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Les Arts de la Guerre (Premium Ebook) E-Book

Nicolas Machiavel

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Beschreibung

**** Cet ebook possède une mise en page optimisée pour la lecture numérique **** Cette édition spéciale propose trois traités philosophiques incontournables sur les thèmes conjoints de la Guerre et de la Stratégie : - « L’Art de la Guerre » de Sun Tzu - « L’Art de la Guerre » de Nicolas Machiavel - « De la Stratégie » par Carl von Clausewitz Malgré leur ancienneté, ces ouvrages restent d’une actualité troublante et invitent le lecteur à une réflexion qui dépasse très largement le cadre des thèmes proposés. Il y est ainsi question de pouvoir, de politique, d’influence, de séduction et de management.

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Les Arts de la Guerre

Carl von Clausewitz

Nicolas Machiavel

Sun Tzu

Table des matières

SUN TZU

L’art De La Guerre

Préface

Article premier

Article II

Article III

Article IV

Article V

Article VI

Article VII

Article VIII

Article IX

Article X

Article XI

Article XII

Article XIII

NICOLAS MACHIAVEL

L’Art de la Guerre

Préface De Nicolas Machiavel

Livre Premier

Livre Second

Livre Troisième

Livre Quatrième

Livre Cinquième

Livre Sixième

Livre Septième

CARL VON CLAUSEWITZ

De La Stratégie

De La Stratégie

Éléments De La Stratégie

Les Grandeurs Morales

Les Puissances Morales De Premier Ordre

Vertu Guerrière De L’armée

La Hardiesse

La Persévérance

Supériorité numérique

La surprise

La ruse

Réunion des forces dans l’espace

Union des forces dans le temps

Réserve stratégique

Économie des forces

Élément Géométrique

Du temps d’arrêt dans l’action à la guerre

Du caractère des guerres modernes

Tension et repos (loi dynamique de la guerre)

SUN TZU

L’art De La Guerre

Les Treizes Articles

par

SUN TZU

L'art de la Guerre est généralement présenté comme le plus ancien traité de stratégie. Datant du Ve siècle avant Jésus-Christ et traduit pour la première fois en français par le Père Joseph-Marie Amiot en 1772, il ne connut pourtant un véritable succès éditorial en France que très récemment, à compter des années 1970 où la mémoire de cet écrit pluriséculaire fut ressuscitée dans les milieux radicaux d'extrême gauche. Face à la violence de changements sociétaux majeurs observables en Occident sous le poids de la mondialisation économique et bientôt culturelle, il n'est pas étonnant en effet que les pensées de Sun Tzu aient retrouvé un intérêt soudain chez ceux qui luttent contre la marchandisation du monde moderne. Il est vrai que les pensées inscrites dans ce texte s'accordent particulièrement aux situations conflictuelles qui paraissent perdues à l'avance, lorsque la marche de l'ennemi est à priori implacable. Sun Tzu nous apprend que ce type de circonstances, loin d'être désespérées, recèlent en réalité bien souvent de nombreuses opportunités, à condition d'apprendre à contourner les obstacles infranchissables. La symbologie utilisée par le Maître Sun fait par ailleurs maintes fois référence à l'eau. La fluidité de l'eau l'emporte ainsi sur la solidité de la pierre. Inutile dés lors de chercher à tous prix l'affrontement, les stratégies de l'évitement et de la ruse associées aux règles de la guerre psychologique étant souvent plus efficaces. Le Baron G. de Contenson, ancien attaché militaire en Chine dont nous avons introduit un article à la fin de cette édition, évoque d’ailleurs à ce sujet les principes d’une «fourberie» typiquement chinoise dont le traité de Sun-Tzu serait particulièrement révélateur.

Dans un monde contemporain aux frontières sans cesse mouvantes oū le danger semble être partout et la capacité à se défendre et se rendre flexible des conditions sine qua non de survie, il n'est pas surprenant non plus que les enseignements élaborées par Sun Tzu soient si souvent généralisés au point d'être appliqués, de façon parfois très abusives, à des domaines aussi variés que le marketing, la politique ou le sport, comme si la vie ne pouvait être conçue autrement que sous la forme d'un combat permanent. Les experts de toutes sortes qui vendent comme des recettes prêtes à l'emploi les articles de l'art de la guerre oublient que ce texte est aussi un traité philosophique qui ne peut être ciselé, au risque de n'en retenir qu'une perspective fragmentaire et déformée. Pétri de complexité, d'une profondeur restée à ce jour insondée à cause sans doute d'un prisme culturel occidental mal adapté, le texte, bien au contraire, doit être considéré dans son ensemble, dans toute l'étendue de sa portée philosophique.

Au-delà de ces quelques remarques préliminaires qui concernent la dimension militaire du traité, l'art de la guerre est un document utile pour saisir une partie essentielle des fondements idéologiques d'une culture que nous connaissons mal et qui nous est étrangère. Malgré une position devenue centrale sur la scène internationale en raison de son poids économique et démographique, la Chine continue en effet d’être une source de fascination et de crainte. L'art de la guerre, sans être à lui seul suffisant pour cerner l’étendue d’une culture aussi riche, offre à minima des clefs de compréhension de «l’esprit chinois», révélant par certains aspects la finesse d’un système de représentation qui bien souvent déroute et nous interroge.

FVE

Préface

Avant que d'exposer les ouvrages de Sun-tse, il convient, disent les commentateurs, de faire connaître sa personne, et de donner une idée de ses talents pour former les troupes et pour en entretenir la discipline militaire. Voici en peu de mots comment ils remplissent ce double objet, et l'histoire vraie ou supposée qu'ils racontent de ce général.

Sun-tse, disent-ils, né sujet du Roi de Tsi, était l'homme le plus versé qu'il y ait eu dans l'art militaire. L'ouvrage qu'il a composé et les grandes actions qu'il a faites, sont une preuve de sa profonde capacité et de son expérience consommée en ce genre. Avant même qu'il eût acquis cette grande réputation qui le distingua depuis dans toutes les provinces qui composent aujourd'hui l'empire, et dont la plupart portaient alors le nom de royaume, son mérite était connu dans tous les lieux voisins de sa patrie.

Le roi de Ou avait quelques démêlés avec le rois de Tchou et de Ho-lou. Ils étaient sur le point d'en venir a une guerre ouverte, et de part et d'autre on en faisait les préparatifs. Sun-tse ne voulut pas demeurer oisif. Persuadé que le personnage de spectateur n'était pas fait pour lui, il alla se présenter au roi de Ou pour obtenir de l'emploi dans ses armées. Le roi, charmé qu'un homme de ce mérite se rangeât dans son parti, lui fit un très bon accueil. Il voulut le voir et l'interroger lui-même.

— Sun-tse, lui dit-il, j'ai vu l'ouvrage que vous avez composé sur l'art militaire, : j'en ai été content ; mais les préceptes que vous donnez me paraissent d'une exécution bien difficile ; il y en a même quelques-uns que je crois absolument impraticables : vous-même, pourriez-vous les exécuter ? car il y a loin de la théorie à la pratique. On imagine les plus beaux moyens lorsqu'on est tranquille dans son cabinet et qu'on ne fait la guerre qu'en idée ; il n'en est pas de même lorsqu'on se trouve dans l'occasion. Il arrive alors qu'on regarde souvent comme impossible ce qu'on avait envisagé d'abord comme fort aisé.

