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1933. Pour les gendarmes, ce sont deux amants qui sont partis loin, vivre une autre vie. L'époux malheureux, lui, est persuadé d'une disparition accidentelle. Plus de soixante ans plus tard l'arrière petite fille reprend l'enquête dans le milieu particulier de la spéléologie et le cadre exceptionnel des gorges de l'Hérault entre Ganges et St Bauzille de Putois
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Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2022
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À Arthur, Louis, Thomas, Raffael et leurs mères mes successeurs spéléologues.
Tous les spéléos de Ganges et de l'Hérault.
Tous les passionnés de l'exploration du monde souterrain.
- Merci à Esther pour avoir fourni des précisions sur les périodes préhistoriques.
- Merci à Nicolas pour ses avis sur le contexte géologique.
- Merci à Marie-France et Manuel pour leur patiente relecture.
"Entreprenez l'impossible, l'impossible fera le reste"
Osiris ou du fragment, Le Monde, 25 Juillet 1980 François CARIÈSBanquier, poète et romancier, Montpelliérain 1927-2015
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Prologue
"Il fait trop de bruit, ton silence . . . Elle prend trop de place, ton absence . . ."
Melody Hubert
20 Août 1998.
Par la fenêtre de sa chambre il regarde avec nostalgie ce massif calcaire qui a été le lieu de tant d'aventures, d'exaltations, et de déceptions depuis ses quinze ans, soit presque soixante dix ans de sa vie …
Mais ce qui l'a marqué au plus profond de lui est la disparition de son premier et unique amour, la mère de son fils. Disparition mystérieuse, inexpliquée. La rumeur l'a accusée d'être partie avec son meilleur ami, mais lui, n'a jamais voulu y croire.
Cet évènement dramatique, après une période d'interrogation sans véritable réponse, a été rapidement occulté par la famille, sans en faire un secret, mais plutôt une chose dont on ne parle pas. Son fils, son petit-fils, et ses arrières petits enfants ont simplement entendu dire qu'elle était partie sans donner de nouvelles, l'abandonnant avec un enfant en bas âge.
Pourtant malgré les années passées, il espère toujours, qu'avant la fin qui approche à grand pas, il saura enfin la vérité et pourquoi pas, espoir ultime, la revoir, si elle est encore en vie …
Venant de Saint Martin de Londres où elle vient d'être mutée, Lucie CAZELET, jeune et brillante lieutenante de gendarmerie se rapproche de Valrac, hameau de la petite commune d'Agonès pour venir voir son arrière-grand-père dont l'état de santé décline de jour en jour.
Cette route, elle l'a parcourue des centaines de fois, mais elle ne se lasse pas de ce paysage. La "Cardonille" ce petit col avec ses 330 mètres fait passer le voyageur de la zone littorale aux premiers abords des Cévennes, et surtout offre une vue exceptionnelle sur une barre calcaire séparée en deux parties par le fleuve Hérault : le "Fesquet" et le "Thaurac".
Ce secteur a vu ses premiers pas sous terre sous la houlette de son grand-père Roger et arrière-grandpère Pascal, deux passionnés de l'exploration du milieu souterrain.
A l'opposé, de son père passionné de foot, qui a toujours boudé cette activité qui n'est pas assez "compétitive" pour lui.
Il a cependant toléré que ses enfants, sous la tutelle de ces spécialistes, puissent être formés et participer avec eux à certaines explorations.
Lucie s'était bien vite sentie à l'aise dans ce milieu, et elle pensait sérieusement, maintenant qu'elle avait fini sa formation militaire, à s'inscrire au concours interne pour faire partie du GSGN (Groupe des Spéléologues de la Gendarmerie Nationale) soit à OLORON SAINTE MARIE, soit à GRENOBLE, qui sont des équipes spécialisées dans les enquêtes en milieu souterrain.
Le "Papet" comme on l'appelle dans la famille, ne le sait pas encore. C'est la première visite qu'elle fait à son aïeul depuis qu'elle est sortie de sa formation et de son installation dans sa nouvelle brigade. Elle compte bien lui faire la surprise en espérant que son état lui permette d'échanger sans difficultés.
Passant le pont suspendu, elle jette un regard vers la maison familiale qui domine le hameau. Rien n'a changé pendant les années qui l'ont éloignée de sa terre natale.
