Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Résumé : En 1900, les membres de la société secrète chinoise du Yihetuan, « Poings de justice et de concorde », surnommés « Boxers », se soulèvent contre la présence étrangère. Les puissances coloniales, présentes en Chine depuis la guerre de l’Opium de 1840, réagissent aussitôt, obligeant l’impératrice douairière Cixi à s’enfuir de Pékin.
Voyageur sans pareil autour du monde,
Pierre Loti (1850‑1923), marin en mission, est témoin de cette répression. Il traverse les campagnes pour se rendre à Pékin où il fait deux séjours en 1900 et en 1901. Au sein de cette « Babel inouïe », il en profite pour découvrir une partie de la Chine jusque-là inconnue de l’Occident. Pour la première fois, ces lieux sacrés, temples, palais, jardins somptueux et énigmatiques, dévoilent leurs secrets. Entre l’horreur de la guerre et la splendeur de l’architecture chinoise,
Pierre Loti contemple et admire des trésors longtemps ignorés : le temple du Ciel, la Cité interdite, le temple des Lamas, les fabuleux tombeaux des empereurs de Chine… et constate qu’une civilisation disparaît sous ses yeux.
L’œuvre de
Pierre Loti ne cesse aujourd’hui d’être relue et réévaluée. On redécouvre en particulier la modernité et la lucidité de l’écrivain-voyageur, observateur de talent. À cet égard, sa présence en Chine en 1900-1901, à l’issue de la révolte des Boxers, nous vaut un récit inattendu et fort riche, d’une densité humaine étonnante : voilà assurément un des grands livres de Loti.
"Les Derniers jours de Pékin", ce sont des terres défigurées par les ravages d’une guerre, jonchées de cadavres et de moissons non récoltées, où tout n’est que débris, cendres et porcelaine brisée. Mais par-delà la ruine et le carnage, Loti voit aussi la beauté d’une grande civilisation : celle « de la vraie Chine, de la très vieille Chine », celle « d’un art chinois que l’on ne soupçonne guère en Occident, d’un art au moins égal au nôtre ». Spectateur d’un possible effondrement, il s’exclame, au passé déjà : « Combien le génie de ce peuple chinois a été jadis admirable ! » Moins d’une décennie plus tard, l’Empire aura vécu : à la Chine, dès lors, de se réinventer.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Louis-Marie-Julien Viaud dit
Pierre Loti, né le 14 janvier 1850 à Rochefort et mort le 10 juin 1923 à Hendaye, est un écrivain, officier de marine français et académicien.
Pierre Loti, dont une grande partie de l'œuvre est d'inspiration autobiographique, s'est nourri de ses voyages pour écrire ses romans, par exemple à Tahiti pour "Le Mariage de Loti" (Rarahu) (1882), au Sénégal pour "Le Roman d'un spahi" (1881) ou au Japon pour "Madame Chrysanthème" (1887). Il a gardé toute sa vie une attirance très forte pour la Turquie, où le fascinait la place de la sensualité : il l'illustre notamment dans "Aziyadé" (1879), et sa suite "Fantôme d'Orient" (1892).
Pierre Loti a également exploité l'exotisme régional dans certaines de ses œuvres les plus connues, comme celui de la Bretagne dans le roman "Mon frère Yves" (1883) ou "Pêcheur d'Islande" (1886), et du Pays basque dans "Ramuntcho" (1897).
Membre de l'Académie française à partir de 1891, il meurt en 1923, a droit à des funérailles nationales et est enterré à Saint-Pierre-d'Oléron, sur l'île d'Oléron, dans le jardin d'une maison ayant appartenu à sa famille. Sa maison à Rochefort est devenue un musée.
Pierre Loti a été sélectionné quatre fois pour le prix Nobel de littérature, en 1910, 1911, 1912 et 1913.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 405
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Les Derniers Jours de Pékin
Pierre Loti
Les Derniers Jours de Pékin
MAGELLAN & Cie
Avertissement : sauf mentions contraires (N.d.A. : note de l’auteur, et N.d.É. : note de l’éditeur), toutes les notes critiques sont dues à Gaultier Roux et originales à la présente édition.
BARBARES, FANTÔMES ET CHIMÈRES
préface
par Gaultier Roux et Alain Quella-Villéger
Un véritable concours de néologismes accompagna l’aventure littéraire de Pierre Loti (au civil Julien Viaud, 1850-1923). En 1898, se crée par exemple au Quartier latin une société littéraire se réclamant du « lotisme ». Le Gil Blas du 18 novembre 1898 cite alors la lettre d’un admirateur qui place ce concept hors des modes – ni société, ni chapelle, ni snobisme, mais délibérément à l’écart : « Loti est seul » ! Mallarmé, il est vrai, classe le deuxième roman du jeune écrivain, Le Mariage de Loti (1880), « presque en dehors de la littérature et d’une saveur exquise »1. « Aurons-nous un jour l’école du lotisme ? » se demande à sa mort la Dépêche de Constantine (20 juin 1923) ? D’un côté des laudateurs inconditionnels, de l’autre ceux qui stigmatisent une « lotirature »2 ou par trop superficielle, ou par trop pernicieuse, ô combien condamnable toujours !
Citons à cet égard celui qui est toujours présenté comme l’anti-Loti par excellence (mais ce n’est pas si simple3), Victor Segalen : « Dans cette Chine de quelques vers, de quelques musiques, parée de tant de durée, de tant d’équivoque, de tant de préciosité sauvage, et de fragilité… Mais ceci combien Lotiforme »4. Du Tahiti de ses Immémoriaux à la Chine surchargée de mémoire, Segalen croise souvent Loti, non l’homme auquel il écrit quelques lettres, mais l’œuvre, et celui qui en Chine veut être pionnier s’en montre embarrassé : « Le sujet est énorme, je n’en disconviens pas ; personne ne l’a osé jusqu’ici. J’ai cette bonne fortune que la Chine, milieu immense, soit intacte dans les Lettres françaises (car Loti l’a si peu touchée dans Les Derniers jours de Pékin) » (1er novembre 1909). Loti résume-t-il à ce point les Lettres françaises ?
En tout cas, Pierre Loti est en effet venu en Chine – pour être exact son alter ego l’officier de Marine –, à peine rentré d’un voyage privé en Inde et en Perse. Ayant quitté Cherbourg à bord du Redoutable, le 2 août 1900, il séjourne du 24 septembre au 10 octobre à Takou – avec une journée, le 3, à Ning-Haï, à la frontière de la Mandchourie –, puis il part le 13 octobre pour Pékin en chemin de fer, remontant en jonque le Peï-ho5. Pierre Loti, son domestique Osman Daney, le soldat Jules David et leur équipage de cinq Chinois parviennent nonchalamment à Tong-Tchéou en ruines, puis à cheval à Pékin où l’écrivain-officier s’installe dans un ancien palais de l’impératrice (18-30 octobre) et visite divers sites ; il repart pour Takou (7 novembre-4 décembre).