— Prince, répondit Sun-tse, je n'ai rien dit dans mes écrits que je n'aie déjà pratiqué dans les armées ; mais ce que je n'ai pas encore dit, et dont rependant j'ose assurer aujourd'hui Votre Majesté, c'est que je suis en état de le faire pratiquer par qui que ce soit, et de le former aux exercices militaires quand j'aurai l'autorité pour le faire.

— Je vous entends, répliqua le roi : vous voulez dire que vous instruirez aisément de vos maximes, des hommes intelligents, et qui auront déjà la prudence et la valeur en partage ; que vous formerez sans beaucoup de peine aux exercices militaires, des hommes accoutumés au travail, dociles, et pleins de bonne volonté. Mais le grand nombre n'est pas de cette espèce.

— N'importe, répondit Sun-tse : j'ai dit qui que ce soit, et je n'excepte personne de ma proposition : les plus mutins, les plus lâches et les plus faibles y sont compris.

— A vous entendre, reprit le roi, vous inspireriez même à des femmes les sentiments qui font les guerriers ; vous les dresseriez aux exercices des armes.

— Oui, prince, répliqua Sun-tse d'un ton ferme, je prie Votre Majesté de n'en pas douter.

Le roi, que les divertissements ordinaires de la cour n'amusaient plus guère dans les circonstances où il se trouvait alors, profita de cette occasion pour s'en procurer d'un nouveau genre.

— Qu'on m'amène ici, dit-il, cent quatre-vingts de mes femmes.

Il fut obéi, et les princesses parurent. Parmi elles il y en avait deux en particulier que le roi aimait tendrement ; elles furent mises à la tête des autres.

— Nous verrons, dit le roi en souriant, nous verrons, Sun-tse, si vous nous tiendrez parole. Je vous constitue général de ces nouvelles troupes. Dans toute l'étendue de mon palais vous n'avez qu'à choisir le lieu qui vous paraîtra le plus commode pour les exercer aux armes. Quand elles seront suffisamment instruites, vous m'avertirez, et j'irai moi-même pour rendre justice à leur adresse et à votre talent.

Le général, qui sentit tout le ridicule du personnage qu'on voulait lui faire jouer, ne se déconcerta pas, et parut au contraire très satisfait de l'honneur que lui faisait le roi, non seulement de lui laisser voir ses femmes, mais encore de les mettre sous sa direction.

— Je vous en rendrai bon compte, Sire, lui dit-il d'un ton assuré, j'espère que dans peu Votre Majesté aura lieu d'être contente de mes services ; elle sera convaincue, tout au moins, que Sun-tse n'est pas homme à s'avancer témérairement.

Le roi s'étant retiré dans un appartement intérieur, le guerrier ne pensa plus qu'à exécuter sa commission. Il demanda des armes et tout l'équipage militaire pour ses soldats de nouvelle création ; et en attendant que tout fût prêt il conduisit sa troupe dans une des cours du palais, qui lui parut la plus propre pour son dessein. On ne fut pas longtemps sans lui apporter ce qu'il avait demandé. Sun-tse adressant alors la parole aux princesses :

— Vous voilà leur dit-il, sous ma direction et sous mes ordres : vous devez m'écouter attentivement, m'obéir dans tout ce que je vous commanderai. C'est la première et la plus essentielle des lois militaires : gardez-vous bien de l'enfreindre. Je veux que dès demain vous fassiez l'exercice devant le roi, et je compte que vous vous en acquitterez exactement.

Après ces mots il les ceignit du baudrier, leur mit une pique à la main, les partagea en deux bandes, et mit à la tête de chacune une des princesses favorites. Cet arrangement étant fait, il commence ses instructions en ces termes :

— Distinguez-vous bien votre poitrine d'avec votre dos, et votre main droite d'avec votre main gauche ? Répondez.

Quelques éclats de rire furent toute la réponse qu'on lui donna d'abord. Mais comme il gardait le silence et tout son sérieux :

— Oui, sans doute, lui répondirent ensuite les dames d'une commune voix.

— Cela étant, reprit Sun-tse, retenez bien ce que je vais dire. Lorsque le tambour ne frappera qu'un seul coup, vous resterez comme vous vous trouvez actuellement, ne faisant attention qu'à ce qui est devant votre poitrine. Quand le tambour frappera deux coups, il faut vous tourner de façon que votre poitrine soit dans l'endroit où était ci-devant votre main droite. Si au lieu de deux coups vous en entendiez trois, il faudrait vous tourner de sorte que votre poitrine fut précisément dans l'endroit où était auparavant votre main gauche. Mais lorsque le tambour frappera quatre coups, il faut que vous vous tourniez de façon que votre poitrine se trouve où était votre dos, et votre dos où était votre poitrine.

Ce que je viens de dire n'est peut-être pas assez clair : je m'explique. Un seul coup de tambour doit vous signifier qu'il ne faut pas changer de contenance, que vous devez être sur vos gardes : deux coups, que vous devez vous tourner à droite : trois coups, qu'il faut vous tourner à gauche ; et quatre coups, que vous devez faire le demi-tour. Je m'explique encore.

L'ordre que je suivrai est tel : je ferai d'abord frapper un seul coup : à ce signal vous vous tiendrez prêtes à ce que je dois vous ordonner. Quelques moments après je ferai frapper deux coups : alors, toutes ensemble, vous vous tournerez à droite avec gravité ; après quoi je ferai frapper non pas trois coups, mais quatre, et vous achèverez le demi-tour. Je vous ferai reprendre ensuite votre première situation, comme auparavant, je ferai frapper un seul coup. Recueillez-vous à ce premier signal. Ensuite je ferai frapper, non pas deux coups, mais trois, vous vous tournerez à gauche, aux quatre coups vous achèverez le demi-tour. Avez-vous bien compris ce que j'ai voulu vous dire ? S'il vous reste quelque difficulté, vous n'avez qu'à me la proposer, je tâcherai de vous satisfaire.

— Nous sommes au fait, répondirent les dames.

— Cela étant, reprit Sun-tse, je vais commencer. N'oubliez pas que le son du tambour vous tient lieu de la voix du général, puisque c'est par lui qu'il vous donne ses ordres.

Après cette instruction répétée trois fois, Sun-tse rangea de nouveau sa petite armée, après quoi il fait frapper un coup de tambour. A ce bruit toutes les dames se mirent à rire : il fait frapper deux coups, elles rirent encore plus fort. Le général, sans perdre son sérieux, leur adressa la parole en ces termes :

— Il peut se faire, que je ne me sois pas assez clairement expliqué dans l'instruction que je vous ai donnée. Si cela est, je suis en faute ; je vais tâcher de la réparer en vous parlant d'une manière qui soit plus à votre portée

(sur-le-champ il leur répéta jusqu'à trois fois la même leçon en d'autres termes) :

— Puis, nous verrons, ajouta-t-il, si je ferai mieux obéi.

Il fait frapper un coup de tambour, il en fait frapper deux. A son air grave, et à la vue de l'appareil bizarre où elles se trouvaient, les dames oublièrent qu'il fallait obéir. Après s'être fait quelques moments de violence pour arrêter le rire qui les suffoquait, elles le laissèrent enfin échapper par des éclats immodérés.

Sun-tse ne se déconcerta point ; mais du même ton dont il leur avait parlé auparavant, il leur dit :

— Si je ne m'étais pas bien expliqué, ou que vous ne m'eussiez pas assuré, d'une commune voix, que vous compreniez ce que je voulais vous dire, vous ne seriez point coupables : mais je vous ai parlé clairement, comme vous l'avez avoué vous-mêmes ; pourquoi n'avez-vous pas obéi ? Vous méritez punition et une punition militaire. Parmi les gens de guerre, quiconque n'obéit pas aux ordres de son général, mérite la mort : vous mourrez donc.

