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L’Homme détient en lui une part sombre qui peut à tout moment éclater. Rien ne peut prédire où, quand et qui sera la victime de cette ombre et le coupable de l’acte qui en découlera. Cette dernière qui se révélera peut-être un jour aura des conséquences désastreuses sur la personne et sur sa proie.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Si la littérature permet à
Bénédicte Mitrano de s’évader, l’écriture lui fait ressentir les émotions des personnages et vivre leurs aventures. Avec son baluchon d’expérience personnelle, elle construit des histoires, philosophe, débat, conteste, etc.
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Seitenzahl: 93
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Bénédicte Mitrano
Loup, où es-tu ?
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Bénédicte Mitrano
ISBN : 979-10-377-5769-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le loup mange.
Je dis le loup car tous les loups
Ne sont pas de la même sorte.
Charles Perrault (1628 – 1703)
La rive, aux mousses charnues et humides, caresse mes pieds nus. Un frisson parcourt mes chevilles, mes mollets, mes cuisses, mes reins et enfin mes seins. J’entre dans le miroir instable du lac.
Doucement, j’avance. Le contact liquide sur ma chemise de nuit m’alourdit et me glace. Le niveau monte et me sépare petit à petit du monde de l’air. Sous mes narines, elle vient submerger mon visage par le clapotis indécent de mon intrusion. Mes yeux ne voient plus que le côté funeste de mon geste, les limbes m’acceptent déjà. Seule ma tête respire encore. Mes cheveux flottent à la surface, des mèches s’enroulent autour de mon crâne, comme pour m’aider à m’enfoncer, à m’accompagner vers cette destination définitive. L’engourdissement de mon corps me porte vers un abandon volontaire.
La nuit cache la berge, les nuages recouvrent les étoiles.
Cet endroit est mon tombeau, mon linceul liquide. Je chavire avec crainte dans l’autre monde.
Une odeur pestilentielle m’entoure. La nuit est venue assister à mon départ.
Je suis seule.
L’allée menant au manoir était de chaque côté bordée d’élégants châtaigniers. Grands et majestueux, l’ombre de leurs feuilles couvrait plus de la moitié du chemin. L’herbe rase mais grasse s’étalait au pied de ces géants. Le soleil, hésitant, tentait de percer cette couverture végétale. Des reflets d’or se dessinaient sur ces corps de bois, les cicatrices de l’âge lacèrent ces vieux visages burinés par les années, caprices incontrôlables du temps. Le vent, quand son souffle se faisait fantaisiste, balayait les graviers et les feuilles malchanceuses qui jonchaient le sol, çà et là, comme des enfants jouant autour des arbres. Alors se formaient des petits tapis sous le dernier grand arbre de l’allée.
Mon enfance se trouvait au bout de cette allée. Une maison haute de trois étages dont les pierres apparentes, ton de sable, donnaient à l’ensemble de la bâtisse une allure de grande dame, une bourgeoise endimanchée.
Mes parents, de riches industriels, étaient morts dans un accident de voiture. Une soirée bien arrosée, une vitesse excessive, un virage trop serré avait conclu l’inspecteur chargé de l’enquête. J’avais tout entendu. Un vide avait envahi mon cœur, un vide à en vomir.
Trop petite pour tout comprendre, mais trop grande pour oublier.
De famille d’accueil en internats, longtemps j’avais été la meilleure amie de mon sac. Je ne restais pas assez longtemps pour aimer. Je passais le plus clair de mon temps à lire ou à écrire. Un corps de petite fille, décharné, en attente de mue, rongé par l’absence, une coquille vide.
Pour seule amarre, un journal. C’était un petit carnet rose, avec sur la première page une photo de mes parents et moi sur le bord du lac un après-midi d’été.
De table de nuit en commode, de bureau d’écolière en tiroir, de poche en poche et de sac en sac. Il était le Moi que l’on ne voyait pas.
La surface inerte et froide s’ondule. Ces vibrations s’amplifient et mon angoisse grandit. Je me demande si mon acte en vaut la peine, le doute s’installe. Je n’arrive plus à bouger, je suis figée par la peur et le froid. L’ombre des arbres sur la rive forme une foule qui m’observe. J’ai les yeux au ras de l’eau, comme un crocodile en chasse.
Personne aux alentours, ni sur la berge ni sur le ponton.
L’infime partie de la vie, qu’il me reste, est en train de me quitter, de m’échapper et cette impression est si présente, si envahissante qu’elle m’étouffe. Je suis en un point de non-retour, je ne contrôle plus rien, je dépends dès lors de l’élément qui m’entoure : l’eau.
Je m’affole, prisonnière de mon tourment, pétrifiée. Cette odeur de pourriture s’empare de mon nez, de ma gorge, putréfie ma bouche et s’imprègne au plus profond de mes poumons.
Un chemin obscur s’ouvre devant moi et à cet instant j’entre dans la folie.
Je ne distingue plus la rive ni les arbres. Une épaisse couche de brume semble vouloir me happer. La mort est-elle aussi étrange ?
Au-dessus le silence, au-dessous le chaos.
J’avais suivi des études de journalisme et j’avais terminé mon cursus universitaire avec brio. Seconde de ma promotion. Les plus grands quotidiens m’avaient sollicitée. Après cinq années à la solde d’un grand journal, j’avais décidé de tout quitter pour me mettre à mon compte. Je voulais être libre.
Aucune vie amoureuse, pas d’amis, uniquement des relations de travail, une sorte de solitude des temps modernes. J’avais pris une année sabbatique afin de me retrouver car j’avais l’intime conviction que l’on m’attendait ailleurs.
