Les éveillés - Tome 1 - Aurélie Pavilla - E-Book

Les éveillés - Tome 1 E-Book

Aurélie Pavilla

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Beschreibung

Qui n'a jamais fantasmé d'un monde dénué de l'ombre de l'échec ? Un univers où les rêves les plus fous s'érigent en réalités grâce à la puissance de la foi en soi ? Dans "Les éveillés", ce monde merveilleux est bien tangible. Et les héroïnes, baignées dans une confiance absolue, ne nourrissent qu'une seule obsession : la justice, la revanche.




À PROPOS DE L'AUTRICE

Aurélie Pavilla a un amour pour les paysages majestueux, les légendes et les mythes. Son intérêt pour le fantastique est évident dans ses écrits, où elle crée des univers imaginaires qui offrent une évasion accessible à tous : un monde enchanteur.

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Seitenzahl: 456

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Aurélie Pavilla

Les éveillés

Tome I

La confiance

Roman

© Lys Bleu Éditions –Aurélie Pavilla

ISBN :979-10-422-1226-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour tous ceux qui croient en eux, alors que personne d’autre ne le fait…

Avez-vous déjà imaginé un monde dans lequel la peur de l’échec n’existait pas ?

Un monde dans lequel chacun de nos désirs, chacun de nos rêves, devenait réalisable selon notre degré de confiance en nous ?

Dans le monde où se déroule cette histoire, c’est le cas. Ici, certains hommes ont appris à se reconnecter à l’énergie originelle. La source, la création, l’au-delà, le monde spirituel, nombreux sont les noms que nous lui donnons. Dans l’histoire qui va être contée, nous l’appelons l’Origine.

Notre âme, qui en est issue, est donc naturellement reliée à cet autre monde. Cette connexion s’établit par le biais de canaux de communication. Ces canaux peuvent prendre n’importe quelle forme, mais dans la croyance populaire ils sont représentés par des portes.

Au nombre de quatre, elles entourent comme des forteresses l’énergie qui nous est propre à chacun : l’âme. C’est au travers de ces quatre canaux que les informations de l’Origine nous sont transmises, selon la particularité de chaque porte : la Vision, l’Ouïe, les Sens, la Connaissance.

Chacun d’entre nous possède un canal prédominant basé sur notre personnalité. Cette porte dominante est ouverte dès notre naissance à un angle de plus de soixante-dix degrés. Toutefois, en grandissant, ces portes se referment petit à petit sous l’impulsion de l’acquisition de nouvelles croyances et idéologies limitantes.

Il revient donc à chacun de croire et de maîtriser ces portes. Car lors de la maîtrise des quatre canaux, tout devient réalisable pour l’habitacle de l’âme concerné. Et votre vœu le plus cher est alors à portée de main. Cependant, au fil du temps, le sujet est devenu tabou, et cette réalité s’est retrouvée assimilée à un mythe. Une simple légende urbaine…

Ce mythe s’est pourtant révélé vrai pour un bon nombre de personnes. Ceux qui ont accepté de croire. Ces personnes, qui ont appris à maîtriser les portes et qui ont ainsi pu révéler leur potentiel maximum, vivent souvent cachées ou dissimulant leurs véritables natures. Ces personnes qui sont parvenues à ouvrir les quatre portes, et pour qui rien n’est impossible… se font appeler les éveillés.

Chapitre 1

Les prémices d’une tragédie…

Vivant dans une petite bourgade, une jeune femme belle, talentueuse et généreuse s’attira les faveurs du jeune prince de Naxdorn. Dans ce pays où la loi du plus fort était les maîtres mots, le jeune prince utilisa bon nombre de stratagèmes pour la conquérir dans le but de fanfaronner auprès de ses amis. Parmi ses outils de séduction, l’illusion et le mensonge.

Il lui fit miroiter et croire de belles choses. Il lui proposa même de siéger sur le trône à ses côtés. Il lui disait cela, car il savait qu’elle rêvait secrètement de pouvoir changer la vision de ce pays empli d’injustices à ses yeux. Ainsi, à ses côtés, elle détiendrait le pouvoir de changer les choses. La jeune femme était d’une grande beauté, mais naïve. Elle crut aveuglément aux belles paroles de son prince.

Très vite, leur histoire fit le tour de la cour et parvint aux oreilles des conseillers du roi. Ceux-ci ne voyaient pas d’un bon œil les idées révolutionnaires de cette femme du peuple, qui espérait abolir la devise ancestrale de Naxe. À la suite d’une confrontation humiliante avec la jeune femme, l’un d’entre eux fit venir la jeune princesse d’un pays émergent des territoires de l’ouest afin qu’elle rencontre le prince et lui fasse oublier sa jeune prétendante. Le conseiller convainquit alors le roi de créer une alliance militaire avec ce royaume en pleine expansion sur fond de mariage entre les deux héritiers. Le prince, lui, tomba sous le charme de la jeune princesse étrangère, mais par fierté refusa de renoncer à conquérir la jeune femme pauvre. C’est ainsi que le mariage entre le prince et la princesse de l’ouest s’organisa dans l’ignorance de cette dernière. La cour entière, au courant du jeu perfide que menait le prince, garda le silence. Serviteurs, servantes, gardes, conseillers, tous détournaient les yeux. Le prince deviendrait l’autorité suprême du royaume, le prince avait donc toujours raison. C’était ce qu’ils se disaient entre eux pour se donner bonne conscience.

La princesse de l’ouest comprit bien vite ce qui se tramait et en avertit le prince. « Tu peux jouer avec cette femme jusqu’au mariage. Mais, lorsque les alliances seront échangées, je veux qu’elle disparaisse ! », lui avait-elle alors ordonné. Le prince mit alors tout en œuvre pour accomplir sa malice, allant jusqu’à organiser une fausse cérémonie de présentation devant son père, le roi. La jeune femme belle, mais pauvre, était aux anges, elle s’imaginait déjà reine. Elle entrevoyait déjà tout ce qu’elle pourrait accomplir de cette position. Et à son image, les habitants de son village crurent eux aussi à son futur règne. Mais, eux aussi furent dupés par le prince…

La réception du mariage entre la princesse de l’ouest et le prince s’organisait. Naxdorn fut scindée. D’un côté, ceux qui furent dans l’illusion. De l’autre, ceux qui cautionnaient les agissements du prince et connaissaient l’identité de la véritable élue. Ce manège sournois dura jusqu’au grand jour.

La nuit qui précéda leur union, la jeune ingénue finit par céder aux avances du prince et passa la nuit avec lui dans sa chambre. « Nous nous marierons dans quelques heures, pourquoi conserver les bonnes mœurs ? » avait-elle pensé. Elle était amoureuse. Et elle était naïve.

Dès l’aube, le prince, dont l’ego fut rassasié, fit convier tous ses amis dans sa chambre pour prouver son exploit. Il avait réussi à conquérir la plus belle femme du royaume et il assurait de ce fait être le plus fort du royaume. Lorsque la jeune femme se réveilla, dans cette chambre pleine d’inconnus, la honte s’empara d’elle. Sans réfléchir, elle s’enfuit, tentant d’échapper aux moqueries, avec pour seul vêtement un drap de chambre. Dans les couloirs du château, elle rencontra la princesse de l’ouest. Le prince et sa horde assistèrent à la révélation de toute la vérité par la véritable prétendante. Niant tout d’abord la vérité, la jeune femme interrogea le prince, qui confirma ces dires. Folle de rage et humiliée, elle se jeta sur lui. Toutefois, le prince, plus fort physiquement, n’eut aucun mal à la maîtriser. Il ordonna à ses gardes de la ramener « là d’où elle venait ». Les gardes obéirent et la jeune femme se retrouva sur les pavés du château avec pour seuls habits une terrible désillusion. Sa déception et la dure réalité la frappèrent si fort qu’elle en perdit la tête et s’évanouit devant les grilles de l’enceinte royale.

