Ni l'arme ni larme - Jean Pascal Caussard - E-Book

Ni l'arme ni larme E-Book

Jean Pascal Caussard

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Beschreibung

Tout commence par la découverte du corps sans vie d'un dealer sur les docks du port de Marseille. S'ensuivent les meurtres du patron d'une boite de nuit , de l'un de ses videurs et enfin, celui du gérant d'une casse auto. Personne ne pleurera vraiment les disparitions de ces figures du grand banditisme de la cité phocéenne ...des crimes sans larme. Pour le commissaire Perrini, l'un des meilleurs flics de Marseille, il n'y a pas de doute : les modes opératoires sont les mêmes, ces quatre affaires sont liées ! Mais, il est confronté à un problème de taille : il ne parvient pas à comprendre de quelle manière ces hommes ont été tués ...des crimes sans l'arme.

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Seitenzahl: 167

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

CHAPITRE 1 - Mort d’un dealer sur les docks

CHAPITRE 2 - Mort du patron d’une boite de nuit

CHAPITRE 3 - Mort du vigile d’une boite de nuit

CHAPITRE 4 - Mort du gérant d’une casse auto

CHAPITRE 5 - Quatre meurtres sans armes

CHAPITRE 6 - Quatre meurtres sans preuves

CHAPITRE 7 - L’arme sans larme

CHAPITRE 1 - Mort d’un dealer sur les docks

3 novembre

Bureau du Commissaire Perrini

Comme à son habitude Le commissaire Perrini débarqua à 7h, il se rendit directement au bureau du lieutenant Maxime Balma. Celui-ci, le visage fatigué et les traits tirés par une épuisante nuit de travail, fit son rapport à son supérieur : deux rixes, l’une devant une boite de nuit, l’autre dans un bar mal famé des quartiers chauds du centre-ville, quelques pauvres types trouvés en état d’ivresse sur la voie publique, des prostituées ramassées pour des faits de racolage, des agressions, des bagarres, des vols à l’arracher, un car-jacking, trois ou quatre cambriolages… S’en suivait la liste des personnes interpelées par la BAC et notamment de celles qui passeraient devant un juge en comparution immédiate, le jour même. La litanie des méfaits des huit dernières heures était longue, mais rien d’anormal pour ces policiers ; cela constituait malheureusement le train-train habituel au commissariat central de Marseille.

Il en était ainsi dans toutes les citées portuaires, en particulier celles donnant sur la Méditerranée, les nuits étaient livrées aux prostituées, à leurs macs, aux dealers, aux alcooliques, aux camés, aux sans-papiers, aux magouilleurs en tous genres… et à tous les paumés de la vie. Rares étaient les noctambules qui ne cherchaient qu’à s’amuser sainement. C’était le lot quotidien ; et encore, les flics mangeaient-ils leur pain blanc en cette saison car, avec l’été, la ville voyait débarquer une "faune" venue de toute la France, et d’une partie de l’Europe de l’Est, pour profiter de la manne que constituaient les touristes distraits, crédules ou imprudents et, plus accessoirement, du soleil, de la mer, de la plage, des terrasses de café et de la beauté de Vieux-Port, de la Bonne Mère et des calanques qui parsèment la côte.

Aussi, les seuls événements qui attiraient vraiment leur attention étaient les affaires de meurtre, non pas par curiosité morbide, mais parce qu’on allait leur demander des résultats rapides. En haut lieu, on n’appréciait pas du tout cette publicité négative pour la région et la ville en particulier. C’était mauvais pour le tourisme et le commerce, d’autant que la municipalité tentait de faire de la cité phocéenne, une escale pour les gigantesques paquebots de croisière qui sillonnaient la méditerranée et déversait dans les ports élus, un flot de vacanciers argentés.

La seconde raison à cet attrait pour les crimes et, il faut bien le reconnaître, probablement la principale, était qu’ils préféraient enquêter sur le terrain, plutôt que de devoir taper des tonnes de rapports, enfermés à deux dans les 10 m2 d'un bureau sombre, pour de simples histoires de vols à l’arraché de portables ou de sacs à main, de petits cambriolages, d’agressions verbales ou physiques, dont on ne recherchait pas les auteurs faute de temps et de moyens. Et lorsqu’ils tombaient sur l’un d’eux plus ou moins par hasard, ils pensaient au monceau de formulaires, de notes internes et autres tracasseries administratives qu’ils devraient traiter, classer, photocopier, transmettre… pour un dossier qui finirait sans suite. Alors il relâchait le quidam, non sans lui avoir fait, au préalable, un sermon sans utilité, mis à part celle d’avoir bonne conscience.

