Les maisons hantées - Camille Flammarion - E-Book

Les maisons hantées E-Book

Camille Flammarion

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Beschreibung

Cet ouvrage, qui n'était pas prévu lors de la rédaction de la trilogie La mort et son mystère, s'est révélé indispensable en tant que quatrième tome de la trilogie, dont il constitue la suite. Dans une conclusion surprenante, l'auteur arrive à attribuer les phénomènes "surnaturels" liés aux lieux, aux humains, morts ou vivants. Apparemment il reste encore beaucoup de lois naturelles à découvrir...

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Fait par Mon Autre Librairie

À partir de l’édition E. Flammarion, Paris, 1923

(Les notes entre crochets ont été ajoutées pour cette présente édition.)

__________

© 2020, Mon Autre Librairie

Édition : BoD – Books on Demand

12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand, Norderstedt, Allemagne

ISBN : 978-2-491445-17-1

Dépôt légal : février 2020

Les maisons hantées

Camille Flammarion

🙚🙘

En marge de

La mort et son mystère

Table des matières

Prologue

Spiritualisme et matérialisme

I – Les preuves expérimentales de la survivance

Réponse préliminaire à certaines critiques. – La constatation des faits. – Aveugles et négateurs de parti pris. – Laplace et le calcul des probabilités. – Choix d’observations précises.

II – Les maisons hantées – Premier aperçu du sujet

Il y a du vrai et du faux. Réalités constatées. Observations anciennes et contemporaines. Reconnaissance juridique des maisons hantées. Baux résiliés. Certitude des phénomènes de hantise.

III – Phénomènes étranges observés dans un château du Calvados

IV – La maison hantée de laConstantinie (Corrèze)

V – Une habitation troublée enAuvergne. Un incident psychique à l’évêché de Monaco. Phénomènesphysiques correspondant à des décès. Le mort et les horloges.

VI – Le presbytère aux bruitsmystérieux. La maison de l’instituteur. Un compagnon invisible.

VII – La villa fantastique de Comeada-Coïmbre (Portugal)

VIII – Observations faites à Cherbourg. Qu’est-ce que l’ambiance desdemeures ?

Le Docteur Nichols et la chambre fatale. Le plafond maléfique d’Oxford. L’obsession de Cambridge. La mosquée de Pierre Loti à Rochefort.

IX – Excursion générale parmi lesmaisons hantées.

X – Classement des phénomènes.Hantises associées à des trépassés.

XI – Phénomènes de hantise sansindications d’actes de trépassés.

Esprits tapageurs. Poltergeist.XII – Les fausses maisons hantées.

XIII – Recherche des causes.

Origine et mode de production des phénomènes de hantise. Le cinquième élément.

Épilogue

L’inconnu d’hier est la vérité de demain. Le progrès entouré d’obstacles. Rapport de Lavoisier à l’Académie des Sciences sur les aérolithes.

Notes

Avertissement

À la fin du troisième volume de ma trilogie métapsychique La mort et son mystère, j’ai annoncé que l’abondance des documents à présenter dans ces volumes m’a obligé à en éliminer un certain nombre de fort importants et à les réserver pour des publications ultérieures, notamment les phénomènes des maisons hantées, les apparitions de défunts aux lits des mourants, les fantômes sûrement vus, les apparitions et manifestations posthumes historiques, etc. Je tiens aujourd’hui une partie de cette promesse, celle qui concerne les Maisons hantées, sujet qui est, en lui-même, beaucoup plus complexe et plus rigoureusement observé qu’on se l’imagine. J’ai eu toutes les peines du monde à condenser ces faits importants en un seul livre, et je les soumets avec confiance à l’attention scientifique et philosophique des lecteurs.

Observatoire Flammarion, Juvisy, 1923.

Prologue

Spiritualisme et matérialisme

Réponse à Camille Saint-Saëns, par Camille Flammarion

(Article publié en tête de la Nouvelle Revue du 15 décembre 1900).

Le désaccord entre les psychistes et les anti-psychistes se continuant, malgré le progrès des observations les plus significatives, il me semble que ces pages déjà anciennes peuvent être placées ici en prologue de ce livre, car elles mettent exactement en parallèle les arguments des deux camps opposés. Mon ami Camille Saint-Saëns venait de publier une étude en faveur des facultés cérébrales, contre la théorie de l’âme personnelle. Si l’on compare les termes de cet article avec les lettres publiées dans La mort et son mystère (tomes II et III), on verra que nous ne nous tutoyions pas encore au XIXe siècle. Malgré nos différences d’appréciations, nous avons continué à nous lier de plus en plus jusqu’à sa mort, arrivée le 16 décembre 1921. Les hommes qui cherchent la Vérité en toute indépendance d’esprit peuvent, tout en différant d’opinions, s’estimer et s’aimer. Ils ne connaissent pas l’intolérance. Oui, cet article de la dernière année du siècle dernier a sa place ici comme prologue. Le voici :

Mon cher ami,

Votre savant et charmant article de la Nouvelle Revue vient de passer sous mes yeux, – un peu tardivement, mais, comme vous le savez, j’habite plus souvent le ciel que la terre, – et je l’ai lu comme on écoute une de ces puissantes symphonies dont vous avez le secret, dans lesquelles la science rivalise avec l’art pour produire sur nos esprits le maximum de l’effet. Vous semblez, dans cet article, effleurer le sujet. En réalité, vous nous en laissez entrevoir toutes les profondeurs.

Vous avez absolument raison de dire que les mots spiritualisme et matérialisme ne sont vraiment plus aujourd’hui que des mots, puisque l’essence des choses nous reste inconnue et que les récentes découvertes de la science font reposer le monde visible sur un monde invisible qui en est, en quelque sorte, le substratum. Je vous remercie d’avoir signalé ma modeste excursion dans ce domaine de « l’Inconnu », mais je viens vous demander la permission de répondre à votre interprétation. Vous paraissez craindre que l’étymologie du mot psychique ait exercé une influence sur ma pensée. Les faits exposés dans mon livre ne conduisent pas, selon vous, à admettre l’existence de l’âme. Ces faits, que d’ailleurs vous acceptez avec raison comme authentiques, établiraient seulement ceci : « La force inconnue quiproduit la pensée aurait le pouvoir de se projeter en dehors des limites du corps, un cerveau pourrait agir à distance sur d’autres cerveaux ; il ne s’ensuivrait pas que cette force soit de nature spirituelle indépendante du cerveau. »

Voilà l’argumentation que je voudrais examiner et disséquer.

Prenons un fait, si vous le voulez bien, et analysons-le. Une jeune femme m’a apporté, dans mon cabinet, à Paris, la relation suivante, dans laquelle je supprime les noms :

Le jour de notre première entrevue, j’avais vingt ans, lui en avait trente-deux : nos relations durèrent pendant sept ans. Nous nous aimions tendrement.

Un jour, mon ami m’annonça, non sans chagrin, que sa situation, sa pauvreté, etc., etc., le forçaient au mariage, et dans ses explications embarrassées je sentais un vague désir que nos relations n’en fussent pas trop interrompues.

Je coupai court à ce pénible entretien et, malgré mon immense chagrin, je ne revis plus mon ami, ne voulant pas, dans mon amour unique et absolu, partager avec une autre et de bonne grâce cet homme que j’aimais tant.

J’appris plus tard, indirectement, qu’il était marié et père d’un enfant.

Quelques années après ce mariage, une nuit d’avril 1893, je vis entrer dans ma chambre une forme humaine : cette forme, de haute taille, était enveloppée d’un voile blanc qui lui cachait presque toute la figure. Je la vis avec terreur s’avancer, se pencher sur moi, puis je sentis des lèvres se coller aux miennes ; mais quelles lèvres ! Je n’oublierai jamais l’impression qu’elles me produisirent ; je ne sentis ni pression, ni mouvement, ni chaleur, rien que du froid, le froid d’une bouche morte !