La nuit tombée, elle se réveilla dans une cabane. Des villageois l’avaient recueillie et lui contèrent les faits. Aveuglée par ses sentiments, elle retourna au château pour confondre le prince. Toutefois, les gardes lui refusèrent le passage. Un des conseillers du roi, celui qui avait fait venir la princesse de l’ouest, assista à la scène. Il ordonna aux gardes de la laisser passer. Ses intentions étaient mauvaises, mais la jeune femme ne s’en aperçut pas. C’est ainsi qu’elle se retrouva dans la salle de bal au milieu des autres invités. Elle confronta le prince, mais ce ne fut pas lui qui répondit à ses doléances. Ce fut sa nouvelle épouse. Se méprenant sur les sentiments de la jeune femme, cette dernière l’accusa aussitôt de cupidité. « Ni toi ni aucun de ta lignée n’avez et n’aurez jamais la possibilité d’être sur mon trône ! Gardes, sortez cette femme ! » furent les derniers mots que la jeune ingénue entendit prononcer.

La jeune femme regagna sa cabane et laissa la tristesse la submerger. Voyant sa détresse, une vieille femme, qu’elle avait sauvée par le passé des coups et des insultes de brigands, la prit sous sa coupe. Cette vieille femme vivait recluse du village dans une vieille bâtisse qui semblait sortir de nulle part, tellement elle contrastait avec son environnement. Les villageois l’accusaient de pratiquer des rituels interdits par la loi. À cause de cette proximité avec cette vieille femme, la jeune femme fut également traitée en paria et se retrouva exclue elle aussi.

Son histoire éphémère avec le prince avait cependant laissé une trace éternelle : une fille. Son émoi et sa compassion étaient si grands que toute sa peine fut balayée lorsqu’elle porta l’enfant pour la première fois. Effrayée à l’idée que le roi apprenne la naissance de l’enfant, potentielle héritière au trône, la jeune mère décida de l’élever loin de la capitale. Ces tentatives furent toutefois vaines lorsque le bébé tomba gravement malade. Ce jour-là, la vieille femme, qui avait pour habitude de les soigner avec des remèdes naturels, était absente. Résiliée, la maman se rendit alors à la capitale. Mais, sans argent, les portes restèrent closes. Au même moment, un véhicule portant l’emblème royal passa à proximité. C’était la reine qui faisait visiter la ville à son frère aîné. Les cris et les plaintes de la jeune femme attirèrent leur attention. D’un coup d’œil, la reine reconnut son ancienne rivale et comprit immédiatement que l’enfant était le sien. Et, que celui-ci représentait une menace pour elle et pour sa famille. En effet, après une année de vie conjugale, laprincesse de l’ouest n’avait toujours pas donné d’héritier au roi. Elle demanda alors à un de ses gardes de se renseigner sur la femme et sur l’enfant. Son frère, lui, tomba immédiatement sous le charme de la jeune mère.

Les semaines passèrent et les craintes de la reine furent scellées. Elle apprit que l’enfant était celui de son époux, le roi. Désemparée, elle demanda à son frère de se charger du problème. Son frère accepta et se rendit la nuit tombée dans la vieille cabane isolée dans les bois. Il rencontra la jeune femme et lui fit une proposition : l’épouser, lui, et assurer un avenir à sa fille. Mais, la jeune femme refusa. Ne supportant pas ce rejet, l’homme abusa d’elle de force. Lorsqu’il se rendit compte de ce qu’il avait possiblement fait, il mit le feu à la bâtisse avec l’enfant et la mère inconsciente à l’intérieur, afin de faire disparaître toutes preuves de son crime. Le même soir, il retourna auprès de sa sœur et lui assura que son problème n’en était plus un.

Le lendemain, lorsque la vieille femme revint de son voyage, elle constata les dégâts. La cabane était en cendre. Cependant, l’enfant et la maman avaient été secourus par des villageois alertés par les flammes. La vieille femme s’occupa de celle qu’elle considérait désormais comme sa propre fille. La jeune mère s’était murée dans le silence. Quelques mois après, elle comprit que celle-ci était de nouveau enceinte. En apprenant la nouvelle, la jeune mère fut prise de colère et chercha à se débarrasser de l’enfant, mais la vieille femme contra toutes ses tentatives. À l’orée du huitième mois, la jeune mère, qui avait refusé de s’alimenter durant toute la grossesse, donna naissance à une nouvelle petite fille. Toutefois, son désespoir se referma sur son corps meurtri par la vie comme une prison éternelle, et elle ne survit pas à cette deuxième naissance.

La vieille femme, qui considérait la jeune mère comme sa propre fille, laissa éclater son courroux et jura au corps sans-vie que ses filles assureraient sa vengeance. La nouvelle matriarche quitta le village avec les deux petites filles dans deux paniers et se rendit à la capitale. Elle passa devant le château et prononça deux incantations. Une pour chaque fille. Avant de disparaître mystérieusement dans un écran de fumée glacial…

***

La forêt de Sang

Vingt ans après cette tragédie, au milieu des imposants troncs rougeoyants, une jeune fille courait.

Ses cheveux longs et épais prenaient une couleur flamboyante à la lumière des rayons d’automne. Une couleur rappelant la teinte écarlate du feuillage dense qui défilait devant ses yeux.

Elle s’arrêta devant une rivière pour y plonger ses mains. L’eau froide et claire la subjuguait. D’ailleurs, tout dans cette forêt la subjuguait. Elle ne connaissait rien d’autre de plus beau et paisible, elle ne connaissait rien d’autre littéralement. Alors qu’elle se perdait dans les reflets de sa crinière de feu, des bruits de pas se rapprochèrent. La jeune fille les entendit, mais ne sembla pas s’en inquiéter. À cet instant, un loup noir se présenta devant elle, émergeant de l’ombre des arbres. Le museau retroussé sur ses dents dévoilait clairement ses intentions. Alertée par le grognement, la jeune fille se releva lentement. Malgré la menace, son visage n’exprimait aucune peur. Au contraire, elle arborait une expression de défiance. Les sourcils froncés, le regard stable. Le vent avait arrêté de souffler, comme si les éléments guettaient la confrontation imminente.

Le loup ne semblait pas impressionné. La jeune fille frêle ne représentait pas un adversaire de taille. Pourtant, l’assurance affichée de cette brindille humaine l’incitait à la prudence. Il se déplaça autour de la potentielle proie, lentement, aux aguets. La jeune fille, elle, ne bougea pas. Elle suivait la menace des yeux avec impatience. Elle attendait la confrontation, et cette attente se muait progressivement en excitation. Une excitation qu’elle ne pourrait bientôt plus contrôler, au point où elle esquissa un mouvement en direction du loup. Celui-ci assimila le mouvement à une offensive et répliqua aussitôt. Il bondit sur la jeune fille avant de se faire percuter en plein vol par une masse deux à trois fois plus imposante que lui. Le choc fut si puissant que le loup s’écrasa sur l’arbre le plus proche. Rapidement, la masse s’abattit sur lui et finit le travail.