Le pavillon familial, dont j’avais hérité à la mort de mes parents, était l’opportunité pour entamer une pause. Il n’avait pas changé depuis mon départ pour l’orphelinat. J’allais et venais dans cette allée d’arbres, respirant les effluves de la saison, l’odeur des fleurs, de la terre chaude et de l’herbe séchée brûlée par le soleil. Tous mes sens étaient dans le paroxysme du souvenir.
Une dizaine de marches d’escalier s’étendait devant moi. Deux énormes vasques embellissaient autrefois la montée des marches. J’avais l’impression de n’avoir jamais quitté cet endroit.
Les joints du carrelage de la terrasse étaient envahis d’une végétation tenace et en proie à une volonté de laisser la nature gérer l’absence.
Dans le hall d’entrée, une différence de température se faisait sentir. Une douce fraîcheur m’accueillit. La décoration, un peu défraîchie par le temps, laissait à penser que mes parents étaient des chineurs et des collectionneurs : miroirs, tableaux, tentures, tapis, statuettes, bibelots, pendules, lustres, tapisseries… une passion que je ne partageais pas.
Je m’engageais dans le vestibule, avec mon sac comme seul bagage, un vieux bob sur la tête qu’un enfant du Zaïre m’avait offert ; je me sentais étrangère tout en admettant que j’étais bien chez moi. J’observais, j’essayais de fixer mes souvenirs : le cadre de ma grand-mère sur l’étagère à droite, le bouquet de fleurs sur le guéridon au centre du hall, le sceau à parapluie dans lequel mon père déposait sa canne, le porte manteau sur lequel je n’avais pas le droit de poser ma veste, réservé au pardessus de mon père. Dans l’angle de la porte qui donne sur le grand salon, mon chat Oscar, un persan qui m’avait été offert.
Le silence était propice à mon observation.
Dans un coin de la pièce, un piano semblait attendre une caresse pour faire frémir et libérer ses notes, longtemps prisonnières, je fis glisser mes doigts sur les touches. La résonnance des notes de la plus grave à la plus aiguë avait comblé le vide un bref instant.
Les rayons du soleil semblaient tirer leurs révérences. J’avais décidé de monter à l’étage pour m’installer dans mon ancienne chambre, celle de mon enfance. Le couloir se déroulait devant moi en un tapis de laine rouge. Tout au bout du couloir, celle de mon petit frère.
Il mourut avant même que je le connaisse. Ma mère était enceinte de huit mois. La chambre était vide. Carlos, il devait s’appeler Carlos.
De la fenêtre, je voyais le lac. Il s’étalait devant moi comme une tache d’huile sur l’océan, comme une putain en quête de plaisir, en attente d’une proie sur laquelle langoureusement elle refermerait ses griffes. C’était un lac aux couleurs d’ébène, dû peut-être à sa profondeur. Ses berges présentaient une déclinaison de vert, les peupliers qui le bordaient avaient une hauteur impressionnante et couronnaient le tour du lac en un diadème de feuilles argentées.
Les cendres de mes parents et de mon petit frère reposaient en paix au fond de ce miroir liquide.
Rien ni personne n’avait pu combler ce manque d’affection.
Je n’arrive plus à respirer. Mes narines complètement immergées n’ont plus le moindre contact avec l’air. La panique m’envahit. Mon esprit est au bord de l’abandon. Pourtant quelque chose m’empêche de me laisser aller. J’ai choisi de quitter cette vie de solitude et de tristesse. Je veux rejoindre ma famille, je suis lasse de rester seule.
Mes yeux contemplent désormais le monde d’en bas. Une faible surface de mon crâne est encore en contact avec l’air, la fraîcheur de la nuit me le confirme. Je m’enfonce, désormais sans retenue. Complètement immergée, mes yeux se ferment et mon corps stagne entre deux eaux. Le silence m’habite dehors et dedans.
Ma respiration ralentit.
J’avais retrouvé mon lit. En chemise de nuit de coton blanc, celle de ma mère, je ne sentais plus ce froid humide qui m’enveloppe pour ne plus me quitter. J’avais l’impression d’être elle, d’être en elle. Son odeur m’habitait, si douce, si parfumée, si présente.
Je sortis de la maison avec pour seules compagnes, la lune et cette légère brise qui m’accompagne. Une centaine de mètres me séparaient du lac. Petite, je l’avais toujours cru plus près. Mes pieds nus caressent l’herbe mouillée, le petit souffle du soir emmêlait mes cheveux mal coiffés.
À mesure que le temps passait, la lune s’effilochait dans l’air de la nuit et sa lumière disparaissait insensiblement. Je m’approchais du lac aux reflets d’argent, il m’attirait. J’entendais le murmure des disparus, ils m’invitaient à passer cette frontière fictive.
J’avançais dans l’eau sans me retourner, avec nonchalance, je ne pensais qu’à eux. Mon destin se trouvait là, sous le reflet de la lune, là où la lumière n’avait plus le même rôle, au fond du lac. Ma chemise de nuit flottait dans la glauque pénombre de cette nuit glacée. Mes yeux fixaient un horizon hasardeux que je ne percevais plus.
Les limbes m’attachent les chevilles et me tirent vers les profondeurs. Chacune des parties de mon corps prend contact avec l’eau, elle me recouvre et à chaque pas je quitte mon passé et laisse mon présent en suspens et aucune chance à l’avenir.
L’air que je respirais est devenu liquide. Je suis en osmose avec cet élément, sans douleur et avec résignation. Je ferme les yeux pour me laisser bercer dans les bras de ma mère. Toutes les sensations d’une enfant oubliée par les siens s’estompent et la délicate caresse d’un amour retrouvé envahit mon âme.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir quitté mon enveloppe meurtrie, bien au contraire, j’entre de l’autre côté, j’ai franchi le pas.
Les cigales rythment mes journées, le soleil me brûle. Cette année est caniculaire.