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Le capitaine Michel Brixan du Foreign Office se voit confier par son supérieur Staines, la recherche de celui que l'on appelle «Le Coupe-Têtes». il se retrouve dans le monde du cinéma, le metteur en scène tourne un scénario sur les lieux de deux châteaux voisins l'un de l'autre où demeurent deux êtres tout à fait énigmatiques, Sir Gregory Penne et Sampson Longvale. Adèle, actrice est aussi la nièce de l'une des victimes de l'assassin. Après bien des rebondissements, Brixan arrivera à ses fins.
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Seitenzahl: 299
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Edgar Wallace
Le capitaine Michel Brixan était superstitieux, d’une superstition bien inoffensive, d’ailleurs. Ainsi, voyant une corneille dans un pré, il était convaincu d’en voir une seconde avant la fin du jour. Et lorsque, à la gare d’Aix-la-Chapelle, il aperçut à l’étalage d’un kiosque un volume portant ce titre très explicite : Une simple Extra, ou la Gloire de Hollywood, il se demanda aussitôt dans quelles circonstances il pourrait bien entendre à nouveau ce mot d’« extra » dans le sens d’actrice surnuméraire, sans importance.
Le roman, qu’il acheta, ne l’intéressa nullement. Il parcourut rapidement une page pleine de superlatifs, puis, pour se distraire, se mit à étudier l’indicateur des chemins de fer belges. Il s’ennuyait ; son ennui n’était cependant pas suffisant pour qu’il en vienne à s’intéresser à la carrière sensationnelle de Rosa Love qui, de modeste figurante, était devenue grande vedette et millionnaire. Mais le terme d’« extra » était nouveau pour Michel, et il attendit que la journée lui en apportât l’inévitable répétition…
Sans être lui-même un policier sans cesse à la poursuite de criminels ou de cambrioleurs, ces choses l’intéressaient. Il était considéré comme le plus intelligent des agents du Service du contre-espionnage attaché au ministère des Affaires étrangères britanniques. Son poste l’obligeait à de fréquentes visites dans des endroits louches où, en s’entretenant avec des étrangers bizarres, il cherchait à découvrir les courants cachés qui entraînent les barques diplomatiques à des ports insoupçonnés. À deux reprises, il avait traversé l’Europe sous le déguisement d’un touriste naïf ; il avait canoté patiemment le long des nombreux bras du Danube pour découvrir, à l’intérieur d’une petite auberge riveraine, la signification d’une mobilisation secrète. Ces missions étaient entièrement à son goût.
Aussi fut-il passablement ennuyé de se voir brusquement rappelé de Berlin au moment même où, lui semblait-il, le mystère du traité slovaque allait être éclairci, au prix de grands efforts de sa part.
– Si vous m’aviez laissé vingt-quatre heures de plus, je vous aurais apporté une photographie du document, dit-il à son chef, le commandant Georges Staines, en venant lui faire son rapport.
– Je le regrette, répliqua le commandant sans s’émouvoir, mais la vérité est que nous avons eu un entretien à cœur ouvert avec le Premier ministre slovaque et il nous a promis de se bien conduire. Il nous a même cité le texte du traité ; il s’agit là d’une convention purement commerciale. Brixan, connaissez-vous Elmer ?
L’agent du Foreign Office s’assit sur le bord du bureau de son chef et demanda avec amertume :
– M’avez-vous donc rappelé de Berlin pour me poser cette question ? Vous m’arrachez à mon café préféré d’Unter den Linden – à ce propos, les Allemands sont en train de fabriquer en Bavière des millions de munitions sous couvert d’une fabrique de crayons – pour me parler d’Elmer ? C’est un fonctionnaire, non ?
Le commandant Staines fit un signe affirmatif.
– C’était, précisa-t-il, un fonctionnaire des Finances. Il a disparu, il y a trois semaines, et l’examen de ses livres a montré qu’il dérobait systématiquement les fonds laissés sous son contrôle.
Michel Brixan fit une grimace.
– Je suis fâché de l’apprendre, dit-il. Elmer m’avait pourtant semblé tranquille et inoffensif. Mais réellement, vous ne comptez pas m’envoyer à sa poursuite, n’est-ce pas ? C’est là l’affaire de Scotland Yard.
– Je ne vous enverrai pas à sa poursuite, répondit lentement Staines, parce qu’il a été retrouvé.
Quelque chose de lugubre était passé dans sa voix ; il prit une feuille de papier dans son bureau et la tendit à Brixan… Mais celui-ci avait déjà deviné.
– Pas le « Coupe-Têtes » ? s’exclama-t-il.
Lui aussi avait entendu parler du « Coupe-Têtes ».
Staines fit un geste affirmatif.
– Voici la note.
Il tendit à son subordonné une petite feuille portant quelques mots dactylographiés, et Brixan lut :
« Vous trouverez un coffre dans les buissons près du pont de chemin de fer d’Esher.
LE COUPE-TÊTES »
– Le Coupe-Têtes…, répéta machinalement Brixan, en faisant entendre un sifflement.
