Les Voyages du Capitaine Cook - Jules Verne - E-Book

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Jules Verne.

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Beschreibung

Avant d’entreprendre le récit des grandes expéditions du XVIIIe siècle, nous devons signaler les immenses progrès accomplis par les sciences durant cette période. Ils rectifièrent une foule d’erreurs consacrées, donnèrent une base sérieuse aux travaux des astronomes et des géographes. Pour ne parler que du sujet qui nous occupe, ils modifièrent radicalement la cartographie et assurèrent à la navigation une sécurité inconnue jusqu’alors.
Bien que Galilée eût observé, dès 1610, les éclipses des satellites de Jupiter l’indifférence des gouvernements, le défaut d’instruments d’une puissance suffisante, les erreurs commises par les disciples du grand astronome italien avaient rendu stérile cette importante découverte.

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Les Voyages du Capitaine Cook

Jules Verne

1896

© 2021 Librorium Editions

ISBN : 9782383830979

Table of Contents

GRANDS VOYAGES ET GRANDS VOYAGEURS

Page de titre

LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER

I - Astronomes et Cartographes.

II - La guerre de course au XVIIIe siècle.

CHAPITRE II - LES PRÉCURSEURS DU CAPITAINE COOK

I

II

III

CHAPITRE III - PREMIER VOYAGE DU CAPITAINE COOK

I

II

CHAPITRE IV - SECOND VOYAGE DU CAPITAINE COOK

I

II

CHAPITRE V - TROISIÈME VOYAGE DU CAPITAINE COOK

I

II

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

I

Astronomes et Cartographes.

Cassini, Picard et La Hire. — La méridienne et la carte de France. — G. Delisle et d’Anville. — La ligure de la Terre. — Maupertuis en Laponie. — La Condamine à l’équateur.

 

Avant d’entreprendre le récit des grandes expéditions du XVIIIe siècle, nous devons signaler les immenses progrès accomplis par les sciences durant cette période. Ils rectifièrent une foule d’erreurs consacrées, donnèrent une base sérieuse aux travaux des astronomes et des géographes. Pour ne parler que du sujet qui nous occupe, ils modifièrent radicalement la cartographie et assurèrent à la navigation une sécurité inconnue jusqu’alors.

Bien que Galilée eût observé, dès 1610, les éclipses des satellites de Jupiter l’indifférence des gouvernements, le défaut d’instruments d’une puissance suffisante, les erreurs commises par les disciples du grand astronome italien avaient rendu stérile cette importante découverte.

En 1668, Jean-Dominique Cassini avait publié ses Tables des satellites de Jupiter, qui le firent mander l’année suivante par Colbert et lui valurent la direction de l’Observatoire de Paris.

Au mois de juillet 1671, Philippe de La Hire était allé faire des observations à Uraniborg, dans l’île de Huen, sur l’emplacement même de l’observatoire de Tycho-Brahé. Là, mettant à profit les tables de Cassini, il calcula, avec une exactitude qu’on n’avait pas encore atteinte, la différence entre les longitudes de Paris et d’Uraniborg.

La même année, l’Académie des Sciences envoyait à Cayenne l’astronome Jean Richer, pour y étudier les parallaxes du soleil et de la lune et les distances de Mars et de Vénus à la Terre. Ce voyage, qui réussit de tout point, eut des conséquences inattendues, et fut l’occasion des travaux entrepris bientôt après sur la figure de la Terre. Richer observa que le pendule retardait de deux minutes vingt-huit secondes à Cayenne, ce qui prouvait que la pesanteur était moindre en ce dernier lieu qu’à Paris. Newton et Huyghens en conclurent donc l’aplatissement du globe aux pôles. Mais, bientôt après, les mesures d’un degré terrestre, données par l’abbé Picard, les travaux de la méridienne, exécutés par Cassini père et fils, conduisaient ces savants à un résultat entièrement opposé et leur faisaient considérer la Terre comme un ellipsoïde allongé vers ses régions polaires. Ce fut l’origine de discussions passionnées et de travaux immenses, qui profitèrent à la géographie astronomique et mathématique.

Picard avait entrepris de déterminer l’espace compris entre les parallèles d’Amiens et de Malvoisine, qui comprend un degré un tiers. Mais l’Académie, jugeant qu’on pourrait arriver à un résultat plus exact en calculant une distance plus grande, résolut de mesurer en degrés toute la longueur de la France du nord au sud. On choisit pour cela le méridien qui passe par l’Observatoire de Paris. Ce gigantesque travail de triangulation, commencé vingt ans avant la fin du XVIIe siècle, fut interrompu, repris et terminé vers 1720.

En même temps, Louis XIV. poussé par Colbert, donnait l’ordre de travailler à une carte de la France. Des voyages furent exécutés, de 1679 à 1682, par des savants, qui fixèrent, au moyen d’observations astronomiques, la position des côtes sur l’Océan et la Méditerranée.

Cependant ces travaux, ceux de Picard complétés par la mesure de la méridienne, les relèvements qui fixaient la latitude et la longitude de certaines grandes villes de France, une carte détaillée des environs de Paris dont les points avaient été déterminés géométriquement, ne suffisaient pas encore pour dresser une carte de France. On fut donc obligé de procéder, comme on l’avait fait pour la méridienne, en couvrant toute l’étendue de la contrée d’un réseau de triangles reliés ensemble. Telle fut la base de la grande carte de France, qui a pris si justement le nom de Cassini.

Les premières observations de Cassini et de La Hire amenèrent ces deux astronomes à resserrer la France dans des limites beaucoup plus étroites que celles qui lui étaient jusqu’alors assignées.

