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Camille Lemonnier, né à Ixelles, Belgique le 24 mars 1844 et mort dans sa ville natale le 13 juin 1913, est un écrivain belge.
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Veröffentlichungsjahr: 2017
Camille Lemonnier
Les charniers
Avant-propos
Ce livre a été écrit il y a dix ans, à peu près jour pour jour, et presque dans le sang. Nul étonnement donc qu’il soit rouge et par la forme et par le fond. Il a été écrit d’ailleurs, comme il a été vu, avec l’horreur réfléchie de la guerre.
Aujourd’hui qu’il y a un apaisement dans les esprits, il sera considéré comme une curiosité douloureuse. L’auteur n’entend pas raviver les plaies anciennes : les haines sont en dehors de sa pensée. Il montre simplement la guerre, telle qu’elle fait les vainqueurs et les vaincus.
La différence des temps le contraignait à modifier certaines vivacités de langage : le livre qui paraît en 1880, à peu de modifications près, est le même que celui qui parut en 1870.
Les rares lecteurs du livre d’alors s’apercevraient seulement d’un scrupule littéraire plus grand.
On ne saurait entourer d’assez de sévérité l’obscur hommage d’un petit livre à une grande Nation.
C. L.
Octobre1880.
Introduction
Comment nouâmes-nous amitié ? Par hasard. En automne, un soir, il y a quelques années, au moment où je me disposais à gagner les hauteurs voisines de mon domicile, afin d’oublier en présence du spectacle de la nature, les basses actions des hommes (on portait en triomphe, ce jour-là, le corps du pire des liberticides au Père La Chaise), le facteur rural me remit en mains propres un très bel in-octavo dont tel est le titre : Courbet et ses œuvres ; et ce livre illustré d’aqua-tintes par MM. Collin, Desboutin, Courtry, Trimolet et Waltner, était signé : Camille Lemonnier. « Un flamand », murmurai-je avec cette aversion instinctive des races du Midi pour les froids septentrionaux ; oh ! ma foi, plus tard ; aujourd’hui, laissons cela. » Néanmoins j’emportai le tome et le lus à l’ombre des chênes sur un coteau d’où l’on domine la merveilleuse vallée de la Seine et qui regarde ce Mont-Valérien dont la possession, en avril 1871, eut peut-être assuré la victoire aux généreux citoyens de Paris et leur eut ainsi permis de doter la France d’une République tout autre que celle où les Thiers, les Favre, les Picard, les Dufaure, les Broglie, les Mac-Mahon, les Buffet, les Cissey, les Galliffet, les Simon et tutti quanti se manifestèrent et se vouèrent à l’exécration de la postérité. Bien m’en avait pris de ne pas jeter ce volume au tas, ainsi que les maréchaux de lettres y fourrent les essais de leurs obscurs sous-lieutenants, car je rentrai chez moi ravi, ne songeant plus à cette lugubre mascarade commencée, dans la journée, à Notre-Dame-de-Lorette, continuée sur les grands boulevards et terminée enfin au cimetière de l’Est. « Tenez, dis-je aux miens accourus à ma rencontre, voici quelqu’un ! » Et je leur montrai mon compagnon de route. « Apportez-le vite aux relieurs, ajoutai-je, et qu’on le vête d’une couverture fine et solide comme lui. » Puis j’adressai sur-le-champ à l’auteur un de ces billets sincères, sans rien de théâtral ni de convenu que se rappellent avec une égale émotion, au bout de vingt ans, et celui qui l’a envoyé et celui qui l’a reçu. La réponse du destinataire ne tarda pas à me parvenir. Un nouvel ami m’était né. Curieux de mieux nous connaître, nous correspondîmes pendant près d’un an et bientôt il fut entre nous question d’une entrevue. Elle eut lieu vers les premiers jours de juin, aux alentours de la porte de Hal, à Bruxelles, en Brabant, d’où le conteur, à qui nous sommes redevables de ces , dont demeurera longtemps transi