– Nous avons trouvé le coffre à l’endroit indiqué, et à l’intérieur, bien entendu, la tête de ce malheureux Elmer, nettement tranchée. C’est la septième tête en sept ans, continua Staines ; et presque dans chaque cas, dans cinq cas sur sept exactement, la victime était sous le choc de poursuites judiciaires. Même si la question du traité slovaque n’avait pas été résolue, Brixan, je vous aurais rappelé.
– Mais tout cela ne concerne que la police, dit le jeune homme avec agitation.
Son chef l’interrompit :
– Techniquement parlant, vous êtes un policier, et le secrétaire des Affaires étrangères désire que vous preniez l’affaire en mains ; il agit avec l’approbation du secrétaire d’État qui, comme vous le savez, a Scotland Yard dans ses attributions. Jusqu’à présent, la mort de Francis Elmer et la découverte de ses restes macabres n’ont pas été communiquées à la presse. On avait fait tant de bruit autour de l’affaire antérieure que la police s’est décidée à garder celle-ci secrète. Une enquête a été ouverte et les recherches habituelles ont été faites. Le seul renseignement que je puisse vous donner est que cet Elmer avait été vu par sa nièce, voici une semaine, à Chichester. Nous l’avons su avant d’apprendre sa mort. La jeune fille, Adèle Leamington, a un engagement à la Knebworth Picture Corporation, dont le studio se trouve à Chichester. Le vieux Knebworth, un Américain, est un très bon type. Cette jeune fille a un emploi de surnuméraire, une « extra », c’est le terme consacré.
Brixan sursauta.
– Une « extra » !… Je savais bien que ce maudit mot reviendrait. Continuez, mon commandant, que désirez-vous que je fasse ?
– Filez là-bas et voyez-la : voici son adresse.
– Existe-t-il une Mrs Elmer ? demanda Brixan en glissant l’adresse dans sa poche.
– Oui, mais elle ne peut apporter aucune lumière sur l’affaire. C’est la seule personne qui sache qu’Elmer est mort. Elle n’avait pas vu son mari depuis quatre semaines, et ils étaient vraisemblablement plus ou moins séparés depuis des années déjà. Cette mort lui apporte une forte somme grâce à l’assurance contractée en sa faveur.
Brixan relut encore la terrible note du « Coupe-Têtes ».
– Quel est votre avis sur tout cela ? demanda-t-il.
– L’opinion générale est qu’il s’agit là d’un déséquilibré qui s’imagine investi du droit de punir les délinquants. Mais les deux exceptions ébranlent fortement cette théorie.
Staines, l’air perplexe, s’étendit dans son fauteuil.
– Prenons le cas de Willit, dit-il. Sa tête a été retrouvée, il y a deux ans. Willit était un homme fortuné, l’honnêteté en personne, aimé de tous ; il avait de fortes sommes en banque… Crewling, la deuxième exception, l’une des premières victimes du Coupe-Têtes, était également au-dessus de tout soupçon, quoique dans son cas, il y ait eu autre chose : il était mentalement déséquilibré depuis quelques semaines au moment de sa mort. Les notes dactylographiées ont été invariablement tapées sur la même machine. Dans chaque cas, on voit ce U à moitié effacé, ce T pâle et l’étrange alignement des caractères, que les experts sont unanimes à attribuer à une très vieille machine Kost qu’on ne rencontre plus guère. Trouvez celui qui emploie cette machine à écrire, et vous aurez sans doute trouvé l’assassin. Mais il est peu probable qu’il soit jamais découvert par ce moyen, car la police a publié des photographies signalant ces particularités ; j’imagine que M. le Coupe-Têtes n’utilise jamais sa machine que pour annoncer la fin de ses victimes.
Michel Brixan rentra chez lui fort préoccupé ; sa nouvelle mission le rendait perplexe. Son existence s’écoulait dans le monde de la haute politique. Les tours et détours de la diplomatie n’avaient plus de secrets pour lui, tandis que les anomalies courantes de l’humanité – le vol, l’assassinat – n’étaient jamais entrées dans le champ de sa curiosité professionnelle.
– Bill, dit-il en s’adressant au petit terrier couché devant la cheminée de son salon, je n’y vois goutte. Mais que je m’y perde ou que je m’en sorte, je vais faire la connaissance d’une « extra »… N’est-ce pas épatant, Bill ?
Bill agita aimablement la queue.
Adèle Leamington attendit que le studio fût presque vide pour s’approcher de l’homme à cheveux blancs qui était affalé dans un fauteuil, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, un pli méchant barrant son front.
Le moment n’était pas favorable pour l’approcher ; personne ne le savait mieux qu’elle.
– Mr Knebworth, puis-je vous parler ?
Il leva lentement les yeux sur elle. En d’autres circonstances, il se serait levé, car cet Américain d’âge mûr était, en temps ordinaire, la courtoisie en personne. Mais ce jour-là, justement, il se sentait plein de mépris pour les femmes. Son regard était morne, quoique le professionnel qu’il était reconnût instinctivement les qualités physiques de la jeune fille. Elle était jolie : ses traits réguliers étaient encadrés d’une toison de cheveux châtains où jouaient encore les rayons dorés de l’enfance ; une bouche ferme, au contour délicat ; une silhouette mince. Que de perfections !
