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Dans l’enceinte majestueuse du palais de la Régence d’Ensisheim, où repose en son sein la célèbre météorite de 1492, se déroulent des phénomènes étranges. L’histoire de cette région est marquée par des procès pour sorcellerie et autres, créant ainsi un environnement empreint de mystère. Paul, un ancien détenu, se retrouve malgré lui impliqué dans une affaire des plus singulières et découvre qu’il est la victime d’une manipulation mortelle. Plongez-vous dans les pages de cette œuvre et laissez-vous emporter par une enquête mystérieuse et pleine de rebondissements, qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière ligne.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Natif d’Ensisheim en Alsace,
Henri Rapp nous offre son deuxième ouvrage littéraire, après son précédent roman "L’affaire Catherine Kristler suivie de l’exécution de Ferdinand Jean Altmeyer" paru aux Éditions Le Lys Bleu. À travers ce nouveau récit, il nous plonge dans un univers où la ligne entre réalité et ambiguïté se trouble, tout en dévoilant son profond attachement à la terre qui a été le cadre de nombreuses années de sa vie. Cette touche personnelle et émotionnelle ajoute une dimension particulière à son œuvre.
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Seitenzahl: 240
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Henri Rapp
Les fantômes du palais
de la Régence
Roman
© Lys Bleu Éditions – Henri Rapp
ISBN :979-10-422-0762-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’affaire Catherine Kistler – Éditions Le Lys Bleu – Paris (2022)
Au cours des 16 et 17e siècles, au Palais de la Régence d’Ensisheim, dans le Haut-Rhin, plus d’une centaine d’individus ont été jugés à tort pour de prétendus actes de sorcellerie. Sous l’influence de la météorite tombée en 1492, au lieu-dit « Les Octrois », ces malheureux êtres, issus de nulle part, attendent patiemment l’heure de la vengeance.
L’auteur a alors imaginé un récit sombre et intrigant qui mêle, à la fiction littéraire, des personnages qui ont réellement existé. Le lecteur n’y verra pas qu’un simple divertissement, mais une tragédie impitoyable pour des suppliciés qui errent depuis des siècles et qui ne trouvent pas la paix.
Désormais, le lecteur regardera la météorite et son Palais qui l’abrite sous un autre angle.
L’auteur tient à remercier Michèle Bidar pour son précieux travail de relecture.
Bonne lecture
Ensisheim, Haut-Rhin, dans les années 1970
Il fait très froid ce matin, en ce mois de novembre et la cérémonie religieuse paraît interminable. Le cercueil est là, au milieu du transept de l’église Saint-Martin, couvert par d’abominables fleurs artificielles. Le curé, ventripotent, officie avec lourdeur derrière l’autel. Aujourd’hui, il n’y a pas grand monde dans les travées de la nef. Certes, Berthe Scheppelin n’était pas connue à Ensisheim. « C’est une de l’intérieur », disait-on d’elle, ici, en Alsace. C’était un petit bout de femme, aux cheveux gris, au corps frêle et courbé, toujours vêtue de noir depuis le décès subit de son mari, il y a à peine deux ans. À plus de quatre-vingts ans, les signes de vieillesse l’avaient gagnée peu à peu et les problèmes de santé apparaissaient de façon progressive. Elle demeurait quasiment recluse dans un minuscule appartement sur deux niveaux, rue de la Monnaie. Elle occupait principalement le rez-de-chaussée. Monter à l’étage était très éprouvant pour elle. Très discrète, elle parlait rarement de sa vie. Seuls quelques voisins avaient droit, de temps à autre, à quelques confidences ou à des mots de gratitude lorsqu’ils lui apportaient les courses. Dans sa longue et paisible existence, elle ne s’était jamais imaginée habiter un jour en Alsace, loin de la région parisienne d’où elle était native. Elle était plutôt citadine. Ce n’est qu’à la suite d’un tragique fait divers qu’elle et son mari décidèrent de venir s’installer à Ensisheim, où ils ont acheté une petite maison, voilà déjà plus de dix ans. Les Scheppelin avaient voulu se rapprocher de la Maison Centrale où leur fils, Paul, purgeait une lourde peine. Cela facilitait les visites régulières qu’ils lui avaient rendues durant ces nombreuses années de prison. Paul a retrouvé la liberté il y a un peu plus d’un an, après une longue période de détention pour complicité de meurtre à la suite d’un braquage qui avait mal tourné. Depuis, il habite à Mulhouse où il occupe désormais un emploi de veilleur de nuit dans un hôtel au centre de la ville.
