Le venin de la suspicion - Joëlle Vialatte - E-Book

Le venin de la suspicion E-Book

Joelle Vialatte

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Beschreibung

La vie de trois femmes est sur le point de basculer...


La vie de Béatrice Seillans, cheffe étoilée, bascule lorsque l’on découvre le corps de sa fille Livia dans les décombres d’un immeuble, à Aubagne.
L'influenceuse Végan régnait en Maître sur les réseaux sociaux, face à Daphné, sa principale opposante, Reine de la controverse.
Accusée de négligence dans le traitement du logement insalubre, Carole Gassin, adjointe au maire, cherche des réponses…
Certitudes, trahison, suspicion ! D’Aubagne à Porto-Vecchio, chacun va remonter le fil de son passé et découvrir… avec stupeur, l’horrible vérité.


Un ouvrage au suspense insoutenable !


À PROPOS DE L'AUTEURE


Joëlle Vialatte est une jeune retraitée qui consacre avec bonheur son temps à l’écriture. Après du sang sur le thé blanc (2020), et le Secret de la bastide (2021), cette auteure récidive dans le genre qu’elle affectionne : le roman suspense. Pour elle, un lieu, un tableau, une couleur, une odeur, une mélodie sont autant de prétextes pour mettre en scène des personnages en proie avec leurs doutes, leurs certitudes, leurs qualités, mais aussi la part sombre de leur être. 

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Joëlle VIALATTE

Le Venin de la suspicion

Joëlle VIALATTE

Le Venin de la suspicion

Red’Active Éditions

Du même auteur

Du Sang sur le thé blanc, Éditions Red’Active - 2020

Le Secret de la bastide, auto-édition, novembre 2020

À Rémi,

Ce roman n’aurait pas été le même sans cette magnifique photo prise depuis ton lit d’hôpital.

Comme un lien éternel et imperceptible, cette image surprenante m’a accompagnée et inspirée au fil des pages.

« Le bonheur n’est pas un objet à posséder, c’est une qualité de pensée, un état d’âme ».
Daphné du Maurier / Rebecca

Préface

Suite à sa venue dans mon restaurant, Casadelmar, j’ai eu l’agréable proposition de Joëlle Vialatte pour devenir sa référence d’inspiration pour son nouveau livre « Le Venin de la Suspicion », dont l’intrigue se déroule entre la Corse et le continent.

C’est avec un grand plaisir que j’ai pu partager ma passion des produits, de la culture corse et du savoir-faire que nous cultivons pour ce métier rempli de richesse et de sacrifices professionnels et personnels.

Comme dans ma cuisine, on retrouve dans ce roman la combinaison inattendue des meilleurs ingrédients d’un thriller qui nous conduit vers un dénouement surprenant.

Je la remercie d’avoir trouvé les bons mots pour susciter la curiosité des lecteurs

Fabio Bragagnolo

Chef du restaurant Casadelmar

Porto-Vecchio, 2022

Prologue

« Ils sont tous là, derrière mon cercueil.

Accablée, ma mère Béa est soutenue par Carole, son amie de toujours. Près d’elle, Daphné, sa fille, garde la tête basse, Tristan lui tient le bras, tellement séduisant avec sa barbe de trois jours. Mon père et sa famille ont fait le déplacement, un évènement.

Derrière les grilles, survolée par une nuée d’oiseaux virevoltant dans un ciel menaçant, une foule immense : mes followers…, un brassard noir autour du bras.

Je m’appelle Livia, je suis la cinquième victime retrouvée morte dans les décombres d’un immeuble».

Le drame d’Aubagne

Aix-en-Pce, crématorium –15 novembre 2019

« À tous les amis et admirateurs de Livia Seillans. C’est avec une grande tristesse que je vous informe de son décès survenu lundi 4 novembre.

Ses proches, le cœur rempli de peine, vous demandent de les laisser l’accompagner dans l’intimité familiale. Livia était une inspiration pour nous tous. Qu’elle repose en paix. »

À la sortie du crématorium, tremblant de tous ses membres, Béatrice resserre son manteau sur son corps amaigri. Mais le frisson qui la parcourt ne relève ni du froid ni de la peur. Depuis la mort de sa fille, elle est envahie par un mélange de sentiments confus : culpabilité, impuissance, injustice…

Aux nuits sans sommeil, succèdent des jours remplis de larmes et de questions.