« Ils lui ôtèrent, dit Desborough Cooley dans son Histoire des voyages, plusieurs degrés de longitude le long de la côte occidentale, à partir de la Bretagne jusqu’à la baie de Biscaye, et retranchèrent de la même façon environ un demi-degré sur les côtes du Languedoc et de la Provence. Ces changements furent l’occasion d’une plaisanterie de Louis XIV, qui, complimentant les académiciens à leur retour, leur dit en propres termes : « Je vois avec peine, messieurs, que votre voyage m’a coûté une bonne partie de mon royaume. »

Au reste, les cartographes n’avaient jusqu’alors tenu aucun compte des corrections des astronomes. Au milieu du XVIIe siècle, Peiresc et Gassendi avaient corrigé sur les cartes de la Méditerranée une différence de « cinq cents » milles de distance entre Marseille et Alexandrie. Cette rectification si importante fut regardée comme non avenue jusqu’au jour où l’hydrographe Jean-Mathieu de Chazelles, qui avait aidé Cassini dans ses travaux de la méridienne, fut envoyé dans le Levant pour dresser le portulan de la Méditerranée.

« On s’était également aperçu, disent les mémoires de l’Académie des Sciences, que les cartes étendaient trop les continents de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique, et rétrécissaient la grande mer Pacifique entre l’Asie et l’Europe. Aussi ces erreurs causaient-elles de singulières méprises. Les pilotes, se fiant à leurs cartes, dans le voyage de M. de Chaumont, ambassadeur de Louis XIV à Siam, se méprirent dans leur estime, tant en allant qu’en revenant, faisant plus de chemin qu’ils ne jugeaient. En allant du cap de Bonne-Espérance à l’île de Java, ils croyaient être encore éloignés du détroit de la Sonde, quand ils se trouvèrent à plus de soixante lieues au delà, et il fallut reculer deux jours par un vent favorable pour y entrer, et, en revenant du cap de Bonne-Epérance en France, ils se trouvèrent à l’île de Florès, la plus occidentale des Açores, quand ils croyaient en être à plus de cent cinquante lieues à l’est ; il leur fallut naviguer encore douze jours vers l’est pour arriver aux côtes de France. »

Les rectifications apportées à la carte de France furent considérables, comme nous l’avons dit plus haut. On reconnut que Perpignan et Collioures, notamment, se trouvaient être beaucoup plus à l’est qu’on ne le supposait. Au reste, pour s’en faire une idée bien nette, il suffit de regarder la carte de France publiée dans la première partie du tome VII des Mémoires de l’Académie des Sciences. Il y est tenu compte des observations astronomiques dont nous venons de parler, et l’ancien tracé de la carte, publiée par Sanson en 1679, y rend sensibles les modifications apportées.

Cassini proclamait avec raison que la cartographie n’était plus à la hauteur de la science. En effet, Sanson avait suivi aveuglément les longitudes de Ptolémée, sans tenir compte des progrès des connaissances astronomiques. Ses fils et ses petits-fils n’avaient fait que rééditer ses cartes en les complétant, et les autres géographes se traînaient dans la même ornière. Le premier. Guillaume Delisle, construisit de nouvelles cartes, en mettant à profit les données modernes et rejeta de parti pris tout ce qu’on avait fait avant lui. Son ardeur fut telle, qu’il avait entièrement exécuté ce projet à vingt-cinq ans. Son frère, Joseph-Nicolas, enseignait l’astronomie en Russie, et envoyait à Guillaume des matériaux pour ses cartes. Pendant ce temps, Delisle de la Coyère, son dernier frère, visitait les côtes de la mer Glaciale, fixait astronomiquement la position des points les plus importants, s’embarquait sur le vaisseau de Behring et mourait au Kamtchatka.

Voilà ce que furent les trois Delisle. Mais à Guillaume revient la gloire d’avoir révolutionné la cartographie.

« Il parvint, dit Cooley, à faire concorder les mesures anciennes et modernes et à combiner une masse plus considérable de documents ; au lieu de limiter ses corrections à une partie du globe, il les étendit au globe entier, ce qui lui donne un droit très positif à être regardé comme le créateur de la géographie moderne. Pierre le Grand, à son passage à Paris, lui rendit hommage, en le visitant pour lui donner tous les renseignements qu’il possédait lui-même sur la géographie de la Russie. »

Est-il rien de plus concluant que ce témoignage d’un étranger ? Et, si nos géographes sont dépassés aujourd’hui par ceux de l’Allemagne et de l’Angleterre, n’est-ce pas une consolation et un encouragement de savoir que nous avons excellé dans une science où nous travaillons à reprendre notre ancienne supériorité ?

Delisle vécut assez pour voir les succès de son élève J.-B. d’Anville. Si ce dernier fut inférieur, sous le rapport de la science historique, à Adrien Valois, il mérita sa haute renommée par la correction relative de son dessin, par l’aspect clair et artistique de ses cartes.

« On a peine à comprendre, dit M. E. Desjardins dans sa Géographie de la Gaule romaine, le peu d’importance qu’on attribue à ses œuvres de géographe, de mathématicien et de dessinateur. C’est cependant dans ces dernières qu’il a surtout donné la mesure de son incomparable mérite. D’Anville a, le premier. su construire une carte par des procédés scientifiques, et cela suffit à sa. gloire.... Dans le domaine de la géographie historique, d’Anville a fait preuve surtout d’un rare bon sens dans la discussion et d’un merveilleux instinct topographique dans les identifications ; mais, il faut bien le reconnaître, il n’était ni savant, ni même suffisamment versé dans l’étude des textes classiques. »

Le plus beau travail de d’Anville est sa carte d’Italie, dont la dimension, jusqu’alors exagérée, se prolongeait de l’est à l’ouest, suivant les idées des anciens.

En 1735, Philippe Buache, dont le nom est justement célèbre comme géographe, inaugurait une nouvelle méthode en appliquant, dans une carte des fonds de la Manche, les courbes de niveau à la représentation des accidents du sol.

