Lueur au bout de la nuit - André Villez - E-Book

Lueur au bout de la nuit E-Book

André Villez

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Beschreibung

Derrière les promesses apaisantes, un centre de thérapie douce dédié à l’éveil spirituel et au développement de la confiance en soi, se cache une tout autre réalité. Recrutant de jeunes étudiantes fragilisées, issues de milieux aisés, l’institut propose séminaires, coaching et retraites de bien-être. Mais sous couvert de soins et d’émancipation, les victimes sont lentement manipulées. Quand vient l’invitation à un mystérieux voyage dans le sud de la France, la frontière entre thérapie de groupe et dérive sectaire s’efface. Derrière les sourires et les discours bienveillants, l’organisation révèle un dessein sombre : orchestrer des soirées où tout dérape, au mépris des corps et des consciences.

À PROPOS DE L'AUTEUR

André Villez, auteur prolifique, signe ici son troisième roman. Pour lui, écrire, c’est offrir un voyage au cœur des méandres de la condition humaine. Dans cet ouvrage, il entraîne ses lecteurs dans une enquête policière palpitante, pleine de rebondissements, où les policiers doivent tout mettre en œuvre pour mettre fin aux agissements mafieux d’une secte nuisible dirigée par des gangsters en col blanc qui utilisent la manipulation perverse pour aboutir à leur fin.

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Seitenzahl: 503

Veröffentlichungsjahr: 2025

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André Villez

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lueur au bout de la nuit

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – André Villez

ISBN : 979-10-422-7475-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

– Le deus ex machina, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;

 

– Le secret de Kanisia, Le Lys Bleu Éditions, 2023.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avertissement

 

 

 

Les personnages de ce roman sont imaginaires. Tout lien avec des personnes ou des faits réels suggérés par sa lecture ne peut être que le pur fruit du hasard. Les éléments historiques, géographiques, et les faits divers cités ainsi que les noms de personnes, de marques, d’établissements ou d’administrations ont pour seul but de donner de la vraisemblance au récit, sans aucune volonté de dénigrement.

Les personnages et les faits sont imaginaires, mais le milieu et la réalité sociale sont authentiques.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

Il est treize heures, dans les Ardennes en Belgique, un dimanche début septembre, la météo est encore clémente. Bien que le ciel soit gris ce week-end, des amis terminent un barbecue sympa. Ils sont entourés de leur famille et ils racontent des anecdotes. Pierre est un invité occasionnel, la quarantaine, fringué à la dernière mode, décontracté, bronzé, cheveux noirs et barbe poivre et sel ; il est accompagné de sa fille, plutôt discrète.

Il parle beaucoup, de ses voyages, de son boulot super intéressant.

En fait, il est peu connu dans le groupe d’anciens chasseurs. Il provient de Bruxelles, plus exactement du Brabant Wallon.

Il présente sa fille pour tenter de compléter son réseau relationnel ; elle vient de terminer le droit à l’université de Bruxelles et elle débute dans la vie. Elle a décroché son premier job de stagiaire dans un cabinet de la capitale. Cette année, elle doit se trouver un logement, elle quitte la cité universitaire et son père tente de la convaincre de rentrer dans la maison familiale.

Marie est une jolie fille, cheveux longs, châtain clair, yeux bleus. Elle est distinguée, discrète et attentive. Elle semble distante de son père, bien qu’elle fasse la conversation facilement, mais toujours en restant à sa place.

Les conversations vont bon train lorsque le GSM de Pierre sonne. Il décroche, et il prend un air important. Mais en écoutant son interlocuteur, il fronce les sourcils. Il se lève et se place à l’écart de la table afin de ne pas déranger. Les convives reprennent leur conversation sans prêter attention. Marie regarde son père de loin, elle est intriguée. Il semble moins souriant et parle assez longuement, puis vient rejoindre les convives.

L’hôtesse avec un grand sourire l’interroge élégamment, en espérant que tout va bien. Pierre reprend son sourire commercial, quoiqu’un peu forcé, pense Marie. Il répond quelques banalités aux invités, puis il s’adresse à Marie :

« Ta sœur Christine devait nous accompagner, sais-tu ce qu’elle faisait ce week-end ?

— Non, elle ne m’a pas téléphoné cette semaine. Je ne savais pas qu’elle devait nous accompagner, c’est étonnant !

— Pourrais-tu lui téléphoner ?

Marie se leva et se retira à l’écart, prit son téléphone portable et le laissa sonner longuement, sans succès.

— Désolée, mais je n’ai pas réponse, je suppose qu’elle est chez Philippe. Je peux l’appeler, si tu veux ?

— Non, cela va aller. Mes amis, je suis vraiment désolé de terminer ce repas si rapidement, mais un contretemps m’oblige à rentrer précipitamment. Marie, si tu veux m’accompagner à la voiture, je t’explique en deux mots. »

Marie fit le tour des invités pour les saluer et remercier l’hôtesse avec chaleur. Mais quand elle eut fini son tour de table, son père avait déjà disparu. Ce n’était pas son style de s’éclipser prestement, il était du genre à s’attarder et à prolonger les débats.

Elle courut vers les places de parking, sa petite voiture, une Peugeot 205 d’occasion était garée pas loin de celle de son père, une grosse Quattro noire, rutilante. Il était debout, visiblement impatient de la voir arriver.

Il entra en matière sans détour :

« La police de Bruxelles vient de m’appeler, un commissaire, je crois, Philippe a été retrouvé mort dans son studio. Ta sœur a disparu !

Je suis convoqué comme témoin. Je pense que tu le seras aussi. Enquête de routine, paraît-il. Ils doivent entendre la famille et les proches.

— Mais comment est-il mort ? C’est accidentel ou un… crime ?

— À ce stade, on ne peut rien dire, mais je pense que, vu le ton de la police, cela ressemble à un homicide. »

Marie était bouleversée. Elle connaissait peu Philippe, un gentil garçon. Par contre elle était très proche de sa sœur. Elle avait eu des déboires amoureux avec le beau Serge. Un personnage celui-là. Un gars de quarante ans, patron de bar qui sortait avec une fille de dix-huit ans. Il avait le chic pour séduire les gamines. Mais il semblait que les choses soient terminées avec son ex, et que sa sœur ait trouvé une autre âme sœur compatissante et bienveillante avec Philippe. Ils semblaient heureux ces deux-là.

« Je rentre à Walhain1. Veux-tu m’accompagner à la maison ?

— Non, je rentre à mon studio, je vais en profiter pour préparer mon déménagement, j’ai trouvé un petit “appart” près de mon boulot. Cela me fera des économies de trajet. »

Pierre s’engouffra dans sa voiture, fit gronder son moteur et partit sur les chapeaux de roues sans un mot.

Marie était restée devant sa voiture bouche bée !

Elle était bouleversée par ce qu’elle venait d’entendre, mais aussi par l’attitude de son père. Elle monta dans sa petite voiture et prit la direction de la capitale. Durant le trajet elle ne pouvait s’arrêter de penser aux évènements.

 

Elle pensa à sa mère. Elle se rappela que sa mère vivait chichement, séparée de son mari. Elle travaillait comme secrétaire, et elle lui avait confié avec beaucoup d’assurance, et une forte insistance de se méfier de son père. Elle était convaincue que c’était un réel manipulateur narcissique !

Elle avait pris ses distances avec ses parents dès son entrée à l’université. Son père avait une position confortable dans une société de marketing. Il avait toujours assumé ses frais de scolarité, son studio et les dépenses journalières. Il était amené à voyager régulièrement à l’étranger pour son travail. Étant donné les longues absences répétées du père, la vie de famille était plutôt réduite, malgré une vie sociale de façade plutôt sympathique. Au bout de quelques années, les parents s’étaient doucement éloignés et le couple avait fini par se séparer. Au fait, hormis les absences répétées du père, Marie ne percevait pas bien ce qui ne marchait pas chez ses parents. Probablement que la maman avait fini par se lasser. C’était elle qui était partie. Cela s’était passé apparemment sans fracas. Bien que le débat pour la garde d’enfants se soit passé à l’aigre. Les enfants avaient choisi de rester dans la maison familiale qui appartenait au père. Le père voulait assumer l’éducation des filles. Et la mère qui était partie n’avait qu’à se contenter de son droit de visite. Les filles avaient été attirées plus par le confort et la matérialité des choses que par le choix parental. Le père était dominant, caractériellement et financièrement. Les filles étaient restées en bons termes avec leur mère et elles se voyaient régulièrement.