quiconque les aura parcourus, est originaire. Il suffit parfois d’un coup œil entre eux échangé pour que deux hommes étrangers jusque-là l’un à l’autre s’aiment ou se détestent. Or, si je ne parus pas être désagréable à qui m’accueillait à bras ouverts en son modeste paradis où dans le giron de sa tendre compagne rutilaient les flamboyantes chevelures de deux petits anges féminins, s’il sied d’attribuer un sexe à ces créatures immaculées ! il est certain que lui me plut beaucoup. Imaginez le plus authentique des wallons malgré sa structure germanique et son teint de Batave ; un magnifique poil-roux aux yeux smaragdins, haut en couleur et découplé comme le Tombeau-des-Lutteurs lui-même, mangeant, buvant, tapant comme un flamingant d’Audenarde ou d’Alost, avec des jovialités rabelaisiennes et des outrecuidances castillannes, mais souriant aussi comme un pur parisien. Nous nous embrassâmes en vieux camarades et, le lendemain matin, nous roulions en tilbury sur la chaussée de Nivelles au petit trot d’un cheval du Borinage qui s’était à peu près usé dans les mines de Wasmes ou de Frameries. « Eh bien, nous y voici, s’écria mon cicérone au beau milieu de l’interminable et probablement unique rue de Waterloo qui comprend autant d’estaminets que de maisons ; à vous l’honneur, mon maître, qu’en pensez-vous ? » Si nous avions été militaires, En eut signifié pour chacun de nous la guerre ou plutôt cette rude bataille de Mont Saint-Jean où, du matin au soir, il y a plus d’un demi-siècle, on s’égorgea ; mais nous étions deux pacifiques amoureux des belles-lettres, et pour lui de même que pour moi le pronom relatif ne s’appliquait qu’à notre marotte, à nos amours, et, morbleu, nous en parlâmes si chaleureusement que les ombres des champions tués en 1815, en furent assourdies sous leurs tertres, de chaque côté du chemin. Il ne me souvient guère, en vérité, des arguments que j’employai pour convaincre mon interlocuteur, assez hostile d’abord à mes doctrines, mais je n’ai nullement oublié qu’il m’interrompit tout à coup en ces termes : « Oui, vous avez raison, très cher ! une photographie, fût-elle, de Carjat ou de Nadar, sera toujours inférieure à la plus mince ébauche de Ruysdaël ou au moindre croquis de Troyon, et j’estime qu’aucun discours d’Académie ou de tribune, fût-il du docteur parlementaire Ribot ou de ce duc illettré, M. d’Audiffret-Pasquier, ne l’emportera jamais sur dix vers quelconques de la ou sur n’importe quelle demi-page de ; hé ! c’est clair ! En dépit de tous les hâbleurs du monde, et s’ils fourmillent au-delà de la Sambre, il n’en manque pas non plus en deça, rien n’existe que par la forme et tout ouvrage est mort-né qui n’est pas « écrit ». Immortelles seules sont, je l’avoue, les œuvres dont la facture est irréprochable, aussi n’en compte-t-on pas des myriades ; elles tiendraient toutes dans la bibliothèque d’un bachelier ; au diable toutefois la correction ! et comment s’exprimer selon les règles ? Elle offre, votre ou plutôt notre satanée langue, car c’est la mienne aussi, des difficultés presque insurmontables. On a beau les repousser, une masse de mots ternes et neutres entravent à tout instant votre essor, et quand, après avoir griffonné quelque peu, l’on s’épluche, on est tout étonné de n’avoir à son service que des verbes abstraits d’une accablante banalité, tels que ceux-ci : faire, dire, aller, répondre, voir, devoir, pouvoir, savoir, falloir, etc. Vous affirmez, vous, le dompteur passionné des plus rebelles vocables qu’avec beaucoup de patience et de volonté l’on aboutit à se passer de ces vulgaires auxiliaires, oui, mais à quel prix ? Un de mes anciens condisciples de collège, entre tous adroit et têtu, faillit, à ce jeu, devenir