Les Martyrs de Verdun - Jean Pascal Caussard - E-Book

Les Martyrs de Verdun E-Book

Jean Pascal Caussard

0,0

Beschreibung

Hiver 1939, mon grand-père repose son journal sur la table basse qui nous sépare, son visage reflète une sorte de lassitude et de colère contenue, que je ne lui connais pas. Lorsque je lui en demande la raison, il explose ; ses joues s'empourprent et ses mains se mettent à trembler. - Ils sont devenus fous ! Tout recommence ! Ils n'ont pas été capables de tirer les enseignements du conflit précédent. On avait dit "plus jamais ça", mais ils refont les mêmes erreurs. Je ne pensais pas devoir revivre ça. Si j'avais su, je me serais laisser crever à Verdun ! Lui, habituellement si calme et mesuré, est rouge de colère. Il crie presque, laissant éclater sa rage et sa haine à l'encontre des politiciens qui nous gouvernent. - Tu te trouvais à Verdun ? Tu ne m'en a jamais rien dit. Il plante ses yeux dans les miens, semblant fouiller mon cerveau. Son regard se fait plus intense et pénétrant, empli de gravité. - Oui, j'y étais, mais je ne l'ai jamais raconté à qui que ce soit. Personne ne m'aurait compris, ni même cru. Je vais te relater ce que j'ai vécu là-bas, mais ce sera la première et la dernière fois. Ne m'interromps pas ! Son regard se perd dans le vide, il voit à travers moi, au loin vers la Meuse, il y a vingt-trois ans... La réalité a-t-elle été si terrible qu'on le dit ? Ce récit est basé, notamment, sur des témoignages de poilus, et des courriers (passés à travers le filtre de la censure) ; ceux des hommes qui ont combattu à Verdun, sur la Somme, au Chemin des Dames ou ailleurs...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 128

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


"La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas."

Paul Valéry

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayant droit ou ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avant-Propos

Cette histoire est basée sur des situations vécues, sur des témoignages et sur des courriers envoyés à leur famille (et non censurés) par des hommes qui ont combattu à Verdun ou dans d'autres lieux tout aussi inhumains au cours de la Première Guerre Mondiale.

Certains de ces hommes étaient français, ou allemands ou d'une multitude de nationalités, tous unis dans la même souffrance ou dans la mort.

Certains passages sont crus, durs, insoutenables et pourtant ils ne représentent qu'une infime partie de ce que ces hommes ont subi et enduré…

Les Martyrs de Verdun

Hiver 1939, les événements se précipitent. Les discours alarmistes se font plus pesants, plus précis, plus réels. Les belles paroles de paix s’éloignent et se dissipent au point d’en devenir inaudibles, perdues dans un maelstrom fait de fausses promesses et de vrais mensonges, de diplomatie et de trahison, d’alliances et de menaces, de leurres et de crédulité. L’Europe semble proche de l’implosion, portée par les idées extrémistes de tous bords. Petit à petit, les voix des militaires prennent le pas sur celles des politiciens et des gouvernants.

Ce dimanche, mes parents sont allés passer l’après-midi chez des amis, moi j’ai préféré rendre visite à mon grand-père qui habite une petite maison à l’orée de la forêt ; j’aime tant sa compagnie. Nous restons de longs moments à débattre avec passion de l’actualité. Il m’apporte beaucoup dans le cadre de mes études de journalisme. Il m’oblige à décortiquer chaque information, à la croiser avec différentes sources, à tenter de comprendre ce qui a motivé celui qui l’a écrite, à rechercher le prisme à travers lequel il l’a interprétée.

Pourtant, aujourd’hui, il semble moins enclin à parler. Je perçois de la tension en lui. Sur la table basse qui nous sépare, plusieurs journaux sont éparpillés. Toutes les unes traitent du même sujet et cependant, leurs contenus sont très contrastés. Certains annoncent une guerre imminente et inéluctable, d’autres mettent l’accent sur les accords signés par la France et l'Angleterre d'un côté, l’Allemagne, l'Italie et le Japon de l'autre qui empêcheront tout affrontement par l'ampleur des forces en présence dans les deux blocs, d’autres encore oscillent entre ces deux idées. Certains sont sûrs de leur fait, les autres plus enclins au doute.

