Les derniers jours de l'Atlantide - Francis Névoret - E-Book

Les derniers jours de l'Atlantide E-Book

Francis Névoret

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Beschreibung

Quelle est la véritable fin du royaume de l'Atlantide ? Trois épreuves...Un mois pour les réaliser... Arius, le prince déchu de l'Atlantide, a disparu en mer au cours de la deuxième épreuve imposée par Zeus. Le sort de l'île est désormais plus incertain que jamais. Bellérophon, héros maudit et nouvel ami du prince, n'a pourtant pas dit son dernier mot et compte bien tenter de remporter l'ultime défi. Seulement, les dieux de l'Olympe ont plus d'un tour dans leur sac et réservent encore bien des surprises... Entre dangers, découvertes inattendues et dilemmes moraux, les héros ne semblent pas au bout de leurs peines et l'océan pourrait bien leur dévoiler de précieux mystères... Vont-ils réussir à sauver l'Atlantide ?

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Pour Joséphine, qui a su se dépasser une nouvelle fois pour la couverture.

Pour Arthur, Alexandra et mes parents. J’espère que vous dévorerez aussi ce tome.

Pour toutes celles et tous ceux qui auront apprécié fouler la terre de l’Atlantide.

Sommaire

RESUME DU PREMIER TOME

CHAPITRE 1: HERMES

CHAPITRE 2: ARIUS

CHAPITRE 3: BELLEROPHON

CHAPITRE 4: ARIUS

CHAPITRE 5: TRITON

CHAPITRE 6: BELLEROPHON

CHAPITRE 7: ARIUS

CHAPITRE 8: ARIUS

CHAPITRE 9: BELLEROPHON

CHAPITRE 10: BELLEROPHON

CHAPITRE 11: ARIUS

CHAPITRE 12: ORESTE

CHAPITRE 13: ARIUS

CHAPITRE 14: ARIUS

CHAPITRE 15: ELANEE

CHAPITRE 16: TRITON

EPILOGUE: HERMES

NOTE DE L’AUTEUR

RESUME DU PREMIER TOME

Arius, prince légitime du royaume de l’Atlantide, est un jeune homme nonchalant et solitaire, qui mène une existence paisible au cœur de son île.

Sa vie se trouve cependant bouleversée lorsqu’il fait la rencontre du dieu des mers, Poséidon, au beau milieu de la fête des Océanes, qui lui est consacrée. La divinité lui révèle alors que l’île court à sa perte, menacée par Zeus, le roi des dieux, car le peuple atlante souhaite conquérir la cité d’Athènes. Protégée par Athéna et par Zeus, la capitale grecque constitue un joyau de force et de pouvoir, mais aussi et surtout une limite à ne pas franchir.

Souhaitant sauver les siens, Arius prend la décision de prévenir son père, le colérique roi Cadmos, qui choisit de ne pas le croire, tout comme son meilleur ami, Oreste. Aussi, le prince finit par employer la manière forte avant de se retrouver exilé de la cité, sans avoir pu faire ses adieux à son amie Élanée ou encore à sa petite sœur Thalia.

Arius n’a désormais d’autre choix que d’errer sans but au cœur de la forêt, jusqu’à sa rencontre avec Hermès, le dieu du voyage, des voleurs et messager des dieux. Doté d’une personnalité insaisissable, Hermès lui indique alors que Zeus, impressionné par la bravoure du jeune Arius, souhaite lui octroyer une autre chance et le mettre à l’épreuve. Il doit ainsi remplir trois tâches minutieusement choisies en l’espace d’un mois, sans quoi l’Atlantide sera ravagée par un puissant cataclysme. Hermès lui dévoile qu’il a ainsi été envoyé par Poséidon, en secret et en double mission, afin qu’il puisse guider et conseiller Arius dans le but de réussir chacune des épreuves.

Après avoir remporté la première tâche et fait la connaissance du héros déchu Bellérophon et de son fidèle Pégase, Arius se dirige vers Pélagos, lieu de la deuxième épreuve.

Seulement, elle se révèle encore plus ardue que la première : Arius doit combattre et sortir vainqueur d’un affrontement contre Céto, un terrifiant monstre marin. Pendant qu’il tente de trouver une stratégie pour parvenir à ses fins, sa mère, la reine Althéa, le retrouve pour lui annoncer la mort de sa petite sœur.

Complètement brisé et anéanti par cette perte, qui ravive de douloureux souvenirs, en particulier la mort de sa bien-aimée Alix, cinq ans plus tôt, notre jeune héros fonce tête baissée et uniquement muni d’un glaive à la rencontre de Céto.

Aveuglé par la douleur, il se fait surprendre par la baleine géante, qui l’emporte de force au fond des abysses, ne laissant aucune trace…

CHAPITRE 1

HERMES

Hermès commençait à s’inquiéter. Arius n’était toujours pas revenu de sa deuxième tâche. Il était parti deux heures plus tôt et n’avait pas donné signe de vie depuis. La tempête faisait rage dehors et l’on ne distinguait pas grand-chose hormis les milliers de gouttes de pluie qui tombaient en rafales et balayaient le paysage avec violence. Le ciel était orageux et des éclairs pointaient le bout de leur nez dans des assauts lumineux qui inondaient Pélagos d’une lumière blanche et fantomatique. Le vent hurlait et s’engouffrait sous les portes des maisonnées tandis que les toits tremblaient et laissaient un froid humide pénétrer les foyers chaleureux.