Elle monta dans sa voiture et prit la route pour Bruxelles. Elle sentait un trouble étrange monter en elle. Arrivée sur la voie rapide, elle utilisa son « mains libres » pour appeler sa mère.

Elle répondit immédiatement, elle semblait tendue.

« Marie, je suis inquiète, as-tu des nouvelles de ta sœur ?

— Non je suis désolée, mais je viens de parler avec papa.

La police vient de l’appeler, Philippe est décédé, il semble que ce soit un possible homicide et Christine a disparu !

— Marie, j’ai aussi reçu un appel de la police pour m’annoncer la nouvelle, ils cherchent Christine… Penses-tu qu’elle soit impliquée ?

— Je ne sais rien de plus, mais la disparition de Christine est inquiétante, très inquiétante ! J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Je ne sais pas pourquoi objectivement, mais je ne vois pas Christine faire du mal à Philippe et encore moins le tuer. J’ai essayé de l’appeler, mais son portable ne répond pas.

— Marie, je vais essayer de contacter les parents de Philippe. Si j’ai des nouvelles, je t’appelle. Que dit ton père, sait-il ce qui se passe ? Où rentres-tu ce soir ?

— Je rentre dans mon studio à Bruxelles, si tu le souhaites, on pourrait se voir pour parler ? Mais je pense que papa n’en sait pas plus que nous.

— Très volontiers, ce soir ou demain, je suis disponible. »

Après avoir terminé la conversation avec sa mère, Marie sentait son trouble se transformer en angoisse. Elle s’interrogeait. Elle venait de prendre conscience qu’elle ne connaissait pas vraiment ses parents. Tout lui semblait superficiel. La personne avec qui elle se sentait vraiment proche, sa petite sœur, avait disparu de façon inquiétante. Depuis la séparation de ses parents, Marie se voulait la protectrice de sa petite sœur. Elle l’avait prise sous son aile. Elle avait tout fait pour lui ouvrir les yeux sur le beau Serge et la sortir de ses griffes. Il avait le comportement d’un souteneur. Mais elle avait réussi là où ses parents avaient échoué. Elles étaient devenues très proches. Il est vrai que c’était compliqué pour des parents séparés de faire la leçon à de grandes « ados ». Le père n’étant pas un modèle de vertu, il pouvait difficilement faire la morale à ses filles, car elles l’acceptaient très mal. Plus elle y pensait, plus son inquiétude grandissait. Marie n’avait pas senti venir les prémices d’une catastrophe.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

 

 

 

Le lundi matin, à deux mille kilomètres de la Belgique, le quotidien des Alpes Maritimes, « Nice Matin » , annonçait la découverte dans l’arrière-pays par des randonneurs, du corps sans vie d’un garde champêtre. Le corps sanguinolant portait des atteintes de chevrotines. C’était peut-être un accident de chasse ou un crime crapuleux perpétré par un braconnier. L’enquête en cours s’avérait difficile dans un lieu de garrigue quasiment désertique près d’un village abandonné, seulement fréquenté par des randonneurs.

Ce même lundi matin, le commissaire de la Police Judiciaire Pierre Delcourt, directeur d’enquête, compétent et expérimenté de la « crime » , avait réuni ses collaborateurs pour faire le point sur le crime du samedi. Il y avait Madeleine Proust, une inspectrice sympathique, plutôt jolie, la quarantaine, une grande fille élancée, très sportive, mais aussi très méticuleuse et compétente. Et puis Lukas, un jeune inspecteur adjoint qui venait de rejoindre l’équipe récemment et qui devait encore faire ses preuves. Quelques inspecteurs qui n’étaient pas directement attachés à l’affaire vinrent se joindre à eux pour écouter le « briefing ».

Le commissaire débuta son exposé :

« Je vous rappelle les faits : la police du quartier de Saint-Gilles a été appelée samedi vers dix-huit heures par un livreur de pizza. La porte du petit appartement était entrebâillée, et il a aperçu le corps d’un homme à terre, la tête qui baignait dans le sang. La police du commissariat de quartier a fait les premières constatations. L’homme était mort. Cela ne ressemblait pas à une mort naturelle. Le “proc” a été alerté. Le parquet est descendu sur les lieux. On a saisi un Juge d’Instruction, désolé, une Juge d’Instruction, Madame de Bonsecours, bon, je sais, cela ne s’invente pas, je la connais bien, elle est compétente et très pointilleuse sur les faits et elle veut du concret. J’ai été mandaté pour diriger l’enquête. Les premières constatations font apparaître que la victime occupait l’appartement avec, semble-t-il, sa compagne. D’après le légiste, l’homme a une blessure au crâne qui aurait pu causer la mort. Il a perdu du sang qui s’est épanché sur le sol. D’après la rigidité cadavérique, il serait décédé probablement entre seize heures et dix-sept heures. On a découvert un GSM dans la chambre. Nous en saurons plus quand nous aurons les rapports du médecin légiste et de la scientifique qui a analysé l’appartement. Le commissariat a transmis l’identité de la victime, de ses parents et de sa compagne.

Mado, quelque chose à ajouter ?

Madeleine se leva :

— J’ai contrôlé les infos transmises par le commissariat de quartier et les infos correspondent aux déclarations de la concierge. C’est un jeune couple apparemment sans histoire. L’appartement est loué par la victime. La concierge ne connaît pas la fille. Elle l’a aperçue quelques fois. Ce samedi, elle n’a rien remarqué d’anormal, mais l’après-midi, elle faisait ses courses et, quand elle est revenue, elle a vu la police dans l’immeuble, et elle a compris qu’il se passait quelque chose d’anormal.

Le commissaire reprit :

— Hier après-midi j’ai appelé les parents de la victime, pas de réponse. J’ai également appelé le père de la compagne hier. Je l’ai invité à me rencontrer cet après-midi, il a accepté de se déplacer bien qu’il habite le Brabant Wallon. Mado, Lukas, essayez de trouver les parents de la victime. Mado, tu peux annoncer l’information avec délicatesse, mais essaye d’en savoir plus. Pas d’autres questions ? OK merci à tous, prochain “briefing” vers seize heures. »

Le commissaire appela son ami, le commissaire Raymond Claessens, portant le surnom de Raymond « la science ». Ils déjeunaient régulièrement dans un « resto » près du Palais de Justice, le « Sterkerlapatte » , rue des Prêtres. Raymond était tout sauf un « Rambo ». C’était un gars qui s’occupait de la surveillance des sectes. Métier difficile à pratiquer avec une législation bien fragile comme soutien. Ils partagèrent un moment agréable. Ils échangeaient sur les affaires en cours, mais évitaient tous les détails susceptibles de fuites malencontreuses. Le temps de midi passé, ils rentrèrent au bureau, chacun dans ses pensées. Pierre se demandait si son « client » était là.

Il était à peine installé dans son bureau que le planton de service lui annonça que Monsieur Dunand, son rendez-vous, était arrivé. Il invita le planton à introduire son invité.

L’homme entra parfaitement à l’aise, la main tendue, un petit sourire aux lèvres. Le commissaire se dit que, visiblement, il n’était pas impressionné et qu’il ne venait pas pour un interrogatoire. Il ne se sentait responsable de rien. Le commissaire débuta la conversation :

« Bonjour, Monsieur Dunand, comment allez-vous ?

