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Que s'est-il réellement passé le jour où l'Atlantide a sombré ? Arius, prince du royaume atlante, voit son monde basculer lorsqu'il fait la rencontre du dieu Poséidon, qui lui annonce que son île est en danger et qu'il doit à tout prix la protéger. Aidé d'Hermès, le jeune héritier a un mois pour accomplir trois tâches ayant pour but de le mettre à l'épreuve afin d'éviter un véritable cataclysme. Seulement, Zeus est bien décidé à le confronter à de sournois stratagèmes et à des rencontres inattendues... Entre terre et mer, Arius parviendra-t-il à déjouer les plans divins ? Plongez au coeur des dernières semaines de l'Atlantide...
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Seitenzahl: 487
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Si la vertu ne suffit pas à assurer le bonheur,
La méchanceté suffit à rendre malheureux.
Aristote
Pour Joséphine, sans qui cette jolie couverture n’aurait jamais vu le jour.
Pour Alexia, Anne-Laure et Loïc qui auront longuement patienté.
Pour toutes celles et tous ceux qui me soutiennent et qui découvriront ce livre.
CHAPITRE 1 : ARIUS
CHAPITRE 2 : ORESTE
CHAPITRE 3 : ELANEE
CHAPITRE 4 : ELANEE
CHAPITRE 5 : ARIUS
CHAPITRE 6 : ARIUS
CHAPITRE 7 : ARIUS
CHAPITRE 8 : ARIUS
CHAPITRE 9 : ARIUS
CHAPITRE 10 : ORESTE
CHAPITRE 11 : ARIUS
CHAPITRE 12 : ARIUS
CHAPITRE 13 : HERMES
CHAPITRE 14 : ELANEE
CHAPITRE 15 : ARIUS
CHAPITRE 16 : ARIUS
CHAPITRE 17 : ALTHEA
CHAPITRE 18 : ARIUS
CHAPITRE 19 : ARIUS
CHAPITRE 20 : ARIUS
CHAPITRE 21 : BELLEROPHON
CHAPITRE 22 : ARIUS
CHAPITRE 23 : ORESTE
CHAPITRE 24 : ARIUS
CHAPITRE 25 : ARIUS
CHAPITRE 26 : ELANEE
CHAPITRE 27 : ARIUS
CHAPITRE 28 : ALTHEA
CHAPITRE 29 : ARIUS
CHAPITRE 30 : ARIUS
— C’est le grand jour ! C’est le grand jour !
Un bel homme aux cheveux bruns et courts, légèrement frisés sur le dessus, traversait le jardin à grandes enjambées. Arius reconnut immédiatement Oreste, son ami d’enfance. Oreste se précipitait à sa rencontre et fendait l’air à la vitesse d’un félin. Il est d’ailleurs également robuste et agile comme un félin, se dit Arius pour lui-même.
Lorsque le jeune homme parvint aux côtés de son compagnon, il était à peine essoufflé, bien que quelques gouttes de sueur luisissent sur son front. La chaleur était accablante ce jour-là et tout le monde s’était bien gardé de mettre le nez dehors, préférant la fraîcheur des maisonnées à une insolation certaine.
— Le grand jour ? Quel grand jour ? demanda Arius à Oreste tandis qu’il continuait d’observer les plantes qui mouraient les unes après les autres dans le jardin.
L’été était arrivé depuis quelques semaines et, comme chaque année, il avait apporté avec lui une grande quantité de chaleur et un soleil tout aussi rayonnant qu’insupportable. Les jolies plantes, que le jardinier royal tentait tant bien que mal de faire naître et éclore, se retrouvaient constamment à souffrir de la sécheresse et se recroquevillaient sur elles-mêmes avant de jaunir puis de mourir. Il était quasiment impossible de conserver de belles fleurs très longtemps ici durant la pleine saison.
Le sol cahoteux et poussiéreux était lui aussi très sec et se craquelait par endroits. Du jardin royal, il ne subsistait que quelques arbres, des petits oliviers et des haies et buissons taillés qui luttaient encore. Il n’y avait dans le ciel aucun nuage, seul le soleil régnait.
L’astre solaire n’avait d’ailleurs pas freiné Arius, qui était allé faire une promenade dans le jardin, malgré la chaleur étouffante et l’aridité des lieux. Dès qu’il avait mis un pied dehors, sa bouche s’était instantanément asséchée, et il avait ressenti des maux de tête, comme si un forgeron lui avait asséné un coup de marteau sur le crâne sans crier gare.
Oreste essuya la sueur qui s’était accumulée sur son visage d’un revers de sa main et prit Arius par les épaules avant de le secouer.
— Tu sais, le grand jour !
Arius haussa un sourcil avant que ses yeux ne s’ouvrent en grand et que sa bouche ne forme un O de stupéfaction.
— Oh ! Le… Le grand jour ? Tu veux dire que… ?
— Oui ! s’exclama Oreste, tout content. Je vais demander la main d’Élanée !
Oreste ne tenait plus en place. Ses jambes semblaient être attaquées par des fourmis car il trépignait d’impatience. Un immense sourire s’était dessiné sur son visage à la peau foncée, et ses yeux s’étaient allumés d’une lueur intense et excitée, presque enfantine. La bonne humeur de son ami étant communicative, Arius se mit à rire et prit Oreste dans ses bras dans une accolade des plus amicales. Il lui asséna une bourrade dans le dos et le couva de son regard.
— Tu vas être très heureux, j’en suis sûr, dit Arius. Élanée est la femme qu’il te faut.
— C’est la femme parfaite, tu veux dire, le corrigea Oreste en souriant malicieusement.
Arius lui sourit à son tour et tous deux se mirent à marcher en direction du grand arbre, tout au bout du jardin.
Le grand arbre, comme ils l’appelaient, était le plus vieux et le plus large de tous les arbres du jardin. Il se trouvait là depuis des décennies et avait vu Arius et Oreste grandir et, avant eux, leurs parents. Au cours de leur enfance, les deux compagnons s’étaient souvent donné rendez-vous au grand arbre pour jouer, se raconter des anecdotes, se confier l’un à l’autre. Ils étaient inséparables et le grand arbre avait été témoin de leurs discussions et de leurs bêtises. Parvenus à l’âge adulte, Oreste et Arius avaient continué de se retrouver de temps en temps, plus seulement pour le grand arbre et les souvenirs, mais aussi car l’endroit offrait une vue incroyable sur la mer.
Le jardin était situé bien en hauteur, au sommet d’une falaise, encadré par des petits murets de pierre, et était entouré des eaux bleues de la mer. Qu’il fasse beau et chaud ou que le temps soit maussade et humide, Arius et Oreste aimaient admirer le paysage marin et le regarder évoluer sous leurs yeux. Chaque jour, c’était une nouvelle peinture qui prenait vie sous leurs prunelles ébahies. L’eau s’étendait à l’infini, tellement loin que le ciel et la mer ne faisaient plus qu’un à l’horizon. C’était un chef d'œuvre azuré dont on ne se lassait jamais.
Le soir, lorsque Séléné1 s’approchait du jardin pour apporter progressivement avec elle les ténèbres et la nuit, le ciel se teintait de couleurs extraordinaires. Le rose, le rouge, l’orange, le jaune et le mauve venaient se mélanger et créer une splendide fresque, que la mer se faisait un plaisir de refléter dans ses eaux cristallines.
Ce jour-là, Arius et Oreste ne dérogèrent pas à leur tradition et traversèrent les jardins, quasiment entièrement jaunis et brûlés par le soleil, pour s’abriter sous le grand arbre en observant le tableau qui se présentait à eux. Arius s’assit sur le muret qui délimitait le jardin - et la falaise - et passa ses jambes de l’autre côté, les laissant pendre dans le vide au-dessus des eaux bleues. Oreste ne tarda pas à l’imiter.