Cependant j’éprouvai une détente, un grand bien-être pendant ce long baiser, mais à aucun moment de ce rêve, ni le nom, ni l’image de l’ami perdu ne se présentèrent à mon esprit. Au réveil, je ne pensai plus ou peu à ce rêve, jusqu’au moment où, vers midi, parcourant le journal de..., je lus ce qui suit :

« On nous écrit de X... qu’hier ont eu lieu les obsèques de M. Y... » (ici les qualités du défunt) ; puis l’article se terminait en attribuant cette mort à une fièvre typhoïde causée par le surmenage de fonctions remplies avec conscience. « Cher ami, pensai-je, débarrassé des conventions mondaines, tu es venu me dire que c’est moi que tu aimais et que tu aimes encore par delà la mort ; je te remercie et je t’aime toujours. »

Mlle Z.

Voilà le fait tel qu’il s’est produit : l’ancienne et commode hypothèse d’une hallucination simple ne nous satisfait plus aujourd’hui. Ce qu’il s’agit d’expliquer, c’est la coïncidence de la mort avec cette apparition. Les manifestations de ce genre sont si nombreuses que les coïncidences ne peuvent plus être considérées comme fortuites, et qu’elles indiquent une relation de cause à effet. Vous et moi, libres de tous préjugés, nous admettons que Mlle Z. a vu et senti la présence de son ami à ce moment critique de son départ de ce monde. Des centaines d’exemples du même ordre sont là. Mais nous différons dans l’interprétation : vous ne voyez là qu’un acte cérébral du mourant. Moi, j’y vois un acte psychique.

(Je me suis demandé si, par hasard, la narratrice n’aurait pas parcouru le journal la veille du rêve, sans y prendre garde, et si l’association des idées n’aurait pas pris corps dans son rêve, mais elle m’a affirmé que c’est le lendemain seulementqu’elle a lu le journal. Cette hypothèse doit donc être écartée. Il y a bien eu là communication entre les deux êtres.)

Sans doute, il est toujours difficile de faire la part de ce qui appartient à l’esprit, à l’âme, et de ce qui appartient au cerveau, et nous nous laissons naturellement guider dans nos appréciations et dans nos jugements par le sentiment intime qui résulte en nous de la discussion des phénomènes. Or, n’est-ce pas essentiellement ici une manifestation de l’esprit ? Deux hypothèses se présentent. Ou bien, comme la description l’indique, l’ami était déjà mort lorsqu’il a agi, ou bien il était encore vivant, et, au moment de mourir, cet homme apensé à cette femme, à cette amie des jours ensoleillés, a eu pour elle un regret, un remords peut-être, et, qui sait, peut-être aussi une espérance en l’au-delà, et cette communication télépathique n’a pas été ressentie immédiatement pendant les agitations diurnes et a été retardée jusqu’aux heures de sommeil et de tranquillité. Ce n’est pas, bien entendu, un fantôme quelconque qui s’est transporté d’une ville à une autre ; c’est une transmission mentale dont les ondes de la télégraphie sans fil nous offrent une image physique. La distance était de 100 kilomètres ; on sait que cette distance ne compte pas.

Cette communication de pensée a pris la forme décrite par la narratrice. Telle est l’impression que nous donne l’examen de tous ces faits, et elle est de plus en plus démonstrative à mesure que nous avançons dans l’étude de ces phénomènes. Voyons, par exemple, un second cas.

Étudiant à l’Université de Kiev, déjà marié, j’étais allé passer l’été à la campagne chez ma sœur, habitant une terre non loin de Pskow. En revenant par Moscou, ma femme adorée tomba subitement malade de l’influenza, et, malgré son extrême jeunesse, fut rapidement brisée. Une paralysie du cœur l’emporta subitement, comme un coup de foudre.

Je n’essayerai pas de vous dépeindre ma douleur et mon désespoir. Mais voici ce que je crois devoir signaler à votre compétence, le problème dont je désire ardemment connaître la solution.

Mon père habitait Pultava ; il ignorait la maladie de sa charmante belle-fille, et la savait avec moi à Moscou. Quelle ne fut pas sa surprise de la voir à côté de lui, comme il sortait de sa maison, l’accompagnant pendant un instant ! Elle disparut aussitôt. Saisi d’effroi et d’angoisse, il nous adressa à l’heure même un télégramme pour s’informer de la santé de ma chère compagne. C’était le jour de sa mort...

Je vous serais reconnaissant pour toute ma vie de m’expliquer ce fait extraordinaire.

Wenecian Bililowsky,

Studiosius medicinæ, Nikolskaja, 21, à Kiev

Ici, également, l’observation a eu lieu après la mort.

Dans cet exemple encore, n’avons-nous pas l’impression d’une origine non matérielle du phénomène, d’une cause morale, mentale, indiquant non seulement l’existence de facultés inconnues dans l’être humain, mais encore l’existence d’un être intellectuel agissant ? Je ne puis pas voir l’œuvre de l’anatomie, de la physiologie animale ou de la chimie organique dans ce genre de faits.

Examinons encore un autre exemple, différent aussi des deux précédents, quoique appartenant comme eux à la télépathie. Écoutons le récit de l’observateur :

Dans les premiers jours de novembre 1869, je partis de Perpignan, ma ville natale, pour aller continuer mes études de pharmacie à Montpellier. Ma famille se composait de ma mère et de mes quatre sœurs. Je la laissai très heureuse et en parfaite santé.

Le 22 du même mois, ma sœur Hélène, une superbe fille de dix-huit ans, la plus jeune et la préférée, réunissait à la maison maternelle quelques-unes de ses jeunes amies. Vers trois heures de l’après-dîner elles se dirigèrent, en compagnie de ma mère, vers la promenade des Platanes. Le temps était très beau. Au bout d’une demi-heure, ma sœur fut prise d’un malaise subit : « Mère, dit-elle, je sens un frisson étrange courir par tout mon corps ; j’ai froid, et ma gorge me fait grand mal. Rentrons. »

La nuit suivante, à cinq heures du matin,1 ma bien-aimée sœur expirait dans les bras de ma mère, asphyxiée, terrassée par une angine couenneuse que deux docteurs furent impuissants à dompter.

Ma famille, – j’étais le seul homme pour la représenter aux obsèques, – m’envoya télégramme sur télégramme à Montpellier. Par une terrible fatalité, que je déplore encore aujourd’hui, aucun ne me fut remis à temps.

Or, dans la nuit du 23 au 24, je fus en proie à une épouvantable hallucination.

J’étais rentré chez moi à 2 heures du matin, l’esprit libre et encore tout plein du bonheur que j’avais éprouvé dans les journées des 22 et 23, consacrées à une partie de plaisir. Je me mis au lit très gai. Cinq minutes après, j’étais endormi.

Sur les 4 heures du matin, je vis apparaître devant moi la figure de ma sœur, pâle, sanglante, inanimée,et un cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fais-tu, mon Louis? Mais viens donc, mais viens donc ! »

Dans mon sommeil nerveux et agité, je pris unevoiture ; mais, hélas ! malgré des efforts surhumains, je ne pouvais pas la faire avancer.

Et je voyais toujours ma sœur pâle, sanglante, inanimée, et le même cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fais-tu, mon Louis ?mais viens donc, mais viens donc ! »

Je me réveillai brusquement, la face congestionnée, la tête en feu, la gorge sèche, la respiration courte et saccadée, tandis que mon corps ruisselait de sueur.

Je bondis hors de mon lit, cherchant à me ressaisir... Une heure après, je me recouchai ; mais je ne pus retrouver le repos.

À Il heures du matin j’arrivai àla pension, en proie à une insurmontable tristesse. Questionné par mes camarades, je leur racontai le fait brutal tel que je l’avais ressenti. Il me valut certaines railleries. À 2 heures je me rendis à la Faculté, espérant trouver dans l’étude quelque repos.

En sortant du cours, à 4 heures, je vis une femme en grand deuil s’avancer vers moi. Elle souleva son voile. Je reconnus ma sœur aînée qui, inquiète sur moi, venait, malgré son extrême douleur, demander ce que j’étais devenu.