Elle trouve son Papet assis dans un fauteuil près de la fenêtre, le visage amaigri. Son regard éteint s'illumine quand elle s'approche de lui.
— Tiens, voilà une revenante ! S'exclame-t-il d'une voix éraillée alors qu'elle l'embrasse. Tu es de plus en plus jolie ma "pichounette", rapproche toi de mon oreille droite que je t'entende bien, la gauche ne marche plus très bien … Ça fait longtemps, dis moi, qu'est-ce que tu deviens ?
S'asseyant tout contre lui, Lucie lui décrit sa vie.
Elle commence par sa formation en école de gendarmerie, ses difficultés dans la partie juridique mais compensées par des capacités physiques et des capacités d'adaptation en situations tendues impressionnantes.
— Tu tiens bien de ton père ma belle lui dit le Papet.
— Il faut dire que j'ai de bons gènes, ils viennent directement de toi.
— Tu me rappelles ton arrière-grand-mère …
— Tu sais, je ne sais pas grand-chose d’elle, on n'en a pratiquement jamais parlé à la maison. Tout ce que je sais, c’est qu'elle t'a quitté alors que grand- père Roger, ton fils, était tout petit. Il m'a simplement dit qu'elle serait partie avec ton meilleur ami, c'est vrai ? …
Un moment de silence se fait. Assez remué par la question il répond:
— C'est ce que tout le monde a pensé à l'époque, mais moi je n'y ai jamais cru …
— Pourquoi tu n'y crois pas ? Comment ça s'est passé pour que tu puisses affirmer le contraire de ce que disent les autres ?
— C'est une longue histoire, je n'ai jamais pu en parler car tout le monde me plaignait et personne n'osait aborder le sujet avec moi. J'ai une hypothèse, mais elle aurait paru absurde si je l'avais exprimée dans le contexte de l'époque. Ça remonte à 1933, ton grand-père avait tout juste deux ans. Pour que tu comprennes ma perception des choses, il faut que je remonte à tout ce qui s'est passé plusieurs années auparavant…
Toi, je suis sûr, tu peux me comprendre et même, si Dieu le veut, tu pourrais maintenant que tu es gendarme trouver la réponse à laquelle j'aspire depuis si longtemps …
Le Papet s'engage alors dans le long récit de sa vie.
"En l'absence de certitudes, fiez-vous à votre instinct".
Jonathan Cainer
Voilà : comme tu dois le savoir je suis né dans cette maison en 1913, mon père était charbonnier dans la garrigue. Il travaillait avec Jules BOISSON, son voisin pour les verreries de Ferrière avant de se mettre à son compte comme bûcheron classique après la guerre.
Cette même année Jules eut une fille qu'il appela Agnès; c'est la que l'histoire commence …
Nous avons grandi en voisins, depuis nos premiers jours, nos mères étant des amies d'enfance. La grande guerre avait commencé alors que nous faisions nos premiers pas. Du coup nous étions toujours ensemble pour jouer, partageant notre amour de la liberté et de l'aventure.
Privées de leurs hommes, nos mères devaient assumer toutes les charges : maison, entretien des vignes, soins des animaux, de la basse cour et quelques chèvres. De ce fait elles nous laissaient ensemble sous la garde alternative de nos grandmères.
Par chance nos pères revinrent vivants à la fin de 1918, mais Jules ayant été gazé, garda toujours des difficultés respiratoires qui l'obligèrent à abandonner le dur travail de charbonnier pour celui de mécanicien à l'usine des deux-ponts à Ganges. C'était une manufacture de bonneterie de soie.
Blessé à la tête, mon père, lui, qui avait été soigné avec du vinaigre, s'en était sorti, apparemment sans séquelles physiques, mais moralement transformé.
Déjà peu bavard, il se renferma sur lui-même passant la majeure partie de ses journées soit dans la garrigue soit dans ses vignes. Seule Agnès, avait avec lui un rapport léger et tendre, comme si c'était sa fille, ce qui lui permettait de se dérider un peu.
De ce fait vers nos neufs ans, nous avions souvent la possibilité de l'accompagner dans ses journées. Notre espace d'aventure s'agrandissant ainsi, nous avons commencé à découvrir dans les "bartas" des portes mystérieuses qui se présentaient à notre curiosité téméraire.
