Luciano et le retour de la lumière - Cyril Michel - E-Book

Luciano et le retour de la lumière E-Book

Cyril Michel

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Beschreibung

La vie de Julie bascule la nuit où elle rencontre un mystérieux garçon, Will. Il n'est pas comme les autres. Porteur de messages ésotériques et écologiques, possédant des facultés hors du commun, il va apprendre à Julie le sens de sa vie. Aussi, il est recherché par les services secrets européens. Mais, Will cache un lourd secret. Ou plutôt une évidence : Le monde est condamné. Et une traque qui dure depuis de nombreuses années va enfin prendre fin.

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Veröffentlichungsjahr: 2021

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À ma femme, Isoline

Table des matières

Prologue

Partie 1 : Sarah

Partie 2 : Will

Partie 3 : Pascal

Partie 4 : Dave

Partie 5 : Iliane

Prochainement

Prologue

Tout commença par une rencontre.

Elle eut lieu par une nuit estivale. Le soleil s’était retiré et avait laissé derrière lui des températures étouffantes. Le ciel était constellé d’étoiles. Grâce à sa proximité, les abords du lac étaient balayés par une brise plus fraîche et humide. Les conditions étaient parfaites pour les événements qui allaient suivre.

Julie était assise au bout d’un ponton. Le lac n’était visible que grâce aux reflets lunaires et aux plateformes mal éclairées. Autour, on devinait une forme sombre qui encadrait la région : une chaîne de montagnes prenait naissance ici et se prolongeait jusqu’aux Alpes. La jeune femme ne réalisait pas encore où elle se trouvait. Elle était seule. À quand remontait la dernière fois où elle l’avait été ? Les pieds dans l’eau, elle se sentait détendue et se mit à rêvasser.

Elle avait fini par faire abstraction aux milliers de personnes qui se tenaient derrière elle. Ils étaient venus nombreux et certains de loin. La mairie avait aménagé les bords du lac pour la soirée. Cela faisait plusieurs mois que toutes les communes de l’agglomération s’y préparaient. Trois grandes tribunes avaient été montées sur les pelouses. Autour de ces structures métalliques, des centaines de chaises pliantes avaient été installées sur une partie du terrain. Et une zone avait été nettoyée pour mettre des sièges jusqu’au périmètre de sécurité qui séparait le lac. Là, les gens s’asseyaient à même le sol pour profiter du spectacle. Car comme tous les ans, il promettait d’être encore plus grandiose.

Ils étaient tous réunis pour assister à la manifestation la plus attendue de l’année : la fête du lac.

Pourquoi suis-je ici ? se demanda Julie. Qu’est-ce qui m’a pris ? Un ami organise une soirée. Tous mes proches y sont. Moi-même, j’y étais. Pourquoi en suis-je partie ? Qu’est-ce que je fais ici ?

Elle l’ignorait. Malgré la certitude qu’elle allait passer une excellente soirée, à profiter du feu d’artifice depuis la grande maison d’un de leurs camarades, elle s’était figée sur la piste de danse improvisée, envahie par un doute. Elle avait couru jusqu’à sa meilleure amie, qui se prélassait au bord de la piscine, et avait prétexté une excuse pour s’échapper.

Pourquoi était-elle venue ici ? Elle n’en avait aucune idée. En quittant ses amis, Julie était retournée chez elle. Elle avait pris une douche pour enlever son maquillage et masquer l’odeur du parfum. Elle avait même changé sa tenue de soirée pour des vêtements plus simples. Elle était sortie et elle avait erré sans but. Tandis que le soleil se couchait, elle avait inconsciemment pris la direction du centre-ville, où régnait l’effervescence de la fête. Julie n’arrivait pas à culpabiliser. Elle avait abandonné ses amis sur un coup de tête, sans un mot. Elle savait que demain, elle devrait s’expliquer. Malgré ses futurs tumultes, elle profitait pleinement du moment. Elle était seule et détendue. Après tout, elle allait assister au spectacle depuis ce petit coin privilégié. Quand elle était arrivée devant les guichets pour acheter une place, elle était tombée sur l’un de ses anciens amis. Il lui avait montré l’envers du décor des festivités et avait fini par accepter de la laisser entrer à l’intérieur du périmètre de sécurité.

Julie ferma les yeux et se laissa bercer par les mouvements réguliers de l’eau.

— Bonsoir, fit une voix derrière elle.

Julie sursauta, prise au dépourvu. Un inconnu s’accroupit dans son dos.

— Êtes-vous seule ?

Son cœur se mit à battre plus fort. Comment avait-il fait pour venir jusqu’ici, au-delà des barrières de sécurité ? Julie avait eu accès à ce ponton parce qu’elle connaissait personnellement l’un des bénévoles. Bien sûr, elle savait qu’elle n’avait aucun droit d’être là, mais elle estimait qu’elle avait la meilleure place et cela ne lui avait pas coûté un sou.

Avait-il lui aussi des relations ?

Il demanda :

— Puis-je vous tenir compagnie ?

La jeune femme se concentra sur son visage. Elle aurait aimé le voir, mais l’obscurité l’empêchait de distinguer ses traits. Il avait une voix douce et posée : celle d’un jeune homme. Voyant qu’elle ne répondait pas, il reprit, comme pour se justifier :

— Je veux dire : le temps du spectacle.

Ne perdez pas votre temps, avait-elle l’habitude de répondre quand un garçon s’approchait. Mon petit copain ne va pas tarder à revenir. Il est baraqué et maladivement jaloux. C’était la tirade qu’elle sortait quand elle voulait se débarrasser des garçons invasifs. La plupart du temps, cela marchait. Et c’était la vérité. Son petit ami était véritablement quelqu’un de baraqué et de jaloux.

— À moins que votre petit ami revienne.

Julie se figea. Elle était partagée. Elle voulait le rembarrer et lui sortir sa petite phrase pour qu’il rebrousse chemin. Elle ne souhaitait pas d’une confrontation inutile avec lui s’il apprenait qu’elle avait passé la soirée avec un garçon. Mais d’un autre côté, comment pourrait-il le savoir ? Julie tenait-elle vraiment être toute seule ?