— Après l’annonce d’hier un peu perturbé.

— Évidemment, avez-vous des nouvelles de votre fille ?

— Non, rien et cela m’inquiète vraiment.

— Pouvez-vous m’en parler ?

— Oui, bien sûr. Christine a dix-neuf ans et elle est en première “candi” à l’université. Elle cohabite maintenant avec son nouveau copain, là où le drame s’est joué. Mais son adolescence n’a pas été un long fleuve tranquille.

— Ah ! Pouvez-vous m’expliquer ?

— Oui, évidemment mes deux filles sont élevées par des parents séparés, et ce n’est pas simple. J’assume seul le financement de leurs études, mon ex-femme s’est désistée de ses obligations. A dix-huit ans, Christine a fait une fugue avec un homme de quarante ans, un homme de bar, si pas un proxénète. Elle est particulièrement instable, bien que ses études n’en souffrent pas trop apparemment.

— Vous pouvez me parler de votre deuxième fille ?

— Pourquoi ?

— J’essaye de comprendre l’environnement de vie de votre fille disparue.

— Nous n’avons pas de problème avec Marie, ma fille aînée, elle termine de brillantes études de droit et débute comme stagiaire dans un cabinet bruxellois.

— Vivait-elle chez vous ?

— Non, elle avait un petit studio dans la cité universitaire. Maintenant elle aménage un petit appartement en ville. Elle prend son envol.

— Pouvez-vous me donner les adresses et numéros de téléphone de votre ex-femme et de votre fille aînée ?

— Mais pourquoi ? Vous avez reçu toutes les informations utiles, je vous ai dit tout ce que je savais.

— Oui je pense, mais il est normal de les entendre comme témoins. C’est mon rôle de juger de la pertinence des informations.

— Voilà les renseignements demandés. Allez-vous lancer un avis de recherche pour la disparition inquiétante de ma fille ?

— Pourquoi pensez-vous que la disparition est inquiétante ?

— Mais il y a eu un crime à la résidence de ma fille, son compagnon a été tué et on n’a pas de nouvelles. Je paie tout pour son éducation j’ai bien le droit de m’inquiéter, je suis son père !

— Nous la recherchons comme témoin évidemment. Mais votre fille est majeure. Elle a le droit de se déplacer sans votre autorisation, et elle n’était plus sous votre toit apparemment. L’obligation morale d’aliments ne vous donne pas à vous, même comme père, une autorité sur sa personne. Notre entretien est terminé, Monsieur. Si vous avez des nouvelles de votre fille, tenez-nous au courant, nous ferons de même. Je pense que nous serons amenés à nous revoir.

— Au fait, avant de partir, Monsieur Dunand, que faisiez-vous samedi entre quinze et dix-huit heures ?

— Mais vous me soupçonnez ?

— Simple question de routine, c’est la procédure.

— J’étais en mission en Suisse et je suis rentré de Genève avec le dernier vol du samedi soir arrivé à vingt-deux heures, vous pouvez vérifier mon billet d’avion et mon paiement avec ma carte de crédit !

— Merci. Au revoir Monsieur Dunand. »

Pierre Dunand quitta la pièce sans prononcer un mot. Son sourire s’était figé et à la fin de l’entretien, il semblait crispé. Le commissaire était dubitatif. Il ne percevait pas le personnage, il ressentait un malaise. Il n’aurait pas su dire pourquoi.

Le commissaire revint dans le bureau des inspecteurs, il appela Madeleine et Lukas et il écouta leur rapport. Madeleine fit succinctement le point. Le téléphone des parents ne répondait pas. Ils se sont rendus à leur domicile. Personne ne répondait. Après une courte enquête de voisinage, ils ont appris par un étudiant qui tondait les pelouses qu’ils sont en vacances pour trois semaines aux États-Unis. Il ne connaît pas les détails du voyage. Sans autres précisions, il est difficile de les informer de la situation et d’avoir des informations complémentaires avant leur retour.

Le commissaire fit aussi un compte rendu de son entretien avec Pierre Dunand. Il précisa aussi son alibi pour la fin d’après-midi de samedi. Il demanda à Lukas de le vérifier. Celui-ci s’étonna :

« Vous doutez du personnage ! Pensez-vous qu’il est potentiellement suspect ?

— Simple routine. On vérifie. Nous n’avons pas beaucoup d’informations. À part la disparue et le beau Serge, nous ne disposons pas d’éléments probants. Fouillez dans le passé de ce Pierre Dunand. Convoquez-moi la mère et la sœur pour demain matin. Mais après dix heures, car je dois faire un rapport chez la Juge d’Instruction à la première heure. Vérifier bien si l’avis de recherche pour la disparue est bien parti. Recherchez aussi si nous ne disposons pas “d’infos” complémentaires sur la victime. Et faites revenir du commissariat l’inventaire et les objets découverts chez la victime. »

Lukas intervient :

« On nous a transmis un GSM, un PC, quelques documents de travail informatique et mélangés à tout ce fatras, des documents, fortuits, je suppose, de la “pub” et de la “doc” pour une société spécialisée dans l’événementiel. Il y avait également des affaires personnelles du garçon et de la fille, mais rien de remarquable. L’inventaire est dans le dossier. Et puis, le GSM et le PC ont été transmis à notre équipe spécialisée.

— Si vous pouviez chercher des infos sur le beau Serge, cela serait intéressant. »

Madeleine intervient :

« Je pense que ce nom me dit quelque chose, avant que je n’intègre la PJ, lorsque je travaillais encore en zone de police de Liège j’ai déjà entendu ce nom.

— D’accord Mado, si tu peux prendre contact avec tes anciens collègues, cela pourrait nous éclairer. Nous aurons probablement le rapport du légiste et celui de la scientifique demain. Nous verrons bien !

— Bon à demain, j’espère que nous aurons les rapports attendus. »

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

 

Marie venait de quitter son bureau lorsqu’elle reçut un appel de sa mère. Elle souhaitait lui parler. Elle avait reçu une invitation de la police pour se présenter le lendemain matin à onze heures. Elle-même avait reçu un message similaire pour dix heures. Elle n’était pas étonnée, mais restait perplexe. Elle trouvait l’attitude de la police logique. Elle voulait probablement entendre un maximum de témoins.

La mère, depuis qu’elle avait quitté le domicile familial, habitait Bruxelles, le quartier de la Basilique, avenue de Berchem-Sainte-Agathe, près de l’école fondamentale de l’Athénée de Koekelberg. C’était un quartier calme. Elle avait loué un petit appartement simple, mais confortable dans une maison de trois étages. Marie connaissait le quartier. Elle venait régulièrement voir sa mère comme sa sœur. Le quartier était bien desservi par les transports en commun, et elle choisit de se rendre directement chez sa mère. Chemin faisant, mille idées noires lui passaient par la tête. Pas seulement sur le meurtre de Philippe qu’elle n’arrivait pas à s’expliquer, mais surtout, elle pensait à sa sœur. Était-elle liée à ce drame ? Dans quelle mesure ? Était-elle en danger ? Où était-elle ? Que se passait-il ?