Elle me fit part du fatal événement que rien ne pouvait me faire prévoir, puisque j’avais reçu des nouvelles excellentes de ma famille le 22 novembre au matin.

Je vous livre, sur l’honneur, ce récit absolument vrai. Je n’exprime aucune opinion, je me borne à raconter.

Vingt ans se sont écoulés depuis lors, l’impression est toujours aussi profonde, – maintenant surtout, – et si les traits de mon Hélène ne m’apparaissent pas avec la même netteté, j’entends toujours ce même appel plaintif, multiplié, désespéré : « Que fais-tu donc, mon Louis ? Mais viens donc, mais viens donc ! »

Louis Noell,

Pharmacien, à Cette.

Telle est la narration du phénomène psychique.Si vous ne sentez pas, mon cher ami, que le corps de la morte, vingt-trois heures après le décès, n’est pas la cause de cette impression ; qu’il y a là autre chose que l’organisme matériel ; que, soit que l’esprit de M. Noell se soit transporté pendant le sommeil vers sa sœur morte, soit que l’action télépathique ait eu celle-ci comme point d’émanation, nous sommes en présence d’une action appartenant au domaine de l’âme et non à celui du corps, et nous portant à penser que l’âme existe personnellement et n’est pas un effet, une fonction, une sécrétion du cerveau ; non, si vous ne le sentez pas, vous, l’artiste et le penseur que je connais, c’est que vous ne vous êtes pas donné le temps de peser le problème.

Que voulez-vous que le cerveau de cette jeune fille ait fait après sa mort ? Toute hypothèse « matérielle » est invraisemblable. On peut supposer qu’elle a appelé son frère avant de mourir, et que la réception de cet appel est restée latente dans l’esprit de son frère jusqu’à ce qu’une heure de tranquillité ait permis à son cerveau de la percevoir. On peut supposer aussi que l’appel a été fait après la mort. Tout est à étudier.

Le plus simple serait de nier, je veux dire de déclarer que le jeune étudiant a eu là tout simplement un cauchemar, et que par hasard ce cauchemar a coïncidé avec la mort de sa sœur. Oui, c’est là le plus simple. Mais cette solution vous satisfait-elle ? Vous satisfait-elle surtout lorsque vous avez sous les yeux des centaines de relations du même ordre ? Vous satisfait-elle aussi dans les cas où le narrateur a vu, ce qui s’appelle vu, à distance, tous lesdétails d’une mort, d’un suicide, d’un accident, d’un incendie ? Non. Vous avez l’esprit trop scientifique et d’une exigence trop rationnelle pour pouvoir être satisfait de cette vieille hypothèse du hasard, et vous savez que le calcul des probabilités nous prouve qu’elle est inacceptable.

Alors quoi ?

Alors autre chose : le problème psychique est ouvert, avouons-le sans réticence.

Je ne me charge pas de l’expliquer. La science n’en est pas encore là. Admettre et expliquer sont deux. Nous sommes forcés d’admettre les faits, lors même que nous ne les expliquons pas. Un homme passe au coin d’une rue et reçoit un pot de fleurs sur la tête : il est bien forcé de l’enregistrer sans pour cela deviner immédiatement d’où il vient et comment la verticale et l’horizontale se sont rencontrées juste à point sur sa tête.

Non, vraiment, ce que nous appelons la matière et ses propriétés ne suffit pas pour expliquer ces faits, et voilà pourquoi ils sont d’un autre ordre, d’un ordre qui a tous les droits à être qualifié de « psychique » et qui conduit à admettre l’existence d’âmes, d’esprits, d’êtres intellectuels, spirituels, qui ne sont pas de simples fonctions cérébrales. La transmission mentale, la vue à distance sans l’aide des yeux et la vue des choses à venir ne donnent-elles pas les mêmes témoignages ?

La transmission mentale n’est pas douteuse, notamment entre un magnétiseur et son sujet. Je pourrais vous en rappeler mille exemples. En voici un, peu sentimental, assurément, mais bien caractéristique, cité par le Dr Bertrand, l’un desexpérimentateurs les plus compétents dans la question.

Un magnétiseur fort imbu d’idées mystiques avait un somnambule qui, pendant son sommeil, ne voyait que des anges et des esprits de toute espèce : ces visions servaient à confirmer de plus en plus le magnétiseur dans sa croyance religieuse. Comme il citait toujours les rêves de son somnambule à l’appui de son système, un autre magnétiseur de sa connaissance se chargea de le détromper en lui montrant que son somnambule n’avait les visions qu’il rapportait que parce que le type en existait dans sa propre tête. Il proposa, pour prouver ce qu’il avançait, de faire voir au même somnambule la réunion des anges du paradis à table et mangeant un dindon.

Il endormit donc le somnambule, et au bout de quelque temps lui demanda s’il ne voyait rien d’extraordinaire. Celui-ci répondit qu’il apercevait une grande réunion d’anges. « Et que font-ils ? dit le magnétiseur. – Ils sont autour d’une table et ils mangent. » Il ne put indiquer cependant quel était le mets qu’ils avaient devant eux.

C’est là un exemple de suggestion mentale comme vous en connaissez beaucoup vous-même. La volonté du magnétiseur agit, sans la parole, sur le sujet. Sans doute, nous pouvons dire ici que c’est l’action d’un cerveau sur un autre, mais ne semble-t-il pas que le cerveau n’est qu’un instrument de la volonté ? Je ne féliciterais pas plus le cerveau de penser que je ne féliciterais une lunette de bien voir Saturne. Ne semble-t-il pas que le cerveau est l’organe de la pensée, comme l’œil est l’organe de la vision ?

Et la vue à distance, en rêve ? Ne nous met-elle pas en présence d’un être spirituel doué de facultés spéciales ? Un marin, par exemple, m’écrit de Brest :

De 1870 à 1874, j’avais un frère employé à l’arsenal de Fou-Tchéou en Chine, comme monteur mécanicien. Un de ses amis, mécanicien et compatriote de la même ville (Brest), également à l’arsenal de Fou-Tchéou, vint un matin voir mon frère à son logement et lui raconta ce qui suit : « Mon cher ami, je suis navré, j’ai rêvé cette nuit que mon jeune enfant était « mort du croup, sur un édredon rouge. » Mon frère se moqua de sa crédulité, parla de cauchemar, et pour dissiper cette impression invita son ami à déjeuner. Mais rien ne put distraire celui-ci : pour lui, son enfant était mort.

La première lettre qu’il reçut de France après ce récit, et qui était de sa femme, lui annonçait la mort de leur enfant, mort du croup, dans de grandes souffrances, et, coïncidence bizarre, sur un édredon rouge, la nuit même du rêve.

À la réception de cette lettre, il vint tout en larmes la montrer à mon frère, duquel je tiens ce récit.

Ces sortes de faits, très nombreux également, n’indiquent-ils pas dans l’homme autre chose que le corps ?Que pensez-vous aussi de la vision suivante ?

Mon père avait un ami d’enfance, le général Charpentier de Cossigny, qui m’avait toujours témoigné beaucoup d’affection. Comme il était atteint d’une maladie nerveuse qui rendait son humeur assez bizarre, nous ne nous étonnions jamais qu’il nous fît, quelquefois, trois ou quatre visites coup sur coup, puis qu’il restât des mois sans se montrer. En novembre 1892 (il y avait près de trois mois que nous ne l’avions pas vu), comme je souffrais d’une forte migraine, j’étais allé me coucher de bonne heure. Je commençais à m’endormir quand j’entendis mon nom, prononcé d’abord à voix basse, puis un peu plus haut. Je prêtai l’oreille, pensant que c’était mon père qui m’appelait, mais je l’entendis dormir dans la pièce voisine et son souffle était très égal, comme celui de quelqu’un endormi depuis longtemps. Je m’assoupis de nouveau et j’eus un rêve. Je vis l’escalier de la maison que le général habitait (7, cité Vaneau). Il m’apparut lui-même accoudé à la rampe du palier du premier étage ; puis il descendit, vint à moi et m’embrassa au front. Ses lèvres étaient si froides que le contact me réveilla. Je vis alors distinctement, au milieu de ma chambre, éclairée par le reflet du gaz de la rue, la silhouette haute et fine du général qui s’éloignait. Je ne dormais pas, puisque j’entendis Il heures sonner au lycée Henri IV et que je comptai les coups. Je ne pus me rendormir, et l’impression froide des lèvres de notre vieil ami me resta au front toute la nuit. Au matin, ma première parole à ma mère fut : « Nous aurons des nouvelles du général de Cossigny, je l’ai vu cette nuit. »

Quelques instants après, mon père trouvait dans son journal la nouvelle de la mort de son vieux camarade, arrivée la veille au soir, à la suite d’une chute dans l’escalier. Aucun de nous n’avait vu ce journal.