Après ce court préambule, Sun-tse ordonna à celles des femmes qui formaient les deux rangs de tuer les deux qui étaient à leur tête. A l'instant, un de ceux qui étaient préposés pour la garde des femmes, voyant bien que le guerrier n'entendait pas raillerie, se détache pour aller avertir le roi de ce qui se passait. Le roi dépêche quelqu'un vers Sun-tse pour lui défendre de passer outre, en particulier de maltraiter les deux femmes qu'il aimait le plus et sans lesquelles il ne pouvait vivre.

Le général écouta avec respect les paroles qu'on lui portait de la part du roi ; mais il ne déféra pas pour cela à ses volontés.

— Allez dire au roi, répondit-il, que Sun-tse le croit trop raisonnable et trop juste pour penser qu'il ait sitôt changé de sentiment, et qu'il veuille véritablement être obéi dans ce que vous venez annoncer de sa part. Le prince fait la loi ; il ne saurait donner des ordres qui avilissent la dignité dont il m'a revêtu. Il m'a chargé de dresser aux exercices des armes cent quatre vingts de ses femmes, il m'a constitué leur général ; c'est à moi à faire le reste. Elles m'ont désobéi, elles mourront.

A peine eut-il prononcé ces derniers mots, qu'il tire son sabre, et du même sang-froid qu'il avait témoigné jusqu'alors, il abat la tête aux deux qui commandaient les autres. Aussitôt il en met deux autres à leur place, fait battre les différents coups de tambour dont il était convenu avec sa troupe ; et comme si ces femmes eussent fait toute leur vie le métier de la guerre, elles se tournèrent en silence toujours à propos.

Sun-tse adressant la parole à l'Envoyé :

— Allez avertir le roi, lui dit-il, que ses femmes savent faire l'exercice ; que je puis les mener à la guerre, leur faire affronter toute sorte de périls, et les faire passer même au travers de l'eau et du feu.

Le roi ayant appris tout ce qui s'était passé, fut pénétré de la plus vive douleur.

— J'ai donc perdu, dit-il en poussant un profond soupir, j'ai donc perdu ce que j'aimais le plus en ce monde... Que cet étranger se retire dans son pays. Je ne veux ni de lui, ni de ses services... Qu'as-tu fait, barbare !... comment pourrai-je vivre désormais, etc.

Quelque inconsolable que le roi parût, le temps et les circonstances lui firent bientôt oublier sa perte. Les ennemis étaient prêts à fondre sur lui ; il redemanda Sun-tse, le fit général de ses armées, par son moyen il détruisit le royaume de Tchou. Ceux de ses voisins qui lui avaient donné le plus d'inquiétudes auparavant, pénétrés de crainte au seul bruit des belles actions de Sun-tse, ne pensèrent plus qu'a se tenir en repos sous la protection d'un prince qui avait un tel homme à son service.

Telle est l'idée que les Chinois donnent de leur héros. De l'événement qu'ils racontent, et que je viens de raconter d'après eux, soit qu'il soit réel, soit qu'il soit supposé, on conclut également que la sévérité est la base sur laquelle appuie la plus grande autorité du général. Cette maxime, qui peut-être n'est pas bonne chez les nations d'Europe, est excellente pour les Asiatiques, chez qui l'honneur n'est pas toujours le premier mobile.

Article premier

Fondements de l'art militaire

Sun-tse dit : les troupes sont la grande affaire d'un État ; c'est d'elles que dépendent la vie ou la mort des sujets, l'agrandissement ou la décadence de l'empire : ne pas faire de sérieuses réflexions sur ce qui les concerne, ne pas travailler à les bien régler, c'est montrer une trop grande indifférence pour la conservation ou pour la perte de ce qu'on a de plus cher, c'est ce qu'on ne doit pas trouver parmi nous.

Cinq choses principales doivent faire l'objet de nos continuelles méditations, et de tous nos soins. Semblables à ces fameux artistes, qui, ayant entrepris quelque chef-d'œuvre de leur art, ont toujours présent à l'esprit le but qu'ils se sont proposé, mettent à profit tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils entendent, et n'oublient rien pour se procurer de nouvelles connaissances et tous les secours qui peuvent les conduire heureusement à leur fin. Si nous voulons que la gloire et les succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue la doctrine, le Ciel, la Terre, le général et la discipline. La doctrine nous fera naître à tous des sentiments uniformes ; elle nous inspirera une même manière de vivre et de mourir, et nous rendra également intrépides dans les malheurs et dans la mort.

Si nous connaissons bien le Ciel, nous n'ignorerons point ce que c'est que ces deux grands principes yn et yang ; nous saurons le temps de leur union et de leur mutuel concours pour la production du froid, du chaud, de la sérénité ou de l'intempérie de l'air.

La Terre n'est pas moins digne de notre attention que le Ciel ; étudions-la bien, et nous aurons la connaissance du haut et du bas ; du loin comme du près, du large et de l'étroit, de ce qui demeure et de ce qui ne fait que passer.

La Doctrine, l'équité, l'amour pour ceux en particulier qui nous sont soumis et pour tous les hommes en général, la science des ressources, le courage et la valeur, telles sont les qualités qui doivent caractériser celui qui est revêtu de la dignité de général ; vertus nécessaires, pour l'acquisition desquelles nous ne devons rien oublier : seules elles peuvent nous mettre en état de marcher dignement à la tête des autres.

Aux connaissances dont je viens de parler, il faut ajouter celle de la discipline. Posséder l'art de ranger les troupes ; n'ignorer aucune des lois de la subordination et les faire observer à la rigueur ; être instruit des devoirs particuliers de chaque officier subalterne ; savoir connaître les différents chemins par où on peut arriver à un même terme ; ne pas dédaigner d'entrer dans un détail exact de toutes les choses qui peuvent servir, et se mettre au fait de chacune d'elles en particulier ; tout cela ensemble forme un corps de discipline dont la connaissance pratique ne doit point échapper à la sagacité ni aux attentions d'un général.

Vous donc, que le choix du prince a placé à la tête des armées, jetez les fondements de votre science militaire sur les cinq principes que je viens d'établir ; la victoire suivra partout vos pas : vous n'éprouverez au contraire que les plus honteuses défaites, si, par ignorance ou par présomption, vous venez à les omettre ou à les rejeter.

Avec les connaissances que je viens d'indiquer, vous saurez quel est celui qui, parmi les rois qui gouvernent le monde, a le plus de doctrine et de vertus ; vous connaîtrez les grands généraux qui peuvent se trouver dans les différents royaumes. Si c'est en temps de guerre, vous pourrez conjecturer assez sûrement quel est celui des rivaux qui doit l'emporter ; et si vous devez entrer vous-même en lice, vous pourrez raisonnablement vous flatter de devenir victorieux.

Avec ces mêmes connaissances, vous n'ignorerez point en quel temps le Ciel la Terre seront d'accord pour favoriser la sortie des troupes auxquelles vous prescrirez les routes qu'elles doivent tenir, et dont vous règlerez à propos toutes les marches ; vous ne commencerez ni ne terminerez jamais la campagne hors de saison ; vous connaîtrez le fort et le faible, tant de ceux qu'on aura confiés à vos soins, que des ennemis que vous aurez à combattre ; vous saurez en quelle quantité et dans quel état se trouveront les munitions de guerre et de bouche des deux armées ; vous distribuerez les récompenses avec libéralité, mais avec choix, et vous n'épargnerez pas les châtiments quand il en sera besoin.