Il venait rarement à Ensisheim pour rencontrer sa mère, car il ne supportait plus de voir ces hauts murs gris surmontés de barbelés qui l’avaient exclu de la vie extérieure. C’est plutôt elle qui prenait le bus pour lui rendre visite à Mulhouse.
Mais, aujourd’hui, il est bien obligé de revenir à Ensisheim pour assister aux obsèques de celle qui l’avait toujours soutenu durant toute sa période carcérale.
Maintenant, il est tourné vers le cercueil, les yeux mouillés, le corps transi de froid. Il ne connaît personne parmi cette poignée de gens venus s’incliner devant la dépouille de sa mère. Ce sont peut-être des voisins ou tout simplement quelques dévotes en prière qui remplissent habituellement les bancs de l’église.
Dans le chœur, trois vieilles femmes toutes menues entonnent quelques chants religieux. Leurs petites voix cristallines et tremblantes apportent un peu de réconfort et de chaleur à cette célébration funèbre.
Paul est saisi de frissons, mais suit la messe tant bien que mal. Il a hâte que cela se termine. Mais, où ira-t-il après ? Désormais, il se retrouve tout seul. Sa mère était l’avant-dernière des Scheppelin. Lui, le dernier…
L’office semble s’achever enfin à son grand soulagement. Il ne reste plus que la bénédiction.
Le prêtre, escorté d’un enfant de chœur, tourne autour du cercueil et, à l’aide du goupillon, l’asperge avec de l’eau sacrée. Au cours de ce cérémonial, il se met à tousser à s’arracher les poumons. « Il a certainement dû prendre froid », constate Paul. Pas étonnant, l’église est une véritable glacière. Les fidèles sont emmitouflés dans des manteaux chauds, les cols relevés.
Après avoir béni les quelques rares personnes présentes, le curé les invite à l’accompagner au cimetière pour une ultime prière avant l’inhumation du corps.
Les employés des pompes funèbres se saisissent du cercueil et le portent, sur leurs épaules, jusqu’au fourgon funéraire qui attend sur le parvis, moteur ronflant, sous un crachin désagréable.
Paul suit le cortège, derrière l’ecclésiastique, escorté de quelques individus inconnus qui lui emboîtent le pas. Puis, il monte dans sa voiture et se range dans la file juste après le corbillard jusqu’au cimetière situé à l’extérieur de la localité. En période normale, c’est en procession, et à pied que la famille en deuil et leurs amis accompagnent le défunt à sa dernière demeure. Mais aujourd’hui, le froid et la faible participation de fidèles ont eu raison de cette marche funèbre à travers les rues de la ville.
Derrière l’une des nombreuses croix, un monticule de terre fraîchement remuée indique l’endroit de l’ultime domicile de sa mère. Le silence des lieux est interrompu par le bruissement monotone des pas sur le sol gravillonné des allées et le croassement rauque et lugubre des corneilles qui volettent avec agilité dans la grisaille de cette triste journée d’automne.
Deux fossoyeurs patientent devant le trou qu’ils viennent de creuser. Ils attendent munis de pelles et de cordes. Le prêtre s’empresse un livre de prières à la main. Il s’est délesté de sa chape violette pour une tenue plus sobre, un simple surplis blanc qu’il a enfilé sur sa soutane. Un servant de messe porte le bénitier avec le goupillon. Le clocheton de la chapelle sonne onze heures. Un vent glacial s’est levé et souffle maintenant de plus en plus fort. Le ciel gris laisse apparaître de temps à autre, un triste soleil jaune pâle.
La bière est descendue dans la tombe par les fossoyeurs. Après s’être mouché bruyamment, le curé lit des passages de l’Évangile et invite les rares fidèles, transis de froid, à prier avec lui un « Notre Père ». Puis, il se saisit du goupillon et asperge une dernière fois le cercueil à trois reprises. Il se tourne ensuite vers Paul et lui tend le goupillon pour qu’il fasse de même. Les personnes présentes, l’une après l’autre, s’emparent de l’aspersoir pour rendre un ultime hommage à la défunte. Le prêtre salue Paul en inclinant légèrement la tête et s’en va, accompagné de son servant de messe.