Carole, sa sœur de cœur qui l’héberge depuis le drame, la soutient fermement par le bras.

— Viens, Béa, rentrons.

Les deux amies s’éloignent dans le brouillard, laissant derrière elles tous ces inconnus venus rendre un dernier hommage à Livia. Des hommes et des femmes désemparés, incrédules, qui pleurent leur égérie.

Carole serre fortement la main de Béatrice.

— Daphné a publié un message d’adieu sur internet en demandant à tous de préserver ton intimité, mais…

— Laisse ! Eux aussi ont de la peine, je ne peux pas leur en vouloir. Je crois que je n’ai jamais mesuré l’ampleur de l’influence qu’exerçait ma fille dans la défense de sa cause.

Béa s’arrête et fait face à son amie.

—Carole, c’est tellement injuste, elle n’avait pas trente ans, pourquoi? Que faisait-elle dans cet immeuble? Que s’est-il passé?

— Je ne sais pas, mais je te promets que nous le découvrirons.

***

Dix jours plus tôt

Le Provençal, 5 novembre 2019.

« … Le bilan définitif fait état de cinq morts. Les corps ont été retrouvés ensevelis dans les décombres du 38 et du 40 de la rue du Garlaban à Aubagne. Dans la nuit de lundi à mardi, l’immeuble situé au numéro 38 s’est effondré comme un château de cartes entraînant des dégâts considérables sur le bâtiment adjacent. On compte parmi les victimes Livia Seillans, une jeune femme de 27 ans, influenceuse star, engagée pour le véganisme… »

Depuis ce terrible drame, Carole Gassin, adjointe au maire d’Aubagne, responsable de l’habitat, se retrouve en première ligne. Éreintée, elle partage son temps entre l’appui qu’elle offre à son amie qui vient de perdre sa fille unique, et la cellule de crise mise en place en mairie d’Aubagne pour gérer les suites de la catastrophe.

La pression a atteint son maximum au sein des services municipaux, car les premiers éléments de l’enquête ont révélé des dysfonctionnements : malgré les alertes, ils n’auraient pas pris les mesures nécessaires.

Accusée d’inertie, Carole doit donc faire face à plusieurs problèmes épineux : les questions de sécurité et d’hygiène, l’urgence du relogement des familles impactées par la catastrophe, mais aussi, le scandale qui couve… On vient de l’informer que l’immeuble était loué par des marchands de sommeil à des personnes sans papier.

Mais le pire restait à venir.

Deux jours après le drame, Béatrice avait appris l’atroce vérité, ajoutant encore à sa douleur. En première page de la presse locale, l’article de Carl Parlson, connu pour le sérieux de ses enquêtes dévoilait plusieurs détails :

Le Provençal, 7 novembre 2019. 

« Rebondissement dans la tragédie de la rue du Garlaban.

L’émotion est immense à Aubagne ce jeudi 7 novembre. On apprend que la cause du décès de Livia Seillans, la célèbre Youtubeuse dont le corps a été retrouvé dans les décombres de la rue du Garlaban, ne serait pas liée à l’effondrement de l’immeuble insalubre.

Selon des sources proches du dossier, les premières constatations médico-légales laissent à penser que le décès serait d’origine criminelle.

Le parquet a ordonné l’ouverture d’une enquête judiciaire pour meurtre qui viendra compléter celle déclenchée pour déterminer les raisons des effondrements et les responsabilités engagées… »

La suite de l’article reprenait le déroulé exhaustif des faits et mettait l’accent sur l’état de vétusté du parc immobilier de la commune. L’auteur accablait la municipalité pour son inaction. Selon lui, le résultat des premières investigations démontrait déjà que le drame était la conséquence d’un grand nombre de manquements majeurs de la part des élus impliqués. Il pointait du doigt la responsabilité de la Mairie et de l’État, et rappelait que « Le préfet aurait pu mettre en demeure la ville afin qu’elle instruise les dossiers d’insalubrité ».

