La mort et son mystère - Camille Flammarion - E-Book

La mort et son mystère E-Book

Camille Flammarion

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Beschreibung

Ce deuxième volume s'intéresse aux phénomènes souvent remarqués, jamais expliqués, qui accompagnent le décès : bruits, déplacements d'objets, information des proches, parfois à grande distance. le scientifique Flammarion trouve là matière à de riches réflexions.

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Fait par Mon Autre Librairie

À partir de l’édition E. Flammarion, Paris, 1920.

Texte intégral annoté. Les notes entre crochets ont été

rajoutées pour la présente édition.

Bibliographie entièrement revue, corrigée et complétée.

__________

© 2019, Mon Autre Librairie

Édition : BoD – Books on Demand

12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand, Norderstedt, Allemagne

ISBN : 978-2-491445-13-3

Dépôt légal : janvier 2020

La mort et son mystère

Camille Flammarion

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Autour de la mort

Table des matières

I – Les faits exposés au premier volume prouvent-ils irréfutablement l’existence de l’âme ?

II – Les doubles de vivants

III – La pensée productrice d’images projetées à distance

Les apparitions de vivants. Morts apparaissant vêtus comme de leur vivant. Cinématographie psychique. Transmissions télépathiques sensorielles

IV – Les apparitions de mourants quelque temps avant la mort

V – Les manifestations de mourants quelque temps avant la mort (autres que les apparitions)

VI – Vues de scènes de mourants et de morts à distance. Auditions du même ordre

VII – Avertissements divers précédant la mort ou l’annonçant

Prévisions personnelles de morts à dates fixes. Rêves prémonitoires associés à des apparitions. Visions singulières. Intersignes. Avertissements d’accidents paraissant donnés par des êtres invisibles

VIII – Sensations mentales à distance de morts ou d’accidents (sansphénomènes physiques)

IX – Morts annoncées par des bruits, des coups frappés, des vacarmesinexpliqués, des phénomènes

physiques

L’électricité et la foudre

X – Entre la vie et la mort

Faits intermédiaires, dans lesquels les vivants peuvent être encore en action. Mourants qui sont venus dire « je m’en vais » ou « je suis mort ». Appels télépathiques au moment du départ

XI – Les manifestations de mourants au moment du décès (autres que lesapparitions)

XII – Les apparitions de mourants au moment du décès

Notes

Personne ne sait ce que c’est que la mort, et si elle n’est pas le plus grand de tous les biens pour l’homme. Cependant, on la craint comme si elle était le plus grand de tous les maux.

Athéniens, vous venez de me condamner à mort. La voix divine qui n’a cessé de se faire entendre à moi dans tout le cours de ma vie a gardé le silence aujourd’hui, et je ne me suis pas défendu contre vos accusations. C’est donc que ce qui m’arrive est un bien.

Je vais subir le sort auquel vous m’avez condamné ; mais l’iniquité et l’infamie resteront attachées à la mémoire de mes juges. Je m’en tiens à ma peine, et eux à la leur. C’est ainsi que les choses devaient se passer, et, selon moi, tout est pour le mieux.

Lorsque la mort approche de l’homme, ce qu’il y a en lui de mortel se désagrège ; ce qu’il y a d’immortel et d’incorruptible se retire intact.

Socrate

I – Les faits exposés au premier volume prouvent-ils irréfutablement l’existence de l’âme ?

Ayons des yeux pour voir,

Un esprit pour juger.

Les exigences de laméthode expérimentale sont sa force. Plus nous serons sévères dans l’admission et dans l’interprétation des faits, et plus solidement notre démonstration sera établie. Avant d’aller plus loin, ne laissons aucune incertitude derrière nous, et demandons-nous s’il est absolument certain que les quatre cents pages qui précèdent prouvent l’existence de l’âme comme entité indépendante du corps, et que les facultés supranormales dont nous avons signalé les manifestations (pressentiments, vue de l’avenir, volonté agissant sans la parole et sans aucun signe, télépathie, vue à distance, action de l’esprit en dehors des sens physiques), ne pourraient, à la rigueur, être attribuées à des propriétés inconnues de notre organisme vital. L’Homme se connaît-il lui-même entièrement ? Son évolution est-elle arrivée à son terme ? Ces facultés psychiques transcendantes ne pourraient-elles appartenir au cerveau ?

Nous devons tout étudier en libre examen, en entière liberté de conscience, sans aucune idée préconçue, sans entrave d’aucun système.

Les faits qui vont suivre prouveront surabondamment la vérité de notre thèse par les manifestations observées autour de la mort et après la mort. Mais il semble utile de répondre sans retard à quelques objections possibles.

D’abord à la première, à celle de la valeur contestable du témoignage humain. Nous avons plus d’une fois signalé la faiblesse scientifique de ces témoignages, et nous savons que nous devons perpétuellement nous en défier. Ils sont incertains, varient avec le temps, et ne s’accordent même pas sur des événements actuels où il semble que l’unanimité devrait être habituelle. On voit mal. Chacun voit avec ses yeux et avec son esprit (même dans les observations astronomiques si précises : c’est ce qu’on appelle l’équation personnelle). Les relations des témoins d’un même fait diffèrent entre elles, et, d’autre part, les souvenirs se modifient facilement, tout en admettant une bonne foi parfaite et une sincérité absolue, ce qui n’existe pas toujours. Reconnaissons aussi que dans notre singulière espèce humaine, on rencontre des inconscients et des farceurs dépourvus de tout scrupule, de tout sentiment d’honneur, ou même de simple honnêteté. Nous devons donc nous tenir constamment en une extrême circonspection. Mais de là à tout refuser, à tout nier, il y a un abîme que les dénégateurs intransigeants ne paraissent pas mesurer.

Malgré l’incertitude reconnue des témoignages historiques, il semble assez difficile de douter que le roi Henri IV ait été poignardé à Paris, le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie, par un nommé Ravaillac ; que le roi Louis XIV ait révoqué l’édit de Nantes, en appauvrissant la France d’excellents citoyens ; que le corps de Napoléon repose aujourd’hui dans un sarcophage de marbre sous le dôme des Invalides, et que certaines armées se soient entrechoquées dans nos régions de l’Est, du 3 août 1914 au 11 novembre 1918. Nous pouvons tous convenir, semble-t-il, sans trop nous compromettre, que Louis XVI est mort guillotiné.

Certains hommes ne peuvent pas avoir d’opinion franche ! Ils auraient même peur de se compromettre en affirmant que l’huile de ricin est purgative.

Il y a des limites au scepticisme et à l’incrédulité. Les arguties et les sophismes de la dialectique la plus subtile n’empêchent pas les faits d’exister.

D’autre part, on objecte, parfois, que les relations extraordinaires dont nous discutons ici la valeur et la portée soient plutôt signalées par des gens du vulgaire que par des savants accoutumés aux rigueurs de la méthode expérimentale. Qu’y a-t-il de surprenant là ? Est-ce que l’immense majorité de l’espèce humaine n’est pas composée de vulgaires ignorants ? Peut-on compter un esprit scientifique sur mille ? Il y en aurait 40 000 en France et l 600 000 pour l’ensemble du globe. Admettons-le. Il y a peu de penseurs dans notre humanité ; il y a surtout des commerçants !... Eh bien, cette proportion n’est-elle pas comparable à celle des constatations psychiques ?

Malheureusement, en général, les personnes appartenant aux classes supérieures de la société, les savants, les érudits, les artistes, les écrivains, les magistrats, les prêtres, les médecins, etc., se tiennent dans une réserve discrète, comme s’ils avaient peur de parler. Ils sont moins libres, ont des intérêts à sauvegarder, et se taisent, tandis que les autres parlent. Cette couardise, cette lâcheté est absolument méprisable. De quoi a-t-on peur ? Nier les faits par ignorance, c’est excusable. Mais ne pas oser avouer ce que l’on a vu : quelle misère !