Au cours de sa longue carrière, Jack Knebworth avait vu grand nombre de jolies extras et avait traversé des périodes d’enthousiasme et de désespoir en les voyant évoluer à l’écran… Jolis mannequins de bois, sans âme ni expression, incurablement gauches. Trop jolies pour être intelligentes, trop conscientes de leur beauté pour être naturelles… Poupées sans esprit ni initiative… Des extras uniquement capables d’exhiber des toilettes au milieu d’une foule, de sourire et de danser machinalement, bonnes à être des extras et rien de plus jusqu’à la fin de leurs jours.
– Eh bien ? demanda-t-il brusquement.
– N’y aurait-il pas un rôle pour moi dans cette production, Mr Knebworth ? dit Adèle.
Le réalisateur sourit :
– Ne jouez-vous pas déjà, miss… Je ne me rappelle pas votre nom… Miss Leamington, n’est-ce pas ?
– Oui, certainement, je joue… Je suis l’un des mannequins du fond, dit-elle avec un sourire. Je ne demande pas un grand rôle, mais je sens que je pourrais faire quelque chose de mieux que ce que je fais actuellement.
– Je suis bien sûr que vous ne pourriez pas faire pis que beaucoup d’autres, grogna-t-il. Non, ma bonne amie, il n’y a aucun rôle pour vous. Là !
Elle allait sortir lorsqu’il la rappela.
– Ça a sûrement laissé ses vieux parents à la maison ; ça s’est imaginé qu’au cinéma, on aura un million par an et une nouvelle voiture tous les jeudis, hein ? Ou bien aviez-vous une bonne place de dactylo et vous êtes-vous fourrée dans la tête que vous pourriez éblouir Hollywood si seulement on vous en donnait la chance ? Allons, rentrez chez vos parents, petite fille ; retournez à votre machine à écrire, qui vous assure au moins un morceau de pain.
La jeune fille eut un faible sourire.
– Ce n’est pas sur un « coup de tête » que je me suis lancée dans le cinéma. Je suis venue ici sachant fort bien quelles difficultés m’attendent. Je n’ai plus de parents.
Il lui jeta un regard de curiosité.
– De quoi vivez-vous ? On ne gagne pas d’argent comme extra, pas ici du moins. Peut-être en gagnerait-on si j’étais un de ces directeurs à millions qui créent des films avec des courses de chars ; mais moi, mon film idéal ne devrait avoir que cinq personnages.
– J’ai reçu un petit héritage de ma mère, et puis j’écris.
Elle s’arrêta en le voyant diriger son regard vers l’entrée du studio. Tournant la tête, elle vit une silhouette étrange arrêtée à la porte. Elle crut d’abord que c’était un acteur habillé pour un essai.
C’était un vieillard, mais sa haute stature et un port très droit pouvaient, à distance, tromper sur son âge. Un habit collant, une culotte courte serrée autour des bottes, un col haut et une volumineuse cravate de satin noir, quoique neufs, évoquaient un lointain passé. Il avait des manchettes de linon plissé ; son gilet de velours gris était fermé par des boutons d’or. Il semblait être descendu d’un de ces vieux portraits de famille représentant quelque dandy de 1850. D’une main gantée, il tenait un chapeau haut de forme à bords relevés ; l’autre main s’appuyait au pommeau doré de sa canne. Sa figure, profondément sillonnée de rides, avait une expression de bonhomie ; il semblait ignorer sa complète calvitie.
En un clin d’œil, Jack Knebworth fut hors de son fauteuil et alla à la rencontre de l’étranger.
– Ah, Mr Longvale ! Je suis ravi de vous voir. Avez-vous reçu ma lettre ? Je ne saurais vous dire combien je vous suis reconnaissant de vouloir bien nous prêter votre maison.
C’était donc Sampson Longvale, le propriétaire de Dower House ! Adèle se le rappelait, maintenant : il était connu à Chichester sous le nom de « gentilhomme démodé ». Un jour que la troupe était allée tourner des extérieurs, quelqu’un lui avait indiqué une grande et étrange habitation aux murs croulants, au jardin envahi d’herbes sauvages. C’était sa demeure.
– J’ai pensé bien faire en venant vous voir, dit le vieillard.
Sa voix était richement modulée. Adèle ne se souvenait pas d’avoir jamais entendu une voix aussi douce ; elle examina l’excentrique avec un nouvel intérêt.
– J’espère vivement que la maison et le jardin vous conviendront. Tout est dans un triste état, mais je ne puis, hélas ! me permettre d’entretenir la propriété telle qu’elle était du temps de mon aïeul !
– C’est justement ce qu’il me faut, Mr Longvale. Je craignais de vous offenser en vous disant…
Le vieux gentilhomme l’interrompit avec un rire musical.
