Les débuts de l'hispanisme en France - Jean Bélorgey - E-Book

Les débuts de l'hispanisme en France E-Book

Jean Bélorgey

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  • Herausgeber: Publishroom
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Le combat d'un professeur de langues pour instaurer l'étude de l'espagnol en France.

À la lumière d’une correspondance entretenue de 1911 à 1914 entre Gaston Rimey et Peseux-Richard, l’auteur expose le rôle de ce dernier dans le développement de l’étude des langues hispaniques en France. Simple professeur, regardé avec condescendance par les académiciens parisiens, Peseux-Richard multiplie pourtant les combats pour que la langue espagnole prenne une place prégnante dans l’éducation, et ne s’efface pas devant la langue à la mode de l’époque : l’anglais. Entre interrogations sur les méthodes d’enseignement, affaires scandaleuses, et manipulations, l’auteur retrace ici une lutte passionnante qui a dépassé la sphère de l’éducation et a secoué les bancs des salles de classes au début du XXe siècle.

Cet ouvrage propose une analyse sans concession des débuts chaotiques de l'enseignement des langues hispaniques !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Agrégé d'espagnol et titulaire d'un doctorat d'État avec une thèse sur le théâtre espagnol d'inspiration française représenté à Madrid de 1801 à 1808, Jean Bélorgey à enseigné successivement aux Universités de Paris Nanterre et Cergy Pontoise où il a créé un DESS de traduction juridique. Un fond d'archives original a servi de support au véritable western des Débuts de l'Hispanisme en France, lequel a permis à Jean Bélorgey de faire une analyse sans concession, souvent empreinte d'humour et de dérision, d'un milieu dont les acteurs n'ont rien à envier à ceux de la comédie humaine.

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Jean Bélorgey

LES DÉBUTS DE L’HISPANISME EN FRANCE

D’APRÈS UNE CORRESPONDANCE INÉDITE

INTRODUCTION

Cette correspondance inédite est composée d’un ensemble de 41 lettres, écrites au cours des années 1911, 1912, 1913, 1914 par H. Peseux-Richard à son compatriote et ami Gaston Rimey, professeur agrégé à Foix en Ariège.

L’une de ces lettres, datée du 7 octobre 1911, a pour destinataire MlleVictoria Paraire1, elle aussi professeure agrégée d’espagnol à Perpignan et co-auteur, avec Gaston Rimey, de La patria española2.

Toutes ont pour origine Paris, à l’exception de celle datée du 7 septembre 1912, qui n’a pas été envoyée de la capitale mais de Loisy en Saône-et-Loire, où l’auteur possédait une propriété. Cet ensemble, dont nous nous proposons de faire l’étude, fait partie d’un fonds d’archives et de documents qui nous ont été légués par Gaston Rimey lui-même, avant son décès, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, à Paris, en janvier 1977.

Il nous a fallu, tout d’abord, dater nombre de lettres qui ne comportaient que l’indication du jour et du mois, sans autre précision, puis profiter des nombreuses informations et renseignements recueillis pour présenter succinctement Peseux-Richard et Gaston Rimey, avec le souci constant de ne diminuer en rien l’intérêt suscité par le contenu de cette correspondance ; après quoi, nous avons consacré un certain nombre de chapitres à des questions et problèmes qui reviennent fréquemment sous la plume de Peseux-Richard et qui touchent à des préoccupations d’ordre personnel et professionnel : il y est question successivement des Anglo-saxons et des langues dites « septentrionales », de la longue polémique entre Peseux-Richard et Saillens3 dans la revue des Langues modernes, du schisme hispano-hispanique et de ses rebondissements avec le Fuero de piedra fita4et l’affaire Collet5, enfin des questions liées à l’enseignement, à la pédagogie, aux manuels et aux méthodes, aux examens et aux diplômes….