- Ça n’a pas l’air d’aller, grand-père.

- Ils sont devenus fous ! Tout recommence ! Ils n’ont pas été capables de tirer les enseignements du conflit précédent. On avait dit "plus jamais ça", mais ils refont les mêmes erreurs. Je ne pensais pas devoir revivre ça. "Si j’avais su, je me serais laissé crever à Verdun", lance-t-il avec une fureur à peine contenue.

Lui, habituellement si calme et mesuré, est rouge de colère. Il crie presque, laissant éclater sa rage et sa haine à l’encontre des politiciens qui nous gouvernent.

- Tu te trouvais à Verdun ? Tu ne m’en as jamais rien dit.

Il plante ses yeux droits dans les miens, semblant fouiller mon cerveau. Son regard se fait intense et pénétrant, empli de gravité.

- Oui, j’y étais, mais je ne l’ai jamais raconté à qui que ce soit. Personne ne m’aurait compris, ni même cru. Je vais te relater ce que j’ai vécu là-bas, car je pense que tu as l’esprit assez ouvert et réceptif pour ça, mais ce sera la première et la dernière fois. Ne m’interromps pas !

Son regard se perd dans le vide, il voit à travers moi, au loin vers la Meuse, il y a vingt-cinq ans.

Théoriquement, vu mon âge, j’aurais dû être versé dans la territoriale, mais l’armée et les mystères de son organisation, en ont décidé autrement. Début juin 1915, après un an passé à l’arrière, dans l’intendance, j’arrive sur mon nouveau lieu d’affectation, au nord-est de Verdun.

Comme sur une grande partie du front, sur plusieurs centaines de kilomètres, nos troupes se sont enterrées. Nous troquons nos fusils contre des pelles et des pioches et nous creusons. Nous vivons dans un réseau de galeries, d’abris, de lignes de défense, de boyaux de communication. Nous récupérons tout ce qui peut être utilisé pour améliorer nos conditions de vie. De simples planches ou des plaques de tôle ondulée constituent un matériau de choix. Nous les employons pour construire un semblant de toit, des châlits, des casemates et pour renfoncer les parois des tranchées qui ont une fâcheuse tendance à s’écrouler par temps de pluie, et il pleut beaucoup par ici.

Nous utilisons des pieux en bois, des branches entrelacées et des sacs de sable en guise de murs et de protection. Quand on en a assez de piocher et de pelleter cette glaise qui colle aux outils, on s’assoit et on discute, ou on se traine sans but. Nous demandons aux anciens le pourquoi de notre présence ici. Tout paraît si calme sur cette partie du front, trop calme ; la guerre semble se dérouler autre part. "On n’en sait fichtrement rien", nous répondent-ils, "certains prétendent que ça va péter du côté de la Somme".

En face, nos adversaires doivent se trouver dans la même situation que nous, eux aussi se sont enfouis dans la terre et attendent. Deux armées de taupes se font face depuis des mois.

Deux semaines après notre arrivée, on nous envoie attaquer les lignes ennemies, pour tester leurs défenses, nous dit-on. Nous sommes réveillés à l’aube. Nous observons le rituel auquel s’adonnent les anciens du front et on fait comme eux. Déjeuner, vin à volonté et un coup de gnôle en prime ; on sait ce qui nous attend, alors on picole plus que de raison. Puis nous nous mettons en position, debout, serrés les uns contre les autres, fusil à la main, baïonnette au canon, les échelles de bois appuyées sur la paroi de la tranchée, on attend. Depuis l’arrière, notre artillerie canarde les frisés. On entend passer les obus au-dessus de nos têtes, puis on aperçoit les gerbes de terre qui montent vers le ciel depuis les lignes allemandes. Plus d’une demi-heure de bombardement ininterrompu.

Soudain, tout ce vacarme s’arrête. Puis, ce méchant silence est déchiré par un coup de sifflet, puis dix, donnant le signal du départ, celui de la curée. Les officiers sifflent sans discontinuer, on dirait des policiers fous. Comme un seul homme, on escalade les quelques échelons qui nous amènent hors de notre cachette et on court en hurlant, telle une horde de damnés, vers les positions allemandes, d’où part déjà un feu roulant d’armes en tous genres. Les premiers d’entre nous sont équipés de planches qu’ils sont censés jeter sur les barbelés pour nous permettre de les passer sans nous y emberlificoter. Mais la plupart sont tués avant d’y parvenir ; alors nous franchissons ces ronces de métal en piétinant les corps morts, mourants ou blessés de nos camarades.