— Est-ce qu’Élanée sait que tu comptes la demander en mariage ce soir ? s’enquit Arius en faisant traîner son regard sur l’horizon.
— Je ne pense pas. Elle doit probablement se douter que ce jour arrivera, mais j’ai tenté de ne pas laisser d’indices. Il faut que j’obtienne l’approbation de son frère avant de lui annoncer la nouvelle.
Arius tourna brusquement la tête vers son ami.
— Tu n’as pas encore demandé la permission à Apollodore ?
— Non, répondit simplement Oreste.
— Tu sais pourtant qu’il n’est pas des plus faciles à convaincre. Depuis qu’il est chef de famille, il est très protecteur envers Élanée.
— Je connais Élanée depuis toujours, il doit se douter que je la traiterai bien. Et puis, je pense être un bon parti.
— Mais elle l’est aussi, le taquina Arius.
Oreste lui donna un coup dans l’épaule pour s’amuser et se mit à rire.
Une vague s’écrasa contre la falaise, donnant naissance à une importante quantité d’écume blanchâtre, avant de se retirer doucement, sans laisser de trace. Le rythme des vagues berçait Arius. Il aurait pu rester ainsi pour l’éternité.
— Vous vous aimez quasiment depuis le premier jour, finit-il par dire. Vous serez très heureux en ménage tous les deux.
— Tu le penses sincèrement ? demanda Oreste en scrutant l’expression de son ami, comme s’il s’attendait à ce qu’il s’esclaffe tout à coup.
Arius acquiesça d’un signe de la tête. Il le pensait sincèrement. Oreste et Élanée étaient ses plus chers amis et il n’ignorait pas à quel point ils tenaient l’un à l’autre. Jamais il n’avait vu d’attachement si profond, si tendre et un dévouement si important. Les mariages d’amour étaient plutôt rares, mais il était content d’avoir pu être témoin de la naissance d’une union pure et entière. Il n’osait même pas imaginer la joie qu’allait éprouver Élanée lorsque Oreste allait lui demander sa main. Ce serait certainement le plus beau jour de sa vie, contrairement à beaucoup d’autres jeunes filles. On se mariait souvent par intérêt, pour obtenir une certaine richesse ou un certain statut, mais rarement parce qu’on le souhaitait vraiment. Arius s’approchait d’ailleurs dangereusement du jour où cela allait arriver.
Son père, le roi Cadmos, ne cessait de lui rabattre les oreilles afin qu’il trouve une épouse au plus vite. Tu dois fournir au royaume un héritier, répétait-il inlassablement. Un héritier, un héritier, c’était tout ce qu’il avait à la bouche ! Cadmos avait d’ailleurs organisé de nombreuses soirées en présence de princesses étrangères ou de filles bien nées mais Arius s’était toujours arrangé pour leur fausser compagnie.
Il n’avait pas envie de se marier. Ou du moins, pas maintenant. Il aimait ne rendre de compte à personne, profiter de l’instant présent et ne pas porter le fardeau royal sur ses épaules trop longtemps. Un jour, peut-être, il aurait envie de se lier à une belle jeune femme, mais le temps n’était pas encore venu. Il était même passé pour lui. Il préférait laisser cela à Oreste et à Élanée. Bien sûr, il avait déjà goûté aux saveurs de l’acte charnel, mais cela ne lui avait pas donné pour autant l’envie de se mettre en ménage.
Absorbé par ses pensées et par sa dernière aventure avec une dénommée Aquata, dont le prénom lui faisait presque froid dans le dos tellement il sonnait mal, Arius ne vit pas Oreste se relever.
— Je te retrouve ce soir je suppose ? lui demanda son ami.
— Ce soir ? s’étonna Arius, qui venait de s’arracher à ses rêveries.
— Ce sont les Océanes, tu ne te rappelles pas ? L’eau de mer t’aurait-elle effacé toute trace de cerveau en entrant par tes oreilles ?
Oreste se mit à rire, à la fois amusé et exaspéré devant le peu d’attention d’Arius. Il avait décidément une mémoire de poisson.
— Ah, oui. Évidemment que j’y serai. Bonne chance avec Apollodore en attendant.
Arius lui adressa un clin d'œil entendu et Oreste se retira.
Une fois seul, Arius profita encore quelques instants du bruit des vagues, qui venaient s’écraser contre la falaise, et regagna ensuite le jardin avant de franchir les deux portes de bois qui conduisaient à l’intérieur du palais.
1 Titanide issue de la mythologie grecque faisant apparaître la nuit.
Oreste s’essuya les mains sur sa tunique rouge, dont les liserés des manches, du bas et du décolleté étaient ornés du motif de la clé grecque, brodé en fils d’or. Il avait les mains moites à l’idée d’aller à la rencontre d’Apollodore, qu’il connaissait pourtant depuis toujours. Même s’il était excité à l’idée de s’unir à Élanée, il ne pouvait s’empêcher de penser au fait qu’Apollodore était en droit de refuser sa demande.
Allons, Oreste, tu te montes la tête tout seul. Après tout, Apollodore est ton cadet de deux ans. Il n’a pas de quoi t’impressionner.
Apollodore était plus jeune qu’Oreste de deux années, même s’il restait l’aîné d’Élanée. Le frère et la sœur étaient nés à seulement un an d’intervalle, avant que leur mère ne succombe à la maladie une décennie plus tard.
Oreste ne fit pas attention à son entourage durant tout le trajet qui le mena à la demeure familiale d’Élanée, aussi fut-il étonné lorsqu’il arriva à destination. Il pouvait reconnaître les imposantes portes de bois noir parmi toutes les autres.
Un esclave vint lui ouvrir, après qu’il eut frappé trois fois, et il fut invité à patienter dans le patio, qui faisait la renommée de la demeure.
Le patio était splendide. Jamais on aurait pu imaginer un si beau bijou depuis l’extérieur de la maison. Une immense fontaine, dont le sommet était orné d’une statue qui représentait Poséidon2, armé de son trident et juché sur son char, tiré par quatre chevaux, trônait au centre de l’espace. Tout autour, des poissons aux yeux exorbités et aux bouches démesurées crachaient des jets d’eau cristalline dirigés vers le bassin, tandis que certaines Néréides et Océanides prenaient place au sein des incrustations dorées de l’ouvrage. Sous le soleil brûlant, la fontaine semblait encore plus blanche et plus belle que d’habitude. Elle étincelait, en particulier le visage de Poséidon. C’était comme si Hélios3 lui-même avait choisi de rendre hommage au dieu de la mer en soulignant sa représentation grâce aux rayons solaires.
Oreste prit place sur l’un des bancs de marbre blanc qui encadraient le patio et étaient entourés de fleurs sauvages et odorantes - du moins lorsque la chaleur étouffante ne les avait pas faites mourir de soif.
Son répit fut de courte durée car, bientôt, une voix masculine pleine d’assurance vint accompagner les jets d’eau et fit sursauter Oreste.
— Oreste ! s’exclama Apollodore, en ouvrant ses bras vers lui dans une attitude pompeuse.
— Bonjour Apollodore, répondit l’intéressé en se relevant et en lui adressant un sourire amical.
Apollodore lui offrit une accolade et lui sourit à son tour.
Sous ses aspects un peu présomptueux, Apollodore cachait en fait un cœur d’or. Il avait très vite compris que, à défaut d’avoir une voix tonitruante et un physique impressionnant, seule l’attitude pouvait lui permettre de conserver les échelons gravis par sa famille et lui garantir une vie agréable et à l’abri du besoin. Avec ses cheveux châtains et courts, légèrement ébouriffés, et son visage juvénile, qui ne donnait pas du tout l’impression qu’il était âgé de vingt-deux ans, il avait réussi à se faire une place dans le beau monde en faisant preuve d’humour, d’intelligence bien placée et de prestance.