— Raksa ! s’écria la jeune fille.

Le lion aux reflets luisants s’arrêta et se tourna vers elle, ses crocs suintants du liquide écarlate.

— Stop ! Cela suffit maintenant. Ici !

La jeune fille montra l’espace devant elle, autoritaire. Le lion résista comme s’il la mettait au défi, mais la jeune fille ne céda pas. C’était elle qui commandait ici et pas l’inverse. L’animal allait se soumettre. Une lueur espiègle brilla dans les yeux ambrés de la jeune fille et son expression exprima toute sa fierté lorsque le lion abdiqua et vint se poser à ses pieds. Bien que l’animal fût couché, la jeune fille n’eut même pas à se pencher afin de caresser la crinière grenat identique à la sienne. Son rire illumina la forêt, et, comme un signe, les éléments reprirent leurs attitudes naturelles. Le vent se remit à souffler, les feuilles des arbres tombaient en spirale, les rayons du soleil éclairaient de plus belle. Ce fut comme si la forêt avait attendu le dénouement de la confrontation.

Galvanisée par l’excitation, la jeune fille se remit à courir. Sur ses talons, le lion la suivit comme son ombre. Elle arriva devant un passage étroit dans la roche qu’elle descendit et qui déboucha sur une petite clairière. Au milieu de celle-ci, une habitation sommaire.

— Dhuzo ! J’ai réussi ! répéta-t-elle frénétiquement.

La vieille femme aux cheveux blancs immaculés sortit de la cabane et observa la jeune fille. Puis son regard s’attarda sur le lion. Elle observa silencieusement les deux un moment.

— Viens ! lança-t-elle soudainement à l’animal qui était resté à bonne distance.

Celui-ci n’obéit pas, mais se rapprocha de la jeune fille.

— C’est moi qui commande maintenant ! Il ne vous obéira plus dorénavant. L’éveil a eu lieu.

La voix de la jeune fille laissait transparaître fierté et excitation. Elle se tenait la tête haute, triomphante.

— Je vois ça… Bien, cela veut dire que la suite peut commencer désormais…

Un rictus apparut sur le visage déformé par la vieillesse de la femme et ses yeux bleus, ternes jusqu’à présent, révélaient une nouvelle malice…

Quelques jours plus tard, le bruit de sacs lourds qui tombaient sur le sol résonna.

— Attends-moi ici, que je te trouve une place. Et fais-moi disparaître ce lion ! Les gens d’ici n’ont pas l’habitude de ce genre d’animal de compagnie, commanda la vieille femme.

— Comment puis-je faire ça ? s’étonna la jeune fille.

— Trouve ! Tu es éveillée maintenant, tu as la possibilité de le faire apparaître et disparaître de façon instantanée.

— Comment veux-tu que je fasse ça Dhuzo ! se plaignit subitement la jeune fille. Tu ne m’aides jamais pour ce genre de chose ! Tu me donnes des ordres et moi je dois trouver un moyen d’obéir ! Sois un peu plus explicite !

— Je croyais que c’était toi qui commandais maintenant, non… ? –Un sourire narquois et vil se dessina sur ses lèvres ridées – Alors, tu te débrouilles ! Mais quand je reviens, cet animal aura disparu ! Il n’y aura pas de place pour vous deux.

Son ton était catégorique et la jeune fille savait qu’elle se devait d’obéir.

Elle se tourna vers l’animal tapi dans la pénombre. Elle le fixa avec intensité, éclipsant tout ce qui se trouvait à proximité. La lueur dans ses yeux provoqua un écho dans ceux du félin éthéré. La tension dans ses membres s’intensifia. Le vent autour d’elle cessa de souffler.

— Disparais… souffla-t-elle, la gorge serrée.

Dès que les mots furent prononcés, les contours de l’animal se brouillèrent et devinrent poussière. Le mystérieux nuage créé se déplaça brusquement vers elle. Prise de cours, elle recula quand elle heurta une masse dans son dos.

— Faites attention, jeune demoiselle ! Voyons, ne trouvez-vous pas que je suis suffisamment au bord de la falaise de la mort pour que vous m’y précipitiez plus rapidement ? ronchonna une voix mure.

L’homme qu’elle venait de bousculer était effectivement âgé. Vêtu d’un imposant manteau sombre, un chapeau démesuré vissé sur sa tête lui couvrait les yeux laissant toutefois apercevoir ses très longs cheveux grisonnants. La jeune fille s’excusa en s’inclinant légèrement. Elle prétexta avoir été distraite. Ce qui ne constituait pas réellement un mensonge, la disparition de Raksa avait accaparé toute son attention.

— Je le vois bien. Et, où allez-vous si peu vêtue ? Ne me dites pas au Nord ! Ha ha ! Vous cherchez vraiment des noises à la mort ma jeune enfant !

L’homme éclata de rire. Un rire fort et tonitruant. La jeune fille fut surprise par tant de vigueur. Visiblement, l’âge ne semblait pas diminuer sa vitalité.

— Oui. Vous avez raison, je me rends au Nord ! acquiesça-t-elle, toutefois.

Le vieil homme s’arrêta de rire et dévisagea la jeune fille, pantois. Elle portait une tunique blanche, un châle grenat qui rappelait la couleur de sa chevelure et avait pour seul bijou un pendentif noir. Il fut désarçonné par son calme olympien.

— Et, que va faire une si jolie jeune femme dans le Nord ? demanda-t-il, intrigué par l’assurance qui se dégageait de ses yeux dont la teinte était plus que singulière.

— Je vais devenir reine.

Elle ne sourcilla pas. Son regard ne vacilla pas. Ses lèvres se fendirent en un léger sourire en coin. L’homme, pris au dépourvu, recula et se mit à tousser. Ces accompagnateurs se penchèrent aussitôt sur lui, inquiets, l’assommant d’interrogation en cascade. La jeune fille tourna les talons, prête à s’en aller, mais l’homme la héla entre deux quintes de toux.

— Attendez, jeune demoiselle ! Êtes-vous… une des prétendantes du prince de Naxdorn ?

— Une prétendante… ? Moi… ?

Elle s’arrêta un instant en fermant les yeux. Elle cherchait ses mots. Elle ne voulait pas dévoiler son plan. Pourtant rien ne vint. Elle abandonna l’idée de la discrétion et affirma d’une voix forte et confiante :

— Moi, je suis sa future reine !

Aussitôt, elle s’en alla, laissant tous ses interlocuteurs muets d’étonnement.

— Qui est cette femme, Seigneur Jord ? interrogea un des hommes.

— Un lion…

— Pardon ?

— Ou… une lionne devrais-je dire… continua le vieil homme comme s’il n’avait pas été interrompu.

Son interlocuteur le dévisagea, confus.

— Mais, de quoi parlez-vous Seigneur Jord ?

— Ces cheveux rappellent la crinière d’un lion. Vous ne trouvez pas, Montornaud ? demanda le vieil homme ignorant toujours l’état d’incompréhension de son compagnon. Ha ha ! Il semblerait que des personnes intéressantes se rendent chez nous, n’est-ce pas ?

S’élevant au-dessus du tumulte de la foule, une voix claqua dans l’air. Celle de Dhuzo. La vieille femme revenait avec un objet métallique dans la main et lui présenta la jeune fille.

— Où étais-tu encore ? Tiens, ton laissez-passer pour la capitale. Ne le perds pas ! Nos économies y sont passées.