Admirateurs de vos vertus et de votre bonne conduite, les officiers généraux ne se feront pas moins un plaisir délicat, qu'un rigoureux devoir de vous seconder. Ils entreront dans toutes vos vues, et leur exemple entraînant infailliblement celui des subalternes, les simples soldats concourront eux-mêmes de toutes leurs forces à vous assurer les plus glorieux succès. Vous serez estimé, respecté, chéri de votre nation, et les peuples voisins viendront avec joie se ranger sous les étendards du prince que vous servez, ou pour vivre sous ses lois, ou pour obtenir simplement sa protection.

C'est encore avec ces connaissances qu'également instruit de ce que vous pourrez et de ce que vous ne pourrez pas, vous ne formerez aucune entreprise, sans la conduire à une heureuse fin. Vous verrez ce qui sera loin de vous comme ce qui se passera sous vos yeux, et ce qui se passera sous vos yeux, comme ce qui en est le plus éloigné. S'il y a quelques dissensions parmi vos ennemis, vous en profiterez habilement pour attirer les mécontents dans votre parti. Les récompenses ne seront pas plus épargnées que les promesses et les dons.

Si vos ennemis sont plus puissants et plus forts que vous, vous ne les attaquerez point, vous éviterez avec un grand soin d'en venir aux mains avec eux ; vous cacherez toujours avec une extrême attention l'état où vous vous trouverez. Il y aura des occasions où vous vous abaisserez, et d'autres où vous affecterez d'avoir peur. Vous feindrez quelquefois d'être faible afin que vos ennemis, ouvrant la porte à la présomption à l'orgueil, viennent ou vous attaquer mal à propos, ou se laissent surprendre eux-mêmes et tailler en pièces honteusement. Vous ferez en sorte que ceux qui vous sont inférieurs ne puissent jamais pénétrer vos desseins. Vous tiendrez vos troupes toujours alertes, toujours en mouvement dans l'occupation pour empêcher qu'elles ne se laissent amollir par un honteux repos. Vous ne souffrirez aucune dissension parmi vos gens, vous n'oublierez rien pour les entretenir dans la paix, la concorde et l'union, comme s'ils ne faisaient tous qu'une seule et même famille. Enfin votre sage prévoyance vous ayant fait supputer jusqu'où pouvait aller la consommation des vivres et des autres choses d'un usage journalier, vous serez toujours abondamment pourvu de tout, et après les plus glorieux exploits, vous reviendrez dans le sein de votre famille pour y jouir tranquillement du fruit de votre victoire parmi les acclamations de vos concitoyens, qui ne cesseront de vous combler d'éloges, comme vous étant redevables de tous les avantages d'une douce paix. Telles sont en général les réflexions que ma propre expérience m'a dictées, et que je me fais un devoir de vous communiquer.

Article II

Des commencements de la campagne

Sun-tse dit : je suppose que vous commencez la campagne avec une armée de cent mille hommes, que vous êtes suffisamment pourvu des munitions de guerre de bouche, que vous avez deux mille chariots, donc mille sont pour la course, et les autres uniquement pour le transport ; que jusqu'à cent lieues de vous, il y aura partout des vivres pour l'entretien de votre armée ; que vous faites transporter avec soin tout ce qui peut servir au raccommodage des armes et des chariots ; que les artisans et les autres qui ne sont pas du corps des soldats, vous ont déjà précédé ou marchent séparément à votre suite ; que toutes les choses qui servent pour des usages étrangers, comme celles qui sont purement pour la guerre, sont toujours à couvert des injures de l'air et à l'abri des accidents fâcheux qui peuvent arriver. Je suppose encore que vous avez mille onces d'argent à distribuer aux troupes chaque jour, et que leur solde est toujours payée à temps et dans la plus rigoureuse exactitude : dans ce cas vous pouvez aller droit à l'ennemi ; l'attaquer et le vaincre seront pour vous une même chose. Je dis plus : ne différez pas de livrer le combat, n'attendez pas que vos armes contractent la rouille, ni que le tranchant de vos épées émousse. S'il s'agit de prendre une ville, hâtez-vous d'en faire le siège ; tournez d'abord toutes vos vues de ce côté-là, dirigez là toutes vos forces : il faut ici tout brusquer ; si vous y manquez, vos troupes courent risque de tenir longtemps la campagne ; en ce cas, de combien de malheurs n'allez-vous pas devenir la funeste source ? Les coffres du prince que vous servez s'épuiseront, vos armes perdues par la rouille ne pourront plus vous servir, l'ardeur de vos soldats se ralentira, leur courage et leurs forces s'évanouiront, les provisions se consumeront. Et peut-être même vous trouverez-vous réduit aux plus fâcheuses extrémités. Instruits du pitoyable état où vous serez alors, vos ennemis sortiront tout frais, fondront sur vous, et vous tailleront en pièces. Quoique jusqu'à ce jour vous ayez joui d'une grande réputation, vous ne pourrez désormais vous montrer avec honneur. En vain dans d'autres occasions aurez-vous donné des marques éclatantes de votre valeur, toute la gloire que vous aurez acquise sera effacée par ce dernier trait. Je le répète ; on ne saurait tenir les troupes longtemps en campagne, sans porter un très grand préjudice à l'État, sans donner une atteinte mortelle à sa propre réputation.

Ceux qui possèdent les vrais principes de l'art militaire, n'y reviennent pas à deux fois. Dès la première campagne tout est fini ; ils ne consument pas pendant trois années de suite des vivres inutilement. Ils trouvent le moyen de faire subsister leurs armées aux dépens de l'ennemi, épargnent à l'État les frais immenses qu'il est obligé de faire, lorsqu'il faut transporter bien loin toutes les provisions. Ils n'ignorent point, et vous devez le savoir aussi, que rien n'épuise tant un royaume que les dépenses de cette nature ; car soit que l'armée soit aux frontières, ou qu'elle soit dans les pays éloignés, le peuple en souffre toujours ; toutes les choses nécessaires à la vie augmentent de prix, elles deviennent rares, ceux même qui dans les temps ordinaires sont le plus à leur aise, n'ont bientôt plus de quoi les acheter. Le prince se hâte de faire ramasser le tribut des denrées que chaque famille lui doit ; la misère se répandant du sein des villes jusques dans les campagnes, des dix parties du nécessaire on est obligé d'en retrancher sept. Il n'est pas jusqu'au souverain qui ne ressente sa part des malheurs communs. Ses cuirasses, ses casques, ses flèches, ses arcs, ses boucliers, ses chars, ses lances, ses javelots, tout cela se détruira. Les chevaux, les bœufs même qui labourent les terres du domaine, dépériront, et des dix parties de sa dépense ordinaire, il se verra contraint d'en retrancher six. C'est pour prévenir tous ces désastres qu'un habile général n'oublie rien pour abréger les campagnes, pour pouvoir vivre aux dépens de l'ennemi, ou tout au moins pour consumer les denrées étrangères, à prix d'argent, s'il le faut.

Si l'armée ennemie a une mesure de grain dans son camp, ayez-en vingt dans le vôtre ; si votre ennemi a cent vingt livres de fourrage pour ses chevaux, ayez-en deux mille quatre cents pour les vôtres. Ne laissez échapper aucune occasion de l'incommoder, faites-le périr en détail, trouvez les moyens de l'irriter pour le faire tomber dans quelque piège ; diminuez ses forces le plus que vous pourrez, en lui faisant faire diversion, en lui tuant de temps en temps quelque parti, en lui enlevant de ses convois, de ses équipages, d'autres choses qui pourront vous être de quelque utilité.