Les charbonnières étaient souvent espacées pour pouvoir être proches des zones de coupe. On y parvenait par des sentiers muletiers tortueux, traversant des secteurs boisés dont la densité procurait une ombre épaisse et fraîche. Ils étaient suivis d'espaces rocheux éclatants au soleil, parsemés de rares buissons, mais aussi de nombreuses fissures ou anfractuosités dont certaines étaient profondes, et dont le fond noir nous attirait.
Mon père voyait bien que notre curiosité se portait sur ces ouvertures, mais ne nous interdisait pas de nous en approcher. Sa seule recommandation était de ne pas y descendre, seulement d'y lancer des cailloux pour entendre le bruit que ça faisait.
C'est un jeu dont on ne se lassait pas, le plaisir étant amplifié d'autant que le bruit était fort. C'était à celui qui serait le plus bruyant ou le plus long. Tout ça restait cependant à notre échelle, rarement cela dépassait quelques mètres, une dizaine tout au plus …
Au fil des ans prenant de l'assurance, la découverte de petites grottes horizontales nous a habitués à progresser dans l'obscurité en nous éclairant avec des bouts de bougie chipés dans la cuisine.
Mais tout cela pris fin brusquement.
J'avais tout juste quinze ans quand papa est décédé brutalement d'une crise cardiaque en chargeant un stère de bois. C'était fini de nos "sorties encadrées"…
Ma mère ne voyait pas d'un bon oeil que nous partions tous seuls sans savoir où on allait. Afin de la rassurer, nous avons invité des camarades d'école un peu plus grands à venir tenter l'aventure avec nous.
Charles ROBIEN, Marc TREMOLET et Joseph BERTRANI, qui habitaient non loin de chez nous sur Agonès, et avec qui nous avions l'habitude de faire la route pour aller en classe, se sont donc joints à notre duo. Nous avions réussi à les persuader, mais je pense que c'est plus la présence d'Agnès qui les a décidés. Elle se faisait demoiselle, et ne laissait pas les garçons indifférents, en particulier Charles, qui faisait tout son possible pour attirer son attention.
Notre première expérience collective a été une petite grotte repérée au dessus de leur village.
Elle descendait en forme de toboggan avec plusieurs paliers. En tant que plus expérimentés, Agnès et moi avions organisé les choses. Joseph s'arrêterait au premier palier, Charles devait s'arrêter au second, mais voulant rester au plus près d'Agnès, il négocia avec Marc espérant qu'il n'y aurait pas d'autre station et pourrait poursuivre avec nous le plus loin possible. Son espoir fut assez vite douché par un replat avant une nouvelle pente, il dut donc nous laisser continuer seuls.
Chacun a son point d'attente avait une bougie avec des allumettes et communiquait régulièrement par la voix avec les autres autant pour savoir si ça continuait que pour se rassurer.
La dernière descente aboutit sur un ensemble de concrétions qui barraient le passage. Sans se poser de questions, Agnès s'engagea tout de suite dans le passage vertical et étroit disponible entre deux colonnes, me laissant derrière avec la bougie.
Heureusement qu'elle n'avait pas mis de robe (depuis longtemps elle m'empruntait de vieux pantalons pour ne pas se salir), car le passage s'avéra plus compliqué qu'elle ne le pensait.
Après beaucoup de contorsions, elle disparut tout de même dans le noir. Avançant le bras pour lui apporter de la lumière de l'autre côté de l'étroiture, j'ai glissé sur la pente, la bougie m'échappa et en s'éteignant nous plongea dans l'obscurité.
Étonnamment, nous ne nous sommes pas affolés. Il était vain de vouloir la retrouver. Agnès comprenant la situation me dit tranquillement.
— On sait comment on est arrivé là, il suffit de se rappeler les obstacles pour revenir, si tu ne le sais pas, moi oui ! Et j'entendis de suite le frottement de ses habits dans l'étroiture qu'elle repassa bien plus facilement qu'à l'aller.
Une fois réunis, nous amorçâmes à tâtons la remontée faisant attention à ne pas heurter la voûte inégale et parsemée de petites stalactites.
— On ne dit pas aux autres qu'on a perdu la bougie, on est sensés l'avoir finie et donc être obligés de revenir. D'accord ? me souffla-t-elle.