Le commissaire Perrini prit rapidement connaissance des procès-verbaux, des comptes-rendus d’interrogatoires et de la pile de paperasse qui l'attendait, puis se tourna vers l’inspecteur.

- C’est tout ce qu’on a à se mettre sous la dent aujourd’hui ?

- Non, je t’ai gardé le meilleur pour la fin ; sinon, tu n’aurais même pas jeté un coup d’œil au reste.

Le regard de Perrini s’éclaira imperceptiblement, il releva les yeux, enleva ses lunettes, se cala dans son fauteuil et attendit que son interlocuteur se décide enfin à mettre un terme au suspense.

- Alors, tu accouches ou non ?

Balma lui tendit une feuille dactylographiée.

- Tiens, ce n’est pas grand-chose, mais je n’ai rien de mieux à te proposer.

Perrini attrapa le document que son adjoint lui présentait et lut. Il s’agissait d’un constat préliminaire d’intervention de l’équipe de nuit, qui se résumait à quelques courtes phrases :

"Intervention suite à appel du gardien de la zone des bâtiments du côté ouest du port de commerce de Marseille. Individu découvert mort à proximité de l’entrepôt 64A. Les papiers et documents trouvés sur le cadavre sont au nom de monsieur Ahmed El Ouari, domicilié à Marseille, dans le quartier de la Castellane.

Le motif de l’agression ne semble pas être le vol puisqu’il y avait dans ses poches : 240 euros en liquide (neuf billets de 20 € et six de 10 €). Les bijoux n’ont pas été dérobés non plus : une bague et une grosse chaîne en or ainsi qu’une montre de marque Festina. On pourrait être en présence d’un dealer vu la quantité de cannabis (environ 100 g) et de cocaïne (dix-huit sachets) qui se trouvaient toujours dans une petite sacoche qu’il portait en bandoulière.

Aucune arme sur place. Très importantes ecchymoses à la tête, plaie à l’abdomen, écoulement de sang très abondant. Bouche bâillonnée, pieds et mains attachés avec du ruban adhésif. Pas de témoin. Officier de prise en charge : lieutenant Balma".

Le cas attira immédiatement l’attention du Commissaire Perrini :

- Un meurtre sans vol, voilà qui est intéressant et pas banal.

- Ouais ! Tout se trouvait encore sur place : papiers, carte bleue, argent liquide, ainsi que la came…

- Pas d’arme sur lui ?

- Non, rien, même pas un canif.

- On a une idée de l’heure à laquelle il a été refroidi ?

- Entre 5h30 et 6h ; le gardien de nuit de cette partie des docks a commencé sa ronde à 5h, il est passé devant l’entrepôt 64A environ trente minutes plus tard et les équipes de nettoyage de la ville ont découvert le macchabée à 6h. Ils ont immédiatement alerté la sécurité.

- Les horaires sont fiables ?

- Oui, le vigile effectue toujours le même trajet toutes les deux heures. De plus, il doit pointer, avec sa carte magnétique, à des bornes le long de son parcours de surveillance ; elles enregistrent son code personnel et l’heure. On vérifiera tout ça auprès de la boite de sécurité mais, il y a peu de chance que le gars ait menti, il sait que ses déplacements sont tracés. Quant aux employés municipaux, ils nettoient ce coin-là tous les deux jours et à la même heure, à quelques minutes près. On a enregistré leur appel au central de Police Secours à 6h08.

- Des horaires quotidiens réguliers, voilà qui est pratique pour quelqu’un qui serait venu repérer les lieux, et les allées et venues, les jours précédents… Une signature ?

- Non. En tout cas rien d’apparent ! Pas de marque sur le corps comme les scarifications qu’avait le macchabée de la semaine dernière, pas de balle dans la nuque, pas de tag ni d’inscription, à proximité. C’est pas un mode opératoire connu, rien qui ressemble à du déjà vu par ici.

Perrini réfléchit à voix haute :

- Soit on a affaire à une nouvelle équipe, soit les gars ont été dérangés avant d’en avoir fini.