Dix ans plus tard, d’Après de Mannevillette publiait son Neptune oriental, dans lequel il rectifiait les cartes des côtes d’Afrique, de Chine et de l’Inde. Il y joignait une instruction nautique, d’autant plus précieuse pour l’époque que c’était le premier ouvrage de ce genre. Jusqu’à la fin de sa vie, il perfectionna ce recueil qui servit de guide à tous nos officiers pendant la fin du XVIIIe siècle.

Chez les Anglais, Halley occupait le premier rang parmi les astronomes et les physiciens. Il publiait une théorie des Variations magnétiques et une Histoire des moussons, qui lui valaient le commandement d’un vaisseau, afin qu’il pût soumettre sa théorie à l’expérience.

Ce qu’avait fait d’Après chez les Français, Alexandre Dalrymple l’accomplit pour les Anglais. Seulement, ses vues gardèrent jusqu’au bout quelque chose d’hypothétique, et il crut à l’existence d’un continent austral. Il eut pour successeur Horsburgh, dont le nom sera toujours cher aux navigateurs.

Mais il nous faut parler de deux expéditions importantes qui devaient mettre fin à la querelle passionnée sur la figure de la Terre. L’Académie des Sciences venait d’envoyer une mission composée de Godin, Bouguer et La Condamine en Amérique, pour mesurer l’arc du méridien à l’équateur. Elle résolut de confier la direction d’une expédition semblable, dans le nord, à Maupertuis.

« Si l’aplatissement de la terre, disait ce savant, n’est pas plus grand que Huyhens l’a supposé, la différence des degrés du méridien déjà mesuré en France d’avec les premiers degrés du méridien voisin de l’équateur ne sera pas assez considérable pour qu’elle ne puisse pas être attribuée aux erreurs possibles des observateurs et à l’imperfection des instruments. Mais, si on l’observe au pôle, la différence entre le premier degré du méridien voisin de la ligne équinoxiale et le 66e degré, par exemple, qui coupe le cercle polaire, sera assez grande, même dans l’hypothèse de Huyghens, pour se manifester sans équivoque, malgré les plus grandes erreurs commissibles, parce que cette différence se trouvera répétée autant de fois qu’il y aura de degrés intermédiaires. »

Le problème était ainsi nettement posé, et il devait recevoir au pôle, aussi bien qu’à l’équateur, une solution qui allait terminer le débat en donnant raison à Huyghens et à Newton.

L’expédition partit sur un navire équipé à Dunkerque. Elle se composait, outre Maupertuis, de Clairaut, Camus et Lemonnier, académiciens, de l’abbé Outhier, chanoine de Bayeux, d’un secrétaire, Sommereux, d’un dessinateur, Herbelot, et du savant astronome suédois Celsius.

Lorsqu’il reçut les membres de la mission à Stockholm, le roi de Suède leur dit : « Je me suis trouvé dans de sanglantes batailles, mais j’aimerais mieux retourner à la plus meurtrière que d’entreprendre le voyage que vous allez faire »

Assurément, ce ne devait pas être une partie de plaisir. Des difficultés de toute sorte, des privations continues, un froid excessif, allaient éprouver ces savants physiciens. Mais que sont leurs souffrances auprès des angoisses, des dangers, des épreuves qui attendaient les navigateurs polaires, Ross, Parry, Hall, Payer et tant d’autres !

« A Tornea, au fond du golfe de Bothnie, presque sous le cercle polaire, les maisons étaient enfouies sous la neige, dit Damiron, dans son Éloge de Maupertuis. Lorsqu’on sortait, l’air semblait déchirer la poitrine, les degrés du froid croissant s’annonçaient par le bruit avec lequel le bois, dont toutes les maisons sont bâties, se fendait. A voir la solitude qui régnait dans les rues, on eût cru que les habitants de la ville étaient morts. On rencontrait à chaque pas des gens mutilés, ayant perdu bras ou jambes par l’effet d’une si dure température. Et cependant ce n’était pas à Tornea que les voyageurs devaient s’arrêter. »

Aujourd’hui que ces lieux sont mieux connus, que l’on sait ce qu’est la rigueur du climat arctique, on peut se faire une idée plus juste des difficultés que devaient y rencontrer des observateurs.

Ce fut en juillet 1736 qu’ils commencèrent leurs opérations. Au délà de Tornea, ils ne virent plus que des lieux inhabités. Il leur fallut se contenter de leurs propres ressources pour escalader les montagnes, où ils plantaient les signaux qui devaient former la chaîne ininterrompue des triangles. Partagés en deux troupes, afin d’obtenir deux mesures au lieu d’une et de diminuer ainsi les chances d’erreur, les hardis physiciens, après nombre de péripéties dont on trouvera le récit dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de 1737, après des fatigues inouïes, parvinrent à constater que la longueur de l’arc du méridien compris entre les parallèles de Tornea et Kittis était de 55,023 toises 1/2. Ainsi donc, sous le cercle polaire, le degré du méridien avait environ mille toises de plus que ne l’avait supposé Cassini, et le degré terrestre, dépassait de 377 toises la longueur que Picard lui avait trouvée entre Paris et Amiens. La Terre était donc considérablement aplatie aux pôles, résultat que se refusèrent longtemps à reconnaître Cassini père et fils.

 

Courrier de la physique, argonaute nouveau, Qui, franchissant les monts, qui, traversant les eaux, Ramenez des climats soumis aux trois couronnes, Vos perches, vos secteurs et surtout deux Laponnes, Vous avez confirmé, dans ces lieux pleins d’ennui, Ce que Newton connut sans sortir de chez lui.

Ainsi s’exprimait Voltaire, non sans une pointe de malice ; puis, faisant allusion aux deux sœurs que Maupertuis ramenait avec lui, et dont l’une avait su le séduire, il disait :

 

Cette erreur est trop ordinaire, Et c’est la seule que l’on fit En allant au cercle polaire.