Il y a d’autres criminels que ceux qui sont dans les prisons : ce sont les hommes cultivés qui connaissent des vérités qu’ils n’osent révéler, par crainte du ridicule ou par intérêt personnel. Au cours de ma carrière, j’ai rencontré plus d’un de ces « hommes de science », fort intelligents, très instruits, qui ont été témoins ou ont eu connaissance de faits métapsychiques irrécusables, qui ne doutent pas de l’existence indéniable de ces phénomènes et n’osent rien dire, par un sentiment de mesquinerie impardonnable chez des esprits de réelle valeur, ou qui chuchotent très mystérieusement, avec la peur d’être entendus, leurs témoignages qui seraient d’un poids si considérable pour le triomphe de la vérité.

De tels hommes sont indignes du nom de savants. Plusieurs d’entre eux appartiennent à ce qu’on appelle « la haute société », et croiraient se discréditer en paraissant crédules, quoiqu’ils croient, d’autre part, à des dogmes très discutables. Je pourrais écrire ici le nom d’un membre de l’Institut, d’une valeur scientifique réelle, qui pourrait servir de témoin compétent sur les phénomènes métapsychiques étudiés dans cet ouvrage, mais qui ne veut et n’ose rien avouer, parce qu’il est catholique pratiquant, et que son directeur de conscience lui a déclaré que l’on doit laisser à l’autorité de l’Église le domaine de ces questions.

Une partie du clergé est hostile à ce genre d’études et pense que l’Église doit en conserver le monopole. Cette opinion date des temps bibliques. L’évocation des morts était formellement interdite aux Hébreux, et Saül a enfreint ses propres décrets en allant consulter la pythonisse d’Endor et appeler l’ombre du prophète Samuel. Peut-être n’avait-on pas tort de faire cette défense au vulgaire incompétent, qui peut si facilement glisser sur la pente des pires sottises. Mais empêcher, de nos jours, les hommes instruits, pondérés, réfléchis, d’étudier ces problèmes, leur enseigner que Dieu ne leur a pas donné la raison pour s’en servir, qu’ils doivent humilier cette raison devant les affirmations d’une Révélation divine contestable, prétendre que la question de la nature de l’âme et de sa survivance, qui intéresse si personnellement chacun de nous, est réservée à une caste de casuistes s’adjugeant le droit de juger et de décider entre le vrai et le faux, entre Dieu et le diable, représente véritablement un étrange raisonnement et un anachronisme nous reportant au moyen âge. Que de crimes l’Inquisition n’a-t-elle pas commis dans ses innombrables procès de sorcellerie ! Il y a là, dans les idées actuelles dominant encore une certaine classe d’hommes et de femmes, une erreur formidable, extrêmement nuisible à la recherche de la vérité.

Erreur d’autant plus inexplicable que les phénomènes dont nous nous occupons appuient les récits des « Livres saints », entre autres les apparitions de Jésus, inconnues ou niées par les neuf dixièmes du genre humain.

Cette aberration inexcusable rappelle aux astronomes l’interdiction faite, au dix-huitième siècle (le 21 janvier 1759), par le directeur de l’Observatoire de la Marine, Delisle, à son astronome adjoint, Messier, de révéler la découverte qu’il venait de faire du retour de la comète de Halley. Ce scandale scientifique empêchait de constater la réalité de l’attraction newtonienne.

Défendre de faire connaître des faits utiles au progrès des connaissances humaines ! N’est-ce pas là un véritable crime ?

Il est pourtant incontestable qu’un certain nombre de témoins des phénomènes dont nous nous occupons ici restent obstinément muets sur leurs expériences personnelles. Les uns obéissent à un mot d’ordre, les autres craignent l’ironie des voisins, d’autres s’imaginent que leur dignité serait compromise, beaucoup par simple lâcheté ou par une blâmable indifférence.

Sans doute, nous pouvons reconnaître que les personnages en places officielles ne sont généralement pas indépendants, soit que, pour conquérir ces situations, ils aient dû être doués de caractères particulièrement souples envers leurs supérieurs, timorés de la moindre alerte, et assez égoïstes pour ne jamais perdre de vue leurs petits intérêts personnels, mettant ces intérêts au-dessus de tout ; soit qu’ayant conquis ces places ils tiennent à neles exposer à aucun péril par le moindre accroc aux idées régnantes, en sacrifiant tout à ces intérêts, même parfois leurs propres convictions ; soit, enfin, que la comédie humaine célébrée par Balzac et l’hypocrisie fustigée par Molière règnent sur une étendue plus générale que ne le supposent les honnêtes naïfs. Quoi qu’il en soit, ces causes dominatrices étouffent toute liberté.

Aucune règle n’est sans exception. Il y a des personnages officiels indépendants. D’autre part, nous admettons fort bien qu’en certains cas le silence s’impose : deuils de famille profonds et douloureux, morts tragiques, situations critiques, chagrins personnels que nulle indiscrétion n’a le droit de heurter. Ces cas particuliers sont éminemment respectables. Mais ne pas oser signer, sans raison suffisante, une observation scientifique de quelque importance, ne pas oser dire dans quel endroit l’observation a été faite, ne donner que les initiales de la ville, signer X ou Y au lieu d’un nom honorable, c’est diminuer la valeur de l’observation rapportée. Nous demander de ne pas publier les noms, rien de plus admissible en certains cas ; mais pourquoi des relations anonymes ?

L’objection signalée plus haut que ces relations de faits anormaux extraordinaires, prémonitions, avertissements de mort, apparitions, etc., sont la plupart du temps communiquées par des gens quelconques et non par des hommes de science de haute valeur personnelle, est sans fondement. D’abord, la simple observation suffit souvent pour constater un fait, tel, par exemple, que la chute d’un aérolithe, un coup de foudre, un tremblement de terre. D’autre part, comme nous le remarquions plus haut, la proportion est sensiblement la même pour les relations dont il s’agit que dans la mentalité générale. Il y a des hommes de valeur parmi les observateurs : les noms d’Emmanuel Kant, de Linné, de Goethe, de Schopenhauer, de William Crookes, de Russel Wallace, d’Oliver Lodge, de Charles Richet, de Curie, de d’Arsonval, de Rochas, d’Edison, de Victor Hugo, de Victorien Sardou, de Lombroso, de William James – et de quelques autres – ne représentent pas des quantités négligeables ; il y a des observateurs de tous les degrés.

***

L’objection tirée de l’incertitude des témoignages humains est, me semble-t-il, entièrement éliminée par les raisonnements qui précèdent. Nous pouvons – nous devons – admettre ces faits comme réels, suffisamment constatés, irrécusables, après avoir tenu compte de toutes les erreurs possibles, de quelque nature qu’elles soient, y compris les fraudes – plus étudiées par moi que par tous les dissidents. Arrivons, maintenant, à la discussion fondamentale des hypothèses explicatives, afin d’éclairer entièrement notre conviction sur les facultés intrinsèques de l’âme et sur son existence indépendante du corps.

Ces phénomènes qui semblent si extraordinaires, ne pourraient-ils avoir une cause physique ? Toutes ces manifestations de forces inconnues, dont plusieurs paraissent attribuables à un esprit distinct de notre organisme, ou parfois même à des esprits extérieurs à nous, ne pourraient-elles avoir pour origine nos propres cerveaux ? L’homme se connaît-il lui-même ?

Non, il s’ignore ; il n’a pas jaugé le réservoir d’énergies, de forces inconnues qu’il possède en son être. La biologie s’arrête à la surface, aux manifestations apparentes, et les physiologistes avouent qu’ils n’ont analysé que très incomplètement certains mécanismes de notre machine humaine, notamment en ce qui concerne le fonctionnement des centres nerveux.