Là-bas sur la droite, j’aperçois des pantins désarticulés qui s’élèvent dans les airs, au milieu d’une gerbe de terre. Les pauvres gars traversent un nouveau champ de mines que les Allemands ont dû disposer à la faveur de la nuit. On entend les balles siffler de tous côtés, les bruits sourds et mous de celles qui pénètrent dans les corps. Les camarades tombent comme des mouches, déjà les rangs s’éclaircissent. Tout en courant, on tire au petit bonheur la chance et parfois, c’est un copain qui nous précède qui reçoit la balle que nous destinions aux salauds d’en face.

Je trébuche sur un cadavre et m’étale de tout mon long, la figure dans la boue. Un sous-officier, sorti de je ne sais où, m’injurie et m’insulte tandis que je tente de me remettre debout. Il est là à s’agiter et à vociférer au-dessus de moi quand un éclat d’obus lui emporte la moitié du visage, un autre lui arrache un bras, le sang gicle et m’éclabousse. Il tourne sur lui-même et s’effondre. À moitié sonné par le souffle des deux explosions, je me relève tant bien que mal et, poussé par je ne sais quelle force, je reprends ma course à la mort. Ça mitraille de partout, les balles sifflent, des grenades éclatent de tous côtés. Les premiers se trouvent encore à plus de cent mètres des défenseurs boches et nos rangs se sont sérieusement clairsemés.

Nouveaux coups de sifflet, mais cette fois c’est l’ordre de repli. Tout le monde fait demi-tour. Ceux qui nous devançaient se retrouvent à l’arrière des assaillants en débandade, mais ce sont toujours eux les premiers à se faire tuer, parce que les Chleuhs continuent de nous tirer dans le dos. Je cours comme un dératé, saute dans la tranchée, tombe sur celui qui me précédait. D’autres arrivent et plongent à leur tour dans l’abri. Nous sommes tous hors d’haleine, nous tentons de reprendre notre souffle. Nous aidons les derniers, souvent des blessés autour desquels des infirmiers s’agitent déjà. Quand tous les valides sont revenus, le silence se fait, du moins celui des armes. Car maintenant, nous percevons distinctement les cris, les gémissements, les plaintes et les supplications de ceux qui sont restés sur le carreau.

Tout l’espace devant nos yeux n’est qu’un champ de cadavres et de mourants. Il y en a un à moins de cinq mètres de nous, je sors la tête pour l’apercevoir ; il doit avoir les reins brisés, car, malgré nos encouragements, il n’arrive même pas à se trainer vers nous. Inconscient du danger auquel je m’expose, je me relève un peu plus pour aller le chercher, mais un choc au front me projette en arrière et je me retrouve étendu sur le dos, assommé. Un liquide visqueux coule sur mes tempes. Au-dessus de moi, je vois des visages qui me parlent, je réalise que je suis blessé, mais vivant. On me déplace, on m’allonge sur une planche, un infirmier inspecte ma tête et me pose un bandage qui me recouvre en partie l’œil droit. Puis on m’aide à me relever et on me tend mon casque. "Ce n’était pas ton jour, tu as eu de la chance". Je contemple, incrédule, la coque d’acier. Sur le dessus, il y a un gros trou rond, assez large pour y entrer le doigt ; à quelques centimètres près, j’y restais.

En fin d’après-midi, médecins et infirmiers partent à la recherche des vivants ; brandissant ostensiblement leurs fanions blancs, ils sautent de blessé en blessé, armés d’une seringue. Ils piquent dans les chairs d’un gisant, faute de réponse, ils passent au suivant. S’il réagit, ils font signe aux brancardiers qui, courbés en deux, rasant le sol, viennent récupérer le malheureux. Ceux d’en face font la même chose. Les deux adversaires respectent une sorte de trêve tacite, personne ne tire, mais il vaut mieux prendre ses précautions ; on ne sait jamais. Parfois, on les aperçoit communiquer par gestes avec leurs homologues de l’autre camp, pour leur indiquer la présence d’un de leurs soldats encore en vie. Une parenthèse d’humanité dans cette période de folie furieuse et bestiale.