— Je suis content de te voir, dit Apollodore en observant d’un regard malicieux le visage d’Oreste dans le but de savoir ce qui l’amenait ici.
— Moi aussi. Nous ne nous étions pas vus depuis plusieurs semaines. Comment vas-tu ?
Apollodore invita Oreste à s’asseoir près de lui sur l’un des bancs de marbre, ce qu’il fit.
— Bien, lui répondit Apollodore. Il a été compliqué de reprendre le rôle de chef de famille depuis la mort de mon père, mais je pense m’en être bien tiré. Tout est sous contrôle désormais.
— J’en suis heureux.
Oreste était habituellement un peu plus bavard, mais il était si nerveux qu’il souhaitait simplement que toute cette histoire soit derrière lui. Il se triturait les doigts et peinait à regarder Apollodore en face, même s’il ne le craignait pas.
— Tu sembles soucieux, remarqua Apollodore. Qu’est-ce qui te tracasse ?
— Je...mmm. Eh bien je suis venu ici pour te demander quelque chose.
Piqué par la curiosité, Apollodore regarda Oreste avec insistance et tourna son buste vers lui pour tenter de le mettre en confiance.
— Tu peux tout me dire. J’espère seulement que ce n’est rien de grave.
Oreste prit une profonde inspiration, hésita encore un instant, puis se lança.
— Je suis venu à toi pour te demander officiellement la main d’Élanée.
Un silence suivit les propos d’Oreste et ce furent pour lui les plus longues secondes de toute son existence. Il en venait presque à espérer qu’Apollodore dise “non” simplement pour mettre un terme à ce profond mutisme.
Il tourna son visage vers Apollodore, qui restait coi. Il ne s’attendait pas du tout à ceci, le pauvre. Encore jeune et insouciant, jamais il n’aurait cru que sa petite sœur pouvait potentiellement se marier avant lui.
— Tu… Tu veux épouser Élanée ? déglutit-il.
— Oui, répondit simplement Oreste.
— Mais… Pourquoi ?
La question fit rire Oreste, qui pensait que son interlocuteur plaisantait tellement c’était stupide de demander cela. Quand il comprit que ce n’était pas une blague, son sourire s’évanouit immédiatement et il reprit son sérieux avant d’adopter un ton grave.
— Parce que je l’aime.
— Tu l’aimes ? Depuis quand ? Enfin, je sais bien que vous deux avez toujours été complices, mais je ne me doutais pas qu’il s’agissait d’amour.
— C’est pourtant le cas. Je l’aime depuis des années et je crois que c’est réciproque. Je souhaite l’épouser et la rendre heureuse.
— Et tu penses que tu es un bon parti pour elle ? s’enquit Apollodore.
— Je le crois. Il me semble que nos deux pères ont accédé au grade de capitaine au sein de l’armée du royaume et se sont fait une place de choix aux côtés du roi. Tu n’ignores pas les honneurs et la fortune que cela incombe. Nos deux familles sont équivalentes et je pense pouvoir apporter à la tienne autant que la tienne peut apporter à la mienne. Je dispose de beaucoup de biens, tout comme toi, et je suis persuadé de faire un bon mari pour Élanée. Du moins, je m’attellerai ardemment à la tâche.
Le regard d’Apollodore se perdit dans le vide et il se leva, songeur. Oreste ignorait si ce nouveau silence était un bon présage ou non, mais il savait pertinemment qu’il avait visé juste. Apollodore ne pouvait rien lui reprocher, ni en termes de statut social, ni en termes de richesses ou d’honneurs. Il constituait le prétendant idéal.
— C’est d’accord, finit par dire Apollodore en se retournant brusquement pour faire face à Oreste. Je t’accorde la main de ma sœur et te donne ma bénédiction.
Oreste se leva d’un bon, incapable de contenir sa joie, et il se mit à sourire sans pouvoir se contrôler.
— Je te remercie. Infiniment. Tu ne le regretteras pas.
— Je te fais confiance.
D’un seul coup, les deux jeunes hommes mirent de côté la politesse exacerbée et le protocole et se serrèrent dans les bras l’un de l’autre en riant. Tous deux étaient excités à l’idée de réunir leurs familles. Même si Apollodore faisait preuve de froideur et imposait une certaine distance, il avait beaucoup d’affection pour Oreste, et inversement. Il avait juste voulu endosser correctement son rôle de frère aîné et de chef de famille.
— Je te laisse le soin de l’annoncer à Élanée, dit Apollodore à Oreste lorsqu’ils relâchèrent leur étreinte.
— Je lui annoncerai ce soir, lors des Océanes.
— Une jolie fête pour une jolie annonce.
Apollodore adressa un regard entendu à son futur beau-frère et il prit congé en pénétrant dans sa demeure, par-delà la fontaine.
Oreste resta seul quelques instants. Il trépignait d’impatience et avait envie de courir dans les rues afin de hurler la nouvelle à tout le monde. Cependant, il devait encore patienter quelques heures et conserver un peu plus son secret.
Sur un petit nuage, il sortit de la maison d’Apollodore et se dirigea vers la sienne afin de se préparer pour les Océanes.
2 Dieu de la mer et des océans.
3 Titan issu de la mythologie grec faisant naître le soleil sur le monde.
— Aïe, lâcha Élanée en grimaçant de douleur.
— Oh je vous demande pardon, maîtresse !
Hélène, l’esclave d’Élanée, se confondait en excuses. Les joues rougies et les yeux en alerte, elle se sentait honteuse d’avoir un peu trop tiré les cheveux de sa maîtresse en la coiffant. Ce n’était rien de grave, mais Hélène savait parfaitement qu’un geste de travers ou une erreur d’inattention pouvait coûter cher à un esclave. Les coups de bâton n’étaient pas rares auprès de ses congénères des autres maisonnées, du moins lorsque ce n’étaient que des coups de bâton. Certains connaissaient des corrections bien pires. Même si Élanée n’avait jamais levé la main sur elle, elle préférait rester sur ses gardes afin de ne jamais relâcher ses efforts, mais aussi parce qu’elle avait bien conscience que l’on ne pouvait se fier à personne.
— Ce n’est rien, Hélène, la rassura Élanée d’une voix douce. Je suis sans doute trop sensible du cuir chevelu. Je suis certaine que la coiffure que tu es en train de me faire sera parfaite.
— Ma maîtresse est trop bonne, répondit Hélène en osant à peine la regarder dans les yeux.
L’esclave poursuivait son ouvrage et remontait mèche par mèche les cheveux châtains et légèrement ondulés d’Élanée sur sa tête. De temps en temps, elle les accrochait à l’aide d’épingles et pinces dorées, qui venaient orner sa chevelure soyeuse. Il était d’usage pour les femmes de haut rang d’avoir une coiffure impeccable et bien attachée lors des festivités, en particulier pour les Océanes. Élanée n’allait certainement pas déroger à la règle.
Une bourrasque de vent chaud s’engouffra par l’immense fenêtre de la chambre de la jeune femme, qui donnait sur un balcon. La bourrasque souleva les voilages de lin, qui dissimulaient la vue, et laissa entrer au passage un puissant rayon de soleil, qui souligna la silhouette d’Élanée.
Cette dernière était svelte et plutôt grande par rapport aux autres filles de son âge. Avec un physique élancé, on pouvait sentir la détermination et l’énergie qu’elle avait en elle simplement en la regardant. Son regard brun venait confirmer cette idée car il contenait une lueur d’intelligence et de vivacité qui ne pouvait tromper personne. Avec sa peau aux reflets dorés et parsemés de minuscules taches de rousseur au niveau des épaules et du visage, Élanée était réellement resplendissante. Elle avait tout ce qu’il fallait pour plaire : un petit nez légèrement en trompette, des pommettes dessinées mais pas trop marquées, des petites lèvres roses et un regard chaleureux qui pouvait facilement envoûter.