– Non, non, vous ne m’avez pas offensé, cela m’a amusé. Vous avez besoin d’une maison hantée. Je puis presque vous offrir cela, quoique je ne puisse vous promettre l’apparition de mon ancêtre. Dower House a été hantée pendant des centaines d’années. Un des anciens propriétaires, dans une crise de folie, avait assassiné sa fille, et la malheureuse femme est supposée hanter la maison. Je vous avoue que je ne l’ai jamais vue, quoique l’une de mes servantes l’ait aperçue, voici bien des années. Je suis maintenant débarrassé de ce genre d’ennuis : je n’ai plus de domestiques. (Il sourit.) Pourtant, ajouta-t-il, si vous désirez y passer la nuit, je serais heureux de recevoir cinq ou six d’entre vous.
Knebworth eut un soupir de soulagement. Il avait déjà fait une rapide enquête aux environs et savait qu’il était impossible d’y trouver des logements pour toute sa troupe ; de plus, il voulait à tout prix tourner certaines scènes le soir, et pour l’une d’entre elle, l’effet recherché ne pouvait être obtenu qu’à la lumière du jour naissant.
– Je crains que cela ne vous donne trop d’ennuis, Mr Longvale, dit-il, et puis il nous faudrait mettre au point la question délicate de…
Le vieillard l’arrêta d’un geste.
– S’il s’agit de la question d’argent, je vous en prie, n’en parlons pas, dit-il d’un ton ferme. Je m’intéresse au cinéma, comme d’ailleurs à tout ce qui est moderne. Les vieilles gens ont tendance à décrier le modernisme, mais pour ma part, j’éprouve le plus grand plaisir à étudier les merveilles scientifiques récemment révélées.
Il eut un sourire énigmatique.
– Un jour, vous me filmerez dans un rôle où, je crois, je serai sans rival… un film où j’aurais le rôle de mon illustre ancêtre…
Jack Knebworth le regardait, mi-amusé, mi-surpris. Il n’était pas extraordinaire pour lui de rencontrer des gens qui désiraient paraître à l’écran, mais il ne se serait jamais attendu à cette vanité de la part de Mr Longvale.
– J’en serais très heureux, dit-il poliment. Vos ancêtres étaient sans doute célèbres dans le pays ?
Mr Longvale soupira.
– Mon regret est de ne pas descendre en ligne droite de la branche de Charles Henry, le membre le plus célèbre de ma famille. C’était mon grand-oncle. Moi, je suis le descendant de la branche des Longvale de Bordeaux ; notre nom est historique, Sir.
– Êtes-vous français, Mr Longvale ? demanda Jack.
Le vieillard ne sembla d’abord pas l’avoir entendu. Il regardait dans le vide. Puis, dans un sursaut :
– Oui, oui, nous étions français. Mon arrière-grand-père épousa une Anglaise qu’il avait rencontrée dans des circonstances tout à fait particulières. Nous sommes venus nous fixer en Angleterre sous le Directoire.
À ce moment seulement, il eut l’air de s’apercevoir de la présence d’Adèle et s’inclina devant elle.
– Il faut que je m’en aille, dit-il en consultant une volumineuse montre en or.
La jeune fille le suivit des yeux tandis que Knebworth l’accompagnait à travers le hall ; elle vit par la fenêtre le « gentilhomme démodé » monter dans une automobile du modèle le plus ancien qu’elle ait jamais vu. Ce devait être l’une des toutes premières voitures introduites dans le pays, haute sur roues, volumineuse, inconfortable. Elle passa lentement avec un bruit de tonnerre.
Jack Knebworth revint à pas lents.
– Décidément, cette folie de l’écran les prend à tout âge, prononça-t-il. Bonne nuit, miss… J’ai oublié votre nom… Miss Leamington, n’est-ce pas ? Bonne nuit.
Arrivée à la porte de son logement, Adèle se rendit compte que cette conversation, pour laquelle elle avait fait appel à tout son courage, avait mal fini : elle était plus loin que jamais d’avoir un rôle à jouer.
Adèle Leamington occupait une petite chambre dans une maison d’aspect très modeste. À certains moments, elle aurait même souhaité que cette chambre fût encore plus petite ; elle aurait eu ainsi un prétexte pour demander à l’imposante et inflexible Mrs Watson une réduction de son loyer.
Les extras de la troupe de Jack Knebworth étaient bien payées lorsqu’on les employait, mais cela était rare. Jack était un de ces réalisateurs spécialisés dans les drames familiaux.
Adèle était en train de s’habiller, lorsque Mrs Watson lui apporta son petit déjeuner.
– Il y a un jeune homme dehors depuis que je suis levée. Je l’ai vu à la porte en rentrant mon lait. Il est très poli, mais je lui ai dit que vous dormiez encore.
– Désire-t-il me voir ? demanda la jeune fille avec étonnement.
– C’est ce qu’il m’a dit, grogna Mrs Watson. Je lui ai demandé s’il venait de la part de Knebworth, il m’a dit que non. Si vous désirez le recevoir, vous pouvez le faire entrer au salon, quoique je n’aime pas beaucoup ces visites de jeunes gens à jeunes filles… Je n’ai jusqu’à présent jamais logé d’actrices ; j’ai toujours eu une réputation respectable et je désire la conserver.
