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Luciano est en danger. Les Alliés, ainsi que les proches de Julie, doivent se préparer à la riposte et tenter de contrer les agents. Pris dans ce combat qui n'est pas le sien, Chris devra infiltrer l'ennemi pour sauver sa famille de la guerre qui menace d'éclater.
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Seitenzahl: 480
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À ma fille, Evy
Précédemment
Partie 1 : Lucas
Partie 2 : Théodore
Partie 3 : Owen
Partie 4 : Didier
Partie 5 : Niklas
Partie 6 : Samantha
Prochainement
Le soir du feu d’artifice – 23h53
Chris traversait le dernier stade municipal et s’approchait des murs du Parc des Sports. Il était sur les talons d’une femme à la démarche militaire, dont il peinait à tenir le rythme. Il n’était pas rassuré. Il se demandait ce qu’il faisait là. Tout ce qu’il voyait était leurs ombres projetées par les éclairages de la première pelouse. Cette dame était venue le chercher à l’entrée et s’était présentée : Laurence Trimax. D’un certain âge, Laurence gardait un visage chaleureux. Pourtant, lors des premiers échanges, son sourire s’était crispé. Elle semblait fatiguée. Mais à cette heure, Chris l’était aussi. Elle l’avait appelé sur son téléphone portable et lui avait demandé de récupérer sa sœur. Elle l’avait prié de venir à l’entrée située chemin des Fins Nord. Une fois sur place, elle lui avait ordonné de le suivre.
Les murs du complexe sportif se dressaient devant eux, formes sombres dans les ténèbres. Qu’est-ce que
Julie faisait ici ? Il n’y comprenait rien. Une soirée avait été organisée en l’honneur de son petit copain, un militaire qui n’était plus engagé. Elle et sa meilleure amie y étaient arrivées en fin d’après-midi. Tout s’était pourtant bien passé. Mais à un moment, sa sœur avait bredouillé une excuse et elle était partie.
Chris suivit Laurence jusqu’aux abords du Parc des Sports. C’était le stade le plus connu. Celui où l’équipe de football s’entraînait et disputait ses matchs. Un terrain avec ses dix mille places. À une époque pas si lointaine, Chris y avait souvent emmené son petit frère. Cela avait été comme un rituel entre eux et sans qu’il se souvienne pourquoi, ils avaient cessé de venir. Chris suivait toujours la silencieuse femme à la démarche soutenue. Ils remontèrent une allée goudronnée qui longeait le mur. Il y avait quatre entrées. Laurence s’engagea dans la première. Une nouvelle fois, il s’interrogea sur la présence de sa sœur dans un endroit pareil. Au milieu de la nuit, au milieu de nulle part. Pourquoi avait-elle quitté la soirée organisée par ses proches ? Pourquoi ne s’étaitelle pas laissé raisonner par sa meilleure amie ? Qu’avait-elle fait ? Et pourquoi cette Laurence ne lui avait-elle pas donné rendez-vous au Parc des Sports, directement ? C’est qu’il allait encore devoir traverser les terrains annexes pour repartir…
J’ai l’impression qu’on essaie de t’intimider, murmura sa conscience. Et de t’isoler aussi.
Tandis que Laurence empruntait l’une des allées pour accéder au stade, elle s’arrêta et attendit que Chris parvienne à son niveau. Ce dernier eut du mal à comprendre ce qu’il voyait. Sur la pelouse, quelque chose d’imposant et de presque improbable avait été érigé. Il ne distinguait pas grand-chose. Il faisait trop sombre. Mais il avait l’impression qu’une gigantesque tente avait été montée et prenait toute la place. Les gradins autour, pourtant capables d’accueillir une dizaine de milliers de personnes, semblaient petits.
Elle est dedans, pensa-t-il en se rendant compte que c’était le dernier endroit où il souhaitait se rendre.
Tout était silencieux. Il n’entendait plus l’agitation de la ville.
Si on voulait t’intimider, reprit sa conscience, c’est réussi.
— Dites-moi ce que ma sœur fait ici.
— Il y a eu un souci avec mademoiselle Favre. Elle s’est montrée peu coopérative aux questions qui lui ont été posées. Elle a assisté à la Fête du lac, à l’intérieur du périmètre de sécurité.
Chris se passa une main sur son visage fatigué. Il avait eu une longue journée et craignait qu’on ne l’ait dérangé pour rien. Il commençait à s’irriter.
À moins que tu te serves de ton irritation pour cacher ta peur…
— Ma sœur est majeure. Avec votre appel, j’ai cru qu’il lui était arrivé quelque chose. Je me suis inquiété… Elle a vu le spectacle là où elle n’aurait pas dû, et après ?
— Vous ne saisissez pas la gravité de ses actes. Elle n’était pas seule sur ce ponton. Un garçon était présent. C’est lui qui nous intéresse. Sauf que votre sœur s’est totalement refermée à notre contact. Elle doit être raccompagnée. C’est pourquoi je vous ai appelé.
Laurence fila vers la gigantesque tente. Chris resta une seconde sans réaction, incapable de faire autre chose que de la regarder s’enfoncer encore plus profondément dans la nuit et y disparaître. C’était une évidence, il n’avait pas envie de la suivre. Il ignorait toujours ce qu’elle représentait. Mais sa petite sœur avait besoin de lui alors il se fit violence.
Quand il quitta les abords goudronnés pour pénétrer sur la pelouse desséchée, son cœur s’accéléra. Tout était silencieux, comme si rien ne vivait à des kilomètres à la ronde. Comment était-ce possible ? Alors qu’il s’approchait de la tente qui le surplombait, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et il vit deux hommes postés de chaque côté de l’ouverture. Laurence avait déjà disparu à l’intérieur. Chris ralentit l’allure quand il arriva à leur niveau. Il fut frappé par leur ressemblance. Ils portaient le même costume chic et arboraient tous les deux une paire de lunettes de soleil, malgré la nuit. Ils étaient figés dans une posture identique. À son approche, ils ne firent pas le moindre geste. Tout cela était déstabilisant.
— Je viens chercher ma sœur, se justifia-t-il, persuadé que l’un d’eux allait lui barrer l’entrée.
Pourtant, ils ne bougèrent pas. Chris franchit l’ouverture et s’arrêta net, sidéré par ce qu’il découvrait. Pendant une seconde, il fut tenté de rebrousser chemin.
Bien que la lumière n’ait pas filtré à l’extérieur, il y avait des néons sur pied disposés un peu partout et un éclairage sommaire avait été installé au-dessus de leur tête où des ampoules couraient sur une structure métallique. Le regard de Chris se posa d’abord sur les pans de la tente, dont les dimensions paraissaient encore plus hors norme. Il n’en avait jamais vu d’aussi impressionnante. Elle montait à plus de trois mètres de hauteur sur les bords et, comme un chapiteau, gagnait plusieurs mètres au centre. Le campement était de forme circulaire et devait certainement remplir tout le stade.
Chris eut l’impression que la tente venait d’être dressée. Et que désormais, on destinait à une tâche bien spécifique. Des piles de cartons s’entassaient à l’entrée, là où se tenait une dizaine d’hommes en costume trois-pièces, qui s’activaient à les vider sur les bureaux. Il y en avait une flopée sur la moitié avant de l’espace. D’autres techniciens branchaient des ordinateurs et les installaient. À sa droite, sur tout un pan de mur, se trouvait une image satellite d’Annecy, diffusée en direct, via un projecteur ultra-haute définition, directement sur la toile de la tente. À sa gauche, il y avait trois douzaines de moniteurs collés les uns aux autres, et qui dévoilaient différentes zones de la ville. Tout portait à croire que ces moniteurs étaient reliés au système vidéo surveillance de la mairie.