— Je n’en ai pas, mentit-elle.

— Ai-je l’autorisation de vous tenir compagnie ?

Julie ne put s’empêcher de sourire. C’était étrange, mais ce garçon ne semblait pas être comme tous ceux qu’elle côtoyait. Il avait dans la façon dont il s’exprimait, dont il l’accostait, une certaine retenue, comme une vraie approche de gentleman, qui donnait à la scène une dimension surréaliste. Et bizarrement, elle s’en sentit flattée.

— Vous l’avez.

Tandis qu’il s’installait à ses côtés, la lune réapparut et le monde sortit de l’obscurité. Elle put enfin le voir. Comme elle s’y attendait, l’inconnu était un jeune homme au doux visage. Il avait un sourire charmeur sur les lèvres. Il la regarda un instant et voyant qu’elle ne détournait pas les yeux, il abaissa les siens. Ils avaient peut-être le même âge. Maintenant qu’elle pouvait l’observer, elle se rendit compte qu’il était beau. Comme s’il suivait le cours de ses pensées, il eut un sourire gêné et Julie fut une nouvelle fois frappée par ce qu’il dégageait, cette fausse assurance. Son cœur s’accéléra et ses mains devinèrent moites.

— Le feu d’artifice promet d’être magnifique.

Julie ne sut quoi répondre. Elle resta là, à l’observer. À peine avait-il prononcé ces mots qu’une fusée fut tirée. Elle troua la nuit en une explosion multicolore. Des dizaines d’autres furent lancées simultanément et les cieux s’illuminèrent de mille couleurs, dans un vacarme assourdissant.

Le spectacle de la Fête du lac commençait.

Le silence tomba dans les tribunes et sur les chaises pliantes, devant la démesure du feu d’artifice. Les explosions se succédaient à un rythme effréné. Les déflagrations étaient puissantes et faisaient trembler le monde. Pourtant, malgré la beauté des lumières, Julie avait du mal à se concentrer sur le spectacle. C’était plus fort qu’elle, elle ne cessait de jeter des coups d’œil au garçon. Elle le faisait le plus discrètement possible. Il ne se tourna pas vers elle. Les vives couleurs des pétards l’éclairaient. De toute évidence, il s’était préparé pour la soirée. Il était rasé de près et avait du gel dans les cheveux pour leur donner un effet décoiffé. Il portait un pantalon et une chemise blanche. Les traits de son visage étaient doux. Il avait des sourcils fins, des lèvres étirées et des pommettes creusées.

Au bout de quelques instants, Julie finit par se tourner vers le lac. En temps normal, elle aurait été impressionnée par la mise en scène exceptionnelle du feu d’artifice. Tout était chorégraphié sur des musiques entraînantes : les détonations, les explosions qui retombaient en rideaux argentés et scintillants ; et ceux qui se finissaient par des violents flashs lumineux ou qui dévoilaient des formes encore inédites. Brusquement, le concert pyrotechnique gagna en intensité. Tout explosa simultanément, provoquant une impressionnante fumée grise. La première phase venait de se terminer en un véritable bouquet final.

Une séquence plus douce prit le relais – plus poétique aussi. Il fallait suivre des animations sur l’eau, faites de jets d’eau et de lasers lumineux. Julie n’en avait cure. Elle reporta son attention sur lui. Son cœur tapait si fort qu’il en devenait délicieusement douloureux. Maintenant que le spectacle s’était calmé, ce garçon allait-il enfin lui adresser la parole ? Elle avait envie qu’il lui fasse la conversation, qu’il reprenne ses airs de gentleman. Elle voulait qu’il s’intéresse à elle.

Mais le garçon restait obstinément tourné vers le lac. Un sourire finit par se dessiner sur ses lèvres, comme s’il s’amusait de la situation. Pour Julie, le silence devenait pesant, presque insupportable. Elle le rompit en demandant, un peu gauchement :

— Alors, d’où viens-tu ?

Elle était volontairement passée au tutoiement. J’aimerais savoir si tu habites dans les environs et si j’ai une chance de te revoir. Il tourna la tête vers elle, puis il recula le buste en prenant appui sur ses deux mains. Son sourire ne le quitta pas.

— Je n’habite pas la région. Je viens d’ailleurs. Et je ne reste pas. Demain, je devrais être parti.

Le feu d’artifice reprit avec frénésie et enchaîna les explosions assourdissantes et colorées. Les bouquets furent si intenses que la jeune femme fut coupée à chaque fois qu’elle voulait parler. C’était frustrant. Elle ne fit plus attention au déluge de feu qui trouait les cieux. Toutes ses pensées étaient tournées vers cet étranger. Il la troublait. Pourquoi ne lui parlait-il pas ? Elle n’était pas habituée à laisser un garçon indifférent, alors pourquoi n’essayait-il pas de lancer la conversation ?

Alors que le ciel continuait de s’embraser, l’inconnu se tourna vers Julie. Il avait toujours ce sourire charmeur. Il plongea son regard dans le sien. Cette dernière fut happée par cet échange. Même avec toute sa volonté, jamais elle n’aurait pu s’en détourner. Elle n’en avait jamais croisé d’aussi profond. Elle eut l’impression que le temps s’arrêtait, comme si la magie ou une autre force surnaturelle prenait possession de ce moment. Combien de temps cela dura-t-il ? Quelques minutes ? Quelques heures ? Plus rien n’avait d’importance. Quelque chose naissait entre eux. Quelque chose de fort que Julie n’avait absolument pas prévu. Alors qu’elle avait abandonné ses proches à une soirée, Julie avait rencontré un garçon qui la faisait chavirer. D’une manière totalement inédite et déraisonnable, elle se sentit attirée par lui. C’était une attraction qui n’était pas seulement physique. C’était plus profond et intime. Maintenant qu’ils se dévisageaient, Julie avait désormais besoin d’un contact. Elle voulait qu’il lui effleure la main, qu’il fasse le premier pas.