« Toutefois, dit M. A. Maury dans son Histoire de l’Académie des Sciences, l’importance des instruments et des méthodes dont faisaient usage les astronomes envoyés dans le nord, donna aux défenseurs de l’aplatissement de notre globe plus raison qu’ils n’avaient en réalité ; et, au siècle suivant, l’astronome suédois Svanberg rectifiait leurs exagérations involontaires par un beau travail qu’il publia dans notre langue. »

Pendant ce temps, la mission que l’Académie avait expédiée au Pérou procédait à des opérations analogues. Composée de La Condamine, Bouguer et Godin, ous trois académiciens, de Joseph de Jussieu, régent de la Faculté de médecine, chargé de la partie botanique, du chirurgien Seniergues, de l’horloger Godin des Odonais, et d’un dessinateur, elle quitta La Rochelle le 16 mai 1635. Ces savants gagnèrent Saint-Domingue, où furent faites quelques observations astronomiques, Carthagène, Puerto-Bello, traversèrent l’isthme de Panama, et débarquèrent, le 9 mars 1736, à Manta, sur la terre du Pérou.

(Fac-simile. Gravure ancienne.)

Portrait de Maupertuis. (Fac-simile. Gravure ancienne.)

Là, Bouguer et La Condamine se séparèrent de leurs compagnons, étudièrent la marche du pendule, puis gagnèrent Quito par des chemins différents.

La Condamine suivit la côte jusqu’au Rio de las Esmeraldas et leva la carte de tout ce pays qu’il traversa avec des fatigues infinies.

Bouguer, lui, se dirigea parle sud vers Guayaquil, en franchissant des forêts marécageuses, et atteignit Caracol, au pied de la Cordillère, qu’il mit sept jours à traverser. C’était la route autrefois suivie par P. d’Alvarado, où soixante-dix de ses gens avaient péri, et notamment les trois premières Espagnoles qui avaient tenté de pénétrer dans le pays. Bouguer atteignit Quito le 10 juin. Cette ville avait alors trente ou quarante mille habitants, un évêque président de l’Audience, nombre de communautés religieuses et deux collèges. La vie y était assez bon marché ; seules, les marchandises étrangères y atteignaient un prix extravagant, à ce point qu’un gobelet de verre valait dix-huit ou vingt francs.

Les savants escaladèrent le Pichincha, montagne voisine de Quito, dont les éruptions ont été plus d’une fois fatales à cette ville ; mais ils ne tardèrent pas à reconnaître qu’il fallait renonçer à porter si haut les triangles de leur méridienne, et ils durent se contenter de placer les signaux sur les collines.

« On voit presque tous les jours sur le sommet de ces mêmes montagnes, dit Bouguer dans le mémoire qu’il lut à l’Académie des Sciences, un phénomène extraordinaire qui doit être aussi ancien que le monde et dont il y a bien cependant de l’apparence que personne avant nous n’avait été témoin. La première fois que nous le remarquâmes, nous étions tous ensemble sur une montagne nommée Pambamarca. Un nuage, dans lequel nous étions plongés et qui se dissipa, nous laissa voir le soleil qui se levait et qui était très éclatant. Le nuage passa de l’autre côté. Il n’était pas à trente pas, lorsque chacun de nous vit son ombre projetée dessus et ne voyait que la sienne, parce que le nuage n’offrait pas une surface unie. Le peu de distance permettait de distinguer toutes les parties de l’ombre ; on voyait les bras, les jambes, la tête ; mais, ce qui nous étonna, c’est que cette dernière partie était ornée d’une gloire ou auréole formée de trois ou quatre petites couronnes concentriques d’une couleur très-vive, chacune avec les mêmes variétés que l’arc-en-ciel, le rouge étant en dehors. Les intervalles entre ces cercles étaient égaux ; le dernier cercle était plus faible ; et enfin, à une grande distance, nous voyions un grand cercle blanc qui environnait le tout. C’est comme une espèce d’apothéose pour le spectateur. »

Comme les instruments dont ces savants se servaient n’avaient pas la précision de ceux qui sont employés aujourd’hui, et étaient sujets aux changements de la température, il fallut procéder avec le plus grand soin et la plus minutieuse attention pour que de petites erreurs multipliées ne finissent pas par en causer de considérables. Aussi, dans leurs triangles, Bouguer et ses compagnons ne conclurent jamais le troisième angle de l’observation des deux premiers : il les observèrent tous.

Après avoir obtenu en toises la mesure du chemin parcouru, il restait à découvrir quelle partie du circuit de la Terre formait cet espace ; mais on ne pouvait résoudre cette question qu’au moyen d’observations astronomiques.

Après nombre d’obstacles, que nous ne pouvons décrire ici en détail, et de remarques curieuses, entre autres la déviation que l’attraction des montagnes fait éprouver au pendule, les savants français arrivèrent à des conclusions qui confirmèrent pleinement le résultat de la mission de Laponie, Ils ne rentrèrent pas tous en France en même temps. Jussieu continua pendant plusieurs années encore ses recherches d’histoire naturelle, et La Condamine choisit, pour revenir en Europe la route du fleuve des Amazones, voyage important, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir un peu plus tard.

 

II

La guerre de course au XVIIIe siècle.

Voyage de Wood-Rodgers. — Aventures d’Alexandre Selkirk. — Les îles Galapagos. — Puerto-Seguro. — Retour en Angleterre. — Expédition de Georges Anson. — La Terre des États. — L’île de Juan- Fernandez. — Tinian. — Macao. — La prise du galion. — La rivière de Canton. — Résultats de la croisière.

