Les Frères de l'Apocalypse - Jacky Minguet - E-Book

Les Frères de l'Apocalypse E-Book

Jacky Minguet

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Beschreibung

Et si l’Apocalypse de Jean l’Évangéliste était bien plus qu’une prophétie biblique ?

Au Vatican, le pape affronte en secret la pire crise qui ait jamais menacé la légitimité du trône de Saint Pierre. La Fraternité Eucharistique - congrégation dissidente - pourrait bien faire basculer la chrétienté dans le chaos grâce à la révélation d'un terrible secret.
Que recèle l’invraisemblable réseau de galeries souterraines du Domaine des Mercuriales, situé près de la basilique de L’Épine ?
Guillaume Montalbach, historien enquêteur, naviguera d’un camp à l’autre, soupçonnant tour à tour chacun de le manipuler pour réécrire une autre Histoire du monde qui pourrait bousculer ses certitudes.

Quel est le lien entre Rome, le département de la Marne, celui de la Vendée, certaines figures de notre Histoire et les protagonistes de cette quête ?

EXTRAIT

La piqûre produisit un effet foudroyant, une douleur infinie que le cerveau du souverain pontife eut le temps d’analyser étape après étape : spasmes, sueurs, bave, vomissements, crampes abdominales et intercostales… La douleur, déjà fulgurante, s’amplifia, au-delà du supportable. Puis vint la détresse respiratoire, l’anarchie cardiaque, enfin l’arrêt libérateur.
L'agonie dura trente éternelles secondes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacky Minguet est né à Nantes en 1956. Il a passé son enfance et son adolescence en Vendée. Retraité, il s’est retiré à Verdun. Ses goûts et influences littéraires sont éclectiques : Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Conan Doyle, mais aussi Tom Clancy, Robert Ludlum, Frederick Forsyth ou encore Dan Brown et Raymond Khoury. Les Frères de l’Apocalypse est son premier roman.

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Résumé

Avertissement

Prologue

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ÉPILOGUE

Remerciements

Les Frères de l’Apocalypse

thriller

ISBN : 978-2-35962-614-8

Collection Rouge

ISSN : 2108-6273

Dépôt légal avril 2014

©couverture Ex Aequo

©2014 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

Éditions Ex Aequo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières les bains

www.editions-exaequo.fr

Résumé

Et si l’Apocalypse de Jean l’Évangéliste était bien plus qu’une prophétie biblique ?

Au Vatican, le pape affronte en secret la pire crise qui ait jamais menacé la légitimité du trône de Saint Pierre. La Fraternité Eucharistique  - congrégation dissidente -  pourrait bien faire basculer la chrétienté dans le chaos grâce à la révélation d'un terrible secret.

Que recèle l’invraisemblable réseau de galeries souterraines du Domaine des Mercuriales, situé près de la basilique de L’Épine ?

Quel est le lien entre Rome, le département de la Marne, celui de la Vendée, certaines figures de  notre Histoire et les protagonistes de cette quête ?

Guillaume Montalbach, historien enquêteur, naviguera d’un camp à l’autre, soupçonnant tour à tour chacun de le manipuler pour réécrire une autre Histoire du monde qui pourrait bousculer ses certitudes.

Avertissement

Les frères de l’Apocalypse

À Martine, mon épouse bien-aimée,

la « lumière de tous mes possibles »

Prologue

Mardi 22 décembre

Castel Gandolfo (Italie) - Palais pontifical

Le Pape soupira. Son visage aux traits d’ordinaire colorés était blême. Il se sentit tout à coup vieux, vide et broyé par sa charge. Son prédécesseur s’était souvent confié à lui du temps où il était son conseiller pour le dogme : le magistère n’était jamais de tout repos !

Dans quelques instants, il aurait rendez-vous avec l’Histoire. C’est ce que lui avait laissé entendre d’une voix tourmentée son visiteur. Les mesures qu’il prendrait ou déciderait de ne pas prendre, pouvaient conduire à un cataclysme planétaire ; à moins de tuer la menace dans l’œuf.

Il secoua la tête, accablé par le poids de l’âge, celui de la maladie et de ses inquiétudes.

Même si de tout temps son Église avait essuyé les tempêtes, il ne mesurait pas encore les méfaits de la dernière d’entre elles, venue d’une bourgade de l’Est de la France. Il ignorait même tout des évènements qui l’avaient initiée.

Il comprenait toutefois que son pontificat marquait l’issue d’un combat.

Il eut un frisson.

Que pouvaient bien peser ses états d’âme au regard des enjeux épouvantables qui secouaient l’humanité depuis plus de huit siècles ? Il avait été de cette bataille. Pas sûr que lui-même s’en sorte totalement indemne...

***

1

Un mois et demi plus tôt

vendredi 5 novembre

Reims, centre-ville

Siméon de Puygirard, doyen de la faculté d’histoire de Reims, accéléra le pas. Il était en retard pour son rendez-vous de dix heures. Il parvint aux abords de la place d’Erlon. Manon de Pahans devait l’attendre à la brasserie de l’Apostrophe et serait aisément identifiable, à ses dires.

Il la repéra. Cheveux mi-longs, veste d’hiver blanche à col de fourrure, pantalon de tergal gris, bottes blanches à revers. L’étudiante avait omis de préciser qu’elle était jolie.

Les politesses échangées, il commanda un thé puis prit la parole :

— Vous savez mademoiselle que j’ai accepté cette rencontre sur l’insistance de mon cher ami Hugo, votre grand-père. Mais dites-m’en un peu plus. Ce cher Hugo est resté si évasif à votre sujet…

Elle ne répondit pas tout de suite. Quelque chose dans l’attitude de son visiteur semblait la déranger. « Ma parole ! Il lorgne sur ma poitrine, ce vieux goujat ! » Le silence prolongé de Manon lui fit lever la tête. Il secoua son abondante chevelure et lui sourit pour la première fois.

— Je suis horriblement gêné, mademoiselle, de ce quiproquo. Ne vous méprenez pas. La médaille que je vois là — il désignait l’objet qui pendait sur son tee-shirt — vous permettez ?

Il se leva pour contourner la table.

— Ah ! Comme cela est curieux.

— Ce n’est qu’une médaille de baptême.

— Le dos de cette médaille porte un motif peu courant puisqu’il s’agit, à n’en pas douter, de la croix pattée des Templiers. La couleur en est magnifique.