La jeune fille observa l’objet. Il s’agissait d’une gravure en métal blanc représentant un symbole qu’elle connaissait particulièrement bien. Le blason de la famille royale de Naxe. Dhuzo lui avait suffisamment représenté le symbole pour qu’elle le reconnaisse les yeux fermés. Elle caressa l’objet. Les vingt et une années qu’elle avait passé à attendre ce moment, à être formée par Dhuzo, à échafauder leur plan, tout allait finalement se concrétiser. Et cet objet était la clef pour accéder à ce qui lui revenait : la couronne de Naxe, le trône et tout le royaume.

Les mains fines et froides de son mentor se refermèrent tout à coup sur son bras.

— Rappelle-toi… Le rythme des tambours est mon battement de cœur. Le grondement du tonnerre, mes pas qui avancent vers toi. Le sifflement du vent, le murmure de ma voix. Le crépitement des flammes, ma crinière que tu envies. J’effectue la danse du roi, en compensation de ta vie. Comme…

— … le lion, je suis la reine. Ma couronne ne pourra m’être enlevée. Personne ne me fera vaciller. Même pas l’amour… termina-t-elle.

Elle connaissait la litanie. Cette incantation, elle l’avait apprise depuis qu’elle avait su parler. Puis Dhuzo lui avait raconté son histoire, celle de sa mère et la vengeance qu’elle comptait mettre en place. Elle s’était entraînée toute sa vie et était certaine du résultat. Mais pour mener à bien son plan, elles n’attendaient que l’aboutissement de son éveil. Ce qui s’était produit quand Raksa avait répondu à son appel, il y avait quelques jours dans la forêt de Sang. Dhuzo l’avait invoqué comme protecteur et sa vie était désormais liée à la sienne. Il était le gardien de son âme. Avec lui, elle savait qu’elle ne craignait rien.

— Je peux t’embrasser Dhuzo ? demanda la jeune fille qui continuait de fixer la clef.

— Pas de sentimentalisme Milenna. N’oublie jamais « rien ne te fera vaciller, même pas l’amour ! »

Le conseil était indiscutable et elle s’y plia. Dhuzo l’avait élevée, elle l’avait formatée. Ce que la vieille femme pensait, la jeune fille le pensait. Elle n’était que la continuité de son bras.

Milenna se tourna vers le couloir qui donnait accès aux quais et s’avança. Elle s’arrêta au milieu de l’allée et se retourna. La vieille femme n’était déjà plus là.

— Pas même l’amour, hein… ? murmura-t-elle en fermant les yeux.

Elle inspira profondément, puis les ouvrit, déterminée. Il n’y avait plus de place pour le sentimentalisme, sa couronne l’attendait.

***

Plus tard aux confins de la vallée de Vélly

Le grincement de la porte détonna avec le calme qui régnait dans l’habitation.

Les pas de la vieille femme se firent entendre dans les escaliers menant au premier étage, puis s’arrêtèrent un moment devant l’une des chambres. Elle poussa la porte et pénétra dans la pièce à tâtons.

— Tu devrais éclairer de temps en temps. Vivre dans l’ombre ne t’ira pas au teint ! déclara la vieille femme alors que ses mains atteignaient la lampe posée sur l’un des rares meubles de la pièce.

La faible lumière laissa cependant voir le visage de la jeune fille assise sur une chaise à l’opposé de sa position. Elle ne bougea pas. Ses longs cheveux raides tiraient vers le cuivre et contrastaient avec sa peau pâle. Ils encadraient son visage et s’échouaient sur le livre qu’elle tenait sur ses genoux. Sa frange parsemée couvrait ses yeux.

— Comment arrives-tu à lire dans cette obscurité ? râla la vieille femme.

— Beaucoup de choses deviennent possibles après l’éveil. C’est toi-même qui me l’as enseigné, répondit platement la jeune fille.

Elle ne démontrait aucun signe d’émotion. Seule la lueur ambrée qui transperçait ses longs cils épais trahissait la présence d’un mental. Soudainement, des pas lourds résonnèrent dans le couloir. S’en suivirent des crissements lents sur le vieux plancher en bois. Des griffes qui s’aiguisaient. L’animal était dans l’obscurité, mais ses contours enveloppés d’un liseré lumineux laissaient entrevoir le lion et sa crinière aux reflets cuivrés.

— Il est l’heure, reprit la vieille femme, en ignorant la présence de l’animal dans son dos. Prépare-toi, tu pars pour le pays de Wejam ce soir.

— Ce n’est pas trop tôt. Cela fait un moment que l’éveil est terminé. Pourquoi avoir attendu autant de temps ? s’enquit la jeune fille en refermant le livre.

— Il fallait que je règle… d’autres affaires en parallèle.

— Tes affaires ne devraient pas interférer sur le plan Dhuzo.

— C’est moi qui ai élaboré ce plan. Je sais parfaitement ce qui doit être fait ! Ici, le sésame pour te permettre d’embarquer. Le voyage durera plusieurs jours, dit-elle en déposant une structure métallique jaune sur la table.

Leur départ de la vieille habitation fut prompt, tout était déjà prêt. La jeune fille n’attendait que le moment opportun pour lancer les hostilités, ou plutôt l’accord de Dhuzo, son mentor. Son éveil avait eu lieu depuis des mois, mais la vieille femme semblait attendre un autre évènement avant de lancer leur offensive sur la capitale de Wejam, Moj. Un évènement que celle qui l’avait élevée dans cette contrée reculée de tout gardait secret. Elle n’avait jamais cherché à savoir de quoi il s’agissait, tant que cela n’impactait pas le déroulement du plan.

Elles arrivèrent au petit port de Vélly la nuit tombée.

Le bruit des vagues qui s’échouaient sur les coques des embarcations émettait une mélodie envoûtante qui parvenait à lui faire oublier le tumulte qui régnait dans le lieu.

La foule agitée se disputait les dernières places au prix d’or. Tous cherchaient à fuir les attaques des tribus avoisinantes. La contrée de Vélly n’était plus sûre pour personne, et encore moins pour ses habitants. Une contrée que la jeune fille, qui y avait vécu toute sa vie, avait vue sombrer au fur et à mesure dans des guerres fratricides de territoires. Manifestement, plusieurs croyances ne pouvaient coexister sur un même territoire dans ce monde. Ce fut le constat amer de cette situation. Toutefois, tout cela la laissait de marbre. Car, tout cela ne la concernait pas. Elle n’avait les yeux rivés que sur son objectif. Rien de plus, rien de moins.

Tout autour, les gens se poussaient, trébuchaient, se battaient. Les cris, les supplications, les plaintes résonnaient. Les agents étaient impuissants. Parmi eux, un homme tentait vainement de contenir la cohue. Mais que représentait la voix d’un seul homme face à la frénésie d’une centaine de personnes ?

« Ce n’est pas comme ça que nous allons y arriver ! » s’époumonait-il. Devant lui, une mère et ses fils. Ils cherchaient désespérément à embarquer, mais ne possédaient pas de laissez-passer. Le Graal leur aurait été dérobé. Du moins, c’était ce qu’ils s’évertuaient à lui faire comprendre dans un dialecte aux sonorités prononcées. Il soupira d’exaspération et, relevant la tête, chercha un de ses collègues pour l’aider. Son regard se posa aussitôt sur une jeune fille.

Elle sortait du lot.