 

On était en pleine guerre de la succession d’Espagne. Certains armateurs de Bristol résolurent alors d’équiper quelques bâtiments pour courir sus aux navires espagnols dans l’océan Pacifique et ravager les côtes de l’Amérique du Sud. Les deux vaisseaux qui furent choisis, le Duc et la Duchesse, sous le commandement des capitaines Rodgers et Courtney, furent armés avec soin et pourvus de toutes les provisions nécessaires pour un si long voyage. Le célèbre Dampier. qui s’était acquis tant de réputation par ses courses aventureuses et ses pirateries, ne dédaigna pas d’accepter le titre de premier pilote. Bien que cette expédition ait été plus riche en résultats matériels qu’en découvertes géographiques, sa relation contient cependant quelques particularités curieuses qui méritent d’être conservées.

Ce fut le 2 août 1708, que le Duc et la Duchesse quittèrent la rade royale de Bristol. Remarque intéressante à faire d’abord : pendant toute la durée du voyage, un registre, sur lequel devaient être consignés tous les événements de la campagne, fut tenu à la disposition de l’équipage, afin que les moindres erreurs et les plus petits oublis fussent réparés, avant que le souvenir des faits eût pu s’altérer.

Rien à dire sur ce voyage jusqu’au 22 décembre. Ce jour-là, furent découvertes les îles Falkland, que peu de navigateurs avaient encore reconnues. Rodgers n’y aborda point ; il se contenté de dire que la côte présente le même aspect que celle de Portland, quoiqu’elle soit moins haute.

« Tous les coteaux, ajoute-t-il, avaient l’apparence d’un bon terrain ; la pente en est facile, garnie de bois, et le rivage ne manque pas de bons ports. »

Ces îles ne possèdent pas un seul arbre, et les bons ports sont loin d’être fréquents, comme nous le verrons plus tard. On voit si les renseignements que nous devons à Rodgers sont exacts. Aussi les navigateurs ont-ils bien fait de ne pas s’y fier.

Après avoir dépassé cet archipel, les deux bâtiments piquèrent droit au sud, et s’enfoncèrent dans cette direction jusqu’à 60° 58’ de latitude. Il n’y avait pas de nuit, le froid était vif, et la mer si grosse, que la Duchesse fit quelques avaries. Les principaux officiers des deux bâtiments, assemblés en conseil, jugèrent alors qu’il n’était pas à propos de s’avancer plus au sud, et route fut faite à l’ouest. Le 15 janvier 1709, on constata qu’on avait doublé le cap Horn, et qu’on était entré dans la mer du Sud.

A cette époque, presque toutes les cartes différaient sur la position de l’île Juan Fernandez. Aussi, Wood Rodgers, qui voulait y relâcher pour y faire de l’eau et s’y procurer un peu de viande fraîche, la rencontra presque sans la chercher.

Le 1er février, il mit en mer une embarcation pour aller à la découverte d’un mouillage. Tandis qu’on attendait son retour, on aperçut un grand feu sur le rivage. Quelques vaisseaux espagnols ou français avaient-ils atterri en cet endroit ? Faudrait-il livrer combat, pour se procurer l’eau et les vivres dont on avait besoin ? Toutes les dispositions furent prises pendant la nuit ; mais, au matin, aucun bâtiment n’était en vue. Déjà l’on se demandait si l’ennemi s’était retiré, lorsque l’arrivée de la chaloupe vint fixer toutes les incertitudes, en ramenant un homme vêtu de peaux de chèvres, à la figure encore plus sauvage que ses vêtements.

C’était un marin écossais, nommé Alexandre Selkirk, qui, à la suite d’un démêlé avec son capitaine, avait été abandonné depuis quatre ans et demi sur cette île déserte. Le feu qu’on avait aperçu avait été allumé par lui.

Pendant son séjour à Juan-Fernandez, Selkirk avait vu passer beaucoup de vaisseaux ; deux seulement, qui étaient espagnols, y avaient mouillé. Découvert par les matelots, Selkirk, après avoir essuyé leur feu, n’avait échappé à la mort que grâce à son agilité, qui lui avait permis de grimper sur un arbre sans être aperçu.

« Il avait été mis à terre, dit la relation, avec ses habits, son lit, un fusil, une livre de poudre, des balles, du tabac, une hache, un couteau, un chaudron, une Bible et quelques autres livres de piété, ses instruments et ses livres de marine. Le pauvre Selkirk pourvut à ses besoins du mieux qu’il lui fut possible ; mais, durant les premiers mois, il eut beaucoup de peine à vaincre la tristesse et à surmonter l’horreur que lui causait une si affreuse solitude. Il construisit deux cabanes, à quelque distance l’une de l’autre, avec du bois de myrte-piment. Il les couvrit d’une espèce de jonc et les doubla de peaux de chèvres, qu’il tuait à mesure qu’il en avait besoin, tant que sa poudre dura. Lorsqu’elle approcha de sa fin, il trouva le moyen de faire du feu avec deux morceaux de bois de piment, qu’il frottait l’un contre l’autre.... Quand sa poudre fut finie, il prenait les chèvres à la course, et il s’était rendu si agile par un exercice continuel, qu’il courait à travers les bois, sur les rochers et les collines, avec une vitesse incroyable. Nous en eûmes la preuve lorsqu’il vint à la chasse avec nous ; il devançait et mettait sur les dents nos meilleurs coureurs et un chien excellent que nous avions à bord ; il atteignait bientôt les chèvres, et nous les apportait sur son dos. Il nous dit qu’un jour il poursuivait un de ces animaux avec tant d’ardeur, qu’il le saisit sur le bord d’un précipice caché par des buissons, et roula du haut en bas avec sa proie. Il fut si étourdi de sa chute, qu’il en perdit connaissance ; quand il reprit ses sens, il trouva sa chèvre morte sous lui. Il resta près de vingt-quatre heures sur la place, et il eut assez de peine à se traîner à sa cabane, qui en était distante d’un mille, et dont il ne put sortir qu’au bout de dix jours. »

Des navets semés par l’équipage de quelque vaisseau, des choux palmistes, du piment et du poivre de la Jamaïque servaient à cet abandonné pour assaisonner ses aliments. Quand ses souliers et ses habits furent en pièces, ce qui ne tarda guère, il s’en fit en peau de chèvres, avec un clou qu’il employait comme aiguille. Lorsque son couteau fut usé jusqu’au dos, il s’en fabriqua avec des cercles de barrique qu’il avait trouvés sur le rivage. Il avait si bien perdu l’habitude de parler, qu’il avait de la peine à se faire comprendre. Rodgers l’embarqua et lui donna sur son vaisseau l’office de contre-maître.