Sans crier gare, le professeur sembla s’affaisser. Dans le mouvement, sa main se crispa sur le collier, l’arrachant du cou de la jeune femme.

Avant qu’elle n’eût réagi, il se redressa et s’empara d’un carré de sucre.

— Je vous prie de m’excuser. Une crise d’hypoglycémie dont je suis coutumier.

Il contempla d’un air catastrophé la chaînette brisée entre ses doigts.

— Un excellent bijoutier de mes amis se chargera de la réparer… à mes frais, évidemment.

Ignorant les protestations, il enfouit d’autorité la médaille dans une poche de son pardessus.

— Si vous le permettez, je sortirais volontiers de cet endroit.

Siméon de Puygirard observa son interlocutrice. C’était une jeune femme au physique agréable. De taille moyenne, plutôt svelte, la chevelure auburn, son regard vert en perpétuel mouvement indiquait une curiosité permanente. Elle marchait enfin avec détermination.

— Ainsi, vous avez besoin de moi, poursuivit-il, une fois à l’extérieur.

— Pour mon doctorat d’histoire médiévale, accepteriez-vous d’être mon directeur de thèse ?

— Quel en est le sujet ?

— L’Ordre du Temple…

Le doyen interrompit sa marche.

— Bah ! Nombre d’écrits, de films, de documentaires, de légendes aussi, se sont chargé bien avant vous de spéculer sur la réalité de son secret. Le sujet a été tant de fois rebattu !

— Le secret de l’Ordre du Temple n’est pas le sujet de ma thèse.

Siméon de Puygirard sentit un fourmillement d’excitation le gagner.

— Quel sera votre propos, je vous prie ?

— Sa résurgence aux XXème et XXIème siècles.

***

2

Samedi 6 novembre

Guillaume Montalbach cheminait d’un pas alerte. En dépit du froid qui mordait la plaine champenoise, il se déplaçait en chantonnant. Il s’arrêta en haut d’une côte, là où le chemin qu’il suivait, parallèle à la route, plongeait sur le village de l’Épine. La basilique Notre-Dame lui apparut. Il émit un petit rire satisfait. Dans deux heures, il rencontrait Hugo de Pahans.

Il dévala la pente et s’engouffra dans le premier hôtel-restaurant du bourg. La borne d’accueil lui rappela qu’il se trouvait auClos du Temple, enseigne référencée des guides étoilés.

La broussaille indescriptible de ses longs cheveux, sa parka crasseuse, son jean usé jusqu’à la corde, ses chaussures gorgées de boue et, pour couronner l’ensemble, son sac à dos posé à même le somptueux tapis de seuil faisaient tache. L’apparition ne sembla pas du goût de l’hôtesse.

— Monsieur désire ?

— Pardonnez-moi, je suis un peu égaré. Je cherche le Domaine des Mercuriales.

Lui ayant indiqué l’itinéraire, elle s’absorba sans plus de façons dans la consultation d’un registre, lui signifiant ainsi qu’il était temps de prendre ses cliques et ses claques. Le rire franc et enjoué de Guillaume retentit.

— Et si votre service… si votre service consistait… à me servir ? 

Il épia la réaction. Du beau linge fréquentait l’endroit. Le plus petit éclat de voix eût été inconvenant.

— Où puis-je m’installer, je vous prie ? enchaîna-t-il sans attendre la réponse.

Il chercha une table inoccupée. L’ayant repérée, il s’y installa sans plus de façons puis entreprit de héler un garçon. La moue désapprobatrice du serveur le mit en joie.

— S’il vous plaît monsieur, la discrétion ici…

— Halte-là, mon ami. Qu’êtes-vous en train de me dire ?

Guillaume déplia son mètre quatre-vingt. Tout autour, la tension était palpable.

— Allons ! Apportez-moi votre carte !

— Je vous en prie…

— Votre carte, vous dis-je. Je ne bouge pas d’ici sans avoir pris mon repas.

L’hôtesse approcha, accompagnée d’un homme à l’allure et aux manières d’une personne habituée à l’exercice de l’autorité. Il se présenta comme étant le directeur de l’établissement.

***

— Cher Monsieur, que pouvons-nous faire pour vous être agréable ?

— Le cher monsieur aimerait déjeuner, mais quelqu’un semble réticent à le servir.

— Monsieur a bien évidemment consulté les tarifs que nous pratiquons ? 

— Justement, non. Je réclame la carte et l’on ne me la présente pas.

L’hôtesse lui glissa le menu sous le nez. Tandis qu’il saisissait le document, le directeur l’observa avec intérêt. Le jeune intrus repéra le changement. Le directeur claqua soudain des mains.

— Mademoiselle Christine, Monsieur Pierre, pressons. Prenez la commande de notre invité. Si, si. Permettez-moi d’insister, vous êtes notre invité. Ce n’est pas tous les jours que nous recevons un visiteur de votre rang. Mesdames, Messieurs, mes amis, votre attention je vous prie. Je tiens à vous exprimer mes excuses les plus navrées pour ce moment de confusion. Je viens à peine de comprendre notre méprise.

Le mutisme réprobateur s’était transformé en curiosité.

— Une regrettable méprise, disais-je.

Guillaume dut se faire violence pour conserver son empire sur lui-même. Il détailla l’homme qui, sur une inspiration géniale et avec sang-froid, venait de retourner une situation embarrassante. Lorsque leurs regards se croisèrent, il eut la surprise d’y déceler une étincelle de connivence.

— Pardonnez-moi, mes amis. Sachant désormais à qui j’ai à faire, je ne trahirai pas celui qui fait autorité dans un domaine que je ne puis préciser sous peine de trahir son incognito. Vous savez l’importance que j’attache au confort de chacun. En remerciement de votre compréhension, acceptez que la direction vous offre votre repas.

Le calme rétabli, Guillaume, s’adressa au directeur d’une voix à peine perceptible.

— Dois-je rire de ma soudaine notoriété ou m’incliner devant votre présence d’esprit ?

Le directeur prit place face à lui.

— Vous prenez votre repas, je vous offre le café dans mon salon privé et…

— Et ?

— Et vous me racontez l’histoire de cette chevalière accrochée à votre petit doigt et celle de cette merveilleuse montre qui orne votre poignet.