Une table lumineuse se dressait au centre de la salle. Tous les bureaux convergeaient vers cet objet qui semblait venir droit d’un film de science-fiction. Cette table était sur quatre pieds, mesurait deux mètres sur trois et projetait sur sa surface une représentation holographique de l’agglomération. Un homme était tourné vers cet écran, zoomant et dézoomant certains quartiers du centre-ville. Laurence était à ses côtés, dans une position droite, figée, les mains dans le dos. L’homme appuya sur une commande tactile et l’illusion s’éteignit. Chris avait du mal à faire abstraction de tout ce qu’il découvrait. Pourquoi sa ville était-elle au cœur d’un programme de surveillance ? Et quel rapport cela pouvait-il bien avoir avec sa sœur ?
Chris observa autour de lui, la recherchant du regard, mais il ne la vit pas. À chaque fois, son attention capta d’autres détails intrigants, comme des drones posés sur une table et qu’un technicien synchronisait avec les ordinateurs ou que sa maison apparaissait sur l’un des moniteurs du mur.
L’homme se tourna vers lui et lui sourit. Il devait être le responsable. Il s’avança, suivi par Laurence. En les voyant s’approcher, Chris leur trouva comme une ressemblance familière. Ils étaient âgés, septuagénaires certainement. L’homme aussi avait de longs cheveux blancs qui lui retombaient sur les épaules. Ses traits étaient également marqués par les rides. Ses yeux étaient d’un bleu glacier, presque froid, qui contrastait avec son teint mat presque brûlé au niveau du cou.
L’homme lui tendit une poignée de main énergique :
— Je me présente, je m’appelle Dave Trimax. Nous faisons partie de la sécurité intérieure de l’Union européenne, missionnée par Bruxelles. Plus tôt dans l’après-midi, le visage d’un terroriste a été repéré par les algorithmes liés aux reconnaissances faciales des nouvelles caméras municipales. Il n’y a aucun doute possible. Et ce soir, ce dangereux criminel a approché mademoiselle Favre. Ils ont passé le temps du feu d’artifice ensemble.
Chris fut abasourdi par ces révélations.
— Où est-elle ?
D’un signe de tête, Dave l’invita à le suivre. Laurence leur emboîta le pas. Et tandis qu’ils s’avançaient dans la salle, Chris repéra un détail qu’il n’avait pas remarqué avant. Quand il était arrivé, son attention s’était portée sur tous les éléments lumineux et clignotants, mais maintenant qu’il s’enfonçait plus profondément dans la tente, il vit une tour noire se dresser au fond. Jamais Chris n’avait posé ses yeux sur quelque chose de similaire. Un cylindre en verre opaque, d’une cinquantaine de centimètres de large, s’élevait à peut-être deux mètres de hauteur. Là encore, trois techniciens s’activaient autour et la raccordaient par des câbles électriques.
Je n’aime pas ça, marmonna sa conscience.
— Ce que vous voyez là, répondit Dave Trimax sans se retourner, est le plus puissant ordinateur quantique de tout le monde occidental. En tout cas, le plus connu. Il renferme une technologie qui, même moi, m’effraie. C’est que je suis de la vieille école. Le souci, c’est l’étranger. Il est difficilement approchable et mes supérieurs pensent que mes méthodes datent. Pour l’instant, je suis celui qui dirige les opérations. Sauf qu’après plusieurs décennies de traque, d’attente et d’argent dépensé, mes supérieurs sont prêts à avoir recours à d’autres moyens en espérant de meilleurs résultats.
Chris ne pipa mot. C’est alors qu’il la vit. Sa sœur était recroquevillée sur un matelas, posé à même le sol. Elle était assise, les bras croisés autour des genoux.
— Que lui est-il arrivé ?
— Mademoiselle Favre reprendra ses esprits après une bonne nuit de sommeil. Vous pouvez la ramener. Cependant, il est important que vous ne lui disiez rien. Elle doit agir naturellement. Je suis persuadé qu’il va chercher à la revoir. Il ne lui fera aucun mal, mais si elle est fragile, il voudra l’endoctriner. Nous interviendrons à ce moment-là. Pour ce soir, je ne vais pas la garder. Elle ne nous apprendra rien de plus. Ne vous inquiétez pas. Comme vous avez pu le constater, nous avons un important moyen de localisation. Nous l’utiliserons pour qu’elle nous mène à lui.
Les deux hommes s’observèrent. Puis Chris finit par s’agenouiller auprès de sa sœur. Il ôta sa veste et la lui passa sur les épaules. Elle avait les yeux fixés dans le vide, comme si elle n’était plus connectée au monde réel. Il l’aida à se relever, le cœur serré. Julie regardait autour d’elle, mais ne semblait rien voir. Elle tournait lentement la tête. Il lui murmura des mots réconfortants, l’entoura de ses bras et la guida doucement vers la sortie.
Chris passa devant les jumeaux, postés à l’entrée. Tout était plongé dans une obscurité oppressante. La lumière de l’intérieur du campement ne filtrait pas la toile. Chris se remit en marche, traînant sa sœur comme il pouvait. Ils quittèrent le Parc des Sports et brusquement, quelqu’un s’approcha en courant.
— Chris, c’est toi ? Qu’est-ce que vous faites là ?
Chris le reconnut. David était l’un des anciens amis de Julie.
— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? s’inquiéta-t-il.
— Tu peux m’aider à l’emmener jusqu’à ma voiture ?
Le jeune homme attrapa Julie par la taille et ils s’éloignèrent du Parc des Sports. David finit par s’expliquer sur sa présence ici.
— J’ai fait partie des organisateurs. J’ai vu Julie en début de soirée. Elle était avec moi lors des derniers préparatifs. J’ai veillé sur elle de là où j’étais… jusqu’à l’arrivée de ces hommes.
— J’ai cru comprendre qu’elle avait fait une mauvaise rencontre.
David garda le silence et parut comme mal à l’aise.
— Qu’est-ce qu’il se passe, David ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Où es-tu garé ?
Jour 1 – 15h22
Christopher était toujours devant la baie vitrée, qui offrait une vue sur le lac et ses montagnes, depuis que Julie les avait abandonnés. Il n’y avait pas d’autre mot. Sa sœur avait planifié un départ en catimini. Elle avait préparé une valise et avait envisagé de disparaître avec un garçon qu’elle ne connaissait pas. Un criminel recherché, qui plus est. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Chris ne la comprenait pas.
Quelques heures plus tôt, l’un des jumeaux était venu jusqu’à leur domicile. Il avait averti sa sœur que l’individu traqué était dangereux et il lui avait ordonné de ne plus le revoir. Elle avait donc eu toutes les cartes en main pour prendre les décisions les plus raisonnées. Pourtant, c’est l’inverse qu’elle avait fait.
Puis, au cœur d’un gigantesque orage, un prêtre était venu la chercher. Julie serait partie avec sa valise si sa meilleure amie ne l’en avait pas empêchée. Où avait-elle compté se rendre ? Et pourquoi ? Chris s’inquiétait. Il savait que sa sœur était influençable.
Pourquoi ce type dangereux s’intéressait-il à elle ? Que lui voulait-il ?
Cela avait été une déchirure que de la voir quitter la grande maison, sous l’orage, accompagnée d’un vieux prêtre aux idées d’illuminés. Ce dernier avait affirmé avoir été ami de leur père, qui avait mis fin à ses jours il y a deux ans. Il était parti dans un délire sur le fait que Denis Favre ne s’était pas suicidé, mais qu’il avait seulement voulu protéger les secrets de l’homme recherché.