***

Anéantie par la tournure des évènements, Béa, accompagnée de Carole, s’était immédiatement rendue à la direction de la police judiciaire de Marseille pour obtenir des explications. Elles avaient été reçues aussitôt par Marc Corfou, le chef de la division criminelle qui semblait gêné, mais compatissant.

— Je suis désolé que la nouvelle vous soit parvenue par la presse. Nous allions vous contacter, mais, avant cela, nous attendions le résultat d’analyses complémentaires.

Puis, il leur révéla quelques détails du rapport médico-légal.

— Ce que l’on peut déjà vous annoncer avec certitude, Madame Seillans, c’est que l’autopsie démontre que votre fille n’est pas décédée des suites de l’effondrement de l’immeuble, comme nous l’avons cru.

— Comment ça? C’est bien dans les décombres que vous l’avez retrouvée?

— Oui, mais des preuves scientifiques attestent qu’elle était déjà morte et que…

— Comment ça, elle était déjà morte, mais comment? Et d’abord, qu’est-ce qu’elle faisait là?

— Je suis désolé, Madame Seillans, mais tout laisse à penser qu’il ne s’agit pas d’un décès accidentel, mais plutôt d’un homicide.

Béa balbutie.

— Que… Que dites-vous? Un homicide? Mais alors, ça veut dire que Livia a été assassinée? Mais comment? Par qui? Pourquoi?

— Je suis vraiment navré. Les constatations sont formelles. Votre fille a succombé à un arrêt cardio-respiratoire dû à une suffocation par asphyxie, en fait, un manque d’apport en oxygène dans le cerveau. Compte tenu des circonstances – je veux parler de l’effondrement de l’immeuble–, il n’y avait pas matière à douter, mais les résultats de l’examen approfondi ont montré des traces d’obstruction des voies aériennes par un objet externe. Le médecin légiste estime qu’elle a été bâillonnée avec son écharpe. On a également retrouvé des benzodiazépines dans son sang, ce sont des substances qui sont souvent utilisées pour leurs propriétés hypnotiques ou anxiolytiques. Plus de 4 grammes de Temesta, il s’agit d’une forte dose. Les effets varient selon les individus, mais une intoxication peut provoquer un coma qui s’accompagne parfois de complications respiratoires. Les recherches sont en cours… Croyez bien que nous faisons le maximum.

— Est-ce qu’elle a été…

Carole n’ose finir sa phrase.

— Non, il n’y a pas de signe d’abus sexuel.

Prostrée, habitée par un immense vide, Béa répète sans cesse :

— Pourquoi? Dites-moi pourquoi quelqu’un en aurait voulu à Livia ?

— Madame Seillans, l’enquête prend une tout autre dimension. Une information judiciaire a été ouverte et un juge d’instruction a été nommé, il s’agit du juge Ensues. Nous avons besoin de perquisitionner l’appartement de votre fille. Ce sera avec votre accord et en votre présence, il s’agit d’une mesure d’enquête pour trouver des réponses.

Béa relève la tête vers le policier qui s’approche.

— Je vous présente le chef de groupe de la brigade criminelle, Christian Gignac, c’est à lui et à ses hommes que vous aurez affaire.

Sans discuter, Béa accepte, mais sur les conseils de son amie, elle demande à être accompagnée durant la perquisition. Le rendez-vous est pris pour le lendemain matin.

Carole l’avait ensuite reconduite chez elle avant de partir pour l’Hôtel de Ville.

Restée seule, Béa retourne en boucle les paroles du policier. Frissonnante, elle ne peut détacher son esprit de la dernière image qu’elle a de la dépouille de Livia. C’était à la morgue, durant l’identification. Serrant les dents pour ne pas hurler, Béatrice s’était finalement écroulée sur le cadavre de sa fille.

Étonnamment, le corps de Livia était intact, elle avait été retrouvée dans une cavité qui l’avait protégée.

Comment imaginer qu’elle ait pu être assassinée? Comment admettre cette sordide vérité?

2

Béatrice Seillans – Béa

Aubagne – 16 novembre 2019 – Douze jours après le drame

Béa n’est plus que l’ombre d’elle-même, murée dans un état d’hypervigilance constante, elle vit dans l’attente de connaître les circonstances exactes de la mort de Livia.