Lorsque nous récapitulons devant nos yeux les découvertes dues au génie créateur, l’invention du télescope, du microscope, des appareils mus par la vapeur, des applications de l’électricité, de la photographie terrestre et céleste, de l’analyse spectrale, de la navigation aérienne, du télégraphe électrique, du téléphone, de la radiographie, du phonographe, du cinématographe, de la télégraphie sans fil, etc., nous ne pouvons pas ne pas admirer la puissance de l’esprit humain et ne pas penser que ces facultés ne sont pas encore entièrement explorées.

Tout récemment encore (mai 1920), j’écoutais au détecteur d’un poste récepteur de télégraphie sans fil, à mon observatoire de Juvisy, les claquements secs, successifs, rapides, produits par les décharges électriques d’un orage lointain. Soudain, une mélodie délicieuse se substitua à ces sons monotones, d’abord une sonate au piano, puis tout un orchestre vinrent charmer mon oreille. Nul instrument de musique ne jouait dans mon voisinage : c’était un concert céleste, évoquant les suaves harmonies de la musique des anges bibliques... dont les exécutants se trouvaient à Londres, devant un poste transmetteur de radiotéléphonie, et les auditeurs, à Rome, au poste écouteur ! Ainsi s’envolait bien au delà de la France ce concert d’outre-Manche destiné à la Ville éternelle...

Si notre oreille était douée des propriétés de l’appareil récepteur d’un poste radiotéléphonique, nous percevrions ces voix de l’espace, ces musiques éthérées, qui vont se faire entendre à des centaines, à des milliers de kilomètres. Si notre œil était construit comme la plaque photographique, nous verrions des radiations auxquelles notre nerf optique reste insensible. Le monde serait pour nous tout autre qu’il est. Si nous étions tous doués des facultés supranormales particulièrement développées chez certains êtres, les forces inconnues dont nous nous occupons ici sembleraient toutes naturelles, et nous aurions une autre compréhension de l’univers et de la vie.

Ces constatations nous invitent à penser que nous vivons au sein d’un monde invisible, dans lequel nous sommes plongés comme des aveugles en plein soleil ou des sourds tendant leur oreille atrophiée aux harmonies d’un Beethoven ou d’un Mozart : la cécité de l’aveugle n’empêche pas le soleil de briller, pas plus que l’infirmité du sourd ne modifie en quoi que ce soit la beauté d’une symphonie musicale.

Lors donc que nous constatons tous ces progrès de la science, nous ne pouvons nous empêcher de les voir se continuer dans l’avenir. Si, par exemple, il est prouvé qu’un mourant aux États-Unis ou en Chine révèle sa mort à un ami habitant la France ou l’Angleterre, et qu’un mort vient nous apprendre dans quelles conditions il est passé de vie à trépas, nous ne pouvons nous empêcher de songer à l’évolution graduelle des connaissances humaines et nous demander jusqu’où s’étendront dans l’avenir les conquêtes mentales de l’habitant de la Terre.

Jusqu’où l’homme ira-t-il dans son progrès ?

N’a-t-on pas réussi, non seulement à parier à distance, mais encore à écrire, à dessiner, à envoyer un portrait ?

Lorsque je publiai mon ouvrage La Fin du Monde,1 quelques critiques ignorants de nos études ont qualifié de purement imaginaires les figures des pages 273, 307 et 367, qui montrent, la première, un habitant de Paris voyant, de son lit, une bayadère dansant à Ceylan, en un cinéma improvisé ; la seconde, une apparition due à la transmission des ondes éthérées ; la troisième, Omégar arrivant aux pieds d’Éva qui l’avait appelé à travers l’immensité de l’Océan. Ce progrès a été réalisé graduellement, comme ont été réalisés les aéronefs de la première page. Tout arrive.

Devant cette puissance de l’esprit humain, on pourrait donc soutenir que les faits transcendants qui sont l’objet de nos études métapsychiques peuvent être dus, en partie, à des facultés cérébrales encore inconnues. Examinons de près l’objection, et sans aucune idée préconçue.

La question se pose nettement ainsi : les faits observés peuvent-ils être attribués à des facultés, connues ou inconnues, d’un appareil cérébral aussi puissant qu’on l’imagine ? Analysons, disséquons, un des exemples présentés dans notre premier volume, soit, au hasard, celui-ci [Ch. IX] :

Le 27 juin 1894, vers neuf heures du matin, le Dr Gallet, alors étudiant en médecine, à Lyon, travaillant dans sa chambre, en compagnie d’un camarade d’études, le Dr Varay, pour le premier examen de doctorat, et très absorbé par son travail, en est distrait impérieusement par une phrase intérieure obsédante lui répétant ces mots : « M. Casimir Perier est élu Président de la République par 451 voix. »

L’étudiant écrit cette phrase sur un papier qu’il tend à son compagnon, en se plaignant de l’obsession. Varay lit, hausse les épaules, et sur l’insistance de son ami croyant à une prémonition réelle, le prie assez durement de le laisser travailler en paix.

Après déjeuner, les deux camarades rencontrent deux autres étudiants, M. Bouchet, actuellement médecin en Haute Savoie, et M. Deborne, actuellement pharmacien à Thonon, et les trois compagnons rient d’une pareille prophétie, les candidats officiels à la présidence étant MM. Brisson et Dupuy.

L’élection se faisait, ce jour-là, à Versailles, à deux heures.

Or, tandis que les étudiants lyonnais se rafraîchissaient à la terrasse d’un café, des camelots passent et crient :

« M. Casimir Perier est élu Président de la République par 451 voix. »

Les sceptiques les plus endurcis seraient mal venus à contester ce fait de prémonition précise cinq heures avant l’événement, attendu qu’il a été confirmé par la triple attestation des trois témoins.

Ne voir là qu’une coïncidence fortuite est inadmissible.

S’il s’agissait d’un calcul, on pourrait dire qu’il n’y a rien de merveilleux à ce que l’on soit tombé juste, comme dans le calcul des grains de blé contenus dans un litre, mais il s’agit ici d’une voix intérieure spontanée. Et le chiffre !

La question qui se pose est de savoir si nous pouvons attribuer cette divination de l’avenir au cerveau, à des facultés cérébrales physiologiques, ou si nous ne sommes pas conduits à rechercher, soit dans l’homme, soit à côté, l’action d’un élément psychique différent de l’organisme matériel. Cette question ne se résout-elle pas par elle-même ?

Attribuer à un groupement de molécules matérielles, à une action chimique, mécanique, d’un fourmillement d’atomes quelconques, la faculté de voir ce qui n’existe pas encore, ce qui arrivera dans plusieurs heures, plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années, est une pure hypothèse, et ne s’appuie sur aucune base scientifique. De plus, c’est une hypothèse absurde en elle-même. À force de vouloir faire de la science pratique, on glisse dans l’aberration, on cesse de raisonner logiquement.

La seule échappatoire, dans le cas de la prémonition que nous venons de rapporter, serait de supposer une coïncidence fortuite : 1° pour le nom inattendu ; 2° pour le chiffre. À la rigueur, quoiqu’il y ait des millions à parier contre 1, ce n’est peut-être pas absolument impossible.

Mais alors, le fait signalé à la suite du précédent : M. Vincent Sassaroli annonçant plusieurs jours d’avance l’écroulement d’une maison que les architectes jugent très solide, et en faisant fuir les habitants juste à l’heure de la catastrophe. Ici, assurément, le hasard ne peut être invoqué. On cherchera une autre hypothèse, on supposera que le prophète était doué de la faculté des animaux qui pressentent les tremblements de terre ; mais cette hypothèse est insoutenable, il ne s’agit pas d’un phénomène cosmique, mais d’un immeuble particulier. Nos contradicteurs de parti pris veulent des hypothèses invraisemblables plutôt que d’admettre la simple réalité.