Voyant que les proches de sa sœur s’opposaient à son départ précipité, le vieux monsieur avait débité des élucubrations qui n’avaient aucun sens. Il avait dit que Julie était spéciale et que le fugitif, qu’il avait appelé Iliane, allait l’aider à accomplir sa destinée. Et avant que qui que ce soit ait bronché, il l’avait poussée hors de la maison. À peine avaient-ils fait quelques mètres sous la pluie qu’une brigade d’agents fédéraux les avait interceptés. Julie avait été emmenée de force dans une fourgonnette noire et le prêtre était resté seul sous l’orage. L’arrivée des forces de l’ordre avait quelque peu rassuré Chris. Elles la mettaient hors de portée du type recherché. Il se doutait que sa sœur avait été conduite au Parc des Sports.
Combien de temps allaient-ils l’interroger et l’isoler ?
Chris s’était installé devant la baie vitrée pour réfléchir.
Qui était ce type traqué par les services de renseignement ? Et que voulait-il à Julie ? Que pouvait-elle lui apporter ?
Devant lui, la tempête continuait à sévir. Le déluge. Les bourrasques. La foudre. Sarah, la meilleure amie de sa sœur, se posa à ses côtés. Elle lui glissa tendrement une main dans le dos. Tout se passa en silence. Elle aussi avait voulu l’empêcher de partir. Elle ignorait dans quelle histoire Julie s’était embarquée.
À l’extérieur, à travers la baie vitrée, Chris crut voir des trouées dans le ciel noir : et il se rendit compte après coup que le tonnerre s’était arrêté. La pluie également. Et il n’avait pas rêvé. Les rayons du soleil transperçaient déjà les nuages sombres qui perdaient en intensité.
Les deux jeunes gens se tournèrent vers le petit copain de Julie. Depuis le couloir qui menait aux chambres, Yann s’écria, presque affolé :
— C’est Romain. Il a encore disparu !
Jour 1 – 15h49
À travers la ville, Chris suivait le policier.
Ils marchaient vers une destination inconnue, qui n’était pas le commissariat. Alors que Julie avait été emmenée par les services de renseignement – et que son petit frère avait une nouvelle fois disparu –, Chris accompagnait un homme qu’il n’avait jamais vu vers ce qui était une aire de jeu pour enfants. Le moment ne serait pas plus mal tombé.
Le policier était en civil. Et seule la carte qu’il avait montrée à Chris attestait de sa fonction. Il était venu sonner au portail de la grande maison familiale. Chris était allé lui ouvrir, avec Sarah sur ses talons.
— Je m’appelle Louis Trifond.
— Que pouvons-nous faire pour vous ? avait demandé Sarah, intriguée.
— Je pense que c’est moi qui peux vous aider. Mais avant, je dois être sûr : l’étranger est-il de retour ?
Sarah et Chris avaient échangé un regard.
— Je prends votre silence pour une confirmation. J’ignore ce que nous vaut le retour de la lumière. J’imagine qu’Iliane prendra contact avec l’Ordre du Berceau en temps voulu. Pour l’instant, dans le doute de ses intentions, et par anticipation, certaines mesures doivent être prises.
— Un homme est arrivé une demi-heure avant vous, avait annoncé Sarah. Un prêtre. Un fanatique. Il est venu chercher Julie, la sœur de Chris, pour l’emmener s’accomplir dans je ne sais quelle prophétie. Nous sommes très inquiets pour elle. Heureusement qu’ils ont été interceptés par… des agents fédéraux.
Louis avait secoué la tête, contrarié, et avait fait :
— Iliane serait donc revenu pour Julie ? Qu’est-ce que Pascal vous a-t-il dit d’autre ? Possédait-elle un fragment de la lumière ? Les Jours Sombres ont-ils commencé ?
Chris avait répondu :
— Nous ne savons pas de quoi vous parlez. Nous ignorons dans quelle histoire elle s’est empêtrée. Mais Sarah a raison. Nous sommes inquiets. Nous craignons le pire. Ce type… Cet Iliane est dangereux. C’est un terroriste !
Voilà, c’était dit. C’était quelque chose que Chris avait gardé sur le cœur depuis qu’il avait été cherché sa sœur au Parc des Sports, la veille. Il se sentait désormais libéré d’un poids. Louis s’était tourné vers lui et lui avait demandé de le suivre. Chris avait alors imploré Sarah de rester là et de retrouver Romain. La jeune femme avait râlé, puis avait fini par accepter. Yann avait observé la scène en retrait, sans dire un mot. Ils s’étaient regardés un instant, avant que Chris se détourne.
Ils étaient descendus en ville, sous un soleil de plomb. L’homme avait tenté de faire le trajet à l’ombre des arches des vieux quartiers et en longeant les vitrines qui permettaient de s’abriter. Chris lui avait posé quelques questions, sans obtenir de réponse. Il avait commencé à douter sur les intentions de Louis lorsqu’ils étaient passés devant le poste de police municipale sans s’arrêter.
— Je ne vais pas vous suivre si vous ne me parlez pas.
— Les choses se compliquent autour de votre sœur. Elle n’est plus avec les agents. Elle est parvenue à s’enfuir et à retrouver Iliane. En ce moment, ils sont enfermés à la Basilique. Tout porte à croire que les fédéraux vont lancer un assaut.
Chris avait senti ses jambes flageoler.
— Nous allons tenter de leur venir en aide, avait affirmé le policier.
Chris l’observa ouvrir le petit portique vert et s’approcher d’un banc. L’endroit était désert. Il n’y avait pas de jeunes désœuvrés ni de parents avec leurs bambins. Il faisait bien trop chaud. La canicule sévissait, avec son lot de restrictions. Le vieil homme s’installa sur le siège métallique et grimaça au contact de la chaleur, mais il tint bon. Chris continua de le regarder. Louis était un monsieur qu’il soupçonnait d’être proche de l’âge de la retraite. Le trajet jusqu’ici s’était fait d’une démarche lente, presque forcée.
— Qu’est-ce que nous sommes venus faire ici ?
— Vous ne désirez pas vous asseoir ?
Chris se laissa gagner par la mauvaise humeur. Non, il ne le voulait pas. Il avait envie de bouger, d’agir. Sa sœur était en danger ! Les forces de l’ordre étaient là. Elles allaient intervenir. Elles allaient enfin mettre la main sur cet individu et libérer Julie de son emprise. Il n’empêche que Chris ne serait rassuré que lorsque ce fugitif serait appréhendé.
Qu’est-ce que Louis attendait de lui ? Pourquoi l’avoir emmené ici ? Chris avait l’impression qu’il était en lien avec le terroriste et cela ne lui plaisait pas.
— Vous n’avez pas l’air de prendre conscience de la situation dans laquelle se trouve ma sœur. Elle enchaîne les mauvaises décisions. Si la police que vous représentez ne peut rien pour l’aider, alors vous devez laisser faire les agents fédéraux. Ils sauront la protéger de cet Iliane.
Louis leva vers lui un regard où semblait briller une certaine excitation.
— Elle détient la lumière, n’est-ce pas ? Alors si c’est le cas, ils mettront tout en œuvre pour repartir avec elle. Ils tenteront de la séparer d’Iliane pour les empêcher de disparaître ensemble. Ils iront jusqu’à lancer un assaut destructeur contre le diocèse d’Annecy.
Avant que Chris ait le temps de répondre, il poursuivit :
— N’as-tu pas remarqué où nous sommes, Christopher ? Cela ne te dérange pas si l’on passe au tutoiement ? Peut-être l’ignores-tu, mais en face de cette aire de jeu se trouve un foyer pour jeunes travailleurs. Entre ces murs vit notre dernier espoir de secourir ta sœur.