Le responsable des pompes funèbres lui remet une enveloppe contenant les cartes de condoléances ainsi que la facture des frais d’obsèques.
Ce dernier le remercie et ajoute :
— Je passerai demain vous régler tout cela.
— Aucun souci, ma collègue de la comptabilité vous accueillera !
Paul reste encore quelques instants, le temps de recevoir, comme de coutumes, les condoléances et d’assister au remblaiement de la tombe par les ouvriers fossoyeurs. Puis, il quitte le cimetière, les yeux rougis et le cœur rempli de tristesse.
Il est seul. Personne ne l’entoure comme on peut l’espérer dans ces moments-là. Aucun signe d’empathie ne lui est témoigné. D’ailleurs ici, personne ne le connaît.
Il regagne le parking et monte dans sa Renault 4 L blanche. Il se dirige vers le domicile de sa défunte mère situé à proximité de la Maison Centrale. Il n’aime pas ce lieu. Trop de souvenirs malheureux lui traversent l’esprit. Ces hauts murs froids et hostiles, il ne peut les éviter en arrivant dans la rue de la Monnaie. Il s’efforce de ne pas regarder les fenêtres de la prison de peur d’apercevoir derrière les barreaux le visage d’un détenu qu’il avait coutume de côtoyer pendant son incarcération. Être enfermé dix ans ! C’est long… Très long ! On perd ses habitudes, ses repères. On apprend d’autres règles bien moins glorieuses. Il a fréquenté durant ces interminables années de privation, des assassins, des violeurs, des brutes, des « gamins », un monde de dévoyés, de criminels. Il a vu de tout et ce n’est pas simple d’oublier facilement.
Il a purgé sa peine et payé lourdement son erreur. Pour rien au monde, il ne voudrait retomber dans ce milieu dans lequel règnent l’effroi, la détresse, les silences pesants et inquiétants, le cliquetis des serrures, le bruit des clés qui s’entrechoquent, les cris d’angoisse. Tous ces flashs, il ne parvient pas à s’en défaire. Ses rêves sont pollués par d’horribles scènes cauchemardesques où se mêlent les images de cellules, de fouilles, de surveillants, de portes qui claquent, de cachots insalubres, de cas désespérés, de suicides…
La liberté et la captivité, il connaît. Il lui a fallu du temps pour se réhabituer à la liberté, à aller et venir sans se poser de questions, sans demander la permission. Le début a été difficile, mais, petit à petit, il a retrouvé son assurance. Il découvre autre chose, il s’autorise à revivre normalement.
Il arrive au domicile de sa mère et sort de la poche de son manteau, le trousseau de clés que lui avait remis l’agent de police de la ville lors de la levée du corps. Les clés sont attachées à un médaillon en plaqué or à l’effigie de Saint-Christophe. Il ouvre la porte non sans difficulté et pénètre dans la maison. Il y règne un froid de canard. Les poêles à mazout sont éteints depuis quelques jours, faute d’avoir été alimentés. Un long couloir donne accès à quatre pièces. À gauche, une cuisine et la chambre à coucher. À droite, un petit salon-salle à manger et tout au fond, un débarras. Au bout du corridor, on débouche, grâce à une grosse porte en bois, sur un jardin mal entretenu, au pied des remparts. L’herbe est encore haute et envahissante. Le potager n’est plus visible. Seules quelques fanes de carottes et de radis, par-ci par-là, témoignent aussi de l’endroit où il était implanté.
Paul fait un bref passage dans la cuisine. Il ouvre le frigo et constate que des restes d’aliments commencent à moisir. Il jette tous les produits périssables dans le grand seau qui sert de poubelle. Puis il regarde attentivement une à une, les nombreuses photos de famille qui trônent sur le buffet en formica blanc. Il reconnaît certains visages. Par contre, d’autres lui sont totalement étrangers. Il fait appel à sa mémoire pour identifier les personnes qui sourient toutes dents dehors en fixant l’objectif. Sur l’une, il repère, non sans mal, l’oncle Albert, un frère de sa mère. Il devait avoir une trentaine d’années au moment de la prise du cliché.
Il se rappelle avec plaisir plusieurs scènes de sa vie d’avant son incarcération. Que de bons souvenirs !