Il se releva le sourire aux lèvres, le salua d’une légère courbette puis s’éclipsa sous les remerciements réitérés de ses clients ravis.

***

3

L’Épine (Marne) - Commanderie « Les Mercuriales »

— Coucou grand-père. Il est treize heures. Tu as encore sauté le repas.

La pièce où Hugo de Pahans travaillait était de dimension modeste. Il y régnait une température clémente. Une curiosité quand on savait où elle se situait. Le vieil homme se leva pour déposer un baiser sur le front de son unique descendante.

— Ah, Manou ! Tu viens voir si je suis encore de ce monde, lança-t-il dans un petit rire.

— Non, juste savoir où tu en es, répondit sa petite-fille.

— Où j’en suis ? Justement, je comptais te mettre au courant.

Une pause, un silence prolongé, suivi d’un regard pétillant.

— Ma petite Manon, le Grand Secret pourrait bientôt être entre mes mains.

***

L’Épine - Hôtel-restaurant le Clos du Temple

À 13H15, mademoiselle Christine escorta Guillaume jusqu’à une porte capitonnée. Le directeur de l’établissement lui désigna le son canapé situé face à lui.

— Tout d’abord, permettez-moi de réparer un oubli. François de Rivalmonte, se présenta-t-il. Vous êtes ?

— Guillaume Montalbach.

— Droit au but. Vous n’êtes ni un touriste ni un pèlerin.

Il s’agissait d’un constat, pas d’une question.

— Exact.

— Pas davantage un maraudeur ou un vagabond.

— Pas davantage.

— Votre chevalière…

Le directeur saisit la main droite de Guillaume.

— Une croix des chevaliers du Temple. Un héritage, un signe d’affiliation peut-être ?

— Quelque chose comme ça.

Le directeur se leva pour se déplacer jusqu’à un meuble bibliothèque.

— Avant de m’expliquer votre petit numéro de tout à l’heure, je vous prie de bien vouloir approcher. Que voyez-vous dans cette vitrine ?

— Par exemple ! Nous possédons la même chevalière.

Après une légère hésitation, il se ravisa :

— À cette différence près que le fond de celle-ci est de couleur rouge tandis que la mienne est bleue. D’où la tenez-vous ?

Sans répondre, Rivalmonte s’empara à nouveau du poignet de Guillaume.

Imprimant une légère rotation sur l’avant-bras, il exerça une pression sur le cadran de la montre. Un petit couvercle se libéra, révélant une gravure rouge vif. Le symbole représentait l’entrelacs des lettres P et X et du signe ∞, l’infini.

« Pax Sempiterna Christi. » Ainsi vous êtes des nôtres…

— Qu’est-ce que « Pax machin-chose » et que voulez-vous dire avec ce « vous êtes des nôtres » ?

Rivalmonte lui adressa un sourire compréhensif.

— La « Paix Éternelle du Christ. » Monsieur Montalbach, vous le savez, seulement vous hésitez. Après tout, ne suis-je pas un inconnu à vos yeux ? Veuillez regarder ceci.

Ce disant, il remonta la manche droite de son veston, découvrant un bracelet-montre en tous points identique à celui que portait Guillaume.

— La montre de Gygès !

— La montre de Gygès. Cette montre qui, par association à la mythologie, assure l’anonymat à celui qui la porte à l’envers, comme l’anneau magique garantissait l’invisibilité au berger Gygès.

Guillaume venait de recevoir une enclume sur le crâne.

Cette montre, seul un initié pouvait en connaître l’existence. Façonnée par un horloger agréé par les instances les plus hautes, l’objet signifiait l’affiliation de son possesseur à l’Ordre des Chevaliers du Temple. À la double condition que son cadran fût placé sur la face interne du poignet et porté simultanément avec cette même chevalière que détenaient les deux hommes.

***

Les Chevaliers du Temple ! Cette caste séculaire dont la seule évocation rappelle combien d’entreprises extraordinaires ont été osées. L’Ordre du Temple, la mystérieuse organisation dont on ne sait plus ce qu’il en subsiste, mais à propos de laquelle l’on pressent les plus fantastiques énigmes.

Or, l’Ordre du Temple n’a jamais été aussi présent, ne cessant d’étendre son influence et son emprise sur les pouvoirs spirituel et temporel. Simplement, pour se protéger, la confrérie s’est tapie dans l’ombre, à l’abri de sa légende, utilisant ses formidables ressources pour dominer, décider, corrompre, menacer et asservir.

Mieux encore, en son sein existe une organisation ultrasecrète, la Custodia Christi{1}. Connue du Maître de l’Ordre et de cinq initiés de haut rang, dont Siméon de Puygirard et François de Rivalmonte, elle a pour mission d’écarter les esprits curieux en posant des leurres destinés à les égarer sur des pistes sans fin. Une force de protection dont l’originalité est le secret le plus farouchement gardé : elle accepte la présence de femmes. Chacun de ses membres répond au vocable de Tacitus ou Tacita, « celui ou celle qui se tait ».

Guillaume était l’un d’eux.

***

L’Épine - Commanderie « Les Mercuriales »

Le Grand Secret !

Le mot était lâché ! L’énigme qui avait fait de l’existence d’Hugo de Pahans une exaltante, mais épuisante aventure !

Manon connaissait la quête de son grand-père. À l’occasion, elle lui prêtait volontiers main-forte. Certes, les recherches avaient parfois révélé certains faits troublants, mais pas au point de la convaincre. Elle lui sourit avec indulgence.

— Grand-père, tu ne crois pas que ça suffit ? Plus personne ne te rend visite, plus rien ne t’intéresse de ce qui se passe dehors. Tu ne voudrais pas refaire un peu surface ?

— J’ai soixante-treize ans. Je n’ai plus le ressort pour continuer. Je dois passer la main…

— Pas à moi. Mes études me bouffent l’essentiel de mon temps.

— Je te le répète, je suis épuisé. Et j’aimerais tant aboutir avant de mourir !

— Grand-père !

— Crois-moi, tu ne seras pas déçue.

— Ton ami, le professeur de Puygirard, lui il peut prendre le relais. Il est au courant de tes recherches et c’est « LE » spécialiste.

— Je le lui ai proposé, mais il a décliné mon offre.

— Mais moi ! Tu n’y penses pas !