Depuis la fenêtre qui donnait sur le jardin, puis sur la mer, Hermès scrutait les vagues, qui se déchainaient à proximité de la côte. La pluie battante qui s’écrasait sans répit contre la fenêtre rendait sa vision des choses plus difficile, mais il ne parvenait pas à détacher son regard de l’horizon. Il espérait y voir le retour d’une petite barque et de son occupant. Il sentait dans son dos la nervosité ambiante qui animait la maisonnée. Chrysalès et Érya s’adonnaient à des tâches domestiques pour rentabiliser le temps perdu qu’ils ne pouvaient pas passer à l’extérieur, Oreste et Élanée partageaient sans cesse des regards inquiets et venaient régulièrement jeter un oeil par la fenêtre, les bras croisés et les traits tirés, tandis que Bellérophon restait immobile sur un siège, les avant-bras sur les genoux et les yeux dans le vide.

Il fallait qu’Arius réussisse. Il fallait qu’il revienne. Hermès ne doutait pas de ses capacités, même s’il avait conscience de ses limites de mortel, mais plus le temps passait et plus ses espoirs s’amenuisaient. L’orage grondait si fort que tuer une créature aquatique relevait d’un véritable exploit. Zeus avait certainement mis son grain de sel là-dedans. Les éclairs et la foudre étaient ses attributs favoris et il aimait les utiliser avec parcimonie mais puissance. Il avait dû voir Arius se diriger vers Céto et avait décidé de rendre sa tâche encore plus difficile.

— Combien de temps faut-il pour venir à bout d’un monstre marin? vint lui demander Élanée, en se postant à côté de lui, face à la fenêtre.

— Tout dépend du monstre. Et tout dépend du héros.

Hermès poussa un soupir.

— Persée est venu à bout du monstre marin qui menaçait Andromède en une heure de temps1. La créature ressemblait d’ailleurs beaucoup à Céto2. C’était une sorte de cousine.

— Mais Persée disposait de la tête de Méduse et du pouvoir pétrifiant de son regard pour combattre ce monstre.

— Il ne l’a pas utilisée. Il s’est battu au corps à corps, muni uniquement de son glaive.

Élanée tourna son visage abattu vers Hermès.

— Est-ce que tu penses qu’Arius a une chance?

Le dieu ailé se tut et prit une profonde inspiration.

— Je l’espère.

Hermès vit un frisson parcourir la jeune femme, et elle croisa les bras, serrant davantage ses coudes contre ses côtes.

— Je devrais aller voir, suggéra-t-il.

— Tu en as le droit?

— Tant que je n’interfère pas dans la quête, je peux aller sur le lieu de la tâche.

— Dans ce cas, fais-le. S’il te plaît.

La voix d’Élanée était fébrile et il fut touché en plein cœur. Il pouvait ressentir sa détresse, ainsi que la nervosité et la peur éprouvées par Bellérophon et Oreste. Les deux hommes se montraient silencieux mais ils ne parvenaient juste pas à exprimer leurs pensées et ressentis. Hermès sentit alors un élan de compassion et de tristesse s’emparer de lui et il tourna le dos à la tempête.

Il se dirigea vers la porte d’entrée et posa sa main sur la poignée. Juste avant de l’ouvrir, Bellérophon s’adressa à lui.

— Je viens avec toi.

Le héros déchu se leva et, de son regard noir et perçant, toisa Hermès, qui le jaugea à son tour.

— Ne dis pas de sottises, Bellérophon. La tempête fait rage dehors, et il est plus sage de ne pas perdre de vue une autre personne, même si je ne te porte pas vraiment dans mon cœur. Arius a l’air de tenir à toi, alors je vais y aller seul.

— Il est désormais mon ami, lui répondit Bellérophon, dont le ton se faisait plus ferme.

— Et il est mon protégé. C’est à moi de m’assurer qu’il va bien. Céto est une créature marine, tu ne pourras de toute façon pas m’accompagner. Il n’y a pas d’autre barque à disposition pour toi.

— Dans ce cas, comment comptes-tu t’y rendre?

— Je suis le dieu le plus rapide de l’Olympe, tu sembles l’oublier. Si je me mets à courir, mes pieds toucheront à peine la surface de l’eau. Reste ici.

Hermès vit la mine de Bellérophon se renfrogner et sa mâchoire se contracter. Il n’aimait pas vraiment recevoir des ordres, en particulier des dieux, et il ne pouvait pas l’en blâmer. Il avait lui-même toujours détesté se plier aux attentes des autres. Cela étant, il trouvait la situation plutôt jouissive car il avait l’ascendant sur cet homme. Le dieu reconnaissait malgré tout son courage et sa force, qu’il avait aiguisés au fur et à mesure des années. Bellérophon n’était plus aussi naïf et gentil que dans ses jeunes années, mais il gardait en lui une certaine flamme d’humanité et d’espoir.

Hermès ouvrit la porte d’entrée et sentit le vent le percuter de plein fouet. Il posa un pied à l’extérieur et se retrouva trempé dans les quelques secondes qui suivirent.

Je ne peux pas déployer mes ailes dorsales sous cette météo. Elles se retrouveraient mouillées en un instant et je ne pourrais plus me déplacer aussi rapidement, se dit-il.