— Tu es extraordinaire, s’amusa-t-il.

Il se pencha vers elle et Julie fut persuadée qu’il allait l’embrasser. Aurait-elle imaginé une meilleure manière d’achever ce long regard ? Elle ferma les yeux et attendit qu’il vienne faire basculer la soirée. Elle eut à peine le temps de patienter qu’elle se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Il n’y avait plus un bruit. Le feu d’artifice s’était interrompu, ainsi que le spectacle sur l’eau. L’étranger se détourna d’elle et observait les gradins. Tout était plongé dans le noir, silencieux.

Julie comprit que la Fête du lac avait dérapé.

Malgré l’obscurité quasi totale, la jeune femme fouilla du regard les tribunes pour comprendre ce qui se passait. Un petit groupe d’hommes tentait de se frayer un chemin parmi les chaises pliantes pour gagner le pied de la structure métallique centrale.

Brusquement, ils allumèrent de puissantes torches électriques. D’un geste instinctif, elle prit la main de l’inconnu. L’arrivée de ces hommes l’angoissait. Étrangement, elle se sentait plus en sécurité à l’intérieur du périmètre de sécurité avec ce garçon qu’elle ne connaissait pas.

— Je crois que cela marque la fin de notre soirée, Julie.

Elle se figea.

— Comment connais-tu mon nom ?

— Je te connais. C’est pour toi que je suis là. Nous devons nous revoir demain. Est-ce que tu m’accordes un autre rendez-vous ?

Elle ne sut quoi répondre. À nouveau, les choses qu’il disait n’avaient pas de sens. Il lui fit un signe de tête en direction du groupe d’hommes. L’un d’eux avait sorti un mégaphone :

— Les sorties sont bloquées ! Nous ne vous retiendrons qu’un instant !

Julie glissa ses doigts entre ceux de l’étranger.

— Que cherchent-ils ? demanda-t-elle, craignant de connaître la réponse.

Elle les vit fouiller les gradins et les chaises. Ces hommes étaient à la recherche de quelqu’un. Leurs faisceaux lumineux mettaient en évidence des personnes au hasard. Certains étaient dans les gradins, d’autres étaient sur des chaises. Les hommes étaient organisés. Et en quelques minutes, les trois gradins furent inspectés, ainsi que la moitié des chaises pliantes. Alors, ils s’approchèrent des personnes installées dans l’herbe, et immanquablement, des bords du lac. C’était surprenant, et pour la première fois de sa vie, Julie se sentit traquée. Elle savait qu’ils étaient là pour lui. La peur s’insinua en elle.

— Quelle heureuse rencontre que la nôtre, n’est-ce pas ?

Il gardait toujours le même sourire. Il paraissait détendu alors Julie essaya d’en faire autant. Elle se rapprocha de lui.

— Ils sont là pour toi, n’est-ce pas ?

Le groupe d’hommes enjambait les personnes assises, traquant chaque visage avec leurs torches. Ils opéraient avec minutie, en silence, face à des gens de plus en plus mécontents qu’une opération ait interrompu leur spectacle. Les hommes restèrent impassibles. Ils se rapprochèrent. Ils s’arrêtèrent devant les barrières de sécurité. Les faisceaux lumineux éclairèrent la pelouse nue. La lumière atteignit le bord du lac, que les hommes fouillaient avec attention. Très vite, ils dévoilèrent le début du ponton.

Tout se passa vite. Les hommes s’engouffrèrent à l’intérieur du périmètre de sécurité. Ils ne couraient pas, mais ils avaient une démarche rapide, militaire. Ils arrivèrent au ponton, qu’ils remontèrent les uns après les autres. Julie se tourna vers l’étranger, mais celui-ci avait disparu. Il n’y avait plus personne à ses côtés ni à qui elle tenait la main. Elle était seule. Comment avait-il fait pour partir ? Sa tête commençait à lui tourner. L’étranger avait disparu. C’est tout ce qui importait. Elle ne parvenait plus à craindre ce qui arrivait. Ni les individus menaçants qui arrivaient à sa hauteur et qui lui saisissaient les bras avec fermeté, ni le pétrin dans lequel elle se trouvait. On lui parlait, mais elle n’écoutait pas. Elle se sentait déconnectée de tout. Plus rien n’avait d’importance. La seule chose qui en avait était que l’étranger avait disparu.

Au plus profond d’elle-même, elle prit conscience que le compte à rebours avait commencé.

Partie 1

Sarah

6 h 57

Julie ouvrit les yeux. Elle était dans sa chambre, allongée dans son lit. La pièce était plongée dans une semi-obscurité. Les rayons du soleil étaient filtrés par les fentes du store abaissé. La jeune femme retira le drap qui lui couvrait le corps et s’assit. À ce moment, un doux et merveilleux souvenir lui revint : celui de sa rencontre avec un bel étranger.

Houla ! fit sa conscience, la voix de la raison. Tu t’enflammes. Tu ne peux pas dire que tu as rencontré un bel inconnu juste parce qu’il t’a charmée. Il est possible que les couleurs du feu d’artifice aient mis en avant un visage angélique qu’il n’a pas. Tu dois le revoir avant de te faire des idées.

Sa bonne humeur retomba. Elle était consciente que les conditions particulières de la veille aient pu tromper son jugement. Mais comment le savoir ? Comment pouvait-elle espérer le revoir ? Elle ne le connaissait pas. Elle ne savait rien de lui. Elle ne se souvenait pas de son nom. S’était-il seulement présenté ?

Brusquement, une lueur d’espoir s’illumina. À la fin de leur rencontre, ne l’avait-il pas appelée par son prénom ? Julie se concentra. Elle n’était sûre de rien. Tout lui paraissait parfaitement clair jusqu’à ce que le feu d’artifice soit interrompu. À partir de là, ses souvenirs étaient moins précis, flous, jusqu’à un trou noir. Tout le début de la soirée était gravé dans sa mémoire, même le moment où ils s’étaient longuement regardés. À contrario, Julie ne parvenait pas à savoir comment ils s’étaient quittés. Elle ne se souvenait même pas d’être rentrée chez elle.