— Je suis au bout du rouleau, ma petite Manou. On ne peut pas abandonner si près du but !

— Je te propose un marché. J’ai trois semaines de vacances à Noël. Je veux bien te les consacrer. Mais ce sera la dernière fois et tu me promets que j’aurai à me déplacer ni trop souvent ni trop loin.

— Ça tombe bien. Tu n’auras pas à t’éloigner.

Manon lui lança un regard incrédule.

— Dois-je comprendre que la solution se trouve tout près d’ici ? Mais pas ici, n’est-ce pas ? Ici c’est une commanderie, avec quoi… juste trois galeries souterraines identifiées qu’on connaît par cœur ? Ce n’est pas un mystérieux château truffé d’énigmes ou de passages secrets ou d’histoires merveilleuses. D’ailleurs, il n’y a pas de château dans le coin…

— Mais une basilique…

Hugo s’était rassis, un sourire espiègle aux lèvres.

— Les Templiers, jeune demoiselle, ne comptaient pas seulement des places fortes parmi leurs neuf mille possessions ! Ils étaient aussi des bâtisseurs d’églises.

— L’Épine ! La basilique de l’Épine ! J’y crois pas ! Là, juste à… à un malheureux kilomètre d’ici.

Pas mécontent de son effet, Hugo approuva :

— Ils étaient passés maîtres dans l’art de brouiller les pistes. Les historiens avertis, les chasseurs de trésors, les érudits passionnés, les amateurs éclairés, tous s’y sont cassé les dents jusqu’à aujourd’hui.

— Jusqu’à toi, donc, intervint Manon.

— Jusqu’à moi, renchérit le vieillard, vibrant d’émotion.

Il glissa vers Manon son épais carnet.

Elle s’en saisit avec une déférence quasi religieuse. C’était la première fois qu’elle y avait accès. Avec le contenu du coffre de bois posé au fond de la pièce, plus de quarante années de recherches y étaient consignées.

— T’ai-je jamais raconté comment j’ai découvert cet endroit où nous sommes et, pourquoi, à partir de là, la réalité du secret des Templiers m’est apparue comme une évidence ?

***

Hugo sourit à sa petite-fille.

— Tu avais quoi ? Sept ou huit ans ? Tu vivais déjà ici depuis la disparition de tes parents. Je m’étais enfin décidé à mettre de l’ordre à tout ce fatras qui encombrait mon bureau. Parmi le fouillis, je mis la main sur une chemise cartonnée, scellée de cire, que je n’avais jamais remarquée auparavant. Je l’ouvris et y trouvai deux documents. Le premier me parut être la retranscription d’un écrit en langue romane. Une feuille annexe en portait la traduction : « l’autel de Dieu ouvrira la voie et Mercure donnera fortune ».

À cette période, je portais un intérêt croissant à l’histoire de l’Ordre du Temple. Je finis par dénicher à la bibliothèque de la Marne un traité sur l’héraldique médiévale. On y voyait la reproduction d’une bague de Templier. Tu connais bien sûr la symbolique de ce bijou…

— Oui, face avant : la croix rouge pattée ; face arrière : deux chevaliers en armure assis l’un derrière l’autre sur un même destrier. Les contempteurs de l’Ordre s’en servirent pour les accuser d’homosexualité.

— L’argument majeur de leur procès ! Pour revenir à ma découverte, la reproduction que j’avais sous les yeux présentait une différence : si les deux cavaliers étaient bien gravés au dos du bijou, la face visible évoquait le dieu Mercure en lieu et place de la fameuse croix. Je fis alors le rapprochement avec le sceau qui fermait le dossier trouvé chez moi. De retour à la Commanderie, photocopie en main, je vis qu’elle correspondait en tout point à celui-ci !

— La coïncidence est étonnante.

— Nous sommes d’accord. De recoupements en associations d’idées, une question me taraudait : pourquoi Mercure, pourquoi ce nom, Les Mercuriales ? On trouve une statue du « dieu aux pieds ailés » dans notre salle à manger, le fronton de la cheminée porte une gravure à son effigie, l’accès à l’oratoire est flanqué de deux sculptures à sa gloire. En y ajoutant la phrase du manuscrit « l’autel de Dieu ouvrira la voie et Mercure donnera fortune », j’en vins au constat suivant : dans un domaine templier, garant de la chrétienté, la référence à une divinité païenne présentait une ambiguïté qu’il me fallait lever. Je me précipitai à l’oratoire.

***

4

Hôtel - restaurant Le Clos du Temple

— Parlons, proposa Rivalmonte à Guillaume. Tout d’abord, votre présence tapageuse de ce midi, quel en était le but ?

— J’avais reçu la consigne de me faire connaître du propriétaire. Pas sûr qu’avec ma dégaine j’aurais pu obtenir de vous rencontrer. De plus, la règle interdit toute prise de contact autrement que par le code d’identification.

— En l’occurrence… n’était-ce pas un peu… comment dire ?

— Outrancier ?

— C’est le mot. Du coup, vous comprendrez que j’ai quelques questions à vous poser. Ainsi, pourquoi deviez-vous me rencontrer ?

— Pour vous parler d’une vieille affaire dont je reprends la piste.

— Les Mercuriales, n’est-ce pas ?

Une expression désenchantée marqua le visage de Rivalmonte.

— Ce n’est pas mon meilleur souvenir. Pour satisfaire ma curiosité, m’indiqueriez-vous qui vous envoie ?

— Monsieur Siméon de Puygirard.

— Monsieur le doyen de la faculté de Reims lui-même. L’un des nôtres et non des moindres.

— Je suis son assistant au département de recherche de la faculté. Certains développements récents à la Commanderie requièrent une attention particulière. Aussi m’a-t-il demandé de vous rencontrer. Selon lui, vous saurez me renseigner sur le contexte.

— À présent que ma curiosité est satisfaite, permettez que je satisfasse la vôtre. Vous me demandiez d’où je tenais la chevalière que vous avez vue dans la vitrine. Je l’ai reçue des mains de celui qui m’a initié, il doit y avoir une bonne trentaine d’années. Celui-là même qui vous adresse à moi aujourd’hui…

— Et cette différence de couleur sur le fond de votre chevalière ?