Cette nuit encore, il est plus de 3 heures du matin lorsqu’elle finit par sombrer, enfin, dans un sommeil agité.

***

Un cauchemar récurrent

À peine entrée dans le couloir du bâtiment qu’elle visite, elle doit s’accroupir puis ramper. Bien que la situation lui paraisse incongrue, elle se plie à la manœuvre. D’ailleurs a-t-elle le choix?

Au fur et à mesure de son avancée, les cloisons se referment derrière elle, lui offrant pour seule alternative une progression de plus en plus difficile dans cet étroit goulet. Au loin, une trouée lumineuse perce l’obscurité. Elle se laisse guider par cette lueur. Une odeur de moisi emplit ses narines. L’eau suinte sur les parois des murs et du plafond. Elle sent la présence pernicieuse d’animaux de petite taille dont elle préfère ne pas imaginer à quoi ils peuvent ressembler.

Sa seule angoisse : que l’air vienne à manquer. À cette pensée, elle accélère sa respiration. Un réflexe pavlovien sans doute. Mais les quelques séances de sophrologie qu’elle a encore en tête l’aident à récupérer le contrôle.

Elle souffle lentement et reprend sa progression. La topographie des lieux a évolué. Le couloir a laissé place à des marches bien trop hautes pour respecter les normes. Cette pensée la fait sourire intérieurement. « Mon côté maniaque », pense-t-elle.

L’alternative lui laisse peu de choix. Entre descendre vers les catacombes ou remonter vers la lumière, elle préfère gravir l’escalier. Plus elle progresse, plus l’ascension s’avère difficile, le couloir se rétrécit dangereusement. Le corps gainé, les pieds parallèles aux marches, elle commence sérieusement à manquer d’air.

L’arrivée vers une pièce rectangulaire la rassure. Ses yeux habitués à l’obscurité repèrent un lit à baldaquin au centre de l’espace, une table de nuit et une grande armoire qui laissent supposer qu’il s’agit d’une chambre. Elle s’approche de la fenêtre ouverte, soulagée. Enfin une issue, enfin de l’air frais.

Elle, qui ne touche jamais un objet sans l’avoir nettoyé avec une lingette, s’allonge sur le lit poussiéreux pour reprendre des forces et juger de la situation. C’est alors qu’arrivent les soldats. Une armée de terre cuite composée de figures funéraires, de militaires, et de chevaux. Des milliers de statues représentant les troupes de Qin Shi Huang, le Premier empereur de Chine. Elles s’empilent les unes sur les autres, murant la fenêtre, remplissant l’espace.

En pleurs, Béa les supplie de la laisser sortir,de ne pas lui prendre son air…Sans succès. La jeune femme ressent un poids sur la poitrine, son cœur se met à battre plus vite, trop vite peut-être. Sa bouche devient sèche, les fourmillements qu’elle perçoit au bout de ses doigts montent dangereusement le long de son corps, tétanisant ses muscles. Puis l’air vient à manquer, une torpeur l’envahit. Elle va mourir dans cette pièce.

Dans un vacarme assourdissant, les soldats de pierre s’effondrent les uns après les autres, comme des dominos. Peu à peu, ils laissent apparaître la fenêtre et la porte de sa chambre.

Suffocante, haletante, Béa cherche goulûment son souffle après une apnée qui semble avoir duré une éternité.

L’intensité de ce cauchemar dépasse, sans conteste, celle des nuits précédentes. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front.

***

Soulagée de percevoir des objets familiers, Béa reconnaît la chambre qu’elle occupe chez Carole. Elle saisit le cadre placé sur sa table de chevet et le serre précieusement contre son cœur. En soupirant, elle s’extirpe de son lit et s’avance vers la baie vitrée. Le spectacle de l’aube naissante finit de la rassurer.

Son regard se pose sur la photo où le ciel étale ses nuages en filament dans des nuances de gris et de rose. La mer, tranquille, immobile, souligne la silhouette de trois bateaux de plaisance arrimés dans la baie. Au loin, la colline grimpe jusqu’au firmament.