— D'accord, sinon ils risquent de se moquer de nous et de ne plus vouloir revenir.
— Il faut leur dire que ça continue et que nous sommes une équipe formidable.
— Si on se donnait un nom ?
— Du style "les téméraires" ? proposa-t-elle.
— Non plus en rapport avec la terre où nous rentrons …
J'ai trouvé ! Nous serons des "Mousqueterres" !
— Tu te prends pour D'Artagnan et moi je suis quoi la dedans ?
— Tu n'as pas compris, il faut l'écrire avec terre comme la terre !
— Ah bon comme ça c'est vrai que c'est bien !
Après quelques minutes de progression dans le noir, la lumière vacillante de la bougie de Charles nous apparut, sa voix n’étant pas des plus assurées, il s'efforça de nous éclairer au mieux. A partir de là, le reste était facile…
Une fois sortis, Agnès se tenant à la version prévue annonça avec chaleur que notre équipe après une pareille réussite devait se donner un nom.
La proposition des "Mousqueterres" fit l'unanimité, et à partir de ce jour nous n'avons cessé de nous organiser au niveau matériel pour ne pas avoir de nouvelles mésaventures.
Mais ma situation était devenue difficile, ma mère seule, avait besoin d'un salaire complémentaire pour subvenir aux besoins de la famille.
Je devais l'aider déjà, en dehors de mes temps d'école, mais cela était insuffisant, je dus quitter l'école ayant le certificat d'études comme seul diplôme, pour aller comme le père d'Agnès travailler à l'usine.
Petit tâcheron tout d'abord, comme j'étais débrouillard, je me suis formé peu à peu à l'entretien de la mécanique. Le métier dit "hollandais" avait pris la place des anciennes techniques de fabrication des bas depuis plus de trente ans.
Mais ces machines assez complexes avaient besoin d'un suivi permanent. Je suis passé progressivement du travail de jour à l'entretien de nuit après le départ des ouvrières.
Dormant peu, cela me laissait des possibilités de faire des sorties sous terre dans la journée. De son côté, Agnès avait dû à son tour donner la main chez elle, ce qui fit que nos sorties furent plus difficiles a coordonner. Parfois, elle sortait aussi avec un ou plusieurs de l'équipe car ils étaient plus disponibles que moi, devant donner aussi la main à ma mère.
Cette difficulté créa un réel manque pour nous deux et contribua à nous retrouver souvent en dehors du groupe, et, ce qui devait arriver arriva, pour nos 17 ans, nous formions un couple caché.
Parmi les Mousqueterres seul Charles se douta de quelque chose, mais ne perdit pas espoir de conquérir Agnès.
Cela dura presque deux ans, nous organisions nos sorties en fonction des disponibilités de chacun, elle continuait quand elle pouvait avec les autres, mais au moins tous les quinze jours nous étions seuls sur nos plateaux calcaires. Escapades à la fois sportives et amoureuses, ce furent les plus belles années de ma vie …
Tout au long de son récit Lucie a senti monter l'émotion dans la voix de son aïeul à l'évocation d'Agnès.
Pour la faire baisser, elle l'oriente vers le côté purement spéléologique.
— Comment vous avez fait pour vous équiper et explorer en sécurité ? Vous avez eu des contacts avec d'autres explorateurs ?
— Tu sais à l'époque, on n'appelait pas cette activité « spéléologie », c'était une activité marginale pratiquée par des individus considérés comme inconscients.
Prendre des risques, pourquoi en fait ?
Beaucoup de cavités étaient connues depuis très longtemps, mais n'intéressaient pas les gens d'ici, sauf pour se débarrasser facilement de cadavres d'animaux morts ou d'autres choses moins avouables.
Pour ma part je n'ai appris que vers mes vingt ans, que Martel était venu explorer la grotte des Demoiselles en 1884, en face de nous, sur le Thaurac, que tu connais bien, et aussi, en 89, l'Abîme de Rabanel, une trentaine d'années avant ma naissance !
C'est à cette époque que l'on a entendu parler de Robert de Joly qui a exploré l'aven des Lauriers en 1930 je crois, mais il n'est pas resté dans le coin.