— Il s’agit d’une gradation au sein de la Confrérie. Mon ancienneté dans l’Ordre me donne le rang de Grand Initié, tandis que vous n’êtes, et je vous prie de n’y voir aucun mépris de ma part, qu’un initié de base. La couleur nous distingue à ce niveau de connaissance.

— Ceci explique comment vous avez su pour la montre de Gygès.

— Ainsi que pour votre appartenance à la Custodia Christi.

François de Rivalmonte se leva.

— Nous reprendrons cette conversation plus tard, voulez-vous ? Pour l’heure, je me dois à mes obligations. D’ici là, en votre qualité de frère, considérez que vous êtes mon hôte privilégié.

Il approcha du bar et appuya sur une sonnette en bronze. Une vingtaine de secondes s’écoulèrent.

— Entre, ma chérie.

***

Guillaume se retourna.

Dans l’encadrement se tenait une étrange apparition. Ses longs cheveux noirs lançaient des reflets bleutés. Le maquillage, prononcé à l’excès, contrastait avec le teint de peau blafard. La bouche n’était plus qu’un trait violet. Deux piercings, des épingles à nourrice, mutilaient l’un le sourcil gauche, l’autre la lèvre inférieure. Complétant la panoplie, la tenue vestimentaire était tout aussi déprimante : un t-shirt foncé à motifs mortuaires, un gilet à mailles métalliques, une cape tombant jusqu’au bas des mollets. Les jambes étaient gainées d’un pantalon de cuir portant ceinturon clouté d’où pendait un jeu de chaînes à faire pâlir un adepte des jeux sado-masos. Les bottes de cuir à lacets et aux talons à crampons, les bagues et croix à motifs moyenâgeux, les pentagrammes, les symboles celtiques et les gants de dentelle noire rappelaient quelque héroïne satanique tout droit sortie d’un mauvais cauchemar.

Une gothique de la plus belle espèce !

— Mon ange, voici Guillaume Montalbach. Cher ami, permettez-moi de vous présenter ma fille, Christine.

Mademoiselle Christine, la prétentieuse hôtesse d’accueil, la fille de cet homme courtois et d’une exquise distinction !

Guillaume écarquilla les yeux.

Mademoiselle Christine avait troqué son uniforme de travail pour se transformer en une caricature de zombie. La plus folle contradiction qu’on puisse imaginer !

— Quels sont vos projets immédiats, mon cher Guillaume ? Vous m’autorisez à vous appeler par votre prénom, n’est-ce pas ?

— J’ai rendez-vous avec le propriétaire des Mercuriales, pour quatorze heures, quinze heures au plus tard.

— Hugo de Pahans.

— Comment est l’homme ?

— Normalement, pour nous être quittés en termes catastrophiques, je devrais vous en dire le plus grand mal. Pourtant, c’est un homme de culture, d’une rare intelligence et de bien agréable compagnie.

— Un homme des cavernes, tu veux dire, coupa Christine.

— Non, ma chérie, ce n’est ni exact ni tout à fait juste pour lui. Tu lui en veux parce qu’il nous interdit l’accès à son domaine. Tu es en colère parce que tu ignores l’origine de cette brouille qui, depuis ton enfance, t’a éloignée de ta cousine Manon.

Revenant à Guillaume, il demanda :

— Avez-vous prévu quoi que ce soit pour le gîte et le couvert ?

— Oui. Monsieur de Pahans a organisé mon séjour.

Du coin de l’œil, Guillaume nota la moue furtive de la fille de Rivalmonte.

— Je dois juste me loger pour cette nuit.

Rivalmonte se tourna vers sa fille.

— Ma chérie, tu voudras bien ouvrir une chambre pour Guillaume ?

Il se dirigea vers la porte capitonnée.

— Bien, jeunes gens, je vous laisse faire connaissance.

Il déposa un baiser sur la joue de sa fille.

— Ah ! Et puis mon ange, je te laisse le soin d’expliquer à notre invité le pourquoi de ton accoutrement. Vous êtes sensiblement du même âge, peut-être y trouvera-t-il un sens ?

— Monsieur Rivalmonte, fit Guillaume, auriez-vous encore une petite seconde… en privé ?

Le père de Christine le précéda dans le couloir.

— Quelles sont mes limites pour expliquer ma présence à votre fille ?

— Aucune mon ami… tant qu’elle ignore votre appartenance à l’Ordre.

— Vous-même, que lui avez-vous dit à mon sujet ?

— Je lui ai laissé entendre que vous étiez un professeur et historien de renom venu mettre son expertise au service de l’histoire locale. Une dernière chose, ne vous fiez surtout pas à son apparence, vous pourriez être absolument épaté.

Guillaume revint au salon. La jeune femme, à présent affalée sur le canapé, buvait un café en dévisageant notre invité. Il se posa sur le bord du divan. Elle eut un bref mouvement de recul.

— Bonjour, Christine.

— Bonjour.

Un mot, plutôt un murmure.

— Je suis curieux de connaître l’opinion de tes collègues sur ta tenue…

— Ils n’en ont pas.

Le sourire révéla deux rangées de jolies dents nacrées, faisant oublier à l’assistant du professeur de Puygirard l’horrible maquillage.

— Pourquoi ça ?

— Ils ignorent que je suis la fille de mon père. Tout le monde m’appelle mademoiselle Christine, même papa dans le cadre du service.

***

5

Manon avait convaincu son grand-père de regagner le logis. Le vieil homme avait étalé des objets sur une table. Une chemise cartonnée, une photocopie, un document de nature imprécise.

— Ainsi, ce que t’a légué ton père, ça se résume à ça ?

— Tu t’attendais à quoi ?

Une chemise cartonnée capta son attention. Plus exactement, le cachet de cire qui la scellait. Si Manon doutait encore, l’examen mit un terme à ses hésitations. La photocopie de la bague templière révélait la même anomalie que celle du sceau. Sur l’un et l’autre objet, une aile manquait au pied gauche du dieu Mercure. Une brisure qui avait mutilé le talon en un V grossier.

— La chevalière devait former l’empreinte originelle. Que sait-on d’elle ? fit la jeune femme.

— Jamais trouvé trace.

— Alors, quid novi ?

— Regarde mieux.

Le visage de la jeune femme passa de la chemise cartonnée à la photocopie, de la photocopie au sceau. Dépitée, elle secoua la tête. D’autant plus crispant qu’elle voyait le manège de son grand-père. Les doigts du vieillard tambourinaient sur le dernier objet, le document indéfini.

