Lycaon et Callisto - Tome 1 - Gérald Rampant - E-Book

Lycaon et Callisto - Tome 1 E-Book

Gérald Rampant

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Beschreibung

Guillaume cherche refuge en dehors de la foule citadine. Sans illusion, il essaie de s’adapter seul à une nouvelle vie. Alors qu’il croit avoir trouvé son ermitage, une série d'événements vient troubler son quotidien terne et celui de son chien. Il va faire des rencontres impromptues autant qu’improbables.
Une société de femmes, les Twenty Special Women, partie de rien et maintenant en quête de tout avec des réussites prometteuses, conquiert l’Europe et bientôt le monde. Des femmes au service des femmes, par les femmes, pour les femmes. La disparition violente d’une de ses fondatrices va révéler bien des troubles.
Le Béluga, un homme autant immense que mystérieux, travaille à sauver ce qui reste de forêts primaires. Grâce à sa fortune, il fonde Lycaon et Callisto pour réaliser son rêve de réintroduire des espèces animales en voie d’extinction, voire les recréer.
Ces deux mondes qu’apparemment tout oppose sont-ils si étrangers ?
Entre paradis et enfer, entre espoir et perdition, les êtres les plus simples sont-ils si étrangers aux maux qui rongent notre monde ?
Guillaume à vouloir fuir, à vouloir oublier tant de déceptions va-t-il lui aussi ouvrir la boîte de Pandore ?

A PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Paris en 1956 et tourangeau d’adoption depuis très longtemps, Gérald Rampant a fait ses études supérieures en Finance et Gestion de Patrimoine et y a consacré sa carrière.
Il est un passionné éclectique d’histoire médiévale, d’échecs, de littérature, de musique, de cinéma, de sport, de nature et monde animal.

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L’illusion perdue

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© Lys Bleu Éditions – Gérald Rampant

ISBN : 979-10-377-0335-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Comme tous les matins de ses congés, Guillaume aime à prendre son café en regardant par la porte-fenêtre de sa cuisine.

Il regarde le panorama de la campagne de ce début d’automne ensoleillé et chaud. Tout le monde parle d’été indien… Ses yeux suivent toujours le même trajet ou presque… Rite immuable.

 

Que la campagne est belle ! Et ces couleurs ! Elles n’en finissent pas d’éblouir…

 

Ikem le berger allemand vient doucement s’asseoir à côté de son maître et regarde lui aussi dehors. Son maître lui parle doucement, à voix basse, presque inaudible pour la plupart des personnes. Le chien relève de temps en temps la tête comme pour acquiescer. Il gémit un peu.

 

— Oui pépère on va y aller… je finis mon café et on y va.

 

Ikem sait que son maître va sortir pour une séance photo. Sa passion pour les arbres et les oiseaux occupe l’essentiel de ses loisirs.

 

Ce matin malgré le beau temps, il sent comme un peu de spleen dans sa tête, la solitude sûrement.

Il vit seul depuis des années, son intérieur en témoigne, un genre de désordre organisé. Jamais personne ne vient le voir, et ça lui va. Il n’est pas de nature à composer avec autrui, pas facilement du moins. Autour de lui ne dit-on pas qu’il n’y a que deux catégories de personnes, celle qui l’aiment et celle qui ne l’aiment pas, et ce pour les mêmes raisons, ou bien radicalement différentes.

Il n’est pas du genre à rechercher la compagnie ni l’estime des autres. Il paraît désabusé, il se trouve bien ainsi, même si par moment il regrette d’être ce qu’il est. Un homme qui apprécie les tout petits comités, il a horreur de la foule il se définit comme agoraphobe. Il a perdu beaucoup de ses amis. La vie passant il a souffert comme beaucoup de ne plus avoir ses quelques repères humains. Des hommes et des femmes appréciés partis pour d’autres endroits ou décédés.

Il boit son café en petites gorgées, détaille du regard l’avancée de la saison en mesurant les changements de couleur des arbres qui l’entourent et qu’il connaît dans leurs moindres rameaux.

 

— Cet automne est magnifique Ikem ! magnifique !

 

Ikem relève une nouvelle fois la tête et gémit doucement ; il laisse échapper un petit grognement d’aise.

 

— Ouais, t’es d’accord avec moi.

 

Un sourire un peu figé sans joie sans tristesse, lui et l’animal marquent un instant, Guillaume visage baissé les yeux dans le vague et Ikem, cou tendu vers son maître en quête de caresse… La main de Guillaume, comme aimantée, avance légèrement tremblante vers le museau noir…

Sa tasse terminée il se retourne et marque un temps d’arrêt en contemplant cette fois son intérieur. Là aussi ses yeux parcourent tous les détails, il se dit que quelles que soient les saisons, et contrairement à elles, rien ne change chez lui… Son intérieur est à l’image de son univers, beaucoup de références au passé, et des notes de modernité s’associent en un ordre bien personnel. Tout autour de lui témoigne de son éclectisme. Il attarde son regard sur ses plaques publicitaires émaillées des années 60, des objets de pub des trente glorieuses, une collection de verres à bière, quelques très bonnes bouteilles de bordeaux à température, chambrées depuis longtemps…

 

Il ne reçoit jamais personne mais il est prêt à toute éventualité, il est organisé afin de pourvoir à la moindre surprise ou déconvenue.

La trotteuse de l’horloge murale marque bruyamment les secondes, lentement, cela l’agace souvent mais lui rappelle qu’il n’est pas intemporel.