Pourtant, elle n’arborait rien d’ostentatoire. Vêtue d’une simple longue robe beige ceinturée par un foulard sombre et d’un pendentif noir, elle n’avait pour seul bagage qu’une caisse noire posée à ses pieds. Il plissa les yeux. Ce n’était pas tant son apparence qui le rendait perplexe, mais plutôt ce qui émanait d’elle. Elle semblait entourée d’une bulle de sérénité qui l’isolait entièrement de l’agitation étourdissante. Une bulle visible, dont les frontières paraissaient si réelles que personne n’osait les franchir.

Il s’approcha, mais resta lui aussi à distance. Était-ce son instinct ? Il l’ignorait.

— Je peux vous aider, mademoiselle… ? tenta-t-il, doutant d’obtenir une réponse tant elle semblait perdue dans sa contemplation.

Toutefois, malgré ses doutes, la jeune fille tourna lentement la tête dans sa direction. La couleur si particulière de ses iris lui coupa le souffle. Sa voix monocorde résonna au creux de ses oreilles.

— D’après vous, ai-je besoin d’aide ?

Il cligna des yeux, dérouté. Il n’avait pas rêvé, il l’avait entendu si distinctement alors qu’elle semblait n’avoir que murmuré. Il secoua aussitôt la tête. Non, il devait se tromper. Il s’éclaircit la gorge.

— Visiblement, non… mais… souhaitez-vous embarquer ou attendez-vous quelqu’un… ? Je m’excuse, mais ce n’est pas prudent de rester ici, ou du moins dans cette zone… Cela peut être dangereux pour une jeune femme seule comme vous…

L’homme n’avait pas tort. Il venait de mettre les mots sur ce qui le tracassait. La jeune fille était frêle et peu vêtue. Elle représentait une proie facile pour toutes les personnes mal intentionnées qui arpentaient le port à cette heure tardive. Néanmoins, pour toute réponse, elle se contenta de fermer les yeux et de sourire. Perplexe, il avança sa main pensant qu’elle ne l’avait pas bien entendu. Mais, elle le devança. Détournant la tête, elle reprit d’une voix assurée et claire.

— Croyez-moi… si je le souhaitais, ce ne serait pas moi qui serai en danger, mais plutôt vous…

Elle reprit aussitôt sa contemplation invisible, laissant l’homme pantois. Il la fixait avec hébétement, tant elle irradiait d’assurance. Ce qu’elle énonçait était une vérité générale pour elle, tout comme il aurait pu assurer s’appeler Roben. Il fut déstabilisé.

— Séline, ton navire va partir !

Une vieille femme apparut soudainement dans son champ de vision. La jeune femme interpellée se détourna de lui, prête à s’en aller, avant de s’arrêter et de se retourner brusquement vers lui. Elle le fixa avec insistance puis murmura. Tout comme l’échange précédent, Roben entendit parfaitement ses mots.

— Je me rends au Nouveau-Wejam, car je suis leur future reine…

Une fois sa déclaration énoncée, elle reprit son chemin. Il ne lui fallut qu’un instant pour disparaître comme par enchantement entre deux bousculades.

Roben crut rêver. Cette jeune femme, la future reine de Wejam ? Dans ses souvenirs, le pays était en pleine guerre civile. Leur roi était gravement malade. Il n’avait eu que des filles comme héritières. Elles étaient au nombre de six. Six filles. L’avenir du pays était plus que menacé. Si cette jeune femme comptait devenir reine, elle devrait attendre son tour, pensa-t-il. Il secoua la tête, esquissant un sourire nerveux. Cela lui paraissait improbable. Il commençait à remettre en cause la santé mentale de la jeune femme. Pourtant, une part de son esprit douta. L’assurance qu’elle dégageait l’avait ébranlé.

Roben resta penaud au milieu du quai à se gratter la tête, enlisé dans ses réflexions. Quand il fut brutalement rattrapé par la réalité avec une nouvelle ruée.

Dhuzo lui tendit ses papiers d’identifications.

— N’oublie pas ton objectif, déclara-t-elle. Peu importe ce qui se dressera devant toi, tu pourras le surmonter avec tout ce que je t’ai enseigné. Répète-la une nouvelle fois.

— Le silence du palais est mon battement de cœur. Le déferlement des vagues annonce mon arrivée. Ton armure se fissure sous l’impulsion de mes yeux dorés. Le voile de mes cheveux sera ton drap de nuit. J’effectue la danse du roi en compensation de ta vie. Comme le lion, je suis la reine.Ma couronne ne pourra m’être enlevée. Personne ne me fera vaciller. Même pas l’amour…

Elle avait fredonné la litanie en fermant les yeux. Plus pour elle que pour montrer à Dhuzo qu’elle n’avait pas oublié.

— Bien. Nous resterons en contact.

— Comment ?

— Tu le sauras en temps voulu.

Séline n’en demanda pas plus. Elle se détourna et s’en alla sur l’embarcadère sans un mot, sans un regard. Elle le savait, son avenir était désormais devant elle, et elle n’avait plus de raison de regarder en arrière.

Chapitre 2

Naxe, où la loi du plus fort…

Royaume de Naxdorn – voie ferrée en direction de la capitale

La locomotive était bondée. Des familles aisées pour la plupart, capables d’utiliser ce genre de transport inédit. Seuls les derniers wagons abritaient les nombreux marchands étrangers qui se rendaient à la capitale pour faire affaire. Milenna était dans ceux-ci. Du moins, elle aurait dû y être. Malgré les écriteaux d’interdiction, elle avait franchi une barrière et s’était rendue sur le toit. Son compagnon avait besoin de place pour se manifester. Les griffes plantées dans le métal usé, Raksa lui servait d’ancre vivante.

Le paysage commença à changer.

La verdure des pâturages laissa place aux forêts enneigées et aux reliefs montagneux silencieux. La température chuta alors que les nuages formaient des rouleaux cylindriques qui s’étendaient à perte de vue.

La scénographie l’émerveilla. Étrangement, elle qui n’avait connu que la forêt de Sang depuis son enfance se sentait chez elle.

Elle se mit à fredonner l’incantation, s’amusant de la forme particulière que prenait la fumée qui sortait de sa bouche. Le lion se rapprocha d’elle et lui fournit une source de chaleur naturelle. Elle lui caressa la crinière.

— Je pense que ça va être amusant, Raksa… Et toi, es-tu prêt à t’amuser ?

L’espièglerie dans ses yeux était contagieuse. Son excitation et son impatience se lisaient dans sa façon continuelle de se mouvoir. Elle ne tenait plus en place.

— Je me demande ce que fait Dhuzo actuellement… Certainement à faire encore ses rituels et ses concoctions magiques. Une vraie sorcière, celle-là ! Mais bientôt, moi aussi je serais à son niveau. Et je la surpasserais même ! Ainsi, plus personne ne nous résistera, n’est-ce pas Raksa ? gloussa-t-elle. Tu m’en as donné du fil à retordre…

Elle fronça les sourcils en se perdant dans ses souvenirs.

Le premier jour où le lion avait été invoqué. Ce jour symbolisant son niveau de réveil. Elle se rappelait toutes ces années où elle avait tenté d’atteindre l’éveil et l’état de pleine conscience. Un état qui devait se matérialiser par le lien de connexion et la compréhension de l’animal qui représentait son protecteur, le gardien. Mais le jeu en valait la chandelle. Dorénavant, voyant au-dessus de la mêlée, elle pouvait espérer des choses qui semblaient inatteignables pour la plupart des hommes. Pour elle, en tant qu’éveillée, l’impossible deviendrait possible.