Chris s’énervait. Il eut besoin de serrer et desserrer ses poings pour se calmer. Qu’est-ce que c’était que cette connerie ? Comment se faisait-il que la seule personne capable de les aider soit dans ce foyer ? Pourquoi Louis ne l’avait-il pas emmené au poste de police prendre sa déposition ? Pourquoi ne demandait-il pas du soutien à ses supérieurs pour prêter main-forte aux fédéraux ?
— Une enquête a dû être ouverte et je ne suis pas certain que la procédure soit de…
— Les autorités traditionnelles ne sont pas au courant, coupa Louis.
— Vous êtes flic ! C’est vous, l’autorité !
Chris refusait le tutoiement.
— Les choses sont compliquées, décréta Louis. Il faut absolument sortir Julie de ce guêpier. Nous avons tant besoin d’elle. A priori, d’après ce que je suppose, c’est elle qui posséderait un fragment. C’est donc à nous de la récupérer. Elle est réellement en danger. Celui qui va se manifester et qui est lié à son énergie ne peut pas être arrêté par les autorités. Je te parle de son Protecteur.
Abattu et impuissant, le jeune homme prit place sur le banc, dans l’attente des instructions. Il avait l’impression de ne rien comprendre.
— Tu t’apprêtes à rencontrer Lucas. Et ne fais pas l’innocent. Ce prénom t’évoque forcément quelque chose. Tu penseras que tes parents t’ont menti depuis ta naissance. Tu n’auras pas à te présenter. Il sait qui tu es.
Chris ne pipa mot. Lucas. Il avait croisé plusieurs fois ce nom sur le testament de son paternel. Était-ce le même Lucas, dont il avait toujours nié l’existence et dont il s’était refusé de parler à Julie et Romain ? Cela semblait effectivement être le cas.
— Lucas a vécu des choses injustes. Il porte envers nous et notre communauté beaucoup de ressentiment. Malgré le choc que va provoquer votre rencontre, tu ne devras pas oublier pourquoi tu es ici. Tu viens lui demander de l’aide. Il doit retrouver Julie, s’en approcher et rester près d’elle lorsqu’elle s’éveillera. Il doit faire en sorte qu’elle trouve une arme.
— J’ai besoin de comprendre. Les agents vont la sauver.
— C’est toi qui ne saisis pas les enjeux, affirma le vieil homme. Et c’est tant mieux. Je ne peux pas t’en dire davantage. Ce sont nos histoires et nous n’aimons pas les partager. Généralement, ceux qui savent finissent par être en danger. Comme ta sœur. Et je souhaiterais t’épargner ça.
Chris hocha la tête et murmura :
— Qu’est-ce que je dois lui dire ?
— Tu commenceras par lui raconter qu’Iliane est arrivé au Berceau. Iliane est la seule personne que Lucas respecte vraiment. Cela ne sera pas suffisant pour le rallier à notre cause. Il faudra lui dire tout ce que tu sais. N’hésite pas à en rajouter et à évoquer les Jours Sombres.
Louis soupira :
— Lucas n’a aucune obligation envers nous. Tu devras alors te surpasser et faire jouer les valeurs familiales.
Le vieil homme se leva.
— Vous ne m’attendez pas ? s’étonna Christopher.
— Non, je vais contacter l’Ordre du Berceau. Les Alliés doivent savoir que la lumière est de retour. Disons que je n’espère pas un Conseil avant demain matin. Chris, hâte-toi. Le temps joue contre nous.
Jour 1 – 16h
Bien malgré lui, Chris passa sous une arche où était marqué : « Foyer des Romains » et remonta le parking où stationnaient quelques voitures. Son esprit ne concevait pas ce qui arrivait et il était submergé par des sentiments contradictoires. Il augmenta l’allure, désireux de s’abriter du soleil qui cognait durement. Il prit une profonde inspiration et pénétra dans un petit hall silencieux.
— Bonjour, fit-il en se présentant à l’accueil, où une énorme femme attendait derrière son comptoir, posée sur un fauteuil qui disparaissait sous son impressionnante masse. J’aimerais voir un certain Lucas.
Elle leva la tête.
— C’est la première fois que vous venez ?
— Je suis assez pressé.
Elle se tourna vers son registre.
— Vous ne m’avez pas donné son nom. Il y a plusieurs Lucas ici.
— Désolé, je ne m’en souviens pas, mentit-il.
La dame plissa les yeux et lui porta un regard soupçonneux.
— Nous avons eu des soucis l’année dernière pour des histoires de drogues et depuis les perquisitions, nous avons été contraints de durcir notre règlement intérieur. Même si vous venez régulièrement et que vous m’êtes sympathique, la pièce d’identité est obligatoire. Si vous ne l’avez pas, vous ne pouvez pas rentrer.
— La voici, fit Chris en posant la carte plastifiée sur le comptoir.
La dame l’attrapa entre ses doigts boudinés et s’exclama :
— Je me disais bien que votre visage ne m’était pas inconnu. Vous êtes le frère de Lucas Favre, n’est-ce pas ?
Chris eut l’impression qu’on lui versait de l’acide dans les veines. Cette remarque le paralysa et il resta sans réaction, ignorant quoi répondre. C’était insensé. Le fait qu’un Lucas portait le même nom que lui ne signifiait rien. Pourtant, ce fut comme une évidence. Il s’apprêtait à rencontrer son frère. Il aurait voulu rejeter cette idée et crier au complot. Sauf que c’était la vérité. Il l’avait découvert à la mort de son père. Un quatrième enfant figurait sur le testament. Et Chris n’avait jamais rien fait pour le voir. Il avait été jusqu’à oublier son existence. N’étant pas certain du lien de parenté, il n’en avait rien dit à Julie ni à Romain.
— Lucas va être ravi. C’est qu’il ne reçoit pas beaucoup de visites.
Chris ouvrit la bouche, mais aucun son audible n’en sortit. Ses mains étaient moites. Il se mit à transpirer abondamment. Il fut envahi par une peur absurde.
Vous êtes le frère de Lucas Favre, n’est-ce pas ?
La forte dame fit glisser son siège jusqu’à la photocopieuse. Puis elle revint vers son bureau. En fouillant dans ses papiers pour classer l’impression, son visage s’éclaira d’un large sourire.
— Ah, il me semblait bien qu’il n’était pas seul. Vous avez de la chance, le règlement intérieur tolère deux visiteurs en même temps.
— Je ne voudrais pas le déranger, marmonna Chris, désireux de trouver un prétexte pour rebrousser chemin.
— Pensez-vous ! Il sera heureux de vous voir, d’autant plus que c’est votre plus jeune frère qui est là.
— Je vous demande pardon ?
Une nouvelle fois, son sang se figea.
— Oui, ça arrive quelquefois que Romain vienne. C’est votre frère, n’est-ce pas ? Récupérez votre carte et allez les rejoindre. Sa chambre est au rez-de-chaussée. C’est une porte sur la droite. Numéro dix-neuf.
Chris, les mains tremblantes, attrapa son document, qu’il remit négligemment dans sa poche. C’en fut trop pour lui. Il prit conscience qu’il avait été trahi et que c’était son petit frère qui lui avait planté un couteau dans le dos. Que faisait-il ici ? Comment Romain et Lucas s’étaient-ils rencontrés ? Pourquoi Romain ne lui en avait jamais parlé ? Qu’est-ce que tout ceci signifiait ?
Le jeune homme rebroussa chemin. Il ne pouvait pas aller dans cette foutue chambre. Il fit volte-face et quitta le bâtiment.