Il en est ainsi à chaque congé qu’il prend. Son activité professionnelle ne lui apporte plus de frisson, mais il aime composer dans son rôle et sortir de ce qu’il est vraiment au fond de lui. Il s’étonne lui-même, ne sachant vraiment s’il ne souffrait pas d’une double personnalité, tellement il lui paraît être la vraie personne à tour de rôle de ses figurations. Oui, il finit régulièrement par admettre que, quelles que soient son implication et sa crédibilité, il ne faisait que de la figuration. Autrement dit, trop d’éléments extérieurs prédestinaient à son vécu et devenir. Constat glacial s’il en est se disait-il régulièrement.

 

Il ne put alors réprimer un haussement d’épaules, tête baissée, puis il soupira et refit un inventaire circulaire et rapide de la tête, de son environnement immédiat.

 

Il nettoya sa tasse sous le robinet de l’évier et parla au chien, sa façon de ne pas pérorer pour lui-même.

 

— Il a l’air de faire bon Ikem ! si on allait faire quelques photos ?

 

Le chien se releva prestement et vint se coller à son maître pour témoigner de son empressement, il finit le museau collé dans l’embrasure de la porte fermée en reniflant et soufflant. Lui aussi l’automne il aimait. Il souffrait des fortes chaleurs estivales, restant souvent dehors la nuit pour profiter de la fraîcheur relative, et ainsi récupérer, avant le retour du soleil dès l’aube et vite brûlant.

Guillaume regarda son chien et sourit. Il soupira, il se demanda si sans lui il aurait une vie aussi réglée. Guillaume, sans se presser, comme pour profiter du temps, à la mesure de cette satanée trotteuse, alla dans son bureau foutoir et rassembla le matériel nécessaire pour une sortie.

Comme à chaque fois il hésitait sur le choix de ses objectifs et même s’interrogeant s’il avait intérêt à emporter son vieil appareil argentique, il adorait encore son Canon A1 des années 70. Il n’était pas un formidable photographe bien qu’il appréhende correctement la technique. Sur le plan théorie, il connaissait beaucoup de choses, son impatience en pratique l’empêchait de faire de grands clichés dignes d’un professionnel.

Il le savait, il accumulait le matériel professionnel tout en s’avouant très bien que ce n’était pas un critère de qualité du photographe. Il aimait le beau matériel en général. Il avouait une passion éternelle pour tout ce qui est motorisé, voitures, motos, avions… mais aussi machines industrielles, camions… Dans son garage sommeillaient plus que ne roulaient, une Porsche 996 4S cabriolet, et une Harley Davidson 1200 Sportster…

 

Il n’avait pas un talent de grand artiste mais il aimait surprendre les animaux après de longues marches ou des heures d’affût, pour cela uniquement il savait patienter. Pour être honnête, le plus souvent, il se faisait surprendre par ceux-là même qu’il cherchait…

Pour ça aussi, mon pauvre Guillaume tu n’es pas le meilleur… Soupirait-il intérieurement…

 

Sur les murs de son bureau étaient agrafées ses meilleures réalisations, essentiellement des animaux. Pour le reste régnait un vrai capharnaüm de livres, en tous genres. Il ne pouvait se résoudre à se séparer d’un bouquin après l’avoir lu souvent plusieurs fois. Il aurait aimé écrire et être reconnu. Il était persuadé, à l’instar d’un chanteur ou d’un acteur, qu’il n’y avait pas d’écrivains inconnus. Pour être écrivain, il fallait écrire… Écrire… Écrire… Il fallait plaire à un éditeur. Ses expériences passées étaient des échecs. Il en concluait à l’époque qu’il fallait d’abord répondre au goût d’un éditeur qui se fie aux goûts des lecteurs… La mode, le marketing… et s’il y avait des écrivains inconnus ?... Il ne cherchait plus à s’en convaincre, persuadé aussi que comme pour la photographie, il n’avait pas un véritable talent.

Il chargea son sac sur le dos.

 

— Bon sang ! il est encore trop lourd !

 

Il n’arrivait pas à se résigner à n’emporter que l’essentiel. Comme dans sa vie de tous les jours il pensait qu’il pouvait avoir besoin de tout. Sans doute un réflexe de tant d’années de frustrations, matérielles et sentimentales.

 

Il passa par son dressing pour modifier un peu sa tenue. Oh, il n’avait rien de bien voyant, on ne risquait pas de le remarquer avec des couleurs agressives, mais pour les sorties en nature, il avait ses vêtements fétiches, il se donnait des airs de Crocodile Dundee, de baroudeur…

Changé, il ne se regarda pas dans la glace en sortant de la pièce, il évitait en dehors des jours de travail. Il se trouvait quelconque et ne risquait pas de sombrer dans le narcissisme… Non pas qu’il était laid, mais sa beauté, si beauté il y avait, devait être et il s’en persuadait, intérieure… Faute de mieux… cela ne le souciait pas vraiment.

Il s’était souvent plaint en lui-même de ne pas avoir beaucoup de compliments des femmes qui jalonnèrent sa vie. Il avait de la classe, finissait-il par se faire dire, et bien sûr qu’il était beau…. Bon d’accord…

 

Il s’arrêta devant sa bibliothèque, vestige d’un divorce, et jaugea du regard les quelques livres concernant les oiseaux. Il les connaissait par cœur ses ouvrages, mais il aimait hésiter encore et encore, pour probablement prendre le plus vieux, le plus usé au cours de ses maraudes ou plutôt de ses billebaudes. Il gardait les plus récents pour après… Après quoi ? Il ne le savait pas. Ça aussi c’était un trait de sa personnalité. Et puis ça meublait un peu le temps. Non pas qu’il était désœuvré mais il s’était juré de ne plus tomber dans la précipitation vaine. Chaque jour de sa vie, il avait couru, sautant sur tout, maintenant il essayait dans ce qu’il appelait sa nouvelle vie de ne plus être dépendant d’une chose, d’un confort, d’une personne.

