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Extrait : "LE CHEVALIER. Nuit-Blanche ! NUIT-BLANCHE. Monsieur ? LE CHEVALIER. N'est-ce point ici la maison ? NUIT-BLANCHE. Je crois que nous y voici. Nous sommes près du jardin du président Bodin : n'est-ce pas cela que vous cherchez ? LE CHEVALIER. Oui,c 'est cela même ; mais il faut bien autre chose. (Ils s'introduisent dans le jardin.) Elle ne paraît point encore."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 73
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EAN : 9782335097740
©Ligaran 2015
Le chevalier du Hasard, Nuit-Blanche.
Nuit-Blanche !
Monsieur ?
N’est-ce point ici la maison ?
Je crois que nous y voici. Nous sommes près du jardin du président Bodin : n’est-ce pas cela que vous cherchez ?
Oui, c’est cela même ; mais il faut bien autre chose. Ils s’introduisent dans le jardin. Elle ne paraît point encore.
Qui ?
Elle.
Qui, elle ?
Cette fille charmante.
Quoi ! monsieur, la fille du président Bodin vous aurait déjà donné rendez-vous ?
Je vous trouve bien impertinent avec votre déjà : il y a un mois entier que je l’aime, et qu’elle le sait ; il y a par conséquent bientôt un mois qu’elle aurait dû m’accorder cette petite faveur. Mais que veux-tu ? les filles s’enflamment aisément et se rendent difficilement : si c’était une dame un peu accoutumée au monde, nous nous serions peut-être déjà quittés.
Eh ! de grâce, monsieur, où avez-vous déjà fait connaissance avec cette demoiselle dont le cœur est si aisé, et l’accès si difficile ?
Où je l’ai vue ? Partout, à l’opéra, au concert, à la comédie, enfin en tous les lieux où les femmes vont pour être lorgnées, et les hommes perdre leur temps. J’ai gagné sa suivante de la façon dont on vient à bout de tout, avec de l’argent : c’était à elle que tu portais toutes mes lettres, sans la connaître. Enfin, après bien des prières et des refus, elle consent à me parler ce soir. Les fenêtres de sa chambre donnent sur le jardin. On ouvre, avançons.
Fanchon, à la fenêtre ; le chevalier, au-dessous.
Est-ce vous, monsieur le chevalier ?
Oui, c’est moi, mademoiselle, qui fais, comme vous voyez, l’amour à l’espagnole, et qui serais très heureux d’être traité à la française, et de dire à vos genoux que je vous adore, au lieu de vous le crier sous les fenêtres, au hasard d’être entendu d’autres que de vous.
Cette discrétion me plaît : mais parlez-moi franchement, m’aimez-vous ?
Depuis un mois, je suis triste avec ceux qui sont gais ; je deviens solitaire, insupportable à mes amis et à moi-même ; je mange peu, je ne dors point : si ce n’est pas là de l’amour, c’est de la folie ; et, de façon ou d’autre, je mérite un peu de pitié.
Je me sens toute disposée à vous plaindre ; mais si vous m’aimiez autant que vous dites, vous vous seriez déjà introduit auprès de mon père et de ma mère, et vous seriez le meilleur ami de la maison, au lieu de faire ici le pied de grue et de sauter les murs d’un jardin.
Hélas ! que ne donnerais-je point pour être admis dans la maison !
C’est votre affaire ; et, afin que vous puissiez y réussir, je vais vous faire connaître le génie des gens que vous avez à ménager.
De tout mon cœur, pourvu que vous commenciez par vous.
Cela ne serait pas juste ; je sais trop ce que je dois à mes parents. Premièrement, mon père est un vieux président riche et bonhomme, fou de l’astrologie, où il n’entend rien. Ma mère est la meilleure femme du monde, folle de la médecine, où elle entend tout aussi peu : elle passe sa vie à faire et à tuer des malades. Ma sœur aînée est une grande créature, bien faite, folle de son mari, qui ne l’est point du tout d’elle. Son mari, mon beau-frère, est un soi-disant grand seigneur, fort vain, très fat, et rempli de chimères. Et moi, je deviendrais peut-être encore plus folle que tout cela si vous m’aimiez aussi sincèrement que vous venez de me l’assurer.
Ah ! madame ! que vous me donnez d’envie de figurer dans votre famille ! mais…
Mais, il serait bon que vous me parlassiez un peu de la vôtre ; car je ne connais encore de vous que vos lettres.