En arrivant devant le petit immeuble, elle se demandait si sa mère en savait plus. Elle découvrit sa mère nerveuse et inquiète. Elle parlait beaucoup de tout et de rien, du passé, de la vie familiale ratée, de son mari manipulateur et menteur. Elle tentait de se justifier devant sa fille. Avoir quitté la maison familiale, ce n’était pas une fuite devant ses responsabilités de mère. Sa vie était devenue un vrai cauchemar avec son mari. Derrière son style très sympathique en société, ce personnage était infâme, dominateur, probablement par son « fric » et sa position sociale. Évidemment ses voyages étaient d’abord des prétextes pour rencontrer ses maîtresses. Son collègue et ami Froidcœur lui servant d’alibi permanent. Et elle continua :

« Vous étiez trop jeunes, je ne pouvais tout vous raconter. Je tentais de vous préserver. J’ai eu tort, j’aurais dû vous informer, vous parler. J’ai été fort déçue que mes filles aient choisi le confort financier, et de rester avec leur père. »

Marie cherchait à la rassurer, mais elle ne trouvait pas les mots. Au fond d’elle, l’angoisse montait. Sa mère était une femme blessée, bafouée, qui avait peur pour sa fille. Marie se doutait bien qu’il y avait des divergences dans le couple et que son père n’était pas parfait, mais elle ne soupçonnait pas la gravité de la mésentente. Mais au fond, elle ne savait rien, après la rupture de ses parents, il n’y avait plus eu de dialogue familial. Pas de discussion avec son père, et quand elle voyait sa mère, souvent avec sa sœur, elle parlait du quotidien, des études, mais rien de fondamental. Elle chercha à relancer la conversation sur Philippe et sa sœur. Sa mère ne dit pas grand-chose. Elle précisa qu’elle connaissait à peine Philippe. Il était sympathique et semblait très gentil avec Christine. Elle l’avait rencontré quelques fois. Il était informaticien dans une « start-up » , elle ne savait pas laquelle. Elle lui dit enfin que sa sœur semblait nerveuse. Elle lui avait signalé qu’elle était mal à l’aise avec un maître de stage, le fameux Froidcœur. Son père devait en savoir beaucoup plus. Marie était perplexe devant cette dernière réflexion. Personne ne l’avait informée que Froidcœur donnait des cours à sa sœur. Elle quitta sa mère avec des mots de réconfort. Elle trouvait l’attitude de son père étrange. C’était évident que, depuis son départ pour l’université, elle ne fréquentait plus guère la maison familiale. Entre les études, son copain, et sa mère, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Pourtant, elle gardait un vrai contact avec sa petite sœur bien souvent par téléphone. Sa sœur ne lui avait pas parlé de ce maître de stage et son père non plus.

Elle retourna dans son nouveau studio, elle devait mettre de l’ordre dans ses idées et continuer à s’installer. Elle se cala dans un fauteuil et appela son copain Thierry pour se détendre. Mais surtout elle avait besoin de parler à quelqu’un. Elle se sentait coupable, depuis quelque temps, elle délaissait un peu sa petite sœur. Sa vie venait de prendre un tournant. Elle venait de terminer ses études universitaires, elle commençait dans la vie professionnelle, et elle avait rencontré ce garçon charmant. Toutes ces choses l’avaient éloignée de la maison familiale. Elle téléphona à Thierry, son copain. Il tenta de la rassurer et de la déculpabiliser. Bien que, en l’écoutant, il ne put s’empêcher de trouver curieuses les réflexions vis-à-vis de ce Froidcœur. Il lui conseilla d’essayer de transmettre au mieux son sentiment à la Police. Et puis il lui demanda si elle ne pouvait pas appeler ses amies, ou copines pour glaner quelques informations. Elle trouva l’idée judicieuse et termina sa conversation en se promettant de faire le point le lendemain soir. Marie appela une ancienne copine, Geneviève. Celle-ci ne voyait plus Christine ces derniers temps. Depuis la sortie de l’athénée, elles s’étaient perdues de vue. Elle était restée dans le Brabant Wallon alors que Christine était partie faire ses études à Bruxelles. Marie appela une autre copine, Véronique. Elles s’étaient connues à l’athénée, mais la différence d’âge faisait qu’elles n’étaient pas proches. Elle lui demanda des nouvelles de sa sœur. Elles s’étaient perdues de vue.

« Nous pensions te rejoindre à l’ULB, mais au dernier moment, Christine a opté pour Saint-Louis sur l’insistance de son père, il semblerait qu’un de ses amis soit “prof” ».

Après sa conversation elle était encore plus perplexe ! Ni son père ni sa mère, et, plus étonnamment sa sœur, ne lui avaient parlé de Saint-Louis. Elle était convaincue qu’elle était à ULB. Elle était bien en sciences économiques et financières, mais pas à l’ULB. Avait-elle été inattentive, était-ce un oubli dans « l’info » ou bien avait-on passé sous silence volontairement ce choix de dernière minute ? Elle mesurait la distance qui la séparait de sa famille. Enfin, était-ce vraiment une famille ? Marie avait pris son envol, elle s’était éloignée et n’avait rien vu venir. Elle voulut à nouveau parler avec son copain pour échanger sur cet aspect, puis se ravisa. Ils se fréquentaient depuis quelques années, et elle n’en avait jamais beaucoup parlé avec ses parents. Les parents savaient vaguement qu’elle avait un copain. Par contre sa sœur le connaissait mieux, ils avaient déjà partagé un lunch à plusieurs reprises, sa sœur parlait de ses études commerciales, mais jamais elle n’avait évoqué son établissement scolaire et encore moins l’ami du père, « prof ». Elle avait proposé de nous présenter à Thierry et moi, son ami Philippe, un de ces jours. L’occasion ne s’était jamais présentée. Le temps passait et, pour Marie, l’énigme grandissait. Son inquiétude pour sa sœur augmentait avec le temps qui passait, plus personne n’avait de nouvelles, elle semblait s’être évaporée dans la nature. Elle ne voyait pas sa sœur assassinant son copain Philippe, mais peut-être était-elle en danger quelque part, séquestrée, mais par qui ? Ou peut-être était-elle déjà morte ? Non, elle rejetait cette idée de toutes ses forces. Elle ignorait pourquoi, mais elle ressentait une peur indicible qui montait en elle. Elle avait un mal de tête, elle avait oublié de manger. Mais elle n’avait pas faim. Elle décida de grignoter un biscuit et d’aller se coucher.

La nuit fut longue et elle n’en finissait pas. Elle était parcourue par de nombreux cauchemars. Elle rêvait de sa sœur aux prises avec des chimères. Elle se réveilla de nombreuses fois, elle était en sueur, et chaque fois les mêmes questions : « Où es-tu Christine ? Que fais-tu ? »

Les lueurs de l’aube la réconfortèrent. Elle était éveillée et elle fut heureuse que la nuit se termine enfin. Elle avait très mal dormi. Elle prit une douche qui la revigora. Ce matin elle avait faim. Après s’être habillée, elle prit un déjeuner solide, du café noir bien fort et puis se plaça devant son ordi. Elle rédigea un mémo de synthèse afin de ne négliger aucun détail pour son entretien avec la police. Ce travail la replongeait dans les derniers évènements. Ce fut long et complexe, car elle tentait de se tenir aux faits réels et de ne pas transmettre ses impressions et ses intuitions, malgré son émotion et l’inquiétude qu’elle ressentait pour sa sœur. Elle se rappelait les conférences d’un de ses professeurs, magistrat d’expérience, qui insistait sur le fait qu’il fallait se tenir aux faits précis et les recouper avant de tirer des conclusions. Mais en repassant les derniers évènements en revue, elle constata qu’il y avait plus de questions que de réponses. Elle était fortement troublée.

 

 

 

 

 

Chapitre 4

 

 

 

Le commissaire se présenta à la première heure chez la Juge d’Instruction pour faire son rapport. Ils étaient de vieilles connaissances et ils s’appréciaient mutuellement. Après les mondanités d’usage, le commissaire exposa la situation. À ce stade de l’enquête, il ne put que présenter en détail la scène d’un crime probable, et dresser un tableau des protagonistes.

« Nous attendons le rapport officiel du médecin légiste et de la scientifique. Nous avons également récupéré un GSM et un PC portable plus quelques documents disparates que nous devons analyser. Nous en saurons probablement plus dans quelques heures. »

La Juge avait écouté attentivement sans dire un mot. Elle avait pris note des points clés du compte rendu du commissaire. Ce n’était évidemment qu’une première approche de la situation. Dès que des éléments nouveaux apparaîtront, le commissaire sollicitera un nouveau rendez-vous.