Lorsque vos gens auront pris sur l'ennemi au-delà de dix chars, commencez par récompenser libéralement tant ceux qui auront conduit l'entreprise, que ceux qui l'auront exécutée. Employez ces chars aux mêmes usages que vous employez les vôtres, mais auparavant il faut en ôter les marques distinctives qui pourront s'y trouver. Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats ; faites en sorte, s'il se peut, qu'ils se trouvent mieux chez vous qu'ils ne le seraient dans leur propre camp, ou dans le sein même de leur patrie. Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les défiances convenables, et pour le dire en deux mots, conduisez-vous à leur égard comme s'ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées librement sous vos étendards.

Si vous faites exactement ce que je viens de vous indiquer, les succès accompagneront tous vos pas, partout vous serez vainqueur, vous ménagerez la vie de vos soldats, vous affermirez votre pays dans ses anciennes possessions, vous lui en procurerez de nouvelles, vous augmenterez la splendeur et la gloire de l'État, et le prince ainsi que les sujets vous seront redevables de la douce tranquillité dans laquelle ils couleront désormais leurs jours. Quels objets peuvent être plus dignes de votre attention et de tous vos efforts !

Article III

De ce qu'il faut avoir prévu avant le combat

Sun-tse dit : voici quelques maximes dont vous devez être pénétré avant que de vouloir forcer des villes, ou gagner des batailles.

Conserver les possessions et tous les droits du prince que vous servez, voilà quel doit être le premier de vos soins ; les agrandir en empiétant sur les ennemis, c'est ce que vous ne devez faire que lorsque vous y serez forcé.

Veiller au repos des villes de votre propre pays, voilà ce qui doit principalement vous occuper ; troubler celui des villes ennemies, ce ne doit être que votre pis-aller.

Mettre à couvert de toute insulte les villages amis, voilà ce à quoi vous devez penser ; faire des irruptions sur les villages ennemis, c'est ce à quoi la nécessité seule doit vous engager.

Empêcher que les hameaux, que les chaumines même des sujets de votre souverain ne souffrent le plus petit dommage, c'est ce qui mérite également votre attention ; porter le ravage dans les hameaux ou dans les chaumines de vos ennemis, c'est ce qu'une disette de tout doit seule vous faire entreprendre.

Ces maximes une fois bien gravées dans votre cœur, vous pouvez aller attaquer des villes, ou donner des batailles, je suis garant du succès. Je dis plus : eussiez-vous cent combats à livrer, cent victoires en seraient le fruit. Cependant ne cherchez pas à dompter vos ennemis au prix des combats et des victoires ; car s'il y a des cas où ce qui est au-dessus du bon, n'est pas bon lui-même, c'en est ici un où plus on s'élève au-dessus du bon, plus on s'approche du pernicieux et du mauvais.

Sans donner de batailles, tâchez d'être victorieux : ce sera là le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez de l'incomparable et de l'excellent. Les grands généraux en viennent à bout en découvrant tous les artifices de l'ennemi, en faisant avorter tous ses projets, en semant la discorde parmi ses gens, en les tenant toujours en haleine, en empêchant les secours étrangers qu'il pourrait recevoir, et en lui ôtant toutes les facilités qu'il pourrait avoir de se déterminer à quelque chose d'avantageux pour lui.

Si vous êtes forcé de faire l'attaque d'une place et de la réduire, disposez tellement vos chars, vos boucliers et toutes les machines nécessaires pour monter à l'assaut, que tout soit en bon état lorsqu'il sera temps de l'employer. Faites en sorte surtout que la reddition de la place ne soit pas prolongée au-delà de trois mois. Si ce terme expiré, vous n'êtes pas encore venu à bout de vos fins, sûrement il y aura eu quelques fautes de votre part ; n'oubliez rien pour les réparer. A la tête de vos troupes, redoublez vos efforts ; en allant à l'assaut imitez la vigilance, l'activité, l'ardeur et l'opiniâtreté des fourmis. Je suppose que vous aurez fait auparavant les retranchements et les autres ouvrages nécessaires, que vous aurez élevé des redoutes pour découvrir ce qui se passe chez les assiégés, et que vous aurez paré à tous les inconvénients que votre prudence vous aura fait prévoir. Si avec toutes ces précautions, il arrive que de trois parties de vos soldats vous ayez eu le malheur d'en perdre une, sans pouvoir être victorieux, soyez convaincu que vous n'avez pas bien attaqué.

Un habile général ne se trouve jamais réduit à de telles extrémités : sans donner des batailles, il sait l'art d'humilier ses ennemis ; sans répandre une goutte de sang, sans tirer même l'épée, il vient à bout de prendre les villes ; sans mettre les pieds dans les royaumes étrangers, il trouve le moyen de les conquérir ; et sans perdre un temps considérable à la tête de ses troupes, il procure une gloire immortelle au prince qu'il sert, il assure le bonheur de ses compatriotes, et fait que l'univers lui est redevable du repos et de la paix : tel est le but auquel tous ceux qui commandent les armées doivent tendre sans cesse et sans jamais se décourager.

Il y a une infinité de situations différentes dans lesquelles vous pouvez vous trouver par rapport à l'ennemi. On ne saurait les prévoir toutes ; c'est pourquoi je n'entre pas dans un plus grand détail. Vos lumières et votre expérience vous suggéreront ce que vous aurez à faire, à mesure que les circonstances se présenteront ; néanmoins je vais vous donner quelques conseils généraux dont vous pourrez faire usage dans l'occasion.

Si vous êtes dix fois plus fort en nombre que n'est l'ennemi, environnez-le de toutes parts ; ne lui laissez aucun passage libre ; faites en sorte qu'il ne puisse ni s'évader pour aller camper ailleurs, ni recevoir le moindre secours. Si vous avez cinq fois plus de monde que lui, disposez tellement votre armée, qu'elle puisse l'attaquer par quatre cotés à la fois, lorsqu'il en sera temps. Si l'ennemi est une fois moins fort que vous, contentez-vous de partager votre armée en deux. Mais si de part et d'autre il y a une même quantité de monde, tout ce que vous pouvez faire c'est de hasarder le combat ; si au contraire vous êtes moins fort que lui, soyez continuellement sur vos gardes, la plus petite faute serait de la dernière conséquence pour vous. Tâchez de vous mettre à l'abri, et évitez autant que vous le pourrez d'en venir aux mains avec lui : la prudence et la fermeté d'un petit nombre de gens peuvent venir à bout de lasser et de dompter même une nombreuse armée.

