dents.

— Pardon ? Je t’ai pas entendue.

Ben non ! Tu ne peux pas m’entendre tu es trop grand et trop loin ! Ai-je envie de lui répondre. Mais soyons honnêtes, ma survie dépend de lui et nous sommes seuls dans la nature…

— J’arrive, tout va bien ! dis-je en me mettant à courir pour le rattraper, ce qui a pour effet de faire rebondir mon sac sur mon postérieur toujours aussi douloureux, ainsi que le petit sac à dos que j’ai posé sur ma poitrine. Je dois avoir l’air fine, car il secoue la tête en me regardant avancer…

Ben quoi ? T’as jamais vu une femme de 1,59 m courir harnachée de deux sacs, arborant fièrement un bandeau cache-oreilles rose à paillettes ? Attends, qui a dit que nature plus randonnée égal mauvais goût ? On a le style ou on ne l’a pas, comme dirait Cristina !

Au bout de ce qui me semble être une éternité, je m’arrête, pose mes mains sur mes genoux et dit à Mathieu :

— La pause s’impose !

— T’es sérieuse ?

— Attends, ça doit faire des heures qu’on marche !

— Trente-cinq minutes exactement ! dit-il en consultant sa montre, l’air blasé.

— Quoi ? Ta montre doit avoir un problème, tu rigoles !

Tout en disant ça, je me relève et tire sur ma moufle rose pour regarder ma montre. Oh, mon Dieu ! Il a raison ! Seulement trente-cinq minutes que l’on marche et je n’ai déjà plus de jambes et mon derrière me fait horriblement souffrir ! Je suis démoralisée. Alors que je me laisse aller en arrière pour prendre appui sur le sapin dans mon dos, Mathieu me dit :

— Si j’étais toi, je ne ferais pas…

Il n’a pas le temps de finir sa phrase que mon sac touche le tronc de l’arbre avec une douceur modérée. Suite au choc, les branches du vieux conifère sont prises de tremblements. Je ne savais pas que les arbres pouvaient faire des crises d’épilepsie ! Mais je n’ai pas le temps non plus d’aller plus loin dans ma réflexion, car un tas de neige vient s’écraser sans ménagement sur ma tête, me faisant perdre l’équilibre et, emportée par le poids de mon barda, me voilà sur le dos, les quatre fers en l’air telle une vieille Tortue Ninja défraîchie !

Le rire de Mathieu résonne dans la nature me donnant l’impression de m’être donnée en spectacle à une foule entière ! Je tente un geste désespéré pour essayer de me redresser, mais c’est peine perdue. Sans aide, je n’y arriverai pas. Je laisse retomber mes quatre membres au sol, m’avouant ainsi vaincue. Le sapin : 1, Victoria : 0 !

Après ce qui me semble être un temps interminable (il semblerait que dans cette forêt le cours du temps ne soit pas le même que dans le reste du monde), je vois le visage de Mathieu se pencher au-dessus de moi.

— Ça va ? demande-t-il en ayant du mal à retrouver sa respiration.

— Nickel ! Je trouve que la forêt sous cet angle de vue est nettement plus intéressante.

— Si tu le dis. Je t’aide à te relever ou tu préfères rester comme ça à profiter de la vue ?

J’ai bien envie de lui répondre que je suis une grande fille, mais je crois qu’après ce que je viens de vivre, je vais devoir ranger ma fierté dans ma poche.

— Aide-moi, s’il te plaît.

Je tends la main et il l’empoigne dans la sienne qui est grande et que je ressens chaude même à travers ma moufle, alors que lui ne porte pas de gants ! Il tire doucement sur mon bras pour me faire basculer vers l’avant et c’est en moins de quelques secondes que je me retrouve sur mes pieds, soutenue par ses deux bras que je sens forts et musclés sous sa veste. Mes yeux se lèvent et plongent dans le vert foncé de ses yeux, qui le sont d’ailleurs un peu moins que les autres jours. Peut-être le fait de les voir à la lumière du jour ? On reste ainsi quelques instants dans le silence le plus pur qui puisse exister, nos seules respirations battant la mesure du temps qui semble être quasiment au ralenti. Mon cœur pourtant accélère sous la puissance de son regard, sûrement lié à l’altitude. Il lâche mon bras pour venir replacer une mèche de mes cheveux roux derrière mon oreille. Je vois sa main s’avancer comme au ralenti. Et lorsque sa peau douce et ferme entre en contact avec la mienne, un frisson me parcourt le dos. Je n’ai pas le temps d’analyser plus la scène, car il recule subitement, comme s’il venait de se brûler, et me lance :

— Tu bois un coup et on repart. On a encore une longue route si on veut arriver au refuge avant la nuit !