- Tu penses à une guerre des gangs pour contrôler une zone d’influence ?

- Oui et non, je ne sais pas trop. S’il y avait eu une signature, c’est ce qui me serait venu immédiatement à l’esprit, mais il n’y a rien apparemment. Si ça avait été pour piquer un territoire, ils auraient laissé une trace pour bien montrer que, dorénavant, "ici" c’est chez eux et que toute personne qui s’y risquerait sans "autorisation" subirait le même sort.

Il fit une courte pause avant de reprendre :

- Mais en y réfléchissant, je ne crois pas non plus que les tueurs aient été dérangés. Ils ne lui sont pas tombés dessus pas hasard et il suffisait de venir en repérage à l’avance, pour être sûr de disposer de trente minutes pour agir. En se réservant un peu de marge, ils pouvaient attendre dix minutes que le gardien se soit éloigné, ça leur laissait dix minutes pour descendre le type et le dépouiller, tout en conservant dix autres minutes de battement avant l’arrivée de l’équipe de nettoyage. On va patienter jusqu’à ce que les gars du labo soient passés, peut-être qu’ils auront trouvé quelque chose. Tu as le pédigrée du gus ?

- Ahmed El Ouari, 22 ans, né à Marseille, dealer notoire à la Castellane depuis l’âge de 16 ans, puis dans le secteur des docks depuis quelques mois. Condamné à trois reprises pour trafic de stups, la dernière fois il a écopé d’un an ferme et un second avec sursis, sorti de la prison des Baumettes il y a quatre mois. Je te passe les détails : quelques bagarres, plusieurs vols de voitures, vente illégale de cigarettes.

Perrini siffla entre ses dents.

- Eh bien, il n’a pas perdu de temps on dirait ; il a vite réintégré sa place dans le petit monde de la came. De la famille ?

- Ses parents habitent Marseille, un frère de 14 ans sans problèmes et une petite amie qu’il ferait tapiner. Elle aussi est fichée pour racolage et détention de stups. Il semble qu’elle en revende à ses clients, mais on n’a jamais pu localiser la planque de sa marchandise, donc la juge a considéré que le paquet trouvé sur elle ne correspondait pas à du deal, mais à sa consommation personnelle…

- On sait où il s’approvisionnait ?

- Il fait partie du réseau algérien des quartiers nord, mais on n’a jamais pu le choper en flag avec de grosses quantités. À peine de quoi le faire tomber quelques mois, pas plus. La dernière condamnation est plus lourde car il était en récidive et sous le coup d'un sursis.

- Tu as envoyé les échantillons de came au labo ?

- Ouais, tu ne recevras les résultats qu’en fin de journée de demain ; les gars ont la tête dans le sac. Les stups ont gaulé un "go fast" sur l’A7, avec pas loin de cent cinquante kilos de marijuana, presque autant de résine de cannabis et un bon paquet de pilules d’ecstasy. Le tout planqué dans les portières, dans le coffre et dans une cache aménagée sous le châssis. Mais, faut pas rêver, les résultats des tests ne nous apprendront pas grand-chose, à part la quantité exacte de came et sa provenance qu’on connaît déjà.

Perrini, fidèle à ses habitudes, prenait des notes sur son petit calepin.

- Des caméras de surveillance dans le coin ?

- Non, pas dans cette partie des docks ; c’est sûrement ce qui explique qu’il trainait par là. Je suis pratiquement certain qu’il tenait boutique quotidiennement à cet endroit.

- Le corps ?

- Au frigo chez les légistes. Tu auras les résultats dans la journée s’ils ne reçoivent pas d’arrivage prioritaire entre temps…

- Merci Max. Tu rentres pioncer ?

- Ouais, c’est ma troisième nuit de garde d’affilée, je suis de repos pendant quarante-huit heures. Je me tire rapido ; j’espère être chez moi à temps pour embrasser ma femme et mes gosses avant leur départ pour l’école.

- Alors, à après-demain. Salut.