Si elle pouvait aisément avoir bon nombre de prétendants à ses pieds, elle ne se souciait que d’un et n’accordait aucune importance aux autres. Depuis sa plus tendre enfance, elle aimait profondément Oreste. Elle aimait sa peau brune, son visage symétrique et bien taillé, son sourire ravageur, ses sourcils expressifs qui se haussaient sous le coup de la surprise, de l’étonnement, de la colère ou du ravissement, ses yeux sombres et son corps qui paraissait étonnamment bien sculpté. Elle en était amoureuse et elle ne pouvait pas le nier. Elle avait toujours été sensible à son charme mais s’était bien gardée de le montrer publiquement.
Elle devait effectivement faire preuve de bon sens et de dignité car son père avait été l’un des capitaines de l’armée royale. Il avait si bravement combattu aux côtés du roi lors des expéditions pour étendre le royaume qu’il avait gagné certains privilèges et honneurs que sa fille ne pouvait pas se permettre d’entacher. Lorsque l’on était fille de capitaine, on était plus observée que la moyenne.
— Mon travail est terminé, annonça Hélène en tirant Élanée de ses rêveries.
Élanée porta une main à l’arrière de son crâne et toucha du bout des doigts sa chevelure impeccablement coiffée.
— Ça me semble parfait, la félicita Élanée.
Elle s’approcha d’une petite table en bois, qui se trouvait près de la fenêtre, et prit le miroir qui se trouvait dessus pour s’observer.
Le miroir n’était pas grand, à peine suffisamment pour que la jeune femme puisse observer son visage et sa gorge, mais il était l’un de ses biens les plus précieux. Tout son pourtour et son manche étincelaient d’une lumière fauve, même lorsque le jour était tombé. C’était un miroir fait d’orichalque, le métal le plus précieux qu’Élanée ait jamais vu. C’était la fierté de son peuple, et la principale source de sa richesse.
L’orichalque ressemblait beaucoup au bronze, mais il avait cependant une intensité plus profonde et une brillance plus prononcée. Il luisait aussi facilement que l’or mais disposait de la couleur chaude et sauvage du bronze.
La jeune femme fit distraitement glisser ses doigts autour du miroir et se contempla.
— Cette coiffure est splendide. Merci, Hélène.
Puis, Élanée reposa doucement le miroir et, alors que son esclave se retirait en silence, elle l'interpella soudainement.
— As-tu été baptisée ainsi en hommage à Hélène de Troie ?
— Oui, maîtresse, répondit l’esclave en baissant ses yeux.
— Je ne t’ai jamais demandé mais d’où viens-tu ?
— Ma famille était originaire de Sparte, maîtresse.
Élanée se tut quelques instants et comprit que toute la famille d’Hélène avait dû être tuée ou réduite en esclavage par les siens.
— C’est un joli prénom.
Hélène acquiesça d’un bref signe de la tête et disparut.
Une fois seule, Élanée entreprit d’enfiler son chiton, créé spécialement pour les Océanes. Le chiton4 était de couleur bleu électrique - il avait dû faire l’objet d’un soin particulier pour obtenir cette couleur à l’aide de pigments naturels - et avait été fabriqué dans une pièce de lin très travaillée, que des voilages extrêmement légers venaient compléter, en particulier sur le bas du vêtement.
La robe était incroyablement belle et avait été brodée de fils d’argent à certains emplacements, qui correspondaient exactement aux endroits où la tunique était censée se plisser. Il s’agissait d’un minutieux travail d’orfèvre et Apollodore avait manqué s’évanouir en recevant la note.
Entreprenant de la mettre par elle-même - elle n’avait jamais aimé qu’on l’habille - Élanée comprit rapidement que la tâche allait être plus ardue que prévu. Elle fit alors appel à Lina, une jeune esclave qui était arrivée au service de la maisonnée quelques semaines plus tôt. Malgré ses vêtements peu enviables, Élanée avait remarqué qu’elle accordait un soin particulier à sa toilette, afin que rien ne soit de travers.
— Ma maîtresse m’a demandé ? demanda la jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de seize ans.
— Oui, Lina. J’aurais besoin que tu m’aides à enfiler mon chiton. Je ne parviens pas à attacher les agrafes au niveau des épaules et à faire plisser la tunique correctement.
Lina s’approcha d’Élanée et entreprit de lui venir en aide avec ses petites mains calleuses.
Depuis son enfance, Élanée n’avait jamais vraiment prêté attention aux esclaves, qui venaient pour la plupart des territoires conquis par son peuple. Elle les voyait souvent plus âgés qu’elle et, comme ils avaient toujours été présents dans sa vie, elle prenait ces gens pour acquis et la situation comme quelque chose de totalement normal.
Cependant, depuis qu’elle avait grandi et atteint la vingtaine, elle faisait de plus en plus attention aux petits détails de chacun. Il pouvait s’agir de blessures obtenues chez leurs précédents maîtres, de l’usure de leurs membres, de leur façon de se comporter. Elle avait finalement décelé leur part d’humanité au lieu de les voir comme des figurants, de simples objets disposés dans sa demeure. Cette vérité la troublait et elle tentait d’être la plus douce possible avec ses esclaves, à défaut de pouvoir les libérer.
Une fois son ouvrage terminé, Lina partit vaquer à ses autres tâches et Élanée admira sa tenue, qui soulignait parfaitement sa silhouette et rehaussait son teint.
Un léger sourire se dessina sur son visage.
Puis, elle se dirigea alors vers son lit, positionné à côté de la grande fenêtre toujours ouverte, pour en retirer un petit coffre en bois sculpté qui avait été camouflé dessous. Élanée l’ouvrit doucement et en sortit un magnifique collier d’or orné de cinq perles de nacre en forme de gouttes d’eau, si blanches et si pures que l’on aurait dit des larmes de nymphes. Elle l’attacha autour de sa gorge et sortit ensuite du petit coffre ce qui ressemblait à une tiare dorée, dont les pourtours s’inspiraient des feuilles de laurier. Enfin, elle orna ses poignets de deux manchettes, également en or, qui vinrent compléter sa tenue, d’ores et déjà resplendissante.
Alors qu’elle venait à peine de terminer de se préparer, deux coups retentirent sur la porte de sa chambre. Chaussée de ses sandales légères, Élanée alla ouvrir et découvrit son frère aîné, Apollodore.
— Est-ce que tu…, commença-t-il à dire tandis que son regard s’était arrêté sur la tenue de sa sœur.
— ...Es prête, je suppose ? acheva Élanée. Oui, je suis fin prête.
La jeune femme repéra une vive lueur d’émotion dans le regard de son frère mais jugea bon de ne pas le lui faire remarquer.
— Tu portes la tiare de Mère, finit-il par dire simplement.
— Je la sors rarement, mais je me suis dit que c’était la fête parfaite pour la porter.
— Et tu n’es pas au bout de tes surprises.
Élanée fronça les sourcils, plongée dans l’incompréhension.
— Au bout de mes surprises ? répéta-t-elle. Qu’est-ce que ça signifie?
— Rien, rien, fit-il distraitement. Bon, on y va ? Si nous traînons encore, nous allons être en retard pour le début des festivités.
Sans demander son reste - Élanée savait très bien qu’Apollodore était aussi têtu qu’elle -, elle suivit son frère dans la maisonnée et tous deux partirent célébrer les Océanes, la fête la plus attendue des habitants de l’Atlantide.
4 Vêtement porté dans l’Antiquité grecque et composé d’une pièce de tissu pliée et cousue.
Lorsque Apollodore et Élanée arrivèrent sur l’agora, ils furent instantanément noyés dans une foule de personnes, toutes vêtues de bleu, et dans un brouhaha incessant qui mêlait musique, rires, chants et discussions en tous genres.