fou ; j’en fréquente un autre, naguère très robuste, que semblable exercice a totalement épuisé. Mais que vous enseigné-je là ! Nul moins que vous ne l’ignore, il n’est pas plus dangereux ni plus aisé de manier des tonnes et des bonbonnes que ces sacrés nigauds qui vous tombent du ciel ou de la plume à chaque seconde » ! « À la bonne heure ! vous y êtes, répliquai-je, et nous voilà d’accord ! Il est très difficile, professent maints indolents que tout obstacle effarouche et déconcerte ; impossible, vocifèrent quelques barbares, qui brûlent de loger Homère et Virgile aux Quinze-Vingts, d’être simple alerte et précis sans le secours de ces mots légers qui voltigent à travers la trame du discours. Allons donc ! ces voltigeurs ne sont que de lourds iconoclastes qui défigurent les images, en altèrent les nuances, en détruisent l’harmonie et froissent leur beauté ; pas de quartier à ces Vandales ! Eh ! ce n’est point eux à coup sûr que cite le grammairien en soutenant qu’ils s’enclavent dans les périodes comme les charnières aux boîtes. Usons-en rarement, et qu’ils soient réduits à la portion congrue... » Ici le Borin hennit et s’arrêta. Nous étions sur le seuil d’un hôtel assez primitif où vingt ans auparavant avaient été rédigés plusieurs chapitres, ou, si l’on préfère, plusieurs chants des Misérables ! Ayant débarqué, nous entrâmes aussitôt dans cette auberge, ainsi qu’on pénètre dans un sanctuaire, et du balcon où le « Vengeur » qui promulgua les Châtiments, avait eu pendant de longs mois sous les yeux les champs témoins d’un irréparable désastre, j’aperçus, à ma droite, sur une éminence, en plein ciel, un lion de fer fondu tourné vers nos frontières. « Est-ce là ?... » « C’est là ! » Nous sortîmes en silence et dix minutes après nous escaladions côte à côte cette montagne de sable artificielle au sommet de laquelle rugissait ce gros... ours ! Oh ! révérence parler, cette imbécile et gigantesque bête féroce et féline en est un et je ne félicite point le sculpteur qui la modela. Mais, attention ! et de la piété. Ces lieux mémorables, où, quiconque a poussé sur la terre de la Révolution, éprouve, en les contemplant, que l’amour de l’humanité n’abolit pas en nous l’amour de la patrie, cette plaine néfaste, à peine ondulée, où l’on joua nos destins, se déroulait à nos pieds et j’avais embrassé d’un regard les positions qui furent jadis disputées avec tant d’acharnement : Hougoumont, Smouhen, Papelotte, la Haie-Sainte, Planchenoit, et plus loin les pentes sur lesquelles, à peine délivrée des Bourbons et retombée sous Bonaparte, l’armée, disposée sur six lignes en forme de six V, s’échelonna : Rossomme où mon œil halluciné discernait un spectre équestre en redingote grise et coiffé du fameux tournevis, un vain fantôme d’empereur et roi, celui de l’insatiable conquérant qui précipitait, après les avoir fascinés, nos aïeux sur les nations jalouses de leur indépendance, et qui plus d’une fois, avec le retentissement et la rapidité de la foudre, avait traversé Milan, Florence, Venise, Madrid, Vienne, Berlin, Moscou, lorsque le guide qui chaque jour promène dans ces campagnes historiques des caravanes d’Allemands et d’Anglais claironna : « C’est là-bas, là-bas, en ce fond ou les blés jaunissent que Lord Uxbridge répondit à Ney qui sommait les habits rouges de déposer les armes : « La Garde meurt et ne se rend pas ! » Sans doute, ce brabançon ou plutôt cet Hennuyer, car son accentuation pâteuse nous avait révélé qu’il était natif du Haynau, ce Belge qui s’énonçait dans notre idiôme avait pris mon blond confrère pour un Écossais, et moi brun assez basané, pour quelque prussien de Poméranie ou du Brandebourg. Irrité, j’intervins, et le matois, le fourbe qui sciemment