Le commissaire quitta le Palais de Justice pour rejoindre les bureaux de la PJ. Son équipe l’attendait. Il les salua amicalement. Apparemment ils étaient occupés à rassembler les éléments qui permettraient de faire avancer l’enquête. Il rejoignit son bureau. Il était à peine installé qu’un planton annonçait que son premier rendez-vous, Marie Dunand, était arrivé et se trouvait dans la salle d’attente. Il regarda l’heure : pile dix heures. Il fit signe au planton d’appeler le premier rendez-vous.

Marie se présenta, et le commissaire l’invita à s’asseoir. Il l’observa attentivement. Elle était bien habillée, un tailleur classique, un léger maquillage discret. Elle était jeune, mais sûre d’elle. Elle semblait fatiguée. Il ne put s’empêcher de penser, elle ne ressemble pas à son père. Marie ne put se retenir :

« Avez-vous des nouvelles au sujet de ma sœur Christine ?

— Désolé, pas à ce stade, nous avons lancé un avis de recherche, mais nous n’avons pas encore de retour.

— Pensez-vous qu’elle soit en danger quelque part ?

— Sincèrement je ne sais pas. Pour l’instant il y a trois hypothèses, premièrement, elle est peut-être liée à la mort de son compagnon et elle se cache aux yeux de la loi, deuxièmement, elle est peut-être un témoin gênant, elle a peur et elle essaye de se protéger. Et j’espère que non, mais elle peut-être aussi morte dans un coin ou l’autre.

— Pouvez-vous lancer un avis de recherche sur les médias ?

— Directement, je ne pense pas que ce soit opportun. En effet il ne faut pas alerter d’éventuels ravisseurs mal intentionnés. Néanmoins je vais en parler avec les magistrats, nous pourrons l’envisager dans un deuxième temps. Mais nous ne devons pas dramatiser. Les équipes travaillent pour élucider l’affaire et tout faire pour la retrouver.

Pensez-vous qu’elle soit liée à ce crime ?

— Moi j’ai des doutes sincères quant à la culpabilité éventuelle de près ou de loin de ma sœur. Par contre je pense qu’elle est en danger.

— À ce stade, nous n’excluons rien ni personne. Pouvez-vous me parler de votre famille et de votre sœur, nous n’avons pas beaucoup d’indications à son sujet ? »

Marie prit une longue inspiration et se mit à raconter ce qu’elle savait. Elle commença par parler de la situation familiale et de la discorde entre les parents. Derrière une façade agréable et de bon aloi, incontestablement, son père entretenait des maîtresses et ce n’était ni un mari ni un père remarquable.

Philippe, la victime, était un informaticien et un gentil garçon. Elle ne le connaissait pas bien. Elle raconta la communication avec ses anciennes copines. Elle expliqua son étonnement face au choix d’école resté très discret. La présence de l’ami du père comme enseignant dans l’établissement la gênait. Sa mère connaissait le personnage et le détestait. Elle ignorait pourquoi.

Le commissaire l’avait écoutée avec attention, il avait pris note des informations, mais il avait insisté pour recevoir les numéros de GSM de toutes les relations possibles de sa sœur.

Il prit congé, mais rappela à Marie ses consignes.

« Je vous en prie, si votre sœur entrait en contact avec vous, appelez-nous rapidement, nous pourrons sûrement l’aider. Voici ma carte, conservez-là et puis notez mon numéro dans votre GSM. »

Marie sortit, et elle vit que sa mère attendait. Elle s’approcha, lui fit un léger baiser et lui demanda de ses nouvelles. La mère demanda s’il y avait du nouveau. Et non, malheureusement, rien de plus. Elle prit bien soin de ne pas parler de la conversation avec la copine de Christine et du choix d’école étonnant et de ce Froidcœur. Elle se demandait si sa mère connaissait cet épisode. Elle en aurait le cœur net, mais pas maintenant. Ce n’était ni l’endroit ni le moment. Pour l’instant, sa priorité était de retrouver sa petite sœur. Pour le meurtrier, si meurtre il y avait, c’était le rôle de la police. Elle quitta le bureau de police pour rejoindre son travail au cabinet.

Le commissaire vint chercher personnellement Madame Dunand. Il l’invita à s’asseoir et l’observa. Chez lui c’était presque une seconde nature. Avant chaque discussion il ne pouvait s’empêcher d’essayer d’analyser son interlocuteur. Madame Dunand devait avoir la cinquantaine, habillée correctement, mais modestement. Elle aussi semblait fatiguée, non maquillée, les cheveux longs pendants. Il remarqua qu’elle avait les yeux rougis. Évidemment elle posa la question :

« Avez-vous des nouvelles de ma fille ?

Il répondit la même litanie à laquelle, malheureusement, il était habitué.

— Je suis désolé, mais, dès que nous aurons du nouveau, nous vous ferons signe. »

La maman baissa la tête résignée, et se mit à pleurer doucement.

Le policier, bien que quelque peu bourru, ne put s’empêcher d’avoir pitié de cette femme. Derrière son masque professionnel, il avait conservé une sensibilité très humaine. Il aurait voulu l’aider, lui apporter une nouvelle rassurante, mais c’était impossible. Le commissaire lui demanda doucement :

« Madame Dunand, si vous voulez nous aider, dites ce que vous savez sur votre environnement familial, sur votre fille et ses fréquentations.

— Je ne suis plus Madame Dunand !

— Désolé, je ne savais pas que vous étiez divorcée.

— Je ne suis pas divorcée. Je suis séparée par Jugement d’un tribunal de police. Mon mari est un manipulateur, un menteur, un vrai pervers.

Je suis en traitement chez un psychiatre afin d’essayer de me reconstruire. Mon mari m’a tout volé. Ma vie, ma famille, mes enfants et maintenant ce drame. C’était un coureur avec des fréquentations minables, avec son collègue et ami Froidcœur qui lui servait d’alibi pour tout. Je ne travaillais pas. Après ma séparation j’ai retrouvé un emploi de secrétaire, je devais survivre, mais je ne pouvais pas assumer les études universitaires de mes deux filles. Mon mari le savait pertinemment. »

Le policier était décontenancé par cet aveu spontané sur le naufrage d’une famille. Mais il devait essayer de comprendre l’environnement s’il voulait remonter jusqu’aux acteurs du drame. Il reprit calmement afin que Madame Dunand puisse se reprendre.

« Madame, pouvez-vous nous parler de votre fille ?

— Oui, bien sûr. Elle était restée sous la coupe de mon mari. Il avait de l’argent et moi pas. Ces derniers temps elle avait changé. Elle se sentait mal à l’aise avec ce pseudo “prof”. Mon mari l’a convaincue d’aller dans l’Institution où celui-là enseignait, enfin, je ne sais trop. Mais chose étrange, elle devait rester discrète sur son choix scolaire. Au début elle trouvait cela banal, et elle en riait, cela l’amusait ces pseudos secrets. Mais plus l’année scolaire avançait et plus ce Froidcœur la perturbait. Il parlait de l’initier dans un groupe d’élus. Il l’appelait le “Temple Lunaire”, mais cela devait rester top secret, réservé aux élus. Je pense qu’elle avait peur. Elle ne rentrait plus à Walhain depuis quelque temps. Elle restait loger chez Philippe même les week-ends. Ces derniers temps elle me semblait fort anxieuse. Mais je ne connais pas tous les détails, je vous ai dit tout ce que je savais. J’ai peur pour ma fille ! Elle est jeune, inexpérimentée et je crois qu’elle s’est “fourrée” dans un sale guêpier. »

La maman ne pleurait plus, elle était tendue, elle était rauque et parlait presque à voix basse. Le commissaire devait tendre l’oreille pour la comprendre, mais il ne voulait pas l’interrompre. À la fin de son exposé, il reprit à son tour :

« Madame, nous allons tout mettre en œuvre pour retrouver votre fille et faire la lumière sur la fin tragique de Philippe Dekeyser, le copain de votre fille. Voici ma carte, n’hésitez pas à nous appeler si, par hasard, vous aviez des nouvelles de votre fille ou si vous avez besoin de nous. »

Madame Dunand prit la carte, se leva et se dirigea vers la sortie, elle semblait libérée d’avoir pu parler.