Je ne peux pas mêler Lucas aux affaires de Julie, sans risquer de voir Romain découvrir dans quoi sa sœur s’est embarquée, pesta Chris. Au diable Louis et ses idées foireuses !
Jour 1 – 18h46
Accompagné par Sarah, Chris arriva à la brasserie Chez Bruce, une vingtaine de minutes après avoir reçu le message de David. La circulation en ville était devenue un enfer. Avec l’attaque qui avait frappé la basilique, la route était condamnée. C’est ce qui les avait contraints à gagner le point de rendez-vous à pied.
Après l’épisode du foyer, le jeune homme était retourné chez lui. Toujours sans nouvelles de Romain, Sarah avait activé des avis de recherche sur les réseaux sociaux et n’avait eu aucun résultat. Chris ne lui avait pas dit qu’il l’avait retrouvé. Il n’en avait pas eu la force. Il avait senti qu’il perdait le fil de la réalité. Tout allait de mal en pis. Élodie. Julie. Et maintenant Romain… Qu’avait-il fait pour que les personnes qu’il aimait le plus le fassent autant souffrir ? Alors, il n'avait rien dit car cela aurait signifié évoquer Lucas, et c’était bien la dernière chose qu’il souhaitait.
Sarah aussi avait eu le message de David. Le texte était simple. « Julie peut encore être sauvée. RDV Chez Bruce le + tôt possible. » Elle en avait reçu un deuxième immédiatement après lui demandant de prendre des affaires propres et elle avait appelé Yann. Elle avait eu dans l’idée de lui demander de les retrouver là-bas. Mais à leur grande surprise, Yann était déjà avec David et il les avait priés de hâter le pas. Chris était donc descendu en ville, avec les tripes nouées par l’angoisse.
L’incident de la basilique résonnait en lui comme une sentence. Il était arrivé quelque chose à sa sœur. C’était une certitude qui s’était imposée à lui. Louis, le flic incapable, l’avait prévenu qu’elle et Iliane s’étaient retranchés là-haut. Il y avait forcément un lien. Pour Chris, il n’y avait qu’un seul responsable : Iliane.
Au moment de descendre en ville, Chris avait été partagé entre l’envie de rejoindre David et le besoin de savoir ce qui s’était réellement passé au diocèse. Mais tout le quartier sur les hauteurs avait été bouclé. Il n’aurait jamais pu s’en approcher. Pendant le trajet, il s’était félicité de ne pas avoir rencontré Lucas au foyer. Il ne voulait pas que Romain découvre les terribles histoires auxquelles sa sœur s’était mêlée. Il avait pris la décision de protéger son jeune frère quoiqu’il arrive.
Ils traversèrent la place piétonne, qui était une véritable croisée de chemins, située entre les vieux quartiers, le centre-ville et le lac. Il y avait plusieurs brasseries savoyardes, une crêperie, un tabac orienté sur les souvenirs pour les touristes, un glacier et une petite église. Chris et Sarah se frayèrent un passage à travers la marée humaine et arrivèrent à la terrasse de Chez Bruce, Yann et David les attendaient à l’entrée. Les deux garçons semblaient étonnamment proches. Les histoires autour de Julie leur avaient peut-être permis de mettre leurs différends de côté. À peine Sarah parvenait-elle à leur niveau que David lui remit une boîte en carton, où était inscrit le nom de la jeune femme.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, essoufflée.
— La vérité, affirma David avec conviction.
— Vas-tu me dire qui est l’homme marié que tu fréquentes ?
— Non, Sarah, c’est la tienne. J’ai pris une grande décision que vous ne pouvez pas comprendre. Je vais les suivre. Quand Iliane et Julie quitteront la ville, je partirai avec eux. Et avant, je tenais à rétablir certaines vérités.
— Impossible, objecta Sarah. Je ne peux pas perdre en même temps mes deux meilleurs amis. Ça n’a aucun sens. Si Yann n’est pas parvenu à nous séparer, personne n’y arrivera ! Pas même Iliane !
David sourit et Yann se renfrogna. Le quatuor s’installa sur une table libre éloignée. Sarah posa le sac de rechange qu’elle avait apporté pour Julie.
— Nous l’avons vue, démarra David sans préambule. Julie était en état de choc suite à ce qui s’est passé à la basilique. Mais physiquement, elle allait bien. D’après ce que nous avons compris, il semblerait qu’Iliane soit tombé lors de l’attaque et qu’il ait été emmené par les fédéraux.
— C’est une bonne nouvelle ? questionna Sarah, hésitante.
— Pas vraiment, contra David. Iliane était la seule personne capable d’aider Julie. Deux forces lui tournent autour pour ce qu’elle détient et ils vont bientôt s’affronter. Elle n’est pas prête à s’accomplir dans la lumière ; mais sans Iliane, je crains que son combat contre son Protecteur lui coûte la vie.
— Je ne comprends rien, s’exaspéra Chris. Explique-nous ! Où est-elle, maintenant ?
David hocha vigoureusement la tête et sourit :
— Il est temps que vous découvriez l’existence de Luciano. Pour faire très simple, c’est une philosophie de vie. Luciano est le dernier rempart contre les hommes. C’est notre façon de vivre qui détermine qui nous sommes et qui nous voulons être. Luciano est en quelque sorte l’ultime alternative qu’ont les êtres humains face aux hommes. Et je crois que c’est en train de transformer Julie comme…
— Je rêve ! s’écria Sarah, en se relevant. Julie !
Chris ne saisit pas immédiatement. Il était au côté de Yann et ils avaient la baie vitrée dans leurs dos. David et Sarah leur faisaient face et ils avaient une vue sur la terrasse et la place. En une seconde, Sarah bondit sur ses pieds et courut jusqu’à l’entrée de la brasserie, en hurlant à pleins poumons :
— Julie !
Chris suivit le mouvement lorsqu’il comprit que sa sœur était dehors ! Et malgré les touristes et les passants, il la vit. Julie était dans un état épouvantable, méconnaissable. Elle était sur le pont et observait les vieilles prisons, les yeux fermés comme si elle était concentrée.
— Julie ! hurla à nouveau Sarah.
À la surprise générale, l’intéressée ne pivota pas vers eux. Il était pourtant impossible qu’elle n’ait pas entendu la voix de sa meilleure amie. Brusquement, Julie détala et s’élança dans le vieux quartier, comme si elle cherchait subitement à se fondre dans la masse et à fuir Sarah, qui l’avait aussitôt prise en chasse.
Jour 1 – 18h51
Sarah se frayait un chemin à travers la marée humaine pour revenir jusqu’à eux. Son visage était rouge écarlate, autant dû à l’effort physique qu’à l’énervement de ne pas avoir rattrapé Julie. Chris la connaissait assez pour savoir qu’elle bouillonnait et qu’il ne lui faudrait qu’une infime contrariété pour exploser. Mais ce qui le chagrinait était l’attitude de sa sœur. Il semblait évident que Julie avait entendu et reconnu Sarah ; alors, pourquoi avait-elle fui ? Et pour aller où ? Et que s’était-il passé à la basilique ? Maintenant qu’Iliane était capturé, pourquoi ne revenait-elle pas simplement auprès des siens ?
Tandis que Sarah arrivait à leur niveau, David décréta :
— Nous avons perdu de précieuses minutes. Je n’ai plus le temps de vous expliquer ce qu’est Luciano et pourquoi il est vital de le sauver. Et comme Luciano et Iliane sont intiment liés, il faut qu’on réunisse nos forces pour essayer de le libérer.
Chris secoua la tête et son regard sur David changea. Était-il devenu fou ? Avait-il eu le béguin pour cet Iliane, au point de prendre la décision radicale de le suivre n’importe où ? Ou était-il aussi simple d’esprit que Julie pour se faire endoctriner par le premier venu ? Car ce qu’il disait n’avait aucun sens.