Il va sans dire qu’il nous a fallu éclaircir nombre d’allusions, identifier nombre d’acteurs et éclairer maints détails en dépouillant les revues qui, à l’époque, concernaient directement le monde de l’hispanisme : parmi elles, la Revue des Langues modernes, mais aussi laRevue pédagogique et, surtout, le Bulletin de la société d’études des professeurs de langues méridionales, qui nous ont permis de faire l’historique du milieu hispanique dans les années de l’immédiate avant-guerre 1914-1918, et de mieux comprendre certains aspects du contenu de la correspondance dont le déchiffrement posait des problèmes de compréhension et d’interprétation. Les révélations de tous ordres, les anecdotes, les vérités assénées sans précaution et en toute liberté sont un témoignage précieux qui tient au fait que cette série de lettres n’était pas destinée à être publiée et s’adressait à un ami sincère auquel il était même demandé de détruire certaines d’entre elles, par trop compromettantes.

Elles révèlent aussi la forte et attachante personnalité de leur auteur, son humour souvent grinçant quand il s’agit de porter des jugements, parfois sévères, sur les orientations de l’enseignement et sur les divisions du milieu, qui nuisent à son efficacité et à son rayonnement.

Débordant enfin ce genre de considérations, Peseux-Richard exprime aussi son point de vue sur certains « faits de société » et sur sa « philosophie » de l’existence. Dans une lettre 5 octobre 1911, il stigmatise, entre autres choses « l’esprit de complaisance et de déliquescence dont meurt notre pays », et, un peu plus tard, le 12 juillet 1912, il s’en prend aux principaux acteurs du monde politique, qu’il crible de ses traits et applaudit à la séparation des Églises et de l’État, tout en considérant qu’il s’agit là d’une « opération louche et tortueuse menée et appuyée par des gens dont l’arrière-pensée est de substituer une foi à une autre ».

L’affirmation de ses convictions et le bon sens, souvent abrupt, dont il fait preuve donnent à ces lettres l’allure d’une chronique non dénuée d’intérêt, même s’il convient de nuancer les jugements à l’emporte-pièce et les affirmations partisanes. La lecture est enfin facilitée par un style clair et élégant et une calligraphie de qualité.

NOTES

(1) Victoria Paraire est co-auteure avec Gaston Rimey du manuel La patria española et vice-présidente de la Société d’études des professeurs de langues méridionales, agrégée d’espagnol de surcroît, professeure à Perpignan et directrice des cours secondaires de Sète

(2) Cf. Jean Bélorgey, Une lettre inédite de Felipe Trigo, à la mémoire de Gaston Rimey, in Les langues néo-latines à Charles Vincent Aubrun, n° 289 ; pp.53-64, 2e tr. 1994.

(3) Professeur d’anglais à Toulouse, défenseur convaincu des langues septentrionales et contempteur acharné des langues méridionales.

(4) Cf. ; pages consacrées à cette affaire.

(5) Henri Collet était professeur d’espagnol à Paris, auteur d’une thèse sur le Mysticisme musical espagnol au XVIème siècleet d’une thèse complémentaire sur Un tratado de canto de órgano, manuscrito en la Biblioteca Nacional de Paris, soutenues le 11 mars 1913, devant la faculté des lettres de l’Université de Paris

PREMIÈRE PARTIE

LES LETTRES NON DATÉES

Dix-neuf lettres ne précisent pas l’année de leur rédaction. La première est du 18 novembre et c’est sans aucun risque d’erreur que nous pouvons affirmer qu’il s’agit du 18 novembre 1911, en effet, dans une lettre écrite la veille, Peseux-Richard explique les raisons de sa « nonchalance », ce qui nous permet de dater sa missive du lendemain, grâce, en effet, à la précision suivante : « J’ai eu juste le temps de vous expliquer hier les causes profondes de ma nonchalance. » Par ailleurs, l’auteur fait part de ses suggestions à Gaston Rimey pour son manuel scolaire La patria espanola, qui n’en est encore qu’à l’état de projet et qui ne paraîtra qu’en avril 1913.

La seconde de ces lettres est datée du 23 décembre. L’auteur y déclare qu’il a horreur des morceaux choisis ! Aurait-il fait cette déclaration et pris cette position si près de la parution de l’ouvrage de son ami, qui leur fait la plus large part ? Nous pouvons affirmer le contraire et en conclure qu’il ne peut s’agir que du 23 décembre 1911 également.