Trois ans plus tard, Bancal explorant le complexe de la grotte du Maire, de la Route et l'aven des Lauriers a fait parler de lui. Alors on s'est intéressé aux techniques qu'il utilisait, l'éclairage à l'acétylène, les échelles à électrons et tout ce dont tu as entendu parler …
Nous aussi nous fabriquions des échelles. J'avais la possibilité d'utiliser l'atelier de l'usine et ainsi ça nous a été assez facile de nous équiper suffisamment pour pouvoir descendre des verticales jusqu'à 50 mètres. Au-delà cela devenait compliqué pour assurer la descente et remontée de celui qui était sur l'échelle. Il fallait assez de bras pour assurer ceux, les chanceux, qui passaient devant, la plupart du temps Agnès ou moi.
Cependant, la grande majorité de nos sorties consistaient à chercher de nouvelles entrées, ou déboucher des passages pour continuer dans des galeries inconnues. Tu connais bien toi aussi tous les coins intéressants pour de nouvelles découvertes.
Nous les avons donc parcourus dans tous les sens, mais rarement tous les cinq ensemble vu nos disponibilités.
Agnès avait parfois des possibilités que je n'avais pas, elle partait avec l'un ou l'autre, souvent avec Charles, sans que cela me pose de problèmes, nous étions très épris et confiants. Lors de ces sorties, la passion de la découverte ne laissait à Agnès aucune place à quelque débordement. Au grand dam de Charles qui ne perdait cependant pas espoir. Cela commençait même à être une source de moquerie de la part de Marc et Joseph.
En novembre 1929, un évènement imprévu se présenta, bouleversant notre vie. Agnès m'annonça qu'elle était enceinte !
La chose était inattendue, encore plus pour les parents, qui ne savaient rien de notre relation. J'avais un peu plus de 17 ans, et Agnès quelques mois de moins. S'ils n'étaient pas particulièrement bigots, nos parents ne pouvaient accepter une fille mère. Le mariage devenait impératif avant que cela se voie. Même si ce n'était pas dans nos projets immédiats, c'est avec plaisir que nous nous soumîmes à l'injonction.
La cérémonie étant prévue fin Janvier, Agnès fut contrainte de rester à la maison afin de ne pas prêter à commérages, j'avais l'autorisation de venir la voir quelques heures par jour.
Pour plus de sécurité, on annonça qu'elle était atteinte d'une faiblesse inconnue qui l'obligeait à rester à la maison.
Par contre, pour donner le change, je continuais à sortir régulièrement avec les Mousqueterres, chose qui n'était pas une contrainte, loin de là.
C'est à cette époque que l'on entendit parler de découvertes préhistoriques dans certaines grottes de nos secteurs de prospection. Cela donnait une nouvelle dimension à nos recherches, découvrir des restes de poteries ou des ossements humains donnait une nouvelle utilité à notre passion. Que tu le croies ou pas, une de ces recherches a failli me faire rater mon mariage !
— Comment ça ?
— C'est assez comique, la noce était prévue un samedi. Le mardi précédent Marc et Joseph très portés sur la préhistoire, ont été informés par des chasseurs qu'une grotte avait été repérée sur le flanc du "Fesquet", non loin de la "Combe Obscure" où on avait l'habitude de prospecter.
La veille de mon mariage, je ne travaillais pas. Ils m'ont sollicité pour venir avec eux. On convint d'y aller le soir car c'était plus facile pour Joseph de se libérer.
Apprenant cela, ma mère m'interdit d'y aller.
— Tu n'as pas autre chose à faire pour préparer demain, que de te fourrer dans tes trous à rats ? Ils ne vont pas disparaître si tu n'y vas pas ! Pour être sûre elle me confina dans la maison contrôlant la porte d'entrée.
Elle n'avait pas pensé, que de la fenêtre de ma chambre, je pouvais facilement m'échapper, ce que je fis dès la nuit tombée.
Notre exploration prit plus de temps que prévu. Trouver l'endroit indiqué ne fut pas très facile, dans l'obscurité. Une fois entrés dans la galerie, il a fallu s’engager dans un passage long et étroit. S’il fut relativement aisé à l'aller, par contre, le retour, fut plus compliqué.
Joseph sortit relativement facilement, malgré son gabarit, Marc lui, bizarrement se coinça devant
moi. Un simple bout de rocher mal placé lui bloquait le passage. Après avoir essayé de franchir l'obstacle de plusieurs manières, il dut se rendre à l'évidence, il fallait casser l'obstacle.