Dissimulées sous un manteau immaculé de poudre, les premières habitations de Naxdorn, la contrée aux mille beautés, apparaissaient. Elle se pencha, un peu trop près du bord, pour apercevoir les premiers villages.

Le pays de Naxdorn et sa capitale Naxe comptaient depuis des décennies parmi les plus prospères de la région. Connu pour l’incroyable diversité de ses paysages rassemblés en une seule terre, le royaume possédait plusieurs ressources économiques. Ses habitants l’appelaient la contrée aux mille beautés. Officiellement, ce surnom faisait référence à cette diversité florissante. Officieusement, elle rendait hommage à la beauté de ses femmes.

Les femmes de Naxe étaient respectées et connues dans les régions les plus reculées. Les hommes venaient par milliers y chercher une épouse et investir dans le pays. Sa mère faisait partie de ces femmes. Et, selon les dires de Dhuzo, elle était la plus belle en son temps. Mais ce fut aussi cette beauté qui causa sa perte. Dhuzo avait l’habitude de dire qu’elle avait hérité des traits de sa mère et qu’il fallait utiliser cet atout à leur avantage.

Ces dernières années, Naxdorn avait subi une croissance démographique importante due à l’acquisition de nombreux territoires par la guerre. Ces nouvelles terres et ces ressources appartenaient désormais à Naxdorn. Toutefois, malgré l’affiliation à cette puissance économique, le niveau de vie de ses habitants n’avait fait que décroître avec le temps. Le schéma était simple. La capitale s’enrichissait, et les autres régions s’appauvrissaient. Cette réalité frappa Milenna de plein fouet. Sous la couche fraîche de blanc lumineux, les corps affaiblis par la faim et par les blessures de guerre jonchaient le sol. Des hommes, des femmes, des enfants, personne n’était épargné. La différence fut encore plus marquante lorsque la locomotive franchit la muraille naturelle de relief entourant la capitale.

Naxe était une cité à première vue austère. Faite de pierre et de métal. Les touches de couleurs, essentiellement froides, qui peignaient le paysage, provenaient pour la grande majorité des tenues extravagantes et singulières de ses habitants. Naxe était un diamant bleu brut niché au creux de son écrin de montagnes. Malgré les faibles températures, les rues étaient animées.

La capitale contrastait clairement avec le reste du royaume.

Elle s’en doutait en observant la ville et ses habitants. Avec Raksa, ils auraient du travail pour remettre ce pays dans un bon équilibre. Un travail conséquent.

La gare était à l’image de la capitale, petite, mais unique. Une des merveilles de Naxe. Entièrement faite en métal blanc, elle se confondait parfaitement dans le paysage enneigé.

Des centaines de porte-flammes étaient suspendues le long de ses murs. Une imposante sculpture représentant le symbole du royaume était placée en son centre, sur laquelle était inscrite la phrase suivante « Dassen to Naxe, Joshhii ». Du vieux naxois, symbolisant l’attache de ce peuple pour sa culture.

Lorsque le véhicule s’arrêta, le conducteur remarqua enfin sa présence sur le toit. Paniqué, il sortit de sa cabine avec empressement, mais il était déjà trop tard. Elle avait disparu.

Au milieu du mouvement désordonné des voyageurs, la jeune femme repéra rapidement sa cible. Une troupe de danseurs itinérants. Leurs costumes et accessoires étincelants furent suffisamment voyants pour ne pas les manquer. Le pas léger, elle se rapprocha d’une des danseuses qui se tenait un peu en retrait. Une très jeune fille au teint baigné par le soleil et à l’épaisse chevelure de jais. Dernière recrue de la troupe, elle s’affairait à dénombrer le matériel qui gisait à ses pieds.

Milenna s’imposa subitement dans son champ de vision.

— Bonsoir. Auriez-vous besoin d’une nouvelle danseuse et de son compagnon très particulier pour votre spectacle ? demanda-t-elle de sa voix la plus espiègle.

Les étincelles de la flamme accrochée à côté de la jeune danseuse se reflétaient dans ses yeux à la teinte d’or. Milenna sourit. Elle n’avait pas à s’inquiéter, car elle connaissait déjà la réponse…

Au même moment, au château de Naxe, le bruit du verre qui se brisait vint perturber le silence qui régnait jusque-là.

Des pas alertés par le son inhabituel se pressèrent dans les escaliers. L’homme qui venait d’entrer dans la pièce s’arrêta et scruta les débris de glace disséminés à l’entrée de celle-ci.

— Que se passe-t-il ici ? demanda-t-il

— De quoi voulez-vous qu’il s’agisse ? répondit le professeur. N’est-ce pas encore et toujours la seule chose capable de causer un tel raffut !

Le professeur, un homme roux bedonnant, agita frénétiquement son imposante barbe, qui lui descendait jusqu’au bas du ventre. Les boutons de sa veste menaçaient à tout moment d’exploser, de même que ceux de son pantalon rouge. Son visage arborait d’ailleurs la même teinte que celui-ci.

— Maître Joff, que se passe-t-il ? répéta l’homme qui venait d’entrer dans la pièce.

Il était accompagné de deux femmes, qui restèrent en retrait, les yeux baissés, contemplant la scène furtivement.

— Il ne se passe rien ici qui vous concerne, Ryad !

Présent dans la pièce, un jeune homme se leva et reposa l’arme à feu qu’il venait d’utiliser sur la table. Il était de moyenne taille, vêtu d’un ensemble bleu. Ses cheveux bruns rassemblés en queue de cheval haute laissaient apercevoir la partie rasée de sa tête et un tatouage sur sa nuque. Les traits railleurs, il toisa l’instructeur ventru.

— Maître Joff m’a lancé un défi, pensant certainement que je ne le relèverais point. Mais, il a vite compris son erreur… Vous apprendrez, Seigneur Joff, que le roi est toujours sérieux lorsqu’il parle.

Il traversa la pièce nonchalamment, piétinant de ses épaisses bottes en fourrure les fragments tranchants translucides. Lorsqu’il arriva devant les deux femmes, il leur adressa un sourire charmeur.

— Vous n’êtes pas encore roi, Prince Ta-Oul ! rétorqua le maître roux à bout de nerfs.

Le sourire s’effaça du visage de l’interpellé, et l’expression terrifiée des deux femmes laissa deviner la nouvelle mine arborée.

Un silence lourd s’installa. La tension qui régna fut palpable et pouvait se lire sur le visage de chacun. Le prince héritier se retourna lentement vers celui qui venait de le contredire, les yeux imprégnés de colère. Son teint blafard vira et afficha un rouge aussi flamboyant que le pantalon de son interlocuteur. Ses veines menaçaient d’exploser sur ses tempes.

— Vous dites ? cracha-t-il.

Il s’avança d’un pas menaçant vers le professeur et lui empoigna le cou.

— Vous n’êtes pas encore roi ! répéta aussitôt Joff. Le roi est toujours vivant et vous ne lui arrivez même pas à la cheville. Vous êtes immature, hautain, vous n’êtes en rien comparable au roi. Quelle déception et disgrâce pour nous si, un jour, vous êtes amené à siéger sur ce trône !