Il lui en avait trop coûté. Il avait trop donné pensait-il, trop souffert aussi, et pour quel résultat ? se retrouver au fond de la campagne à la lisière d’un bois, seul, enfin presque parce qu’il y avait Ikem, et il prenait une sacrée place ce cleps.

 

Il sortit, le chien avait attendu impatiemment, suivant son maître du regard, assis, comme il en avait l’habitude. À peine la porte ouverte il se précipita dehors et couru comme une balle folle, inspecter son territoire. Aboyant à la volée, le cou tendu, étirant ses pattes avant dans des sauts désordonnés, la truffe au vent, prévenant de la voix en vain d’éventuels intrus….

 

— Arrête Ikem… osa mollement Guillaume. En même temps, il fait son boulot pensa-t-il.

 

C’était toujours le même rituel et tous deux s’en accommodaient fort bien. Le chien stoppait aussitôt ses vocalises dès l’intimation de son maître. Souvent, Guillaume et son chien se regardaient à ce moment-là tous deux avaient un sourire aux lèvres et dans les yeux.

 

L’été indien durait, durait, jamais il n’avait connu un automne aussi chaud aussi sec que ce millésime 2018. Les mares, trous d’eau, abreuvoirs pour les animaux de la forêt, étaient à sec depuis longtemps. Les couleurs changeaient et le soleil trempait ses pinceaux lumineux dans chaque bosquet, chaque trouée d’arbres, chaque étendue de jachère fleurie ou non et révélait les teintes les plus subtiles et indéfinissables qui furent. Il n’y aurait pas de champignons par contre à ce train-là. Il se dit que ce serait bien pour aller faire des photos. Pas de cueilleurs bruyants à piétiner le sous-bois, à retourner les fossés, les tapis de compost. Les animaux seraient peut-être moins méfiants et les rares champignons présents se prêtant volontiers pour un shooting de saison.

« Bon… oui d’accord… j’suis un peu égoïste en pensant cela », mais les réseaux filaires des champignons étaient trop souvent massacrés par les cueilleurs, qui abîmaient le biotope avec leurs bottes à retourner la terre comme des sangliers. Mais eux les cochons comme disent les chasseurs, ils en avaient vraiment besoin. Les cueilleurs toujours, arrachaient les précieux ceps au lieu de les couper. Ils rompaient ainsi les cercles magiques, des levées nocturnes de ces fabuleux eucaryotes, en mycéliums annulaires que l’on nommait dans l’imagerie populaire, des ronds de sorcières. Il était de plus en plus rare d’en observer et peu dépassaient le mètre de diamètre… alors que s’il n’était pas rompu cet anneau pouvait atteindre 10 mètres et plus… ça valait bien une photo !

 

— Au moins le vin sera-t-il bon se dit-il, il se voyait déjà dans 18 mois choisir ses bouteilles préférées qui viendraient encombrer davantage encore sa cave.

Je ne boirai jamais tout.

 

Il eut, comme à chaque fois qu’il pensait ou parlait vin, une pensée émue pour cette charmante dame qui l’avait initié jeune, principalement aux vins de Bordeaux. Elle était maintenant décédée et à chaque fois il avait un point dans l’estomac lorsqu’il s’évoquait ces années-là. Elle avait été comme une seconde mère.

Un énorme kaléidoscope d’images et de scènes de sa vie défilait dans sa tête, presque devant ses yeux, tellement elles étaient encore présentes. Les réceptions les repas professionnels ou privés, les grands évènements heureux de la vie. Il s’étonnait toujours que les souvenirs heureux soient essentiellement ceux qui se partageaient pendant des journées ensoleillées. Il se dit que c’était une association, bonheur et soleil, qui devait meubler beaucoup de mémoires, il ne pensait pas être le seul à fonctionner comme cela.

 

Il reçut une bouffée de chaleur sur le visage, et revint à la réalité. Le vent d’est n’apporterait pas de pluie.

Le ciel bleu insolent était juste rayé de quelques traits blancs échappés des avions de ligne de passage. Il capta aussi de suite tous les ramages des oiseaux familiers. Il ne repérait pas toujours d’où ils s’égosillaient, autant ébloui par la lumière qu’à cause d’une vue insuffisante malgré ses lunettes.

Le sol de graviers crissait sous ses chaussures de randonnée. Il aimait tous ces bruits, il se sentait vivant à remarquer les stridulations des grillons et sauterelles, les babillages de ses amis ailés, le détail d’un arbre, d’une chaumière ou d’une masure.

Il se dirigea vers son vieux Pick up. Il ne le fermait jamais à clef, à quoi bon se convainquait-il. Il ouvrit la portière pour s’installer au volant, puis se ravisa, il fallait charger son vtt et vérifier qu’il y avait encore de l’eau pour le chien et quelques provisions pour eux deux… Toujours ces satanées précautions… des fois que… que quoi ?

 

—  Bon sang d’imbécile ! tu as la cinquantaine bien frappée et tu en es encore à craindre de manquer… mais mon pauvre bonhomme tu manques de tout… De spontanéité, de recul, t’es pas cool. Et tu manques de plein de choses que tu ne peux pas décider d’acquérir avec ton porte-monnaie… l’amitié par exemple, ils sont où tes amis ?...