Jean Dreuilhe,

36, rue des Boulangers, Paris.

Comme dans le cas précédent, et comme dans tous les autres analogues, il est difficile de ne pas admettre que l’esprit voit à distance. Ce n’est ni l’œil, ni la rétine, ni le nerf optique, ni le cerveau.

Vous avez dû remarquer aussi le cas du maréchal Serrano, cité par sa femme.

Depuis douze longs mois, une maladie bien grave, hélas ! puisqu’elle devait l’emporter, minait la vie de mon mari. Sentant que sa fin approchait, son neveu, le général Lopez Dominguez, se rendit auprès du président du conseil des ministres, M. Canovas, pour obtenir qu’à son décès Serrano fût enterré, comme les autres maréchaux, dans une église.

Le roi, alors au Prado, repoussa la demande du général Lopez Dominguez. Il ajouta pourtant qu’il prolongerait son séjour dans le domaine royal afin que sa présence à Madrid n’empêchât pas que l’on pût rendre au maréchal les honneurs militaires dus au rang et à la situation qu’il occupait dans l’armée.

Les souffrances du maréchal augmentaient chaque jour ; il ne pouvait plus se coucher et restait constamment dans un fauteuil. Un matin, à l’aube, mon mari, qu’un état de complet anéantissement, causé par l’usage de la morphine, paralysait entièrement, et qui ne pouvait faire un seul mouvement sans l’appui de plusieurs aides, se leva tout à coup seul, droit et ferme, et d’une voix plus sonore qu’il ne l’avait jamais eue de sa vie, il cria dans le grand silence de la nuit :

« Vite qu’un officier d’ordonnance monte à cheval et coure au Prado : le roi est mort ! »

Il retomba épuisé dans son fauteuil. Nous crûmes tous au délire, et nous nous empressâmes de lui donner un calmant. Il s’assoupit, mais quelques minutes après, de nouveau, il se leva. D’une voix affaiblie, presque sépulcrale, il dit :

« Mon uniforme, mon épée : le roi est mort ! »

Ce fut sa dernière lueur de vie. Après avoir reçu, avec les derniers sacrements, la bénédiction du pape, il expira. Alphonse XII mourut sans ces consolations.

Cette soudaine vision de la mort du roi par un mourant était vraie. Le lendemain, tout Madrid apprit avec stupeur la mort du roi, qui se trouvait presque seul au Prado.

Le corps royal fut transporté à Madrid. Par ce fait, Serrano ne put recevoir l’hommage qui avait été promis. On sait que lorsque le roi est au palais de Madrid, les honneurs sont seulement pour lui, même s’il est mort, tant que son corps s’y trouve.

Est-ce le roi lui-même qui apparut à mon mari ? Comment apprit-il la nouvelle ?

Voilà un sujet de méditation.

Comtesse de Serrano, Duchesse de la Torre.

Ainsi voilà un moribond, doublement anéanti par l’usage de la morphine, qui signale une mort imprévue et inconnue de tout le monde. Là aussi, comment se défendre de la conclusion que son âme, son esprit, a perçu, d’une manière quelconque, l’événement arrivé ?

La vue à distance, notamment en somnambulisme et en rêve, est démontrée par un nombre si considérable d’observations qu’elle est incontestable. Je n’y puis voir un appui en faveur des hypothèses dites matérialistes ; j’y vois au contraire autant d’arguments en faveur d’un être psychique doué de facultés spéciales.

Mais que direz-vous des rêves prémonitoires et de la vue précise, par l’esprit, d’événements qui ne sont pas encore arrivés ? C’est par là qu’il me semble fort opportun de couronner cette réponse.

Lisez, par exemple, ce rêve, d’ailleurs banal, et qui n’a rien de préparé pour les théories philosophiques transcendantes.

J’allais au collège comme externe et, dans mon rêve, je me vis traversant la place de la République, à Paris, une serviette sous le bras, quand exactement en face des magasins du Pauvre-Jacques, un chien passa, poursuivi par une bande de gamins qui le maltraitaient. J’en vis exactement le nombre, huit. Les employés commençaient à faire leur éventaire, une marchande des quatre saisons passait avec sa voiture pleine de fruits et de fleurs.

Le lendemain matin, me rendant au collège, je vis dans le même cadre, à la même place, la scène que j’avais vue en rêve. Rien n’y manquait, le chien courait dans le ruisseau, les huit gamins le poursuivaient, la marchande des quatre saisons remontait avec sa voiture, gagnant le boulevard Voltaire, et les employés du Pauvre-Jacques disposaient leurs tissus à la porte de leur magasin.

D. Hannais, 10, avenue Lagache, à Villemonble (Seine).

Si le cerveau, organe physique, est capable, avec toutes les sécrétions imaginables, de voir ainsi tous les détails d’un fait qui n’est pas encore arrivé, il faut, je crois, supprimer à l’Institut l’Académie des sciences morales et la remplacer par l’Académie de médecine, ou, plus simplement encore, par une clinique quelconque.

Voir l’avenir ! Ne sommes-nous pas ici en plein psychisme ? Remarquez bien que ces rêves prémonitoires ne sont pas très rares non plus. J’en ai cité un certain nombre ; j’en connais beaucoup d’autres. Vous souvenez-vous de celui-ci, qui m’a été conté par le père de la charmante pensionnaire du second Théâtre Français ?

En 1869, au moment du plébiscite, j’ai eu un rêve, pour mieux dire un cauchemar terrible.

Dans ce cauchemar, je me voyais soldat, nous avions la guerre, j’éprouvais toutes les exigences de la vie militaire : la marche, la faim, la soif ; j’entendais les commandements, la fusillade, le bruit du canon ; je voyais tomber des morts et des blessés à mes côtés, entendant leurs cris.

Tout à coup je me trouvai dans un pays, dans un village, où nous dûmes soutenir une attaque terrible de l’ennemi, et c’étaient des Prussiens, des Bavarois et des cavaliers (dragons badois) – notez bien que jamais je n’avais vu de ces uniformes, qu’il n’était nullement question de guerre. – À un certain moment, je vis un de nos officiers monter dans le clocher, muni d’une jumelle, pour se rendre compte des mouvements de l’ennemi, puis redescendre, faire sonner la charge et nous lancer en ayant au pas de course, à la baïonnette, sur une batterie prussienne.

À ce moment de mon rêve, étant aux prises corps à corps avec les artilleurs de cette batterie, je vis l’un d’eux me porter un coup de sabre sur la tête, tellement formidable qu’il me la sépara en deux. C’est alors que je m’éveillai, sur ma descente de lit : je ressentais une forte douleur à la tête. En tombant de mon lit, je m’étais heurté la tête sur un petit poêle.

Le 6 octobre 1870, ce rêve a été réalisé : village, école, mairie, église, notre commandant montant au clocher pour se rendre compte des positions de l’ennemi, redescendant et, au son de la charge, nous jetant à la baïonnette sur les pièces prussiennes. Dans mon rêve, à ce même moment, j’avais eu la tête fendue d’un coup de sabre ! Ici, dans la réalité, je l’attendais ; mais je n’ai reçu qu’un coup d’écouvillon (peut-être destiné à la tête), qui, par suite d’une parade, vint me frapper à la cuisse droite.