— Alors, c’est ce papier-là ?

De forme rectangulaire, celui-ci mesurait environ quatre-vingts centimètres par soixante. Elle y lut une inscription : « l’auteit de Diev ovsvrira la voyee et Mecvrevs donoiera fortvne ».

— C’est la formule dont tu m’as parlé tout à l’heure ?

— Oui et cela dit : « l’autel de Dieu ouvrira la voie et Mercure donnera fortune ».

— Je vois.

Elle ne voyait rien du tout. Jusqu’à ce qu’elle découvrît le fait insolite. Ses yeux s’agrandirent. La texture du document était un défi au bon sens.

— Ah oui… Je comprends mieux. Tu ne m’avais pas tout raconté. Donc, là on a l’original…

Elle réprima son excitation.

— Sans être experte, je sais en général évaluer l’authenticité d’un objet. Mais pour le coup, là c’est insensé. On a ici une espèce de document fabriqué dans une matière élastique, qui ne peut pas exister… puisqu’il date de quoi ?

— Du XVème siècle. Entre 1492 et 1496 pour être exact.

— Comment tu sais ça ?

— Je t’expliquerai.

Manon reprit son examen.

— On dirait du caoutchouc et ça c’est impossible. Ses propriétés sont connues en Europe depuis quand ?

— Milieu du XVIIIème.

Profondément troublée, elle fonça dans une pièce voisine où était stocké le matériel dont elle allait avoir besoin. Le Labo, comme ils l’appelaient. Elle manipula le document, l’examina sous tous les angles.

— Même pas souillé, pas une éraflure. Et la matière, c’est quoi ? Pas du papier, ou alors une sorte de papier huilé, mais qui ne graisse pas. Ça n’a pas de sens. Pas du parchemin non plus. Pas davantage du papyrus. On dirait… on dirait… oui, de la gomme, c’est ce qui s’en approche le plus. Ou alors un matériau synthétique.

Ébranlée, elle se mit à arpenter le Labo d’un pas nerveux.

— Ne me dis pas qu’en plus il est inaltérable.

— Regarde mieux, prononça Hugo pour la deuxième fois.

Elle décida de soumettre l’objet aux rayons ultraviolets. Un motif apparut en transparence.

— Mince… c’est quoi ? Ce machin, tu te rends compte… tu te rends bien compte que c’est une impossibilité, un anachronisme invraisemblable ? Tu montres, non… tu démontres ça, ça revient à rejouer Hiroshima à l’échelle planétaire ! Les propriétés des ultraviolets étaient inconnues à l’époque.

— Je sais. J’ai traversé les mêmes états d’âme, figure-toi.

— Ça bouscule toutes nos certitudes historiques. Tu es certain que ce n’est pas un canular ?

— C’est de l’authentique.

— Authentique à quel point ?

— Au point de l’avoir fait analyser par quelqu’un d’autre. D’un haut niveau d’expertise.

— Ce quelqu’un, qui est-ce… ?

— Plus tard. Pour le moment, il y a encore pas mal de choses à résoudre. Par exemple…

Tandis qu’Hugo réfléchissait à voix haute, Manon s’abîma dans ses pensées, le regard rivé à l’étrange objet. Soudain, elle émergea de sa réflexion.

— …un code sans doute.

— Tu dis ?

Tout à son examen, elle n’avait plus prêté garde aux propos d’Hugo.

— Je disais que dès le début, j’ai imaginé que la phrase était codée.

— Et comme ça se passe dans une demeure templière, sous les yeux d’un vieil original persuadé que rien n’arrive jamais fortuitement, on obtient là l’histoire de ta vie, en somme.

— Moque-toi, ingrate ! Cela ne t’empêche pas d’y croire un peu aussi. Dois-je te rappeler ce à quoi tu as occupé la presque totalité de ton temps libre ces dernières années ?

— Dis-moi plutôt, c’est là le vrai point de départ de tes recherches ?

— Il ne m’a pas fallu davantage que cette phrase bizarre plus deux autres anomalies.

— Les deux statues de Mercure qui flanquent l’escalier de l’oratoire à la Vierge ?

— Oui, mais ça, ce n’est que la deuxième curiosité. Un dieu païen gardant un lieu de prière ! A-t-on jamais observé dans l’histoire de l’art religieux pareille incohérence ?

— Il y a une autre curiosité, disais-tu...

— L’oratoire lui-même.

— Bien sûr ! Il est dépourvu de vitraux.

La sonnerie de la grille d’entrée lui évita de répondre. Manon jeta un regard à la comtoise.

— Il doit s’agir de ton invité, monsieur machin-Bach.

— Guillaume Montalbach. L’homme est titulaire d’un doctorat, spécialité histoire médiévale. Il devrait nous être particulièrement utile pour nos affaires. Quand tu sauras qui le recommande…

— Vu ton air, je sens que je vais être surprise.

— Le professeur de Puygirard. Notre visiteur est son assistant de recherches.

Manon faillit s’étrangler.

— Dis donc, j’ignorais que notre visiteur était un chercheur. Que tu fasses appel à quelqu’un pour mettre en ordre nos papiers de famille, d’accord ; mais de là à ce qu’il fourre son nez dans ce qui est notre chasse gardée…

— Ne sois pas si catastrophiste. D’après le doyen, c’est une pointure cet homme-là. On le présente comme une manière de génie pour débrouiller les fils des énigmes historiques.

Hugo décrocha l’interphone.

— Monsieur Montalbach. Soyez le bienvenu aux Mercuriales. Ma petite-fille va vous ouvrir.

Tandis que Manon s’éloignait en râlant, Hugo récupéra le parchemin aux propriétés étranges. Dès que sa petite-fille eût bifurqué entre les deux bâtisses pour gagner la cour d’accueil, il se précipita vers l’oratoire, le précieux document sous le bras.

***

6

Guillaume avait quitté leClos du Templesur le coup de quatorze heures quinze. Il s’était présenté une demi-heure plus tard à l’entrée des Mercuriales.

Le mur d’enceinte du Domaine se franchissait par une grille monumentale. Il répondit d’un signe de tête à celui de la jeune femme qui l’attendait de l’autre côté. Hugo les rejoignit.