Toute cette histoire était absurde.
— Qu’est-ce que tu me racontes ? fit Chris, irrité. Tu veux secourir un fugitif que les autorités ont fini par appréhender ? Un type dangereux a été arrêté et nous…
— Je suis d’accord, souffla Sarah avec difficulté. Je suis moins bornée que Chris et j’ai bien compris que pour retrouver Julie, il fallait sauver Iliane. Allons-y.
Jour 1 – 19h30
Chris et les amis de Julie attendaient sur le pont, qui bordait le lac. Une nuit étrange était tombée, inquiétante, sinistre. Une lune incroyable, entière et brillante, éclairait les pelouses d’une luminosité froide. Le monde semblait s’être vidé de ses habitants. Hormis eux cinq, il n’y avait pas une âme aux alentours. Et tout était anormalement silencieux.
Chris poussa un soupir et repensa à son petit frère. Il était toujours sans nouvelles. Cela n’était guère étonnant. Il avait égaré son téléphone portable. Il ne parvenait plus à se souvenir de l’endroit où il l’avait laissé. Les avis de recherche étaient restés sans notification. Et c’était une bonne chose. Mieux valait qu’il soit n’importe où qu’ici. Chris le connaissait assez. Si Romain avait su dans quelle galère sa sœur se trouvait, il aurait voulu l’aider.
Le jeune homme se tourna vers David, accroupi à un mètre de lui. Sarah et Yann étaient dans la même position. David n’était pas celui qui menait cette opération dangereuse. Grâce à ses écouteurs Bluetooth branchés à son portable, il était en communication avec Louis. C’était lui, le cerveau. Et d’après ce que Chris comprenait, l’ancien flic était avec une seconde équipe, qui devait arriver depuis le lac.
Chris reporta son attention sur les grandes pelouses qui bordaient l’eau. Entourée par les agents et par le prêtre illuminé qui était venu la chercher à son domicile des heures auparavant, Julie était là, à quelques centaines de mètres.
Tout s’était joué quelques heures plus tôt à la terrasse de la brasserie, où contre toute attente, Sarah avait pris la décision de suivre David. Yann l’avait imitée et Chris s’était senti contraint de faire de même. Cela le dépassait. Que David veuille tenter une mission pour retrouver Iliane, s’il avait eu un coup de cœur ou s’il était endoctriné, passait encore. Mais pour Sarah et Yann… c’était totalement incompréhensible. Croyaient-ils qu’ils allaient s’opposer aux agents fédéraux ? C’était absurde !
Pourquoi était-il le seul à avoir conscience que le fugitif que Julie avait rencontré lors du feu d’artifice était dangereux ? Même si le monde n’était pas tout blanc ou tout noir, dans ce cas-là, il n’y avait pas de doute possible. Iliane était un terroriste et les agents étaient les forces de l’ordre. Tout était clair. Qu’est-ce que Sarah ou Yann ne comprenaient pas ? Iliane avait été arrêté. Fin de l’histoire.
C’était justement en montant des opérations clandestines, qui visaient à s’opposer aux fédéraux, que des problèmes pouvaient arriver. Mais personne ne partageait ses craintes.
En quittant la brasserie, David avait pris la tête du groupe. Il avait récupéré sous le bras le carton qu’il avait donné à Sarah, en lui ordonnant de le reposer chez elle. Cette dernière s’était immédiatement fermée et avait refusé qu’on s’approche de son immeuble. David avait alors durci le ton. Il était primordial que la boîte soit rapportée à son domicile. L’intéressée avait accepté, en exigeant que personne ne l’accompagne.
Alors que les trois garçons attendaient dans la rue, Chris avait questionné David. Quelle menace risquait encore Julie, maintenant qu’Iliane avait été évincé ?
— Ta sœur est une personne extraordinaire, avait-il répondu. C’est quelque chose que tu ne peux pas comprendre. Elle fait partie d’un être divin fractionné. Elle possède en elle la Vie. Une énergie brute colossale. Je te l’ai dit, il y a deux forces opposées qui lui tournent autour et qui convoitent cette énergie.
Chris avait dévisagé David sans répondre. Qu’aurait-il pu lui dire ? C’est que ce pauvre garçon semblait tellement persuadé des conneries qu’il débitait. Qui était donc cet Iliane pour retourner le cerveau de ses proches avec autant de rapidité ?
Au bout de quelques instants, Sarah était revenue.
— Je vous accompagnerai, avait-elle déclaré. Si tu veux partir avec Julie… alors, je vous suivrai.
David ne lui avait pas répondu et le groupe s’était mis en route en direction du Pâquier. Sur le trajet, David avait sorti un téléphone portable prépayé et avait synchronisé ses écouteurs. À mesure qu’ils s’étaient approchés du lac, une nuit surnaturelle était tombée.
— Ça va être à nous, fit David en lui posant une main sur l’épaule.
Chris contempla à nouveau l’édifiant spectacle. Son cœur s’était serré quand il avait vu sa sœur chuter à genoux, suite à un tacle sévère du prêtre. Que se passait-il ? Trois agents fédéraux étaient là, dans leurs impeccables costumes. Et Iliane terminait l’assemblée, dressé dans les airs à peut-être deux mètres du sol. Ses bras étaient écartés et ses jambes étaient jointes. Il était cloué sur une croix. Terrifiant. Glaçant.
— Il est possible que nous ne soyons pas de taille face à ces deux ennemis, reprit David avec conviction. Mais, des secours arrivent. La phase deux du plan a commencé. Nous allons intervenir pour qu’ils détournent leur attention du lac. Nous devons gagner du temps. Une aide s’avance. Nous avons un allié de poids : Lucas. Il s’est mêlé à la bataille. C’est grâce à lui que Julie a trouvé l’arme pour se défendre. Et surtout la force arrive.
Chris eut la mâchoire qui se décrochait. Qu’est-ce que Lucas faisait ici ? Et qu’avait-il fait de Romain ? Où était son petit frère ? C’était justement la question que Chris allait lui poser lorsque David bondit sur ses pieds :
— C’est le moment ! s’écria-t-il.
Le jeune homme porta un jouet en plastique à ses lèvres, un cor que Sarah lui avait rapporté de sa chambre, sans savoir pourquoi. David souffla dedans. Le son résonna dans la nuit. Avant que qui que ce soit ait eu le temps de le devancer, il s’élança sur la pelouse, aussitôt imité par Yann, puis Sarah et Chris.
Jour 1 – 20h08
Chris s’effondra quand Julie fit de même sur l’herbe sèche, persuadé que Yann n’avait pas agi à temps. Tout s’était déroulé de la pire des manières. Le jeune homme avait l’impression que sa raison s’effritait. Ce qui s’était passé n’aurait jamais dû arriver. Des événements et une créature qui défiaient l’imagination s’étaient succédé.
Il y avait eu des morts. David, pour ne citer que lui.
Julie était étendue dans l’herbe. Il était impossible de savoir si elle avait survécu. Chris lui attrapa le poignet, mais il ne perçut aucune pulsation. La jeune femme était méconnaissable. Ses vêtements étaient sales, brûlés à certains endroits. La bretelle de son haut avait cédé. Une forte odeur se dégageait d’elle. Son visage était marqué, crasseux et entaillé. Ses cheveux étaient dans un état épouvantable. Le plus terrifiant était son cou et les vilaines traces violacées.
À nouveau, Chris lui prit le poignet pour sentir son pouls, sans y parvenir. Sarah se jeta à ses côtés et lui tendit son téléphone. Il composa aussitôt le numéro d’urgence.