Il contourna alors la maisonnée et se mit à courir. Les petites ailes blanches à ses chevilles s’agitèrent et une lueur dorée enveloppa ses pieds, puis progressivement ses jambes, à mesure qu’il avançait et prenait de la vitesse. Derrière lui, Hermès sentait le regard observateur d’Oreste, Élanée et Bellérophon, qui le surveillaient depuis la fenêtre.

Il se mit alors à courir de plus en plus vite, sa vue se focalisant sur un point précis à l’horizon, et il sentit le vent lui percer les tympans et la pluie s’abattre en trombes humides et glacées contre son corps. Les gouttes s’insinuaient dans sa bouche, dans son nez et inondaient ses paupières, qui peinaient à rester pleinement ouvertes. Sa tunique blanche, habituellement immaculée, était désormais d’une transparence presque osée, et laissait apparaître les détails de la partie de son torse qui était couverte à travers le tissu.

Hermès entraînait des sortes de filaments lumineux relativement discrets dans son sillage, à mesure que sa vitesse grandissait. En quelques foulées, il atteignit la mer et se mit à courir sur la surface de l’eau, ses pieds et jambes bougeant si vite qu’il était presque impossible de les distinguer nettement.

Il faut que je trouve Arius. Il doit avoir réussi.

Il courut en ligne droite, là où la présence de Céto pouvait être la plus envisageable et là où il avait vu son protégé naviguer deux heures plus tôt.

Je déteste la pluie, c’est si désagréable. Voilà pourquoi j’ai toujours préféré Apollon à mes autres frères et sœurs.

Les bras d’Hermès, pourtant constamment en mouvement, ruisselaient tandis que ses cheveux étaient plaqués sur son front et sur son crâne. Il parcourut plusieurs centaines de mètres et ne vit strictement rien dans son champ de vision. Il n’y avait ni bruit ou agitation suspects, ni épée ou corps à la surface. Il ne pouvait cependant pas s’arrêter au beau milieu de l’eau. Hermès effectua alors des rondes et observa les alentours et différents périmètres.

Rien.

Je ne distingue même pas la barque… Pourtant, le courant et les vagues auraient dû la ramener à proximité de la berge. Où es-tu Arius?

Il commença à sentir un certain effroi monter dans sa gorge et ses yeux fouillèrent chaque recoin du paysage à la recherche d’un indice. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas concevable. Pas maintenant.

La tempête faisait rage et il commençait à ressentir ce froid désagréable mais il devait continuer à chercher. Il n’aimait pas éprouver cette sensation d’inquiétude et de frayeur, d’attente face à l’inconnu.

Alors qu’il continuait sa ronde et effectuait des cercles sur la surface de l’eau agitée, qui venait parfois s’écraser contre ses chevilles et ses mollets, il remarqua quelque chose. Il y avait une forme qui flottait. Ce n’était pas un corps. Hermès s’approcha en deux enjambées et s’empara de l’objet dans sa course. Il s’agissait d’un morceau de bois, qui avait été brisé, à en juger par ses extrémités violentées. Le bois était imbibé d’eau et semblait provenir d’une barque. La barque d’Arius.

Oh non.

Il redoubla d’efforts et s’aventura un peu plus loin dans la mer mais ne découvrit rien de plus. Il savait ce que cela signifiait.

— Alors, qu’as-tu découvert? lui demanda Élanée alors qu’Hermès venait à peine de franchir le seuil de la porte.

Oreste l’observa d’un œil presque méfiant, tandis que le dieu ailé ruisselait de toutes parts. Des filets d’eau s’échappaient de sa tunique, de ses jambes, de ses mains, de ses cheveux et de son nez. Il avait perdu l’allure fière et distinguée d’un Olympien, mais conservait toutefois son maintien et son charisme indéniables.

Il tendit simplement le morceau de bois humide à la jeune femme et se passa une main dans les cheveux pour les essorer.

— J’ai retrouvé un morceau de la barque. Mais pas Arius, annonça-t-il gravement.

Un lourd silence s’installa. Seules les gouttes d’eau qui s’échappaient du corps d’Hermès osaient briser l’atmosphère pesante en s’écrasant sur le sol sec.

— Et Céto? s’enquit Oreste.

— Pas de trace de la créature non plus. Je n’ai rien vu de plus.

— C’est impossible, dit Bellérophon.

— Je ne peux pas le croire, ajouta Élanée.

— C’est forcément une erreur, termina Oreste.

Hermès referma la porte d’entrée et entreprit d’essorer le bas de sa tunique.

— Si Arius n’est pas sur la berge et n’est pas non plus sur l’eau, alors ça signifie probablement qu’il… qu’il est en dessous de la surface. J’ignore comment s’est déroulé le combat mais il semblerait que l’issue ait été des plus funestes. Malheureusement…

Les trois compagnons d’Arius furent soudainement si sonnés qu’ils ne réagirent même pas. Ils peinaient à assimiler l’annonce qu’Hermès venait de leur faire.

— Qu’est-ce que ça signifie? demanda finalement Bellérophon, en reprenant contenance. Pour la quête je veux dire. Sommes-nous tous condamnés?

— Il est trop tôt pour le dire, répondit simplement Hermès. Je vais aller m’informer auprès des autres dieux. Poséidon saura sûrement me dire si Céto a vaincu Arius. S’il n’en sait rien, j’irai voir Hadès pour lui demander si son âme a rejoint les Enfers dernièrement. Je vous reviendrai rapidement.

Derechef, Hermès ouvrit la porte d’entrée et s’engouffra dehors. Il se remit alors à courir, le visage crispé, et partit en direction de l’Olympe.