Dans une troisième lettre datée du 15 janvier, Peseux-Richard demande à Rimey s’il a lu un livre, qui vient de paraître, d’Albert Dauzat, intitulé L’Espagne telle qu’elle est ? Or, un compte rendu de ce livre, qui a défrayé la chronique de l’époque, signé Casavielle, paraît dans le numéro duBulletin de la société d’études des professeurs de langues méridionales, ce qui nous permet de dater la lettre du 15 janvier de cette année 1912.

La lettre suivante est du 11 mars et il y est question des impressions d’examen du concours de certificat primaire d’espagnol de 1912, parues dans le numéro du Bulletin de déc.-janv.-fév.- 1912, sous la signature de Gaston Rimey. Là encore, il n’est pas d’hésitation possible et nous pouvons sans crainte en conclure qu’il s’agit du 11 mars 1912.

Dans la lettre datée du 23 avril, Peseux-Richard parle du programme du brevet supérieur en en précisant le contenu. Les allusions diverses aux auteurs retenus nous permettent de nous reporter à la publication qui en est faite officiellement dans le numéro de juillet 1912 du Bulletin et de confirmer la date du 23 avril 1912.

Plus difficile est la datation des lettres suivantes des 24 mai et 24 juin. Dans la première, Peseux-Richard dit qu’il vient de faire la connaissance de Dibie. Or, celui-ci joue un rôle éminent dans le milieu hispanique de l’époque en qualité de président de la Société d’études des professeurs de langues méridionales et comme auteur, avec Fouret, de Primerospinitos, Andando et Por España, trois ouvrages qui serviront de base à l’enseignement de l’espagnol pendant de nombreuses années. La notoriété de Dibie ne peut pas laisser indifférent un autre « monstre sacré » de l’époque et il y a tout lieu de supposer qu’ils se sont connus en 1912, alors que Peseux-Richard était désireux de collaborer au Bulletin.

La lettre du 24 fait, quant à elle, référence à Vezinet et à son livre surLe roman contemporain en Espagne ainsi qu’à Dieulafoy, auteur d’une traduction des Mocedades del Cid. Les recherches entreprises ne sont pas convaincantes car l’ouvrage de Vezinet date de 1907 et nous n‘avons pas trouvé trace de la traduction de Dieulafoy. C’est donc sous toute réserve que nous pensons qu’il s’agit du 24 juin 1912.

La lettre qui suit sans indication d’année est celle du 15 octobre. Peseux-Richard fait état de son désir de recevoir La patria española et il manifeste son impatience. Il y a gros à parier que nous sommes en 1912 et qu’il s’agit des épreuves du livre car, paru en avril 1913, on ne saurait imaginer qu’il n’en a pas pris connaissance avant le 15 octobre 1913 ; ceci nous est confirmé par le fait que, dans une lettre datée du 13 avril 1913, nous apprenons que Peseux-Richard a reçu 2 exemplaires du livre qu’il a « failli tenir, dit-il, sur les fonts baptismaux » ! Enfin, tout doute s’estompe lorsqu’on lit, dans une lettre datée du 17 octobre 1912 : « Reçu La Patria. Ma première impression est excellente. » Gaston Rimey a donc fait diligence pour satisfaire son vieil ami.

Un long échange de lettres va suivre où il semble que la collaboration de Peseux-Richard est sollicitée pour la rédaction d’une Préface. Dans une lettre datée du 23 octobre, on peut lire l’affirmation selon laquelle il ne croit avoir aucun titre au droit de cité dans La Patria, ce qui permet de penser que ce 23 octobre est le 23 octobre 1912.

Une difficulté apparaît pour dater une lettre écrite le 27 octobre car, le seul indice est l’annonce de la réception par Peseux-Richard des « livres de Toro y Gomez » dont Gaston Rimey lui a parlé. Sous toute réserve, nous daterons la lettre en question du 27 octobre 1912.

Dans celle du 11 novembre, il est question d’un article assez critique écrit par Rimey dans le Bulletin sur le livre de H. Collet, intitulé Les auteurs espagnols du programme dans le numéro de la revue de sept.-oct.- nov. 1912. Nous sommes donc bien, par conséquent, en 1912. Plusieurs détails corroborent cette datation, en particulier le fait qu’il dit avoir lu le manuscrit de La Patria.