Que s’était-il passé ?

Je suis certaine qu’il va tenter de me revoir, pensa-telle. Au feu d’artifice, il s’est passé quelque chose. Il y a eu un truc entre nous. C’était dans nos regards. Je ne l’ai pas inventé. Je suis certaine que lui aussi l’a ressenti. Il va essayer de me retrouver. Je dois lui faciliter la tâche. Je dois aller là où nous nous sommes rencontrés. Je dois retourner là où tout a commencé.

La jeune femme fila dans la salle de bain. Elle resta une dizaine de minutes sous le jet tiède de la douche. Tous les jours, elle devait se lever tôt pour profiter de l’eau avant la coupure. La nuit avait été chaude, étouffante, et sentir l’eau ruisseler sur son corps était une bénédiction. Elle revint dans sa chambre, une serviette nouée autour de la poitrine.

Son regard se posa l’espace d’un instant sur une photo de famille encadrée sur son bureau : celle d’une famille heureuse, juste avant que le drame ne vienne la briser. On y découvrait un couple épanoui et deux enfants autour d’eux, un bébé de 18 mois portant une belle robe rose et un adolescent de 13 ans. Madame avait été mise en évidence sur ce cliché. Ils avaient chacun une main posée sur son ventre arrondi. Ils étaient allés chez le photographe quelques semaines avant le terme de la grossesse. Julie ne gardait aucun souvenir de sa maman. Et cette photo était le dernier vestige d’une famille unie. Un agrandissement de ce tirage trônait dans le salon.

La jeune femme ouvrit son armoire et partit à la recherche de vêtements légers. Si elle avait la plus petite chance de le revoir, elle devait se montrer à son avantage. Elle opta pour un petit haut blanc à bretelles qui s’arrêtait au-dessus du nombril et une jupe fendue. Elle se brossa méticuleusement les cheveux et termina sa coiffure en les lissant. Une fois habillée, elle retourna dans la salle de bain, se maquilla légèrement, puis mit ses lentilles.

Julie était orpheline. C’est son grand frère qui s’était occupé d’elle et de leur petit frère lorsque leur père s’était suicidé. Ce drame les avait frappés quelques années auparavant. C’est seule que Julie s’était construite, seulement entourée par un grand frère bienveillant, une amie protectrice et un petit copain attentionné.

Lorsqu’elle fut prête, elle leva ses stores, ouvrit sa fenêtre et aéra la pièce. Ses cheveux, châtain clair, retombaient en cascade sur ses épaules. Elle n’avait pas les yeux bleus naturellement, mais c’était la couleur qu’elle adorait. Elle portait quelques bijoux : une gourmette où était gravé le prénom de sa meilleure amie, la bague que lui avait offerte son petit ami lors de la Saint-Valentin et un piercing au nombril, qu’elle s’était payée avec ses économies.

Elle sortit de sa chambre et fila jusqu’à la cuisine. Une jeune femme était assise autour de la table familiale : Sarah, sa meilleure amie. Celle que Julie avait plantée la veille, à la soirée. Elles avaient des morphologies opposées. Sarah était plus petite et costaude. Elle avait une coupe de cheveux assez courte, qui lui arrondissait davantage le visage. Et ce matin, elle semblait crispée. Sarah s’était déjà servi un café, qu’elle tenait entre ses mains.

— Je ne t’ai pas entendue entrer, amorça Julie en guise de bonjour.

— Il y a vingt minutes que je suis là. Je t’ai laissée dormir. Tu semblais en avoir besoin.

Julie ne répondit pas à cette première provocation. Elle s’approcha du plan de travail pour se préparer son café. Dans son dos, elle sentait le regard inquisiteur de son amie braqué sur elle. Sarah fulminait contre elle, qu’elle soit partie de leur soirée, sans donner d’explication.

La cuisine était une vaste pièce ouverte sur le séjour. Le volume des salles paraissait encore plus grand grâce à la baie vitrée qui occupait tout un mur. Les couleurs étaient claires, épurées : carrelage blanc, tapisserie beige, plafond blanc. Tous les meubles et appareils électroménagers étaient dans les mêmes tons. Au milieu de la partie cuisine trônait une imposante table avec dix hautes chaises métalliques. Tout respirait le haut de gamme : du frigo américain au micro-ondes multifonction, en passant par la cuisinière à induction et la grosse hotte. La baie vitrée était la cerise sur le gâteau et offrait une vue incroyable sur le lac et les montagnes.

— La journée s’annonce épouvantable, râla Sarah avec mauvaise humeur en actionnant le ventilateur plafonnier, grâce à l’application sur son smartphone. J’ai vu la météo et la canicule va durer jusqu’à demain.

Julie se mura dans le silence, qu’elle jugea sécurisant. Elle était anxieuse car elle savait que sa meilleure amie n’attendait que le bon moment pour lui tomber dessus et pour la harceler sur ce qu’elle avait fait la veille. La confrontation était inévitable, mais Julie préférait néanmoins la retarder le plus possible. Pour une raison qu’elle ignorait et qui était pourtant une certitude, elle ne devait parler de sa rencontre avec le mystérieux garçon – et certainement pas à Sarah. Elle connaissait trop bien son amie pour craindre sa réaction.

Elle prit son café et s’installa à ses côtés.

— Tu comptes garder le silence ?

Julie se tourna vers elle, feignant de ne pas comprendre.

— Je t’arrête tout de suite, reprit Sarah de son ton autoritaire. Que s’est-il passé, à la soirée ? Tu t’amusais, pourtant. J’avoue que je n’ai pas compris. Tu ne m’as même pas laissé le temps de te raisonner. Tu nous as plantés sur un coup de tête et cela ne te ressemble pas.