Tu ne les contactes pas s’ils n’ont pas la délicatesse de te joindre pour avoir de tes nouvelles. Tu parles de nouvelles en plus… y’a rien de nouveau chez toi.

Ça se bousculait dans sa tête, Mr Hyde frappait encore…

 

— Et l’amour… J’t’en parle même pas. Il est où, ton dernier amour ? Qu’en as-tu fait ?

Cette musique lancinante dans sa tête, il ne l’aimait pas. Ça risquait de mettre sa journée en l’air et de sombrer dans le spleen qui le guettait en permanence.

Il s’ébroua, frissonna. Bon Dieu ce n’est pas agréable quand la conscience se réveille. Tu n’étais pas particulièrement de mauvaise humeur ce matin pourtant…

 

Une fois vérifié et revérifié le matériel, le vélo chargé, toujours sous la colère sourde qui le déstabilisait, il regagna son volant et claqua la portière.

Ikem eu peur de rester seul, il accourut vers le plateau arrière et jappa. Guillaume cette fois rit de bon cœur et descendit, flémard en soupirant d’effort, abaisser la ridelle pour que son chien saute sur le plateau.

 

— T’as peur hein ? Tu ne veux pas rester là garder la maison ?

 

Il prit la route, l’autoradio en permanence calé sur Jazz Radio. Il n’écoutait plus souvent les stations généralistes ni les stations trop tendances. Ça lui rappelait son ancienne vie, maintenant il préférait chantonner sur les vieux standards des années 50 à 70 et il appréciait de découvrir de nouveaux artistes. Il se promettait régulièrement d’acquérir les CD mais il n’y parvenait que rarement, renâclant toujours à franchir le seuil d’un magasin ou d’une grande surface. De temps en temps pendant ses nuits d’insomnies il vaquait sur internet et là il lui arrivait entre les sites photos et autres de se laisser tenter par un CD ou un livre.

Quant à être connecté et abonné aux stations à la demande, alors là ce n’était pas encore pour maintenant. Pourtant il avait apprécié une soirée chez un copain connecté à mort et abonné à ces chaînes musicales, il avait été impressionné devant la qualité du son et le choix immense.

Il faudra que j’y vienne se disait-il…

 

En attendant, l’auto bruyante s’emplit d’une mélopée veloutée. C’était « I’ll got you under my skin » par le grand Franck. Il chantonna en sourdine pour respecter cette chanson… Y compris sous la douche, il ne se risquait pas à solliciter ses cordes vocales qui n’avaient rien de terrible.

Il faisait chaud déjà, il ouvrit les vitres et apprécia les courants d’air tourbillonnants dans son habitacle. Il préférait cela au réglage récalcitrant de sa climatisation probablement insalubre et polluante.

Il usait de cette habitude, ne craignant plus d’être décoiffé…

Il en viendrait presque à siffloter…

 

Cette journée s’annonçait comme d’autres et il s’en trouva bien. Il ne voulait pas d’imprévus. Il fuyait comme la peste ce qui pourrait lui apporter quelque désagrément que ce fut. Il n’était pas du genre à ralentir sur l’autoroute pour observer le carnage d’un accident ou se repaître sur You tube de vidéos à scandales.

 

Il jeta un regard dans son rétroviseur, Ikem debout sur ses quatre pattes haletait, se balançait au gré des virages et regardait de gauche à droite le paysage, son maître eut une petite bouffée de plaisir en le regardant. Quel compagnon formidable !

Il roulait se laissant guider par son instinct, il n’avait pas prévu de rejoindre ses points d’affûts, il se dit qu’il y allait bien avoir une occasion de stopper.

Il vit bien quelques buses ou bondrées apivores planer dans l’azur mais trop loin et dérivant trop vite, peine perdue.

L’heure n’était pas propice aux gros animaux, il commençait à se dire que la balade ne serait pas très prolifique. Il n’avait pas fini sa pensée qu’il aperçut deux rapaces postées sur des poteaux de clôture, sans doute à surveiller le fossé et la berne en vue de repérer quelques souriceaux. Il ralentit et à peine la courbe devant lui amorcée, il arriva sur un véhicule arrêté deux roues sur la route et les deux autres sur le bas-côté. À côté du véhicule deux femmes, l’une penchée sur la roue arrière côté route et l’autre penchée aussi mais à farfouiller dans le coffre de cette auto de gamme premium comme on dit aujourd’hui et siglée d’un emblème bien connu outre Rhin en Bavière et ailleurs.

 

— Deux nanas en béhème et plus encore en déroute, se dit-il.

Il s’arrêta assez brusquement après avoir doublé les naufragées, son coup d’œil dans le rétro lui prouva qu’il avait un peu précipité son arrêt au goût d’Ikem.

 

Il mit ses feux de détresse et se dit que la chasse photographique était sinon terminée avant d’avoir commencée, probablement bien compromise. Il ne pouvait passer sans se soucier de ces dames. Il le ferait pour quiconque se trouverait en difficulté.

Il descendit de son Pick up et intima à son chien de rester tranquille.

 

— Couché Ikem ! pas bougé !

Le chien s’affaissa dans un grondement de mécontentement, mais il obtempéra.

 

— N’ayez pas peur ! dit-il à l’intention des deux femmes.

Il n’est pas méchant.

 

Ces propos a priori rassurants n’étaient pas de trop à voir le regard quasi épouvanté de l’une d’elles et l’autre guère plus confiante eu égard à son attitude de camouflage derrière sa copine.