Selkirk n’avait pas été le premier marin délaissé sur l’île de Juan-Fernandez. On se rappelle peut-être que Dampier y avait déjà recueilli un malheureux Mosquito, abandonné de 1681 à 1684, et l’on voit, dans le récit des aventures de Sharp et d’autres flibustiers, que le seul survivant de l’équipage d’un vaisseau naufragé sur ces côtes y vécut cinq ans, jusqu’à ce qu’un autre bâtiment vînt le reprendre. Les malheurs de Selkirk ont été racontés par un écrivain moderne, par Saintine, dans le roman intitulé : Seul !

Les deux bâtiments quittèrent Juan-Fernandez le 14 février, et commencèrent leurs courses contre les Espagnols. Rodgers s’empara de Guyaquil, dont il tira une grosse rançon, et captura plusieurs vaisseaux, qui lui fournirent plus de prisonniers que d’argent.

De toute cette partie de son voyage, dont nous n’avons pas à nous occuper, nous ne retiendrons que quelques détails sur l’île de la Gorgone, où il remarqua un singe à qui son excessive lenteur a fait donner le nom de « paresseux », sur Tecamez, dont les habitants, armés de flèches empoisonnées et de fusils, le repoussèrent avec perte, et sur les îles Galapagos, situées à deux degrés de latitude nord. Cet archipel est très nombreux, d’après Rodgers ; mais, de la cinquantaine d’îles qui le composent, il n’en trouva pas une seule qui fournît de l’eau douce. Il y vit en quantité des tourterelles, des tortues de terre et de mer d’une grosseur extraordinaire, — dont le nom a été donné par les Espagnols à ce groupe, — et des chiens marins extrêmement redoutables, dont l’un eut même l’audace de l’attaquer.

« J’étais sur le rivage, dit-il, lorsqu’il sortit de l’eau, la gueule béante, avec autant de vitesse et de férocité que le chien le plus furieux qui a rompu sa chaîne. Il m’attaqua trois fois. Je lui enfonçai ma pique dans la poitrine, et, chaque fois, je lui fis une large blessure qui l’obligea de se retirer avec d’horribles cris. Ensuite, se retournant vers moi, il s’arrêta pour gronder et me montrer les dents. Il n’y avait pas vingt-quatre heures qu’un homme de mon équipage avait failli être dévoré par un des mêmes animaux. »

Au mois de décembre, Rodgers se retira avec un galion de Manille, dont il s’était emparé, sur la côte de Californie, à Puerto-Seguro. Plusieurs de ses hommes s’enfoncèrent dans l’intérieur. Ils y virent quantité d’arbres de haute futaie, pas la moindre apparence de culture, et de nombreuses fumées qui indiquaient que le pays était peuplé.

« Les habitants, dit l’abbé Prévost dans son Histoire des Voyages, étaient d’une taille droite et puissante, mais beaucoup plus noirs qu’aucun des Indiens qu’il avait vus dans la mer du Sud. Ils avaient les cheveux longs, noirs et plats, qui leur pendaient jusqu’aux cuisses. Tous les hommes étaient nus, mais les femmes portaient des feuilles ou des morceaux d’une espèce d’étoffe qui en paraît composée, ou des peaux de bêtes et d’oiseaux... Quelques-uns portaient des colliers et des bracelets de brins de bois et de coquilles ; d’autres avaient au cou de petites baies rouges et des perles, qu’ils n’ont pas sans doute l’art de percer, puisqu’elles sont entaillées dans leur rondeur et liées l’une à l’autre avec un fil. Ils trouvaient cet. ornement si beau, qu’ils refusaient les colliers de verre des Anglais. Leur passion n’était ardente que pour les couteaux et les instruments qui servent au travail. »

Le Duc et la Duchesse quittèrent Puerto-Seguro le 12 janvier 1710 et atteignirent l’île Guaham, l’une des Mariannes, deux mois plus tard. Ils y prirent des vivres, et, passant par les détroits de Boutan et de Saleyer, gagnèrent Batavia. Après la relâche obligée dans cette ville et au cap de Bonne-Espérance, Rodgers mouilla aux Dunes le 1er octobre.

Bien qu’il ne donne pas le détail des immenses richesses qu’il rapportait, on peut cependant s’en faire une haute idée, lorsqu’on entend Rodgers parler des lingots, de la vaisselle d’or et d’argent et des perles dont il remit le compte à ses heureux armateurs.

Le voyage de l’amiral Anson, dont nous allons maintenant faire le récit, appartient encore à la catégorie des guerres de course ; mais il clôt la série de ces expéditions de forbans qui déshonoraient les vainqueurs sans ruiner les vaincus. Bien qu’il n’apporte, lui non plus, aucune nouvelle acquisition à la géographie, sa relation est cependant semée de réflexions judicieuses, d’observations intéressantes sur des régions peu connues. Elles sont dues, non pas au chapelain de l’expédition, Richard Walter, comme le titre l’indique, mais bien à Benjamin Robins, d’après les Nichol’s literary anecdotes.