Et la servante de Schopenhauer, voyant, en rêve, cinq ou six heures d’avance, l’encrier renversé et l’encre coulant du bureau sur le plancher ? Attribuer cette vision prémonitoire au cerveau de la domestique du philosophe n’est-il pas un comble ?

Et l’enfant d’Édimbourg, charmant petit joueur, se voyant, tout d’un coup, dans un cercueil de satin blanc entouré de fleurs, ce qui arriva huit jours après ?

Et la jeune princesse de Radziwill, refusant toujours, depuis son enfance, de passer sous une porte de salon sous laquelle elle fut écrasée à la fête de ses fiançailles ?

Et Mlle Noell, de Montpellier, apparaissant à son frère le lendemain de sa mort et la lui apprenant ? Mes lecteurs ont lu ce récit dramatique dans L’Inconnu, et nous y reviendrons plus loin.

Même dans le cas de Mme Constans refusant obstinément de prendre la potion qui l’aurait tuée, où nous pourrions imaginer une divination mystérieuse de l’organisme, nous sentons aussi qu’il y a là une cause subliminale.

Et cent autres observations du même ordre !

Les pressentiments sont parfois d’une telle précision que certains psychologues pensent que l’âme humaine réduite à ses seules forces n’en est pas capable et qu’il est nécessaire de lui associer l’intervention d’un esprit extérieur à elle. Ces analystes poussent les conséquences spiritualistes encore plus loin que nous l’avons fait jusqu’ici.

Que le cerveau soit en jeu, fort bien ; mais il n’est que l’instrument. La locomotive ne marcherait pas sans le mécanicien. L’appareil électrique n’est pas le télégraphiste. Le téléphone n’est pas l’appeleur. La chambre noire n’est pas le photographe.

Il y a encore un autre aspect de l’homme dont nous n’avons pas parlé, et sur lequel nous n’avons pas à disserter ici : le caractère moral. Comment des combinaisons de molécules chimiques pourraient-elles produire de la bonté, du dévouement, l’amour du bien, l’honnêteté, la probité, la vertu, le sentiment du sacrifice, l’esprit de justice, la passion de la vérité, et toutes les facultés spirituelles qui constituent le domaine moral de l’humanité ? Les facultés de l’âme sont aussi diverses que les individus ; mais il y a une ressemblance commune entre toutes les âmes, c’est la conscience, pour condamner le mal et approuver le bien. Outre le côté esprit de l’âme, il y a le côté moral, qui est le fonds même de l’âme humaine. Comment voir là une fonction de la matière cérébrale ?

Non, l’homme n’est pas seulement l’organisme physique que les physiologistes ont enseigné jusqu’ici. Il est plus complexe. Qu’est-il en totalité ? C’est ce que nous cherchons dans ces études.

Cependant, certains hommes, censément scientifiques, ne veulent pas en démordre, n’acceptent sous aucun prétexte nos conclusions, quelque logiques qu’elles soient. Il y a là une négation systématique déplorable chez des esprits pondérés. Pour tout observateur libre, la méthode positive la plus stricte établit avec certitude que les faits supranormaux étudiés dans cet ouvrage ne peuvent plus être niés, doivent désormais être inscrits dans le domaine des sciences exactes, agrandi et transformé, ne sont pas attribuables à des fonctions cérébrales, et prouvent l’existence de l’âme comme entité distincte de l’organisme corporel.

***

Une méthode scientifique sévère est indispensable pour établir les études psychiques sur une base positive et les faire entrer dans le cadre de la science moderne, constamment élargi par les découvertes nouvelles qui, depuis un quart de siècle, ont transformé le monde. Mais lorsque les faits, depuis si longtemps discutés – et même niés – sont démontrés, on ne s’explique pas la persistance du scepticisme qui continue à refuser de les reconnaître. Une négation systématique obstinée est-elle raisonnable ?

Croire à tout est une erreur. Ne croire à rien en est une autre. Nous ne devons rien admettre sans preuves, mais nous devons reconnaître loyalement ce qui est prouvé.

Avouons, néanmoins, qu’il y a des tempéraments à ce point rebelles aux études spéciales qui nous occupent ici que, malgré toutes les preuves imaginables, ils ne croiront jamais à rien.

Nous rencontrons assez souvent, autour de nous, des hommes incapables d’être convaincus, malgré les constatations les plus évidentes, hommes excellents, d’ailleurs, à d’autres points de vue, instruits, agréables, philanthropes, mais dont les yeux de l’esprit sont construits de telle sorte qu’ils ne voient pas droit devant eux (les chasseurs assurent qu’il en est de même des lièvres). Leurs yeux ont un prisme devant la rétine au lieu du cristallin normal, et ce prisme dévie les rayons de quelques degrés, avec des réfractions différentes selon les types. Ce n’est pas de leur faute. Non seulement ils ne veulent pas reconnaître le soleil au méridien, mais ils ne peuvent pas. Divers modes d’éducation s’y sont opposés, les uns par une crédulité aveugle pour certains enseignements non démontrés du tout qui les satisfont, les autres par une incrédulité non moins aveugle. Charles du Prelraconte quelque part2 qu’un prédicateur de Vienne a prononcé du haut d’une chaire ces étonnantes paroles : « Je ne croirai à une suggestion hypnotique que lorsque je l’aurai vue, et je ne la verrai jamais, parce que j’ai pour principe de ne jamais assister à ce genre d’expériences ».

Quelle logique ! Quel magnifique raisonnement !

Les yeux ne servent de rien à un cerveau aveugle, dit un proverbe arabe.

Les dénégateurs impénitents, ceux qui rient de tout, ne se doutent pas du plaisir que nous donnent leurs dissertations. On y rencontre des humoristes distingués et de fins causeurs qui s’imaginent parcourir une route royalement dominée par leur opulente automobile, tandis qu’ils roulent sur des pneumatiques qu’un caillou suffit à dégonfler. Si je suis si affirmatif dans les principes posés ici, c’est que ma certitude est absolue, solidement étayée par l’examen impartial personnel fait depuis plus d’un demi-siècle. Les documents que je publie ne représentent qu’une minime partie de ceux que je possède, et j’en reçois tous les jours de nouveaux. Notre premier volume pourrait être double, quadruple, décuple de ce qu’il est, et les pages que l’on va lire pourraient être, elles aussi, multipliées par dix pour tout contenir. Mais les aveugles et les sourds ne perdent pas pour cela leur cécité et leur surdité. Sourire supérieurement de tout est si distingué !

Avoir trop d’esprit est quelquefois nuisible à la simple compréhension des choses telles qu’elles sont. Oh ! assurément, ce reproche n’est pas d’une extrême fréquence dans notre espèce humaine terrestre ; mais il est applicable de temps à autre à de célèbres spécimens de cette humanité. Tous ceux qui ont lu Voltaire ont été quelque peu choqués de ses idées saugrenues sur les fossiles, de son poème irrévérencieux sur la Pucelle d’Orléans et de ses plaisanteries de mauvais goût sur les sujets les plus graves. Trop d’esprit, vraiment ! Le mieux est l’ennemi du bien. Un télescope serait un mauvais instrument devant l’œil pour écrire une lettre. Un microscope serait également mal à sa place pour juger d’un paysage. Ce proverbe bien connu « quelqu’un a plus d’esprit que Voltaire : c’est tout le monde » n’a pas tort. Le simple bon sens n’est pas toujours à dédaigner.

Est-ce que l’illustre savant Henri Poincaré, dans sa quintessence de raisonnement métaphysique, n’a pas, un certain jour, laissé entendre qu’il doutait du mouvement de la Terre ? On se souvient de cette sorte de scandale scientifique et littéraire.