Adèle sourit.
– Rien ne peut être plus respectable qu’un visiteur matinal, Mrs Watson, dit-elle.
Elle descendit et ouvrit la porte. Le jeune homme, arrêté sur le trottoir, lui tournait le dos, mais il fit volte-face au bruit de la porte qu’elle ouvrait. Agréable et bien mis, son sourire franc lui fut sympathique d’emblée.
– J’espère que votre propriétaire ne vous a pas réveillée ? J’aurais pu attendre. Vous êtes miss Adèle Leamington, n’est-ce pas ?
– Oui. Voulez-vous entrer, s’il vous plaît ?
Elle le conduisit dans un petit salon encombré de meubles, referma la porte derrière elle et attendit.
– Je suis journaliste, prétendit-il.
Le visage de la jeune fille se voila de tristesse.
– Vous venez au sujet de mon oncle Francis ? Lui est-il vraiment arrivé quelque chose ? Un détective est venu me voir, il y a huit jours. L’a-t-on retrouvé ?
– Non, on ne l’a pas retrouvé. Vous le connaissiez certainement très bien, n’est-ce pas, miss Leamington ?
Elle secoua la tête.
– Non, je ne l’ai vu que deux fois dans ma vie. Mon père et lui s’étaient brouillés avant ma naissance, et je ne l’ai vu qu’une fois après la mort de Papa et une autre fois avant que ma mère ne tombe gravement malade.
Il lui sembla, assez étrangement, que son interlocuteur se rassurait à ces paroles.
– Mais vous l’avez vu à Chichester ?
– Oui. J’allais avec toute la troupe à Goodwood Park en char à bancs et je l’aperçus longeant le trottoir. Il semblait malade et bien malheureux ; il sortait d’un bureau de tabac lorsque je le vis ; il avait un journal sous le bras et une lettre à la main.
– Où se trouve ce bureau de tabac ? demanda immédiatement le jeune homme.
Elle lui donna l’adresse qu’il nota.
– Et depuis, vous ne l’avez plus revu ?
– Non. Lui est-il vraiment arrivé quelque chose ? demanda-t-elle avec angoisse. J’ai souvent entendu ma mère dire qu’Oncle Francis était extravagant et manquait parfois de scrupules. A-t-il eu des ennuis ?
– Oui, admit Michel Brixan, il en avait, mais rien qui doive vous inquiéter. Vous êtes une grande vedette, n’est-ce pas ?
Elle rit, malgré son inquiétude.
– La seule chance pour moi de devenir une grande vedette serait que vous l’annonciez dans votre journal.
– Mon quoi ? fit-il, stupéfait une minute. Ah oui, mon journal, bien sûr !
– Je ne crois pas du tout que vous soyez journaliste, enchaîna Adèle, soupçonneuse.
– Mais si, mais si, affirma-t-il, osant même, nommer un journal très populaire.
– Quoique je ne sois pas une grande vedette et ne doive probablement jamais l’être, hélas ! je veux vous croire, car je n’ai jamais eu aucune chance… Je soupçonne même Mr Knebworth de penser que je suis bonne à rien.
Brixan venait de découvrir un nouvel intérêt à sa mission en la personne de la nièce de Francis Elmer. Il n’avait jamais rencontré une jeune fille aussi jolie, aussi sincère et naturelle.
– Vous devez maintenant vous rendre au studio, je suppose ?
– Oui.
– Je me demande si Mr Knebworth serait fâché que je vienne vous voir ?
Elle hésita.
– Mr Knebworth n’aime pas les visiteurs.
– Eh bien, j’irai alors lui rendre visite personnellement, dit Brixan. Peu importe qui je viens voir, n’est-ce pas ?
– Cela m’importe certainement très peu, à moi, répondit froidement Adèle.
L’enquête ne prit pas beaucoup de temps à Brixan. Il trouva facilement la petite boutique de tabac et son propriétaire put heureusement se souvenir de Francis Elmer.
– Il était venu chercher une lettre, mais elle n’était pas adressée au nom d’Elmer, lui confia-t-il. Quantité de gens se font adresser leur correspondance chez moi ; cela me rapporte un petit supplément.
– Vous a-t-il acheté un journal ?
– Non, Sir, il en avait un sous le bras, le Morning Telegraph. Je m’en souviens, parce que j’avais remarqué que l’une des annonces en première page était encadrée au crayon bleu, et je me suis alors demandé ce que cela pouvait signifier. J’ai ici un exemplaire de ce numéro. Voulez-vous le voir ?
Il sortit dans l’arrière-boutique et revint avec un journal jauni.
– Voilà, il y a six annonces. Je ne sais plus laquelle c’était.
Brixan examina les annonces. L’une était un message passionné d’une mère à son fils, lui demandant de revenir et promettant que « tout serait pardonné ». Une autre était chiffrée ; il n’avait pas le temps d’en rechercher la clef. Une troisième était évidemment un rendez-vous. La quatrième était une réclame mal voilée. À la cinquième, il s’arrêta. Elle disait : « Ennuyé ; instructions définitives à l’adresse que vous ai donnée. Courage. Le Bienfaiteur. »
– Le Bienfaiteur…, dit Michel Brixan. De quoi avait-il l’air, votre client ? Était-il déprimé ?