Régnier,ancien sergent-major de la compagnie des francs-tireurs, de Neuilly-sur-Seine,23, rue Jeanne-Hachette, au Havre.

Nous pourrions supposer, avec Alfred Maury, que le choc a donné naissance au rêve ; mais cette hypothèse n’a rien à faire avec la prémonition.

On objecte parfois que ces sortes de rêves ont été modifiés, arrangés après coup, très sincèrement d’ailleurs, dans l’imagination des narrateurs. Sans doute, il n’est pas impossible que des modifications diverses se produisent dans la mémoire ; mais l’objection tombe d’elle-même devant l’impression de l’observateur, puisque c’est précisément cette impression du déjà vu qui l’a frappé. Et puis, il en est de si simples que nulle modification n’est possible, par exemple celui-ci :

Je rêvai que faisant une course à bicyclette, un chien venait se jeter au travers de la route et que je tombais à terre, brisant la pédale de ma machine.

Le matin, je racontai la chose à ma mère, qui, sachant combien d’habitude mes rêves sont exacts, m’engagea à rester à la maison. Je résolus, en effet, de ne pas sortir, mais, vers Il heures, au moment de nous mettre à table, le facteur apporta une lettre nous informant que ma sœur, qui demeurait à environ 8 kilomètres, était malade. Oubliant tout à coup mon rêve, pour ne songer qu’à prendre des nouvelles de ma sœur, je déjeunai au galop et partis à bicyclette. Mon voyage s’accomplit sans encombre jusqu’à l’endroit où je m’étais vu, la nuit précédente, roulant dans la poussière et brisant ma machine. À peine mon rêve avait-il traversé mon esprit qu’un énorme chien déboucha tout à coup d’une ferme voisine, cherchant à me mordre la jambe. Sans réfléchir, je voulus lui envoyer un coup de pied, mais au même moment, je perdis l’équilibre et tombai sur ma machine, dont je brisai la pédale, réalisant ainsi mon rêve dans ses moindres détails. Or, remarquez, je vous prie, que c’était bien la centième fois pour le moins que je faisais ce trajet, sans que jamais j’eusse eu à déplorer le moindre accident.

Amédée Basset, notaire à Vitrac (Charente).

Et celui-ci :

En 1868, j’avais alors dix-sept ans, j’étais employé chez un oncle établi épicier, 32, rue Saint-Roch. Un matin, encore sous l’impression d’un rêve, il me raconta que dans ce rêve il était sur le pas de sa porte lorsque, ses regards se portant dans la direction de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il en voit déboucher un omnibus de ville de la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui s’arrête devant la porte de son magasin. Sa mère en descend, et l’omnibus continue sa route, emportant une autre dame qui était dans la voiture avec ma grand-mère, laquelle dame, vêtue de noir, tenait un panier sur ses genoux.

Tous les deux, nous nous amusions de ce rêve si peu en rapport avec la réalité, car jamais ma grand-mère ne s’était aventurée à venir seule de la gare du Nord à la rue Saint-Roch. Habitant près de Beauvais, lorsqu’elle voulait venir passer quelque temps chez ses enfants, à Paris, elle écrivait de préférence à mon oncle, et il allait la chercher à la gare, d’où il la ramenait en fiacre, invariablement.

Or, ce jour-là, dans l’après-midi, comme mon oncle regardait les passants sur le pas de sa porte, ses yeux se portant machinalement vers le coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il voit tourner un omnibus du Chemin de fer du Nord qui vient s’arrêter devant son magasin.

Dans cet omnibus il y avait deux dames, dont l’une était ma grand’mère qui en descend, et la voiture continue sa route emportant l’autre dame telle qu’il l’avait vue en rêve, c’est-à-dire vêtue de noir et tenant son panier sur ses genoux.

Jugez de la stupéfaction générale ! Ma grand’mère, croyant nous faire une surprise, et mon oncle lui racontant son rêve !

Paul Leroux, Le Neubourg (Eure).

Je m’arrête dans ces témoignages, puisque, d’ailleurs, désormais, il n’y a plus qu’à se baisser pour en cueillir autant qu’on en veut. Les sciences les plus précises, les plus positives, ne sont établies que sur des appréciations de notre raisonnement, et l’astronomie elle-même, cette reine des sciences, a pour base la théorie de la gravitation, dont Newton, son fondateur, disait simplement : « Les choses se passent comme si les corps célestes s’attiraient en raison directe des masses et en raison inverse du carré des distances. » Eh bien, devant les phénomènes de la télépathie, devant lesexemples de vue à distance par l’esprit, sans l’aide des organes corporels, devant ce fait plus mystérieux et plus incompréhensible encore de l’avenir vu avec précision par une vision mentale, je dis : « Les choses se passent comme si, dans l’organisme humain, il y avait un être psychique, spirituel, doué de facultés de perception encore inconnues. » Cet être, cette âme, cet esprit agit et perçoit par le cerveau, mais n’est pas une fonction matérielle d’un organe matériel. Voilà, me semble-t-il, des conclusions logiques établies sur une méthode scrupuleuse inattaquable. Elles me paraissent supérieures aux négations aussi bien qu’aux affirmations dénuées de preuves fondées sur une foi aveugle. La Foi, les prétendus miracles, le martyre même, n’ont jamais rien prouvé, car ils ont été au service de toutes les causes, religieuses ou politiques, les plus diverses, les plus contradictoires et parfois les plus absurdes. La Science seule peut vraiment éclairer l’humanité.

Camille Flammarion.

***

Telle est l’étude que j’ai publiée la dernière année du siècle dernier, il y a de cela près d’un quart de siècle. Comme je l’ai dit, mon ami Saint-Saëns ne m’a pas gardé rancune de cette opposition à son système ; au contraire, nos relations sont devenues plus intimes, et notre amitié s’est faite plus étroite. Il n’a, toutefois, rien changé à son opinion. Et cependant il n’ignorait pas l’existence des phénomènes psychiques, comme le prouve cette lettre de juillet 1921 :

« En relisant pour la ne fois ton dernier volume2 un souvenir se réveille dans ma mémoire, et je ne remets pas à demain pour te le signaler.

« C’était en janvier 1871, au dernier jour de la guerre. J’étais aux avant-postes, à Arcueil-Cachan, nous venions de dîner, d’un excellent cheval dont nous avions fait un bon pot-au-feu, avec des pissenlits récoltés par nous-mêmes, dîner qui nous avait tous satisfaits, et nous étions, ce jour-là, aussi gais qu’on pouvait l’être en pareilles circonstances, quand, tout à coup, j’entendis chanter dans ma tête la plainte musicale d’accords douloureux, dont j’ai fait, depuis, le début de mon Requiem, et j’éprouvai au fond de mon être le pressentiment qu’un malheur m’arrivait. Une angoisse profonde m’accabla.

« C’était à ce moment même qu’était tué Henri Régnault, auquel j’étais attaché par la plus vive amitié. La nouvelle de sa mort m’a causé un tel chagrin que j’en suis tombé malade, et j’ai dû rester trois jours au lit.

« J’ai donc éprouvé la réalité de la télépathie avant l’invention de ce mot. Comme tu as raison de penser que la science classique ne connaît pas l’être humain et que nous avons tout à apprendre.

« Camille Saint-Saëns. »

Je ne puis que répéter ici ce que j’avais déjà répliqué à mon illustre ami :

« Tu es le plus puissant des musiciens, la gloire de l’Institut, l’un des plus profonds penseurs de notre époque ; mais tu n’es pas logique. »

Et je le trouvais d’autant plus illogique qu’il m’avait signalé, d’autre part, ses observations personnelles, assez caractéristiques, publiées au tome II de La Mort et son mystère.N’est-ce pas l’esprit qui est en jeu dans ces observations ? Comment voir là des propriétés de la matière ? Or, mes lecteurs savent que ces faits psychiques sont trop fréquents pour être attribuables à des coïncidences fortuites. Le calcul des probabilités prouve mathématiquement leur réalité.