Les deux jeunes femmes s’étaient toujours connues. Elles avaient tout fait ensemble. Elles avaient eu une scolarité identique : de la même école primaire au lycée, en passant par le collège. C’est ensemble qu’elles avaient traversé l’enfance et c’est les coudes serrés qu’elles étaient entrées dans l’adolescence. Aucune force au monde n’était parvenue à les séparer ni aucun garçon. Pourtant, Sarah n’avait pas un caractère facile. Elle avait une autorité naturelle à laquelle Julie s’était toujours pliée.

— Tu as raison. Je ne sais pas pourquoi j’en suis partie.

— Ah non, tu ne fuiras pas ! C’est trop facile ! Je veux des explications. Quand Yann arrivera, il en voudra aussi. Il est arrivé à cette soirée une demi-heure après ton départ. Au début, il était contrarié par ton absence, puis il s’est inquiété. Tu ne répondais pas sur ton portable.

Ce n’était plus une discussion ; c’était un interrogatoire. Julie tiqua néanmoins à cette remarque. Elle se souvenait que la veille, alors qu’elle avait quitté la soirée et qu’elle s’apprêtait à sortir en ville, son portable était tombé en rade et elle l’avait mis en charge. Il devait être dans sa chambre, toujours branché.

— Je ne lui dois rien.

C’était la vérité. Même si la relation entre elle et Yann avait toujours été idyllique, les choses avaient changé. Ils avaient grandi et Yann prenait une autre direction. Pourtant, il était le petit ami parfait, attentionné et romantique, même après quatre ans de relation. Il faisait toujours passer le bonheur de Julie avant le sien et il donnait sans compter. Le souci était que depuis bientôt un an, Yann s’était engagé. Il avait rejoint l’UE Army, pour une formation. Ses missions concernaient le barrage des réfugiés climatiques, aux frontières de l’Union européenne.

Fin juillet, le jeune homme avait bénéficié d’une permission de trois semaines qui lui avait permis de rentrer chez lui, de revoir ses parents et surtout ses amis. Cela faisait déjà dix jours qu’il était de retour. Le temps passait et dans quelques jours, il devrait repartir pour empêcher des sinistrés d’envahir illégalement le pays.

Cet engagement avait été un véritable séisme. Cette décision n’avait pas seulement impacté la vie du jeune homme, mais également celle de ses proches. Ses longues missions avaient fini par ébranler sa relation avec Julie. Le temps et la distance peuvent venir à bout de n’importe quelle histoire, s’était-elle résolue à penser. Les appels entre eux étaient passés d’une fréquence quotidienne les premières semaines, à un appel hebdomadaire au bout de quelques mois… Et pendant l’été, ils ne s’étaient appelés qu’une ou deux fois, écourtant les conversations, ne sachant plus trop quoi se dire. Et depuis son retour, les choses n’étaient plus les mêmes. Un fossé s’était creusé. Il y avait eu des silences pesants et des touchers maladroits. C’était devenu étrange. La jeune femme ne se souvenait pas de la dernière étreinte passionnée ou du dernier baiser fougueux. Il y avait une certaine distance entre eux même quand ils étaient proches.

Étaient-ils encore ensemble ? Julie l’ignorait.

— Vous n’êtes pas séparés. Même si j’avoue que depuis son retour, vous vous observez plus que vous parlez. Le spectre de son futur départ plane. Cela ne facilite pas les choses, c’est vrai. Mais si votre histoire tourne un peu au ralenti, elle n’est en rien fracturée. Je ne me fais pas de souci pour vous.

Julie ne répondit pas. Elle n’était pas aussi catégorique.

— Maintenant, dis-moi ce que tu as fait de ta soirée.

Des systèmes d’alarme explosèrent dans sa tête et les indicateurs passèrent de l’orange au rouge. Julie fut prise au dépourvu. Elle devait faire attention à ce qu’elle allait répondre et au ton qu’elle emploierait. Elle avait ses yeux braqués dans ceux de son amie et elle ne devait surtout pas les baisser ni montrer un quelconque signe de faiblesse. Elle devait aussi faire attention à son rythme cardiaque. Sarah remarquerait très vite le moindre changement, même imperceptible. Les intonations dans sa voix, les clignements d’œil, les sourires figés, les tremblements dans ses mains. Il y avait autant de détails qui pouvaient la trahir.

J’ai passé une incroyable soirée et je ne peux pas lui en parler. J’ai fait une merveilleuse rencontre et je ne peux même pas la lui confier. Pourquoi ai-je l’impression qu’il me faut taire ce qui s’est passé ?

C’est alors que les événements qui avaient précipité le départ de l’étranger lui revinrent en mémoire, avec violence. Le groupe d’hommes qui avait fait irruption à la soirée et interrompu le spectacle avant le bouquet final. Ces individus qui avaient fouillé le ponton avec leurs puissantes torches, contraignant son inconnu à disparaître.

Où était-il allé et comment avait-il fait pour disparaître ? Et surtout, que s’était-il passé après son départ ? Julie était encore confrontée à un trou dans ses souvenirs. Elle ignorait ce qui était arrivé une fois que les hommes en noir lui étaient tombés dessus. Avaient-ils retrouvé celui qu’ils étaient venus chercher ?

7 h 12

Sarah lui parlait mais Julie n’écoutait pas. Elle était perturbée. La veille, elle avait été approchée par des hommes en noir, et le mystérieux garçon avait fui. S’il était un fugitif, pourquoi l’avait-il accostée ? Qu’avait-il cherché ? D’autant plus qu’il avait semblé la connaître dès le début. Cela ne lui disait rien qui vaille.

La poigne de son amie se verrouilla sur son avantbras. Julie se tourna vers elle, se sentant mal à l’aise. Cette dernière lui demanda si tout allait bien.

— Oui, mentit-elle. C’est juste que…

Comment aborder sa soirée sans parler de sa rencontre ? C’est alors qu’elle se rappela un détail.

— Je suis allée à la Fête du lac. Ne me demande pas pourquoi, je ne saurais pas te répondre. J’étais au guichet, prête à payer ma place lorsque j’ai croisé David. Nous avons passé le début de la soirée ensemble. Il m’a montré les coulisses. C’était sympa. Il va bien. Bien sûr, il n’a pas trop voulu parler de lui. Il m’a posé des questions sur moi et ce que je devenais. Ça m’a fait du bien de le revoir. Moi qui culpabilisais. Il m’a dit que je n’avais rien à me reprocher.