Joff avait parlé d’une traite, sans respirer, sans réfléchir. Il s’était retenu de dire tout ce qu’il pensait depuis des années, mais il s’agissait de la goutte de trop. La balle qui avait effleuré sa joue quelques minutes plus tôt avait servi de déclencheur. La mèche s’était consumée en un rien de temps et la bombe avait explosé.

Les mains du jeune homme se resserrèrent davantage autour de sa prise, comprimant davantage sa trachée. Les poumons du professeur Joff commençaient à se manifester.

— Cela suffit maintenant ! intervint Ryad. Lâchez le maître, je vous en prie, prince Ta-Oul.

L’homme qui s’était rapproché avait posé sa main sur le bras du prince, implorant sa clémence.

— Vous cautionnez ce qu’il vient de dire ? gronda le prince.

— Je n’approuve aucune de ses paroles, tempéra Ryad. Je souligne simplement que votre comportement ne correspond pas à l’attitude du prince héritier et d’un roi en devenir. Est-ce que tuer cet homme est une chose essentielle actuellement ? Plus précisément ce jour ? La veille de vos vingt ans et de votre entrée officielle dans la troupe des chefs des armées du royaume.

Ryad démontrait son calme et son sang-froid. Il était accoutumé à ce type de scène. Néanmoins, il exerça tout de même une pression sur le bras du prince voyant que celui-ci tardait à répondre.

— Alors, est-ce que cela vaut le coup ? insista-t-il.

— Sûrement pas… déclara finalement le jeune prince, libérant sa proie.

La tension redescendit immédiatement.

Ta-Oul fit volte-face et commença à se diriger vers la sortie. Puis, il s’arrêta et s’adressa une nouvelle fois au professeur.

— Je vous conseille toutefois de rester dans les parages jusqu’à mon couronnement Seigneur Joff… Mes premiers ordres vous concerneront certainement, ajouta-t-il, un sourire macabre sur les lèvres.

Éclatant de rire, il sortit de la pièce bousculant l’une des femmes sur son passage.

— Quel horrible personnage, grossier et impertinent ! dit Joff en se frottant la gorge, il ne pouvait pas s’arrêter de pester.

— Mes excuses, maître. Je comprendrais que vous souhaiteriez prendre vos distances quelque temps, soupira Ryad.

— Vous ne pensez tout de même pas que je vais prendre ces menaces au sérieux ? J’ai enseigné aux plus grands fils et filles de roi de par le monde. Ce n’est pas un petit rustre comme lui qui va me faire trembler !

L’homme huma brusquement l’air, prit ses affaires et s’en alla, continuant de proférer des insultes dans sa barbe. Ryad inspira et expira longuement, ses épaules s’affaissèrent. La voix fluette d’une des femmes qui avait assisté à la scène l’extirpa de ses pensées :

— Maître Joff n’a-t-il réellement pas peur du prince ?

— Il devrait pourtant ! fulmina l’autre en secouant la tête énergétiquement. Lorsque le prince Ta-Oul veut ou dit quelque chose, croyez-moi, qu’il s’y tient ou qu’il l’obtient ! Le roi dans son état n’a aucune emprise sur lui. Je parie même qu’il n’est même pas au courant de son attitude. Et la reine qui lui passe tous ces caprices. Quel enfant gâté !

— Moins fort vous deux ! sermonna Ryad les interrompant dans leurs messes basses. Il faut nettoyer maintenant ! Je vous laisse vous charger de ça, Sara, lança-t-il à la première. Malorre, allez prévenir la princesse Léoni de l’arrivée de sa robe pour demain.

— Bien, majordome Ryad ! répondirent-elles en cœur.

Chacune s’éclipsa aussitôt, laissant l’homme arpenter la pièce pensif. Il s’arrêta devant un énorme cadre. La peinture représentait la famille royale, lorsque le prince n’était âgé que de quelques mois.

Il la contempla soucieux.

— Que va devenir ce royaume lorsque le prince sera roi ? pensa-t-il à voix haute.

L’avenir du pays et de chacun de ses habitants lui semblait dorénavant sombre et sans espoir…

*

— … et il lui a dit qu’il l’éliminera lorsqu’il sera devenu roi, raconta la première.

— Non ! Vraiment ? Il a osé le dire devant autant de témoins ? s’exclama la seconde.

— Tu sais, ce n’est qu’une question de jours avant que le prince ne soit couronné. Demain, lors de ses vingt ans, il fera officiellement partie du corps des chefs des armées. À ce moment, il détiendra les pleins pouvoirs. Le roi étant malade, il ne peut pas mener les batailles qui ont lieu à l’ouest du territoire. Il faut que le prince prenne la relève au plus vite ! Quel est le destin d’une armée sans chef, voyons ? Courir à sa perte ! Et je ne tiens pas à ce que cela arrive. Mon fils Alexi s’est enrôlé dans l’armée, donc j’aimerais mieux qu’ils les gagnent ses batailles…

La voix de la princesse Léoni s’éleva de derrière les battants de sa chambre.

— De quelles batailles parlez-vous ?

Les deux servantes qui discutaient se tournèrent vers les portants en bois.

— Des affrontements qui se déroulent dans les régions de l’ouest princesse Léoni. Avez-vous besoin d’aide pour mettre la robe ? s’enquit la première servante, Malorre.

— Il ne s’agit que d’une robe, je peux le faire seule ! rétorqua la jeune princesse en poussant les battants.

Léoni de Soureine esquissa quelques pas dévoilant la tenue remarquable. Les deux servantes s’extasièrent sans retenue.

— Princesse, cette robe vous sied à ravir !

— Princesse Léoni, vous n’êtes pas originaire de Naxe, mais vous faites honneur au surnom de ce pays ! Le pays aux mille beautés.

Malorre ne cacha pas son émerveillement. La robe rosée était longue et fluide, mais épousait suffisamment son corps pour laisser deviner la silhouette élancée de la jeune femme. De la dentelle venait recouvrir son dos, ses épaules et ses bras. Avec ses longs cheveux blonds et ses yeux verts, Léoni avait des airs de poupée vivante.

— De quoi parliez-vous, il y a quelque instant ? demanda-t-elle, ignorant délibérément la dernière remarque de Malorre.

Effectivement, elle n’était pas de Naxe et elle le savait. Son fief natal était une vallée minière, au nord-ouest de la capitale. Soureine. Elle n’avait pas besoin qu’on lui rappelle cette information à chaque instant. Pourtant, cela semblait être une habitude. Depuis son arrivée au château, chaque naxedornnais s’évertuait à relever cette vérité.

Les deux servantes échangèrent des regards interrogateurs. Était-il judicieux de tout lui conter ? Malorre en doutait. Pourtant Léoni insista, s’adressant directement à Météline, sa servante personnelle.

La jeune femme rousse sursauta. Elle était au service de la princesse depuis qu’elles étaient enfants. Elles n’avaient aucun secret l’une pour l’autre. Lorsque la reine de Soureine avait annoncé le mariage de sa fille avec le prince Ta-Oul de Naxdorn, elle avait été présente pour éponger les larmes de la promise. Léoni avait alors remué ciel et terre afin que Météline la suive jusqu’à Naxe. Toutefois, depuis leurs arrivées sur la capitale, les déceptions n’avaient fait que s’accumuler. L’une après l’autre. Chaque jour, une peine nouvelle leur tombait sur la tête sans alerte préalable. La désillusion faisait mal. Trop. Le prince n’était pas un homme pour sa princesse, et elle savait que son amie ne serait jamais heureuse à ses côtés.