Il m’a semblé que le rappel de cet ancien échange d’idées entre deux chercheurs indépendants est tout à fait à sa place ici comme prologue à notre étude actuelle. J’ajouterai que Saint-Saëns a donné lui-même un exemple personnel de l’indépendance de l’âme relativement au corps. Il est mort le 16 décembre 1921, âgé de 86 ans. Le 16 octobre précédent, il avait déjeuné à ma table, à mon observatoire de Juvisy, et nous avions tous été charmés de sa conversation ; son esprit était aussi jeune qu’à vingt ans, et cependant il se plaignait de l’usure de son organisme, et n’a pu monter jusqu’à la coupole observer Vénus et Arcturus, en compagnie de nos collègues de la Société astronomique de France, le prince Bonaparte, le comte de Gramont, le comte de la Baume Pluvinel, le général Ferrié et d’autres amis qui y avaient fortement insisté. Il souffrait des jambes. À la même époque, le Ménestrel, du 21 octobre, a publié de lui un article plein de jeunesse sur Berlioz. Tandis que son corps dépérissait, son âme restait en pleine force. Cette différence entre l’organisme physique et l’élément spirituel n’est pas très rare.

I – Les preuves expérimentales de la survivance

Réponse préliminaire à certaines critiques. – La constatation des faits. – Aveugles et négateurs de parti pris. – Laplace et le calcul des probabilités. – Choix d’observations précises.

Les lecteurs sérieux et compétents, qui connaissent exactement l’état de notre problème et apprécient à leur valeur les résultats acquis sur sa solution, trouveront peut-être superflu de me voir consacrer le premier chapitre de ce volume à répondre à des objections sans valeur intrinsèque adressées par des négateurs intransigeants qui ne veulent à aucun prix admettre l’existence des phénomènes métapsychiques. Mais il me semble, pour ma part, qu’une réponse précise à ces dénégations n’est pas superflue, car l’ensemble des êtres humains est inévitablement ignorant de ces phénomènes, disposé, par conséquent, à les récuser, et ne convaincrais-je qu’un lecteur sur dix de l’erreur des négateurs aveugles, que ce serait là un service signalé à rendre au progrès de l’instruction générale.

Si nous voulons, pour notre conviction personnelle, avoir une opinion ferme et inattaquable surla réalité, la nature et l’intérêt des phénomènes psychiques, il importe, avant tout, de savoir que les illusions de la vue, de l’ouïe, du toucher, de tous les sens, sont faciles, peuvent être produites par mille causes inattendues, et que nous devons, tout d’abord, nous délier de toutes les erreurs possibles. En général, on observe mal, on ne va pas au fond des choses, on se contente d’approximations. La méthode scientifique s’impose ici plus que partout ailleurs, si nous tenons personnellement à une instruction fondée. Ces précautions préventives une fois prises, dans notre libre appréciation des faits observés, toutes les opinions de millions d’autres hommes n’ont devant notre esprit aucune valeur.

Que ceci soit bien entendu une fois pour toutes !

Quant aux supercheries, conscientes et inconscientes, je leur ai consacré une assez longue discussion (50 pages) dans mon ouvrage Les Forces naturelles inconnues pour qu’il soit inutile d’y revenir.

Nous pouvons penser, avec Émile Boirac, que la raison principale des préventions et de la défiance que les sciences psychiques rencontrent encore chez quelques-uns de nos contemporains provient de la forme qu’elles ont primitivement revêtue et dont elles ne paraissent pas s’être suffisamment affranchies. Elles ont, en effet, commencé par s’appeler Sciences occultes, ou, du moins, par faire partie de cet ensemble confus d’observations empiriques, de traditions, d’hypothèses et de rêveries que l’on a désigné sous ce nom et où elles voisinaient avec l’astrologie, l’alchimie, la chiromancie, la magie et autres sciences embryonnairesde l’antiquité, du moyen-âge et de la renaissance. C’est seulement depuis deux siècles à peine qu’elles s’en sont graduellement dégagées, et il se peut qu’il subsiste encore chez quelques-uns de ceux qui s’en occupent un reste de l’esprit mystique des anciens adeptes, mais c’est une raison de plus pour que nous nous efforcions d’y introduire, avec une ardeur et une vigueur croissantes, le véritable esprit de la science moderne, de même que sous l’influence de cet esprit, l’astronomie est définitivement sortie de l’astrologie, ainsi que la chimie de l’alchimie, sans que ni l’une ni l’autre en ait gardé la tare d’une sorte de péché originel ; de même les sciences psychiques, qui ont eu, en quelque façon, la magie et la sorcellerie pour berceau, méritent déjà, et mériteront de plus en plus, la qualification de sciences effectives et positives, grâce à l’emploi persévérant de la méthode expérimentale.

Nous étudions ici le plus grand des problèmes. La connaissance de l’âme, la recherche de sa destinée, est une étude passionnante. Un biographe vient de faire remarquer que ma vie n’aurait-elle servi, après l’investigation du monde astronomique et la démonstration de la vie universelle, qu’à prouver l’existence de l’âme humaine, qu’elle n’aura pas été inutile au progrès de l’humanité. Je l’espère.

Une discussion attentive s’impose actuellement. La publication du troisième volume de ma trilogie métapsychique La Mort et son mystère, consacré aux manifestations Après la mort, a soulevé des tempêtes et des récriminations de quelques publicistes ignorants, dont plusieurs paraissent pondérés et de bonne foi, raisonnant comme tout le monde, légèrement et inconsciemment, et dont d’autres ont fait preuve de mauvaise foi et même d’acrimonie, ce qui est aussi bizarre qu’inutile.

Remarque stupéfiante : notre désir si légitime et si naturel de connaître la nature de l’âme, de savoir si elle possède vraiment une existence personnelle, si elle survit à l’inévitable destruction du corps, ce désir, dis-je, nous crée des ennemis, des adversaires, qui s’ingénient à inventer mille obstacles contre cette recherche libre et indépendante et à l’arrêter par tous les moyens ! Cette opposition systématique est à peine croyable, et pourtant elle existe.

Il est actuellement opportun d’examiner le sujet avec une attention toute spéciale, en lui appliquant les principes de la méthode scientifique positive. Prenons cette discussion à l’origine même des incidents qui l’ont provoquée.

Le 16 juin 1922, Le Journal m’a fait l’honneur de publier en tête de ses colonnes l’article suivant que je lui avais adressé :

« Les morts qui manifestent. »

« Les recherches sur la nature de l’âme et son existence après la mort doivent être faites par la même méthode que toutes les autres recherches scientifiques, sans aucun parti pris, sans aucune idée préconçue, en dehors de toute influence sentimentale ou religieuse. Existe-t-il, oui ou non, des manifestations de morts ? Voilà la question. Or, je déclare qu’il en existe. Le Journal,dont je m’honore d’avoir été le collaborateur au temps de son fondateur, mon spirituel ami Xau, ayantappelé l’attention sur la solution de ce problème séculaire, je mets sous les yeux de ses lecteurs un des faits qui m’ont le mieux prouvé cette survivance, et je défie bien le plus sceptique de mes contradicteurs de l’expliquer en refusant d’admettre l’action du défunt. Qu’ils essaient, du reste !

« Il s’agit d’un ingénieur, propriétaire de deux usines, l’une à Glasgow, l’autre à Londres. Il avait à son service, à son usine écossaise, un jeune garçon, Robert Mackenzie, qui lui était particulièrement dévoué et avait pour lui une profonde reconnaissance. Le patron n’habitait pas Glasgow, mais Londres.

« Un certain soir, un vendredi, les ouvriers de Glasgow donnaient leur bal annuel. Robert Mackenzie, qui n’avait aucun goût pour la danse, demanda la permission de servir au buffet. Tout se passa bien, et la fêle se continua le samedi.