 

— C’est qu’il est imposant, osa la première.

 

— Oui, c’est utile parfois mais c’est un gentil. Tenta-t-il faussement grommelant.

 

Bon, il n’allait pas faire le portrait de son chien à deux inconnues en perdition au fond de la campagne. Elles étaient bien mises et visiblement pas équipées pour faire de la randonnée, pas familières avec cet environnement, et manifestement plus à l’aise en milieu urbain.

 

— Qu’est-ce qui vous arrive, mesdames, puis-je vous aider ?

 

Il dit cela d’un ton aussi pressé que son pas. Plus vite il résoudrait leur problème plus vite il retournerait à sa matinée routinière. Il n’était pas encore de mauvaise humeur, non pas encore.

 

— Je crois que nous avons crevé et mon amie et moi ne sommes pas expertes en changement de roues.

 

— Je vais voir ce que je peux faire dit-il en les regardant à peine.

 

Il se dirigea vers l’arrière de l’auto en dépassant la première femme. La seconde paraissait bien empêtrée, à demi plongée dans le coffre. D’un regard, il apprécia cependant la plastique des deux femmes et se dit qu’elles étaient plutôt pas mal.

 

— Dommage de crever par une matinée pareille, bien que vous ne comptiez sûrement pas aller aux champignons ! ne s’empêcha-t-il pas de relever mi – goguenard.

 

— Non effectivement ! répliqua celle qui paraissait un peu plus âgée, et aussi jolie que sa cadette. Nous allons rejoindre des copines pas très loin d’ici.

 

Guillaume se débrouilla de la panne. La voiture était bien équipée d’une roue de secours, galette certes mais une roue. Il craignait tomber sur un kit réparation, pourtant, normalement fourni avec ce genre de véhicule. Il ne jugea pas nécessaire de communiquer sur ce sujet.

 

Les deux femmes se confondaient en compliments et reconnaissance, s’étonnant presque de la galanterie témoignée par ce drôle de personnage, peu engageant au demeurant mais comme quoi sous le corps en apparence d’ours, bat un cœur d’humain pensèrent elles. Elles conversaient à voix basse et laissaient fuser quelques rires étouffés. Guillaume savait bien ce qui les amusait. Ce n’était pas la première fois qu’il engendrait méfiance voire moquerie, victime de son apparence sévère, presque austère.

 

— Ne vous méprenez pas leur dit-il, vous auriez été des hommes, je m’arrêtais pareil.

 

Alors qu’il terminait sa phrase à la syntaxe approximative, il savait qu’il n’arrangeait pas son cas. Il manquait plus qu’il prenne l’accent du terroir et c’était le pompon. Décidément, il n’allait pas les séduire ces jolies femmes.

 

— Voilà c’est fait ! ponctua-t-il en se dégraissant les mains sur l’herbe de la berne.

 

— Comment vous remercier monsieur, combien nous vous devons ?

 

Un mot d’humour lui vint sur les lèvres mais il se retint, il ne fallait pas qu’il aggrave son cas.

 

— Rien mesdames, si vous pouvez continuer votre route j’en suis satisfait, c’est mon côté scout toujours… il se força presque à rire, pour ponctuer cette tentative d’humour usé, décidément pas à l’aise en cette compagnie.

 

— Bah écoutez nous sommes confuses mais très rassurée. Nous vous remercions vivement.

 

 

Ils se saluèrent tous les trois, échangèrent quelques banalités qui n’avaient rien de sincère et se séparèrent.

Arrivé à son véhicule, Guillaume fit descendre son chien pour qu’il se dégourdisse les pattes. La béhème reprit la route et les deux femmes klaxonnèrent, en guise de remerciement définitif. Elles agitèrent leurs mains par les vitres des portières, pour un dernier salut, et témoignant ainsi leur satisfaction à quitter cet endroit pas aussi hospitalier qu’il ne paraissait. Il était sûr qu’à cet instant elles trouvaient la vie bien faite et bien belle.

 

L’une, la plus âgée, Clémence Gallard, celle qui conduisait dit à sa copine qu’elles étaient décidément bien tombées, un mec serviable et qui ne les drague pas… ça existait encore ?

Sa copine Charlotte riait… comme soulagée… Sans doute l’effet de la crainte passée…

Elle avait imaginé se retrouver obligée d’appeler un dépanneur et ne pas se rendre à l’heure au rendez-vous. Et cela l’aurait vraiment contrariée. Elle avait la réputation de bien gérer dans les détails, et même envisager les imprévus.

Charlotte riait naturellement beaucoup. La vie pour elle était légère et lui souriait. De bonne famille, elle n’avait rien connu de difficile. Une enfance heureuse, une adolescence dans les voyages, des études brillantes, à 30 ans elle croquait la vie au hasard des rencontres professionnelles ou privées.

À l’origine Ingénieur système dans l’aéronautique, elle venait régulièrement en Touraine voir son amie Clémence et d’autres, au début de leur relation. Elle se donnait l’impression de s’encanailler dans la bourgeoisie tourangelle.

Ça la changeait de son Berry natal.

Quelques restaurants sympas, quelques boîtes ou bars sélects et ses congés s’écoulaient ainsi gentiment, mais ça, c’était avant.

L’aventure T S W, pour laquelle elle était momentanément bloquée sur la route, allait fondamentalement changer sa vie. Elle l’avait secrètement toujours espéré.