Celui qui est à la tête des armées peut se regarder comme le soutien de l'État, et il l'est en effet. S'il est tel qu'il doit être, le royaume sera dans la prospérité ; si au contraire il n'a pas les qualités nécessaires pour remplir dignement le poste qu'il occupe, le royaume en souffrira infailliblement, et se trouvera peut-être réduit à deux doigts de sa perte. Un général ne peut bien servir l'État que d'une façon ; mais il peut lui porter un très grand préjudice de bien des manières différentes. Il faut beaucoup d'efforts et une conduite que la bravoure et la prudence accompagnent constamment pour pouvoir réussir : il ne faut qu'une faute pour tout perdre ; parmi les fautes qu'il peut faire, de combien de sortes n'y en a-t-il pas ? S'il lève des troupes hors de saison, s'il les fait sortir lorsqu'il ne faut pas qu'elles sortent, s'il n'a pas une connaissance exacte des lieux où il doit les conduire, s'il leur fait faire des campements désavantageux, s'il les fatigue hors de propos, s'il les fait revenir sans nécessité, s'il ignore les besoins de ceux qui composent son armée, s'il ne fait pas le genre d'occupation auquel chacun d'eux s'exerçait auparavant, afin d'en tirer parti suivant leurs talents ; s'il ne connaît pas le fort et le faible de ses gens, s'il n'a pas lieu de compter sur leur fidélité, s'il ne fait pas observer la discipline dans toute la rigueur, s'il manque du talent de bien gouverner, s'il est irrésolu et s'il chancelle dans les occasions où il faut prendre tout à coup son parti, s'il ne sait pas dédommager à propos ses soldats lorsqu'ils auront eu à souffrir, s'il permet qu'ils soient vexés sans raison par leurs officiers, s'il ne sait pas empêcher les dissensions qui pourraient naître parmi les chefs : un général qui tomberait dans ces fautes épuiserait d'hommes et de vivres le royaume, déshonorerait sa patrie, et deviendrait lui-même la honteuse victime de son incapacité.

Pour être victorieux de ses ennemis, cinq choses principalement sont nécessaires à un général. 1° Savoir quand il est à propos de combattre, et quand il convient de se retirer. 2° Savoir employer le peu et le beaucoup suivant les circonstances. 3° Montrer autant d'affection aux simples soldats qu'on peut en témoigner aux principaux officiers. 4° Profiter de toutes les circonstances prévues ou imprévues. 5° Être sûr de n'être point démenti par le souverain dans tout ce qu'on peut tenter pour son service et pour la gloire de ses armes. Avec cela, si vous joignez à la connaissance que vous devez avoir de vous-même, et de tout ce que vous pouvez ou ne pouvez pas, celle de tous ceux qui sont sous vos ordres, eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si vous ne connaissez que ce que vous pouvez vous-même, si vous ignorez ce que peuvent vos gens, vous vaincrez une fois ; une fois vous serez vaincu : mais si vous n'avez ni la connaissance de vous-même, ni celle de ceux à qui vous commandez, vous ne compterez vos combats que par vos défaites.

Article IV

De la contenance des troupes

Sun-tse dit : Anciennement ceux qui étaient expérimentés dans l'art des combats ne s'engageaient jamais dans des guerres qu'ils prévoyaient ne devoir pas finir avec honneur. Avant que de les entreprendre, ils étaient comme sûrs du succès. Si l'occasion d'aller contre l'ennemi n'était pas favorable, ils attendaient des temps plus heureux. Ils avaient pour principe que l'on ne pouvait être vaincu que par sa propre faute, qu'on n'était jamais victorieux que par la faute des ennemis. Ainsi, les habiles généraux savaient d'abord ce qu'ils devaient craindre ou ce qu'ils avaient à espérer, ils avançaient ou reculaient la campagne, ils donnaient bataille ou ils se retranchaient, suivant les lumières qu'ils avaient, tant sur l'état de leurs propres troupes que sur celui des troupes de l'ennemi. S'ils se croyaient plus forts, ils ne craignaient pas d'aller au combat et d'attaquer les premiers. S'ils voyaient au contraire qu'ils fussent plus faibles, ils se retranchaient et se tenaient sur la défensive.

L'art de se tenir à propos sur la défensive ne le cède point à celui de combattre avec succès. Ceux qui veulent réussir dans le premier doivent s'enfoncer jusqu'au centre de la terre. Ceux au contraire qui veulent briller dans le second, doivent s'élever jusqu'au neuvième ciel. Sa propre conservation est le but principal qu'on doit se proposer dans ces deux cas. Savoir l'art de vaincre comme ceux qui ont fourni cette même carrière avec honneur, c'est précisément où vous devez tendre : vouloir l'emporter sur tous, et chercher à raffiner dans les choses militaires, c'est risquer de ne pas égaler les grands maîtres, c'est s'exposer à rester même infiniment au-dessous d'eux ; car c'est ici où ce qui est au-dessus du bon, n'est pas bon lui-même. Remporter des victoires par le moyen des combats a été regardé de tout temps par l'univers entier comme quelque chose de bon : mais j'ose vous le dire, c'est encore ici où ce qui est au-dessus du bon est souvent pire que le mauvais.

Il ne faut pas que les quadrupèdes aient une force extraordinaire pour porter vers la fin de l'automne la quantité de nouveaux poils dont leurs corps se chargent chaque jour : il ne faut pas avoir les yeux bien pénétrants pour découvrir les astres qui nous éclairent : il ne faut pas avoir l'oreille bien délicate pour entendre le tonnerre lorsqu'il gronde avec fracas ; rien de plus naturel, rien de plus aisé, rien de plus simple que tout cela. Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de difficultés dans les combats. Ils ont tout prévu ; ils ont paré de leur part à tous les inconvénients ; ils savent la situation des ennemis, ils connaissent leurs forces, et n'ignorent point ce qu'ils peuvent faire et jusqu'où ils peuvent aller ; la victoire est une suite naturelle de leur savoir et de leur bonne conduite.

Tels étaient nos anciens : rien ne leur était plus aisé que de vaincre ; aussi ne croyaient-ils pas que les vains titres de vaillants, de héros, d'invincibles, fussent un tribut d'éloges qu'ils eussent mérité. Ils n'attribuaient leur succès qu'au soin extrême qu'ils avaient eu d'éviter jusqu'à la plus petite faute.

Avant que d'en venir au combat, ils tâchaient d'humilier leurs ennemis, ils les mortifiaient, ils les fatiguaient de mille manières. Leurs propres camps étaient des lieux toujours à l'abri de toute insulte, des lieux toujours à couvert de toute surprise, des lieux toujours impénétrables. Ces généraux croyaient que pour vaincre, il fallait que les troupes demandassent le combat avec ardeur ; et ils étaient persuadés que lorsque ces mêmes troupes demandaient la victoire avec empressement, il arrivait ordinairement qu'elles étaient vaincues. C'est ainsi que d'un ton assuré ils osaient prévoir les triomphes ou les défaites, avant même que d'avoir fait un pas pour s'assurer des uns ou pour se préserver des autres.

Vous donc qui êtes à la tête des armées, n'oubliez rien pour vous rendre dignes de l'emploi que vous exercez. Jetez les yeux sur les mesures qui contiennent les quantités, et sur celles qui déterminent les dimensions ; rappelez-vous les règles du calcul ; considérez les effets de la balance ; examinez ce que c'est que la victoire ; faites sur tout cela de profondes réflexions, et vous aurez tout ce qu'il faut pour n'être jamais vaincus par vos ennemis.

Les considérations sur les différentes mesures vous conduiront à la connaissance de ce que la terre peut offrir d'utile pour vous : vous saurez ce qu'elle produit, vous profiterez toujours de ses dons : vous n'ignorerez point les différentes routes qu'il faudra tenir pour arriver sûrement au terme que vous vous serez proposé.

Par les règles du calcul vous apprendrez à distribuer, toujours à propos, les munitions de guerre et de bouche, à ne jamais donner dans les excès du trop ou du trop peu.

La balance fera naître en vous l'amour de la justice et de l'équité ; les récompenses et les châtiments suivront toujours l'exigence des cas.

Enfin, si vous rappelez dans votre esprit les victoires qui ont été remportées en différents temps, et toutes les circonstances qui les ont accompagnées, vous n'ignorerez point les divers usages qu'on en aura faits, et vous saurez quels sont les avantages qu'elles ont procurés, ou quels sont les préjudices qu'elles auront portés aux vainqueurs eux-mêmes.