avait falsifié la légende afin de flatter une fibre nationale autre que celle d’un fils des Celtes et d’alléger notre bourse attrapa ce qu’il ne poursuivait point : un démenti bien français accompagné du mot même de Cambronne. Après quoi, nous payâmes le sot et débarrassés de lui, nous descendîmes de cette insolente pyramide de boue. En bas, on me montra divers monuments funéraires élevés autour des Quatre-Bras à la mémoire des Trans-Rhénans et des insulaires de la Grande-Bretagne ; et là, chez ce peuple demi-latin, Nervien, Gaulois, Fransquillon, notre quasi congénère, en définitive, pas une tombe, aucune pour les soldats de mon pays ! Alors une fureur chauvine, je le confesse, me secoua. Transporté, moi qui travaille avec passion comme tant d’autres à l’avènement de la fraternité humaine, moi, dont on a tant blâmé cette phrase que je ne regrette pas d’avoir écrite : « Il y en a quelques-uns ici qui se sentent beaucoup plus les frères d’un Russe, d’un Turc ou d’un Allemand soucieux de s’affranchir que de tels originaires de France, épris de leurs chaînes ! » Oui, moi qui suis aujourd’hui ce que j’étais hier, internationaliste convaincu, j’invectivai contre l’arbre où Wellington, ce Fabius d’un autre Annibal, ce général compassé, plus heureux que sagace et point hardi, ne dispersa que par raccroc ces incomparables légions du Cycle révolutionnaire, qui, la veille, en suivant les pas de leur funeste capitaine, avaient culbuté près de Ligny le soudard Blücher, surnommé Vorvœrts, lequel, ce même jour, recula de façon à prouver à ses lansquenets comme à ses réîtres qu’il n’était pas très digne du sobriquet dont ils l’avaient décoré ; puis m’efforçant à reconnaître sous la poussière et dans l’herbe la trace de mes compatriotes vaincus après cent batailles, ou plutôt après cent victoires, je courus hors de moi vers un pli de terrain où la végétation plus drue me révélait des gisements de chairs et d’os, et là, sur ce gras monticule qui jadis avait été la ravine appelée le chemin creux d’Ohain, je baisai tout vibrant, tout attendri la place où se consument les débris de nos « bonnets à poils » et de nos « casques sans crins » et j’y cueillis, salué par les oiseaux, caressé par les insectes, un bouquet de ces fleurs agrestes, une belle touffe de ces pensées sauvages qu’on nomme aussi violettes tricolores, dont je fis deux parts, expédiées le soir même, l’une à ma femme alors en Quercy, l’autre à Victor Hugo, qui regrette qu’aucun agent de postes de Paris ne lui ait point transmis la lettre enveloppant ce don patriotique et tout à la fois cet humble hommage à son génie... « Ah ! murmura tristement en remontant en voiture, après m’avoir serré la main, celui qui dans cette œuvre vécue flagelle le couard de Sedan ; nous nous comprenons et je souffre avec vous !... » Inutile de constater, je présume, qu’en nous en retournant par la forêt de Soignes d’où jadis, sans Bourmont et Grouchy, ceux d’Albion ne se fussent peut-être pas dépêtrés, nous ne pensâmes plus à disserter sur l’esthétique. Elle ne fut reprise, cette discussion tronquée, à laquelle il importe cependant de remordre, qu’à mon retour d’Anvers où m’avait escorté l’excellent graveur Le Nain (il m’a transfiguré depuis en joli garçon, beaucoup trop joli ; la clientèle de Lemerre et celle de Kistemaekers l’en accuseront bientôt avec moi !) qui m’en ramena très mal en point, assez détraqué pour être contraint à garder la chambre et le lit une huitaine durant. « Or çà, puisque vous voilà prisonnier en ce logis, s’exclama certain soir mon hôte, pendant ma convalescence, qu’abrégèrent autant que possible les soins assidus et désintéressés du savant docteur Joux, le plus cordial allopathe qui fleurisse actuellement