 

Il y avait maintenant quelques années, Clémence avait rencontré la jeune Charlotte Moneyron au cours d’une soirée dans laquelle elles ne connaissaient ni l’une ni l’autre beaucoup de monde. Fréquent dans ces soirées dont les invitations circulent en réseau.

À mi-chemin de sa quarantaine, Clémence avait vécu plusieurs vies, d’abord dans l’enseignement puis grâce à son mariage, elle eut l’occasion d’accompagner son mari dans la promotion immobilière. À l’origine, ses études de droit la promettaient pourtant à un gros cabinet d’avocats relation de son père. Sa rencontre avec son futur mari contraria quelque peu les ambitions de son papa.

Elle aimait son indépendance tout comme Charlotte. Elles auraient pu être mère et fille, ou sœurs tellement de points communs les rapprochaient. En voyant Clémence, on pouvait facilement imaginer Charlotte dans quelques années. Cette ressemblance était souvent un sujet d’interrogation au cours de leurs sorties et rencontres, une façon comme une autre d’amorcer la conversation. Elles en jouaient et perturbaient les gens, et particulièrement les hommes.

 

— Alors vous êtes sœurs ou pas ?

 

Oui, la vie était facile certes pour elles deux. Leurs numéros de duettistes leur convenaient très bien.

Clémence était toujours mariée mais très libre, son mari occupé par ses affaires ne trouvait plus guère de temps pour sa femme qui se composait perpétuellement une nouvelle vie, le croyait-elle.

Charlotte était célibataire et ce n’est pas les quelques rencontres nocturnes qu’elle faisait qui allaient lui faire changer de statut ni les spécimens d’hommes qu’elle côtoyait ou croisait au cours de son activité professionnelle.

 

C’est bien connu, les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient. Pourtant il leur arrivait de tomber un tant soit peu amoureuses et là, l’élu était sinon la septième merveille du monde, au moins la cinquième. Il leur arrivait au cours d’une soirée un peu arrosée de s’épancher, l’une et l’autre sur leurs amours d’un soir, d’une semaine, d’un mois…. D’un été… Elles passaient la nuit ou ce qu’il en restait dans les bras l’une de l’autre, à égrener les photos de leurs smartphones. Elles se connaissaient depuis plusieurs années et comme pour fêter la date anniversaire de leur rencontre, elles se faisaient une soirée entre elles, chez l’une ou l’autre, et immanquablement cela se terminait avec la boîte de mouchoirs pas loin… Un rituel.

Aujourd’hui point de tristesse encore moins de larmes, ou alors si de rires. Elles rigolaient en évoquant les mains noires de leur chevalier blanc.

 

— Le pauvre… tu te rends compte dans l’état qu’il était ? Imagine si nous avions dû réparer nous-mêmes ?
— Tu rigoles on aurait appelé un dépanneur.
— Oui, tu as raison… mais tu sais en fin de compte il n’était pas si mal ce demi-sauvage.

C’est beau et excitant la force naturelle d’un homme mûr…

 

Ça, c’était Charlotte qui plaisantait… à peine… Clémence pouffa et répliqua.

 

— Tu ne vas pas me dire que tu craquerais pour un vieux ? t’es trop jeune ! moi encore… mais non pas toi, pas toi Charlotte.

 

Clémence jouait les effarouchées.

 

— Oh tu vas pas me dire toi, que tu ne l’as pas trouvé à ton goût je te connais quand même ?

OK, je ne te vois pas passer ta vie avec, mais le côté fumé et authentique, tu rejettes pas d’habitude.

 

Sur ce, elles partirent dans un fou rire, se demandant pour chacune où était leur part de vérité.

Elles s’interrogeaient du regard, et s’étudiaient l’une et l’autre en essayant de se fourvoyer pour ne pas trop se révéler. Un reste de pudeur peut-être, pourtant…

 

— Quand on va raconter ça aux copines, on va se marrer, on va leur dire, qu’il nous a proposé de passer chez lui nous remettre de nos émotions avec un verre d’eau ou un jus de fruits.

 

— T’as raison ! on va leur dire que s’il n’était pas digne d’un calendrier de rugbymen ou de pompiers de Paris, il était plutôt pas mal. On ne leur dira pas son âge.

 

 

Le reste du chemin ne fut que conjectures et rires, joyeuses de la farce qu’elles allaient faire.

 

 

Guillaume regarda sa montre, il avait mis presque quarante-cinq minutes au total. Le soleil était haut, il avait chaud, il transpirait encore.

« Mon bon cœur me perdra », se dit-il.

Il surveillait son chien du coin de l’œil, il reniflait partout, à la découverte d’un nouveau territoire.

 

Il rappela Ikem qui traîna un peu et fit quelques demi-tours avant d’obéir sous le ton plus autoritaire de son maître.

Il se demanda pourquoi s’était-il trouvé là à ce moment précis. Plusieurs autos étaient passées, quelques camionnettes, camions et motos. Il y en a bien un qui se serait arrêté. Et puis il y a les assistances…

« J’ai été con… » c’était péremptoire.

 

— J’ai été con mon Ikem ! ton maître est con ! insista-t-il. Le chien n’en avait cure.

 

Guillaume n’avait plus goût à sa balade, au lieu de filer et de finir son circuit, il fit demi-tour rageusement en continuant de maugréer.

 

— Je n’ai déjà pas la patience d’avoir une femme chez moi, qu’est-ce que je vais m’emmerder à en dépanner deux d’un coup, et qui se foutent de ma gueule en plus. Ah elles doivent bien rigoler pensa-t-il très fort, presque à le crier.
— Mais quel con ! éructa-t-il encore en frappant son volant. Décidément, il ne voyait pas comment se réconcilier avec la gent féminine.