Je veux en avoir le cœur net.

1 Andromède s’était attirée les foudres de Poséidon, à cause de sa mère Cassiopée, et avait été condamnée à être enchainée nue à un rocher afin qu’un monstre marin (une baleine Céto), vienne la dévorer. Persée vint la sauver et l’épousa à la suite de ces événements.

2 Céto est un terme qui désigne plusieurs monstres marins mythologiques, ayant des traits communs avec la baleine. C’est d’ailleurs ce nom qui donna naissance au terme “cétacé”.

CHAPITRE 2

ARIUS

Il faisait froid. Ou tiède. Quelque chose entre les deux. Arius ignorait s’il était conscient ou non. Il éprouvait des sensations mais ne savait pas dire si elles étaient bel et bien réelles. Il avait senti quelque chose lui agripper le bras, puis son corps être ballotté pendant un certain temps. Il avait senti du mouvement tout autour de lui. Puis plus rien.

Ensuite, il avait ressenti une douleur sourde très étrange lui parcourir la gorge, puis les épaules pour s’aventurer par la suite près de ses hanches et de ses jambes. Cette douleur était d’un genre nouveau : cuisante et lancinante durant une seconde, suivie d’un instant de redoux, comme si l’on appliquait un baume délicat et frais sur une blessure. Et tout était bleu. D’un bleu nuancé et constamment en mouvement.

Au loin, Arius entendit alors un bruit. Un bruit familier, comme quelqu’un qui s’approchait et que ses pas trahissaient. Cependant, les pas semblaient étouffés, presque inaudibles. Était-il en train de perdre l’ouïe?

— Vous pensez que c’est terminé? dit une voix féminine à proximité de lui.

— Difficile à dire. Il pourrait se réveiller maintenant comme dans deux jours. On ne sait jamais combien de temps cela peut prendre, répondit une autre voix.

Il était donc endormi. Endormi ou juste avec les yeux fermés. Arius se sentait comme dans un demi-sommeil. Tout juste assez éveillé pour que ses sens captent des signaux, mais pas suffisamment pour ouvrir les yeux et ordonner à son corps de lui obéir. Il se sentait épuisé, et avait envie de rester allongé là pendant des heures. Ses membres réclamaient du répit et le remerciaient de son ménagement en se détendant petit à petit. Ses pensées étaient encore indistinctes. Il ne parvenait plus à se rappeler ce qu’il s’était passé. Tout ce qu’il savait, c’était que les voix autour de lui ne lui étaient pas connues. De qui pouvait-il bien s’agir?

Tout à coup, il ressentit alors de nouveau cette douleur lancinante au niveau de ses pieds et il fut pris d’une convulsion si intense que son corps parut se casser en deux. Sa chute de reins se raidit et ses jambes formèrent un arc pendant quelques instants. Ses bras s’étaient contractés, tout comme sa mâchoire, et Arius faisait de son mieux pour ne pas hurler. Il avait l’impression qu’un char lui écrasait les pieds, ou qu’on le frappait avec cinquante marteaux. Que se passait-il? Qu’étaiton en train de lui faire?

La douleur franchit alors un nouveau cap et ce fut comme si une aiguille s’était insérée dans son cerveau. Durant un bref instant, il ne ressentit plus rien. L’instant suivant, la douleur revint, encore plus vive, et son esprit flancha. Tout devint noir et il perdit connaissance.

Une légère lumière traversait les paupières closes d’Arius lorsqu’il reprit progressivement connaissance. Il émergea d’un sommeil lourd et douloureux et se rendit compte que tout était calme autour de lui. Cela lui rappelait les matinées de printemps, où le soleil commençait timidement à envahir les différentes pièces du palais, tandis que seul le personnel était levé. Il aimait cette accalmie, ce temps suspendu, ces moments de douceur et de calme avant l’euphorie quotidienne.

Il entreprit alors d’ouvrir délicatement les yeux et fut saisi par la clarté bleutée de son environnement. Quelques rayons lumineux traversaient l’espace, mais il percevait surtout des reflets et du bleu en mouvement. Arius cligna plusieurs fois des yeux et vit alors un plafond en bronze, formé par des arcs voûtés maintenus par des piliers, du même métal précieux. Des reflets blancs et bleus parcouraient le plafond, dans une danse légère et joyeuse. Y avait-il de l’eau au sol?

Il leva les yeux juste au-dessus de sa tête et s’aperçut qu’une imposante tête de lit en argent, qui représentait un coquillage, l’observait. Il décida alors de bouger ses doigts et constata qu’il était effectivement sur un lit. Il sentait la finesse du tissu sous ses mains, la souplesse et la douceur des soieries. Toutefois, elles étaient si lisses et glissantes qu’il se demandait d’où elles pouvaient bien provenir. Les soieries étaient certes reconnues pour leur légèreté, mais celles-ci paraissaient presque nuageuses, à peine palpables. C’était une impression étonnante.

En tournant la tête, Arius s’aperçut qu’une fenêtre en arc se trouvait sur sa droite, seulement il ne distinguait pas ce qui se trouvait à l’extérieur. Tout était bleu. Le ciel semblait s’être paré d’une couleur lourde et peu lumineuse, malgré les rayons qui le traversaient. Tout autour de la fenêtre, des représentations de l’eau avaient été peintes sur les murs. C’était comme si les fonds marins avaient été mis en avant, à travers différentes teintes de bleu et des nuances précises. Arius n’avait jamais vu cet endroit et ignorait où il avait atterri. L’atmosphère lui paraissait étrange, presque irréelle.