Elle baissa les yeux pour éviter de croiser le vert profond qui ne l’avait pas quittée depuis qu’elle lui avait adressé la question. Léoni soupira. L’attitude de Météline était suffisante pour conclure.

— Encore des caprices du prince ?

— Encore… murmura Météline.

La tristesse gagna son cœur lorsqu’elle releva la tête et aperçut l’expression de Léoni. La jeune femme se détourna des deux servantes et s’avança vers la grande fenêtre de sa chambre. Elle se perdit dans la contemplation du blanc immaculé du lac gelé qui se nichait au creux des montagnes.

Quel était son avenir auprès de cet homme ? pensa-t-elle, morose.

Léoni avait beau scruter son destin, elle n’y apercevait que tristesse et désespoir. Est-ce que cela valait le coup de vivre ?

Une larme coula sur sa joue sans qu’elle en ait conscience.

***

Le lendemain, à l’image de toute la capitale, le château bouillonnait d’effervescence.

Servants, chefs, gardes, tous s’activaient afin que la fête organisée pour l’anniversaire du prince soit une réussite. La reine était elle-même sur tous les fronts. Accompagnée de Ryad et de sa fidèle servante, elle inspectait tout, et ceux qui avaient la malchance de la contredire s’attiraient ses foudres.

Dans les cuisines, la servante Malorre jeta un plateau sur la table, visiblement excédée.

— Trop d’épices pour elle. À refaire !

— Encore ? Mais c’est la septième fois qu’on lui refait ce plat ! se plaignit le chef de la cour.

— Alors, refaites-le une huitième fois. Dépêchez-vous ! Ce n’est pas vous qui devez affronter cet ouragan de critiques chaque fois, je vous le rappelle ! C’est moi ! Je vous préviens, vous avez intérêt à y mettre du vôtre ! pesta la servante.

Le chef grommela des sermons inaudibles et ordonna à ses équipes de se remettre aux fourneaux. Il ne restait plus que quelques heures avant le lancement de la grande cérémonie et il leur restait encore énormément de plats à refaire.

Malorre s’effondra sur une chaise dans un bruit sourd. Ces rencontres, ou plutôt confrontations, répétées avec la reine, mettaient son moral à rude épreuve.

— Vivement que cette mascarade se termine… pensa-t-elle à haute voix.

— Excusez-moi. –Une voix juvénile s’élevant dans son dos la fit sursauter – Pardon, je ne voulais pas vous faire peur ! Je voudrais parler à une personne du château.

— Oui bien sûr, à quel propos ?

La servante s’était remise debout, remettant sa robe en place et ajustant son tablier.

— La troupe de danseurs de Wejam est à l’entrée. Il faudrait nous montrer le chemin pour qu’on puisse s’installer et répéter pour le spectacle de ce soir.

L’interlocutrice de Malorre était jeune. Certainement la quinzaine, ou moins, estima la servante. Elle la dévisagea. Sa peau hâlée et ses cheveux courts bouclés ainsi que son faciès prouvaient qu’elle ne mentait pas sur son origine.

— Un instant. Sara ! héla-t-elle à travers la cuisine. Je dois accompagner les danseurs à la cour principale pour qu’ils s’y installent. Lorsque le plat sera prêt, emmène-le à la reine. Suivez-moi, dit-elle à la jeune fille.

Malorre ignora délibérément les plaintes de l’autre servante, trop fière de s’être débarrassée de ce fardeau. Un fardeau qu’elle avait réussi à troquer contre une activité beaucoup plus plaisante.

La reine avait invité la troupe de danseurs la plus célèbre de son pays natal pour venir faire honneur à son fils. Elle n’avait jamais voyagé dans cette région lointaine et ne savait pas à quoi s’attendre. Mais, les artistes surplombèrent toutes ses espérances. Rien qu’en assistant à leur répétition, elle approuvait leur réputation. Les costumes étaient flamboyants et majestueux. Les accessoires déroutants, mais visuellement envoûtants. Le dépaysement était total.

— Cela vous plaît-il ?

La question soudaine l’extirpa de ses égarements.

— Merveilleux ! s’extasia Malorre. La reine a bien fait de faire appel à vous ! Il n’y a pas de groupe itinérant comme le vôtre ici, à Naxe.

En réponse à ses compliments, l’homme à qui elle s’adressait éclata de rire. Un rire mélodieux et singulier. Si elle ne le regardait pas, elle aurait juré qu’il chantait.

Il posa sa main sur sa poitrine et s’inclina légèrement, en signe de respect.

— Merci, cela me va droit au cœur.

— Vous êtes… le responsable ? interrogea Malorre.

— Oui. Mon grand-père à créer la troupe, puis mon père a repris le flambeau, maintenant c’est à mon tour.

L’homme lui adressa un nouveau sourire et elle ne put s’empêcher de rougir. Pour cacher sa gêne, elle détourna les yeux. Aussitôt, son regard se porta sur quelque chose d’inhabituel.

— Mais ce lion est énorme ! s’exclama-t-elle.

— Effectivement ! Sa taille nous a tous surpris aussi ! s’esclaffa son interlocuteur.

— Ce sont des effets particuliers qui lui donnent cette couleur ? s’étonna Malorre.

Elle plissa les yeux en scrutant attentivement le halo rougeoyant qui brillait autour de l’animal. L’homme se pencha près de son visage et posa un doigt sur ses lèvres, un air de malice dans les yeux.

— En effet… mais c’est un de nos nombreux secrets. Donc chut !

La réponse ne semblait pas éteindre le feu de l’intérêt de la servante. Elle fit la moue.

— Je ne savais pas que vous avez des animaux dans votre troupe…

— Oh, mais nous n’en avons pas ! Il s’agit là du compagnon d’une de nos nouvelles recrues, confia l’homme. Vous la verrez ce soir, elle est extrêmement douée ! Je vais vous confier un autre secret. Cette jeune pépite serait elle aussi originaire de Naxe.

— Vraiment ? J’ai hâte de voir ça ! déclara Malorre gagnée par l’excitation.

La fierté des naxedornnais émergea en entendant les éloges à l’encontre de cette compatriote encore inconnue. Elle n’avait jamais vu cette personne performer, mais elle se doutait que son sang lui ferait réaliser des prouesses éblouissantes. La loi du plus fort ferait encore ses preuves. Non, elle n’en doutait pas…

*

La nuit s’était répandue dans le ciel comme un jet d’encre dans une flaque.

La cour principale, centre d’attention, était comble.

Les invités avaient tous pris place autour d’un carré central délimité par des rangées de lampions métalliques. Les servants et autres personnels du château étaient venus assister au spectacle, et se tenaient dans les étages supérieurs. Tous s’étaient amassés pour apercevoir le début d’une nouvelle ère pour le royaume.

Une estrade avait été aménagée pour le prince et sa famille. Celui-ci semblait plus qu’impatient. Il portait un manteau imposant de fourrure blanche orné d’accessoires en métal. La couronne visée sur sa tête, ses lèvres retroussées dévoilaient une rangée acérée de crocs avides. Sa mère, la reine Kasca, était installée à sa droite et la princesse Léoni de Soureine, sa promise, plus en retrait, à sa gauche. Le jeune homme jeta un regard bouillonnant à la première. Il était temps de commencer. Aussitôt, la reine Kasca se leva et s’avança. Le crieur fit sonner sa clochette et quémanda le silence. La voix de Kasca perça la quiétude soudaine.