La lettre du 14 novembre fait état du désir de Talut, professeur agrégé d’espagnol aux lycées Carnot, Charlemagne et Condorcet, d’appuyer Peseux-Richard dans sa campagne de défense des langues méridionales. Cette défense a fait l’objet d’un échange d’articles entre ce dernier et Saillens, parus tout au long de 1912 dans la Revue des langues modernes et nous sommes donc bien le 14 novembre 1912, au plus fort de la bataille livrée par ces deux « champions » !

Nous n’avons aucun mal à dater de 1912 la lettre du 16 décembre où Peseux-Richard parle des lignes promises comme prologue à La Patria et du premier jeudi de 1913, celle portant la mention : « Paris, jeudi » où il dit que : « La Préface est presque achevée. » En effet dans une lettre datée Paris 13 janvier, il confirme : « Je vous ai expédié samedi soir la Préface demandée ». Il ne peut donc s’agir que du 13 janvier 1913 et la lettre précédente est bien celle du premier jeudi de janvier de cette même année.

Dans les lettres qui suivent, datées du 24 janvier, du 12 février et du 17 février, il est toujours question de la Préface et de ses avatars, aussi sommes-nous bien en 1913.

La dernière lettre non datée du 9 avril peut, elle aussi, se rapporter à 1913 car Peseux-Richard parle des déboires de sa bête noire, Henri Collet, lors de sa soutenance de thèse du 11 mars 1913.

À deux ou trois exceptions près, il nous a ainsi été possible de pallier l’absence d’indication concernant l’année, ce qui nous a permis de réunir un ensemble cohérent de lettres où apparaissent les préoccupations qui animent un représentant éminent de l’hispanisme français au cours de trois années décisives de son histoire ; les confidences, les révélations, d’ordre intime et amical, qui nous sont offertes sont un témoignage irrécusable des problèmes qui agitent à l’époque ce milieu et des difficultés éprouvées par les langues méridionales, l’italien et l’espagnol, pour s’imposer face au mastodonte que constitue déjà l’anglais et à la toute-puissance des langues dites « septentrionales », c’est-à-dire encore l’anglais mais aussi l’allemand, langue réputée « difficile » et par conséquent digne d’être prise en considération.

LES CORRESPONDANTS

Peseux-Richard

L’intérêt de ces lettres est de nous faire découvrir l’homme alors qu’il est, comme il le dit lui-même, à cinq ans de la retraite et « très en marge du monde universitaire ». Le ton des lettres, souvent désabusé, trahit chez lui une certaine amertume et il ressent profondément l’ingratitude qui lui est faite malgré sa constante contribution à la défense de l’hispanisme. N’oublions pas qu’il est un ami personnel de Raymond Foulché Delbosc qu’il a connu à l’École des hautes études au cours de Morel Fatio sur le Livre d’Alexandre et qu’il a participé au lancement de la Revue hispanique en 1894. Cette amitié ne se démentira pas et nous en suivons tous les développements dans les Apéndices à l’Epistolario de Rufino José Cuervo con Raymond Foulché Delbosc, édité par Charles Leselbaum1.

Comme son maître et ami, Peseux-Richard nous révèle qu’il a épousé ses querelles et ses disputes lors de la création du Bulletin hispanique et nous le voyons pourfendre de ses traits la « pandilla » constituée par les Mérimée, Cirot et compagnie. Un autre trait qui l’apparente à Foulché Delbosc est le fait que, comme lui, il a été, en quelque sorte, échaudé par les jurys et c’est ce qu’il laisse clairement entendre dans une longue lettre du 17 novembre 1911, lorsqu’il dit « je ne me suis plus senti le courage ou la vertu stoïque de passer des examens devant un jury que, soit dit en toute humilité, je considérais comme peu qualifié (cette crainte instinctive, je la sais pleinement justifiée) ».

La crainte en question rappelle la mésaventure vécue par Foulché Delbosc lors de ce qu’il est convenu d’appeler « l’incident Magnabal ».