— Bonsoir, vous êtes bien au standard des…
— Ma sœur s’est fait agresser ! Elle est inconsciente !
La femme lui posa une série de questions, pour connaître le degré de gravité, puis elle lui affirma qu’une ambulance arrivait. Chris raccrocha et se mit à pleurer, comprenant à cet instant que sa vie avait basculé.
Jour 1 - 20h31
Chris était dans l’ambulance qui arriva aux urgences. Il était monté avec Julie, lui tenant la main et simulant d’être en état de choc pour ne pas répondre aux questions. Sarah et Yann devaient les rejoindre en voiture. Le prêtre, qui avait été retrouvé à la place des ossements de la créature, souffrait d’une profonde blessure à l’omoplate. Il avait été emmené à la clinique.
À peine arrivés, les ambulanciers poussèrent le brancard où Julie gisait inconsciente à travers l’entrée des urgences. Un groupe d’infirmiers en blouses blanches prit le relais. Les deux équipes échangèrent des termes que Chris ne comprit pas. Un homme se tourna vers lui et lui posa des questions auxquelles Chris ne répondit pas. Julie fut emmenée dans un couloir où un panneau interdisait l’accès au public. Jamais il ne s’était senti aussi seul. Il la regarda partir, le cœur serré, ignorant si elle allait s’en sortir. C’est alors que Louis s’approcha par-derrière.
Le jeune homme se tourna vers lui, envahi par une profonde colère. Cet homme avait sa part de responsabilité dans ce qui était arrivé. Il était lié à Iliane et à tous ses secrets. Il savait qu’une créature allait s’en prendre à sa sœur. Et personne ne les avait pas aidés.
— Il n’a pas dû être facile de rallier Lucas à notre cause, fit le policier d’un ton tranchant.
Ils se toisèrent de longues secondes.
— Il était avec Romain. Je voulais seulement le protéger.
— Je n’avais pas besoin que tu le rencontres en personne. Il suffisait juste que tu t’approches de lui. Grâce à Ya, il a compris l’urgence de la situation et en a saisi toutes les implications. Grâce à lui, ta sœur a trouvé l’arme dans la plaque funèbre de votre père. C’était un coup magistral.
À mesure que le policier parlait, Chris crut percevoir une certaine excitation. Ce qui l’énerva davantage.
— Bordel, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Regardez où est Julie ! Elle s’est fait agresser ! J’ai vu un monstre, Louis ! Un squelette s’en est pris à elle. Vous me devez des explications !
Chris avait du mal à se calmer. Il voulait l’empoigner et le coller contre le mur, mais l’uniforme avait un effet dissuasif. Louis avait troqué sa tenue de civil pour celle de son travail. Sauf que Chris n’était pas dupe. Cet homme avait exposé sa sœur à un danger qui aurait pu lui coûter la vie.
— Les événements se sont passés de la pire des façons, avoua Louis. Un tel scénario catastrophe ne pouvait pas être envisagé. En une journée, nous avons perdu tous nos espoirs. Théo est porté disparu. Iliane a été exécuté et Julie ne s’est pas accomplie dans la lumière. Comment le Premier jour aurait-il plus mal se dérouler ? C’est impensable. Nous sommes tous sonnés. Il est très peu probable que Luciano y survive.
Chris n’en croyait pas ses oreilles. Le sort de Luciano était le dernier de ses soucis, quoi que ça puisse être. Sa sœur avait été agressée et elle était peut-être entre la vie et la mort. Et Louis pleurait sur le sort de Luciano… cela devait être une blague.
Il lui fallait des réponses ! Chris devait savoir ce qui lui était arrivé. Est-ce que cette créature avait été affaiblie ou détruite ? Y en avait-il d’autres ? Julie pouvait-elle à nouveau être menacée ?
— Expliquez-moi, rugit-il entre ses dents. Nous avons été enrôlés pour secourir Julie et nous avons été confrontés à quelque chose qui n’est pas censé exister.
— Et qui n’existe pas, confirma Louis d’un air grave. Je ne tiens pas à raconter nos histoires à des civils. C’est dangereux. Je dis cela pour te protéger.
Louis soupira et lâcha :
— Je regrette même que David vous ait demandé de l’aide. Cela va compliquer les choses. Prends garde à toi, Christopher. Tu vas être face à un mur et pour l’éviter, le virage sera serré. Si tu te loupes, tu te le prendras et c’en sera fini.
L’intéressé l’observa. Sa colère se mua en crainte.
— Assez rapidement, deux gendarmes vont se présenter à toi. Les médecins qui s’occupent de Julie sont dans l’obligation de faire un signalement pour toutes les agressions admises. Alors, tu devras faire attention à ce que tu raconteras si tu ne veux pas te retrouver en garde à vue pour un malentendu. Je ne suis pas certain de leur ouverture d’esprit si tu venais à leur parler d’un fugitif exécuté au Pâquier et d’un squelette ambulant.
— Et que suis-je censé leur dire ?
— Je n’en sais foutre rien. Il y a des choses plus importantes que ta petite entrevue avec les gendarmes. Nous devons agir vite. Iliane, qui incarnait et qui protégeait la Vie, est tombé. Les conséquences sur les territoires de Luciano vont être difficiles à mesurer et seront de toute évidence catastrophiques. Les agents fédéraux ont désormais connaissance du point de passage pour les Grands Domaines et ce n’est qu’une question d’heure avant qu’ils y pénètrent.
— Comment osez-vous me parler de Luciano alors que ma sœur lutte pour survivre ?
— Julie est plus importante pour nous qu’elle ne l’est pour toi. Elle détient la lumière et elle s’en remettra assez vite. Je ne me fais pas de souci. Dans l’immédiat, je dois préparer son évacuation. Elle doit quitter cet hôpital. Pour l’instant, elle est sous le contrôle des agents fédéraux, mais je dois trouver un moyen de la sortir d’ici. Julie incarne l’espoir. Celui de la victoire des êtres humains sur les hommes, alors elle devient notre priorité. Notre organisation est solide. Même si nous n’étions pas préparés, nous ne l’abandonnerons pas. Nous les combattrons.
Louis allait s’éloigner, mais Chris l’attrapa par le bras. Cet homme n’avait répondu à aucune de ses questions. Pire, il l’avait embrouillé. Même si Julie survivait, comment être certain qu’elle ne risquait pas de croiser une autre créature ? Et que devait-il dire aux gendarmes qui allaient enquêter ?
Le regard de Louis se durcit quand il le baissa sur son avant-bras. Chris relâcha son emprise. Il était évident qu’il ne pouvait pas malmener un policier dans un hôpital.
— Je suis désolé si je ne peux pas t’en dire plus. Les agents fédéraux peuvent fouiller ton esprit et obtenir des réponses sans que tu t’en rendes compte. Mieux vaut pour nous que ta participation dans cette histoire s’arrête ici.
Louis inclina la tête et conclut :
— En espérant ne plus te revoir, Christopher.
Le découragement s’abattit sur ses épaules. Le policier quitta l’hôpital et quelques instants après, Sarah s’approchait, tremblante comme une feuille. Chris comprit alors qu’il n’y avait qu’une seule personne susceptible de l’aider. La même que Chris avait refusé de rencontrer plus tôt dans l’après-midi.
Sarah était inconsolable et elle se glissa contre lui, gémissante. Il ne l’avait jamais vue dans cet état. Et tandis qu’il refermait ses bras autour de ses épaules, il repensa à celui qui détenait les réponses.
Lucas Favre.