« Le mardi suivant, très peu avant huit heures, dans sa maison, à Campden-Hill, l’ingénieur eut une manifestation qu’il résume ainsi : « Je rêvai que j’étais assis devant un pupitre, engagé dans une conversation avec un gentleman inconnu. Robert Mackenzie s’avança vers moi. Ennuyé, je lui demandai avec quelque brusquerie s’il ne voyait pas que j’étais occupé. Il se retira d’un air contrarié, puis se rapprocha de nouveau comme s’il désirait vivement un entretien immédiat. Je lui reprochai, avec plus de brusquerie que la première fois, son manque de tact. Sur ces entrefaites, la personne avec laquelle je causais prit congé de moi, et Mackenzie s’avança derechef : « Qu’est-ce que tout cela veut dire, Robert ? fis-je, quelque peu irrité. Ne voyez-vous pas que j’étais occupé ? »

« – Oui, Monsieur, répondit-il ; mais il faut que je vous parle tout de suite.

« – À propos de quoi ? Qu’est-ce qui presse tant ?

« – Je désire vous dire, Monsieur, que je suis accusé d’une chose que je n’ai pas faite ; j’ai besoin que vous sachiez et que vous me pardonniez ce pour quoi l’on me blâme, car je suis innocent. Puis il ajouta : « Je n’ai pas fait ce qu’ils disent que j’ai fait. »

« – Quoi donc ? répliquai-je encore.

« Il répéta les mêmes mots. Je lui demandai alors, naturellement : « Mais comment puis-je vous pardonner si vous ne me dites pas ce dont, vous êtes accusé ? »

« Je n’oublierai jamais le ton emphatique de sa réponse en dialecte écossais : « Vous le saurez bientôt. » Ma question fut répétée au moins deux fois, je suis certain que la réponse le fut trois fois, de la manière la plus expressive. Je m’éveillai là-dessus, gardant une certaine inquiétude à la suite de ce singulier rêve. Je me demandais s’il avait une signification, quand ma femme se précipita dans ma chambre, très émue, une lettre ouverte à la main. Elle s’écria : « Oh ! James, voilà une affaire terrible au bal des ouvriers : Robert Mackenzie s’est suicidé. » Comprenant alors le sens de ma vision, je répliquai tranquillement, avec l’accent de la certitude : « Non, il ne s’est pas suicidé. » – Comment pouvez-vous le savoir ? – Il vient de me le dire. »

« Lorsqu’il m’apparut – pour ne pas interrompre le récit, je n’ai pas tout d’abord mentionné ce détail – j’avais été frappé de la singularité de son aspect. Sa figure était d’un bleu livide, et sur son front on apercevait des taches semblables à des gouttes de sueur.

«Voici ce qui s’était passé. En rentrant chez lui, dans la nuit de samedi, Mackenzie avait pris une bouteille contenant de l’eau forte, croyant que c’était sa bouteille de whisky. Il s’en était versé un petit verre, qu’il avait bu d’un trait. Il était mort le dimanche en d’atroces souffrances. On avait cru qu’il s’était suicidé. Et voilà pourquoi il était venu m’affirmer qu’il était innocent de l’accusation portée contre lui. Or, chose remarquable, et dont je n’avais pas la moindre idée, en cherchant les symptômes qui accompagnent l’empoisonnement par l’eau forte,je vis qu’ils étaient à peu près ceux que j’avais constatés sur la figure de Robert.

« On reconnut bientôt qu’on s’était trompé en attribuant la mort à un suicide. C’est ce dont je fus averti le lendemain par une lettre de mon représentant en Écosse.

« Cette apparition a été due, selon moi, à la reconnaissance profonde de Mackenzie, que j’avais arraché à un état de misère déplorable, et à son vif désir de rester estimé dans mon opinion. »

« Voilà la relation du manufacturier de Glasgow. Cet ouvrier venant, après son prétendu suicide, luirévéler la vérité, ne prouve-t-il pas la survivance ? Il est utile de remarquer qu’en Angleterre le suicide est qualifié de crime.

« Nous possédons des centaines d’observations analogues, faites par des hommes pondérés, qui rapportent simplement ce qui leur est arrivé. Le seul moyen d’esquiver toute explication demandée est de dire que ce n’est pas vrai, que ce sont là des inventions imaginaires, que ces prétendus témoins en ont menti. Or, le manufacturier de Glasgow était un ami personnel de Gurney, l’un des premiers fondateurs de la Société Anglaise des Recherches psychiques, connu et estimé de lui comme un esprit positif et sincère, et sa véracité n’est pas douteuse. Eh bien, si l’on n’accuse pas tous les observateurs d’imposture, si l’on ne pense pas qu’ils ont eu la berlue et que tout le monde est plus ou moins fou ou halluciné, nous sommes bien forcés d’admettre ces faits comme on admet un coup de foudre bizarre et inexpliqué. On ne peut pas tout nier. Il faut avouer franchement qu’il y a là tout un ordre de choses encore inconnues aux investigations scientifiques. Dans le cas particulier que je viens de rapporter, ce jeune homme, empoisonné par erreur dans la nuit du samedi au dimanche, à Glasgow, est apparu le mardi suivant à Londres, à son patron (qui ignorait sa mort), pour luidéclarer qu’il ne s’était pas suicidé. Il était donc mort depuis 48 heures. On ne peut imaginer ici la coïncidence d’un rêve quelconque avec un fait si précis, ni le hasard, ni quoi que ce soit.

« Ceux qui nient ces faits sont ou ignorants, ou illogiques, ou de mauvaise foi, car s’ils les connaissent, je ne devine vraiment pas comment ils éliminent l’acte du décédé.

« Camille Flammarion. »

Tel est l’article publié par Le Journal. J’avoue que, contre mes habitudes, j’y avais employé un ton un peu agressif, dans le but d’appeler la discussion et de voir ce qui en sortirait. L’effet n’a pas tardé. Dès le lendemain, notre confrère M. Clément Vautel, particulièrement sceptique en ces matières, y répondait par la dénégation radicale que voici :

Mon film.

« En 1861, par un beau soir d’été, M. Harry Cower était assis dans sa salle à manger, à Sydney (Australie). Il ne ressentait aucun appétit et ne parvenait pas à chasser les idées mélancoliques qui l’assiégeaient.

« Tout à coup, il entendit un bruit sec, très léger.

« La glace placée au-dessus de la cheminée venait de se fendre.

« – C’est étrange ! dit M. Harry Cower.

« Quelques semaines après, il apprenait qu’au moment où la glace s’était fêlée, sa vieille tante Mrs. Dorothée-Elisabeth Mac Clure, avait succombé brusquement, à Minneapolis (Minnesota, U.S.A.).

« Ce fait authentique ne prouve-t-il pas, d’une façon irréfutable, la réalité des manifestations de l’au-delà ?

« Parfois c’est un certain Archibald B. Blackburn, de Chicago, qui, en 1874, à Woodston, dans l’Ohio, voit apparaître devant lui son ami John-William-Hercule O’Sullivan, de New-Tipperary (Mass.). O’Sullivan a le visage convulsé ; il paraît respirer difficilement, il fait des gestes bizarres.

« – Qu’avez-vous ? demande Blackburn.

« – À l’aide ! Je me noie ! répond O’Sullivan, qui, aussitôt, disparaît.

« Blackburn, très troublé, rentre chez lui... Et, huit jours après, il apprend que son ami s’est noyé dans le Missouri, à la date et à la minute où son fantôme appelait au secours.

« Ceux qui nient ces faits éloquents, nous ditM. Flammarion, sont ou ignorants, ou illogiques ou de mauvaise foi.

« Eh bien ! moi, je les nie.

« Je les nie tous, en bloc, de la façon la plus catégorique.

« J’ai lu, dans les livres psychiques de M. Flammarion et d’autres « explorateurs du mystère » d’innombrables cas, qui ressemblent étrangement à l’histoire de Harry Cower et d’Archibald B. Blackburn.