Après quelques semaines japonaises, son navire le ramène à Takou (5-18 avril 1901) et de là, en chemin de fer, dans la capitale vaincue (20 avril-12 mai) ; il y est chargé de représenter l’amiral Pottier aux obsèques du chef d’état-major allemand, le général Schwarzhoff, mort dans l’incendie de son palais. Il en profite pour se rendre, du 26 avril au 5 mai, dans la région d’Y-Tchéou afin de visiter des tombeaux impériaux. Du 14 mai au 14 juin, on le retrouve au port de Takou. Là, s’intercale une excursion toute militaire en Corée, les 17-23 juin6. Encore quelques journées chinoises (Takou, 19 juillet-5 août ; Tchefou, 7-26 août) et Pierre Loti quitte définitivement l’Extrême-Orient, non sans faire étape en baie d’Along, à Saigon et aux temples d’Angkor. Il est à Marseille le 7 avril 1902.
Ce séjour chinois n’a rien d’anodin, rien d’un voyage en dilettante. On est alors en pleine révolte des Boxers. Afin de protéger leurs ressortissants assiégés dans Pékin, huit nations alliées (Grande-Bretagne, France, Russie, Allemagne, Italie, Autriche, États-Unis et Japon) ont envoyé leurs escadres croiser dans les eaux chinoises et japonaises. Le conflit vient de cesser quand Loti arrive ; il n’a pas à se battre, mais il en rapporte un reportage, d’après-guerre plus que de guerre : Les Derniers Jours de Pékin, prépublié de façon discontinue dans Le Figaro, entre le 4 janvier et le 30 décembre 1901, puis paru en volume chez Calmann-Lévy, le 19 février 19027. Les Derniers Jours de Pékin, livre d’automne (celui de la vie) et d’exil, est parcouru par les paysans en exode, défiguré par les incendies, jonché de cadavres et de cercueils, de moissons non récoltées, de décombres, de cendres, de porcelaines brisées – de caisses de pillage, aussi…
Manifestement voilà, malgré son caractère glaçant, un des grands livres de Pierre Loti, d’une densité humaine étonnante. Loti découvre en effet une civilisation : celle « de la vraie Chine, de la très vieille Chine » ; il a la révélation « d’un art chinois que l’on ne soupçonne guère en Occident, d’un art au moins égal au nôtre », et s’exclame : « Combien le génie de ce peuple chinois a été jadis admirable ! » Loti se prend de pitié pour « la misère du peuple englouti dans la guerre » et prophétise – sans être le premier : « Mon Dieu, le jour où la Chine, au lieu de ses petits régiments de mercenaires et de bandits, lèverait en masse, pour une suprême révolte, ses millions de jeunes paysans tels que ceux que je viens de voir, sobres, cruels, maigres et musclés, rompus à tous les exercices physiques et dédaigneux de la mort, quelle terrifiante armée elle aurait là, en mettant aux mains de ces hommes nos moyens modernes de destruction ! » Quand la Chine s’éveillera…
Les Derniers Jours de Pékin ne sont pourtant pas placés sous la menace du péril jaune, qui fascine déjà tant l’Occident8. Si Loti éprouve de l’effroi dans ces pages, un effroi d’ailleurs mêlé de fascination, c’est en raison de la capacité d’autodestruction de l’humanité dont il est alors témoin. Son récit est parcouru d’images récurrentes comme celles du cadavre, de la ruine, ou de la poussière. Vision terrible qui est la sienne, et bien réaliste, d’une civilisation qui pourrait disparaître, proie de son affaiblissement interne comme des convoitises impérialistes de l’Occident et du Japon. Ainsi le texte est-il traversé de deux analogies qui révèlent à proprement parler l’impression profonde de l’auteur.
La première analogie est historique et associe la Chine, par-delà le temps et l’espace, aux civilisations disparues. Sans cesse, ou Pékin ou l’Empire sont comparés tantôt à Babylone, tantôt à Thèbes et à l’Égypte. « Le passé, tout l’antérieur amoncelé des durées, obsède mon imagination d’une manière presque constante. Et souvent j’ai eu ce désir – le seul irréalisable de façon absolue, impossible même à Dieu – de retourner, ne fût-ce que pour un instant furtif, en arrière, dans l’abîme des temps révolus, dans la fraîcheur matinale des autrefois plus ou moins lointains. »9 Ce que lui offre la Chine, à défaut d’un voyage vers le passé, c’est de faire l’expérience d’une civilisation dont l’extrême continuité historique n’a pas d’égale dans l’histoire mondiale, et c’est à la fois la superposition des strates du passé, l’affaissement de ce passé sous son propre poids, et les conséquences d’une guerre sans merci qu’il contemple lors de cette déambulation funèbre à travers Pékin et ses alentours.
La seconde analogie est symbolique : la Chine prend la forme d’un univers infernal. L’itinéraire de Loti devient ainsi une descente aux Enfers, qui réactive le thème antique de la catabase par l’intermédiaire de sa réinterprétation par Dante dans la Divine Comédie. Les allusions au poète jalonnent le texte ; sa paraphrase d’un vers célèbre, « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici. » (III, 9), révèle à la fois son état d’esprit et son inscription délibérée dans la tradition littéraire. Cette correspondance n’a rien de gratuit : opérante par une communauté de vision – celle de la vanité humaine –, elle l’est encore par la structure même des lieux que Loti visite. Pékin, ville-gigogne, se reduplique d’enceinte en enceinte, jusqu’au cœur de la Cité interdite dont chaque quartier est clos de murs, ainsi que dans l’Enfer dantesque quand le poète descend toujours plus avant, d’une fosse concentrique à l’autre, vers le diable en personne.
Cependant, ce n’est pas vers Satan que Loti progresse, pas même vers l’empereur ou l’impératrice douairière : le palais est vide ; Loti ne rencontre rien que ce néant central de l’absence, un néant qui répond à son désespoir métaphysique. À travers l’horreur des visions cadavériques, Loti atteint alors un espace déserté par ses occupants, mais non vide d’objets : c’est par leur présence amusante ou incongrue, curieuse ou émouvante, qu’il va équilibrer son exploration macabre. En effet, ce récit de voyage, pour funèbre qu’il soit, n’est pas sans ménager une place au conte, au merveilleux, à la féerie intérieure de l’imagination, ou encore à la théâtralité des fêtes, telle celle qui clôt le texte. La Chine est ainsi prise dans cette oscillation marquée dont l’effet rythme le récit, comme il répond à l’antithèse stéréotypée de l’atrocité et du raffinement qui appartient déjà aux clichés sur la civilisation chinoise.