Imperceptiblement, Sarah baissa les yeux avant de les relever. Julie sentit son cœur faire une embardée.

— Sarah ?

— David ne cherchera pas à te revoir, dit-elle avec une certaine retenue. Cela serait prendre le risque de croiser Yann et de t’attirer des ennuis, s’il venait à l’apprendre. C’est un risque qu’il ne prendra pas ; pas après ce qui s’est passé le soir de ton anniversaire. Julie, si je ne t’ai rien dit, c’était pour que tu ne puisses pas vendre la mèche. Je suis vraiment désolée.

— Parce que tu le revoyais ?

Sarah soutint son regard. Julie eut l’impression de recevoir un coup dans l’estomac. Celle qu’elle considérait comme sa sœur l’avait trahie. Il était impensable d’imaginer que Sarah ait pu lui cacher quelque chose d’aussi important. Presque à contrecœur, son amie en vint à se justifier. Cela s’était passé, il y avait plusieurs mois, à la soirée d’anniversaire. Tout le monde avait été là ; même Yann, dont Julie avait attendu les dates de repos pour planifier sa fête. Elle avait attendu ce jour toute sa vie, celui où enfin elle deviendrait majeure. Toutes les personnes qui comptaient pour elle avaient été présentes. Il y avait d’abord ses deux frères : Romain et Christopher, l’aîné. Et la petite amie de ce dernier. Ensuite, les amis : Sarah et une autre jeune femme qui leur était proche, ainsi que Yann et David.

Alors que tout le monde passait une bonne soirée, à boire et à s’amuser, une violente altercation avait éclaté entre Yann et David. Personne n’avait compris d’où était partie la dispute. Julie était en conversation avec son grand frère quand Yann s’était levé d’un bond, renversant sa chaise, et qu’il avait frappé David au visage avec rage. Avant que qui que ce soit ait eu le temps de s’interposer et de le raisonner, Yann avait attrapé leur ami par le col et l’avait sorti sans ménagement par la porte. Sarah avait été la première à hurler et à défendre David, mais ce dernier avait capitulé et avait préféré partir, allant jusqu’à s’excuser d’avoir gâché la soirée. Et depuis ce soir-là, Julie n’avait plus eu de nouvelles de lui… jusqu’à la veille. Elle lui avait envoyé des messages et l’avait secrètement appelé, malgré les promesses qu’elle avait faites à Yann lorsqu’il lui avait demandé de ne plus le revoir. C’est David qui avait coupé contact. Et jusqu’à ce matin, Julie avait été persuadée qu’il avait fait de même avec tout le monde. Quelle trahison d’apprendre que Sarah et lui avaient échangé des nouvelles ! Sarah se défendit en répondant qu’elle n’avait rien promis à Yann, quand il le lui avait demandé. Elle n’avait pas pu se résigner à choisir entre les deux garçons. La réaction de Yann l’avait même choquée. Elle avait été disproportionnée. Et la jeune femme avait pris le risque de continuer à voir David pour comprendre ce qui s’était passé. Le fait que Yann soit reparti en mission quelques jours après avait facilité les choses. Même s’il l’avait beaucoup déçue en agissant aussi théâtralement, Sarah n’avait pas pu se résoudre à choisir. Elle avait décidé qu’on ne pouvait pas perdre un ami parce qu’il avait révélé qui il était.

— Je n’ai rien à me reprocher, déclara-t-elle. Je ne pouvais pas tirer un trait sur David pour la simple raison que Yann est fermé d’esprit. J’ai fait ce qui m’a paru juste. Je devais être là pour lui.

Julie perçut cette remarque comme une gifle. Sarah la jugeait ! Elle était abasourdie. Elle n’aimait pas repenser à cette soirée. Elle s’était sentie tellement coupable. Elle s’en était posé des questions sur ce qu’il était devenu. Elle n’était pas parvenue à se pardonner d’être restée passive. Le revoir lors du feu d’artifice l’avait en quelque sorte apaisée et réconciliée avec elle-même.

Alors qu’elle allait répondre, Sarah reprit :

— C’est vrai que nous n’en parlons jamais, mais je dois te donner mon ressenti. Vous lui avez fermé la porte quand il a eu le courage de s’ouvrir. Non, vous avez fait pire. Vous avez laissé Yann l’humilier.

— Tu es injuste, murmura Julie, blessée. Je n’ai pas…

— Il est bien là, le souci. Tu n’as rien fait.

Sarah lui raconta ce qui s’était passé pour leur ancien ami, après l’altercation. Il était retourné chez ses parents et il leur avait également fait part de son secret. Son père avait réagi d’une manière tout aussi violente que l’avait fait Yann. Sarah fit d’un ton désabusé : « Tu sais, son paternel est très croyant et la religion ferme plus les esprits qu’elle ne les ouvre. » Ce soir-là, son père l’avait mis à la porte. Sarah avait été contrainte de l’héberger quelque temps, à la seule condition qu’il ne soit pas très regardant sur le ménage. Julie eut un sourire forcé à cette remarque, car elle n’avait jamais eu le droit d’aller chez sa meilleure amie, ni n’avait rencontré ses parents. Julie eut du mal à cacher sa déception. Elle était aussi peinée d’apprendre que Sarah lui avait caché tant de choses. Les jours qui avaient suivi son anniversaire, alors qu’elle culpabilisait, Sarah avait passé son temps avec David, à l’aider dans sa reconstruction, après qu’il eut tout perdu. Comment aurait-elle pu imaginer que son ami s’était retrouvé dans une situation aussi précaire ? Elle se fit une promesse. Elle ne laisserait plus passer cinq mois avant de le revoir. Même si cela signifiait affronter la colère de Yann s’il l’apprenait.