 

De retour chez lui il gara son véhicule à l’abri du soleil et laissa tout en plan dedans. Il siffla Ikem qui sauta joyeusement du fourgon et reprit son éternelle inspection, levant la patte pour imprégner de nouveau sa propriété.

Guillaume se cala dos à l’arrière de l’auto et les mains dans les poches de son jeans se mit à penser et énumérer ce qu’il avait à faire, très vite il conclut qu’il n’avait rien envie de faire. Ces femmes l’avaient troublé. Il était incapable de savoir si elles l’avaient dérangé ou simplement troublé par leur fraîcheur, leur gaieté qui pour un autre que lui aurait été communicative.

Traînant un peu les pieds dans la poussière, il rentra chez lui.

 

Il se dirigea vers sa vieille platine et entreprit de mettre un 33 tours, concerto pour flûtes et violons de Mozart, la musique de « out of Africa ». Il adorait cette musique et non moins le film, l’histoire, les acteurs formidables.

 

— Après j’écouterai un peu de blues du début 20e. Ça va me remettre les idées en place. À moins que ça ne m’achève.

 

Bah… les congés commencent de façon spéciale. Il se fit un café et s’écroula dans son fauteuil, un beau Chesterfield marron, il l’adorait et savourait de se laisser tomber dedans. Après cela, il referait surface…

 

 

 

 

 

Les deux femmes arrivèrent sur leur lieu de rendez-vous et là aussi elles usèrent avec force de leur klaxon.

 

— Il ne manquerait plus que ce fût la cucaracha ! …

 

C’est le commentaire que fit l’une des filles du groupe qui les attendaient. Elle témoignait ainsi de leur impatience commune. Forcément, il fallait que Clémence se fasse remarquer, c’était toujours comme ça. Elle allait arriver en faisant son festival, précédée du bruit de ses talons de douze centimètres et des effluves de son parfum entêtant.

 

Celle qui s’exprimait ainsi à la volée pour les participantes qui voudraient bien l’entendre était Vanessa. Blonde à la coupe carrée et col Claudine elle pouvait passer relativement inaperçue dans le groupe.

Clerc de notaire de formation, elle n’avait pas la fantaisie des deux autres et même pas autant que la moyenne du groupe. Elle se sentait supérieure par son cursus universitaire et son statut à la ville. Elle avait d’abord ambitionné de passer notaire dans cette grande étude de la ville de Tours.

Pour elle aussi T S W, avait constitué un virage déterminant dans son parcours professionnel.

Elle était consciencieuse et cultivait toujours son relationnel dans les milieux d’affaire et des métiers du chiffre et de la santé. Son carnet d’adresses était on ne peut plus fourni. Elle ne se vantait pas de ces escapades entre filles.

 

Un certain nombre des femmes en présence avaient été en leur temps adeptes du binge-drinking ou de soirées sexe improvisées ou pas. Il arrivait parfois à quelques-unes de pratiquer les deux thèmes, autant pour se désinhiber que pour ne pas rester seules face à la complexité de leur vie. Elles avaient en commun une volonté farouche de réussir, en perpétuelle compétition avec les hommes dans la vie ou au sein de leur milieu professionnel. Elles s’étaient connues pour quelques-unes dans les grandes écoles, pour d’autres dans des réunions privées pour d’autres encore elles avaient été cooptées par le duo de choc Clémence et Charlotte.

Toutes avaient au moins un point commun qui les reliait entre elles. Elles constituaient un chapelet apparemment hétéroclite. Cependant à y regarder de plus près, elles étaient à des degrés divers, représentatives des femmes bien de leur temps.

 

Ce week-end de trois jours en commençant ce vendredi, avait été programmé pour différentes raisons. L’une d’entre elles, le fil rouge, était de fêter l’arrivée de la « petite dernière ».

 

Les associées pouvaient apporter leurs « filleules », qu’elles les aient invitées ou qu’une des membres du personnel leur ait proposées.

Mihra avait mis presque une année pour décrocher la sienne. La proposition s’était transformée en pari.

Au cours d’une manifestation tardive, qui finit comme souvent au petit matin par une introspection du groupe, nos chères copines en conclurent qu’il manquait une petite brebis blanche. Elles étaient des fêtardes de compétition il fallait relever un nouveau défi.

Elles se connaissaient bien et il leur devenait difficile de se surprendre. Le défi était de ramener une nouvelle, complètement décalée par rapport à leur groupe. Celle qui y arriverait en premier se verrait offrir un cadeau ou une prestation de valeur, pour cinq mille euros, payée par les « Twenty Special Women » comme elles se dénommèrent, les « T. S. W. ».

Au départ, il s’agissait d’une association informelle, puis sous le nombre grandissant, elle était devenue assez vite un groupe structuré et composé de sociétés diverses.

 

Clémence avait eu cette idée, comme toujours les autres n’osant contredire les décisions de cette femme particulièrement charismatique. Ni la plus jeune ou la plus vieille, ni la plus belle, ni la plus fortunée, ni celle qui avait le meilleur statut social ou meilleur parti masculin, mais elle rayonnait en tous lieux et circonstances. Son aplomb sa volonté son aisance et sa faculté de répartie refroidissaient les velléités, à défaut de rébellion, de contradiction du moins.