Toutefois, et quand bien même Loti n’échappe pas tout à fait aux clichés de son temps, il n’en est pas dupe : au contraire, il est conscient de l’intrusion que sa présence incarne, des profanations qu’il commet à plusieurs reprises. Si des accents patriotiques – inévitables sans doute en ce contexte, et pour un militaire de surcroît – émaillent le texte, c’est malgré tout avec circonspection que Loti l’intrus, dans cette œuvre non concertée, écrite et publiée au fil des semaines, observe les actions des Chinois comme celles des Européens. Qui sont les barbares ? Loti fait un usage ambigu et réversible du terme : appliqué tantôt à l’occupé, tantôt à l’occupant, il pointe par son effet de miroir la relativité de la notion. La barbarie ne serait que l’altérité profonde, de langue et de civilisation, qui rendrait incommunicable l’essentiel. Au barbare s’oppose dès lors le sauvage, terme par lequel l’auteur de ces pages désigne ce qu’on appellera bientôt du nom de criminel de guerre ou de terroriste. De cette Chine spectrale, qu’il traverse avec la fausse ingénuité du voyageur mal informé et qui compte sur la bienveillance de ses compagnons pour l’éclairer10, Loti rapportera autant d’admiration pour une culture que d’amertume vis-à-vis de l’humanité. Il en rapportera encore des souvenirs pour alimenter sa nostalgie des lieux perdus, mais aussi pour illustrer sa devise : « Mon mal j’enchante. »
Les voyages de Loti se terminent souvent par l’aménagement d’une salle nouvelle dans sa maison de Rochefort et par une fête. Pékin vaut bien une fête ! Afin d’inaugurer le 11 mai 1903 sa Salle chinoise où il met en scène les huit cents kilos d’objets rapportés, Loti réunit une foule d’invités parmi lesquels un neveu de l’ambassadeur de Chine et un lettré de l’ambassade. Des milliers de bougies éclairent une foule bigarrée – le costume japonais est admis ! On voit des guerriers, des danseuses, des eunuques, des serviteurs, certains vêtus de costumes authentiques de la Chine méridionale, d’autres d’imitations. Une fumerie d’opium est ouverte pour les amateurs tandis que le jardin est illuminé de lanternes multicolores. Dans la Salle chinoise odorante d’encens, une vaste banquette trône, entourée de meubles, d’instruments de musique, d’ornements de temple, d’objets de culte funéraire surtout, de socques enfin – ceux, paraît-il, de l’impératrice Tseu-Hi (Cixi). Mais l’« impératrice » qui traverse la salle Renaissance11 et rejoint son trône, sous les trois caissons du plafond de laque rouge ciselé où s’entrecroisent des dragons de feu, des fleurs, des animaux surprenants, est l’incarnation d’« Ou-tse-tien »12, et non de Cixi. Confusion des règnes et des temps et fins des deux…
Par cette fête somptueuse comme dans ses funèbres Derniers Jours de Pékin, Loti se montre profondément conscient que les civilisations peuvent périr et périront sans doute. Il fait sienne par avance la formule de Paul Valéry au lendemain de la Première Guerre mondiale, demeurée célèbre : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »13 Cette assertion de Valéry trouvera d’ailleurs pleinement son écho dans les récits de guerre de Loti, qui percevra lui aussi dans ce conflit pour lequel, retraité, il s’engagera comme volontaire, la fin possible d’un monde : le sien.
1. Lettre à Juliette Adam, 31 mars 1883.
2. Dans Le Monde artiste du 28 septembre 1912, au sujet de La Fille du Ciel, pièce chinoise coécrite par Loti et Judith Gautier.
3. Cf. « Victor Segalen, passant considérable », in A. Quella-Villéger : Voyages en exotismes. Ailleurs, littérature et histoire (Classiques Garnier, 2017).
4. Cycle des ailleurs et du bord du chemin – Briques et tuiles, 20 décembre 1909.
5. Pour ces toponymes, leur nom selon la norme actuelle, et leur localisation, v. les notes de bas de page du texte.
6. Trois journées récemment rééditées : Séoul, Magellan et Cie, 2020.
7. Son journal intime, pour la période correspondante, a été publié par A. Quella-Villéger et B. Vercier : Journal. 1896-1902, Les Indes savantes, vol. IV, 2016. Il faut compléter cette source par les « Papiers de service et Journal de bord du Redoutable (1900-1902) », partiellement publiés par Louis Barthou (Revue de France, 1er janvier 1932, pp. 35-46), liasse documentaire issue de la vente Barthou (Paris, Blaizot, 1935) acquise récemment par les musées de Rochefort et qui comprend le journal de bord proprement dit, du 24 septembre au 9 octobre 1900. Pour en savoir plus, cf. A. Quella-Villéger : Pierre Loti. Une vie de roman, Calmann-Lévy, 2019.
8. Expression d’origine allemande et qui fait florès partout en Europe, s’imposant en Europe dès 1895 : l’idée a ses partisans (chez les théoriciens racialistes, certains militaires ou des écrivains populaires comme le capitaine Danrit : L’Invasion jaune, 1909) aussi bien que ses détracteurs (Austin de Croze, Le Péril jaune et le Japon, Comptoir général d’édition, 1904 ; Jacques Novicow, Le Péril jaune, Éd. V. Giard & E. Brière, 1897).
9. « Dans le passé mort », paru originellement dans Le Monde illustré du 27 juin 1891 et repris dans Le Livre de la pitié et de la mort (Calmann-Lévy, 1891 ; Calmann-Lévy sera l’éditeur de Loti jusqu’à sa mort, d’où l’absence de mention ultérieure quand nous nous référerons à l’un ou l’autre volume).
10. Fleurs d’ennui (Calmann-Lévy, 1882), ouvrage protéiforme composé avec son ami Plumkett (Lucien Jousselin), indique que Loti était documenté. Dans le volume, Plumkett effectue ainsi une description, à la fois onirique, amusante et précise, de Pékin et de la culture chinoise (pp. 125-166).
11. C’est un jeune Annamite, camarade d’école du fils de Loti, qui joue le rôle : Nguyen Phu Khai.
12. Si Loti choisit Wu Zetian, personnage complexe, admiré et honni, comme figure centrale de cette fête, c’est sans doute parce que l’impératrice (624-705) fut l’unique monarque féminin de la Chine à régner en son nom propre. Toutefois, la ressemblance avec Cixi, régnant de facto sur l’Empire de 1861 à sa mort en 1908, doit être notée.
13. Paul Valéry, « La Crise de l’Esprit », Nouvelle Revue française, Tome XIII, 1919 (pp. 321-337), repris dans Variété : premier volume, Éd. du Sagittaire, 1934.
Les Derniers Jours de Pékin
Préface
Les Derniers Jours de Pékin
Préface
Les Derniers Jours de Pékin
Préface
À MONSIEUR LE VICE-AMIRAL POTTIER1
Commandant en chef de l’escadre d’Extrême-Orient
Amiral,
Les notes que j’ai envoyées de Chine au Figaro2 vont être réunies en un volume qui sera publié à Paris avant mon retour, sans qu’il me soit possible d’y revoir. Je suis donc un peu inquiet de ce que pourra être un tel recueil, qui contiendra sans doute maintes redites ; mais je vous demande cependant de vouloir bien en accepter la dédicace, comme un hommage du profond et affectueux respect de votre premier aide de camp. Vous serez d’ailleurs indulgent à ce livre plus que personne, parce que vous savez dans quelles conditions il a été écrit, au jour le jour, pendant notre pénible campagne, au milieu de l’agitation continuelle de notre vie de bord.
Je me suis borné à noter les choses qui ont passé directement sous mes yeux au cours des missions que vous m’avez données et d’un voyage que vous m’avez permis de faire dans une certaine Chine jusqu’ici à peu près inconnue.