Tandis que Julie finissait son café froid, la porte d’entrée s’ouvrit. Un homme s’approcha. C’était Christopher, le grand frère. Il était un jeune trentenaire. C’était lui la figure paternelle dont Julie avait eu besoin pour grandir et se construire. Il était le grand frère droit et responsable, qui était devenu leur tuteur légal à elle et à Romain, à la mort de leur père. Chris était un homme en léger surpoids, les cheveux châtains qui auraient eu besoin d’une coupe et il portait une légère barbe qui lui donnait un air négligé. Il pouvait être un bel homme lorsqu’il s’entretenait… ce qui n’était pas arrivé depuis quelques temps. Les soucis dans son couple avaient pris le dessus sur son moral.

— Salut, les filles, fit-il en prenant place sur le siège face à sa sœur. Julie, dès que tu auras un moment j’aimerais qu’on parle... à propos d’hier.

Oh non… de quoi est-il au courant ? s’inquiéta-t-elle. Voulait-il lui aussi la sermonner sur son départ précipité ?

Elle voulait en savoir plus, le questionner, mais le regard affûté de Sarah l’en dissuada.

— Tu ne te souviens pas ? insista-t-il. C’est moi qui suis venu te chercher et qui t’ai ramenée à la maison.

— On en reparlera, coupa-t-elle brusquement.

Chris se servit un café et soupira :

— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

— La situation ne se débloque pas ? demanda poliment Sarah.

— Pire. Ses parents lui montent la tête. Elle sait pourtant que je m’y oppose. Je lui ai dit que je voulais qu’elle revienne à la maison. Mais depuis qu’elle est retournée chez eux, ils ont repris l’ascendant sur elle. Elle est fragile et ils en profitent. Ils ne voulaient déjà pas qu’on se mette en ménage, alors ils doivent avoir l’impression d’être enfin en mesure de l’éloigner de moi. J’ai peur de son choix.

— Elle n’était pas prête.

— Je sais qu’elle traverse une phase difficile, Et, elle a oublié, c’est que nous sommes deux. C’était aussi inattendu pour moi. Là elle n’est axée que sur elle-même. Elle a coupé toute communication. J’ai l’impression qu’elle a perdu la tête.

Sarah et Julie échangèrent un regard.

— Il reste encore trois semaines et après, ils ne pourront plus rien faire, tenta Julie.

— Tout le monde connaît ses parents, contra Sarah. Ils auront réglé le problème dès demain.

Chris poussa un énième soupir et il orienta la conversation sur le dernier de la fratrie, Romain. Il leur annonça qu’au moment de ramener Julie, la veille, aux alentours de minuit, il l’avait surpris, tentant discrètement de quitter la maison. Chris avait été prévenu à temps grâce à l’application de localisation installée sur le portable de l’adolescent à son insu. Malgré l’interdiction formelle de quitter la maison après le couvre-feu, Romain avait décidé de rejoindre des amis à lui. Chris n’était pas dupe. Il se doutait bien qu’une fille était derrière tout ça.

Julie eut du mal à s’intéresser à la conversation qui s’engageait autour de son jeune frère. Elle sentait comme une douce énergie se diffuser en elle. Une envie de bouger. Elle devait agir. Elle porta sa tasse jusqu’à l’évier. Il était temps pour elle de partir à la recherche de son étranger. Elle déclara, coupant Sarah dans sa tirade, d’un ton qu’elle espérait neutre, qu’elle devait retourner en ville pour une course rapide.

Son amie contra aussitôt :

— Yann va arriver. Tu ne veux pas qu’on l’attende ? On avait prévu de descendre en ville, tu te souviens ? Nous irons ensemble.

Julie ne lui répondit pas et se dirigea d’un pas décidé vers l’entrée. Elle était prête à partir. Il l’attendait. Elle en était certaine. Et puis, elle ne voulait pas que ses amis et ce mystérieux garçon se rencontrent. Ils ne devaient pas se croiser. Maintenant qu’elle y pensait, elle l’imaginait au bord du lac. Il était sur le petit ponton où ils avaient passé la soirée.

Le temps jouait contre eux.

Julie en avait pleinement conscience.

7 h 52

Lorsqu’elle se rapprocha du lac, Julie fut envahie d’un doute. Maintenant qu’elle traversait le centre-ville, elle hésitait. Au moment de quitter la maison, Chris l’avait prise à part sur le seuil de la porte. Il l’avait mise en garde en lui partageant ses inquiétudes. Hier soir, il avait reçu un appel d’une brigade spéciale, pour qu’il vienne la chercher. D’après ce qu’il avait compris, Julie aurait fait une mauvaise rencontre. Après le feu d’artifice, elle avait été interrogée. Chris lui avait alors demandé si elle se souvenait de quelque chose.

— Non, avait-elle répondu.

Cela n’avait été qu’une partie de la vérité. Elle ne se rappelait pas avoir été questionnée. Tout ce qui suivait le départ précipité de l’étranger était perdu dans un trou noir. Par contre, elle gardait en mémoire tout ce qui précédait l’intervention de cette brigade.

— J’espère que tu ne cours pas le retrouver.

Julie s’était contentée de lui déposer un baiser sur la joue.

C’est avec des sentiments contrastés que la jeune femme parvint sur les bords du lac. Elle savait une chose : que celui qu’elle avait rencontré était recherché. Elle n’avait aucun doute. Et cela n’avait rien de rassurant. Julie en arrivait même à se demander si ce mystérieux garçon pouvait représenter un danger. Mais, l’envie et le besoin de le revoir l’avaient persuadée de ne pas rebrousser chemin.

Pourtant, en atteignant le lac, Julie fut surprise de voir que les touristes avaient déjà envahi ses bords. Il y avait des centaines de personnes qui se promenaient et se prenaient en photo. Elle se demanda un instant comment elle allait pouvoir le retrouver. Elle n’avait aucun moyen de le localiser. Elle ne pouvait pas lancer un avis de recherche sur les réseaux sociaux, sans profil à traquer. Les touristes qui envahissaient le centre-ville rendaient l’exercice plus compliqué encore. Mais avant de baisser les bras et de s’avouer vaincue, elle devait déjà vérifier là où elle l’imaginait.