Malheureusement dans notre précipitation, nous n'avions pas prévu de matériel pour ça. Il fallut que Joseph retourne chez lui chercher un burin et une massette pour le faire sauter. Son aller-retour prit du temps.
C'était celui de l'équipe qui connaissait le moins bien le secteur. En plus, de nuit, il se trompa de chemin en allant. Et au retour, il tourna en rond longtemps avant de retrouver l'orifice où nous nous trouvions. Le temps de débloquer Marc, nous étions dehors alors que le jour était levé depuis longtemps, et j'étais attendu à la mairie pour 10 heures …
— Imagine la façon dont j'ai été accueilli en rentrant !
— Agnès était au courant ?
— Non, mais quand elle l'a appris elle a éclaté de rire, me disant qu'on aurait mieux fait de se marier dans une grotte, en faisant venir le maire, et que du coup, c'est lui qui aurait été en retard ! — Mais une fois mariés vous avez continué vos explorations ?
— Oui, mais en raison de la grossesse, nous avons passé beaucoup plus de temps en surface à chercher tout ce qui nous paraissait intéressant à venir explorer plus tard…
Quand ton grand-père est arrivé (en Août 1931), on a levé le pied pour s'en occuper, surtout Agnès qui, pendant la première année, n'est pratiquement pas sortie sous terre se contentant de se balader en extérieur, mais ce n'est pas l'envie qui lui manquait.
On revenait sur le point sensible, "Agnès" !
Une question brulait les lèvres de Lucie, devaitelle la poser où laisser retourner son Papet à sa mélancolie ?
Ne pouvant résister, Lucie relança la discussion sur leur vie à la suite de la naissance de Roger. Comment avec un enfant une femme à l'époque pouvait avoir autant de liberté pour se livrer à une activité d'exploratrice ?
— Papet, dit-elle, comment Agnès a pu continuer à pratiquer sa passion avec un enfant en bas âge ? C'est difficile de nos jours, à cette époque je suppose que ça devait l'être encore plus ?
— Tu es mignonne, si tu avais connu ton arrière grand-mère, tu ne me poserais pas la question ! Elle avait un sacré caractère, et n'avait pas peur de ce que pensaient les autres. Je partageais sa passion et ne pouvais que lui faciliter les choses.
Dès la deuxième année de mon fils, nous avions organisé notre vie autour de lui et de notre activité. Sur le principe on partait ensemble au moins une fois par mois sur le week-end confiant le petit en alternance à ses grand-mères. Pour le reste, chacun sortait séparément quand ça lui était possible. Je privilégiais de garder Roger souvent le dimanche, Agnès en profitait alors pour retrouver un ou plusieurs des Mousqueterres.
Une petite compétition s'était engagée entre nous, pour savoir lesquels feraient la plus belle découverte ! Que ce soit un aven ou une grotte, l'importance de la cavité, ou la beauté des concrétions étaient des critères qui souvent nous mettaient en désaccord.
Mais le graal était de trouver des traces de la préhistoire. Car il y en avait pas mal dans plusieurs grottes notamment dans le secteur des Lauriers, les grottes de la draille ou sur le Thaurac.
Comme il se disait qu'on avait trouvé des grottes ornées en Espagne, à Font-de-Gaume et Combarelles dans le Périgord, on s'était persuadés pouvoir trouver la même chose chez nous ! Du coup, on se faisait des cachotteries, ne disant pas toujours de suite ce qu'on avait trouvé en rentrant de nos sorties réciproques. On laissait parfois croire qu'une première était en cours, sans indiquer le lieu où le secteur de la sortie.
Celle, ou celui, qui faisait une nouvelle découverte, pour indiquer qu'il était l'inventeur et justifier de la nouveauté, gravait ses initiales avec une pierre ou un marteau sur la paroi au bord de l'entrée. Quand on faisait une trouvaille collective, c'était le M des Mousqueterres que l'on gravait. Ce jeu dura quelques mois, jusqu'à ce week-end fatidique…
Pascal s'interrompt longuement. Lucie sentant que ce qui va être évoqué reste, pour lui, très douloureux malgré les années, ne dit rien, lui laissant le temps de se reprendre.