Après de longs moments d’errance de l’esprit autour de ces anciennes photos jaunies, il poursuit sa visite et se rend dans la chambre à coucher.
Le lit est encore défait et l’air est glacial. Là aussi, le poêle à mazout est éteint. Il se dirige vers la table de nuit et ouvre le tiroir. Il n’y trouve rien de spécial si ce n’est une vieille lettre qu’il avait adressée à sa mère, il y a quelques années, lorsqu’il était détenu à la Maison Centrale. Il découvre également une ancienne pièce de monnaie. Il s’approche de la fenêtre, écarte le rideau pour faire entrer un peu de lumière et examine cette intéressante trouvaille. Elle est grande, jaune et brillante.
— Elle contient certainement des métaux précieux, songe-t-il. C’est sûrement un thaler. J’en ai déjà entendu parler en taule. Il semblerait que cette monnaie aurait été frappée ici, dans ce quartier, d’où, de toute évidence, le nom de la rue : Rue de la Monnaie.
Il la frotte avec un bout du drap du lit et parvient à distinguer ce qui est inscrit. Sur une face, autour d’un personnage de profil, la tête couronnée de : Ferdinand. D. Archid. Austria et sur l’autre, un blason surmonté d’une couronne, le tout ceint de mystérieuses lettres, Fer.Dux. Bur… La.Als.Co. Cette pièce date vraisemblablement du milieu du 16e siècle.
Comment sa mère avait-elle pu s’approprier ce thaler ? L’aurait-elle découvert dans le jardin ou caché dans l’interstice d’une des poutres soutenant la maison ? Ou encore dans le grenier ? Peut-être, en fouillant davantage, en trouvera-t-il d’autres ?
Il glisse le thaler dans la poche de son manteau et poursuit la visite des lieux. Des tiroirs de la commode du salon, il retire des enveloppes qui contiennent quelques billets de banque, des écrins avec des boucles d’oreilles et des bagues sans grande valeur. Dans les armoires, il soulève les draps et dérange les vêtements bien alignés sur des cintres en bois de la partie penderie.
Un escalier grinçant permet l’accès à l’étage et au grenier. Les pièces du haut ne sont pas meublées et, tout comme dans les combles, on y trouve un véritable bric-à-brac d’objets hétéroclites, tels que de vieilles lampes avec leurs ampoules en forme de bougie, des peintures de fort mauvais goût qui représentent naïvement différentes scènes de la vie religieuse, un ancien lavabo ébréché, une machine à coudre sur son support en fer forgé.
Après une bonne demi-heure, il décide d’abréger la visite et de rentrer chez lui avec la ferme intention de revenir le lendemain. Mais avant de reprendre la route vers Mulhouse, il s’arrête au restaurant au « Bœuf rouge », sur la place de l’Église pour déjeuner. Il est près de treize heures et l’établissement est bondé. Le serveur qui l’accueille lui montre une table au fond de la salle qui vient de se libérer. Il enlève son manteau et l’accroche négligemment à une patère en prenant bien soin de récupérer le thaler qu’il glisse dans la poche de son pantalon. Puis, il s’installe et consulte le menu. Ce soir aussi, il pourra dîner sereinement, il ne travaillera pas à l’hôtel. Un jour de congé lui a été accordé pour l’enterrement de sa mère. Il survole rapidement la carte et arrête son choix sur une tête de veau vinaigrette. Une serveuse se presse et étale sur la nappe blanche en tissu, un set de table en papier. Elle y pose les couverts ainsi qu’un verre.
— Vous prendrez un apéritif ?
— Non.
— Vous avez déjà fait votre choix ?
— Oui.
Alors qu’il passe commande en rajoutant un quart de vin, un individu, d’un certain âge et de corpulence moyenne, s’approche de lui. L’homme en question a une apparence plutôt anodine, avec un visage rond et doux qui inspire la confiance. Ses cheveux gris sont coiffés en arrière sans aucun style particulier, mais il y a quelque chose dans son regard qui laisse deviner une intelligence vive et aiguisée. Malgré son physique modeste, il dégage une aura apaisante et bienveillante qui incite à la confiance et au respect. D’un ton gêné, il s’adresse à Paul avec un fort accent alsacien.
— Bonjour Monsieur !
— Bonjour, répond Paul Scheppelin en levant les yeux, l’air surpris.