Au centre, collées l’une à l’autre, Livia et sa mère, les pieds nus, sourient à la vie.

Elle s’évade un court instant, mais la réalité reprend vite le dessus.

Sur le plan émotionnel, la journée s’annonce difficile, elle doit retrouver Christian Gignac, le chef de la division criminelle dans l’appartement de sa fille à 10 heures.

Livia! La chair de sa chair. Comment en sont-elles arrivées là?

Les images du passé l’assaillent à nouveau.

***

Elle se revoit enfant, auprès d’une mère fantasque et d’une grand-mère acariâtre. Danseuse étoile, Dana, sa mère, avait caché son état jusqu’à l’accouchement. Un déni de grossesse avait dit l’obstétricien, une bêtise, pensait Dana, une faute grave, scandait l’ancêtre.

C’est ainsi qu’elle avait grandi.

Née d’un père inconnu, sans amis ni famille, la petite fille évoluait entre les loges et les coulisses de tous les lieux où Dana se produisait. Chacun étant trop occupé par le rythme des répétitions, personne ne se souciait de l’enfant. Chaque soir, pendant tout le temps que durait le spectacle, remisée dans le placard à tutus, docile, incolore, inodore, elle se retenait de pleurer, de respirer, de vivre. C’est ainsi que Béa se développait, sans baisers, sans tendresse, sans amour.

Les premiers troubles apparurent à l’âge de trois ans. Une sensation d’étouffement, une toux sèche, des sifflements… Pour la première fois, la petite fille paniquée avait quitté la penderie sans permission. Lésia, l’habilleuse de Dana, la seule dans la confidence, avait pris sur elle d’appeler un médecin.

— C’est de l’asthme, avait annoncé le docteur Bellegarde à Dana.

— Pffffff! Je te l’avais dit. À cause de ça, tu vas gâcher ta carrière, avait persiflé sa grand-mère, un doigt accusateur pointé sur elle.

Une fois de plus, l’enfant avait tenté de s’effacer, de ne pas gêner, en se confinant au milieu des poudres, des plumes et autres accessoires, ce qui avait déclenché une nouvelle crise d’envergure. Inquiète pour sa santé, Lésia, originaire de Bonifacio, avait plaidé sa cause sans relâche. Avec l’aide du médecin, elle avait cherché un établissement en Corse.

***

Béatrice, malingre, avait un peu moins de six ans, lorsqu’enfin, elle fut transférée dans le sanatorium de Tattone pour y suivre un traitement adapté.

C’est à ce moment-là qu’elle avait découvert l’île. L’air pur, la gentillesse des soignants, la beauté des paysages, tous ces changements apportaient à sa nouvelle vie un bonheur jusque-là insoupçonné.

Sa solitude, son allure chétive et sa mine triste avaient eu raison de Pascal Bastio, le chef cuisinier de l’institut, qui l’avait immédiatement prise en affection. Grâce au climat, aux exercices et aux conseils dispensés par un sophrologue, elle était parvenue à contrôler les crises qui s’étaient espacées pour ne devenir qu’un lointain souvenir.

À sa sortie du sanatorium, en accord avec sa mère, Béatrice fut confiée à la sœur de Lésia qui habitait à Vivario. C’est dans ce village situé au centre de la Corse qu’elle grandit alors. Solitaire, mais heureuse, elle passait son temps libre auprès de Pascal Bastio qui l’initia aux goûts des aliments.

– Ferme tes yeux. Quand un sens se met au repos, les autres prennent le relais. Bien ! Maintenant, goûte ça.

En totale confiance, la petite fille se laissait entraîner dans son jeu.

En même temps qu’il lui apprenait les différentes techniques, il l’éduquait à la culture des produits régionaux. C’est ainsi qu’il avait décelé son aptitude pour les arts culinaires… Elle était réellement douée, et les compliments de Pascal et du personnel la faisaient rougir de plaisir. Enfin, elle comptait aux yeux des autres.

Les années étaient passées.

Malgré une enfance éclipsée, Béa avait toujours à cœur de ne jamais montrer sa tristesse. Pour lutter contre cette noirceur qui étouffait son feu intérieur, toute jeune, elle s’était construit une philosophie : il est inutile de s’apitoyer sur son sort, quoi qu’il arrive, il faut faire avec.