Vous m’embarrassez fort : il me serait impossible de donner du ridicule à mes parents.
Comment ! impossible ! vous n’avez donc ni père ni mère ?
Justement.
Ne peut-on pas savoir au moins de quelle profession vous êtes ?
Je fais profession de n’en avoir aucune ; je m’en trouve bien. Je suis jeune, gai, honnête homme ; je joue, je bois, je fais, comme vous voyez, l’amour : on ne m’en demande pas davantage. Je suis assez bien venu partout ; enfin je vous aime de tout mon cœur : c’est une maladie que votre astrologue de père n’a pas prévue, et que votre bonne femme de mère ne guérira pas, et qui durera peut-être plus que vous et moi ne voudrions.
Votre humeur me fait plaisir ; mais je crains bien d’être aussi malade que vous : je ne vous en dirais pas tant si nous étions de plain-pied ; mais je me sens un peu hardie, de loin… Eh ! mon Dieu ! voici ma grande sœur qui entre dans ma chambre, et mon père et ma mère dans le jardin. Adieu ; je jugerai de votre amour si vous vous tirez de ce mauvais pas en habile homme.
Ah ! monsieur, nous sommes perdus ! voici des gens avec une arquebuse.
Non, ce n’est qu’une lunette ; rassure-toi. Je suis sûr de plaire à ces gens-ci, puisque je connais leur ridicule et leur faible.
Le président Bodin, la présidente, domestiques, le chevalier, Nuit-Blanche.
On voit bien que je suis né sous le signe du cancre ; toutes mes affaires vont de guingois. Il y a six mois que j’attends mon ami M. du Cap-Vert, ce fameux capitaine de vaisseau qui doit épouser ma cadette ; et je vois certainement qu’il ne viendra de plus d’un an : le bourreau a Vénus rétrograde. Voici, d’un autre côté, mon impertinent de gendre, M. le comte des Apprêts, à qui j’ai donné mon aînée ; il affecte l’air de la mépriser ; il ne veut pas me faire l’honneur de me donner des petits-enfants : ceci est bien plus rétrograde encore. Ah ! malheureux président ! malheureux beau-père ! sur quelle étoile ai-je marché ? Çà, voyons un peu en quel état est le ciel ce soir.
Je vous ai déjà dit, mon toutou, que votre astrologie n’est bonne qu’à donner des rhumes ; vous devriez laisser là vos lunettes et vos astres. Que ne vous occupez-vous, comme moi, de choses utiles ? J’ai trouvé enfin l’élixir universel, et je guéris tout mon quartier. Eh bien, Champagne, comment se porte ta femme, à qui j’en ai fait prendre une dose ?
Elle est morte ce matin.
J’en suis fâchée : c’était une bonne femme. Et mon filleul, comment est-il depuis qu’il a pris ma poudre corroborative ?… Eh mais ! que vois-je, mon toutou ? un homme dans notre jardin !
Ma toute, il faut observer ce que ce peut être, et bien calculer ce phénomène.
Le soleil entre dans sa cinquantième maison.
Et vous, monsieur, qui vous fait entrer dans la mienne, s’il vous plaît ?
L’influence des astres, monsieur, Vénus, dont l’ascendance…
Que veut dire ceci ? c’est apparemment un homme de la profession.
Ils se regardent tous deux avec leurs lunettes.
C’est apparemment quelque jeune homme qui vient me demander des remèdes ; il est vraiment bien joli : c’est grand dommage d’être malade à cet âge.
Excusez, monsieur, si, n’ayant pas l’honneur de vous connaître…
Ah ! monsieur, c’était un bonheur que les conjonctions les plus bénignes me faisaient espérer : je me promenais près de votre magnifique maison pour…
Pour votre santé apparemment.
Oui, madame ; je languis depuis un mois, et je me flatte que je trouverai enfin du secours. On m’a assuré que vous aviez ici ce qui me guérirait.
Oui, oui, je vous guérirai ; je vous entreprends, et je veux que ma poudre et mon dissolvant…
C’est ma femme, monsieur, que je vous présente. Parlant bas, et se touchant le front. La pauvre toute est un peu blessée là… Mais parlons un peu raison, s’il vous plaît. Ne disiez-vous pas qu’en vous promenant près de ma maison vous aviez…
Oui, monsieur, je vous disais que j’avais découvert un nouvel astre au-dessus de cette fenêtre, et qu’en le contemplant j’étais entré dans votre jardin.
Un nouvel astre ! comment ! cela fera du bruit.