Nous aidons les infirmiers à descendre les civières dans la tranchée. Au passage, nous reconnaissons certains de nos camarades blessés, estropiés ou morts. D’autres sont impossibles à identifier, il ne leur reste que la moitié du visage, la joue pendante, la mâchoire absente ou disloquée. Nous assistons à un défilé de pauvres gars aux chairs tuméfiées, hachées, brûlées et aux membres broyés ou arrachés. Le sang coule des plaies béantes, les boyaux et les viscères débordent des abdomens éventrés, les os brisés transpercent la peau, les bras ballent à peine retenus par des lambeaux de tendons ou de muscles. Les plus chanceux sont inconscients, les autres geignent, râlent, pleurent, appellent à l’aide ou réclament leur mère ; certains supplient qu’on mette fin à leur souffrance, qu’on les achève. Je manque de m’évanouir à la vue de cette scène immonde et inhumaine. Les plus anciens d’entre nous, ceux qui possèdent plusieurs mois d’expérience du front, semblent accepter cet horrible spectacle, comme résignés, emprunts de fatalité face à cette réalité ignoble. Nous, les nouveaux, fraichement arrivés de l’arrière, nous vomissons nos tripes, certains tournent de l’œil.

Quelques secondes de silence, les yeux dans le vague, déconnecté de l’instant présent il poursuit son récit.

Et puis, avec les premières pluies d’automne, tout s’arrête. Le front retrouve un certain calme, à peine quelques escarmouches de-ci de-là. Les généraux sont partis jouer sur un autre champ de bataille. Il se confirme que quelque chose se prépare du côté de la Somme. D’ailleurs, une partie de ceux qui étaient cantonnés dans notre secteur y a été envoyée. Nous avons une pensée pour les pauvres gars qui re rendent là-bas, mais égoïstement nous préférons que ce soit eux plutôt que nous.

Auguste et moi avons eu de la chance, nous restons dans la région de Verdun où rien ne devrait se passer. Auguste est, comme moi, originaire du Loiret. Nous habitons à quelques kilomètres de Pithiviers, moi à Malesherbes et lui dans le hameau de Pinçon. Nous nous trouvons rapidement des connaissances en commun : son frère ainé avec qui je suis allé à l’école ; Marthe, une cousine à lui qui a été ma première petite amie, nous avions à peine dix ans. Nous avons fréquenté les mêmes lieux, notamment le château de Malesherbes où ma mère était cuisinière ou celui de Rouville où nous avons tous deux joués aux chevaliers du moyen-âge. Nous découvrons également, après avoir posé la question à nos parents respectifs, que nos pères se connaissent pour faire partie de la même société de chasse. Ainsi, nous devenons rapidement les meilleurs amis du monde et nos discussions sans fin nous aident à passer le temps.

Les journées paraissent interminables, l’attente est insupportable. Après le traditionnel branle-bas de combat du matin, puis une inspection sommaire vient l’heure du déjeuner. Ensuite, il faut se coltiner les corvées ; pour les moins chanceux c’est le nettoyage des latrines, pour les autres le remplissage des sacs de sable pour rehausser la tranchée, ou la réparation des caillebotis qui ne résistent pas à l’immersion permanente dans l’eau et la boue et au passage continu des hommes. Pour nous occuper, nous étayons et consolidons tout ce qui peut l’être, nous renforçons nos défenses et nous tentons d’améliorer notre confort. Pour autant qu’on puisse parler de confort.

Ceux qui ne sont pas affectés à ces tâches partent au ravitaillement et au courrier. On ne peut pas dire que cela soit une corvée, au contraire. Manger, boire et lire les lettres de nos proches nous permet de nous sentir vivants physiquement et moralement. Une gamelle de brouet bien chaud fait plus qu’un bon feu de bois. Une ration de biscuits, même s’ils sont durs et fades, nous apporte un peu de douceur. Les cuistots font tout ce qu’ils peuvent pour nous concocter des plats en fonction des arrivages : poulet à la sauce tomate, bœuf mijoté dans un bouillon préparé à partir de soupe en boite, riz aux champignons.