Il fut alors traversé par une fraîcheur soudaine et immédiate qui le fit frissonner. Les poils sur ses avant-bras se hérissèrent et il contracta les muscles de son torse. Il se rendit subitement compte qu’aucun vêtement n’était au contact de sa peau. Le froid l’avait transi, sans passer par le tissu de sa tunique. Il palpa son pectoral gauche avec sa main droite et confirma sa pensée. Il était nu. Arius poussa un profond soupir et se releva doucement sur ses coudes. Il baissa son regard sur son torse, puis sur ses jambes, et son cœur s’arrêta. Il n’avait plus de jambes.

Ses deux membres avaient désormais fusionné pour former une partie de corps stupéfiante. Des écailles, d’un bleu violacé, se rapprochant du bleu électrique avec des notes plus douces, couvraient entièrement le bas de son corps, de son nombril à la pointe de ses pieds. Ces écailles étaient toutes récentes, sans défaut, et semblaient briller sous les rayons lumineux qui perçaient la fenêtre. Elles se terminaient par une queue de poisson, dont la forme rappelait celle des dauphins, avec toutefois une transparence et des écailles et membranes différentes. Elle semblait plus fine et plus performante, mais également plus développée dans ses détails.

Abasourdi, Arius contempla ce nouveau membre unique sans savoir quoi penser. Son sang semblait s’être figé dans ses veines, et son cœur n’était pas décidé à battre normalement de nouveau. Il respirait fort et ne savait pas comment il devait réagir. Il devait rêver. C’était la seule explication. Il devait rêver.

Il fit alors bouger sa queue - non sans une curieuse impression car il ne bougeait désormais qu’un membre et non plus deux jambes - et constata qu’elle répondait effectivement à son corps et à son esprit. Sa queue était lourde et lui donnait l’impression d’être prisonnier car il ne pouvait plus bouger aussi facilement qu’auparavant.

Il doit y avoir une explication à tout ceci…Respire…Un…Deux…Trois…, se répéta-t-il.

Pour ne pas céder à la panique, il posa son regard sur les alentours et constata avec stupeur que les reflets dansants et cette queue n’étaient pas dus au hasard. Il se trouvait sous l’eau.

— Ah! Je vois que tu es réveillé! s’exclama une voix, sur un ton guilleret.

Une jeune femme - qui devait avoir vingt ou vingt-deux ans maximum - apparut dans l’encadrement de la porte, située en face du lit sur lequel Arius reposait, légèrement sur la droite.

Elle était très jolie, avec une beauté qui croisait celle de la jeune femme et celle de la petite fille, et sa voix aigüe pouvait encore en témoigner. Sa peau était de couleur brune - d’un brun relativement intense et homogène - et ses cheveux étaient noirs et bouclés. Ces derniers avaient été légèrement tirés en arrière et relevés, avant d’être surmontés par une tiare très discrète faite de perles de nacre. La jeune femme disposait de grands yeux noirs aux longs cils, qui lui conféraient un regard profondément expressif.

Elle pénétra dans la chambre et Arius découvrit que son buste était suivi d’une queue de poisson élégante et gracieuse de couleur orangée, avec des nuances roses complétées par des reflets irisés. Le bout de sa nageoire avait presque l’air d’ailes de papillon tellement il était raffiné et fluide. La poitrine de la jeune femme était protégée par un vêtement à l’effet satiné qui lui couvrait les seins avec un mouvement torsadé au centre, et s’étendait ensuite jusqu’à ses biceps pour devenir des manches évasées et fluides en pagode. À chacun de ses mouvements, ses longues manches flottaient paresseusement dans son sillage, à l’unisson avec sa queue de poisson colorée. Autour du cou de l’inconnue avait été accrochée une petite chaîne en or ornée d’un splendide quartz rose.

En voyant le collier de la jeune femme, Arius porta brusquement sa main à son torse. Son sang ne fit qu’un tour dans ses veines. Lorsque ses doigts rencontrèrent sa propre chaîne et la médaille avec Psyché et Éros, il poussa un long soupir de soulagement. Il avait beau être nu et avec une queue de poisson, au moins on ne lui avait pas ôté son bijou.

— Qui es-tu? lui demanda Arius en s’asseyant sur le lit.

Il ne maîtrisait pas cette nouvelle queue et il tenta tant bien que mal de garder son équilibre en position assise.

L’inconnue s’approcha du lit et se planta devant lui, un sourire radieux aux lèvres.

— Je m’appelle Kala! Je suis contente que tu sois réveillé, j’avais hâte de pouvoir te parler.

— Enchanté Kala, je suis Arius.

— Oh je sais qui tu es. Tout le monde le sait ici, à vrai dire.

— Comment est-ce possible?

Arius se passa une main sur le visage, comme pour tenter de se réveiller d’un mauvais rêve. Il avait tant de questions.

— On t’expliquera plus tard. Mais le plus important : comment tu te sens?

— Hum…

Il était difficile d’expliquer précisément tout ce qui lui passait par la tête.

— Secoué, répondit-il simplement. Où sommes-nous?

— Dans le palais divin. Dans les profondeurs de la mer.

— Le palais de Poséidon? s’étonna Arius, en scrutant les alentours, comme s’il découvrait son environnement avec de nouveaux yeux.