Le policier se leva et retourna dans le bureau des inspecteurs.

« Lukas, prends les bandes d’audition et tu les retranscris. Il faut les joindre au rapport. J’invite tout le monde à les lire en détail. Avez-vous des nouvelles de votre côté ? »

Lukas se leva :

« Oui nous avons reçu un rapport du légiste qui précise que la mort est due à un coup violent, mortel, sur le crâne le samedi quinze septembre et que l’heure de la mort se situe entre quinze heures trente et dix-sept heures. Cela semble difficile d’être plus précis. Le coup mortel est antérieur à la chute sur le sol, bien que la victime semble avoir des ecchymoses suite à sa chute sur le sol.

On dispose également d’un premier avis sur le GSM découvert sur les lieux ; il s’agit bien du GSM de la victime. Mais le fait étonnant, c’est de ce GSM qu’on a appelé le livreur de pizza, mais l’appel a été réalisé à dix-sept heures quarante-cinq, soit nettement après l’heure présumée de la mort de la victime. »

Madeleine reprit :

« Nous avons deux éléments qui nous font plus penser à un crime qu’à un accident. De plus le GSM nous indique qu’un personnage a probablement appelé le livreur de pizza pour qu’il découvre le corps.

D’après la scientifique, les collègues ont relevé de nombreuses empreintes de la victime, et probablement de nombreuses empreintes de la fille, notamment présentes dans la salle de bain, cela reste à vérifier, mais aussi des empreintes non identifiables, probablement des gants. »

Le commissaire prit la parole :

« Nous avons soit affaire à un crime prémédité ou à une discussion qui aurait mal tourné. On aurait effectué le nettoyage et utilisé le GSM de la victime après coup : soit par l’assassin, soit par une tierce personne venue pour l’aider. Ce qui pourrait nous donner deux intervenants. Nous devons tout faire pour retrouver le ou les coupables et/ou le complice éventuel et rapidement. Nous ne devons pas oublier que la fille disparue, Christine, peut être suspecte, ou en danger ! En effet, elle peut aussi être une future victime si le tueur la retrouve avant nous. Il y a une possibilité qu’elle se cache par peur, mais pourquoi, de qui ?

Lukas, tu t’occupes des comptes rendus d’audition des deux témoins du matin. Tu me cherches aussi des infos sur le job de la victime. Essaye de voir si nous ne pouvons pas rencontrer des collègues, ou copains de travail.

Mado, tu prends contact avec la PJ de Liège, je voudrais des infos sur ce beau Serge. Et, si possible, organise-nous une rencontre. Nous ferons un saut dans la Cité ardente.

Bon, je rends compte de l’avancement de l’enquête auprès de la Juge d’Instruction. »

Le commissaire fit une rapide synthèse des deux auditions du matin, puis réintégra son bureau et appela la Juge d’Instruction.

Il appela ensuite son ami, le commissaire Raymond « la science ».

« Salut Raymond, Pierrot ici. Pourrais-tu me passer un tuyau ?

— OK cela te coûte l’apéro pour un simple tuyau, pour plus d’infos c’est plus cher !

— D’accord voici une simple question : as-tu déjà entendu parler du “Temple Lunaire” ?

— Ouf… toi… rien que cela… Oui j’ai entendu parler de ce sujet dans le monde des sectes nuisibles. Sérieusement je peux te parler de ce sujet, mais cela ne se fait pas en deux minutes par téléphone. Si tu veux prendre la température du problème, tu évoques le sujet avec ta Juge d’Instruction, puis, si elle n’y voit pas trop d’inconvénients, demande à parler au “proc” chargé de ce genre de problèmes.

Et puis, regarde ton agenda, dégage un temps de midi, on “croque” ensemble et je te mets au parfum.

— OK, merci cher ami, je dois voir la Juge cet après-midi, je te tiens au courant et, pour un déjeuner, je suis partant j’espère cette semaine. Salut »

Il téléphona à Madeleine. Il lui indiqua qu’il serait absent du bureau après-midi parce qu’il devait se rendre au cabinet de la Juge d’Instruction et puis probablement chez le « proc ». Il lui demanda de s’informer sur les formations de Saint-Louis ; nous irons leur rendre visite demain matin. Je suis curieux de rencontrer ce Froidcœur.

Le commissaire rencontra la Juge, avenante comme à son habitude, et très attentive à son exposé. Il fit un compte rendu détaillé des auditions des témoins et s’arrêta quelque peu sur l’évocation de la mère sur la tentative d’initiation de sa fille dans ce qui semble être une secte nuisible appelée le « Temple Lunaire ». Il interpella directement la Juge :

« Pouvons-nous nous faire “tuyauter” auprès du commissaire Raymond Claessens, spécialiste des sectes ?

— Je suis la Juge saisie de l’affaire, et vous restez le directeur d’enquête sur un crime et vous pouvez vous faire aider sur l’aspect collatéral sectaire par votre collègue, et, si je comprends bien, votre ami Raymond Claessens.

— Oui…

— Mais attention le phénomène sectaire est très sensible !

La forte médiatisation du phénomène sectaire a pu conduire l’opinion publique à amalgamer entre elles des organisations aux aspirations pourtant très différentes.

Ainsi, par le même terme générique de secte, on a désigné autant des groupes criminels, dangereux, pédophiles, polygames, et totalitaires que des nouveaux groupements religieux, ésotériques ou simplement excentriques, en décalage avec la société, mais qui n’ont jamais été coupables de tels crimes.

Je vais vous adresser au “proc” spécialisé dans la problématique sectaire, Monsieur Gert de Ketelaer. Il est du rôle néerlandophone, parfaitement bilingue. C’est un magistrat très correct. Le nord du pays est très sensible aux définitions du mot secte.

Dans notre pays vous devez comprendre que les temps changent. La puissance discrète de l’Église catholique est toujours d’actualité et l’émergence des milices d’extrême droite mérite notre attention. Le Procureur Général est très attentif au problème sectaire, parfois nocif. Le monde politique est très circonspect en la matière.

Je vais appeler le Procureur, j’espère qu’il pourra vous recevoir rapidement. »

Elle se leva, prit son GSM et passa dans le bureau de la secrétaire. Il l’entendait parler, mais ne pouvait pas deviner le sens de la conversation. Il était intrigué : pourquoi s’était-elle retirée pour appeler le « proc » ? Quand elle revint dans le bureau, elle était tout sourire.

« Il a peu de temps à vous consacrer, mais d’ici un quart d’heure, il peut vous accorder quelques instants. Mais ne vous fiez à personne, vous marchez sur des œufs, en cas de soucis : c’est vous personnellement qui allez trinquer !

Bon, à bientôt, revenez me voir avec des éléments concrets. Monsieur de Ketelaer vous attend. »

Le commissaire sorti déconcerté par l’attitude de la Juge et la réponse presque trop rapide du Procureur. Il parcourut les couloirs du Palais de Justice pour se rendre au bureau de celui-ci. Il appuya sur le bouton de « l’huissier électronique » et le voyant vert clignota immédiatement.

La secrétaire l’introduisit dans l’antichambre et le fit asseoir. Il n’avait jamais rencontré ce Procureur, mais à voir l’imposante organisation autour de lui, il semblait bien placé dans la hiérarchie de la magistrature. Le Procureur vint personnellement l’inviter dans son bureau. Il était de grande dimension et très imposant. Il était meublé d’un large bureau en chêne ancien, de fauteuils en cuir, et les bibliothèques étaient remplies de codes, et de livres à reliures de cuir.