– Oui, Sir, il semblait bouleversé, désespéré. Il avait l’air de quelqu’un qui perd la tête.
– C’est cela. La description est juste, dit Michel.
La troupe de la Knebworth Picture Corporation, tout habillée pour la prise de vues, attendait depuis plus d’une heure au studio.
Jack Knebworth, recroquevillé dans son fauteuil en une pose qui lui était familière, se frottait nerveusement le menton, jetant de temps en temps un coup d’œil à la pendule fixée au-dessus de la porte de son bureau.
À 11 heures, Stella Mendoza fit enfin son apparition, apportant avec elle un parfum de violettes et un malheureux pékinois.
– Auriez-vous adopté l’heure d’été, miss ? demanda lentement Knebworth. Ou peut-être avez-vous pensé que la convocation était pour l’après-midi ? Vous avez fait attendre cinquante personnes, Stella.
– Tant pis pour elles ! fit-elle en haussant les épaules. Vous m’avez dit que vous alliez tourner des extérieurs ; j’ai naturellement pensé qu’il n’y avait pas à se presser. Et puis j’avais ma valise à faire.
– Vous avez naturellement pensé qu’il n’y avait pas à se presser…
Jack Knebworth savait qu’il avait régulièrement trois esclandres par an. Celui-ci était le troisième. Le premier avait été avec Stella, le deuxième avait encore été avec Stella et le troisième allait certainement être avec Stella.
– Je vous avais demandé d’être là à 10 heures. Ces jeunes gens et jeunes filles attendent depuis 9 h 45.
– Voyons, Knebworth, que voulez-vous tourner ? fit-elle avec un mouvement impatient de la tête.
– Mais… vous, surtout, dit Jack avec lenteur. Allez mettre votre costume n° 9 et n’oubliez pas d’enlever vos boucles d’oreilles : vous jouez une petite chanteuse qui crève de faim. Nous devons tourner au château de Griff et j’ai promis au vieux gentilhomme qui nous prête sa demeure que j’aurais terminé les scènes de jour à 3 heures. Si vous étiez une Pauline Frédérick, une Norma Talmadge, ou encore Lillian Gish, vous vaudriez qu’on vous attende ; mais une Stella Mendoza doit être là à 10 heures… Ne l’oubliez plus.
Le vieux Knebworth s’était levé pour enfiler tranquillement son pardessus, tandis que la jeune artiste, rouge de colère, le suivait d’un regard où flamboyait toute sa vanité outragée.
Stella avait jadis été simplement Maggie Stubbs, fille d’un épicier de province, et Jack venait de la traiter comme si elle était encore Maggie Stubbs et non la grande vedette de cinéma, « l’idole des écrans du monde entier », ainsi que prétendait son agent de publicité.
– Fort bien, Knebworth, puisque vous voulez une histoire, vous l’aurez ! Je m’en vais immédiatement ! Dans ma situation, j’ai le droit d’exiger ce qui m’est dû. D’ailleurs, ce rôle doit être complètement changé pour me donner une chance d’y déployer ma personnalité. Il y a beaucoup trop de jeunes premiers là-dedans. Les gens ne paient pas leur place pour voir ces messieurs. Vous n’êtes pas juste à mon égard, Knebworth ; j’ai du tempérament, je le reconnais. Mais vous ne pouvez tout de même pas vous attendre à ce qu’une femme comme moi ne soit qu’une bûche.
– L’ennui avec vous, Stella, c’est que vous n’ayez en guise de cervelle qu’une vraie bûche, grogna le réalisateur ; (puis, sans faire attention à l’expression furieuse adoptée par la jolie physionomie de l’actrice, il continua :) Vous avez passé deux ans à tourner des petits rôles à Hollywood et vous n’avez su rapporter en Angleterre rien d’autre qu’une nouvelle manière de parler que vous auriez parfaitement pu acquérir dans les magazines à deux sous ! Du tempérament ! Oh ! Cela signifie des certificats médicaux lorsque le film est à moitié fini, et des besoins urgents de long repos à moins que vos honoraires ne soient augmentés de 50 % ! Dieu merci, ce film-ci n’est pas encore commencé. Partez, sotte bécasse que vous êtes ! Partez, et le plus vite sera le mieux !
Suffoquée de rage, incapable d’articuler un mot de ses lèvres tremblantes, la jeune fille se précipita dehors.
Le réalisateur aux cheveux blancs promena son regard sur la troupe silencieuse.
– Voici l’heure des miracles, dit-il d’un ton sardonique. Voici le moment où l’extra qui a laissé à la maison la misère et une mère malade devient star en une nuit. Si vous ne savez pas que cela arrive une fois dans l’existence de toute troupe de Hollywood, c’est que vous ne lisez pas les romans. Allons, avancez, Mary Pickford bis !