Quand nous sommes arrivés dans la mer Jaune, Pékin était pris et les batailles finissaient3 ; je n’ai donc pu observer nos soldats que pendant la période de l’occupation pacifique ; là, partout, je les ai vus bons et presque fraternels envers les plus humbles Chinois. Puisse mon livre contribuer pour sa petite part à détruire d’indignes légendes éditées contre eux !…
Peut-être me reprocherez-vous, amiral, de n’avoir presque rien dit des matelots restés sur nos navires, qui ont été constamment à la peine, sans une défaillance de courage ni un murmure, pendant notre long et mortel séjour dans les eaux du Petchili4. Pauvres séquestrés, qui habitaient entre leurs murailles de fer ! Ils n’avaient point comme leurs chefs, pour les soutenir, les responsabilités qui sont l’intérêt de la vie, ni le stimulant des résolutions graves à prendre ; ils ne savaient rien ; ils ne voyaient rien, pas même dans le lointain la sinistre côte. Malgré la lourdeur de l’été chinois, des feux étaient allumés nuit et jour dans leurs cloîtres étouffants ; ils vivaient baignés d’humidité chaude, trempés de sueur, ne sortant que pour aller s’épuiser à des manœuvres de force, dans les canots, par mauvais temps, parfois sur des mers démontées au milieu des nuits noires. Il suffit de regarder à présent leurs figures décolorées et maigries pour comprendre combien a été déprimant leur rôle obscur.
Mais voilà, si j’avais conté la monotonie de leurs fatigues, toujours pareilles, et de leurs dévouements silencieux de toutes les heures, personne n’aurait eu la patience de me lire…
Pierre Loti
1. Édouard Pottier (1839-1903) a participé à l’intervention française au Mexique (1861), puis à la conquête de la Cochinchine (prise de Vinh Long, 1867). Promu vice-amiral en 1898, il commanda l’expédition internationale en Crète (1897-1899), puis l’Escadre française du Moyen-Orient depuis Le Redoutable : le capitaine de frégate Julien Viaud y était son principal aide de camp.
2. Le récit qui va suivre parut en vingt-neuf livraisons dans Le Figaro, entre le 9 mai et le 30 décembre 1901. N’y ont pas paru : la préface, les deux premiers chapitres, la plus grande partie du chapitre III, 2, les sections 3, 7, et 8 du chapitre IV, et le chapitre V. Le volume a été publié en février 1902, en l’absence de Loti ; cette dédicace fut probablement écrite en baie d’Along pendant l’hivernage du Redoutable.
3. Après avoir vu les soldats chinois de l’armée régulière fuir devant l’avancée des troupes de libération le 11 août 1900, les membres des légations ont repris espoir. Le 13 août, Mc Donald, ministre plénipotentiaire britannique, écrivit une lettre de menace au gouvernement chinois par laquelle il avertit que les responsables seront punis sévèrement, annonçant déjà les futurs massacres perpétrés après la libération par les armées alliées. Enfin, dans la nuit du 13 au 14 août, les assiégés réveillés aperçurent les lumières des canons entreprenant le siège de la ville. Le siège des légations, rapporté par Loti dans la section 7 du chapitre III, aura duré cinquante-cinq jours.
4. Petchili (ancien nom de la province de Hebei, qui était sous l’empire une région placée sous tutelle impériale directe). Le nom de golfe de Petchili est, à l’époque de Pierre Loti, souvent utilisé pour désigner le profond golfe de Bohai, lequel donne accès à Tien-Tsin, et partant, à Pékin.
Les Derniers Jours de Pékin
Dédicace
Événements de Chine, les Boxers, Le Petit Journal illustré, 24 juin 1900.
I
Arrivée dans la mer Jaune
Lundi 24 septembre 19001
L’extrême matin, sur une mer calme et sous un ciel d’étoiles. Une lueur à l’horizon oriental témoigne que le jour va venir, mais il fait encore nuit. L’air est tiède et léger… Est-ce l’été du nord, ou bien l’hiver des chauds climats ? Rien en vue nulle part, ni une terre, ni un feu, ni une voile ; aucune indication de lieu : une solitude marine quelconque, par un temps idéal, dans le mystère de l’aube indécise.
Et, comme un léviathan2 qui se dissimulerait pour surprendre, le grand cuirassé3 s’avance silencieusement, avec une lenteur voulue, sa machine tournant à peine.Il vient de faire environ cinq mille lieues, presque sans souffler, donnant constamment, par minute, quarante-huit tours de son hélice, effectuant d’une seule traite, sans avaries d’aucune sorte et sans usure de ses rouages solides, la course la plus longue et la plus soutenue en vitesse qu’un monstre de sa taille ait jamais entreprise, et battant ainsi, dans cette épreuve de fond, des navires réputés plus rapides, qu’à première vue on lui aurait préférés.
Ce matin, il arrive au terme de sa traversée, il va atteindre un point du monde dont le nom restait indifférent hier encore, mais vers lequel les yeux de l’Europe sont à présent tournés : cette mer, qui commence de s’éclairer si tranquillement, c’est la mer Jaune, c’est le golfe du Petchili par où l’on accède à Pékin. Et une immense escadre de combat, déjà rassemblée, doit être là tout près, bien que rien encore n’en dénonce l’approche.
Depuis deux ou trois jours, dans cette mer Jaune, nous nous sommes avancés par un beau temps de septembre. Hier et avant-hier, des jonques aux voiles de nattes ont croisé notre route, s’en allant vers la Corée4 ; des côtes, des îles nous sont aussi apparues, plus ou moins lointaines ; mais en ce moment le cercle de l’horizon est vide de tous côtés.
À partir de minuit, notre allure a été ainsi ralentie afin que notre arrivée – qui va s’entourer de la pompe militaire obligatoire – n’ait pas lieu à une heure trop matinale, au milieu de cette escadre où l’on nous attend.
Cinq heures. Dans la demi-obscurité encore, éclate la musique du branle-bas, la gaie sonnerie de clairons qui chaque matin réveille les matelots. C’est une heure plus tôt que de coutume, afin qu’on ait assez de temps pour la toilette du cuirassé, qui est un peu défraîchi d’aspect par quarante-cinq jours passés à la mer. On ne voit toujours que l’espace et le vide ; cependant, la vigie, très haut perchée, signale sur l’horizon des fumées noires, et ce petit nuage de houille, qui d’en bas n’a l’air de rien, indique là de formidables présences ; il est exhalé par les grands vaisseaux de fer, il est comme la respiration de cette escadre sans précédent à laquelle nous allons nous joindre.
D’abord la toilette de l’équipage, avant celle du bâtiment : pieds nus et torse nu, les matelots s’éclaboussent à grande eau, dans la lumière qui vient ; malgré le surmenage constant, ils ne sont nullement fatigués, pas plus que le vaisseau qui les porte. Le Redoutable est du reste, de tous ces navires si précipitamment partis, le seul qui en chemin, dans les parages étouffants de la mer Rouge, n’ait eu ni morts ni maladies graves.
Maintenant, le soleil se lève, tout net sur l’horizon de la mer, disque jaune qui surgit lentement de derrière les eaux inertes. Pour nous, qui venons de quitter les régions équatoriales, ce lever, très lumineux pourtant, a je ne sais quoi d’un peu mélancolique et de déjà terni, qui sent l’automne et les climats du nord. Vraiment il est changé, ce soleil, depuis deux ou trois jours. Et puis il ne brûle plus, il n’est plus dangereux, on cesse de s’en méfier.