Georges Anson était né en 1697 dans le Staffordshire. Marin dès son enfance, il n’avait pas tardé à se faire remarquer. Il jouissait de la réputation d’un habile et heureux capitaine, lorsqu’en 1639 il reçut le commandement d’une escadre composée du Centurion, de 60 canons, du Glocester, de 50, du Sévère, de la même force, de la Perle, de 40 canons, du Wager, de 28, de la chaloupe le Trial et de deux bâtiments porteurs de vivres et de munitions. Outre ses 1,460 hommes d’équipage, cette flotte avait reçu un renfort de 470 invalides ou soldats de marine.

Partie d’Angleterre le 18 septembre 1740, l’expédition passa par Madère, par l’île Sainte-Catherine, sur la côte du Brésil, par le havre Saint-Julien, et traversa le détroit de Lemaire.

« Quelque affreux que soit l’aspect de la Terre de Feu, dit la relation, celui de la Terre des États a quelque chose de plus horrible. Il n’offre qu’une suite de rochers inaccessibles, hérissés de pointes aiguës, d’une hauteur prodigieuse, couverts d’une neige éternelle et ceints de précipices. Enfin l’imagination ne peut rien se représenter de plus triste et de plus sauvage que cette côte. »

A peine les derniers vaisseaux de l’escadre avaient-ils débouqué du détroit, qu’une série de coups de vents, de rafales et de bourrasques fit avouer aux matelots les plus expérimentés que tout ce qu’ils avaient appelé tempête n’était rien en comparaison. Ce temps épouvantable dura sept semaines sans discontinuer. Inutile de demander si les navires subirent des avaries, s’ils perdirent nombre de matelots enlevés par les lames ; décimés par les maladies qu’une humidité constante et une nourriture malsaine eurent bientôt développées.

Selkirk roula du haut en bas avec sa proie. (Page 13.)

Deux bâtiments, le Sévère et la Perle, furent engloutis, et quatre autres perdus de vue. Anson ne put s’arrêter à Valdivia, qu’il avait fixée comme rendez-vous en cas de séparation. Emporté bien au delà, il ne lui fut possible de s’arrêter qu’à Juan-Fernandez, où il arriva le 9 juin. Le Centurion avait le plus grand besoin de cette relâche. Quatre-vingts hommes de son équipage avaient péri, il n’avait plus d’eau, et le scorbut avait tellement affaibli les matelots qu’il n’y en avait pas dix en état de faire le quart. Trois autres bâtiments en aussi mauvais état ne tardèrent pas à le rejoindre.

Je lui enfonçai ma pique dans la poitrine. (Page 14.)

Il fallut avant tout refaire les équipages épuisés et réparer les avaries majeures des bâtiments. Anson débarqua les malades, les installa en plein air, dans un hôpital bien abrité ; puis, à la tête des plus vaillants matelots, il parcourut l’île dans toutes les directions afin d’en relever les rades et les côtes. Le meilleur mouillage serait, d’après Anson, la baie Cumberland. La partie sud-est de Juan-Fernandez, — petite île qui n’aurait pas plus de cinq lieues sur deux, — est sèche, pierreuse, sans arbres, le terrain est bas et fort uni comparativement à la partie septentrionale. Le cresson, le pourpier, l’oseille, les navets, les raves de Sicile, croissaient en abondance, ainsi que l’avoine et le trèfle. Anson fit semer des carottes, des laitues, planter des noyaux de prunes, d’abricots et de pêches. Il ne tarda pas à se rendre compte que le nombre des boucs et des chèvres, laissé par les boucaniers dans cette île et qui y avaient si merveilleusement multiplié, était bien diminué. Les Espagnols, pour enlever cette ressource précieuse à leurs ennemis, avaient débarqué quantité de chiens affamés qui firent la chasse aux chèvres et en dévorèrent un si grand nombre qu’il en restait à peine deux cents à cette époque.

Le chef d’escadre, — ainsi Anson est-il toujours appelé dans la relation du voyage, — fit reconnaître l’île de Mas-a-fuero, qui est éloignée de vingt-cinq lieues de Juan-Fernandez. Plus petite, elle est aussi plus boisée, mieux arrosée, et elle possédait plus de chèvres.

Au commencement de décembre, les équipages avaient pu reprendre assez de forces pour qu’Anson songeât à exécuter ses projets de faire la course contre les Espagnols. Il s’empara d’abord de plusieurs vaisseaux, chargés de marchandises précieuses et de lingots d’or, puis brûla la ville de Paita. Les Espagnols estimèrent leur perte en cette circonstance à un million et demi de piastres.

Anson se rendit ensuite à la baie de Quibo, près de Panama, afin de guetter le galion qui, tous les ans, apporte les richesses des Philippines à Acapulco. Là, si les Anglais n’aperçurent aucun habitant, ils trouvèrent, auprès de quelques misérables huttes, de grands amas de coquilles et de belle nacre, que les pêcheurs de Panama y laissent pendant l’été. Parmi les provisions abondantes en cet endroit, il faut citer les tortues franches, qui pèsent ordinairement deux cents livres, et dont la pêche se faisait d’une façon singulière. Lorsqu’on en voyait une flotter endormie à la surface de la mer, un bon nageur plongeait à quelques toises, remontait, et, saisissant l’écaille vers la queue, s’efforçait d’enfoncer la tortue. En se réveillant, celle-ci se débattait, et ce mouvement suffisait à la soutenir ainsi que l’homme, jusqu’à ce qu’une embarcation vînt les recueillir tous deux.