Les écrivains réactionnaires s’empressèrent d’argumenter. Édouard Drumont, en tête, écrivait dans La Libre Parole du 9 janvier 1904 :

« Il n’est pas démontré du tout que la Terre tourne, comme le prétendait Galilée, et qu’elle ne soit pas le centre du système planétaire. M. H. Poincaré, qui est, à l’heure actuelle, le premier des géomètres physiciens français, n’a nullement un ton affirmatif et dit : On soutient que la Terre tourne, et je n’y vois pas d’inconvénient pour ma part. C’est une hypothèse agréable et commode, pour expliquer la formation et l’évolution des mondes, qui ne peut être ni confirmée ni infirmée par aucune preuve tangible. L’espace absolu, c’est-à-dire le repère auquel il faudrait rapporter la Terre pour savoir si, réellement, elle tourne, n’a aucune existence objective. Dès lors, cette affirmation : « La Terre tourne » n’a aucun sens, puisque aucune expérience ne permet de la vérifier. Ces deux propositions « la Terre tourne » et « il est plus commode de supposer que la Terre tourne » ont un seul et même sens ; il n’y a rien de plus dans l’une que dans l’autre. »

Un grand nombre de journaux ont enfourché le Pégase pris au lacet par Drumont : L’Éclair, la Liberté, etc., de Paris, et une quantité de journaux de province, sans compter les Croix de tous les diocèses... On lit dans la Croix du Nord du 22 février : « Ceux qui affirment que la Terre tourne n’en savent rien. Ils disent que la Terre tourne parce qu’ils pensent que cela embête profondément les catholiques. »

Une pareille levée de boucliers a été un phénomène assez curieux dans la quatrième année de notre vingtième siècle !

J’ai souvent décrit, dans mes ouvrages, les 14 principaux mouvements de la Terre, et ce n’est pas ici le lieu de les exposer. Cependant, les ignorants et les sectaires répliquent : Il n’y en a pas quatorze, il n’y en a pas du tout, ni rotation en 24 heures, ni révolution en 365 jours autour du Soleil, ni transport vers la constellation d’Hercule, ni oscillation séculaire du pôle... rien.

Pourtant, tout le monde peut se convaincre, par exemple, du premier de ces mouvements, de la rotation diurne à laquelle nous devons la succession du jour et de la nuit, par un raisonnement tellement simple qu’il en est enfantin et que nous pouvons résumer en quelques lignes :

Nul ne peut contester que nous voyions tous les jours le Soleil, la Lune, les planètes, les étoiles, se lever à l’Orient, monter dans le ciel, arriver à un point culminant, descendre, se coucher à l’Occident et reparaître le lendemain à l’horizon oriental après être passés au-dessous de la Terre.

Il n’y a que deux hypothèses à faire pour expliquer cette observation universelle et perpétuelle : ou bien c’est le ciel qui tourne de l’Est à l’Ouest, ou bien c’est notre globe qui tourne sur lui-même en sens contraire.

Dans le premier cas, il faut supposer les corps célestes animés de vitesses proportionnelles à leurs distances.

Le Soleil, par exemple, est éloigné de nous à 23 000 fois le demi-diamètre de la Terre ; il devrait donc parcourir en vingt-quatre heures une circonférence 23.000 fois plus grande que celle de l’équateur terrestre, ce qui conduit à une vitesse de 10 695 kilomètres par seconde.

Jupiter est environ 5 fois plus loin ; sa vitesse devrait être de 53 000 kilomètres par seconde.

Neptune, 30 fois plus éloigné, devrait parcourir 320 000 kilomètres par seconde.

L’étoile la plus proche, Alpha du Centaure, située à urne distance 275 000 fois supérieure à celle du Soleil, devrait courir, voler dans l’espace avec une vitesse de 2 milliards 941 trillions de kilomètres par seconde.

Toutes les étoiles sont incomparablement plus éloignées encore... jusqu’à l’infini. Et cette rotation fantastique devrait s’accomplir autour d’un point minuscule, autour de l’atome terrestre, plus d’un million de fois plus petit que le Soleil et invisiblement perdu dans l’immensité des mondes !

Poser ainsi le problème, c’est le résoudre. À moins de nier les mesures astronomiques et les opérations géométriques les plus concordantes, le mouvement de rotation diurne de la Terre est une certitude.

Supposer que les astres tournent autour de notre globe, c’est supposer, comme l’écrivait un auteur humoristique, que pour rôtir un faisan on aurait fait, tourner autour de lui la cheminée, la cuisine, lamaison et tout le pays.

D’ailleurs, le pendule de Foucault montre ce mouvement, et l’aplatissement polaire le prouve.

Malgré cette certitude, nous voyons des écrivains continuer à proclamer des doutes inexplicables.

À ce point que le successeur de Poincaré à l’Académie française, en 1917, M. Capus, a prononcé les paroles suivantes dans son discours de réception :

« Voilà, a-t-il dit, que quatre siècles après Copernic, un maître du savoir remarque qu’il n’existe nulle part dans l’espace un poste de l’intérieur duquel on puisse observer si réellement la Terre tourne et que, par conséquent, cette affirmation « la Terre tourne » n’a aucun sens, puisque aucune expérience ne permettra jamais de la vérifier. Mais la découverte de Copernic peut se résumer en ces mots : il est plus commode de supposer que la Terre tourne, parce qu’on exprime ainsi les lois de l’astronomie dans un langage plus simple. »

Et plus loin :

« Longtemps le Soleil nous a laissé croire que c’est lui qui montait à l’horizon ; puis il nous a suggéré que c’était peut-être la Terre qui se tournait mollement vers lui, mais, dans l’une et l’autre hypothèse, il ne nous a mesuré ni la lumière ni la chaleur. Acceptons donc, comme la condition même de notre destinée, la vérité approximative et l’à peu près de l’observation. »

Ce langage proclamé sous la coupole de l’Institut, et plutôt digne d’une scène de vaudeville, a lieu de nous stupéfier ; il aurait troublé plus d’un esprit si on l’avait pris au sérieux.

Cette rotation de la Terre est archi-démontrée ; la nier serait nier toute l’astronomie et toute la mathématique céleste.

De même que la Terre tourne, nous voyons les autres planètes tourner : Mars en vingt-quatre heures trente-sept minutes, Jupiter en neuf heures cinquante minutes, Saturne en dix heures quatorze minutes. Un observateur placé sur la Lune verrait notre globe accomplir sa rotation diurne, etc.

Poincaré n’avait énoncé, à ce propos, qu’une dissertation métaphysique sur « la relativité des mouvements » ; il a fort regretté personnellement les commentaires dont une partie de la presse a assaisonné sa dissertation plutôt amusante.

Je me suis efforcé de détruire cette légende, et l’illustre astronome m’y avait invité par la lettre explicative que voici publiée au Bulletin de la Société Astronomique de France, en mai 1904 :

Mon cher collègue,

Je commence à être un peu agacé de tout le bruit qu’une partie de la presse fait autour de quelques phrases tirées d’un de mes ouvrages – et des opinions ridicules qu’elle me prête.

Les articles auxquels ces phrases sont empruntées ont paru dans une revue de métaphysique ; j’y parlais un langage qui était bien compris des lecteurs habituels de cette revue.

La plus souvent citée a été écrite au cours d’une polémique avec M. Le Roy, dont le principal incident a été une discussion à la Société philosophique de France. M. Le Roy avait dit : « Le fait scientifique est créé par le savant ». Et on lui avait demandé : Précisez, qu’entendez-vous par un fait ? – Un fait, avait-il répondu, c’est par exemple, la rotation de la Terre. Et c’est alors qu’était venue la réplique : Non, un fait, par définition, c’est ce qui peut être constaté par une expérience directe, c’est le résultat brut de cette expérience. À ce compte, la rotation de la Terre n’est pas un fait.