5h42
Je vous écris pour vous prévenir que je pars. Je désire quitter le monde des hommes. Un être extraordinaire m’a appris que nous étions libres de nos choix. J’envoie ce message à tous les êtres humains. Le monde touche à sa fin. C’est une évidence qui s’impose et qu’il ne nous faut plus ignorer. La fin se profile devant nous et elle avance vite.
Mais un vent de changement a commencé à souffler.
Vous pouvez nous aider à faire la différence, à empêcher la chute des mondes. Je demande à tous les êtres humains de s’unir, car nous avons le pouvoir de faire pencher la balance de notre côté. Si la guerre entre les mondes a déjà commencé, le gros de la tempête arrive.
Je ne crois pas aux légendes de Luciano qui prédisent l’arrivée d’un être divin, incarnation même de la lumière, qui viendrait nous guider sur le chemin de la victoire sur les hommes. Personne ne viendra nous aider dans notre lutte pour notre survie. Aucun être de lumière ne descendra du ciel sur son cheval blanc pour affronter l’armée de l’Ombre à notre place.
Nous sommes seuls.
Mais nous sommes là.
C’est ensemble que nous pouvons être le changement. Que tous les êtres humains qui en ont assez du monde tel qu’il est se rassemblent ! Les hommes tenteront de déformer mes paroles, de me faire passer pour une dérangée, porteuse d’un message sectaire, mais les êtres humains sauront où se trouve la vérité, car ils n’auront pas oublié le visage de l’étranger.
Je vous en prie, nous avons peu de temps.
Le temps joue toujours contre nous.
Julie Favre, en route pour Luciano
Dans la salle d’attente de l’hôpital, Chris patientait avec ce message entre les mains. Il l’avait découvert avant l’arrivée des ambulanciers ; lorsque sa sœur gisait inconsciente dans l’herbe. Le papier plié était ressorti de sa poche et il s’en était emparé. Il l’avait lu une centaine de fois. Il en connaissait désormais chaque phrase, chaque virgule. À chaque fois qu’il recommençait à le parcourir, il espérait qu’un détail lui sauterait aux yeux. Mais, non. Rien. Il était rongé par l’incompréhension.
Pourquoi ? Comment ?
Les questions lui dévoraient l’âme, lui tourmentaient l’esprit. C’était impossible, ce qui arrivait. Il ne concevait pas dans quoi sa sœur s’était embarquée. Où avait-elle compté partir ? Pourquoi avait-elle envisagé de suivre un homme qu’elle ne connaissait pas ? Comment avait-elle fait pour se retrouver dans une telle situation ? Elle s’était fait agresser par un véritable monstre ! En une journée, elle avait enchaîné les actes dangereux. À peine avait-elle rencontré le fugitif qu’elle avait, plusieurs fois, risqué sa vie. À nouveau, il se demanda ce qui lui était passé par la tête. Cela ne lui ressemblait pas. Habituellement, elle ne prenait que rarement des décisions sans consulter Sarah, Yann ou lui-même.
Sarah était la meilleure amie de Julie. C’est avec elle que Chris avait fait l’inventaire de la valise que sa sœur avait laissée derrière elle, juste avant de suivre le prêtre sous la tempête. Julie avait projeté un départ précipité en apportant des vêtements de première nécessité. C’était de la folie.
Et pour aller où ? Qui était réellement cet Iliane, qui avait été traqué par les services secrets européens ? Qu’avait-il fait pour être recherché ? Quel crime avait-il commis pour avoir été exécuté ? Mais les réponses étaient-elles importantes ? Chris avait assisté à sa mise à mort, incroyable, théâtrale. Il avait vu quelque chose qui défiait l’imagination.
Toute cette folle journée avait eu lieu parce qu’à un moment, sa sœur avait fait une mauvaise rencontre. C’était horrible. Comment avait-elle pu avoir des contacts avec un tel individu ? Il s’en voulait. Il avait l’impression de ne pas s’être rendu compte de ce qui se passait. Rongé par ses propres problèmes, il ne l’avait pas vue quitter sa petite routine pour s’embarquer dans une histoire qui aurait pu lui coûter la vie. Chris eut le sentiment horrible que Julie s’était fait endoctriner dans un mouvement extrémiste et qu’elle avait souhaité rejoindre une terre promise : Luciano. Comment avait-elle pu se laisser influencer en à peine une journée ?
Et voilà où ces choix l’avaient conduite… dans un lit d’hôpital, à se battre pour sa survie. Cela faisait maintenant une dizaine d’heures qu’il était sans nouvelles. Personne n’était venu le voir depuis qu’ils avaient été séparés. Il se doutait que, tôt ou tard, l’attention serait portée sur lui. Les ambulanciers puis le personnel hospitalier lui avaient posé des questions. Ils avaient voulu savoir ce qui s’était passé ; sauf que ni Chris, ni Sarah, ni même Yann n’avaient été en mesure de leur répondre. À leur arrivée au Pâquier, les secouristes avaient remarqué les entailles et les lacérations sur les parties exposées de leurs corps. Les trois amis avaient échangé un regard et d’un accord muet, ils avaient pris la décision de garder le silence.
Même dans l’ambulance qui avait filé dans les rues de la ville, Chris avait été bombardé de questions : Que s’est-il passé ? Qui a agressé votre sœur ? Avez-vous pu le voir ? Et toutes ces coupures sur vous, ne pouvez-vous pas nous l’expliquer ? Malgré la pression qu’on lui mettait, il s’était muré dans le silence.
Le jeune homme était arrivé le premier à l’hôpital. Et quelques instants après le départ de Louis, Sarah était apparue et s’était effondrée dans ses bras. Puis Yann avait franchi l’entrée des urgences en dernier, la mine sombre. Ils avaient aussitôt été pris en charge par deux infirmières. Elles les avaient isolés dans une salle de soins à l’étage. Elles leur avaient désinfecté les plaies puis elles étaient parties en les informant que le médecin allait arriver pour leur donner des nouvelles de Julie.
5h49
Christopher n’en pouvait plus d’attendre.
Tandis que Sarah et Yann étaient partis quelques heures après leur arrivée, Chris était resté dans la salle de soins, passant son temps assis sur une chaise en plastique inconfortable ou faisant les cent pas, le mot plissé de sa sœur en main. Il n’avait rien d’autre à faire que de le lire. Inlassablement. Sans portable, il n’avait aucun contact avec l’extérieur et il ignorait si son petit frère allait bien. Il s’inquiétait pour lui et espérait que Yann avait réussi à le trouver.
Il saturait. Il n’en pouvait plus de rester là à broyer du noir et à imaginer le pire. À chaque fois qu’il entendait passer quelqu’un dans le couloir, il bondissait sur la porte pour interpeller ceux qui approchaient, généralement des infirmières pressées. À chaque fois, la même réponse revenait.
« Attendez le médecin. Il va venir vous voir. »
Chris était angoissé. Il était d’une nature anxieuse et tout ce qui arrivait le terrifiait. À trente ans, il avait l’horrible impression que son existence était une suite d’événements tragiques. À l’âge de douze ans, il perdit sa mère. À partir de là, son père avait commencé à mener une double vie. Alors à peine âgé de treize ans, Chris avait été contraint de s’occuper de sa sœur et du bébé, à peine âgé de quelques jours. C’est lui qui dut apprendre à donner des biberons et à changer des couches. Cela provoqua une véritable fissure avec ses amis et cela entraîna inévitablement son décochage scolaire. C’est Chris qui emmena Romain, seulement âgé de quelques mois, faire ses premiers vaccins. C’est lui qui se réveillait lorsque le bébé hurlait en pleine nuit. C’est lui qui alla acheter les vêtements dont le petit avait besoin. Alors qu’il aurait dû s’amuser et profiter de son adolescence, Chris était devenu père presque de force.