Là-bas devant nous, sous le nuage de houille, des choses extra-lointaines commencent de s’indiquer, perceptibles seulement pour des yeux de marin ; une forêt de piques, dirait-on, qui seraient plantées au bout, tout au bout de l’espace, presque au-delà du cercle où s’étend la vue. Et nous savons ce que c’est : des cheminées géantes, de lourdes mâtures de combat, l’effrayant attirail de fer qui, avec la fumée, révèle de loin les escadres modernes.
Quand notre grand lavage du matin s’achève, quand les seaux d’eau de mer, lancés à tour de bras, ont fini d’inonder toutes choses, Le Redoutable reprend sa vitesse (sa vitesse moyenne de onze nœuds et demi5, qu’il avait gardée depuis son départ de France). Et, pendant que les matelots s’empressent à faire reluire ses aciers et ses cuivres, il recommence de tracer son profond sillage sur la mer tranquille.
Dans les fumées de l’horizon, les objets se démêlent et se précisent ; on distingue, sous les mâtures innombrables, les masses de toute forme et de toute couleur qui sont des navires. Posée entre l’eau calme et le ciel pâle, la terrible compagnie apparaît tout entière, assemblage de monstres étranges, les uns blancs et jaunes, les autres blancs et noirs, les autres couleur de vase ou couleur de brume pour se mieux dissimuler ; des dos bossus, des flancs à demi noyés et sournois, d’inquiétantes carapaces ; leurs structures varient suivant la conception des différents peuples pour les machines à détruire, mais tous, pareillement, soufflent l’horrible fumée de houille qui ternit la lumière du matin.
On ne voit toujours rien des côtes chinoises, pas plus que si on en était à mille lieues ou si elles n’existaient pas. Cependant, c’est bien ici Takou6, le lieu de ralliement vers lequel, depuis tant de jours, nos esprits étaient tendus. Et c’est la Chine, très proche bien qu’invisible, qui attire par son immense voisinage cette troupe de bêtes de proie, et qui les immobilise, comme des fauves en arrêt, sur ce point de la mer, que l’on dirait quelconque.
L’eau, en cette région de moindre profondeur, a perdu son beau bleu, auquel nous venions si longuement de nous habituer ; elle devient trouble, jaunâtre, et le ciel, pourtant sans nuages, est décidément triste. La tristesse d’ailleurs se dégage, au premier aspect, de cet ensemble, dont nous allons sans doute pour longtemps faire partie…
Mais voici qu’en approchant tout change, à mesure que monte le soleil, à mesure que se détaillent mieux les beaux cuirassés reluisants et les couleurs mêlées des pavillons de guerre. C’est vraiment une étonnante escadre, qui représente ici l’Europe, l’Europe armée contre la vieille Chine ténébreuse7. Elle occupe un espace infini, tous les côtés de l’horizon semblent encombrés de navires. Et les canots, les vedettes à vapeur s’agitent comme un petit peuple affairé entre les grands vaisseaux immobiles.
Maintenant les coups de canon partent de tous côtés pour la bienvenue militaire à notre amiral ; au-dessous du voile de fumées sombres, les gaies fumées claires de la poudre s’épanouissent en gerbes, se promènent en flocons blancs ; le long de toutes les mâtures de fer montent et descendent en notre honneur des pavillons tricolores ; on entend partout les clairons sonner, les musiques étrangères jouer notre Marseillaise, et on se grise un peu de ce cérémonial, éternellement pareil, mais éternellement superbe, qui emprunte ici une magnificence inusitée au déploiement de ces flottes.
Et puis le soleil, le soleil à la fin s’est réveillé et flamboie, nous apportant pour notre jour d’arrivée une dernière illusion de plein été, dans ce pays aux saisons excessives, qui avant deux mois commencera de se glacer pour un long hiver.
Quand le soir vient, nos yeux, qui s’en lasseront bientôt, s’amusent, cette première fois, de la féerie à grand spectacle que les escadres nous donnent. L’électricité s’allume soudainement de toutes parts, l’électricité blanche, ou verte, ou rouge, ou clignotante, ou scintillante à éblouir ; les cuirassés, au moyen de jeux de lumière, causent les uns avec les autres, et l’eau reflète des milliers de signaux, des milliers de feux, pendant que les longues gerbes des projecteurs fauchent l’horizon, ou passent dans le ciel comme des comètes en délire. On oublie tout ce qui couve de destruction et de mort, sous ces fantasmagories, dans des flancs effroyables ; on est pour l’instant comme au milieu d’une ville immense et prodigieuse, qui aurait des tours, des minarets, des palais, et qui se serait improvisée, par fantaisie, en cette région de la mer, pour y donner quelque fête nocturne extravagante.
25 septembre
Nous ne sommes qu’au lendemain, et déjà rien ne se ressemble plus. Dès le matin, la brise s’est élevée, à peine de la brise, juste assez pour coucher sur la mer les grands panaches obscurs des fumées, et déjà les lames se creusent, dans cette rade ouverte, peu profonde, et les petites embarcations en continuel va-et-vient sautillent, inondées d’embruns.
Cependant, un navire aux couleurs allemandes arrive lentement du fond de l’horizon, comme nous étions arrivés hier : c’est la Herta, tout de suite reconnue, amenant le dernier des chefs militaires que l’on attendait à ce rendez-vous des peuples alliés, le feld-maréchal de Waldersee8. Pour lui, recommencent alors les salves qui nous avaient accueillis la veille, tout le cérémonial magnifique ; les canons de nouveau épandent leurs nuages, mêlent les ouates blanches aux fumées noires, et le chant national de l’Allemagne, répété par toutes les musiques, s’éparpille dans le vent qui augmente.
Il souffle toujours plus fort, ce vent, plus fort et plus froid, mauvais vent d’automne, affolant les baleinières, les vedettes, tout ce qui circulait hier si aisément entre les groupes d’escadre.
Et cela nous présage de tristes et difficiles jours car, sur cette rade incertaine qui devient dangereuse en une heure, il va falloir débarquer des milliers de soldats envoyés de France, des milliers de tonnes de matériel de guerre ; sur l’eau remuée, il va falloir promener tant de monde et tant de choses dans des chalands, dans des canots, par les temps glacés, même par les nuits noires, et les conduire à Takou, par-dessus la barre changeante du fleuve Peï-Ho9.
Organiser toute cette périlleuse et interminable circulation, ce sera là surtout, pendant les premiers mois, notre rôle, à nous marins, rôle austère, épuisant et obscur, sans apparente gloire…
1. Le Redoutable avait quitté Cherbourg le 2 août 1900 ; il aborde Saigon le 5 septembre, d’où il appareille à nouveau le 13 pour atteindre sa destination, le golfe de Petchili, le 24. Les soldats français sont débarqués sur la grève de Ning-Haï une semaine plus tard, les 2 et 3 octobre, et le navire revient mouiller à Takou pour un mois, du 4 octobre au 3 novembre : pendant ce temps, Loti se rend à Pékin (chapitres III et IV de son récit).