« Je les considère comme dénués de toute espèce de valeur documentaire. Tout cela s’est passé au diable (le diable n’y est cependant pour rien), à une époque fabuleuse, et les garanties manquent absolument... Quand je pense que nous ne sommes pas fichus de raconter exactement un accident de voiture auquel nous venons d’assister rue des Panoyaux, je me dis qu’il est fou de baser toute une philosophie, une manière de religion, sur d’antiques anecdotes racontées à leur guise par des gens dont nous ne savons rien.

« Et puis, on parle trop anglais dans ces histoires de l’autre monde. Les esprits, spectres, fantômes, etc., ne sont jamais nés natifs de Pontarlier ou de Romorantin, c’est toujours en Angleterre ou en Amérique qu’ils se livrent à leurs petites manifestations. L’au-delà serait-il aussi une colonie anglo-saxonne ?

« Pourquoi, par exemple, feu Bessarabo n’apparaît-il pas au Président de la Cour d’assises, au jury et même à Me de Moro-Giafferi, pour raconter dans quelles circonstances il a élu domicile au fond d’une malle ?

«Voilà qui vaincrait plus sûrement notre scepticisme que les collections de faits divers psychicocandards recueillis par le doux et pensif Camille Flammarion.

« Clément Vautel. »

C’est par ces plaisanteries, ces jeux de mots, ces « blagbourdes », etc., que notre confrère de la grande presse s’imagine avoir expliqué l’apparition posthume de Robert Mackenzie ! J’ose remarquer que cette « solution » n’a aucun rapport avec le problème posé. Elle se traduit, en effet, par ces mots fort simples : « Il n’y a rien. »

Rien. C’est peu, devant tous les faits irrécusablement constatés.

M. Clément Vautel affirmant que « tout cela s’est passé au diable, à une époque fabuleuse, et que « les garanties manquent absolument », je lui ai mis sous les yeux un fait observé en France comme ne pouvant être taxé d’arriver des antipodes, d’être une antique anecdote, de remonter à une époque fabuleuse. Ce fait, le voici. C’est une observation de M. Frédéric Wingfield, à Belle-Isle-en-Terre (Côtes-du-Nord) :

Dans la nuit du 25 mars 1880, écrit-il, je rêvai que je voyais mon frère, Richard, assis sur une chaise devant moi.Je lui parlais ; il inclinait simplement la tête, en guise de réponse ; puis il se leva et quitta la chambre. Je me réveillai et constatai que j’étais debout, un pied posé par terre près de mon lit et l’autre sur mon lit, et que j’essayais de parler et de prononcer le nom de mon frère. L’impression qu’il était réellement présent était si forte et toute la scène était si vivante que je quittai la chambre à coucher pour chercher mon frère dans le salon, où je ne trouvai personne. J’eus alors le sentiment d’un malheur imminent, et je notai cette « apparition » dans mon journal de chaque jour, en l’annotant ainsi : « Que Dieu l’empêche ! » – Trois jours après, je reçus la nouvelle que mon frère était mort ce jour-là, à 8 heures et demie, des suites d’une chute faite à la chasse.

Le décès avait donc précédé de quelques heures cette vision si précise.

Le très parisien et très subtil dénégateur du Journal a bien voulu m’accuser réception de cetenvoi par une lettre, fort aimable d’ailleurs, dont je détacherai seulement les lignes suivantes :

« Cela se passe dans les Côtes-du-Nord, oui, mais vos personnages sont anglo-saxons (Richard Winglield Baker n’est pas très breton). Or, cette histoire-là, comme toutes les autres, je la nie. Illusions. Vantardises. Blagues. »

Cette observation si caractéristique ne vaut rien, parce que le narrateur n’est pas Français ! Il serait Français que ce serait absolument pareil. C’est une « blague », et il n’y a dans toutes ces histoires que des blagues : morts, deuils, douleurs, désespoirs, tout cela ne compte pas, et nous ne devons qu’en rire. Ce mode d’interprétation de phénomènes inexplicables est évidemment d’une extrême simplicité ! Remarquons à ce propos que ce sont là des lieux communs, toutes les sciences ayant été traitées de la sorte à leur origine.

L’objection, d’ailleurs, n’a aucune valeur, attendu qu’une observation faite à Londres ou à Rome est aussi respectable qu’une faite à Paris, que ces actes sont constatés dans le monde entier, et que la France n’en a pas le monopole.Quelques jours après, le 18 juin, la lettre que voici m’était envoyée de Boulogne-sur-Mer, comme observation bien française :

J’ai lu votre article du 16 juin (Les Morts qui manifestent). J’ai lu aussi le film du 17 de notre amusant Clément Vautel, qui nie les faits dont vous parlez sous prétexte qu’ils se passent toujours dans des pays très éloignés. Eh bien, je vais vous en citer un qui s’est passé à Paris, en 1911 (vous pouvez en faire part à notre Clément Vautel).

Mon père est mort des suites d’une opération, à l’hôpital Cochin, en février 1906. Ma mère n’ayant pas à cette époque l’argent nécessaire pour le faire enterrer, ce fut l’hôpital qui s’en chargea, et mon père fut inhumé à la fosse commune du cimetière de Bagneux.

Cinq ans après, je me trouvais chez moi, demeurant à cette époque rue Étex. Donc, un matin, j’allais et venais dans ma chambre. À un moment, je me dirigeai vers la cuisine pour y prendre mon petit déjeuner (il était 7 heures). Je vis tout à coup mon père, debout dans la cuisine, la main droite appuyée sur le bord de l’évier. C’était bien lui, avec son air très calme qu’il avait toujours de son vivant.

Quelques mois passèrent et je n’en parlai à personne, de crainte que l’on se moquât de moi. Mais, un soir, je me trouvais en visite chez ma sœur lorsque je le lui racontai. Elle me répliqua : « Tiens ! c’était justement le jour où l’on a déterré papa ! »

Ignorant ce fait, je lui demandai pourquoi je n’avais pas été prévenue. – Parce qu’on a pensé que tu ne viendrais pas à cette heure matinale. – À quelle heure donc ? – À 7 heures.

Eh bien, c’est précisément à 7 heures que j’avais vu mon père.

Pourquoi s’est-il présenté devant moi ? Était-ce un reproche parce que je n’étais pas là au moment où on le changeait de tombe ? Pourtant je n’étais pas coupable, puisque je n’avais pas été prévenue.

À cette époque, je ne croyais en rien car j’ai été élevée sans aucune religion, mais je vous assure que depuis le jour où j’ai revu mon père, je crois en Dieu et à l’immortalité de l’âme.

Veuillez recevoir l’affirmation de ma scrupuleuse sincérité.

MIle H. H... (Mon nom pour vous seul.)

On peut faire encore la vieille hypothèse d’une hallucination sans cause ; mais comment ne pas lui opposer la coïncidence de la vision avec l’exhumation du père de la narratrice ? C’est là que le problème se pose. Qualifier ce récit de « Vantardise », de « Blague »... Qu’en pensez-vous ? Ne vaut-il pas mieux avouer que nous n’y comprenons rien, mais qu’il y a là « quelque chose » et que notre devoir est de reconnaître les faits ?

(M. Vautel est un homme de beaucoup d’esprit. Voltaire en avait aussi... Copernic, Kepler, Galilée, Newton, Christophe Colomb, Gutenberg, Denis Papin, Fulton, Volta, Ampère, esprits scientifiques, étaient moins humoristiques ; mais le progrès leur doit son ascension.)

Voici maintenant une observation dans laquelle l’hypothèse hallucinatoire n’est même pas admissible, car il y a eu deux témoins indépendants. Elle m’a été adressée de Strasbourg, le 17 juin de cette même année 1922 :

Mon frère, Blanc (Hubert), était aumônier des frères Maristes, à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). Il y avait dans le couvent un religieux qui, alité depuis longtemps, était in extremis. Mon frère allait régulièrement passer quelques instants à son chevet. Or, certain jour, dans la conversation, le malade lui dit : « Vous savez, monsieur l’aumônier, je ne partirai pas