Kala étouffa un petit rire naïf et mélodieux.

— Non, le palais de Poséidon ne se trouve pas ici. Tu comprendras bien assez vite. Ce n’est pas à moi de t’expliquer tout ceci.

— Ah, tu es là Kala!

Une autre jeune femme franchit l’encadrement de la porte et rejoignit Kala, sans prêter attention à Arius.

Cette nouvelle personne avait une peau d’une teinte encore plus foncée que celle de Kala, soulignée par deux grands yeux noirs en amande, munis de très longs cils. Contrairement à Kala, la mâchoire de l’arrivante était carrée et plus forte, et elle disposait de lèvres très fines, surmontées par un nez dont le bout était bien arrondi. Ses cheveux d’un noir d’ébène étaient ondulés, et avaient été tirés et relevés, comme la coiffure de Kala, à l’exception de deux petites mèches frisées qui s’échappaient du tout pour flotter près de ses oreilles. La jeune femme paraissait moins avenante et solaire que Kala, mais une certaine ressemblance entre les deux était malgré tout perceptible.

— Regarde, Iona, notre invité s’est réveillé.

— Il ne faut pas traîner et le lui présenter, répondit la dénommée Iona sans accorder un regard à Arius.

— Tu as raison. Allons-y!

Kala posa une main douce et fraîche sur le poignet d’Arius et le tira en avant.

— Suis-moi, lui dit-elle gentiment.

— Où va-t-on?

— Nous allons te présenter au dieu des vagues.

Arius fit bouger sa queue et, après quelques mouvements balbutiants, il trouva son rythme plutôt rapidement, à sa grande surprise. La sensation presque nuageuse et fluide de ce nouveau membre était à la fois agréable et perturbante. Arius était un humain et avait toujours marché sur ses deux pieds, à la verticale, et il était déroutant de se retrouver presque à l’horizontale pour avancer, avec une impulsion de queue et, parfois, des bras. Il avait constamment l’impression de tomber en avant alors que l’eau le soutenait, comme une force en lévitation.

Dès qu’ils sortirent, Arius découvrit un long couloir aux dalles bleues, encadré de portes qui menaient apparemment à différentes chambres. Ils le traversèrent rapidement, entraînant derrière eux quelques salves bulleuses, et empruntèrent un escalier à double volées paré de rampes sculptées d’or qui représentaient des algues en mouvement, avant de parvenir à un niveau inférieur. Arius fut surpris du choix d’avoir fait construire un escalier là où les habitants de ce palais semblaient se déplacer en nageant. Ils ne touchaient donc pas les marches.

Il posa alors son regard sur Iona, qu’il n’avait pas réellement observée, et remarqua que sa queue était violette, avec des reflets argentés sur ses écailles. Tout comme Kala, elle avait un vêtement indigo qui dissimulait le haut de son buste, à ceci près que ses manches se scindaient en deux directement au niveau de ses épaules. Ses bras et biceps étaient donc presque entièrement visibles, et elle avait orné ses poignets de manchettes et bracelets larges d’or et d’argent ornés d’améthystes.

Arrivés au premier étage, deux soldats en armures d’argent étincelant et munis de lances ouvrirent deux lourdes portes de bronze aux contours grisés et dévoilèrent une immense salle du trône, tout en longueur et en luminosité.

La salle du trône était d’une beauté presque surnaturelle. D’un point de vue architectural, elle ressemblait beaucoup à la salle du trône de la cité royale de l’Atlantide, avec d’imposantes colonnes - fabriquées dans un verre étonnant et rutilant - qui soutenaient une armature avec des ouvertures en arcade. Le sol de la pièce était également entièrement transparent, comme s’il avait été façonné dans un cristal d’une perfection impressionnante. Le sol donnait ainsi vue sur le rez-de-chaussée, et vice-versa. Tout semblait scintiller dans cette très longue pièce, qui débouchait sur un imposant trône d’or. Ce trône était à la fois fascinant et presque terrifiant. Le siège royal disposait d’un dossier très large et très haut, qui représentait une vague taillée en relief, dont le sommet paraissait vouloir engloutir le palais tout entier. Les accoudoirs étaient chacun ornés de turquoises et de saphirs, tandis que les quelques marches qui menaient au trône avaient été parées de différents coquillages, qu’Arius n’avait jamais vus.

La spacieuse salle avait toutefois un aspect très naturel, puisque des algues d’un vert radieux entouraient les colonnes et venaient se rencontrer et se lier au niveau du plafond voûté. Des petites fleurs aquatiques jaunes, violettes et roses ornaient également les rebords des ouvertures entre chaque pilier. Arius aperçut alors un petit banc de poissons argentés traverser la pièce d’un bout à l’autre, tandis qu’une étoile de mer s’accrochait de façon immobile à un pan de mur.

Le jeune homme remarqua alors la présence de son nouvel interlocuteur, qui était assis sur le trône. En s’approchant de lui, Kala et Iona lui adressèrent un léger signe de tête, en guise de soumission et désignèrent Arius de leurs mains sveltes. Tout autour d’eux, des gardes en armure et des jeunes filles à queue de poisson les regardaient discrètement en chuchotant.

— Seigneur, dit Iona, avec tout le respect possible. Notre invité s’est réveillé il y a quelques instants. Nous sommes venus vous le présenter aussi vite que nous avons pu.

L’homme jaugea Arius d’un œil sévère, puis posa son regard sur Iona.