— Je suis désolé de vous déranger. Mais, n’êtes-vous pas le fils de madame Scheppelin, la personne qui a été enterrée tout à l’heure ?
— C’est cela. Oui…
— Je m’en doutais. J’ai assisté à la cérémonie religieuse et je vous ai vu dans le premier banc, à côté du cercueil. J’en ai conclu que vous deviez être le fils ou quelqu’un de proche de la défunte.
— Je vous suis reconnaissant pour votre présence à la messe. Cela me touche énormément. Et vous, qui êtes-vous ?
— Mon nom ne vous dira rien. Je suis René Schmitt. Oh ! Vous savez, ma présence ne mérite pas de gratitude particulière. Depuis que j’ai perdu ma femme, l’année dernière, j’assiste pratiquement à tous les offices religieux et notamment aux enterrements. Je crois que c’est réconfortant pour les proches du défunt ou de la défunte de voir qu’ils ne sont pas seuls dans leur chagrin. Et puis, ça fait passer le temps.
— Oui, c’est vrai… Merci quand même.
— J’espère que je ne vous dérange pas ? interroge René Schmitt.
— Non, non. J’attends mon plat… Vous pouvez vous asseoir, invite Paul, en désignant la chaise libre à sa table.
— Oh, merci, répond René Schmitt avec empressement.
Il s’installe en face de Paul et le fixe attentivement dans les yeux.
— Vous avez pu voir le corps de votre mère ?
— Oui, dans la morgue. Le cercueil était ouvert.
— Et vous n’avez rien remarqué ?
— Non, rien. Pourquoi ? Vous l’avez vue ?
René Schmitt prend une longue respiration avant de répliquer :
— J’habite dans le quartier et je la saluais régulièrement lorsque je passais devant sa maison. Elle restait toujours derrière la fenêtre. À l’occasion, elle l’ouvrait et on parlait de tout et de rien. Des fois, je lui apportais le pain le matin. Elle était toute contente. Elle m’invitait de temps à autre pour un apéro. Elle était gentille.
— Oui. Merci. Mais revenons-en au fait, qu’aurais-je dû remarquer ?
— Ah oui. Certains jours, j’ai constaté des traces de brûlure sur son visage. De temps en temps, ces brûlures se propageaient aussi sur ses bras… Le lendemain, sa peau était redevenue normale, blanche, lisse, sans aucune marque ou cicatrice… C’est étrange. Non ?
— En effet… Mais peut-être n’était-ce, tout simplement, qu’un problème d’allergies ? observe Paul, l’air pensif.
— Je ne crois pas. Elle ne s’en est jamais plainte. Pour moi, c’est autre chose. Il ne faut pas être médecin pour faire la différence entre une brûlure et une allergie. Je dois vous avouer que votre mère était assez mystérieuse. Elle prenait parfois une apparence bizarre et pouvait troubler quelqu’un qui ne la connaissait pas.
— C’est curieux en effet. J’ignorais tous ces détails. Elle ne m’en a jamais parlé. Je l’ai vue dans son cercueil. Elle ne portait aucun signe visible de cette nature. Mais il est vrai que la toilette mortuaire a pu atténuer, voire effacer, toute trace sur sa peau. Peut-être souffrait-elle en silence d’une forme d’allergie. Quant à son attitude perturbante, je ne sais pas. Je n’ai jamais rien remarqué. La pauvre…
Paul reste songeur. Mais bon, c’est du passé. Allergies ou brûlures, cela n’y change rien et ne fera pas revenir sa mère.
La serveuse arrive stressée et pose une petite corbeille à pain ainsi que le quart de blanc, sur la table. Machinalement, Paul plonge sa main dans la corbeille et en retire un croûton qu’il porte avec avidité à sa bouche. Il se verse un verre de vin qu’il avale goulûment.
— Je vous offre un verre ? demande Paul à René Schmitt.
— Non merci. Je sors de table et je vais rentrer chez moi. La neige menace de tomber incessamment. La météo l’a prévu.
Après un court instant, il enchaîne :
— Elle détenait aussi des thalers. Je vous conseille de les récupérer rapidement, on ne sait jamais. La demeure étant inhabitée désormais, des personnes mal intentionnées n’hésiteront sûrement pas à venir visiter les lieux.