Il me tend une gourde en métal que je saisis sans poser plus de questions. J’ai à peine le temps de boire que nous reprenons déjà notre route. Je tente de lancer la conversation, mais il est difficile de lui tirer plus de six mots à la suite, et encore, ça, c’est dans le meilleur des cas ! Je sens que les prochains jours vont être longs. J’ai beau tenter de poser des questions sur la montagne ou ses excursions précédentes, je n’arrive pas à obtenir grand-chose de lui. Je finis par opter pour le « Je m’occupe toute seule » et me mets à chanter les derniers tubes à la mode. Et grâce à ça, au bout de quelques minutes, j’ai une réaction de sa part :

— Tu sais que nous sommes dans une montagne enneigée et qu’il y a un fort risque d’avalanche ?

Dix-sept mots d’affilée ! Wouah, une première ! Bon, reste juste à digérer le fait qu’il insinue que je chante comme une casserole, alors que moi je me la jouais à la Mariah Carey. Mais je devrais pouvoir gérer cet affront.

— Une avalanche, tu dis ? J’ignorais que j’avais cette puissance vocale !

Et pan ! Qu’est-ce que tu dis de ça, Monsieur ronchon-je-parle-pas ?

— Je ne sais pas si, à ce degré-là, on peut parler de puissance. J’aurais plutôt tendance à dire que la montagne est sensible aux ultrasons !

Mais c’est qu’il a de la répartie, Grognon ! Vite, il faut que je trouve une phrase pour ne pas le laisser gagner. Je cherche dans ma tête une vanne bien sentie, mais je ne trouve pas mieux que :

— Méfie-toi que je ne fasse pas rappliquer les loups dans ton sommeil pour te bouffer !

Il sourit avant de me dire :

— Y’a pas de loups par ici. Pas de danger.

Je ne trouve rien à répliquer mais, par chance, j’ai enfin trouvé un sujet qui l’inspire et il se met à me parler de la faune et de la flore locales, ce qui a au moins le mérite de me faire oublier mes courbatures.

Après une pause repas, nous reprenons la route pour le gîte de haute montagne. La pente est raide et, je dois bien l’avouer, je n’y serais jamais arrivée sans lui. La neige crisse sous nos pieds et j’adore la sensation de cette nappe blanche qui s’enfonce à chacun de mes pas.

La végétation commence à se faire un peu moins dense autour de nous, ne laissant que le blanc immaculé de la neige comme seul décor.

Soudain, tout occupée à regarder là où je pose les pieds, je percute de plein fouet Mathieu qui ne bouge pas d’un pouce, alors que je rebondis sur lui telle une balle rebondissante, m’envoyant valser un mètre derrière lui sur les fesses. Pour tout réflexe, je ferme les yeux en enserrant mon sac ventral.

— Ça va ? demande-t-il, alarmé en revenant vers moi.

— Super, la vue est magnifique ! J’en suis sur le cul ! fanfaronné-je, alors que mon derrière de bonobo me lance à nouveau.

— Viens, je vais t’aider à te relever.

— On va attendre un peu, si ça ne te dérange pas, que la glace fasse son travail et anesthésie mon arrière-train.

Il sourit en sortant sa gourde et en buvant une gorgée les yeux fermés. Je le regarde faire. De là où je suis, il est encore plus grand que ce qu’il n’est déjà. Ses cheveux avec de jolies bouclettes, que toutes les filles rêvent d’avoir, frôlent légèrement son visage et sont retenus par un simple bandeau, n’enlevant en rien à sa virilité. Il arrête de boire et passe sa langue sur ses lèvres pour aspirer les dernières gouttes d’eau et, déjà, je m’imagine en train de récolter chacune d’elles, une à une, avec ma langue !

Ouh, là, là, Victoria ! On va se calmer là ! Le manque d’oxygène doit commencer à se faire ressentir ! D’ailleurs, mon rythme cardiaque accélère à nouveau, alors qu’il m’aide à me relever. J’ai même une bouffée de chaleur. Voilà que mon corps commence à dérailler, alors qu’on n’est même pas arrivés à la première étape !

— Ça va aller ? s’alarme Mathieu en voyant mon trouble.

— Oui ! Bien sûr !

— Allez, je vais te donner du courage. Regarde là-haut !

Il tend le doigt et me montre un endroit sur la montagne. Je suis obligée de retirer mes lunettes de soleil et de plisser les yeux pour voir le point noir qu’il m’indique au loin.

— Tu vois ce point noir ?

— Oui. Vaguement.

— Eh bien, c’est notre gîte ! clame-t-il, fièrement.

Super ! Il se déride pour un point noir perdu dans la montagne ! Je lui souris pour faire genre, mais au fond de moi, je suis complètement anéantie ! La pente qui nous attend est hyper raide et le chalet me semble à des années-lumière de nous !

— À partir de maintenant, tu suis exactement ma piste et tu fais tout ce que je te dis, OK ?

Je monte ma main au front et claque ma jambe droite contre la gauche en clamant :

— Chef, oui, chef !

Pour toute réponse, il ferme les yeux et pince avec son pouce et son index l’arrête de son nez. Eh ben ! Il va falloir se dérider, mon petit gars ! C’est dramatique d’être autant coincé du cul. Il y a des gens qui ont un balai dans le cul, mais lui, c’est le sapin tout entier qui est coincé, à mon avis !

— Bon, allons-y.