Balma attrapa son blouson et son sac à dos et fila précipitamment. À peine, son adjoint avait-il franchi la porte que le cerveau de Perrini commençait à mettre en place les morceaux du puzzle. Mais pour le moment, les quelques pièces qui s’emboitaient ne représentaient rien de concret. Il aurait bien laissé cette affaire de côté, après tout, ce n’était qu’un crime de truand parmi d’autres, mais une petite lumière s’était allumée dans sa tête, et il s’était toujours fié à son instinct avec, il faut le signaler, une certaine réussite. Chose assez courante quand on a bossé trente ans dans la police… D’autant qu’il avait entamé sa carrière en bas de l’échelle et en avait gravi les échelons un à un, non pas en passant les concours internes, mais uniquement grâce à son efficacité et à la qualité de son travail.

Il avait débuté comme simple flic dans un commissariat de quartier, à l’époque où l’on avait commencé à déployer ce qu’on appelait une police de proximité. Ses bons résultats au concours d’entrée dans la Police Nationale lui avaient permis de choisir son affectation parmi la longue liste des postes à pourvoir. Originaire de Marseille, il avait jeté son dévolu sur la seule proposition existante sur cette ville. Pratiquement toutes les autres se situaient sur Paris, plus précisément dans sa banlieue. Il fallait passer par ce purgatoire avant d’avoir la chance d’obtenir une nomination plus en adéquation avec ses désirs. La Police Judiciaire, les stups et la mondaine n’étaient pas accessibles aux débutants ; pas plus que les villes du sud de la France. On devait avoir fait ses preuves avant de pouvoir demander à y être muté. Cela prenait entre dix et vingt ans, et Perrini ne s’était pas senti le courage d’attendre tout ce temps avant de retrouver sa chère ville de Marseille ; d’autant que toute sa famille était toujours installée dans la région.

Il avait eu la chance d’exercer sous les ordres du Commissaire Principal Pierre Renucci, un Corse, très proche de ses collaborateurs et qui savait détecter les talents et les vocations. Si bien que quelques années plus tard, il était passé inspecteur sans avoir à quitter Marseille. Il avait eu droit aux quartiers nord, les plus durs, mais comme lui avait dit Renucci : tu apprendras bien plus là-bas que n’importe où ailleurs. On n’y trouve pas que du menu fretin, et c’est le terreau de tous les trafics et de toutes les magouilles de la ville. Les gros poissons, ceux que l’on espère faire tomber un jour, prospèrent sur leur dos ; telle de la mauvaise herbe poussant sur un tas de fumier.

Il était ensuite passé par les stups et la mondaine. La drogue et la prostitution, les deux activités illégales les plus rentables qui soient. Renucci avait précisé : on y gagne rapidement d’importantes sommes d’argent sans que cela dérange qui que ce soit en dehors de la police. La majorité des gens se foutent complètement des camés qui crèvent à petit feu dans un squat, une cage d’escalier ou un studio minable et délabré ; et encore plus du sort des filles de l’Est ou en provenance d’Afrique noire, qu’on frappe et qu’on drogue de force jusqu’à obtenir des tas de chair humaine qu’on donne en pâture à tous les détraqués sexuels de la ville. Après ça, soit tu demanderas à aller à la Crime en espérant mettre la main sur les salauds qui en ont fait leur profession, soit tu opteras pour un bureau de la brigade financière, ou chez les "bœufs-carotte" si tu n’arrives plus à supporter la vision de ces horreurs.

Après dix années passées dans les bas-fonds de la ville, à chasser les dealers et les proxénètes, dont beaucoup exerçaient ces deux activités en parallèle, il s’était soudain senti comme un plongeur en manque d’oxygène ; soit il parvenait à remonter à la surface, soit il y laissait sa peau. Il avait éprouvé le besoin de respirer. Il ne supportait plus ce qu’il voyait au quotidien et encore moins le sentiment d’inutilité qu’il ressentait au vu des résultats de son travail. En effet, au moins la moitié des délinquants qu’il contribuait à arrêter, après plusieurs semaines ou mois d’enquête, de traque et de planques, se retrouvaient en liberté quelques jours plus tard. Les flics chopaient les méchants, les juges et les avocats les remettaient dehors ; certains de ceux à qui il avait passé les bracelets se permettaient même de le narguer lorsqu'ils le croisaient. Il était las de tout ça et, psychologiquement, ne le supportait plus. Il avait opté pour la brigade financière, ses bureaux feutrés, ses truands en costume-cravate et ses délits sans effusion de sang.