sur les bords de la Senne (par 2 n), on vous lira ces élucubrations, et surtout, après m’avoir ouï, ne me traitez pas comme le divin Phæbus-Apollo traita jadis le trop présomptueux Marsyas... » Et là dessus, il me soumit trois copies d’originaux qu’un calligraphe hors de pair avait burinées et je certifie que je déchiffrai cette cursive monumentale avec moins de peine que les pattes de mouche de l’auteur : d’abord, une étude rustique, , où respirent et se meuvent tous les forestiers du Brabant méridional, ensuite des récits idylliques pour la jeunesse où ce forgeron de mots prouve que ses mains habituées à soulever de lourds marteaux, sont habiles aussi à se servir des plus délicats pastels ; enfin un roman anversois, sans titre, et de tous ces travaux-là, celui-ci ne me charma pas le moins. Oh ! je crus lire des toiles de Rubens. Encore ébloui par les merveilles architecturales et picturales que j’avais visitées naguère, j’y retrouvai le vieil Antwerpen avec ses cathédrales brodées comme des dentelles, ses flèches ajourées, ses maisons hydrauliques, ses pignons, ses tourelles, ses carrefours, ses étroites rues peuplées de placides bourgeois, artisans et marchands la plupart, son hôtel de ville dont les charpentes et les pierres « enseignent et parlent », ses palais plébéiens où siégeaient les délégués des corporations et métiers, ses imprimeries primordiales ornées des portraits authentiques des fondateurs en pourpoint et fraise à l’Espagnole, ses donjons qui recèlent des cachots, des oubliettes, des , des prétoires où les inquisiteurs du Saint-Office jugeaient, condamnaient sans répit, protégés contre leurs innocentes victimes par les miquelets du farouche Alvarez de Tolède, des chapelles où les Gueux des Pays-Bas, étaient obligés, pieds nus et la corde au cou, de psalmodier leur propre (sanguinaire avocat en frac noir ou pandour en épaulettes d’or, un bourreau érudit de Versailles se serait-il remémoré cela pendant la Commune, et ne fût-ce pas à son instigation qu’on forçait les fédérés captifs à creuser leur propre fosse en présence du peloton fatal ?) et des cours où, parfois, sous la surveillance du duc d’Albe lui-même, s’exécutaient les sentences des tribunaux ecclésiastiques ou laïques, ainsi qu’en témoignent des billots, des haches, un glaive triangulaire façonné comme le couteau de la guillotine, diverses fourches patibulaires, des estrapades, des chevalets, des coins de fer et de bois, des massues, des sièges de granit surmontés de carcans incrustés dans la muraille ; on pratiquait déjà la garrote en ce temps-là ! mille autres engins de supplice et toutes sortes d’instruments de tortures qui se rouillent et pourrissent en plein air ; et j’y reconnus aussi la cité moderne avec ses squares, ses avenues, ses quinconces, ses parcs, ses stations, ses ferronneries, ses musées où Van der Weyden, Jean Van Eyck, Hemling, Quinten Matzys, Tobie Verhaegt, Van Oort, Otto Vénius, Van Dyck, Adrien Brauwer, Metzu, Jan Steen, Téniers, Jordaëns et tutti quanti fraternisent, morts vivants, sous la royale présidence de leur successeur ou de leur élève, leur maître à tous ; la ville neuve avec sa ceinture de campagnes vertes et plates, ses horizons brumeux sous lesquels s’estompent les prairies limoneuses de la Néerlande conquises par l’homme sur la mer, ses ciels gris et limpides où se reflètent les eaux des fleuves intérieurs et des océans limitrophes, ses quais où des débardeurs herculéens chargent sans cesse des haquets à quatre roues qu’entraînent, en soulevant une gerbe d’étincelles sur le pavé, d’énormes chevaux d’Ypres aussi doux que des ouailles, son port prestigieux aux parfums salins où flottent des navires partis de tous les points du globe, son