2. Monstre marin de la mythologie phénicienne, repris par la Bible (Psaumes, 74:14, 104:26 ou Job, 3:8 ; 40:25). Survivant du Chaos primitif, le monstre, qui évoque les cataclysmes bouleversant l’ordre du monde avant de devenir un monstre infernal au Moyen Âge, le terme possède une connotation démoniaque qui n’échappe pas à l’auteur.
3. Le Redoutable, premier cuirassé mis en chantier par la Troisième République, a été construit à Lorient et lancé en 1876, et armé en 1878. D’un équipage de sept cents hommes, ce vapeur de neuf mille quatre cents tonnes sera retiré en 1910.
4. Au xixe siècle, la Corée subit de multiples attaques étrangères (française en 1866, américaine en 1871) avant d’être placée « sous influence » japonaise de 1897 (Traités inégaux de Ganghwa) à 1910, puis explicitement sous protectorat japonais à partir de 1905 (Traité de Portsmouth). (N.d.É.)
5. Soit un peu plus de vingt et un kilomètres par heure.
6. La ville se situe près de Tianjin, et est formée d’une série de fortifications défensives. Y eut lieu les 16 et 17 juin une bataille brève mais sanglante, qui opposa les Boxers aux alliés. Cette victoire tactique des puissances étrangères eut pour conséquence de décider l’impératrice douairière Cixi à soutenir les Boxers auxquels elle était jusque-là opposée et déclencha le siège des légations internationales à Pékin.
7. L’escadre est non seulement composée de navires européens, mais aussi américains et japonais.
88. Alfred von Waldersee (1832-1904) fut chef du grand état-major général allemand de 1988 à 1891. Imposé comme commandant des forces alliées par le kaiser, il est arrivé cependant trop tard en Chine pour diriger les troupes qui ont mis fin au siège des légations. Par la suite, il organisa une sévère répression, à Pékin comme aux alentours.
9. Une barre est un banc de sable de haut-fond, constamment immergé, résultant de l’accumulation des alluvions. Les barres, mobiles dans l’espace et dans le temps, sont dangereuses en raison du risque d’échouage. Le Peï-Ho (Hai He en chinois contemporain) est quant à lui un fleuve formé à Tien-Tsin par la confluence de trois rivières et du Grand Canal. Son embouchure se situe à quatre-vingts kilomètres au nord du fleuve Jaune.
Les Derniers Jours de Pékin
Arrivée dans la mer Jaune
Le cuirassé Le Redoutable sur lequel Loti est affecté du 1er août 1900 au 14 mars 1902.
Les Derniers Jours de Pékin
Arrivée dans la mer Jaune
Les Derniers Jours de Pékin
Arrivée dans la mer Jaune
Port de Tien-Tsin, gravure, vers 1885.
II
À Ning-Haï1
3 octobre 1900
Dans le fond du golfe de Petchili, la grève de Ning-Haï, éclairée par le soleil levant. Des chaloupes sont là, des vedettes, des baleinières, des jonques, l’avant piqué dans le sable, débarquant des soldats et du matériel de guerre, au pied d’un immense fort dont les canons restent muets. Et c’est, sur cette plage, une confusion et une Babel comme on n’en avait jamais vu aux précédentes époques de l’histoire ; à l’arrière de ces embarcations, d’où descend tant de monde, flottent pêle-mêle tous les pavillons d’Europe.
La rive est boisée de bouleaux et de saules et, au loin, les montagnes, un peu bizarrement découpées, dressent leurs pointes dans le ciel clair. Rien que des arbres du nord, indiquant qu’il y a dans ce pays des hivers glacés, et cependant le soleil matinal déjà brûle, les cimes là-bas sont magnifiquement violettes, la lumière rayonne comme en Provence.
Il y a de tout sur cette grève, parmi des sacs de terre qu’on y avait amoncelés pour de hâtives défenses. Il y a des Cosaques2, des Autrichiens, des Allemands, des midships3 anglais à côté de nos matelots en armes ; des petits soldats du Japon, étonnants de bonne tenue militaire dans leurs nouveaux uniformes à l’européenne4 ; des dames blondes, de la Croix-Rouge de Russie5, affairées à déballer du matériel d’ambulance ; des bersaglieri6 de Naples, ayant mis leurs plumes de coq sur leur casque colonial.
Vraiment, dans ces montagnes, dans ce soleil, dans cette limpidité de l’air, quelque chose rappelle nos côtes de la Méditerranée par les beaux matins d’automne. Mais là, tout près, une vieille construction grise sort des arbres, tourmentée, biscornue, hérissée de dragons et de monstres : une pagode. Et, sur les montagnes du fond, cette interminable ligne de remparts, qui serpente et se perd derrière les sommets, c’est la Grande Muraille de Chine7, confinant à la Mandchourie.
Ces soldats, qui débarquent pieds nus dans le sable et s’interpellent gaiement en toutes les langues, ont l’air de gens qui s’amusent. Cela se nomme une « prise de possession pacifique » ce qu’ils font aujourd’hui, et on dirait quelque fête de l’universelle fusion, de l’universelle concorde, tandis que, au contraire, non loin d’ici, du côté de Tien-Tsin8 et du côté de Pékin, tout est en ruine et plein de cadavres.
La nécessité d’occuper Ning-Haï, pour en faire au besoin la base de ravitaillement du corps expéditionnaire, s’était imposée aux amiraux de l’escadre internationale, et avant-hier on se préparait au combat sur tous nos navires, sachant les forts de la côte armés sérieusement ; mais les Chinois d’ici, avisés par un parlementaire qu’une formidable compagnie de cuirassés apparaîtrait au lever du jour, ont préféré rendre à discrétion la place, et nous avons trouvé en arrivant le pays désert.
Le fort qui commande cette plage – et qui termine la Grande Muraille au point où elle vient aboutir à la mer – a été déclaré « international ».
Les pavillons des sept nations alliées9 y flottent donc ensemble, rangés par ordre alphabétique, au bout de longues hampes que gardent des piquets d’honneur : Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, France, Italie, Japon, Russie.
On s’est partagé ensuite les autres forts disséminés sur les hauteurs d’alentour, et celui qui a été dévolu aux Français est situé à un mille environ du rivage. On y va par une route sablonneuse, bordée de bouleaux, de saules au feuillage frêle, et c’est à travers des jardins, des vergers que l’automne a jaunis en même temps que ceux de chez nous ; des vergers qui d’ailleurs ressemblent parfaitement aux nôtres, avec leurs humbles carrés de choux, leurs citrouilles et leurs alignements de salades. Les maisonnettes aussi, les maisonnettes de bois aperçues çà et là dans les arbres, imitent à peu près celles de nos villages, avec leurs toits en tuiles rondes, leurs vignes qui font guirlande, leurs petits parterres de zinnias, d’asters et de chrysanthèmes… Des campagnes qui devaient être paisibles, heureuses, et qui, depuis deux jours, se sont dépeuplées en grande épouvante, à l’approche des envahisseurs venus d’Europe.