Après une vaine croisière, Anson dut se déterminer à brûler trois vaisseaux espagnols qu’il avait pris et armés. Leur équipage et leur chargement une fois répartis sur le Centurion et le Glocester, les deux seuls bâtiments qui lui restassent, Anson, le 6 mai 1742, résolut de gagner la Chine, où il espérait, trouver des renforts et des rafraîchissements. Mais cette traversée, qu’il comptait faire en soixante jours, il lui fallut quatre mois pour l’accomplir. A la suite d’une violente tempête, le Glocester, coulant bas et ne pouvant plus être manœuvré par un équipage réduit, dut être brûlé. Seuls l’argent et les vivres furent transbordés sur le Centurion, dernier débris de cette flotte magnifique partie depuis deux ans à peine des côtes d’Angleterre.

Jeté hors de sa route, très loin dans le nord, Anson découvrit, le 26 août, les îles d’Atanacan et de Serigan ; le lendemain, celles de Saypan Tinian et Agnigan, qui font partie de l’archipel des Mariannes. Un sergent espagnol, qu’il captura dans ces parages sur une petite embarcation, lui apprit que l’île de Tinian était. inhabitée et qu’on y trouvait en abondance des bœufs, des volailles et des fruits excellents, tels qu’oranges, limons, citrons, cocos, arbres à pain, etc. Nulle relâche ne pouvait mieux convenir au Centurion, dont l’équipage ne comptait plus que 71 hommes épuisés par les privations et les maladies, seuls survivants des 2,000 matelots qui montaient la flotte à son départ.

« Le terrain y est sec et un peu sablonneux, dit la relation, ce qui rend le gazon des prés et des bois plus fin et plus uni qu’il n’est ordinairement dans les climats chauds ; le pays s’élève insensiblement depuis l’aiguade des Anglais jusqu’au milieu de l’île ; mais, avant que d’arriver à sa plus grande hauteur, on trouve plusieurs clairières en pente, couvertes d’un trèfle fin, qui est entremêlé de différentes sortes de fleurs, et bordées de beaux bois, dont les arbres portent d’excellents fruits... Les animaux, qui pendant la plus grande partie de l’année sont les seuls maîtres de ce beau séjour, font partie de ses charmes romanesques et ne contribuent pas peu à lui donner un air de merveilleux. On y voit quelquefois des milliers de bœufs paître ensemble dans une grande prairie, spectacle d’autant plus singulier que tous ces animaux sont d’un véritable blanc de lait, à l’exception des oreilles, qu’ils ont ordinairement noires. Quoique l’île soit déserte, les cris continuels et la vue d’un grand nombre d’animaux domestiques, qui courent en foule dans les bois, excitent des idées de fermes et de villages. »

Tableau vraiment trop enchanteur ! L’auteur ne lui aurait-il pas prêté bien des charmes qui n’existaient que dans son imagination ? Après une si longue croisière, après tant de tempêtes, il n’est pas étonnant que les grands bois verdoyants, l’exubérance de la végétation, l’abondance de la vie animale, aient fait une profonde impression sur l’esprit des compagnons de lord Anson. Au reste, nous saurons bientôt si ses successeurs à Tinian ont été aussi émerveillés que lui.

Cependant, Anson n’était pas sans inquiétude. Il avait fait réparer son bâtiment, il est vrai, mais beaucoup de malades demeuraient à terre pour s’y rétablir définitivement, et il ne restait plus à bord qu’un petit nombre de matelots. Le fond étant de corail, on dut prendre des précautions pour que les câbles ne fussent pas coupés. Malgré cela, au moment de la nouvelle lune, un vent impétueux s’éleva et fit chasser le navire. Les ancres tinrent bon, mais il n’en fut pas de même des aussières, et le Centurion fut emporté en pleine mer. Le tonnerre ne cessait de gronder, la pluie tombait avec une telle violence, que, de terre, on n’entendait même pas les signaux de détresse qui partaient du bâtiment. Anson, la plupart des officiers, une grande partie de l’équipage, au nombre de cent treize individus, étaient demeurés à terre, et ils se trouvaient privés de l’unique moyen qu’ils possédassent de quitter Tinian.

La désolation fut extrême, la consternation inexprimable. Mais Anson, homme énergique et fécond en ressources, eut bientot arraché ses compagnons au désespoir. Une barque, celle qu’ils avaient prise aux Espagnols, leur restait, et ils eurent la pensée de l’allonger, afin qu’elle pût contenir tout le monde, avec les provisions nécessaires pour gagner la Chine. Mais dix-neuf jours plus tard, le Centurion était de retour, et les Anglais, s’y embarquant le 21 octobre, ne tardèrent pas à atteindre Macao. Depuis deux ans, depuis leur départ d’Angleterre, c’était la première fois qu’ils relâchaient dans un port ami et civilisé.

« Macao, dit Anson, autrefois très riche, très peuplée et capable de se défendre contre les gouverneurs chinois du voisinage, est extrêmement déchue de son ancienne splendeur. Quoiqu’elle continuât d’être habitée par des Portugais et commandée par un gouverneur que nomme le roi de Portugal, elle est à la discrétion des Chinois, qui peuvent l’affamer et s’en rendre maîtres ; aussi le gouverneur portugais se garde-t-il soigneusement de les choquer. »

Il fallut qu’Anson écrivît une lettre hautaine au gouverneur chinois pour obtenir la permission d’acheter, même à très haut prix. les vivres et les rechanges dont il avait besoin. Puis il annonça publiquement qu’il partait pour Batavia et mit à la voile le 19 avril 1743. Mais, au lieu de gagner les possessions hollandaises, il fit voile pour les Philippines, où il attendit, pendant plusieurs jours, le galion qui revenait d’Acapulco, après y avoir richement vendu sa cargaison. D’habitude ces bâtiments portaient quarante-quatre canons et comptaient plus de cinq cents hommes d’équipage. Anson ne comptait que deux cents matelots, dont une trentaine n’étaient que des mousses ; mais la disproportion des forces ne pouvait l’arrêter, car il avait pour lui l’appât d’un riche butin, et l’avidité de ses hommes lui répondait de leur courage.