Vingt onces ne firent jamais équilibre avec douze grains. Si ces deux sortes de poids sont placés séparément dans les deux bassins d'une même balance, les onces enlèveront les grains, sans presque aucun obstacle de la part de ceux-ci. Soyez à vos ennemis ce que les onces sont aux grains. Après un premier avantage n'allez pas vous endormir ou vouloir donner à vos troupes un repos hors de saison. Poussez votre pointe avec la même rapidité qu'un torrent qui se précipiterait de mille toises de haut. Que votre ennemi n'ait pas le temps de se reconnaître, ne pensez à recueillir les fruits de votre victoire, que lorsque sa défaite entière vous aura mis en état de le faire sûrement, avec loisir et tranquillité.

Article V

De l'habileté dans le gouvernement des troupes

Sun-tse dit : Ayez les noms de tous les officiers tant généraux que subalternes ; inscrivez-les dans un catalogue à part, avec la note des talents de la capacité de chacun d'eux, afin de pouvoir les employer avec avantage lorsque l'occasion en sera venue, faites en sorte que tous ceux que vous devez commander soient persuadés que votre principale attention est de les préserver de tout dommage. Les troupes que vous ferez avancer contre l'ennemi doivent être comme des pierres que vous lanceriez contre des œufs. De vous à l'ennemi il ne doit y avoir d'autre différence que celle du fort au faible, du vide au plein. Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret. Voilà en peu de mots en quoi consiste l'habileté et toute la perfection même du gouvernement des troupes. Le grand jour et les ténèbres, l'apparent et le secret ; voilà tout l'art. Ceux qui le possèdent sont comparables au Ciel et à la Terre, dont les opérations ne sont jamais sans effet : ils ressemblent aux fleuves et aux mers dont les eaux ne sauraient tarir. Fussent-ils plongés dans les ténèbres de la mort, ils peuvent revenir à la vie : comme le soleil et la lune, ils ont le temps où il faut se montrer, et celui où il faut disparaître : comme les quatre saisons, ils ont les variétés qui leur conviennent : comme les cinq tons de la musique, comme les cinq couleurs, comme les cinq goûts, ils peuvent aller à l'infini. Car qui a jamais entendu tous les airs qui peuvent résulter de la différente combinaison des tons ? Qui a jamais vu tout ce que peuvent présenter les couleurs différemment nuancées ? Qui a jamais savouré tout ce que les goûts différemment tempérés peuvent offrir d'agréable ou de piquant ? On n'assigne cependant que cinq couleurs et cinq sortes de goûts.

Dans l'art militaire et dans le bon gouvernement des troupes, il n'y a, en général, que deux sortes de choses, celles qu'il faut faire en secret, et celles qu'il faut faire à découvert : mais dans la pratique c'est une chaîne d'opérations dont on ne saurait voir le bout ; c'est comme une roue en mouvement qui n'a ni commencement ni fin.

Dans l'art militaire chaque opération particulière a des parties qui demandent le grand jour, et des parties qui veulent les ténèbres du secret. Vouloir les assigner, cela ne se peut ; les circonstances peuvent seules les faire connaître et les déterminer. On oppose les plus grands quartiers de rochers à des eaux rapides dont on veut resserrer le lit : on n'emploie que des filets faibles et déliés pour prendre les petits oiseaux. Cependant le fleuve rompt quelquefois ses digues après les avoir minées peu à peu, et les oiseaux viennent à bout de briser les chaînes qui les retiennent, à force de se débattre. Quelque bonnes, quelque sages que puissent être les précautions que vous aurez prises, ne cessez pas un moment d'être sur vos gardes, veillez sur tout, pensez à tout : qu'une présomptueuse sécurité n'approche jamais de vous ni de votre camp.

Ceux-là possèdent véritablement l'art de bien gouverner les troupes, qui ont su et qui savent rendre leur puissance formidable, qui ont acquis une autorité sans borne, qui ne se laissent abattre par aucun événement, quelque fâcheux qu'il puisse être ; qui ne font rien avec précipitation ; qui se conduisent, lors même qu'ils sont surpris, avec le sang froid qu'ils ont ordinairement dans les actions méditées et dans les cas prévus longtemps auparavant, qui agissent toujours dans tout ce qu'ils font, avec cette promptitude qui n'est guère que le fruit de l'habileté, jointe à une longue expérience.

La force de ces sortes de guerriers est comme celle de ces grands arcs qu'on ne saurait bander sans le secours de quelque machine. Leur autorité a l'effet des terribles armes qu'on lance avec des arcs ainsi bandés : tout plie sous leurs coups, tout est renversé. Tels qu'un globe qui présente une égalité parfaite entre tous les points de sa surface, ils sont également forts partout ; partout leur résistance est la même. Dans le fort de la mêlée et d'un désordre apparent, ils savent garder un ordre que rien ne saurait interrompre, ils font naître la force du sein même de la faiblesse, ils font sortir le courage et la valeur du milieu de la poltronnerie de la pusillanimité. Mais savoir garder un ordre merveilleux au milieu même du désordre, cela ne se peut, sans avoir fait auparavant de profondes réflexions sur tous les événements qui peuvent arriver. Faire naître la force du sein même de la faiblesse, cela n'appartient qu'à ceux qui ont une puissance absolue et une autorité sans bornes. Savoir faire sortir le courage et la valeur du milieu de la poltronnerie de la pusillanimité, c'est être héros soi-même, c'est être plus que héros, c'est être au-dessus des plus intrépides.

Quelque grand, quelque merveilleux que tout cela paraisse, j'exige cependant quelque chose de plus encore de ceux qui gouvernent les troupes, c'est l'art de faire mouvoir à son gré les ennemis. Ceux qui le possèdent, cet art admirable, disposent de la contenance de leurs gens et de l'armée qu'ils commandent, de telle sorte qu'ils font venir l'ennemi toutes les fois qu'ils le jugent à propos : ils savent faire des libéralités quand il convient, ils en font même à ceux qu'ils veulent vaincre : ils donnent à l'ennemi et l'ennemi reçoit, ils lui abandonnent et il vient prendre. Ils sont prêts à tout ; ils profitent de toutes les circonstances ; ils ne se fient pas tellement à ceux qu'ils emploient, qu'ils n'en choisissent d'autres pour être leurs surveillants ; ils ne comptent pas tellement sur leurs propres forces, qu'ils ne mettent en usage les autres moyens qu'ils croient pouvoir leur être utiles ; ils regardent les hommes contre lesquels ils doivent combattre, comme des pierres ou des pièces de bois qu'ils seraient chargés de faire rouler de haut en bas. La pierre et le bois n'ont aucun mouvement de leur nature ; s'ils sont une fois en repos, ils n'en sortent pas d'eux-mêmes, mais ils suivent le mouvement qu'on leur imprime ; s'ils sont carrés, il s'arrêtent d'abord ; s'ils sont ronds, ils roulent jusqu'à ce qu'ils trouvent une résistance plus forte que la force qui leur était imprimée.

Vous donc qui commandez les armées, faites en sorte que l'ennemi soit entre vos mains comme une pierre de figure ronde, que vous auriez à faire rouler d'une montagne qui aurait mille toises de haut ; c'est en cela qu'on reconnaîtra que vous avez de la puissance et de l'autorité, et que vous êtes véritablement digne du poste que vous occupez.