La nuit était tombée sur l’Atlantide et le ciel s’était paré de ses couleurs obscures et ténébreuses, sublimées par des milliers de petites étoiles blanches, mais surtout par une immense et magnifique lune argentée. Sous cette lumière, tout aussi poétique que fantomatique, le temple de Poséidon, qui surveillait l’agora de toute sa hauteur et de toute sa largeur, était réellement splendide.
Le temple de Poséidon était le plus grand et le plus beau de tous les temples de l’île. Il trônait dans la cité, à quelques dizaines de mètres du palais, et était visible de loin.
Poséidon était le dieu protecteur de l’Atlantide depuis la nuit des temps, puisqu’il l’avait reçue lors du partage des terres. Hadès, dieu des Enfers, avait alors récupéré le monde souterrain, Zeus, roi des dieux, s’était emparé du ciel et de la terre, et Poséidon, dieu des mers, avait pris possession de l’univers aquatique. Poséidon affectionnait particulièrement l’Atlantide, d’autant plus que la cité avait été bâtie en son honneur et que son temple et les prêtres qui s’y trouvaient l’honoraient bien au-delà de toute espérance.
Avec ses imposantes colonnes de marbre, aux socles bordés d’orichalque et d’or, son impressionnant escalier immaculé, ses gigantesques portes en chêne sculpté et ses fresques peintes minutieusement à la main, le temple était un chef-d’oeuvre d’architecture. À l’intérieur, on allait également de surprise en surprise et nul ne pouvait rester insensible à la beauté du lieu.
Lorsque l’on pénétrait dans le sanctuaire, on était tout de suite confronté à un bassin d’eau pure et cristalline, construit tout en longueur, comme un chemin parfaitement droit. La surface de l’eau, doucement agitée, renvoyait souvent des reflets blancs et métalliques sur les murs et les colonnes faites d’or et d’ivoire. Ces reflets naturels dansaient et se mouvaient lentement, comme si le temps s’était soudainement arrêté et que le calme et la paix prédominaient sur le monde. Sur les murs, des fresques impressionnantes, qui relataient la naissance de l’Atlantide et son lien avec le dieu des mers, avaient été représentées dans des teintes bleutées. Par-delà le bassin qui, seul, brisait le silence par une légère musique aquatique, se trouvait une gigantesque statue de Poséidon, qui siégeait sur un trône d’orichalque orné de saphirs, et qui tenait dans sa main droite un trident doré d’une vingtaine de mètres de hauteur.
Poséidon avait été représenté avec une longue tunique, accrochée au niveau de son épaule gauche par une fibule pleine en orichalque où figurait un dauphin, son animal emblème. Son visage était un peu creusé au niveau des joues mais ce détail était relevé par des pommettes proéminentes et des yeux sans iris ou pupilles, qui lui conféraient un air autoritaire et divin. Tout dans cette statue évoquait la grandeur, la force, la puissance et la stabilité de Poséidon. Jamais il n’y avait eu de création si précise, si imposante et si réussie.
Ce soir-là, le calme apaisant du temple contrastait avec la cacophonie qui régnait sur l’agora. Il y avait des danseurs, des acrobates, des musiciens, des chanteurs, mais surtout le peuple des Atlantes, venu en grand nombre, afin de célébrer ensemble la fête des Océanes.
Les Océanes constituaient une tradition de l’Atlantide et visaient à rendre hommage au dieu Poséidon et à le remercier pour l’eau qu’il mettait à disposition de son peuple. Chaque année, ces festivités se tenaient au cours de l’été, afin que le dieu des mers fasse don de l’eau l’année suivante, pour la bonne survie des cultures et des Atlantes. On y dansait, on y buvait, on y mangeait, et surtout on s’habillait en bleu, couleur de l’eau. Au cours d’une soirée, il n’y avait plus ni classes sociales, ni soucis personnels. Chacun était invité à participer à la fête et à s’amuser.
— Arius ! Arius ! appela Élanée, qui tentait de se frayer un chemin parmi les nombreuses personnes qui obstruaient l’agora.
Élanée venait d’apercevoir son ami - et le prince - et souhaitait le rejoindre.
Elle n’avait jamais aimé les bains de foule et elle était heureuse de pouvoir trouver une ancre à laquelle s’accrocher pour ne pas être à la dérive dans ce flot de personnes mouvantes.
Arius entendit quelqu’un appeler son nom et tourna la tête dans tous les sens, à la recherche de cette inconnue. Quand son regard se posa sur Élanée, il haussa les sourcils et lui sourit, avant de s’engouffrer entre plusieurs Atlantes dans le but de la rejoindre.
— Un peu plus et on se faisait happer par le tourbillon de la population ! s’exclama-t-il en riant et en constatant que toute l’île devait être présente.
— Je suis contente de t’avoir trouvé, lui avoua Élanée. J’ai perdu toute trace d’Apollodore alors que nous sommes arrivés ensemble.
— Ne t’en fais pas pour lui, je suis sûr qu’il s’en sortira très bien.
Élanée jeta un regard autour d’elle et se hissa sur la pointe des pieds pour tenter de voir au-delà des têtes qui l’entouraient.
— Est-ce que tu as vu Oreste ? demanda-t-elle.
— Pas encore, répondit Arius. Pour le moment, il faut que nous restions ensemble. Tout le monde va se calmer dès lors que mon père prendra la parole. C’est toujours comme ça.
Arius vit juste. Quelques minutes plus tard, le roi Cadmos apparut sur une grande estrade placée au pied du temple de Poséidon, et prit la parole, de sa voix claire et grave.
Cadmos était le roi de l’Atlantide depuis presque vingt-cinq ans et, même s’il n’était plus aussi vigoureux qu’au cours de sa jeunesse, sa détermination et sa force restaient perceptibles. Il avait des cheveux bouclés poivre et sel, et une barbe peu fournie qui encadrait son visage un peu ridé mais baigné d’une teinte hâlée. Ses yeux étaient noirs, et soulignaient parfaitement sa tunique fauve, qui était accompagnée d’une toge d’un bleu profond, accrochée au niveau de l’épaule par une fibule forgée dans de l’or. Pour asseoir ses attributs de roi, une couronne d’orichalque, représentant des feuilles d’olivier, ornait les contours de son crâne.
Dès qu’il s’exprima, tout le peuple se tut. Le roi Cadmos était respecté et apprécié. Son fort caractère lui avait permis de faire de l’armée de l’Atlantide l’une des plus puissantes forces militaires du monde. Grâce à son esprit stratège et visionnaire, et à son âme de conquérant, il avait contribué à l’extension du royaume et à la soumission de nombreuses civilisations et contrées. Les Atlantes lui étaient ainsi reconnaissants d’avoir permis à leur île de regorger de richesses et de pouvoir.
— Peuple de l’Atlantide, peuple bien-aimé, commença Cadmos. Bienvenue aux Océanes.
— Je ne vois toujours pas Oreste, chuchota Élanée à l’attention d’Arius, tandis que la foule avait formé un arc de cercle autour de l’estrade du roi.
— Patience, il finira bien par apparaître. Nous avons toute la soirée devant nous, répondit simplement Arius en suivant le discours de son père.
— C’est juste que je n’aime pas la foule, soupira Élanée, peu rassurée.
Arius sentit que sa détresse était finalement plus grande que prévue et il se tourna vers elle avant de planter son regard dans le sien, avec toute la bienveillance dont il était capable.
— Hé…, on va le trouver, d’accord ? Ne panique pas, je suis avec toi.
Élanée perçut toute la sincérité d’Arius et prit une grande inspiration avant d’acquiescer d’un signe de la tête.