Celui qui semblait être le roi de ce royaume sous-marin paraissait relativement jeune. Il devait avoir trente ans tout au plus, et possédait des cheveux châtains et courts, dont le devant ondulait légèrement, de sorte qu’une ou deux mèches soyeuses se recourbaient en tombant sur son front. Il avait des yeux argentés et un visage tout en longueur, marqué par un nez très fin et pointu. Sa bouche était légèrement tordue, comme si elle n’avait pas voulu être entièrement symétrique, et il ne disposait d’aucune barbe au niveau de la mâchoire ou du menton. Ce qui se remarquait le plus était toutefois son torse, qui était parfaitement bien taillé, avec des pectoraux saillants et lisses et une armature abdominale plutôt dessinée, qui allait de paire avec des épaules et biceps puissants et harmonieux. Il était d’une beauté supérieure à la moyenne, mais plus authentique que celle d’un dieu. Son charme et son charisme étaient différents de ceux d’Artémis ou d’Hermès.

Comme tous les autres habitants qu’il avait rencontrés ou aperçus jusque-là, Arius constata que son interlocuteur n’avait pas de jambe mais une queue de poisson, dont la terminaison flottait élégamment et bougeait paresseusement au rythme des mouvements de l’eau. Sa queue était d’un gris clair et argenté, et comportait des reflets bleu métallisé selon l’orientation des rayons lumineux. Sur les côtés, un peu en dessous du niveau des hanches, deux écailles tout en longueur mais petites en hauteur, ornaient ses flancs.

Son physique était complété par une sangle faite entièrement de petits coquillages blancs, bruns et jaunis, qui traversait son torse de part en part et soutenait une conque rosée à proximité de sa hanche gauche. Il tenait également fermement dans sa main droite un trident au manche fait de bois d’acajou, et aux dents dorées.

— Tu es revenu de loin, Arius, lui dit finalement l’homme aquatique, en faisant entendre sa voix sur un ton plutôt rassurant, mais qui laissait à penser qu’elle pouvait se montrer menaçante.

En posant de nouveau son regard sur ce mystérieux inconnu, Arius remarqua que ses épaules et les côtés de son cou étaient parsemés de petites écailles éparses argentées aux reflets bleutés. Quelques-unes venaient également orner ses tempes et ses pattes-d’oie.

— J’ignore où je me trouve actuellement, répondit Arius, mais je vous remercie pour votre hospitalité et pour m’avoir amené ici.

Ce n’était pas entièrement vrai, car Arius ne se sentait pas spécialement rassuré pour le moment. Il ignorait pourquoi il avait une queue de poisson et si ce phénomène était irréversible, et surtout pourquoi il était encore en vie et non pas auprès de ses amis. Il savait cependant qu’il valait mieux se montrer agréable avec des inconnus.

— Poséidon m’a demandé de prendre soin de toi. Je l’ai rarement vu aussi protecteur et bienveillant. Aussi, quand tu as été entraîné dans les profondeurs de l’océan par Céto, certaines des Néréides et moi-même sommes venus te sauver.

Arius fronça légèrement les sourcils. Cet homme connaissait Poséidon et semblait avoir un lien de proximité avec lui. Mais il n’arrivait pas à l’identifier.

— Tu ne sembles pas faire le rapprochement avec ce que je te dis là, poursuivit l’inconnu, amusé. Je suis le dieu Triton, messager des flots et divinité des vagues.

À ces mots, le jeune homme haussa les sourcils, comme si tout s’éclairait subitement.

— Il me tardait de faire ta rencontre, Arius. Mon père, Poséidon, m’a beaucoup parlé de toi et de ce que tu as entrepris pour ton peuple. Il est rare de voir un tel dévouement pour son royaume, d’autant plus que Zeus ne t’a pas épargné, si j’en crois les murmures de l’Olympe. Il est cependant de notre devoir de t’aider.

Arius se racla la gorge avant de parler, et remarqua que quelques bulles sortaient de sa bouche.

— Dieu Triton, n’est-ce pas dangereux de vouloir me venir en aide? J’ai bien peur que Zeus ne retourne sa colère contre vous.

— Zeus est peut-être le roi des dieux, mais il ignore ce qui se passe dans les fonds marins. Il est le dieu du ciel et de la terre, mais Poséidon règne en maître sur les mers et océans, tandis qu’Hadès reste toutpuissant aux Enfers. Mon palais se trouvant dans les profondeurs aquatiques, mon oncle ignore tout ce qui se passe ici, et c’est tant mieux pour toi.

— Je vous remercie pour votre accueil et votre gentillesse. Cela me va droit au cœur.

Arius s’inclina légèrement, pour marquer son respect et sa reconnaissance, avant de croiser le regard de Triton, qui ne cillait plus. Un bref instant de flottement s’installa entre les deux hommes, avant que le dieu ne brise le silence de nouveau.

— Tu dois avoir beaucoup de questions. Je te propose de t’entretenir avec moi quelques instants, afin que je puisse mieux t’expliquer la situation. Suis-moi.

Sans dire le moindre mot, tous les sujets de la salle du trône se dirigèrent vers la sortie, y compris Kala et Iona, tandis que Triton s’engouffrait par une ouverture à l’opposé. Arius scruta les alentours et suivit, non sans une certaine appréhension, le dieu des vagues.