S’étant présenté au certificat d’aptitude donnant alors accès à l’enseignement de l’espagnol dans les lycées en 1889, Raymond Foulché Delbosc, qui pensait n’accomplir là qu’une simple formalité, fut recalé par un obscur inspecteur d’Académie du nom de Magnabal et il eut beau remuer ciel et terre, la décision fut sans appel… Il devait bien sûr réussir l’année suivante mais cette épreuve laissa Foulché Delbosc assez amer et, toute sa vie, il fut réservé vis-à-vis des titres et des diplômes. Une lettre adressée de Madrid le 16 septembre 1912 à Gaston Rimey2 nous le confirme.

« L’agrégation, dit-il, n’a que des rapports incertains avec les études hispaniques et je ne m’inquiète guère de diplômes que possèdent ou ne possèdent pas les érudits, critiques ou chercheurs qui veulent bien réserver à la Revue hispanique le résultat de leurs travaux ».

Nous comprenons donc parfaitement le sens de l’allusion de Peseux-Richard et nous en mesurons tout l’intérêt pour mieux cerner sa personnalité. Conscient de sa valeur et des efforts qu’il a déployés en faveur de l’hispanisme naissant, il souffre malgré tout de n’être que professeur de collège et de ne pas appartenir au club des agrégés qui voit sans cesse grossir ses rangs. Il faut dire qu’il a collaboré très étroitement à laRevue hispanique et l’on ne compte pas ses articles publiés dans cette revue à laquelle il est si attaché.

Dès 1894, il fait une Reseña bibliográfica del libro titulado Curiosidades de la vida americana en Paris, escrito por Angel Cuervo, hermano de don Rufino3, puis une Recensión de la obra de Alfredo Calderón Nonadas en 1898. Enfin il écrira 3 études de fond consacrées à Pío Baroja4, Felipe Trigo5 et Jacinto Octavio Picón6.

Travailleur infatigable, nous le voyons néanmoins ressentir quelque lassitude et confier à Gaston Rimey son désir, comme il le dit lui-même avec une pointe d’humour, de « secouer sur toutes les pédagogies la poudre de ses espadrilles » ! Fatigué, il est en droit de l’être car, outre ses tâches écrasantes d’enseignant et des responsabilités familiales qui l’obligent à encore lutter, il n’économise pas ses efforts pour prendre la défense de l’espagnol et de l’italien, injustement attaqués par un pourfendeur de ces derniers, professeur d’anglais à Toulouse et désireux d’en découdre avec lui.

Plusieurs articles, fort bien tournés et d’une grande virulence, vont paraître durant l’année 1912 et jusqu’en mars 1913, signés Peseux-Richard et Saillens, dans la Revue des langues modernes. Ces articles vont secouer profondément les deux camps et élargir la brèche ouverte entre les langues méridionales et celles dites « septentrionales ».

Il va sans dire que les allusions qui y sont faites abondent dans la correspondance que nous publions et cela donne l’occasion à Peseux-Richard de déplorer un peu plus son isolement et le silence observé par les éminents représentants du monde universitaire. Ce zèle, jugé intempestif par certains, ne va pas lui attirer que des sympathies et nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement dans le chapitre consacré aux Anglo-saxons et les langues septentrionales.

Caractère entier, ombrageux même, désireux de se justifier à tout propos, Peseux-Richard trouve en Gaston Rimey un interlocuteur de choix et il se laisse aller aux confidences sur sa famille, catholique libérale, son éducation, sa formation, son milieu professionnel, son goût pour une vie exempte de mondanités et d’intrigues, préoccupée uniquement de bien-vivre et de sérénité empreinte de philanthropie.