— J’ai plus de tempérament que ça d’habitude, finit-elle par lâcher, se sentant honteuse d’être anxieuse à cause de la foule.
— C’est ce que je crois aussi, fit Arius en la taquinant. Je te pensais plus solide.
— C’est très déplacé de parler ainsi à une jeune fille, plaisanta Élanée, en faisant semblant d’être piquée au vif.
— Tu n’es pas une jeune fille, tu es mon amie Élanée et je sais très bien que tu as du caractère.
Il lui adressa un clin d'œil et tourna de nouveau son visage vers l’estrade où se trouvait toujours le roi. Cadmos avait été rejoint par une dizaine d’hommes, vêtus d’armures étincelantes, qui s’étaient positionnés juste devant la petite scène afin de faire face aux Atlantes.
Ces hommes étaient robustes et musclés, et portaient d’épaisses cuirasses en argent ornées d’un dauphin en leur centre. Chacun d’eux arborait également un casque et une épée dans la main droite. Leurs poignets et avant-bras étaient protégés par de magnifiques bracelets, qui leur permettaient d’accuser certains coups sans se blesser. Toutefois, ces manchettes n’étaient pas ordinaires. Elles semblaient scintiller d’une lumière bleutée et très discrète, à peine perceptible, comme si un halo les entouraient.
— Nous pouvons d’ores et déjà acclamer chaleureusement nos valeureux capitaines de notre chère armée, composée de courageux soldats ! dit le roi en s’égosillant presque. Bientôt, ils prendront la mer pour conquérir Athènes !
À ces mots, les capitaines croisèrent leurs poignets et firent s’entrechoquer leurs bracelets dans un vacarme métallique assourdissant. Au deuxième choc, une lumière bleutée s’échappa des manchettes et prit rapidement une forme arrondie.
En quelques secondes, chaque capitaine fut doté d’un bouclier transparent parcouru par des reflets azurés, dont les contours restaient relativement indistincts et se mouvaient lentement, tout comme l’intérieur de l’équipement.
Ces bracelets avaient la capacité de faire se matérialiser des boucliers entièrement composés d’une eau tout droit venue de l’Olympe. Poséidon en avait fait don aux Atlantes des siècles plus tôt, et les boucliers pouvaient absorber quasiment n’importe quel coup. L’eau était si dense qu’elle pouvait encaisser de nombreuses attaques. C’était l’une des forces de l’Atlantide et un atout non négligeable, qui lui avait permis de conquérir de nombreux territoires.
— Regarde, le père d’Oreste est là, parmi les capitaines, indiqua Arius à Élanée. Ton cher et tendre ne devrait pas être loin.
Hypnotisée par les reflets mystiques des boucliers, Élanée n’avait même pas prêté attention aux visages des guerriers, en partie dissimulés par leurs casques.
— Je vous laisse à présent profiter des Océanes avant de nous retrouver à minuit, afin de sacrifier le plus beau taureau blanc de la saison en l’honneur de notre dieu Poséidon ! finit par dire le roi, après un long discours de remerciements envers les dieux, les Atlantes et l’armée.
— Les dieux soient loués, fit Arius avec un sourire de soulagement. J’ai cru qu’il n’allait jamais s’arrêter.
Élanée étouffa un petit rire. C’était ce qu’elle aimait chez Arius : son franc parler et sa spontanéité à toute épreuve. S’il était prince et qu’il en avait le physique avec ses traits fins et bien dessinés, ses cheveux châtains et son regard de braise, il n’en avait cependant pas du tout l’attitude. Il paraissait ne rien prendre au sérieux et observer chaque situation avec beaucoup de recul. Cela le rendait facile d’accès, mais il n’était pas toujours évident de le cerner et de le comprendre.
— J’ai une faim de loup, tu viens près des buffets avec moi ? proposa-t-il.
— Avec plaisir. Je meurs de faim, répondit Élanée, qui continuait toujours de chercher Oreste du regard dès qu’elle le pouvait.
D’immenses tables de banquet en bois massif avaient été disposées dans chaque coin de l’agora. Les tablées étaient très longues et supportaient de nombreux mets et plats divers. Il y avait de la viande de boeuf, de porc et de mouton placée sur d’imposants plateaux en or et en argent, des dizaines de légumes dans des saladiers bordés de frises qui représentaient les histoires des dieux et déesses, mais aussi de grandes panières de fruits en tous genres. C’était un mélange de couleurs, de senteurs et de saveurs. Le sucré des figues venait doucement se mêler aux effluves qui émanaient du porc aux raisins et au miel, les dattes valsaient avec les olives vertes et noires et partout le vin coulait à flots. Comme chaque année, le festin était au rendez-vous, soigneusement organisé par les membres du palais royal.
— Mmm c’est si bon ! s’exclama Arius en mordant à pleines dents dans une figue bien juteuse.
Le jus de la figue glissait au creux de ses paumes et descendait en petits ruisseaux le long de ses poignets. Il n’avait décidément que faire des apparences.
Élanée saisit quelques raisins et les porta à sa bouche. La plupart des Atlantes s’étaient rués sur le buffet et il valait mieux tenter de se nourrir dès à présent avant qu’il ne reste plus rien de disponible.
— Arius ! Arius ! s’écria une voix sourde.
— Oh non…, fit Arius en se tournant vers Élanée, comme pour se cacher.
Élanée jeta un coup d’oeil par-dessus l’épaule du prince et vit une jeune femme aux cheveux blonds se précipiter vers lui en essayant de fendre la foule.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle à Arius.
— Callisandre, répondit-il simplement.
— Callisandre ? répéta-t-elle. Quel nom horrible. Mais ça ne me dit toujours pas qui est cette jeune femme.
— Disons que je l’ai...honorée de ma présence lors d’une nuit.
Élanée asséna un coup sur le bras d’Arius, faisant au passage tomber la nouvelle figue qu’il avait prise quelques instants plus tôt.
— Quel mufle tu fais ! le gronda-t-elle.
— Quoi ?
— Cette pauvre… Callisandre doit maintenant penser que tu t’intéresses à elle ! Il est hors de question que tu la fuies après l’avoir déshonorée.
— Je dirais plutôt honorée, dit Arius en souriant malicieusement.
— Tu sais très bien ce que je veux dire, insista Élanée, toujours campée sur ses positions.
— Est-ce vraiment le moment pour lui en parler ? Je veux dire… ce sont les Océanes.
Élanée contourna Arius et adressa un grand signe de la main à Callisandre.
— Par ici Callisandre ! s’écria-t-elle. Arius est ici !
— Tu es un monstre, Élanée, lui dit Arius, en feignant l’énervement. — Un monstre de droiture, répliqua-t-elle avec un sourire en coin.
La dénommée Callisandre parvint enfin à rejoindre Arius et l’agrippa par le bras avant de lui offrir un sourire et un regard qui en disaient long sur ses attentes envers le prince.
— Je vous laisse discuter, fit Élanée en s’éloignant de quelques pas.
Au moment où la jeune femme se retrouvait seule, les tambours et les tambourins se mirent à résonner à travers l’agora. Les musiciens frappaient les grosses timbales positionnées devant eux, envoyant le son se répercuter sur tous les bâtiments qui entouraient la place publique.
Une effervescence commença à naître et l’on vit des hommes, jeunes ou moins jeunes, inviter des femmes à danser. Après avoir mangé, il était maintenant temps de profiter de la soirée.
— M’accorderiez-vous cette danse ? demanda une voix grave.
Élanée sursauta et se tourna vers sa gauche afin de faire face à cet homme mystérieux qui venait de lui parler sans s’annoncer.
— Oreste ! s’exclama-t-elle.
Un sourire se dessina immédiatement sur le visage des deux amoureux. En une seconde, Élanée se détendit et sa poitrine se gonfla de joie.