Triton s’engagea dans un large escalier en colimaçon, qu’il survola avec une vitesse et une fluidité impressionnantes. Les deux hommes étaient entrés dans une tour ronde, surprenante par rapport à l’architecture atlante, et montaient en direction d’un étage supérieur. Le dieu marin pénétra ensuite dans une pièce lumineuse, teintée de beige et d’or, avec beaucoup de notes boisées, ce qui était presque surréaliste compte tenu que tout se trouvait sous l’eau.

La pièce était circulaire et suivait la forme de la tour. Elle ressemblait à une sorte d’office, où trônaient un bureau aux pieds taillés de telle sorte qu’ils donnaient l’impression de former des tourbillons, ainsi qu’un immense globe aux différentes nuances de bleu, qui mettaient en relief des centaines de détails sur les mers et les océans. Contrairement aux documents habituels, il mettait en lumière les étendues aquatiques plutôt que les terres connues. Arius remarqua d’ailleurs que certaines terres lui étaient totalement étrangères et fut surpris de la forme arrondie de cette représentation du monde. Sur tout le mur, une bibliothèque faite en pierre de jade comportait des centaines de parchemins, papyrus et tablettes, protégés par des bulles d’oxygène qui les préservaient de l’eau salée.

— C’est admirable ce que tu es en train d’accomplir pour l’Atlantide, fit Triton en se tournant vers Arius, sa main toujours fermement posée autour du manche de son trident.

— Je sais que mon peuple et moi-même ne sommes pas parfaits, mais tout le monde ne mérite pas de mourir. J’essaie simplement de faire ce qui est juste.

— Mais parfois, ce qui est juste nécessite de faire de grands sacrifices.

Arius hocha la tête, comme pour signifier qu’il ne savait pas très bien où Triton voulait en venir.

— Tu aurais pu mourir si Poséidon n’était pas venu nous tenir au courant de cette seconde épreuve. Tu étais prêt à donner ta vie pour les Atlantes.

— Tout ça n’a pas d’importance.

— Au contraire, et c’est justement pour cette raison que mon père m’a demandé de veiller sur toi et de faire en sorte que tu te rétablisses. Il voit en toi un immense potentiel. C’est pourquoi nous t’avons amené dans mon palais. Il fallait que tu te remettes de ton épreuve.

Triton contourna le globe marin et le fit tourner nonchalamment.

— Pourquoi ai-je une queue de poisson? M’avez-vous transformé pour toujours?

Arius avait posé la question qui lui brûlait les lèvres depuis de nombreuses minutes. Il s’entendit la prononcer et se trouva naïf, mais il devait en avoir le cœur net.

Triton lui sourit et effleura sa conque du bout de ses doigts.

— Sans cette queue, tu n’aurais pas pu survivre un seul instant dans les profondeurs de la mer. Nous t’avons administré un extrait de Phukos. C’est une essence que seuls les peuples aquatiques savent concocter. Elle est produite à partir d’algues des différentes régions du monde et… enfin, je ne vais pas te dévoiler tous les pouvoirs des divinités. Le Phukos t’a permis de rester en vie. Il t’a doté d’une queue de poisson, comme nous tous, et de branchies.

Arius eut un mouvement de recul.

— De branchies? demanda-t-il, suspicieux.

Derechef, Triton esquissa un sourire.

Il s’approcha alors doucement du jeune homme et, après avoir posé son trident, traça de ses doigts deux petits traits invisibles au niveau des trapèzes d’Arius, avant de laisser glisser ses mains dans son cou. Arius retint son souffle, comme mu par une force non perceptible, et observa attentivement le dieu Triton se tenir à quelques centimètres de lui, tandis que ses doigts frais et lisses parcouraient le haut de son buste.

Un léger frisson le traversa jusqu’à la chute de ses reins alors que Triton laissait ses doigts se promener derrière ses oreilles et descendre progressivement sur les côtés de son cou, pour suivre les branchies. Deux sur les trapèzes à l’horizontale, et deux près du cou à la verticale. Triton plongea alors son regard argenté dans celui d’Arius, comme dans la salle du trône. Il semblait vouloir déchiffrer quelque chose, repérer une lueur ou déterrer un secret.

— Ces branchies te permettent de respirer sous l’eau, et ta queue de poisson de bouger.

Triton ôta lentement ses mains du cou d’Arius et s’éloigna d’un ou deux mètres avant de reprendre son trident.

— Est-ce…est-ce un état permanent? demanda Arius, qui avait été ébranlé par ce contact physique si soudain et perturbant.

— Non. Cet état est uniquement permanent pour moi. Je suis né avec cette queue. Je suis une création marine et le resterai pour l’éternité. Les Néréides, qui peuplent ce palais et ses alentours, peuvent changer de forme à souhait. À partir du moment où elles sortent de l’eau, leurs queues laissent place à des jambes humaines. C’est ce qui explique que bon nombre de héros et êtres humains aient pu croiser leur chemin. Mais il existe aussi un troisième cas, qui est celui qui t’intéresse.

Triton posa sa main sur l’armature en bronze qui entourait le globe.

— Lorsque l’on obtient une queue de poisson à l’aide du Phukos, celle-ci ne reste que le temps de l’immersion sous l’eau. À partir du moment où tu émergeras des flots, elle disparaîtra, sans possibilité de se reformer. Veille donc à laisser tes jambes sous l’eau jusqu’à ce que tu n’aies plus besoin d’être un triton.

Arius fronça les sourcils en l’entendant prononcer son propre prénom en tant que nom commun.

— Triton? répéta-t-il.