Le trio traversa la première cour flanquée de part et d’autre de hautes et vieilles constructions. Partant du fond, un long couloir herbeux distribuait une cour trois fois plus grande que la précédente, parsemée de massifs floraux et de parcelles engazonnées, sillonnée d’allées gravillonnées. Guillaume sut qu’il pénétrait dans la zone de vie principale de la Commanderie.

Embrassant l’espace d’un coup d’œil circulaire, son attention fut attirée par l’élément central de la cour. La citerne, appelée parfois château d’eau, était la construction essentielle à la vie de la maisonnée. Ce réservoir de forme hexagonale mesurait au bas mot quatre mètres sur trois. Il s’y arrêta un instant.

***

La jeune de Pahans avait endossé l’habit de guide, apportant ici un éclaircissement, là une anecdote, insistant ailleurs sur un point particulier.

La cour formait un vaste rectangle, fermé au Sud par les étables et autres granges qui ouvraient sur les champs. Au Nord, l’accès était clos par une courtine reliant deux bastions arrondis. Côté Ouest, le corps de logis, côté Est, une chapelle surélevée, dite l’oratoire. Le regard ne pouvait manquer les deux statues postées au bas de ses marches.

À mi-chemin entre les deux bâtisses, une margelle couverte de végétation révélait l’existence d’un puits. Les neurones de Guillaume s’activèrent. Il emmagasinait les informations, stockait les images, les sens à l’affût. Précédé de ses hôtes, il pénétra dans la demeure principale, jusqu’au séjour où tous trois prirent place près de l’âtre.

Manon regarda leur visiteur. Elle tenta de déceler derrière les lunettes une expression révélatrice, l’imaginant bien coiffé, rasé de près, habillé avec soin. De son côté, Guillaume ne se priva pas de dévisager l’héritière de Pahans.

Ce qu’il vit ne lui déplut pas. La chevelure aux reflets cuivrés contrastait avec la limpidité du regard. Le visage, quoiqu’un peu maigre, avait de la personnalité. Les joues creuses et le menton légèrement carré donnaient une impression d’énergie, atténuée par la sensualité de la bouche.

Hugo déposa une collation sur la table. Ils devisèrent environ une heure, échanges qui firent les affaires de Guillaume. Depuis que l’on avait recours à ses services, il avait la conviction que le succès de ses enquêtes passait par l’écoute et la compréhension de l’environnement de ses obligés.

Le vieil homme observa avec intérêt les deux jeunes gens. Ils avaient l’air de s’entendre. Très naturellement, le tutoiement s’était imposé ; il n’avait jamais vu Manon aussi détendue. Il s’éclipsa. À son retour, il posa sur la table basse le dossier au cachet de cire.

— Monsieur Montalbach, vous avez devant vous la raison de mon engouement pour l’Ordre du Temple.

Hugo de Pahans lui tendit la photocopie du manuscrit.

— Ce n’est pas l’original. Vous le verrez en temps utile. Sachez d’ores et déjà que ce document est … disons… très spécial… et qu’il est l’un des éléments d’un triptyque.

Les yeux de Manon s’arrondirent de stupéfaction.

— Grand-père ! Tu ne m’en as jamais rien dit.

— C’est vrai, Manou. Je ne t’en ai jamais parlé parce qu’on m’avait demandé de garder cette découverte secrète.

— Qui c’est ce on ?

— Je ne suis pas autorisé à te le dire. Pas encore. Par contre, je m’apprêtais à t’expliquer les circonstances de cette découverte. Malheureusement, ou plutôt heureusement, l’arrivée de monsieur Montalbach m’a interrompu.

— Et ça ne te pose aucun problème de communiquer sur le sujet avec lui ? Après tout le temps que j’ai consacré à tes recherches ? Et puis, d’abord, c’est quoi ce triptyque ?

— Je l’ignore. Et quand bien même nous le reconstituerions, resterait à le comprendre.

— Ce serait une machine, genre un artefact ?

Hugo se contenta de désigner le fac-similé du document.

— L’original de cette partie de l’artefact, appelons-la comme ça, tu l’as eu en main tout à l’heure. Avec les deux parties manquantes, l’ensemble constitue le Tercodyx.

Guillaume haussa les sourcils. Manon était décomposée.

— Le terme serait d’un savant italien pour désigner un objet légendaire, poursuivit-il. Seul un nombre réduit de grands initiés en a connaissance. Étymologiquement, Tercodyx signifie : troisième code. Du latin ter : troisième et du grec codycos : verrou.

— Tu es l’un de ces initiés ?

— Ça t’aurait bien plu, n’est-ce pas ? Non. Pourtant, je peux te garantir que jamais personne n’a été aussi proche de la vérité que moi.

— Comment peux-tu être sûr que tout ça n’est pas une vaste fumisterie ?

— Je… Nous avons confronté les résultats de nos travaux.

— Ah oui ! Toi et ton ami expert inconnu.

— Ne prends pas ça à la légère. Mon ami est une pointure dans son domaine.

Guillaume n’avait toujours pas dit mot. Il laissait son cerveau amasser et digérer le contenu des échanges auxquels il assistait. Hugo se tourna vers lui.

— C’est précisément là où vous intervenez, monsieur Montalbach. Le professeur de Puygirard estime, sans l’avoir vu, que la découverte du manuscrit constitue une avancée majeure.

Manon ne désarmait pas.

— As-tu une idée de l’endroit où pourraient se trouver les pièces manquantes ? Et d’abord, où caches-tu l’original de celle-ci ?

Hugo lui sourit, énigmatique.

— Pour la première question, c’est ce qu’il me reste à découvrir. Pour le reste, ce sera à notre invité de te démontrer ses talents et je compte bien m’en assurer.

Il se tourna vers son hôte :

— Je me propose, si vous êtes d’accord, de mettre vos compétences à l’épreuve. Demain, revenez ici, furetez là où bon vous semblera. Aucune restriction. Et faites-moi voir de quoi vous êtes capable.

Guillaume sourit à son tour, un éclair dans les yeux. Hugo insista.

— Mettez à jour ne serait-ce qu’une infime parcelle de ce que j’ai mis une vie à faire sortir de l’ombre, j’en serai comblé.

Il ajouta en montra de l’index la photocopie que Guillaume examinait.

— Quel que soit le résultat, demain je vous ferai le récit de ce que ceci a déclenché.