— J’ai cru que nous ne parviendrions pas à nous retrouver, avoua-telle.
— Il y a bien du monde ce soir, pourtant me voici. Mais tu n’as pas répondu à ma question.
Oreste haussa un sourcil séducteur et Élanée fit la moue avant de saisir la main qu’il lui tendait.
— Je vous accorde cette danse, cher ami.
Au contact de sa peau brûlante, Élanée fut parcourue par un frisson tendre et agréable.
Elle se sentait décidément beaucoup mieux depuis qu’Oreste était apparu. Comme si… Comme s’il était sa maison. C’était un sentiment étrange et mielleux à souhait, elle en convenait, mais elle devait simplement se rendre à l’évidence. Élanée n’avait pourtant jamais été une grande romantique, cependant elle réalisait petit à petit que le sentiment amoureux pouvait être vraiment puissant. On aurait dit qu’Aphrodite et Éros avaient joint leurs forces pour la toucher en plein cœur.
Oreste tenait élégamment la main d’Élanée entre ses doigts et il la conduisit vers un coin de l’agora5. Tous deux n’avaient encore jamais dansé ensemble - la danse étant plutôt quelque chose de rare au sein de l’Atlantide car elle était souvent réservée à des célébrations religieuses - mais Oreste avait cru bon de l’inviter à danser avant de lui demander de l’épouser. Il voulait profiter d’un instant à deux avant de faire sa demande, et l’avoir à lui tout seul le temps d’une musique.
Au fur et à mesure que l’écho des timbales et tambourins s’intensifiait, Oreste et Élanée sentirent presque le sol pavé vibrer sous leurs pieds chaussés de sandales. Oreste posa sa main gauche sur la hanche de sa promise, et garda la douce main droite d’Élanée dans la sienne. À son tour, la jeune femme entra en contact avec Oreste et plaça sa paume dans le creux de son dos. Il se mit alors à sourire.
La mélodie s’intensifiait de plus en plus et les joueurs de lyre et de flûte se préparaient à rejoindre les rythmes sauvages des timbales et tambourins, tandis que plusieurs couples prenaient place tout autour de l’agora, créant ainsi une grande piste de danse bien dégagée.
— Prête ? demanda Oreste à Élanée.
Élanée plongea son regard noisette dans les yeux bruns d’Oreste et acquiesça d’un petit signe de la tête.
— Prête, répondit-elle.
D’un seul coup, Oreste entraîna Élanée avec lui au moment où les lyres et les flûtes rejoignaient les chœurs musicaux dans une mélodie vive et rythmée.
Les pas du couple s’envolèrent et ils se mirent tous deux à tourner, tourner, tourner. Leurs pieds ne touchaient presque plus le sol et ils se sentirent envahis par une ivresse profonde et une sensation de bien-être des plus incroyables. Proches l’un de l’autre, ils pouvaient sentir leurs souffles réciproques et percevoir les battements de leurs cœurs, qui étaient entrés en résonance. Oreste refusait de lâcher Élanée des yeux et Élanée ne pouvait détourner son regard de celui d’Oreste. Le temps semblait s’être arrêté, comme si les cercles qu’ils dessinaient autour de l’agora avec les autres couples avaient permis de contourner les lois naturelles.
Ils continuaient de tournoyer, le corps à quelques centimètres de celui de l’autre, et se mouvaient dans une cadence rapide empreinte de grâce et de légèreté. À eux deux, ils ne formaient qu’un seul être et cela se voyait. Il y avait tant d’alchimie, tant de passion que cela sautait aux yeux de quiconque les observait.
Ils sont vraiment faits l’un pour l’autre, pensa Arius en les surveillant du coin de l'œil tandis que Callisandre essayait toujours de l’impressionner, en vain.
Puis, la mélodie s’apaisa un peu et chaque danseur changea de partenaire le temps de quelques secondes. Le rythme était plus lent, plus calme et nécessitait moins de mouvements. Oreste eut l’impression que ce furent les moments les plus longs de toute son existence. Il n’avait aucune envie d’être séparé d’Élanée et gardait les yeux rivés sur elle. Il n’avait même pas prêté attention à sa nouvelle partenaire - qui dansait en plus beaucoup moins bien qu’Élanée.
La jeune promise tourna sur elle-même, guidée par son nouveau cavalier, et saisit de nouveau la main d’Oreste, qui franchit d’un bond les quelques pas qui les séparaient. Un sourire se dessina sur son visage et Oreste la fit tournoyer. Le chiton bleu d’Élanée dansa autour de ses chevilles et son buste bougea gracieusement avant de se blottir de nouveau contre le torse d’Oreste. On aurait dit une muse ou une déesse.
— Tu es vraiment magnifique ce soir, lui dit Oreste.
— Ton compliment est le seul qui m’importe, répondit-elle. Je suis contente que ma tenue te plaise.
— Je n’ai d’yeux que pour toi.
— Espérons que ça dure dans ce cas.
Oreste haussa de nouveau un sourcil malicieux. Il avait tellement envie de l’embrasser, tellement envie de l’épouser. C’en était presque indécent.
Derechef, les flûtes et les lyres vinrent donner de la force aux autres instruments et la mélodie monta crescendo avant que chaque couple ne se remette à virevolter autour de l’agora.
Les torches et flambeaux, répartis aux quatre coins de la place, conféraient une atmosphère chaleureuse et festive à la soirée, tandis que la lune continuait de briller de mille feux et observait de son regard argenté et bienveillant le jeune couple qui évoluait sous ses rayons couronnés de lumière. Oreste et Élanée étaient comme une flamme qui brûlait de désir. Plus ils bougeaient, plus la flamme grandissait et devenait belle et ardente.
La main d’Oreste, initialement sur la hanche d’Élanée, avait petit à petit migré vers le creux de ses reins. Ils voulaient être ensemble, plus que tout au monde.
Quand la musique ralentit et que la mélodie s’évanouit, Oreste, légèrement essoufflé, sut que le moment était venu. Tenant toujours Élanée près de lui, il approcha son visage du sien et, rempli de courage, prononça les mots qu’il avait tant attendu de prononcer.
— Veux-tu m’épouser ?
Élanée resta interdite pendant quelques secondes, comme si on l’avait transformée en pierre. Elle avait dû mal comprendre… Elle avait dû rêver…
— Q...Quoi ? fit-elle, pour être certaine de ne pas avoir eu d’hallucination.
Oreste sourit devant le choc qu’avait provoqué sa demande.
— Veux-tu devenir ma femme ?
— Je… Avant de me faire une fausse joie, rassure-moi, tu as déjà demandé à Apollodore ?
Élanée n’avait pas perdu son sang-froid et sa raison. Oreste éclata de rire et prit ensuite le visage de la jeune femme entre ses mains.
— Je suis allé voir ton frère aujourd’hui même. Il m’a donné son accord.
— Alors oui. Oui, je veux t’épouser !
N’écoutant que son instinct, Élanée sauta dans les bras d’Oreste, qui la serra fort contre lui. Il était le plus heureux des hommes. Son cœur bondit dans sa poitrine et battit à un rythme effréné. Un avenir radieux s’annonçait et il pouvait déjà l’apercevoir et toucher le bonheur du bout de ses doigts.
5 Pour davantage vous immerger dans l’ambiance, vous pouvez écouter
Guardian, de Lindsey Stirling, qui m’a inspiré ce passage.
Pendant qu’Oreste et Élanée étaient en train de danser, et attiraient par la même occasion tous les regards sur eux tellement ils dégageaient un bonheur et une lumière hors du commun, Arius était en grande conversation avec la dénommée Callisandre.