En disant : « ces deux phrases, la Terre tourne, et il est commode de supposer que la Terre tourne, n’ont qu’un seul et même sens », je parlais le langage de la métaphysique moderne. Dans le même langage, on dit couramment : « Les deux phrases, le monde extérieur existe et il est commode de supposer que le monde extérieur existe, n’ont qu’un seul et même sens. »

La rotation de la Terre est donc certaine, précisément dans la même mesure que l’existence des objets extérieurs.

Je pense qu’il y a là de quoi rassurer ceux qui auraient pu être effrayés par un langage inaccoutumé. Quant aux conséquences qu’on a voulu en tirer, il est inutile de montrer combien elles sont absurdes. Ce que j’ai dit ne saurait justifier les persécutions exercées contre Galilée, d’abord parce qu’on ne doit jamais persécuter même l’erreur, ensuite parce que, même au point de vue métaphysique, il n’est pas faux que la Terre tourne, de sorte que Galilée n’a pu commettre d’erreur.

Cela ne voudrait pas dire non plus qu’on peut enseigner impunément que la Terre ne tourne pas, quand cela ne serait que parce que la croyance à cette rotation est un instrument aussi indispensable à celui qui veut penser savamment que l’est le chemin de fer, par exemple, à celui qui veut voyager vite.

Quant aux preuves de cette rotation, elles sont trop connues pour que j’insiste. Si la Terre ne tournait pas sur elle-même, il faudrait admettre que les étoiles décrivent en vingt-quatre heures une circonférence immense que la lumière mettrait des siècles à parcourir.

Maintenant, ceux qui regardent la métaphysique comme démodée depuis Auguste Comte me diront qu’il ne peut pas y avoir de métaphysique moderne. Mais la négation de toute métaphysique, c’est encore une métaphysique, et c’est précisément là ce que j’appelle la métaphysique moderne.

Pardon de ce bavardage, et tout à vous.

Poincaré

J’avoue, toutefois, que cette lettre ne m’avait pasabsolument satisfait. Le scepticisme du philosophe y persiste, et c’est une contradiction avec la certitude que nous devons avoir des démonstrations de l’astronomie moderne. Poincaré pensait, comme Berkeley, que nous ne sommes sûrs de rien, même pas de l’existence de la Terre, du Soleil, et du monde extérieur à notre pensée, qui, seule, existerait. J’ai eu souvent avec lui de longues discussions sur ce point. Et c’est ce qui me faisait dire plus haut que l’on peut préférer le simple bon sens aux quintessences de l’esprit.

***

Reconnaître simplement la réalité de ce que l’expérience démontre, c’est tout ce que nousdemandons. Se servir tranquillement de sa raison. N’être dupes de rien, d’aucune illusion ni d’aucun sophisme. Voir le soleil à midi. Tout étudier sincèrement, franchement, carrément, consciencieusement.

Après tout, pourquoi nous préoccuper des indifférents, des négateurs, des incrédules ? Le désir de convaincre. L’apostolat de la vérité. Le bonheur d’être utile, de faire le bien, de consoler ceux qui souffrent, de répandre autour de soi les rayons de l’espérance. Mais ceux qui sont satisfaits, soit par leur certitude du tranquille néant après la mort, soit par leur croyance en des dogmes qui suffisent à leur mentalité, n’ont aucun besoin de chercher plus loin. Toute conviction sincère est respectable. La liberté de conscience avant tout, que cette conscience soit celle d’un chrétien, d’un juif, d’un musulman, d’un bouddhiste, d’un taoïste, d’un théosophe, d’un athée, peu importe. Chacun pour soi. Mais comme la conduite de la vie est tout autre selon que l’on admet ou que l’on n’admet pas la survivance et la responsabilité de nos actes dans une justice immanente, celui qui sait que l’âme existe et qu’elle survit au corps considère comme un devoir d’être utile à ses frères.

Il est juste, toutefois, de remarquer que dans la discussion analytique des phénomènes psychiques, l’incrédulité trouva parfois certains points d’appui, plus ou moins solides.

L’admission de ces faits extraordinaires ne va pas, en effet, sans soulever des difficultés et des objections de divers genres, pour lesquelles le geste de l’autruche n’est pas suffisant.

Ainsi, par exemple, en ce qui concerne la vue par l’esprit, à distance, dans un appartement fermé, sous une enveloppe close, et même dans l’avenir, ces facultés nous incitent à nous demander comment les êtres qui en sont doués ne sont pas les maîtres du monde. Ne peuvent-ils jouer sur toutes les valeurs financières, connaître les secrets d’État qui courent d’un bout du monde à l’autre, scellés dans les valises diplomatiques ? Ne peuvent- ils, sans éclaireurs ni avions, percevoir les mouvements de troupes dans une guerre et déterminer d’avance les batailles de la Marne ? Découvrir les abris camouflés de l’artillerie, les sous-marins destructeurs, et même empêcher les guerres en dévoilant les plans concertés par les potentats ? Ne peuvent-ils nous dire où nous pouvons trouver dans les entrailles du sol le charbon, les minerais, le pétrole qui nous manquent ? Voilà ce que m’écrivait récemment un lecteur du premier volume, en ajoutant : « J’ai le grand bonheur d’être foncièrement spiritualiste et de penser exactement comme vous, mais j’estime avec vous aussi, que nous ne devons reculer devant aucun problème et que rien n’est plus intéressant au monde que la recherche de la vérité. »

La réponse à ces objections si logiques est que les facultés dont nous parlons ne s’exercent pas normalement, à notre volonté, mais en des conditions spéciales indéterminées, et la plupart du temps spontanément. Ce sont des sortes d’inspirations, de situations hypnotiques. On peut les comparer aux créations musicales. Beethoven aurait-il pu écrire sur commande l’une quelconque de ses admirables symphonies ? Il en est de même des poètes. Voyez-vous un général ordonnant à Beethoven de rêver sa sonate du Clair de lune ou à Dante sa Vision du Paradis ? Ce sont des jets d’imagination, des créations de l’esprit. Rouget de Lisle a écrit, en parlant de la Marseillaise : « Les paroles me venaient avec l’air. » On a quelquefois commandé des poèmes pour des cérémonies officielles ; on a obtenu des résultats analogues au poème de Rostand sur la réception de l’impératrice de Russie au palais de Compiègne, où le tapis sur lequel elle marche s’écrie tout à coup :

Oh ! oh ! c’est une impératrice !!!

Quel tapis indiscret ! Et quel étonnement de sa part ! Il me semble que cet académicien n’a guère été mieux inspiré que le successeur d’Henri Poincaré.

Ces facultés supranormales ne sont pas à nos ordres. Elles s’exercent inconsciemment. Celui qui voit l’avenir ne le sait pas. C’est un présent qu’il voit et qu’il ne croit pas réel. Lorsque l’événement arrive, il constate la prémonition, la vue antérieure. D’autre part, ces prévisions ne se produisent,même chez les sujets les plus aptes, que rarement dans la vie, la plupart du temps une seule fois.

Tout incontestable qu’il est, le phénomène de la vue sans les yeux et de la connaissance de l’avenir est un phénomène supranormal. C’est l’inconscient qui agit. Nous ne connaissons pas les lois de cette action.

Les magnétiseurs ont souvent obtenu des vues à distance remarquablement précises par leurs somnambules ; mais il ne faut pas toujours s’y fier. Il s’y mêle parfois l’influence d’esprits extérieurs, comme dans les manifestations spirites. J’ai sous les yeux, en ce moment, une centaine de cas dece genre, assez inextricables. Le plus curieux, peut-être, est celui qui a été rapporté par Maxwell, de cette statuette déplacée par un esprit qui dirigea pendant plusieurs mois les actions de l’observateur stupéfait et confiant, et finit par le ruiner au moment de la guerre de 1870, dont il n’avait pas prévu les conséquences à la Bourse, quoique jusque-là toutes ses indications et prédictions eussent été d’une parfaite exactitude.