— Le "quel que soit le résultat" est superflu.

— Seriez-vous présomptueux, jeune homme ?

— Le défi est de taille, en effet… pour un amateur. Ce que je ne suis pas. 

Son regard pétillait.

— Alors, il en sera ainsi, Monsieur Montalbach. En attendant, ce cher professeur de Puygirard m’ayant signalé votre amour des vieilles pierres, je pense qu’une petite visite de cette partie de ma demeure vous intéressera.

Manon et Guillaume se levèrent à la suite d’Hugo. Leur mouvement, accompli dans un ensemble parfait, le fit sourire. Manon joua de nouveau les cicérones. Ce rôle paraissait la combler. De retour au salon, elle prit place au côté de Guillaume. Épaule contre épaule, les jeunes gens contemplaient les pièces du dossier. Le vieillard les sortit de leur mutisme.

— Monsieur Montalbach, ma petite-fille et moi-même avons des impératifs envers ce domaine. Le cheptel requiert nos soins.

— Je comprends, Monsieur, je vais vous laisser.

— Grands Dieux, non ! Je ne vous congédie pas.

Hugo s’empara d’une lampe torche sur le linteau de la cheminée.

— La stabulation est aux trois quarts automatisée, c’est l’affaire d’une demi-heure.

Guillaume attendit leur départ pour reprendre son examen.

***

7

Il s’interrogeait cependant sur les raisons réelles de sa présence. Une vingtaine de minutes plus tard, il sortit fumer. De son emplacement, il vit ses hôtes quitter les étables puis se diriger vers l’oratoire. Leurs pas rapides ainsi que leurs regards furtifs ne lui échappèrent pas. Il pensa d’abord à reculer. Se ravisant, il décida d’aller se planter au milieu la cour. Le pas tranquille, cigarette aux lèvres, il se comporta en authentique amateur de logis anciens. Ce qu’il était.

Il se dirigea ensuite vers l’oratoire à la Vierge. Au pied des marches, il examina les deux sculptures qui en gardaient l’accès. « Mercure aux pieds ailés. Toi, tu as des choses à me raconter… et je vais te faire bavarder ! » Il poussa la porte.

Deux choses le frappèrent, l’absence de Manon et de son grand-père et — impossible de louper ça — l’oratoire ne disposait d’aucun vitrail ! Rompu aux évènements les plus inattendus, Guillaume recouvra son sang-froid. Il lui tarda soudain d’être au jour suivant.

***

Ses hôtes le trouvèrent en plein examen du blason gravé sur le linteau de la cheminée.

— J’ignorais que la Commanderie avait appartenu au fondateur de l’Ordre du Temple.

— Ah ! Cela ne t’a pas échappé, s’exclama Manon qui lut à haute voix l’inscription. « Hues II de Paiens delez Troies ». Hugues II de Payns est l’ancêtre de la famille de Pahans. Il a construit ce domaine en 1113, peu avant sa participation à sa seconde Croisade. En 1127, avant son départ définitif pour Jérusalem, il a cédé ses propriétés au nouveau comte de Champagne, Thibaud de Troyes. Sauf Les Mercuriales qui revinrent à son oncle, Philippe de Troyes, évêque de Châlons.

Guillaume revint au dossier posé sur la table.

— J’aurai certainement deux ou trois choses à vous indiquer.

— Cela t’a déjà parlé ?

— Ça et autre chose. Mais, il est un peu tard…

Hugo lui proposa de dîner avec eux.

— J’apprécie, mais je suis engagé ailleurs. Le Clos du Temple.

Une lueur glacée traversa le regard de la petite-fille de Pahans.

— J’allais oublier…

Il lui tendit une petite boîte.

— De la part du professeur de Puygirard.

— Ma médaille ! Il l’a cassée lors de notre rencontre. Il a tellement insisté pour prendre la réparation à sa charge.

***

Au restaurant, le personnel s’activait. Aucune trace de Christine. À son entrée, un serveur glissa un mot au chef de rang, lequel répercuta l’information au maître d’hôtel. Ce dernier l’accompagna au salon privé. François de Rivalmonte l’y attendait.

— Entrez, mon cher Guillaume. Alors, satisfait de votre rencontre avec la famille de Pahans ?

— Je suis resté sur ma faim.

— Racontez-moi.

— Ils m’ont fait faire le tour du propriétaire, nous avons évoqué l’histoire de la Commanderie, puis celle de Hugues de Payns et les Croisades, mais pas de quoi sauter au plafond.

— Une indication sur les recherches tout de même ?

— La photocopie d’un curieux document.

— Le manuscrit…

— Vous êtes au courant ?

— Ne soyez pas étonné, ma position au sein de l’Ordre me donne accès à certaines informations. Hugo prétend avoir en main une partie du sésame qui lui révélera le secret des Templiers. Notre hiérarchie s’en est émue.

— Donc, si cette découverte est avérée, l’idée serait de l’accompagner au bout de l’enquête… tout en veillant à le diriger, au final, vers une impasse…

— Vous connaissez notre politique : laisser faire, laisser dire, laisser rêver. Tant que l’Ordre conserve son aura mystérieuse, le commun des mortels a le droit de fantasmer. Les affaires du monde se gèrent ailleurs.

Guillaume considéra son vis-à-vis. « Mince ! Qu’est-ce qu’il essaye de me dire ? »

— Selon ce que vous observerez, votre action pourrait s’exercer en deux phases. En premier lieu, vous devrez vous assurer de ce qu’Hugo de Pahans aura réellement découvert… ou pas. Ensuite, nos supérieurs évalueront la dangerosité de la situation. S’il n’y a pas lieu de s’alarmer, on en reste là. Dans le cas contraire…

— Dans le cas contraire ?

— Déclenchement de la phase numéro deux.

— En clair ?

— Mise en place du leurre… vous. Mission : dévier l’homme de cette voie… hum… sensible… vers une fausse piste.

— En quoi consiste la manœuvre ?

— Le modus operandi{2} n’est révélé qu’en cas de recours à la phase numéro deux. Ainsi, la procédure pourra être gardée en réserve pour une action ultérieure.

— Hier vous avez mentionné votre implication dans cette histoire… pas votre meilleur souvenir, disiez-vous…

François de Rivalmonte tendit à son invité un coffret à cigares.