Donc ce samedi de fin juillet 1933, Agnès avait une sortie programmée sur un secteur mystérieux avec Charles. Ce lieu faisait l'objet, depuis plusieurs épisodes, de travaux dont j'ignorais tout mais leurs attitudes laissaient supposer une découverte particulièrement sensationnelle.
Ils avaient même, pour ne pas donner d'indications, laissé tout leur matériel sur place. Elle est partie de bonne heure laissant entendre une exploration de longue durée. Cela ne m'a pas posé de problème, étant moi-même coutumier du fait. Mais quand même, vers 23 heures, j'ai commencé à me poser des questions.
Je suis donc allé chez Marc pour savoir s'il avait des informations. N'en sachant pas plus que moi, nous allons donc ensemble chez Joseph espérant qu'il aurait une idée du lieu de leur exploration. Joseph fut assez surpris de notre démarche, pour lui, il fallait attendre. Dans l'exaltation d'une découverte, Agnès et Charles avaient perdu la notion du temps …
Mais la nuit a passé, et le dimanche je décide de partir à leur recherche. Repassant chez Marc, on se répartit chacun un secteur, lui se charge de voir Joseph pour qu'il participe à la recherche. La journée se passe sans rien trouver de plus.
Le soir je suis donc allé signaler la chose aux gendarmes pour qu'ils nous aident. Des battues furent organisées les jours suivants avec l'aide des chasseurs sans résultats. Cela était d'autant plus difficile qu'on ne savait pas du tout dans quel secteur ils avaient pu aller.
Les gendarmes eux, firent leur enquête en questionnant tous les proches des disparus, dont les Mousqueterres, ils changèrent la vision des choses, pour eux ce n'était pas un accident, c'était une disparition volontaire. En effet d'après leur enquête il était notoire que Charles avait depuis longtemps une attirance pour Agnès, et rien ne prouvait qu'elle n’ait pas fini par succomber à son soupirant. La preuve, ces récentes sorties répétées en duo, et pour la dernière, partis sans leur matériel d'exploration. De plus, ils avaient laissé leurs vélos.
A pied, les distances étaient limitées, et les recherches aux environs n'avaient rien donné. Ils étaient donc partis loin, avec un moyen de locomotion plus rapide. Le car vers Montpellier partait à 9 heures, et le train pour Nîmes à 9 heures trente, ils avaient donc le choix a conclu l'enquête de gendarmerie.
Toutes les recherches faites sur le département et les départements voisins ne donnèrent rien, rien non plus au niveau des frontières qui ne furent averties que bien plus tard ce qui fit clore le dossier pensant qu'ils avaient largement eu le temps de partir dans un pays lointain …
Même si pour tout le monde l'affaire était close, pour moi reprit Pascal, il n'était pas question de me résigner et d'accepter les conclusions des gendarmes.
Mobilisant mes amis Mousqueterres, on multiplia les recherches sur tous les secteurs que l'on savait être les lieux de recherches des disparus, mais rien, rien, pas un indice pour nous mettre sur une piste.
Très vite, Joseph, étant un peu plus âgé, dût nous quitter pour le service militaire, suivi par Marc et moi, ayant atteint nos 21 ans.
Heureusement, depuis 1928, il avait été réduit de 18 à 12 mois, et, étant chargé de famille j'ai été incorporé pas très loin de chez nous à Nîmes effectuant moins de six mois effectifs alors que les autres sont partis sur Metz pour Joseph, et Belfort, pour Marc.
A la fin de leur service, mes amis revinrent changés, et une distance se tissa entre nous.
De plus, leurs métiers les éloignèrent du canton. Joseph travaillant dans une usine au Vigan s'y installa et se maria quelques temps après, abandonnant les sorties souterraines.
Marc embauché à la mine à Saint Laurent le Minier, n'avait plus envie de passer son temps libre encore sous terre ! Je suis resté seul avec ma peine et mon espoir de savoir ce qui s'était réellement passé …
Les années sont passées vite, ton grand-père grandissait sans sa maman, et je n'avais pas le coeur à la remplacer.
Dès ses cinq ans je l'ai amené avec moi sur le terrain d'aventure préféré de sa mère, et quand la guerre se déclara en 39 -il avait 8 ans- il commençait à être à l'aise sous terre même s'il n'utilisait pas encore les agrès pour les verticales.