Par ce frais matin d’octobre, sur la route ombragée qui mène au fort des Français, les matelots et les soldats de toutes les nations se croisent et s’empressent, dans le grand amusement d’aller à la découverte, de s’ébattre en pays conquis, d’attraper des poulets, de faire main basse, dans les jardins, sur les salades et les poires. Des Russes déménagent les bouddhas et les vases dorés d’une pagode. Des Anglais ramènent à coups de bâton des bœufs capturés dans les champs. Des marins de la Dalmatie10 et d’autres du Japon, très camarades depuis une heure, font en compagnie leur toilette au bord d’un ruisseau. Et deux bersaglieri, qui ont attrapé un petit âne, en se pâmant de rire, s’en vont ensemble à califourchon dessus.
Cependant, le triste exode des paysans chinois, commencé depuis hier, se poursuit encore ; malgré l’assurance donnée qu’on ne ferait de mal à personne, ceux qui étaient restés se jugent trop près et aiment mieux fuir. Des familles s’en vont tête basse : hommes, femmes, enfants, vêtus de pareilles robes en coton bleu11, et tous, chargés de bagages, les plus jeunes même charriant des paquets, emportent avec résignation leurs petits oreillers et leurs petits matelas.
Et voici une scène pour fendre l’âme. Une vieille Chinoise, peut-être centenaire, pouvant à peine se tenir sur ses jambes, s’en va, Dieu sait où, chassée de son logis où vient s’établir un poste d’Allemands ; elle s’en va, elle se traîne, aidée par deux jeunes garçons qui doivent être ses petits-fils et qui la soutiennent de leur mieux, la regardant avec une tendresse et un respect infinis ; sans même paraître nous voir, comme n’ayant plus rien à attendre de personne, elle passe lentement près de nous avec un pauvre visage de désespoir, de détresse suprême et sans recours, tandis que les soldats, derrière elle, jettent dehors, avec des rires, les modestes images de son autel d’ancêtres. Et le beau soleil de ce matin d’automne resplendit tranquillement sur son petit jardin très soigné, fleuri de zinnias et d’asters…
Le fort échu en partage aux Français occupe presque l’espace d’une ville, avec toutes ses dépendances, logements de mandarins et de soldats, usines pour l’électricité, écuries et poudrières. Malgré les dragons qui en décorent la porte et malgré le monstre à griffes que l’on a peint devant l’entrée sur un écran de pierre, il est construit d’après les principes les plus nouveaux, bétonné, casematé et garni de canons Krupp12 du dernier modèle. Par malheur pour les Chinois, qui avaient accumulé autour de Ning-Haï d’effroyables défenses, mines, torpilles, fougasses13 et camps retranchés, rien n’était fini, rien n’était au point nulle part ; le mouvement contre l’étranger a commencé six mois trop tôt, avant qu’on ait pu mettre en batterie toutes les pièces vendues à Li Hung Chang14 par l’Europe.
Mille de nos zouaves15, qui vont arriver demain, occuperont ce fort pendant l’hiver ; en attendant, nous venons y conduire une vingtaine de matelots pour en prendre possession.
Et c’est curieux de pénétrer dans ces logis abandonnés en hâte et en terreur, au milieu du désarroi des fuites précipitées, parmi les meubles brisés, les vaisselles à terre. Des vêtements, des fusils, des baïonnettes, des livres de balistique, des bottes à semelle de papier, des parapluies et des drogues d’ambulance sont pêle-mêle, en tas devant les portes. Dans les cuisines de la troupe, des plats de riz attendent encore sur les fourneaux, avec des plats de choux et des gâteaux de sauterelles frites.
Il y a surtout des obus roulant partout, dégringolant des caisses éventrées, des cartouches jonchant le sol, du fulmicoton16 dangereusement épars, de la poudre répandue en longues traînées couleur de charbon. Mais, à côté de cette débauche de matériel de guerre, des détails drôles viennent attester les côtés de bonhomie de l’existence chinoise : sur toutes les fenêtres, des petits pots de fleurs ; sur tous les murs, des petites images collées par des soldats. Au milieu de nous, se promènent des moineaux familiers, que sans doute les habitants du lieu n’inquiétaient jamais. Et des chats, sur les toits, circonspects mais désireux d’entrer en relation, observent quelle sorte de ménage on pourra bien faire par la suite avec les hôtes imprévus que nous sommes.
Tout près, à cent mètres de notre fort, passe la Grande Muraille de Chine. Elle est surmontée en ce point d’un mirador de veille, où des Japonais s’établissent à cette heure et plantent sur un bambou leur pavillon blanc à soleil rouge.
Très souriants toujours, surtout pour les Français, les petits soldats du Japon nous invitent à monter chez eux, pour voir de haut le pays d’alentour.
La Grande Muraille, épaisse ici de sept à huit mètres, descend en talus et en herbages sur le versant chinois, mais tombe verticale sur le versant mandchou, flanquée d’énormes bastions carrés.
Maintenant donc, nous y sommes montés, et, sous nos pieds, elle déploie sa ligne séculaire qui, d’un côté, plonge dans la mer Jaune17, mais de l’autre s’en va vers les sommets, s’en va serpentant bien au-delà du champ profond de la vue, donnant l’impression d’une chose colossale qui ne doit nulle part finir.
Vers l’est, on domine, dans la pure lumière, les plaines désertes de la Mandchourie.
Vers l’ouest – en Chine –, les campagnes boisées ont un aspect trompeur de confiance et de paix. Tous les pavillons européens, arborés sur les forts, prennent au milieu de la verdure un air de fête. Il est vrai que, dans une plaine, au bord de la plage, s’indique un immense grouillement de cosaques, mais très lointain et dont la clameur n’arrive point ici : cinq mille hommes pour le moins, parmi des tentes et des drapeaux fichés en terre. (Quand les autres puissances envoient à Ning-Haï quelques compagnies seulement, les Russes, au contraire, procèdent par grandes masses, à cause de leurs projets sur la Mandchourie voisine.) Là-bas, toute grise, muette et comme endormie entre ses hauts murs crénelés, apparaît Shan-Haï-Kouan18, la ville tartare, qui a fermé ses portes dans l’effroi des pillages. Et sur la mer, près de l’horizon, se reposent les escadres alliées, tous les monstres de fer aux fumées noires, amis pour l’instant et assemblés en silence dans du bleu immobile.
Un temps calme, exquis et léger. Le prodigieux rempart de la Chine est encore fleuri à cette saison comme un jardin. Entre ses briques sombres, disjointes par les siècles, poussent des graminées, des asters et quantité d’œillets roses pareils à ceux de nos plages de France…
Sans doute elle ne reverra plus flotter le pavillon jaune et le dragon vert des célestes empereurs19, cette muraille légendaire qui avait arrêté pendant des siècles les invasions du nord ; sa période est révolue, passée, finie à tout jamais.
1. En chinois, signifie mer paisible. Il s’agit d’un fort situé à l’embouchure de la rivière Shihe. Cette position est située à deux cents kilomètres au nord-est de Takou.
2. Issus d’une population slave nomade, ils furent longtemps des sujets insoumis, malgré leur rôle important dans la slavisation de la Sibérie et la conquête de l’Asie centrale du xvie au xixe siècle. Sous Catherine II, qui leur octroya une relative autonomie, ils adoptèrent une organisation sociale calquée sur la hiérarchie militaire et devinrent le plus gros contingent supplétif de l’armée russe.