En résumé, on doit apporter dans les études métapsychiques les mêmes règles rationnelles que dans toutes les branches de la science, et le bon sens normal doit éliminer désormais l’incrédulité qui s’est si longtemps opposée à l’admission des faits les mieux établis.

Si j’ai un peu insisté sur l’argument relatif au mouvement de la Terre, à propos d’une indécision inacceptable, c’est que la connaissance de la position de notre planète dans l’Univers constitue la base même de toute la science – et qu’il importait de juger les inconvénients graves, au point de vue philosophique, des doutes non motivés, funestes à la recherche de la Vérité.

***

Une objection bien différente des précédentes m’a été faite à propos de notre premier volume. Une personne, qui me prie de taire son nom, m’a adressé, d’un château des environs du Mans, une longue et intéressante missive m’exprimant ses regrets de ce que j’ai dit à propos de Lourdes et de l’apparition de la Sainte Vierge, qu’elle considère comme authentique. D’autres lettres m’ont été écrites dans le même sens, notamment par un éminent chanoine du diocèse de Marseille.

Si j’ai parlé des guérisons de Lourdes c’est parce qu’ellesprouvent l’existence de l’âme, la puissance de l’idée, de l’exaltation mentale, de la Foi. Mais c’est une erreur de penser que l’église catholique en ait le monopole. Il y en a beaucoup d’autres dans le même cas, qui n’ont rien de commun avec Notre-Dame de Lourdes ou de la Salette, et qui ne sont pas catholiques du tout.3

Cet ouvrage n’est pas écrit pour les maisons religieuses, ni pour les fidèles d’une religion quelconque, convaincus et satisfaits, mais pour les hommes qui pensent librement, voulant juger les choses en toute indépendance d’esprit. Or, est-il raisonnable de croire que la mère de Jésus-Christ s’occupe des guérisons de Lourdes ; ou Esculape de celles du temple d’Épidaure ? On peut récuser l’association de Mme P. à la vision de Bernadette, malgré l’anecdote locale qui s’est racontée immédiatement dans le pays, et n’admettre qu’une hallucination sans cause objective, mais supposer une action directe de la Vierge Marie paraît vraiment tout à fait extravagant.4

Les religions (il y en a une cinquantaine sur notre petit globe) ne semblent-elles pas, bien souvent, des parodies de la religion ?Comment ne pas admettre l’existence d’un Esprit universel régissant toutes choses, les atomes comme les mondes, la moindre plante, le moindre animal, aussi magistralement que les globes du système solaire, les genèses des nébuleuses, les millions de soleils de la Voie lactée ? La Religion, la croyance en un Dieu infini – et inconnaissable pour nous – s’impose à tout esprit qui pense.

On répond que les religions sont des formes diverses de cette croyance générale en un Être suprême, que ces formes sont à la portée de notre entendement, qu’elles sont utiles pour les faibles d’esprit, pour les paresseux, pour les êtres qui n’ont ni la force ni la volonté de penser et qui trouvent une solution facile de leurs actes dans les formules dogmatiques interdisant toute recherche et exigeant la soumission passive au mystère, sans essayer d’en soulever le voile, ce qui serait une profanation.

Mais les religions ne feront-elles pas un jour place à la Religion ?

Ne se perfectionneront-elles pas, celles de la Chine comme celles de l’Europe ?

L’humanité est-elle donc incapable de se former une croyance rationnelle ? Les illusions et les superstitions sont-elles donc indispensables ?

Que les formes religieuses soient utiles au point de vue social, qu’elles enseignent des principes d’honnêteté, qu’elles soient pieusement consolatrices des misères, des injustices, des deuils, nul ne peut le contester. Mais pourquoi certains croyants s’imaginent-ils qu’ils ne doivent pas s’éclairer ? Pourquoi l’intolérance religieuse de certains sectaires, qui interdisent et condamnent la libre recherche et qui n’admettent pas que l’on puisse raisonner autrement qu’eux ? Peut-on penser au vingtième siècle avec la mentalité de l’an mille ? Faut-il deux religions, une pour les êtres instruits, capables de réfléchir, de discuter, une autre pour le vulgaire ? Jusqu’à présent, cette distinction a paru nécessaire. Mais maintenant ?

N’est-il pas bon d’élaguer les scories ?

Le clergé du temps de Jeanne d’Arc n’a-t-il pas eu tort de la déclarer sorcière, hérétique, et de faire périr dans le supplice d’un infâme bûcher cette vierge de dix-neuf ans ?

Galilée n’a-t-il pas été condamné comme hérétique ? Etc., etc. Pourquoi ne pas admettre un progrès dans les idées ?

N’insistons pas. Ce n’est pas ici le lieu.

Tous les hommes qui pensent ont traversé les angoisses du doute, de l’incertitude succédant aux sérénités de la foi enfantine. Le fondateur des Recherches psychiques expérimentales, en Angleterre, Frédéric Myers, nous a fait entendre l’écho d’une crise analogue à celle dont j’ai parlé dans mes Mémoires. Il raconte ceci à propos de l’évolution de sa pensée :

Élevé dans l’Église anglicane, il en fut un membre fidèle, voire intransigeant, « agressively orthodox » suivant sa propre expression, jusqu’à l’âge des crises inévitables où, déchiré entre un besoin inextinguible de certitude quant à l’au-delà, l’attachement de sa foi au dogme traditionnel, et, d’autre part, les spéculations philosophiques, il alla confier ses perplexités au professeur Sidgwick. « Dans une promenade sous le ciel étoilé que je n’oublierai jamais, je lui demandai, presque en tremblant, s’il pensait qu’après la faillite de la tradition, de l’intuition et de la métaphysique à résoudre l’énigme de l’univers, il y avait encore une chance pour que l’étude de certains phénomènes observables actuels – revenants, esprits, n’importe quoi – pût nous fournir quelque connaissance valable relativement au monde invisible. Sidgwick me parut avoir déjà songé à cette possibilité et, avec assurance, m’indiqua quelques raisons d’espérer. De ce soir-là date ma résolution de me livrer à cette recherche. »5

C’était le 3 décembre 1869 ; Myers avait vingt-six ans. Le but essentiel de sa vie se trouvait désormais fixé.

Nous avons tous passé par là. Mais le chemin de Damas n’est pas le même pour tous.

Un éminent historien, auteur contemporain célèbre, m’écrivait un jour : « Mon cher ami, pourquoi vous préoccuper des croyances vulgaires ? Vous savez aussi bien que moi qu’elles ne sont fondées sur aucune réalité. Vous savez aussi bien que moi qu’Adam et Ève n’ont jamais existé ; que le déluge est une exagération d’une inondation locale, que jamais les eaux ne se sont élevées à la hauteur du mont Ararat, que ce sont les montagnes qui se sont soulevées. Vous savez aussi bien que moi que Jésus-Christ n’a pas pu envoyer des démons dans un troupeau de cochons qui se seraient précipités dans la mer. Vous savez aussi bien que moi que le pape Alexandre VI et le cardinal Dubois, archevêque de la Régence, étaient athées, et que l’anticlérical Voltaire était le plus convaincu des déistes, etc., etc. Alors, laissez ces croyants tranquilles dans leurs illusions. Pourquoi vous créer des ennemis quand vous ne cherchez que le progrès de l’instruction générale ? »

Sans doute. Le conseil est dicté par une sincère amitié. Mais serait-il possible d’étudier le problème de la mort sans toucher aux croyances religieuses ? Non, c’est impossible, ce problème étant le fond même de la religion. Respectons les croyances, les illusions, mais éclairons-les par de nouvelles lumières. Le monde marche. Ad veritatem per scientiam !