Les extras souriaient, les unes amusées, les autres mal à l’aise, mais personne ne parla. Adèle était figée, incapable du moindre mouvement.
– La modestie ne fait pas partie de notre métier, persifla Jack. Qui de vous se croit capable de jouer « Roselle » dans cette production ? Car une extra va me jouer ce rôle, croyez-moi ! Je m’en vais lui montrer, à cette pseudo-actrice, qu’il n’y a pas une extra dans ma troupe qui ne puisse jouer mieux qu’elle. Quelqu’un de vous m’a parlé hier d’un rôle à jouer… C’est vous !
De son doigt tendu, il indiqua Adèle qui s’avança, le cœur battant tumultueusement.
– Voyons, j’ai dû voir votre essai, il y a six mois environ, dit Jack. (Puis, se tournant vers son assistant :) Quelque chose n’allait pas pour celle-ci, qu’était-ce donc ?
Le jeune assistant se gratta la tête dans un effort de mémoire.
– Les chevilles ? hasarda-t-il sans se compromettre, connaissant les exigences de Knebworth en matière de chevilles.
– Non, rien qui cloche de ce côté. Sortez le négatif et voyons-le !
Dix minutes plus tard, Adèle était assise à côté de Knebworth dans la salle de projection et elle vit son « essai ».
– Les cheveux ! s’écria tout à coup Knebworth. Je savais bien qu’il y avait quelque chose. Je n’aime pas les cheveux courts ; ils donnent à la femme un air impudent et poseur. Vous les avez laissé repousser ? ajouta-t-il quand on redonna les lumières.
– Oui, Mr Knebworth.
Il la regarda, froidement admiratif.
– Oui, vous ferez l’affaire, conclut-il d’un ton boudeur. Allez au vestiaire et prenez les costumes de miss Mendoza. Mais il y a une chose que je voudrais encore vous dire : il se peut que vous fassiez bien, comme il se peut que vous fassiez mal ; mais, bonne ou mauvaise, sachez qu’il n’y a là aucun avenir pour vous. Donc, ne vous montez pas la tête. La seule femme qui ait quelque chance de réussir en Angleterre, c’est la femme du réalisateur, et moi, je ne vous épouserai jamais, même si vous veniez m’en supplier à genoux ! C’est là la seule catégorie de star qu’admette le public anglais, la femme du réalisateur ; et à moins de l’être, jamais vous… (Il fit un geste de la main pour accentuer la vanité d’un pareil espoir et reprit :) Je m’en vais vous donner un bon conseil, ma petite ; si vous réussissez dans ce film-ci, tâchez donc d’accrocher un de ces réalisateurs anglais bien malins qui vous collent trois pans de décor avec un pot de fleurs au milieu et appellent cela un salon !… Harry, donnez le manuscrit à miss… miss… chose. Et éloignez-vous d’ici, filez en un endroit tranquille et étudiez-le un peu. Harry, voyez la garde-robe. Je vous donne une demi-heure pour lire le scénario !
Tout étourdie, croyant rêver, la jeune fille sortit dans le jardin qui entourait le studio et s’assit à l’ombre, s’efforçant de concentrer toutes ses facultés sur les lignes dactylographiées. Ce n’était pas vrai, ce n’était pas possible ! Tout à coup, elle entendit des pas sur le gravier et leva la tête, alarmée. C’était son visiteur matinal, Michel Brixan.
– Oh, je vous en prie… Il ne faut pas m’interrompre ! implora-t-elle tout agitée. J’ai un rôle… un grand rôle à lire !
Sa détresse était si sincère qu’il eut hâte de s’éloigner.
– Je vous demande mille fois pardon…
Dans son agitation, elle laissa glisser à terre les feuilles volantes qu’elle tenait sur ses genoux ; ils se baissèrent rapidement tous les deux pour les ramasser et leurs têtes se rencontrèrent dans un choc.
– Oh ! pardon… C’est une vieille scène de vaudeville que nous jouons-là…, commença-t-il.
C’est alors que ses yeux tombèrent sur la feuille qu’il venait de ramasser et s’y fixèrent avec avidité. C’était la description d’une scène :
« La cave est spacieuse, éclairée par une lampe au plafond. Au centre, une grille de fer derrière laquelle on voit aller et venir une sentinelle… »
– Ciel ! s’écria Brixan, devenant tout pâle.
Les U de la feuille étaient brouillés, les G illisibles. La page avait été tapée sur la machine avec laquelle le Coupe-Têtes dactylographiait ses terribles avis de mort.
– Qu’y a-t-il ? demanda Adèle, voyant l’expression grave du jeune homme.
– D’où vient cette feuille ?
Il indiqua celle qu’il tenait à la main.
– Je n’en sais rien ; je l’ai trouvée parmi les autres pages du manuscrit, mais j’ai aussitôt remarqué qu’elle ne se rapporte pas à Roselle.
– Qui peut me renseigner ?
– Mr Knebworth.
– Où est-il ?
– Passez par cette porte et vous le trouverez dans le studio.