Il y avait travaillé quatre ans, découvrant d’autres activités et surtout d’autres méthodes d’investigation. Ici, on traquait des mouvements de fonds, des investissements, du blanchiment, en restant à bonne distance de la dure réalité et des horreurs du terrain. On pêchait aussi en eaux troubles, mais on ne ciblait que les gros poissons. Dès qu’il eut effectué le tour des techniques utilisées, appréhendé les liaisons entre les petits trafics et ceux qui en profitaient plus largement, puis compris comment fonctionnait l’ensemble de l’organisation de la truande, il avait demandé à Renucci de revenir à la criminelle.

Ce dernier avait été surpris, car il était beaucoup moins courant de faire le chemin dans ce sens, que l’inverse. En effet, rares étaient ceux qui souhaitaient abandonner les bureaux confortables et aseptisés de la brigade financière pour retourner dans les bas-fonds sordides de la délinquance ordinaire. Cela avait valu à Perrini du mépris de la part de certains, mais la reconnaissance du Commissaire Principal qui était devenu entretemps le grand responsable de la police des Bouches-du-Rhône. Perrini avait été promu Commissaire quelques mois avant que son mentor ne quitte lui-même la région pour un poste au Ministère de l’Intérieur.

Son passage à la Financière avait agi comme un révélateur ; il avait acquis la certitude qu’il était un instinctif, pas un scientifique. Il avait besoin d'être sur le terrain, au contact direct avec la réalité. Traquer des détails dans des transactions était beaucoup moins passionnant qu'une enquête dans la rue. Il revenait là où il pensait être le plus efficace, où il donnait sa pleine mesure. Il fonctionnait au "feeling", il sentait les choses. Souvent, c’était lui qui découvrait la faille dans une enquête, le petit détail qui n’allait pas avec le reste. On le disait également redoutable lors des interrogatoires. Il affichait un air bonhomme de bon père de famille et ses interlocuteurs, pourtant rompus eux aussi à ce type d’exercice, se laissaient endormir, se montraient moins concentrés face à ce gars d’apparence tranquille et un peu lourdaude. Ils ne repéraient pas la question anodine, mais insidieuse, qui allait les faire tomber. Son aspect placide, bien que non calculé, se révélait un piège dans lequel bon nombre s’étaient fait prendre et ils finissaient par lâcher des informations sans même en avoir conscience. Il avait conservé les bonnes vieilles méthodes, hermétique aux nouvelles technologies mises à sa disposition ; en contrepartie, il avait développé une excellente mémoire. Il possédait la capacité de détecter la plus petite erreur dans le scénario quasi parfait que lui proposait son interlocuteur.

Présentement, il y avait un morceau qui ne collait pas avec les autres : l’absence de vol. Si l’agression avait été crapuleuse, l’argent et les bijoux auraient disparu, si ça avait été une guerre de territoire entre dealers, ils l’auraient tué avec une arme à feu et la drogue se serait évaporée aussi. La bonne nouvelle, c’est que ça faisait un escroc de moins dans la rue ce matin ; la mauvaise, c’est que le trafic de came, comme la Nature, ayant horreur du vide, il serait remplacé avant demain ; il abandonnait un fonds de commerce juteux qu’il ne fallait pas laisser en déshérence. Le jour même, il y aurait des clients en état de manque à la recherche de leur dose quotidienne et l’information se répandrait vite. Il y avait de fortes probabilités pour que ce soit un de ses amis, voire un membre de sa famille, qui reprenne ses activités. Dans ce type de négoce, la période de deuil était extrêmement courte. Les affaires passaient avant tout.

Extraits du casier judiciaire d’Ahmed El Ouari

Nom

EL OUARI

Prénom

Ahmed

Âge

25 ans

Lieu de naissance

France

Père

Mohammed El Ouari

Mère

Fatima Hamram

Condamnations

Six mois de prison, dont trois mois avec sursis, pour coups et blessures

Deux mois pour conduite sous l’emprise de stupéfiants

Six mois pour vol avec violence

Vingt-quatre mois, dont douze avec sursis pour détention et trafic de stupéfiants

Affaires en cours

Inculpation pour trafic de stupéfiants en bande organisée, laissé en liberté sous surveillance judiciaire, dans l’attente de son procès

Divers

Inculpé pour meurtre et viol en réunion, relaxé pour vice de procédure

4 novembre