— Si elle en possédait d’autres, je ne vois pas où elle aurait pu les cacher. Je n’en ai trouvé qu’un seul, dans sa table de nuit. Merci quand même de m’avoir prévenu. J’y retournerai sans faute demain. Je dois de toute façon revenir à Ensisheim pour régler les frais d’obsèques.
— Tenez-moi au courant et n’hésitez pas à me joindre si vous avez un problème. Au besoin, voilà ma carte. J’aime bien rendre service. Allez, je vous laisse maintenant, dit René en se levant subitement de sa chaise. Je vois que votre plat arrive…
— Je vous remercie. Je suis ravi d’avoir fait votre connaissance et je ne manquerai pas de vous déranger, en cas de besoin. Au plaisir monsieur Schmitt !
Ce dernier saisit d’une des poches de son manteau, la casquette qu’il avait pris soin de retirer et après un discret salut de la main, quitte le restaurant en abandonnant Paul devant sa tête de veau fumante que la serveuse venait d’apporter.
Sur la route qui le ramène à Mulhouse, Paul n’a de cesse de penser à cette curieuse rencontre. Il se pose de nombreuses questions. « Que me veut-il exactement ? Pourquoi me parle-t-il de brûlures, de thalers alors que je ne le connais de nulle part ? »
Que d’émotions pour cette journée ! Il se sent fatigué, vidé. Il a hâte de rentrer chez lui et dormir dans un lit bien au chaud. Son remplacement pour ce soir lui permettra de récupérer.
Dans l’après-midi, il arrive à l’Hôtel d’Alsace à Mulhouse et gare sa voiture sur le parking arrière, réservé au personnel. Il pénètre dans le hall et se dirige vers son collègue Martin, réceptionniste durant la journée. Ce dernier converse discrètement avec un couple, apparemment illégitime, qui souhaite se payer du bon temps dans l’une des vingt-huit chambres. En passant, il s’adresse à Martin :
— Salut Martin ! Je suis de retour. Pour ce soir, c’est Albert qui me remplace. J’ai droit à une journée de congé pour l’enterrement de ma mère. Bon après-midi.
Martin lui fait un signe approbateur et plonge à nouveau son nez dans le registre pour y inscrire les amants qui piaffent d’impatience à l’idée de s’isoler un moment. La femme craint les regards sarcastiques du personnel qui déambule dans l’entrée. L’homme dégage plus de sérénité. Il règle le prix de la nuitée, puis il entraîne sa jeune compagne intimidée vers l’ascenseur qui va les amener au 3e étage et au 7e ciel.
Paul regagne son petit meublé par l’escalier de service qu’il gravit quatre à quatre. Il est aussi situé au 3e étage à proximité du local de stockage des produits sanitaires. Il aperçoit, au fond du couloir, le couple sur le point de pénétrer dans leur chambre.
Paul esquisse un modeste sourire en coin et entre à son tour dans son chez-soi. Il ôte son manteau et défait le nœud de sa cravate. Mais, il ne prend pas le temps de se déchausser. Il s’affale, de tout son long, sur son lit et ferme les yeux. Il ne résiste pas à la fatigue et en quelques secondes, il s’endort profondément.
Dehors, le ciel s’est brusquement assombri et quelques flocons de neige virevoltent dans les airs. La rue de la Monnaie est plongée dans le silence. René Schmitt, qui habite à quelques encablures de la maison de feu Berthe Scheppelin, alimente sa cuisinière en y jetant deux briquettes et quelques boulets de charbon.
Il s’installe au bout de la table dans la cuisine et saisit un vieux livre qui traîne et qu’il est en train de consulter depuis quelques jours. Son titre : Les sorcières de Bergheim d’Edmond Pabst, édité en 1929. On y mentionne divers procès en sorcellerie qui se sont déroulés en un siècle dans les environs du village de Bergheim en Alsace. René se passionne pour cette époque particulière et notamment pour les faits d’envoûtements qui ont provoqué beaucoup d’injustice et de terreur. Ensisheim n’a pas été épargné par ces procès. Les accusés, soumis à la question, ont subi d’effroyables actes de torture pour leur arracher un aveu.
Il feuillette les pages en s’attardant quelques instants sur les gravures et les portraits qui accompagnent les textes. Les sentences arrêtées par le Maléfitzgericht, le tribunal des maléfices, font froid dans le dos. Elles frappent même des enfants poursuivis pour être possédés par le démon. Les « coupables » sont généralement brûlés ou enterrés vivants selon l’humeur des 12 jurés.