Sans ajouter un mot, il la quitta et entra rapidement dans le bâtiment. Il reconnut instinctivement parmi la troupe l’homme qu’il recherchait. Jack Knebworth fronça les sourcils à la vue de l’étranger, car il interdisait sévèrement les visites aux heures de travail ; mais avant qu’il eût pu demander une explication, Brixan était devant lui :
– Pouvez-vous m’accorder deux minutes ?
– Je ne puis accorder une seule minute à personne ! gronda Jack. Qui êtes-vous et qui vous a laissé entrer ?
– Je suis détective du Foreign Office.
L’attitude de Jack changea aussitôt.
– Qu’y a-t-il ? demanda-t-il en introduisant le détective dans son bureau.
Brixan posa sur la table la feuille dactylographiée.
– Qui a écrit cela ? demanda-t-il.
Jack Knebworth regarda le manuscrit et répondit :
– Je ne l’ai jamais vu. De quoi s’agit-il ?
– Vous n’avez jamais vu ce manuscrit ?
– Non, je puis vous le jurer. Mais mon directeur littéraire pourra vous renseigner.
Il pressa une sonnette et dit à l’employé qui entra :
– Demandez à Mr Lawley Foss de venir tout de suite. Livres, scénarios et pièces à jouer sont remis entièrement entre les mains de mon directeur littéraire, dit-il ensuite en s’adressant au jeune détective. Je ne vois jamais un manuscrit à moins qu’il ne le juge digne de production et même alors, le film n’est pas toujours créé. Si la pièce est mauvaise, je ne la vois même pas. Je ne suis pas plus sûr que ça de n’avoir pas laissé ainsi échapper quelques bons scénarios, car Foss… (Il hésita une seconde.) Ma foi, lui et moi, nous ne sommes pas toujours du même avis. Mais dites-moi, Mr Brixan, de quoi s’agit-il ?
En quelques mots, Michel lui expliqua la gravité de sa découverte.
– Le Coupe-Têtes ! murmura Jack.
On frappa à la porte et Lawley Foss entra. C’était un petit homme fluet, à la physionomie sombre, aux yeux rusés. Son visage, profondément ridé, était celui d’un homme atteint de quelque maladie chronique. Mais la seule maladie qui eût rongé Lawley Foss était l’envie. Dans sa jeunesse, il avait écrit deux pièces qui furent jouées avec succès pendant quelques soirées. Mais après cela, ce fut en vain qu’il frappa aux portes ; aucun metteur en scène ne voulut même feuilleter ses manuscrits…
En entrant dans le bureau de Knebworth, il lança un regard soupçonneux à Michel Brixan.
– J’ai voulu vous voir, Foss, au sujet de cette feuille qui s’est glissée dans le manuscrit de Roselle, dit Jack Knebworth. Puis-je dire à Mr Foss ce que vous venez de me raconter, Sir ?
Le détective eut une seconde d’hésitation. Une voix intérieure lui conseillait de garder secrète cette affaire. Mais malgré l’appel du bon sens, il fit oui de la tête.
Lawley Foss écouta passivement les explications du réalisateur concernant le feuillet, puis il le prit des mains de Jack Knebworth et l’examina. Pas un muscle de son visage ne trahit ses pensées.
– J’ai à la bibliothèque un tas de manuscrits et je ne puis vous répondre immédiatement ; mais si vous me permettez d’emporter cette page, je vais rechercher à quelle pièce elle appartient.
À nouveau, Brixan hésita. Il n’avait pas envie de se dessaisir de cette pièce à conviction ; et pourtant, sans une confirmation de ses soupçons, elle n’avait aucune valeur. À contrecœur, il donna son consentement.
– Que pensez-vous de ce type-là ? demanda Jack Knebworth lorsque la porte se fut refermée derrière l’écrivain malchanceux.
– Il ne me plaît pas, avoua Brixan. Je dirai même que ma première impression est franchement mauvaise ; mais me voici probablement bien injuste à l’égard de ce pauvre homme.
Jack Knebworth soupira. Foss était l’un de ses plus gros ennuis, bien plus pesant que la passionnée Stella Mendoza.
– C’est un drôle de type, dit-il. Il est diablement intelligent. Je n’ai jamais rencontré personne qui sache vous prendre un sujet et en sortir quelque chose comme ce Lawley Foss, mais… il n’est pas commode.
– Je le crois sans peine, dit brièvement Brixan.
Ils rentrèrent dans le studio et le détective se mit à la recherche de la jeune fille pour lui expliquer sa brusquerie.
Les yeux d’Adèle étaient pleins de larmes quand il l’approcha ; sa brusque fuite avec la feuille de papier à la main avait rendu toute concentration impossible chez la jeune artiste.
– Je vous prie de m’excuser. Je souhaiterais presque de n’être pas venu ici…, dit-il avec regret.
– Moi, je le souhaite bel et bien ! s’exclama-t-elle, souriant malgré elle. Qu’y avait-il dans la feuille que vous avez emportée ? Vous êtes bien un détective, n’est-ce pas ?
– Je l’avoue, dit bravement Brixan.
– Avez-vous dit la vérité en me disant que mon oncle…
Elle s’arrêta, cherchant ses mots.