Sur le bureau était disposée une garniture de bureau classique en cuir vert. On apercevait un PC, un téléphone moderne et deux GSM. Sur un guéridon latéral de même facture que le bureau trônait une pile imposante de dossiers soigneusement rangés. Le commissaire se cala dans le fond de son siège et, comme à son habitude, observa attentivement son interlocuteur. C’était un homme de grande stature d’une cinquantaine d’années. Il était habillé d’un complet classique bleu marine, col cravate, et avait les cheveux noirs grisonnants et la barbe bien taillée. Il portait des lunettes fines en écaille. C’était un personnage imposant tant par sa position dans la magistrature que par sa prestance et son élégance. Il prit directement la parole. Il accueillit le commissaire en lui précisant d’emblée que c’était exclusivement sur la recommandation de la Juge Madame de Bonsecours qu’il lui accordait quelques instants de son temps précieux. Il l’invita à faire un rapport succinct sur l’affaire qui le préoccupait. Le commissaire fit une synthèse rapide des évènements. Le Procureur écoutait attentivement sans sourciller. Lorsque le commissaire évoqua le nom d’une possible secte appelée « Temple Lunaire » , il sembla redoubler d’attention. À la fin du récit du commissaire, le Procureur prit la parole posément, mais de façon académique, comme s’il s’adressait à un auditoire.

« En Belgique, la publication d’un rapport en mille neuf cent nonante-sept a provoqué une violente controverse au Parlement, qui a renoncé à définir une liste de sectes nuisibles. Dans ses conclusions le rapport recommandait de créer un “observatoire des sectes”. Il existe depuis 1998 sous le nom de : Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles.

Le CIAOSN, le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles, est un Centre indépendant institué auprès du service Public Fédéral Justice. Les membres du Centre ont été désignés par la Chambre des représentants, dont la moitié sur présentation du Conseil des ministres.

Par organisation sectaire nuisible, la loi entend :

 

Tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine.

 

Le caractère nuisible d’un groupement sectaire est examiné sur base des principes contenus dans la constitution, les lois, décrets et ordonnances et les conventions internationales de sauvegarde des droits de l’homme ratifiées par la Belgique.

Néanmoins, malgré les fortes dissensions dans le monde politique, une loi sur Lesabus de la faiblesse de la personne : a vu le jour le20 octobre 2011.

Après plus de 4 ans de discussions et travaux, la séance plénière de la Chambre des représentants a adopté le 20 octobre 2011, avec 92 votes favorables et 36 contre, la NVA et le Vlaams Block, la proposition de loi modifiant et complétant le Code pénal en vue d’incriminer l’abus de la situation de faiblesse des personnes et d’étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance. Ce texte a pour objectif d’inscrire dans le Code pénal une nouvelle arme contre les dérives des organisations sectaires nuisibles, mais aussi contre la maltraitance des personnes âgées. »

 

Après cet exposé historico-juridique, le Procureur fit une pause, puis s’adressa au commissaire :

« Je présume que vous aurez compris à quel point le sujet est sensible politiquement. Officiellement vous êtes le directeur d’enquête sur un crime. Vous rendez compte à Madame de Bonsecours, votre Juge d’Instruction. Et nous allons vous adjoindre votre collègue, le Juge Raymond Claessens. Ne communiquez rien à la presse sur les aspects sectaires de l’affaire. Seul le magistrat de presse est autorisé à communiquer sur ce sujet. Le commissaire Claessens vous en dira plus sur ce “Temple Lunaire”. Et en fait, sur le sujet, vous, vous ne savez rien, à ce stade de l’enquête : juste une rumeur.

À bientôt, Monsieur le Commissaire, soyez attentif et discret ! »

Il se leva et tendit la main au commissaire. L’entretien était terminé. Le commissaire Delcourt sortit du Palais de Justice en vitesse, il était fatigué. Il se demandait s’il allait repasser au bureau ou bien se détendre. Il sentait bien que l’affaire se corsait. Et les jours qui venaient s’annonçaient chargés. Ces deux entretiens liés au caractère sectaire l’intriguaient. L’air frais lui fit du bien. Il pensait que la Juge et le « proc » en savaient plus qu’ils ne voulaient communiquer. Peut-être que ce crime soulevait un lièvre inattendu ou il permettait de relancer un dossier endormi. Il savait également que les rapports de la scientifique n’étaient pas arrivés, car si cela avait été le cas, ses collaborateurs lui auraient envoyé un SMS. Il choisit de ne pas rentrer au bureau cette fin d’après-midi. Il appela Raymond pour lui proposer un lunch le lendemain, il était curieux de l’entendre sur le sujet. Le « proc » lui avait fait comprendre que Raymond avait probablement déjà travaillé sur un dossier proche de cette organisation. Le GSM de son ami ne répondait pas, mais il laissa un message.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 5

 

 

 

Le matin, en arrivant au bureau, le commissaire se sentait concentré et plein d’entrain. Il avait peu dormi et avait réfléchi la moitié de la nuit. Il tentait d’analyser les différents éléments en leur possession, mais il ne sentait pas encore le dénouement de cette affaire étrange. En arrivant, il convoqua les collègues, et les informa que l’équipe recevra le renfort du commissaire Raymond Claessens pour le volet éventuellement sectaire.

« Nous organiserons un “briefing” avec lui demain matin. Mado m’accompagne à l’Institut Saint-Louis. En attendant, regroupez tous les éléments à notre disposition, nous referons le point début d’après-midi. »

Le commissaire Delcourt emmena Mado dans une brasserie sympa, il lui offrit un café et des croissants et lui exposa en détail son entrevue avec la Juge et le « proc » désigné par le parquet pour suivre les affaires liées aux aspects sectaires nuisibles. Il insista beaucoup sur l’aspect sensible politiquement si d’aventure un seul mauvais pas était accompli par un membre de l’équipe. Le mauvais tournant pris, nous ne serions plus soutenus et nous serions les seuls à porter le chapeau. Mado écoutait son boss avec beaucoup d’attention. Elle n’était pas étonnée par ce discours. Les quelques années passées à la PJ l’avaient préparée à ce genre de contexte. Le commissaire commanda un autre café et l’invita à lui communiquer ce qu’elle avait pu glaner comme « info » sur l’Institut Saint-Louis. Elle avala son café et elle ne se fit pas prier :

« Voilà Chef : c’est intéressant, surtout concernant le sieur Pierre Dunand. Mais commençons si vous le voulez bien par l’Institut.

L’université Saint-Louis, comme son nom l’indique, est un établissement du réseau universitaire catholique dépendant de l’UCL. Bonne réputation, formation supérieure notamment en droit, économie, sociologie, communication, etc., mais aussi en criminologie… Attention, quelques magistrats et collègues ont dû passer par là, je pense que nous marchons sur des œufs.

— OK, merci, Mado, mais pour le Dunand, peux-tu m’en dire plus ?

— Oui, rien d’extraordinaire, il n’est pas “prof”, simplement maître de conférences, semble-t-il. Il a fait ses études à Solvay, bon niveau, mais, pour le reste, tout est flou. Il semble être à l’étranger pour l’instant.

— OK c’est bien, je vais appeler Raymond, j’espère qu’il sera libre pour le déjeuner. Si c’est possible, j’aimerais que tu nous accompagnes.

— Bien volontiers, mais pourquoi si ce n’est pas trop demander ?

— Je souhaite que tu entendes Raymond, c’est un vieux “pote”, mais surtout on le surnomme Raymond “la science”, et, sur le sujet des sectes, il connaît vraiment beaucoup de choses. Rappelle-toi le discours du “proc”.

Je souhaite avoir ton avis sur le suivi de cette affaire.

— D’accord, merci de votre confiance.

À la fin de ce discours, le commissaire prend son GSM et parle à son ami Raymond. Avec un grand sourire, il confirme le déjeuner à Mado.

— Allons rencontrer les gens de Saint-Louis.

— Mais Dunand est à l’étranger !