Article VI

Du plein et du vide

Sun-tse dit : Une des choses les plus essentielles que vous ayez à faire avant le combat, c'est de bien choisir le lieu de votre campement. Pour cela il faut user de diligence, il ne faut pas se laisser prévenir par l'ennemi, il faut être campé avant qu'il ait eu le temps de vous reconnaître, avant même qu'il ait pu être instruit de votre marche. La moindre négligence en ce genre peut être pour vous de la dernière conséquence. En général il n'y a que du désavantage à camper après les autres.

Celui qui est chargé de la conduite d'une armée, ne doit point se fier à d'autres pour un choix de cette importance ; il doit faire quelque chose de plus encore. S'il est véritablement habile, il pourra disposer à son gré du campement même et de toutes les marches de son ennemi. Un grand général n'attend pas qu'on le fasse aller, il sait faire venir. Si vous faites en sorte que l'ennemi cherche à se rendre de son plein gré dans les lieux où vous voulez précisément qu'il aille, faites en sorte aussi de lui aplanir toutes les difficultés, de lui lever tous les obstacles qu'il pourrait rencontrer ; car si vous cherchez à l'attirer dans des lieux où il lui soit comme impossible d'aller, dans des lieux malsains, ou dont les inconvénients soient trop à découvert, vous ne réussirez pas, et vous en serez pour votre travail pour vos peines, peut-être même pour quelque chose de plus. La grande science est de lui faire vouloir tout ce que vous souhaitez qu'il fasse, et de lui fournir, sans qu'il s'en aperçoive, tous les moyens de vous seconder.

Après que vous aurez ainsi disposé du lieu de votre campement et de celui de l'ennemi lui-même, attendez tranquillement que votre adversaire fasse les premières démarches ; mais en attendant, tâchez de l'affamer au milieu de l'abondance, de lui procurer du tracas dans le sein du repos, et de lui susciter mille terreurs dans le temps même de sa plus grande sécurité. Si, après avoir longtemps attendu, vous ne voyez pas que l'ennemi se dispose à sortir de son camp, sortez vous-même du vôtre ; s'il ne veut pas se mettre en mouvement, mettez-vous-y vous-même, donnez-lui de fréquentes alarmes, faites-lui naître l'occasion de faire quelque imprudence dont vous puissiez tirer du profit.

S'il s'agit de garder, gardez avec force : ne vous endormez point. S'il s'agit d'aller, allez promptement, allez sûrement par des chemins qui ne soient connus que de vous. Rendez vous dans des lieux où l'ennemi ne puisse pas soupçonner que vous ayez dessein d'aller. Sortez tout à coup d'où il ne vous attend pas, et tombez sur lui lorsqu'il y pensera le moins.

Si après avoir marché assez longtemps, si par vos marches et contre-marches vous avez parcouru l'espace de mille li sans que vous ayez reçu encore aucun dommage, sans même que vous ayez été arrêté, concluez, ou que l'ennemi ignore vos desseins, ou qu'il a peur de vous, ou qu'il ne sait pas garder les postes qui peuvent être de conséquence pour lui. Évitez de tomber dans un pareil défaut.

Le grand art d'un général est de faire en sorte que l'ennemi ignore toujours le lieu où il aura à combattre, de lui dérober avec soin la connaissance des postes qu'il fait garder. S'il en vient à bout, et qu'il puisse cacher de même jusqu'aux moindres de ses démarches, ce n'est pas seulement un habile général, c'est un homme extraordinaire, c'est un prodige. Sans être vu, il voit ; il entend, sans être entendu ; il agit sans bruit et dispose comme il lui plaît du sort de ses ennemis.

De plus, si, les armées étant en présence, vous n'apercevez pas qu'il y ait un certain vide qui puisse vous favoriser, ne tentez pas d'enfoncer les bataillons ennemis. Si, lorsqu'ils prennent la fuite, ou qu'ils retournent sur leurs pas, ils usent d'une extrême diligence, et marchent en bon ordre, ne tentez pas de les poursuivre ; ou si vous les poursuivez, que ce ne soit jamais ni trop loin, ni dans les pays inconnus. Si, lorsque vous avez dessein de livrer la bataille, les ennemis restent dans leurs retranchements, n'allez pas les y attaquer, surtout s'ils sont bien retranchés, s'ils ont de larges fossés, des murailles élevées qui les couvrent. Si au contraire croyant qu'il n'est pas à propos de livrer le combat, vous voulez l'éviter, tenez-vous dans vos retranchements, disposez-vous à soutenir l'attaque et à faire quelques sorties utiles. Laissez fatiguer les ennemis, attendez qu'ils soient ou en désordre ou dans une très grande sécurité : vous pourrez sortir alors, et fondre sur eux avec avantage. Ayez constamment une extrême attention à ne jamais séparer les différents corps de vos armées. Faites qu'ils puissent toujours se soutenir aisément les uns les autres ; au contraire faites faire à l'ennemi le plus de diversion qu'il se pourra. S'il se partage en dix corps, attaquez chacun d'eux séparément avec votre armée toute entière ; c'est le véritable moyen de combattre toujours avec avantage. De cette sorte, quelque petite que soit votre armée, le grand nombre sera toujours de votre côté. Or toutes choses étant d'ailleurs égales, la victoire se déclare ordinairement pour le grand nombre.

Que l'ennemi ne sache jamais comment vous avez intention de le combattre, ni la manière dont vous vous préparez à l'attaquer, ou à vous défendre. S'il l'ignore absolument, il fera de grands préparatifs, il tâchera de se rendre fort de tous les côtés, il divisera ses forces et c'est justement ce qui sera sa perte.

Pour vous, n'en faites pas de même : que vos principales forces soient toutes du même côté ; si vous voulez attaquer de front, mettez à la tête de vos troupes, tout ce que vous avez de meilleur. On résiste rarement à un premier effort, comme au contraire on se relève difficilement, quand on a d'abord du dessous. L'exemple des braves suffit pour encourager les plus lâches. Ceux-ci suivent sans peine le chemin qu'on leur montre ; mais ils ne sauraient eux-mêmes le frayer. Si vous voulez faire donner l'aile gauche, tournez tous vos préparatifs de ce côté-là, mettez à l'aile droite ce que vous avez de plus faible ; mais si vous voulez vaincre par l'aile droite, que ce soit à l'aile droite aussi que soient vos meilleures troupes et toutes votre attention.

Ce n'est pas tout : comme il est essentiel que vous connaissiez à fond le lieu où vous devez combattre, il n'est pas moins important que vous soyez instruit du jour, de l'heure, du moment même du combat ; c'est une affaire de calcul sur laquelle il ne faut pas vous négliger. Si l'ennemi est loin de vous, sachez jour par jour le chemin qu'il fait, suivez-le pas à pas, quoiqu'en apparence vous restiez immobile dans votre camp ; voyez tout ce qu'il fait, quoique vos yeux ne puissent pas aller jusqu'à lui : écoutez tous ses discours, quoique vous soyez hors de portée de l'entendre : soyez témoin de toute sa conduite, entrez même dans le fond de son cœur pour y lire ses craintes ou ses espérances.

Pleinement instruit de tous ses desseins, de toutes ses marches, de toutes ses actions, vous le ferez venir chaque jour précisément où vous voulez qu'il arrive. En ce cas vous l'obligerez à camper de manière que le front de son armée ne puisse pas recevoir du secours de ceux qui sont à la queue, que l'aile droite ne puisse pas aider l'aile gauche, et vous le combattrez ainsi dans le lieu et au temps qui vous conviendront le plus.