Avec ses cheveux blonds comme les blés et tressés pour être mieux retenus en arrière, la jeune femme était tout sourire et admirait presque Arius. Cela le mettait profondément mal à l’aise. Certes, il avait passé la nuit avec elle quelques semaines plus tôt, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il en était épris ou qu’il envisageait une histoire quelconque. Seulement, Callisandre ne semblait pas avoir la même perception des choses. Arius avait essayé de s’en débarrasser à maintes reprises, mais elle revenait toujours à la charge.
Soit elle fait comme si de rien n’était, soit elle est vraiment stupide, se disait-il chaque fois qu’il devait lui parler.
Elle s’accrochait à lui comme un chien qui venait de dénicher un os. Elle ne voulait pas en démordre. Pourtant, Arius n’avait fait aucun effort pour lui faire la conversation et cherchait sans arrêt à couper court chaque discussion qu’ils pouvaient avoir, mais Callisandre le cherchait toujours du regard dès qu’elle sortait.
— Nous pourrions aller sur la plage pour regarder les étoiles, qu’est-ce que tu en dis ? dit-elle en lui agrippant le bras et en le couvant de son regard.
Arius grimaça devant ses yeux doux. Il savait qu’il était loin d’être tiré d'affaires.
— Je… dois rentrer au palais, répondit-il brusquement.
— Comment ça ? Les festivités ont à peine commencé !
Callisandre ouvrit de grands yeux interloqués.
Elle ressemble à un poisson avec cet air-là, se dit Arius.
— Je suis un peu fatigué. J’aimerais me retirer à présent, fit-il simplement.
Il glissa un rapide “bonsoir” avant de marcher à vive allure pour traverser l’agora, en prenant garde à ne pas percuter des couples de danseurs.
En chemin, il adressa un petit signe de la main à son ami Oreste, pour le féliciter de sa demande, avant de contourner le temple de Poséidon pour se diriger vers le palais royal.
La nuit était tombée depuis une heure à présent et tout était calme. Au loin, Arius entendait le bruit des vagues, qui étaient lentes et apaisées, tandis qu’il marchait paisiblement sur le chemin poussiéreux qui menait vers sa demeure.
Le chemin était encadré de cyprès et d’oliviers, qui sublimaient encore plus le somptueux palais aux imposantes colonnes blanches qui entouraient les gigantesques portes de bois massif aux motifs sculptés et dorés. Quatre gardes le laissèrent immédiatement entrer en le reconnaissant, et il pénétra dans le patio.
Le patio était d’une beauté incomparable. Composé de deux imposantes fontaines rondes qui représentaient respectivement Poséidon et son épouse Amphitrite, on aurait dit un véritable havre de paix. De l’eau cristalline jaillissait du trident et de la paume de la main de Poséidon, dont le buste sortait majestueusement du bassin, le torse bombé et musclé. En face de cette première fontaine, on percevait les clapotis des jets d’eau qui provenaient de la bouche du poisson que la Néréide6 Amphitrite tenait entre ses doigts. Amphitrite avait été sculptée gracieusement allongée sur un côté, de façon nonchalante mais élégante, les jambes immergées dans l’eau.
Tout autour des fontaines, il y avait des carrés d’herbe bien verte et finement taillée, que les jardiniers prenaient grand soin d’arroser chaque soir pour faire rayonner la splendeur du palais et la puissance du roi. Un chemin de pavés venait traverser ces formes verdoyantes afin d’inviter à avancer jusqu’aux couloirs qui permettaient d’accéder aux diverses pièces du palais.
Arius était souvent venu s’amuser dans ce patio, que le soleil venait baigner de lumière chaque printemps et chaque été. Lorsqu’il commençait à faire chaud, des dizaines d’oiseaux de toutes les couleurs venaient se rafraîchir sur les bords des fontaines. Étant enfant, Arius s’amusait à les observer et, parfois, leur donnait quelques miettes à grignoter pour pouvoir les approcher de plus près. Ce temps-là lui paraissait désormais bien loin.
Dans la nuit claire, Arius longea tranquillement le patio, ses pas résonnant dans le jardin, et parvint jusqu’à la salle du trône. Il n’aimait pas beaucoup cette salle, qui était beaucoup trop grande, beaucoup trop pompeuse et impliquait beaucoup trop de responsabilités à son goût.
La salle du trône était très longue - au moins vingt mètres de longueur - et ne comportait qu’une interminable série de colonnes de chaque côté, qui se terminait par un trône juché sur trois marches. Le trône était fait de bois sombre et disposait d’un dossier démesuré, incrusté d’or et d’orichalque. Objectivement, c’était un bel objet, mais Arius n’avait aucune envie de l’approcher de plus près. Tous les jours, son père siégeait là et recevait des gens du peuple ou des conseillers afin de diriger le royaume. C’était d’un ennui.
Arius redoubla de vitesse pour traverser au plus vite la pièce et tourna ensuite rapidement sur sa droite, où il déboucha sur deux couloirs. Il emprunta le premier, situé en face de lui, et s’engagea dans un large escalier.
Parvenu en haut, il marcha à pas de loup jusqu’à une porte sur sa gauche avant de frapper légèrement. Une voix lui signifia qu’il pouvait entrer.
— Arius ! lui dit sa mère, la reine Althéa. Je croyais que tu étais aux Océanes.
Althéa était assise sur le rebord d’un lit, soigneusement recouvert de draps en lin, et tourna les yeux vers son fils. Son regard était doux et sa voix calme et apaisante.
La reine Althéa était d’une beauté resplendissante. Dotée d’une chevelure blonde et ondulée, qu’elle avait alors tirée en arrière pour qu’aucun cheveu ne dépasse, elle avait un visage très structuré. Ses pommettes étaient hautes et un peu saillantes, tandis que sa bouche expressive soulignait son caractère franc mais agréable. Ses yeux, teintés d’un vert foncé, scintillaient comme deux émeraudes sous la lumière de la lune.
Ce soir-là, elle était vêtue d’un chiton argenté aux nombreux voilages plus légers et fluides, qui venaient sublimer sa tenue. Toujours richement parée, Althéa avait jugé bon d’orner sa gorge d’un collier, avant de placer des manchettes d’or autour de ses poignets.
Tandis que l’astre lunaire rayonnait à travers les grandes fenêtres situées face au lit, Arius posa son regard sur sa mère, avant de le diriger vers la petite fille qui se tenait à ses côtés.
Dès qu’elle vit Arius, le visage de la petite fille s’éclaira d’un magnifique sourire.
— J’y étais, répondit simplement Arius. Mais je ne voulais pas laisser Thalia toute seule.
— Je suis avec elle, ne t’en fais pas. Tu aurais pu en profiter un peu plus.
Arius s’approcha davantage du lit.
— Va te reposer, dit-il à sa mère. Je voudrais discuter avec ma petite sœur.
À ces mots, il adressa un clin d'œil à la dénommée Thalia.
La reine Althéa se leva sans un bruit et se dirigea vers la porte.
— Bonne nuit, les enfants, leur dit-elle avant de disparaître dans l’obscurité du couloir.
Arius s’assit calmement auprès de Thalia sur le lit et prit sa petite main dodue entre les siennes.
Âgée de dix ans, la princesse Thalia était une enfant adorable et faisait preuve d’une gentillesse incomparable. Cette qualité se traduisait jusque dans son physique. Avec de longs cheveux lisses de couleur noisette et des yeux bruns légèrement bridés, qui souriaient tout autant que ses lèvres, elle était la tendresse incarnée.
Toutefois, la princesse n’était pas connue des Atlantes car elle était différente. Son petit nez aplati, sa faible tonicité des muscles, sa stature un peu trapue, mais surtout son retard physique et intellectuel l’avaient séparée de la vie quotidienne du royaume. Elle était cependant née ainsi et sa différence se voyait dès le premier coup d'œil. Pourtant, elle était la personne la plus généreuse au monde selon Arius, mais personne ne semblait s’en rendre compte.