Les lettres des 17 novembre 1911 et 12 juillet 1912 sont, de ce point de vue, exemplaires et nous y renvoyons le lecteur. Le portrait qui se dégage est celui d’un homme attachant mais écorché vif et usé par les luttes qu’il a menées sans obtenir la reconnaissance à laquelle il pensait avoir droit. Assoiffé d’amitié et d’affection, il n’a pas toujours déjoué les pièges qui lui étaient tendus et s’est fait ainsi beaucoup d’ennemis, notamment en voulant s’affirmer comme le seul défenseur de l’hispanisme français contre les Anglo-saxons, ses bêtes noires, et ce, au mépris de toute prudence et de toute diplomatie. Influencé sûrement par son maître et ami Foulché Delbosc, il s’est cru, lui aussi, investi d’une mission qui n’était pas exempte d’arrière-pensées et d’ambitions personnelles et, se voyant désavoué pour ses excès et son plaidoyer par trop partisan, il s’est progressivement replié sur son quant-à-soi quelque peu dédaigneux et hautain. Dans le ton utilisé vis-à-vis de Gaston Rimey, il apparaît assez volontiers protecteur et un tant soit peu condescendant lorsqu’il s’agit de décerner les compliments et d’émettre les critiques. Il n’est pas mécontent alors d’exercer une certaine influence sur ce jeune agrégé qui sollicite ses conseils et qui va se laisser manipuler par lui en maintes circonstances. Ceci dit, il se livre sans barguigner et nous apprenons que sa femme, de santé fragile, est fille de Catalan et de Cubaine et qu’elle « supporte malaisément le ciel de l’Ile de France », que son fils, âgé de 15 ans, ne lui donne pas toutes les satisfactions qu’il attendait et qu’il révèle pour les maths une aptitude qui le déconcerte un peu ! Concernant sa propre formation, il nous apprend aussi qu’il a fait des études de droit et a été élève de l’École des langues Orientales où il a obtenu un diplôme d’Arabe, qu’il a décroché également « sans fatigue », dit-il, le certificat d’espagnol et celui d’italien et que c’est ce qui fait qu’on le tolère encore à Paris car il est aussi le protégé de Dejob, professeur honoraire d’italien à la faculté des lettres de Paris et il constitue avec lui des jurys « économiques » !

Tous ces détails, et bien d’autres encore, nous font pénétrer dans l’intimité de Peseux-Richard et, à travers ce témoignage, qui prend l’allure d’une véritable confession, nous percevons mieux encore les réalités de la vie, de l’enseignement, des problèmes de personnes et des clivages qui divisent le milieu hispanique de l’époque. Nous puisons à cette source l’essentiel des différences liées aux sensibilités et aux prises de position d’ordre éthique, moral ou spirituel, qui nous sont livrées sans réticence et sans fard. Enfin et surtout, nous pénétrons dans les coulisses de la profession et découvrons les multiples aspects des objectifs poursuivis par l’équipe de la « Société d’études des professeurs de langues méridionales » et par celle des « langues modernes », pour que cohabitent harmonieusement les unes et les autres sans exacerber les passions et les intérêts… Peseux-Richard occupe une place à part, nage souvent à contre-courant et il passe au crible d’un jugement sans concession l’attitude de ses collègues et l’ensemble du monde universitaire de l’époque.

Gaston Rimey

Gaston Rimey est, lui ausssi, une figure de l’hispanisme et l’ami de Peseux-Richard. Ce dernier s’adresse à lui en termes chaleureux et salue le « cher compatriote », « le cher compatriote et ami », « le cher ami »… Comme Peseux-Richard, il est Franc-comtois, né à Melisey, marié à une femme de santé fragile elle aussi, père d’un fils unique prénommé Jacques, qui sera plus tard journaliste et conseiller commercial aux États-Unis. Arrivé second à l’agrégation d’espagnol en 1911, il semble que son succès ait donné lieu à quelques controverses et qu’il n’ait pas été obtenu sans difficultés si l’on en croit ces quelques lignes d’une lettre du 4 janvier 1913 où Peseux-Richard confie qu’Henri Collet, une de ses têtes de turc, lui a raconté que Rimey n’avait remporté l’agrégation que grâce à des intrigues et à des manœuvres inavouables7.