René Schmitt éprouve quelques difficultés à décoder le français. Il est vrai qu’on lui avait enseigné la langue allemande durant la période d’occupation par les soldats du Reich. Il a cependant encore retenu quelques notions de français pour décrypter les ouvrages publiés entre les deux guerres. La lecture est certes plus ardue, mais le résultat n’en est que plus honorable pour lui.
Il se sert souvent d’une loupe pour déchiffrer certains passages rédigés en italique. Son œil n’est pas habitué à cette forme d’écriture penchée et minuscule.
Paul se réveille subitement alors que la nuit est déjà tombée. Il est vingt heures. Une douleur aiguë le fait sortir de son profond sommeil. Une douleur qui ressemble plutôt à une vive brûlure ressentie sur sa cuisse droite, à la hauteur de la poche de son pantalon. D’un geste machinal, il se redresse, puis se lève et porte rapidement sa main à la poche. Il sent la présence du thaler qui dégage une chaleur inquiétante. Spontanément, il se saisit de la pièce et la lance dans le lavabo, à l’autre extrémité de la chambre. Il la rafraîchit en faisant couler un filet l’eau froide, ce qui provoque le dégagement d’un nuage de vapeur âcre. Il vérifie ensuite l’état de sa cuisse. Le feu y a laissé une étrange marque en forme d’un disque orangé. Le bout des doigts de sa main droite a, de la même façon, subi des brûlures partielles. Que se passe-t-il ? Pourquoi, diable, le thaler s’est-il mis à chauffer ? Comment expliquer cela ?
La nuit est affreusement longue et pénible. Paul ne réussit pas à se rendormir. Sans cesse, il se tourne et se retourne dans son lit en scrutant son réveil pour constater avec dépit que les heures ne passent pas. Peut-être, songe-t-il, que son changement de vie y est pour quelque chose. Depuis qu’il est veilleur de nuit à l’hôtel, son rythme biologique est probablement perturbé et son horloge interne déréglée. Il est quatre heures révolues. Il a envie de se lever et de descendre voir son collègue Albert, à l’accueil. Mais, voilà qu’il se souvient des brûlures superficielles qui ont affecté sa cuisse et quelques doigts de sa main droite. Il ne s’explique pas cet incident, mais il suppose que la journée stressante qu’il a connue l’a fait délirer. D’ailleurs, il se rend compte qu’il a passé la nuit, tout habillé, signe qu’il n’était pas dans son état normal. Pour dissiper ses craintes, il se met à palper le bout des doigts de sa main droite pour s’assurer que tout ce qu’il a vécu la veille n’est qu’un horrible cauchemar. Cette rapide inspection confirme ce qu’il a pensé, il ne sent rien, plus aucune douleur. Puis, il porte sa main sur sa cuisse droite. Là non plus, rien ! Pas de sensation de brûlure ou d’inflammation particulière. Tout n’est sûrement que tourmente et angoisse. Par ailleurs, ce mystérieux René Schmitt qui lui a raconté ces histoires de feu, de brûlures… Qui est-il vraiment ? Que lui veut-il ? L’a-t-il, à tel point, affecté avec ses affabulations ? Il en est convaincu. Soudain, il sursaute et descend de son lit. Le thaler ! Il ne le trouve plus dans la poche de son pantalon. Après quelques instants de réflexion, il se souvient l’avoir jeté dans le lavabo. Il se précipite et constate avec soulagement que le thaler est bel et bien présent. Il s’approche et d’un doigt hésitant effleure la pièce. Il ne se passe rien, pas de réaction douloureuse ou impression de brûlure. Le thaler est inerte. Paul relève la tête et se regarde dans le miroir situé au-dessus du lavabo. Dans la cinquantaine, il est encore très séduisant avec ses petites rides d’expression. Des pattes d’oie apparaissent aux coins de ses yeux verts sans pour autant porter préjudice à l’aspect harmonieux de son visage anguleux, bien au contraire. Il enlève la pièce métallique et la range précautionneusement dans le tiroir de la table de chevet. Après avoir fait sa toilette, il saisit son gros manteau et quitte sa chambre en prenant bien soin de fermer la porte à double tour derrière lui.