Escaut verdâtre que sillonnent des vapeurs, des voiliers, steamers, cotres, lougres, péniches, barques, gouvernés par des pilotes sans rivaux, et son Riddyck enfin où le Chinois et l’Éthiopien, le Portugais et l’Esclavon, le Basque et l’Hellène, le More et le Slave, l’Aryen et le Sémite s’enivrent et se mêlent avec la blanche, la rouge, la jaune, la verte et la noire, houris, sylphides, odalisques, bayadères, almées, gitanas, châtelaines, marquises, etc., dans un éden composite que Kong-fou-tsee, ni Zoroastre, ni Moïse, ni Jésus, ni Mahomet, ni Swedenborg ne révèrent et sous l’œil des bons citadins engloutissant des moos et fumant leurs pipes de porcelaine à côté de leurs candides épouses dont nulle obscénité n’offense la pudeur et de leur rose, grasse et rousse marmaille, en qui l’odeur férine des ruts et le bruit de tant de fauves baisers n’éveille aucun désir charnel... « Hé bien, déclarai-je en rendant les manuscrits à qui m’avait consulté sur leur mérite, à mon avis, il n’y a pas là de lacune, tout y est et ça va ! » « Si j’ai confiance en quelqu’un, riposta-t-il avec sincérité, c’est en vous ; et pourtant excusez ma franchise, je doute. » Ah ! le cri me toucha... Je doute !... Et celui qui venait de prononcer ces terribles syllabes, qu’une bouche invisible bourdonne sans cesse aux oreilles des méditateurs est un esprit dès longtemps éprouvé. Lui, c’est lui qui depuis la fin prématurée de Charles de Coster, le tenace évocateur d’Uylenspiegel, le Jacques Bonhomme Flamand, marque le pas en Belgique (Henri Conscience n’a jamais été qu’une étoile de second ordre), et je ne sache pas qu’à l’heure actuelle nous ayons en France un seul critique d’art qui soit de taille à lui être comparé. Qu’on ouvre d’ailleurs, qu’on feuillette Courbet et ses œuvres, où le large brosseur d’Ornans est pris sur le vif, , où celles de Corot et de Millet sont frappées au bon coin, et même le Salon de Paris en 1870, et l’on s’instruira. Là-dessus, moi je suis édifié plus que suffisamment. En outre, il a produit en tant que romancier les , à propos de quoi Taine, qui s’y connaît sans doute, lui tira le chapeau, puis où dans la phrase française se moule un patois saxon ; , qui parut un peu rébarbatif à nos frivoles boulevardiers, et force brochures dont à la veillée on épèle la traduction sous les toits de fermes, et que les enfants apprennent par cœur dans les écoles de Flandre. Or, ce piocheur, ce pionnier, dont la faculté d’assimilation et la puissance de labeur confondent, avait raison, bien raison de se défier de ses efforts et de leurs résultats : aucun Icare ne vole d’emblée à l’instar de l’oiseau, pas un chercheur n’arrive sans peine à se trouver soi-même, et peut-être sentait-il, lui, qu’il n’y avait pas encore réussi, bien différent en cela de maint arrogant qui pastiche Pierre ou Paul et se décerne au début un brevet de créateur. Halte là ! doucement ! tout beau ! Crée-t-on lorsque chaque page, qu’on barbouille, chaque ligne que l’on trace portent l’empreinte d’autrui : celles-ci d’un poète, celles-là d’un prosateur, telles autres de certain philosophe ou de quelque historien. Évidemment tout cadet procède de ses aînés : Shakespeare eut des précurseurs dont il s’inspira ; Racine imita les Grecs, on sait à quelles sources puisa le grand Corneille : à quels pauvres, Molière, si riche cependant, emprunta sans vergogne, et, pour ne parler que des contemporains, est-ce que le premier d’entre eux n’a pas d’ancêtres avérés ? Eh ! si. Ceux, tous ceux que nous considérons à juste titre comme nos modèles se formèrent eux-mêmes d’après des modèles. Un ignare doublé d’un cuistre et triplé d’un brouillon oserait seul soutenir la thèse contraire. On provient donc, chacun de