***

Les libres chercheurs ont devant eux deux sortes d’adversaires : les croyants à un pôle, les matérialistes à l’autre pôle. Tandis que je rédigeais ces lignes, j’ai reçu une longue et savante dissertation de mon illustre ami Camille Saint-Saëns, discutant mes arguments, avec la conviction que tous les spiritualistes sont dans l’erreur et ne trouveront rien : « Pardonne-moi, m’écrit-il aimablement, mais malgré tous tes raisonnements, malgré ta grande autorité due à ta valeur exceptionnelle et à ton intelligence hors ligne, je ne crois pas à l’âme. Quant à Dieu, quand on voit ce qui se passe... »

Espérer convaincre tout le monde est une utopie, – je l’avoue.

Camille Saint-Saëns est, assurément, un des plus grands esprits de notre siècle. Il est instruit sur toutes choses, notamment sur l’astronomie, l’histoire des religions, la télépathie, les prémonitions, les sensations psychiques, et me cite même le fait suivant qui lui est personnel :

« Lorsque je posai la première fois ma candidature à l’Académie des Beaux-Arts, je ne fus pas nommé. J’en fus quelque peu contrarié et je me dis mentalement, en regardant les lions égyptiens qui ornent si bizarrement la façade de l’Institut : Je me représenterai quand les lions se retourneront.

Quelque temps après, on a retourné les lions ! »

J’ai répondu à Saint-Saëns : « Tu es le plus charmant des amis, le plus puissant des musiciens, la gloire de l’Institut, l’un des profonds penseurs de notre époque ; mais tu n’es pas logique. Comment un assemblage quelconque de molécules chimiques sous ton crâne aurait-il pu « sécréter » cette prémonition bizarre ? Une idée ne peut pas être produite par un appareil matériel. Ton esprit a vu un aspect de l’avenir, sans s’en douter. »

Et je trouve mon illustre ami d’autant plus illogique qu’en dehors de la prémonition dont nous venons de parler, qui, d’ailleurs, n’était qu’une boutade, mais une boutade de l’esprit, il a été l’objet d’autres manifestations d’ordre essentiellement psychique, car il m’écrivait aussi :

« La télépathie, la prescience de l’avenir, j’en ai eu personnellement des exemples ; je t’en citerai quelques-uns :

Au temps lointain où j’habitais le haut du faubourg Saint-Honoré, je travaillais beaucoup. Or, quand j’étais plongé dans mon travail, jusque par-dessus la tête, il m’arrivait brusquement de penser à une personne de ma connaissance. Quelques instants après – le temps de traverser la cour et de monter l’escalier – on sonnait : c’était la personne à qui j’avais pensé. Les premières fois, j’ai cru au hasard ; mais la vingtième fois !... Ce phénomène a duré plusieurs années.

Dans ma jeunesse, un peintre de mes amis me fit voir un tableau qu’il destinait à l’Exposition annuelle. Il n’avait pas encore exposé et ignorait s’il serait reçu. En regardant le tableau, je le vis dans la première salle du Palais de l’Industrie, en haut de l’escalier, à une certaine place. Le jour de l’ouverture du Salon, j’y vais, et je vois le tableau à la place prévue. »

N’est-ce pas l’esprit qui est en jeu ici ? Comment voir là une propriété de la matière ? Comme mes lecteurs le savent, ces faits psychiques sont fréquents.

***

Pour résumer ce chapitre, il me semble qu’en tenant compte de toutes les objections, de toutes les difficultés apparentes, en prenant l’humanité telle qu’elle est, avec ses diversités de caractères, de perception, d’entendement et d’interprétation, nous devons reconnaître que l’homme n’est pas seulement un assemblage de molécules matérielles, mais est beaucoup plus complexe que ne l’enseigne la physiologie classique, et qu’il porte en lui un élément psychique distinct de l’organisme physique, chimique, mécanique.

Les faits exposés dans notre premier volume, ainsi que tous ceux du même ordre, prouvent irrécusablement l’existence de l’âme. Toutes les arguties et toutes les subtilités que l’on peut imaginer dans les discussions les plus variées ne neutralisent pas les conséquences qui s’imposent. Un fait d’observation est un fait. Quoi qu’en pense Henri Poincaré, le mouvement de la Terre est un fait. Toutes les dissertations métaphysiques dans lesquelles on peut s’égarer n’empêchent pas notre globe de tourner, ni les facultés intrinsèques de l’âme de prouver son existence, absolument distincte de tout ce qui peut être normalement attribué à un organisme physiologique matériel.

Nous avons contre nous, dans nos recherches, trois sortes d’adversaires à peu près irréductibles : 1° ceux qui se moquent de tout, ne s’intéressent à rien ; 2° les matérialistes convaincus, par principe, que la matière produit tout ; 3° les âmes enfermées dans un dogme étroit (à quelque religion qu’elles appartiennent), qui sont sûres et satisfaites de leurs croyances. Les adeptes de la Vérité ont toujours formé une minorité, malgré les plus persévérants efforts des chercheurs indépendants.

Gardons cette persévérance, néanmoins. Le bon grain finira par germer.

Après tout, chacun court à la mort, inévitablement, et chacun est libre d’y penser ou non. Il semble, cependant, que la raison devrait s’imposer.

Ne désespérons jamais du progrès. Le monde marche. La vérité triomphe graduellement. Lorsque j’ai fondé la Société Astronomique de France, en 1887, le Directeur de l’Observatoire de Paris, l’amiral Mouchez, me déclarait que c’était là une tentative sans avenir, étant données l’indifférence générale, d’une part, et, d’autre part, les rivalités personnelles des savants entre eux. Nous n’étions que douze à cette fondation. Je ne me doutais pas moi-même que ses membres se compteraient un jour par milliers, que mes successeurs à la présidence de cette Société seraient les gloires de l’Institut, les astronomes officiels du Bureau des Longitudes, les directeurs des Observatoires, les plus hautes autorités de l’Université de France : Faye, Tisserand, Janssen, Henri Poincaré, Deslandres, Puiseux, Baillaud, le comte de la Baume Pluvinel, Paul Appell, etc., et que le budget annuel de cette fondation dépasserait un jour cent mille francs. Non, ne désespérons jamais du progrès.

Et ne soyons ni surpris, ni affligés, des diversités d’opinions. La discussion libre et loyale est nécessaire pour la conquête de la vérité.

Pénétrons, maintenant, un peu plus avant dans la connaissance de l’homme.

La marche logique de notre étude va nous amener aux manifestations et apparitions de mourants et de morts. Mais il y a des apparitions de vivants, qu’il importe de constater d’abord, comme intermédiaires entre les deux mondes.

L’être humain est composé de deux éléments distincts : l’âme et le corps. Le corps est visible et pondérable. L’âme peut se manifester physiquement dans les doubles de vivants. Qu’est-ce que le Double ?

II – Les doubles de vivants

Γνϖτισεαυτόν

Connais-toi toi-même.

L’oracle de Delphes.

Nous allons avoir à étudier, à examiner, à discuter un grand nombre d’apparitions et de manifestations de mourants, et nous arriverons ensuite aux apparitions et manifestations de morts. Or, il y a des apparitions de vivants qui se présentent à nous comme une introduction toute naturelle aux études plus complexes qui vont suivre. Ces dédoublements de l’être humain, ces bilocations, ont été l’objet d’observations attentives. Naturellement, on les a révoqués en doute, on les a niés, par raisonnements insuffisants, par parti pris de se refuser à admettre ce que l’on ne comprend pas. Soyons plus indépendants, aimons à nous instruire, ne nions rien d’avance, donnons-nous la peine – ou le plaisir – d’analyser en toute liberté d’esprit.

Il y a deux sortes de dédoublements, les inconscients et les conscients. Occupons-nous d’abord des dédoublements involontaires. Nous examinerons ensuite les apparitions expérimentales entre vivants.

Mes lecteurs connaissent déjà plusieurs exemples d’apparitions de vivants publiées dans mes précédents ouvrages, et il serait superflu de répéter ici ces exemples divers. Ils ont pu voir, dans Uranie,