— Je sais, mais nous allons glaner quelques informations, s’il n’y est pour rien pas de souci, s’il nous cache des choses, cela le mettra sous pression. »

Ils traversèrent Bruxelles et se rendirent à l’Institut. Ils se présentèrent au secrétariat sans se faire identifier de la police et demandèrent à rencontrer le chef d’établissement. La secrétaire polie demanda de quoi il s’agissait, car le chef d’établissement n’était pas présent. Le commissaire Delcourt présenta sa carte de service et se fit plus insistant. Mado fit de même. La secrétaire, avec un sourire hautain, renouvela sa question. À cet instant Delcourt se fit plus péremptoire.

« Y a-t-il un responsable oui ou non ?

— Heu… Oui je vais appeler son adjoint le Vice-Recteur si cela vous convient, vous pouvez le rencontrer. Vous le trouverez deuxième porte à droite dans le couloir.

— Merci Madame. »

Les deux compères se rendirent chez le Vice-Recteur. C’était un homme affable qui avait visiblement été averti de leur visite.

Les deux policiers se présentèrent et montrèrent leur carte de service.

Delcourt entama la conversation sur un ton affable presque sympa. Mado qui le connaissait savait qu’il voulait séduire pour obtenir des « infos ».

« Bonjour ! Nous avons quelques questions d’informations à vous demander au sujet d’un de vos enseignants, Monsieur Froidcœur.

— Pourquoi ? Est-il impliqué dans une histoire ?

— Non simple routine, il pourrait, et ce n’est pas sûr, avoir été témoin d’un incident. Pouvons-nous le rencontrer ?

— Je ne pense pas qu’il soit présent. Ce n’est pas dans son horaire habituel. Je ne le connais pas bien. Mais vous devriez voir avec ses collègues. Dans la salle des “profs”, vous devriez rencontrer ses collègues. Ils le connaissent mieux que moi. Rendez-vous à l’étage dans le même couloir au milieu, vous trouverez la salle où les enseignants se retrouvent.

Les policiers se mirent à la recherche de la salle en question. Après une volée d’escaliers et quelques hésitations, ils trouvèrent le local. Le lieu semblait quelconque, sans âme, des armoires désuètes, quelques tables, des chaises, une bibliothèque, et un énorme panneau multicolore avec les horaires. Une photo jaunie du Roi Baudouin et de la Reine Fabiola était suspendue de part et d’autre d’un crucifix au-dessus de la bibliothèque. Deux hommes grisonnants, barbus, conversaient dans un coin. À l’opposé dans la pénombre, un groupe de femmes nettement plus jeunes discutaient plus bruyamment.

Le commissaire prit la parole sans se présenter.

“Quelqu’un connaît, Monsieur Froidcœur ?

Gloussements dans le fond de la salle.

— Vous parlez de chaud du cul ?

Sans sourciller, le commissaire reprit :

— Excusez-moi, je n’ai pas bien compris ?

Sur ces entrefaites les collègues barbus s’étaient esquivés. Mado s’était approchée des deux femmes.

— Connaissez-vous le professeur Froidcœur ?

Les ricanements reprirent de plus belle.

— Mais il n’est pas ‘prof’, il est à peine chargé de conférences…

Et encore, il préfère recruter de jeunes étudiantes pour sa pseudo-société du mannequinat”.

— Pouvez-vous m’en parler ?

— Oui, évidemment, il semble qu’il gère une société de mannequinat.

— Désolé, pouvez-vous m’expliquer ?

— C’est une société qui gère la carrière de mannequins, qui les recrute, contre rémunération évidemment et quand elles ont du potentiel, la société les propose à des clients. Elles espèrent toutes devenir célèbres !

C’est un peu comme le rôle des agents de sportifs ou comme les agents des joueurs de foot, par exemple.

La société prospecte des clients susceptibles d’être intéressés et, quand elle trouve un preneur pour leurs services et un contrat, la société prend évidemment une large commission sur le travail des filles.

Le bel exemple c’est la présence de jolies filles sur les stands au Salon de l’auto pour faire valoir les belles carrosseries !

Gloussement dans le fond de la salle. Une autre femme reprit sérieusement :

Évidemment la société de mannequinat présente prioritairement les candidates aux sociétés qui développent l’évènementiel.

L’évènementiel, c’est le secteur des communications liées aux manifestations, telles que foires, salons, expositions, congrès, etc.

Mais qui êtes-vous pour nous poser ces questions ?

— Delcourt, commissaire de police et ma collègue, l’inspectrice Proust.

— Mais Froidcœur, a-t-il des soucis ?

— Simple question de routine, il pourrait être un simple témoin.

Au fait vous connaissez une étudiante, Christine Dunand ?

Une voix dans le fond de la salle intervient :

— Oui c’est une de mes étudiantes, très correcte et bonne élève, mais elle est absente je pense qu’elle est souffrante.

— Et Pierre Dunand, vous connaissez ?

— Vaguement, il est maître de conférences en marketing. C’est le père de Christine, mais il n’interfère pas dans le parcours de sa fille à ma connaissance. Il est manager dans une société internationale. Il est peu présent dans l’Institution. C’est un gars qui bosse dans le marketing, il est le copain de Froidcœur. Je ne sais rien de plus. »

Les deux policiers quittèrent Saint-Louis après avoir pris les identités des personnes présentes à l’entretien.

Le commissaire semblait satisfait. Madeleine l’interpella.

« Vous en pensez quoi ?

— Intéressant ; même si nous n’avons pas grand-chose de concret. Mais, premièrement les intéressés vont se sentir mis sous pression.

Et puis le lien Dunand marketing et Froidcœur mannequinat semble intéressant, je pense que nous devons creuser dans ce sens.

Et toi, Mado, que penses-tu ?

— J’ai remarqué l’attitude des collègues. Les deux vieux “profs” se tirent en douce… Et puis les moqueries à peine voilées des jeunes femmes sur Froidcœur. Drôle d’oiseau que celui-là !

— Je partage ton sentiment sur ce Froidcœur ; mais aussi sur l’ambiguïté de la relation dite d’affaires entre Dunand et Froidcœur. L’un pourrait servir l’autre en l’alimentant en jeunes recrues, mais pour quoi faire ? Du business, initiation sectaire, traite des êtres humains… Je ne sais trop où nous mettons les pieds. » 

 

 

 

 

 

Chapitre 6

 

 

 

Marie, de retour au cabinet, se concentrait sur son travail. Comme stagiaire, dernière arrivée et junior dans le métier, elle était l’adjointe d’un senior quinquagénaire sympathique et brillant, mais exigeant, qui lui confiait les tâches subalternes qu’elle partageait avec la secrétaire. Elle savait qu’elle aurait ce type de travail durant quelque temps, avant de pouvoir réellement gérer ses premiers dossiers. Mais ses occupations professionnelles lui rendaient service, celles-ci lui évitaient de se torturer sur la disparition de sa sœur.

Un coup de fil inattendu sur son GSM la fit sursauter, c’était Véronique l’ancienne copine d’athénée de sa sœur.

« Hello comment vas-tu ? As-tu des nouvelles de ta sœur ?

— Non pas pour l’instant.

— Après ton coup de fil, je me suis souvenue de quelques détails.

Si tu as le temps, on pourrait prendre un sandwich ce midi et nous pourrons parler tranquillement, c’est plus facile que par téléphone. Je serai dans le quartier du Sablon ce midi, si c’est possible pour toi, je connais un snack sympa et pas trop cher.

— OK, pas de souci vers douze heures trente, le temps de m’organiser, envoie-moi le nom et l’adresse par SMS.

— D’accord, “à toute”. »

Marie était très intriguée. Ce quartier sympa est très recherché, mais compliqué pour le parking. Il fallait qu’elle file rapidement par le tram pour arriver dans les temps. Elle se demandait ce que pouvait lui dire Véronique après coup, le dernier appel téléphonique avait été si bref. Mais sa curiosité était plus forte. Peut-être qu’elle pourrait apprendre quelques détails qui pourraient l’aider à retrouver sa sœur.