Sa mère, reconvertie en maître de ballet à l’opéra de Marseille, lui écrivait de temps à autre. Elle n’avait jamais eu de nouvelles de sa grand-mère, sauf ce jour où Dana lui avait demandé de venir la rejoindre pour l’aider à la soigner. De plus en plus revêche, elle souffrait d’une lésion aux poumons.

Sans trop de conviction, Béa les avait retrouvées à Aix-en-Provence pour y finir ses études, elle préparait alors une licence Pro Tourisme. Son aïeule, qui continuait à fumer au moins ses deux paquets quotidiens malgré les injonctions des médecins, déclinait de jour en jour.

— Pousse-toi de la fenêtre, tu me prends mon air, l’invectivait-elle.

Même si elle avait peu d’affection pour elle, Béa, pleine d’empathie, vivait très mal sa maladie. Les crises d’étouffement, qu’elle-même connaissait si bien, lui laissaient de moins en moins de répit. Puis, en l’absence de sa mère trop occupée, elle avait dû assister à son dernier souffle : un long sifflement suivi d’un silence éternel.

***

Toujours debout devant la baie vitrée, Béa reprend pied dans la réalité et d’un geste de la main chasse cette dernière image.

À cinquante-sept ans, cheffe étoilée, en Corse, d’un restaurant aux spécialités «mer, terre et montagne», elle a traversé un long chemin semé d’embûches.

3

Béa et Alex

Décidément nostalgiques, ses pensées s’envolent cette fois-ci vers Alex, son ex-compagnon. Sans comprendre pourquoi, elle se remémore cette scène particulière.

Aix-en-Provence – L’année 1991

À vingt-neuf ans, elle tenait la place de cheffe de cuisine d’un restaurant renommé du cinquième arrondissement de Marseille. Il était à peine 7 heures du matin lorsqu’Alex l’avait appelée au téléphone.

— Béa, ma voiture est en panne. Il faut que tu passes me prendre au garage.

— Alex? Mais tu as vu l’heure? Tu es déjà dehors ?

— Heu… Oui pourquoi ? Je suis resté chez mon pote David cette nuit.

— Chez David? Toute la nuit?

— Bon, tu viens me chercher ou non?

Après avoir calé l’heure et le lieu du rendez-vous, Béa avait raccroché, perplexe. Elle fréquentait Alex depuis plus de deux ans et leur relation devenait sérieuse, au point qu’ils envisageaient de vivre ensemble dans l’appartement de la jeune femme.

Petit, châtain, et légèrement bedonnant, Alex n’avait rien d’un play-boy. C’est son intelligence et son éloquence qui l’avaient séduite. Elle pouvait passer des heures à l’écouter discourir sur n’importe quel sujet. Des phrases courtes, incisives, qui dévoilaient son esprit gouailleur. Sa répartie virulente avait souvent laissé cois bien des contradicteurs. Alex était un journaliste reconnu et craint. Ses amis, Carole surtout, ne comprenaient pas cette relation. Auprès d’Alex, enfermée dans une apathie, pratiquement soumise à son compagnon, Béa semblait méconnaissable.

Quelques mois auparavant, les deux femmes s’étaient rencontrées par hasard, dans le supermarché du quartier, un jour où toutes les portes du magasin étaient restées bloquées à cause d’un dysfonctionnement électrique. Captives pendant plus d’une heure, elles avaient longuement échangé.

Durant l’attente, Carole, qui, tôt le matin, avait bu un litre de café pour se réveiller, avait beaucoup de mal à contrôler sa vessie. Béa avait dû faire un forcing auprès de la direction pour lui permettre d’emprunter les toilettes privées du magasin.

Du même âge, elles partageaient beaucoup de centres d’intérêt : les mêmes films culte, les peintres abstraits, les thrillers psychologiques, la gastronomie…

Peu à peu, elles s’étaient liées d’une amitié sincère.

Rapidement, Carole avait pris ses distances avec Alex qu’elle n’estimait guère. Elle n’appréciait pas l’influence qu’il exerçait sur sa nouvelle copine et ne cachait pas sa désapprobation.