nous dérive d’un aïeul ou d’un père ou d’un frère intellectuel, le point est indiscutable, oui ; mais après s’être servi des formules des initiateurs, il s’agit d’en inventer une soi-même, en d’autres termes, de dégager sa personnalité de celles qui l’ont engendrée ou plutôt suscitée, et voilà le hic ! Qu’on y parvienne, et, si la nature vous accorda une ombre d’originalité, vous vous démasquerez peu à peu, en acquérant le reste, c’est-à-dire l’outil ; ébauchoir, plume ou pinceau ! car il importe que tout ouvrier bien trempé possède sa marque de fabrique. Aussi bien loti qu’il ait été dès sa naissance, quelque sanguin ou nerveux que soit son tempérament, et souple sa cervelle, il ne serait jamais personne, si toute parcelle de son œuvre n’arrachait pas à ses admirateurs et surtout à ses critiques cet aveu : « Ça, c’est du X, du N, du M ou du K. ». Que le monde, au contraire, le répute habile et qu’il devienne quelqu’un aura-t-il le droit alors de se proclamer artiste accompli ? Pas encore. Et quand donc enfin cela ? Jamais ! « Inaccessible est la perfection », avons-nous avancé dans la préface de , d’Hector France, un rude jouteur auquel nous souhaitons de garder ses qualités et de perdre ses défauts, sensiblement atténués, selon divers rapports, dans , nouvelle étude algérienne sous presse chez Unsinger, pour notre éditeur du passage Choiseul ; « inaccessible, hélas ! est la perfection, et l’opiniâtre, qui ne se contente pas d’avoir obtenu le relatif, succombe, si robuste soit-il, à poursuivre absolu ». Loin de retirer ces paroles, nous les maintenons, seulement on nous permettra d’ajouter qu’il est du devoir de tous de tâcher de l’atteindre et que chacun de nous a le droit de suivre pour cela la route qui lui convient le mieux. Il a choisi, lui, Lemonnier, Camille Lemonnier, celle que ses instincts de praticien tourmenté l’invitaient à parcourir ; et friand de tous les effets du langage ainsi que curieux de tous les genres de roman il a successivement abordé le large tableau selon la manière des grands peintres nos devanciers et le léger croquis où s’ébauche une création rudimentaire, heureuses tentatives qui lui valent aux yeux mêmes des critiques de son pays une place à côté de ces génies du Nord : Dickens, Andersen, Auerback, etc. Bref le voici tour à tour sollicité par l’incisive clarté de Voltaire, la verve étincelante de Diderot, l’imposante solennité de Jean-Jacques, l’emphatique magnificence de Chateaubriand, la mélancolie aiguë de Musset, l’hystérisme mystique de Georges Sand, la fastueuse distinction d’Alfred de Vigny, la sévère ordonnance de Leconte de Lisle, l’exquise plainte rythmique de Lamartine, la sécheresse subjuguante de Stendhal, les perfides sous-entendus de Sainte-Beuve, l’élégante et mathématique ténuité de Mérimée, la hardiesse précieuse des Goncourt, le charme féminin de Renan, l’éloquent dandysme de Barbey d’Aurevilly, l’incomparable rhétorique de Saint-Victor, la magistrale exactitude de Flaubert, les éblouissantes arabesques de Théophile Gautier, la colossale griffe de Balzac, l’expression souveraine de Baudelaire et le prodigieux coup d’aile de celui que l’architecte de Salammbô nommait familièrement et respectueusement : Papa. Demain peut-être, à force de perfectionner ses flèches, cet infatigable archer touchera-t-il le but que tant d’autres ont vainement visé ; mais, quoi qu’il advienne de ses nobles tentatives, il n’adoptera jamais, nous en sommes garant, cette phraséologie impersonnelle et bureaucratique que certains hâbleurs aujourd’hui prônent tapageusement comme le nec plus ultra de la perfectibilité du style et même comme le comble du vrai, voire du beau !
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