3. L’abréviation de midshipman est déjà courante dans la Marine : elle désigne un aspirant.
4. L’occidentalisation et la modernisation des forces armées japonaises a été l’une des premières réformes de l’ère Meiji, dès 1867 ; elle permit de mettre fin au shogunat et au système féodal, qui déterminait également l’organisation militaire.
5. On doit au négociant genevois Henry Dunant (1828-1910) l’idée de fonder une organisation internationale permanente et neutre de secours aux blessés à l’issue de la bataille de Solferino en 1859. Le futur CICR fut créé en 1863. Si la Croix-Rouge française a été créée en 1864, la Croix-Rouge russe a été instituée par le tsar Alexandre II (1818-1881) et placée sous le patronage de sa fille Maria Alexandrovna (1853-1920). (N.d.É.)
6. Les « bersagliers » sont un corps d’infanterie légère de l’armée italienne, créé en 1836 par le général Alessandro La Marmora (1799-1855). Ce corps d’élite se caractérise par sa mobilité et sa capacité de déploiement rapide. (N.d.É.)
7. Ensemble de fortifications militaires construites, détruites et reconstruites en plusieurs fois, entre le iiie siècle av. J.-C. et le xviie siècle, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1987. (N.d.É.)
8. Aujourd’hui Tianjin, située en arrière du golfe de Petchili, sur les rives du fleuve Hai He, qui rejoint le fleuve Jaune par le Grand Canal. Port et ville commerçante à un peu plus de cent kilomètres de Pékin, elle a toujours été une porte d’entrée majeure vers la Chine depuis l’outre-mer.
9. Huit avec les États-Unis. (N.d.É.)
10. Le royaume de Dalmatie, créé par le Congrès de Vienne en 1815, est alors une division administrative de l’Autriche-Hongrie et sa principale façade maritime. Les hommes d’équipage et fantassins de la Marine impériale sont essentiellement de nationalité croate.
11. Le coton est une des principales productions agricoles de la Chine ; quant au bleu, produit par la culture du pastel des teinturiers, c’était une couleur peu onéreuse, et donc caractéristique des classes populaires. Voir Michel Cartier. « À propos de l’histoire du coton en Chine : approche technologique, économique et sociale. » Études chinoises, Association française d’études chinoises, 1994, 13 (1-2), pp.417-435.
12. Alfred Krupp (1812-1887) a transformé la forge familiale en complexe d’aciérie lors de la seconde révolution industrielle, notamment par la fabrication de canons et de blindages. Son propre fils héritera de la plus grande entreprise d’armement au monde. (N.d.É.)
13. Sorte de mine constituée d’une fosse remplie d’explosifs à laquelle on met feu à l’aide d’une longue mèche. Elle est destinée à faire sauter des rochers ou des pans de mur.
14. Li Hongzhang (1823-1901), dans l’orthographe contemporaine, est un général et homme d’État chinois, vice-roi de la province du Zhili, qui joua un rôle crucial dans la modernisation de l’armée et de sa marine, entre 1880 et 1900. (N.d.É.)
15. Unités françaises d’infanterie légère appartenant à l’Armée d’Afrique. Elles ont existé de 1830 à 1962. (N.d.É.)
16. Nitrate de cellulose, explosif utilisé dans les munitions. (N.d.É.)
17. Large bras de l’océan Pacifique qui sépare la Corée de la Chine, et se termine par le golfe de Petchili (ou Bohai). Son nom provient des alluvions sablonneuses charriées par le fleuve Jaune et le Peï-Ho.
18. Son nom signifie « passe de la montagne et de la mer ». Située dans l’estuaire du fleuve Shihe, la ville marque l’extrémité orientale de la Grande Muraille. Là, face au fort de Ning-Haï, son dernier bastion plonge ses fondations dans le golfe de Petchili.
19. L’étendard des Qing représente, sur fond jaune, un dragon vert et bleu tournant la tête vers une perle rouge, située dans l’angle supérieur gauche, près de la hampe. Cet étendard, adopté en 1862, et triangulaire à l’origine, est rectangle depuis 1889. Emblème dynastique inspiré du pavillon d’une des Huit Bannières, il fit office de pavillon national jusqu’en 1912.
Les Derniers Jours de Pékin
À Ning-Haï
Les Derniers Jours de Pékin
À Ning-Haï
Détail d’une carte de la Chine datée de 1898.
Double page précédente : La Grande Muraille, à la sortie de la passe de Nan-kow, environs de Pékin, photographie de Firmin Laribe, entre 1904 et 1910.
III
Vers Pékin
1.
Jeudi 11 octobre 1900
À midi, par un beau temps calme, presque chaud, très lumineux sur la mer, je quitte le vaisseau amiral Le Redoutable pour me rendre en mission à Pékin.
C’est dans le golfe de Petchili, en rade de Takou, mais à de telles distances de la côte qu’on ne la voit point, et que rien nulle part n’indique aux yeux la Chine.
Et le voyage commence par quelques minutes en canot à vapeur, pour aller à bord du Bengali, le petit aviso1 qui me portera ce soir jusqu’à terre.
L’eau est doucement bleue, au soleil d’automne qui, en cette région du monde, reste toujours clair. Aujourd’hui, par hasard, le vent et les lames semblent dormir. Sur la rade infinie, si loin qu’on puisse voir, se succèdent, immobiles, comme pointés en arrêt et en menace, les grands vaisseaux de fer. Jusqu’à l’horizon, il y en a toujours, des tourelles, des mâtures, des fumées, et c’est la très étonnante escadre internationale, avec tout ce qu’elle traîne de satellites à ses côtés : torpilleurs, transports, et légion de paquebots.
Ce Bengali, où je vais m’embarquer pour un jour, est l’un des petits bâtiments français, constamment chargés de troupes et de matériel de guerre, qui, depuis un mois, font le pénible et lassant va-et-vient entre les transports ou les affrétés arrivant de France et le port de Takou, par-dessus la barre du Peï-Ho.
Aujourd’hui, il est bondé de zouaves, le Bengali, de braves zouaves arrivés hier de Tunisie, et qui s’en vont, insouciants et joyeux, vers la funèbre terre chinoise ; ils sont serrés sur le pont, serrés à tout touche2, avec de bonnes figures gaies et des yeux grands ouverts pour voir enfin cette Chine qui les préoccupe depuis des semaines et qui est là tout près, derrière l’horizon…
Suivant le cérémonial d’usage, le Bengali en appareillant doit passer à poupe du Redoutable, pour le salut à l’amiral. La musique l’attend, à l’arrière du cuirassé, prête à lui jouer quelques-uns de ces airs de marche dont les soldats se grisent. Et, quand nous passons près du gros vaisseau, presque dans son ombre, tous les zouaves – ceux qui reviendront et ceux qui doivent mourir – tous, pendant que leurs clairons sonnent aux champs, agitent leurs bonnets rouges, avec des hourras, pour ce navire qui représente ici la France à leurs yeux et pour cet amiral qui, du haut de sa galerie, lève sa casquette en leur honneur.
Au bout d’une demi-heure environ, la Chine apparaît. Et jamais rivage d’une laideur plus féroce n’a surpris et glacé de pauvres soldats nouveaux venus.