La jeune femme était arrivée par la vieille ville et le quai de la Halle, l’endroit où étaient amarrés le bateaurestaurant et les embarcations touristiques. Elle longeait le lac et n’hésitait pas à jouer des coudes quand des groupes l’empêchaient d’avancer. Elle leva les yeux au ciel. Il n’y avait pas un seul nuage. Il commençait déjà à faire une chaleur étouffante. Julie filait en direction d’un pont qui permettait de regagner les grandes pelouses où se dressaient les tribunes métalliques. Elle mit quelques minutes avant de l’apercevoir.

L’étranger était sur le pont, seul. Il semblait l’attendre.

Julie comprit qu’un détail clochait. Alors que les bords du lac étaient bondés par les vacanciers venus passer le week-end en ville, l’étranger était seul. Les gens s’en approchaient, mais aucun d’entre eux ne grimpait les marches pour traverser le pont. Les touristes continuaient, sans s’en rendre compte, de longer la rivière pour faire le grand détour. C’était comme si une force mystérieuse les tenait à l’écart.

Julie soupira devant l’absurdité de ses pensées et fonça vers lui. Elle gravit les quelques marches. L’étranger se tourna vers elle, un sourire aux lèvres. Encore une fois, elle fut frappée par sa beauté. Il l’était encore plus que dans son souvenir.

— Bonjour Will, dit-elle.

Elle réfléchit après coup au prénom qu’elle avait sorti spontanément.

— Merci d’avoir répondu à mon invitation, dit-il en lui prenant la main pour l’aider à grimper les dernières marches. Je suis content que tu sois là.

La jeune femme était sous le charme. Elle remarqua qu’il était plus grand qu’elle, d’une demi-tête. Il avait les cheveux en bataille, d’une couleur rousse, qui le rendaient irrésistible. Son visage était fin, presque creusé. Il avait les yeux marrons, avec un regard pétillant. Son sourire dévoilait des dents blanches. De légères taches de rousseur ponctuaient ses joues et son nez. Julie balaya le reste de son physique d’un coup d’œil attentif. Will portait un simple T-shirt blanc et un short immaculé, avec une paire de sandales. Il n’avait rien d’un type recherché par les autorités. Elle remarqua aussi qu’il était moins musclé et tape-à-l’œil que Yann. Quand elle releva son regard vers lui, elle fut une nouvelle fois frappée par la couleur de ses cheveux et elle se mordit les lèvres.

Maintenant qu’elle était avec lui, elle se sentait bien. Les doutes et les mises en garde de son grand frère s’évanouirent.

— Je ne peux rester longtemps.

— Tu es recherché ?

— Toi aussi, tu dois le sentir… Le temps joue contre nous. Et les événements iront en s’accélérant. Je ne peux pas rester. Les agents fédéraux arrivent.

Julie se figea. Il était recherché par qui ? Des agents fédéraux ?

— Tant que je serai ici, reprit-il, mon monde sera menacé. C’est pour cette raison que je ne peux m’attarder. Je suis ici dans un but précis. Celui de rencontrer deux personnes, pour les rallier à ma cause. Je dois les emmener avec moi avant la fin de la journée.

Julie l’observa en silence. Elle avait du mal à comprendre ce qu’il disait. Ses propos n’avaient aucun sens. Pourtant, elle sourit malgré elle, heureuse d’être là en sa présence. Elle ne comprenait pas tout, mais ses paroles aiguisèrent sa curiosité.

Will lui prit la main et chaque battement de cœur fut délicieusement douloureux.

— Je crois que tu es une personne extraordinaire, murmura-t-il. S’ils découvraient ce que je soupçonne, tu serais condamnée à passer le reste de ta vie dans un bunker de l’Agence. Si cela venait à se confirmer, je n’aurais pas d’autre choix que de tout te dévoiler.

L’intéressée retira sa main, complètement perdue. Ce qu’il dit la glaça d’effroi. Qu’était ce bunker où elle risquait de finir ses jours ? Et qu’est-ce que c’était que cette agence ? Et surtout, qu’est-ce que Will soupçonnait ?

— Les choses que tu dis n’ont aucun sens.

Le sourire de Will s’effaça et il reprit, d’un air plus grave :

— Je ne veux pas que tu sois traquée. Je ne pourrais pas supporter de t’infliger ça. Si cela venait à arriver, je crois que je perdrais le contrôle de la situation. Pour l’instant, je l’ai, ce contrôle. Ils ne doivent pas savoir ce qui commence à m’apparaître comme une évidence. Nous allons devoir faire preuve de prudence et de discrétion.

À nouveau, il sourit. Et à nouveau, ses doutes s’envolèrent. Il lui reprit la main et avec des mouvements doux et posés, il la retourna pour la mettre face au lac. Le cadre était magnifique. Les gens s’approchaient des extrémités du pont sans jamais grimper les marches. C’était une sensation surréaliste dans un coin aussi prisé. Et pourtant, personne ne faisait attention à eux. Julie était bien. Le corps de Will était pressé contre le sien, ses bras l’entouraient. Elle avait conscience que si Yann venait à les surprendre ainsi, ils passeraient tous les deux un mauvais moment, mais cela n’avait pas d’importance. Elle était apaisée. Son sourire mourut sur ses lèvres et son cœur se pinça. Un malaise l’envahit.

— Tu les sens, n’est-ce pas ? s’étonna Will.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta-t-elle.

— C’est eux.

Julie tourna légèrement la tête vers lui. Elle était si proche de lui. Même de près, elle voyait toutes les subtilités de son visage, toute sa perfection. Il lui demanda de regarder devant elle. Elle obtempéra.

— Quand allons-nous nous revoir ?

— Je dois d’abord établir le contact avec la seconde personne. Nous nous reverrons ensuite. Je t’enverrai un signe dès que je serai disponible. Si tu es celle que je suis venu chercher, alors tu sauras me retrouver.