Nommé professeur dans la ville de Foix, il collabore avec Mlle Parayre, professeure agrégée à Perpignan et directrice des cours secondaires de Sète, à la Société d’études des professeurs de langues méridionales dont Dibie est le président ; il y est chargé de la communication concernant la tribune scolaire et la partie pédagogique et il participe à différents projets : outre les cours de vacances de Burgos où il assiste Dibie pour la partie française, il crée à Foix un cours d’adultes à l’usage des professeurs d’écoles primaires supérieures, instituteurs délégués en grande partie, qui sont désireux de compléter leur étude de la langue castillane. Puis il reprend l’idée lancée par Randon, professeur à l’école primaire supérieure d’Alais, de création d’une « Bibliothèque circulante », qui permettrait aux hispanisants de se tenir au courant des dernières nouveautés littéraires grâce aux spécimens donnés par les libraires espagnols. Peseux-Richard félicite Rimey pour son idée d’une « bibliothèque roulante » (sic), « providence d’un tas de gens, dit-il, qui ne roulent pas sur l’or ! » ; il souhaiterait voir Rimey remonter sur Paris et regrette de n’avoir pas suffisamment d’entregent pour l’appuyer ; il lui conseille fortement d’écrire à Foulché Delbosc afin de lui suggérer une collaboration à la Revue hispanique et l’incite vivement à entreprendre une thèse sur les frères Quinteros, mais il l’entretient aussi à maintes reprises à propos d’un article très critique qu’il l’a chargé d’écrire dans le Bulletin sur le livre d’Henri Collet, intitulé Les auteurs espagnols du programme pour le brevet supérieur 1914-1918. À cette occasion, Rimey se répand en termes très malveillants sur cet ouvrage et nous découvrons avec surprise qu’il n’est en fait que le prête-nom et le bras séculier de Peseux-Richard, dont il a repris les termes d’une lettre dans son article. Là ne s’arrête pas le plagiat puisque, dans un autre article paru dans le Bulletin, intitulé « Impressions d’examen, concours 1912 », les termes employés sont la reprise presque mot pour mot du contenu d’une autre lettre de Peseux-Richard adressée à Rimey. Ce petit jeu de passe-passe semble d’ailleurs beaucoup amuser Peseux-Richard, pas mécontent de régler ses comptes par personne interposée avec un membre de la bande des Bordelais, en l’occurrence Collet, et de berner par là même Dibie et Boussagol réunis, en faisant ainsi porter le chapeau à Rimey ! Ce dernier est-il dupe de la manœuvre, toujours est-il qu’il s’y prête et signe un papier qui n’est pas de sa main, s’attirant ainsi les foudres d’un homme indigné de se voir pourfendre dans une publication dont il a jadis secondé le lancement. Par ses multiples interventions, ses initiatives et ses articles largement inspirés, il est vrai, par Peseux-Richard, Rimey se fait un nom et réussit à s’imposer dans le milieu hispanique, mais son véritable succès est, sans conteste, la publication, en collaboration avec Mlle Parayre, d’un manuel scolaire intitulé La patria española, qui paraît chez Armand Collin en avril 1913 et qui connaît assez rapidement un excellent accueil.

La patria española

La parution de cet ouvrage est, en effet, saluée par un compte rendu très élogieux de G. Boussagol dans le Bulletin, lequel s’en félicite en ces termes : « L’enseignement de l’espagnol “está de enhorabuena” et le voici, en trois mois, doté de trois nouveaux instruments de travail excellents. »

Il faut dire que l’enseignement de l’espagnol connaît une période particulièrement faste puisqu’apparaissent presque simultanément les livres de Rimey et Parayre, celui de Dibie et Fouret8, celui enfin de Barry9….

Cette abondance de biens ne nuit nullement à une époque où c’est plutôt la disette qui règne malgré la parution en 1911 de Primeros pinitos des mêmes Dibie et Fouret et de quelques ouvrages oubliés comme le Cours de langue espagnole de J. Parrain, paru en 1900, de bien médiocre qualité10.

Peseux-Richard suit de très près le projet de son ami Rimey et il lui livre même quelques « ocurrencias », dans une lettre datée du 18 novembre 1911. Plus que d’« ocurrencias », il s’agit d’un véritable plan intéressant la composition même de l’ouvrage et son contenu. Il ne déplairait pas, en effet, à Peseux d’être l’inspirateur de Rimey et de lui voler son produit, transformant, de ce fait, l’auteur en simple exécutant. Cette volonté « d’ingérence » suscite-t-elle quelque