— Lorsque tu es avec lui, on ne t’entend plus, on ne te voit plus, tu te recroquevilles, lui assurait-elle.

— Mais non.

— Très bien. Alors, parle-moi de la dernière fois où tu lui as tenu tête ?

— Mais je n’ai aucune raison de lui tenir tête !

— Hum ! Ce mec est nocif, j’en suis certaine.

Béa arrivait toujours à détourner la conversation vers un autre sujet. Mais Carole n’était pas dupe.

— Je te préviens, si un jour tu arrêtes de me donner de tes nouvelles, si tu refuses de sortir avec nous, si tu… je viendrai avec une brigade de policiers pour t’extraire des griffes de ce pervers narcissique.

***

Carole ne plaisantait pas. Récemment nommée au sein du directoire du Parti Progressiste, elle était entourée de personnes influentes et avait ses entrées à la préfecture de police. Aussi, avait-elle les moyens de mettre ses menaces à exécution !

Même si elle était certaine qu’elle exagérait, Béa était troublée. Ces derniers temps, ses amis avaient pris leurs distances et s’étaient détachés d’eux. L’attitude d’Alex avait changé, il était devenu imbu de sa personne, n’hésitant jamais à les interpeller sur leurs erreurs, il refusait systématiquement de reconnaître les siennes, argumentaires à l’appui.

C’est vrai qu’Alex était égocentrique, mais de là à le traiter de psychopathe, Carole exagérait!

***

Comme à son habitude, Béa laissa couler la douche avant d’entrer dans la cabine. L’eau, tiède à souhait, glissait sur son corps musclé. Elle avait changé de coupe de cheveux pour plaire à Alex.

Un coup d’œil sur sa montre lui indiqua qu’elle avait le temps de passer prendre quelques photos du restaurant « L’esplanade » avant de venir le récupérer au garage.

Elle adorait son métier. C’est dans sa cuisine, qu’elle se réalisait totalement : régaler ses clients, les aider à découvrir de nouvelles saveurs… quel pied!

Accompagnée de Laeticia et de Norbert, les membres de sa brigade, elle avait acquis une solide réputation sur la place. Elle aurait bien aimé aller plus loin, ouvrir son propre établissement, mais Alex l’en avait rapidement dissuadée, lui conseillant plutôt de réduire la voilure pour passer plus de temps près de lui.

Sur ce point, elle lui avait résisté. La discussion s’était déroulée chez elle deux jours plus tôt, et la violence de la dispute qui avait suivi était montée d’un cran. Mais elle avait tenu bon. Depuis, elle n’avait eu aucune nouvelle d’Alex jusqu’à ce matin.

La circulation était fluide lorsqu’elle s’engagea en direction du centre-ville de Marseille. Situé non loin du « Panier », quartier emblématique de la cité phocéenne, et dressé sur la rive nord du Vieux-Port, le restaurant qu’elle avait repéré portait l’écriteau « En vente », sur sa façade. Décoré avec un goût certain, il lui apparaissait comme une petite pépite. Un style moderne et épuré, un mobilier design et quelques touches de couleur… Le tout entretenait une ambiance élégante et originale.

Si elle obtenait un crédit à un taux avantageux, Béa était convaincue de pouvoir rapidement développer un concept innovant : un bistrot gastronomique basé sur des produits méditerranéens.

Bien qu’elle ne fût pas riche, la jeune femme, économe, avait suffisamment épargné, pour se permettre de se lancer dans une telle affaire. Prudente, raisonnable, elle avait su faire fructifier son pécule en attendant la bonne opportunité. C’est ce qui la différenciait le plus d’Alex. Auprès de lui, elle pouvait passer pour une pingre. Lui, dépensait sans compter son argent à lui, mais aussi son argent à elle, lorsqu’il n’en avait plus. D’abord réticente, un brin agacée, Béa finissait toujours par se laisser convaincre.

Alex, féru de livres anciens, se serait damné pour une édition originale, surtout lorsque l’ouvrage s’avérait rare et dédicacé. Il avait récemment acquis pour plus de 5