C’était elle aussi qui organisait ces festivités avec toujours des idées fantastiques et en des lieux suffisamment discrets pour ne pas voir remise en cause leur honorabilité. Pour celles qui étaient mariées, pour certaines mères de famille, et pour presque la majorité, elles s’inventaient une couverture. Et lorsqu’elles étaient à court d’idées qui interpellaient-elles ? Clémence, bien sûr et pour ce qui était de la touche imagination, Charlotte savait trouver la solution. N’étaient-elles pas des femmes de qualité ?

 

Comme disait Charlotte :

— Prenez une femme isolée, quels que soient ses avantages et qualités il y aura toujours quelqu’un qui n’aura de cesse de minimiser sa valeur, et de plus entre femmes, mes chéries… on ne se fait pas de cadeau. Imaginez un seul instant, la biche qui voudrait quitter notre sérail… il lui faudrait une bonne raison. Nous avons des dossiers les unes sur les autres…

 

Ensemble, elles rirent et acquiescèrent, au fond d’elles-mêmes, elles savaient le bien que leur apportait le groupe, mais elles n’ignoraient pas le mal qui pourrait en sortir.

 

Vanessa eut un sursaut, jamais il n’avait été question en dehors de cette fois-là de s’exposer à d’éventuels périls en cas d’abandon de poste. Car c’est bien ce qu’elle ressentit ce jour-là, elle était embarquée sur un voilier de plaisance aux multiples plaisirs, et chacune exprimant ses écarts et cherchant remède à ses tourments. Il ne l’avait pas effleuré qu’elle puisse connaître un risque le jour où elle quitterait l’embarcation.

 

Clémence Gallard revendiquait cette appartenance au groupe qu’elle avait initié, elle prétendait aussi qu’il avait permis de révéler une part d’elle-même insoupçonnée.

 

Elle travaillait depuis cinq ans environ dans une entreprise de communication, d’outils médias et informatiques, quand elle décida de trouver une solution à ses difficultés de gérer vie professionnelle et familiale.

Comme la plupart des femmes, elle s’épuisait à concilier ce qui concernait l’organisation de l’intendance et de la logistique quotidienne.

 

Elle avait donc décidé de créer une conciergerie professionnelle, destinée quasi exclusivement aux femmes actives.

Comme elle avait regroupé une vingtaine de femmes bénévoles au départ, l’association se choisit le nom évocateur de « Vingt Femmes Spéciales ». Leur inspiration délirante d’un soir les fît internationaliser leur appellation en « Twenty Spécial Women ».

Cela faisait « Super Women », « Wonder Woman » et c’était maintenant, plus que jamais dans l’air du temps avec les comics américains, ces bandes dessinées légendaires reprises par les studios hollywoodiens. Elles avaient bien aimé la notion de mission, un genre de sacerdoce.

 

Il lui avait fallu une dizaine d’années pour atteindre une taille internationale, puisque présente dans neuf pays européens. Elle avait imaginé composer, développer presque seule ce concept.

Au départ, elle présida une association de bénévoles, de femmes retraitées ou sans emploi pour proposer des services aux employées des entreprises publiques et privées.

 

Il ne s’agissait pas seulement de livrer des plateaux-repas, des pizzas. Mais bien plus efficacement de proposer des services de coiffure au bureau, des prises en charge de voitures pour révisions, des services de pressing, de gestion administrative, d’aides à la préparation d’évènements familiaux… Toutes sortes de services hyper chronophages pour ces femmes rarement secondées, et il faut le reconnaître aussi, pensant qu’un homme, leur homme ne pouvait pas bien faire ces choses-là. Pour autant qu’il accepte de les assumer.

 

Une partie significative de la croissance de son affaire était due à sa relation avec les hôtels de luxe. Après une approche de conquête, assez vite concluante, dans les hôtels quatre étoiles de sa région, elle avait démarché quasiment un à un, tous les palaces parisiens mais aussi de grandes métropoles françaises. Puis elle s’attaqua aux établissements belges, suisses dans un second temps.

Le niveau d’exigence était maximum mais la rentabilité du service offert était importante.

Ensuite, le développement passa par son activité auprès des grandes manifestations types salons internationaux. Les grands tournois de golf étaient une cible de choix. Les colloques nationaux, européens, tous rassemblements de prestige nécessitaient une offre qualitative de services spécialisés aux invités, convives, participants, aux vips qui étaient les porte-étendards de la société « Masters Services ».

Le sigle MS très stylisé apposé sur tous les supports de communication mais aussi sur les produits cadeaux de la société était une marque distinctive de prestige. Il témoignait avec sa notoriété toujours croissante, d’une haute prestation dans le service hôtelier notamment mais aussi dans biens des secteurs des services à la personne. À tel point que les participants de colloques, salons professionnels, les touristes, les personnalités, aimaient rapporter des échantillons et produits de la marque, en souvenir de leur participation à la manifestation qui avait eu recours à cette conciergerie haut de gamme.

 

De grands noms du luxe français, italien, japonais, collaboraient avec « Masters Services » pour diffuser leurs marques par l’intermédiaire de cette société.

Parallèlement aux produits spécifiques Masters Services, la distribution du type « Possession by MS », « Jérémy Stemper by MS » profitait à tous, comme une campagne de pub partagée. Il y avait des produits collectors créés spécialement par ces sociétés à l’occasion de grands évènements sportifs ou sociaux ou pour des réunions d’aréopages politiques et gouvernementaux…

 

Clémence n’aurait jamais imaginé que sa petite idée de dépannage service, prit une telle envergure. Son expérience dans la communication, sa personnalité et ses facultés de conviction avaient facilité son développement.

Le plus difficile n’avait pas été de convaincre les clients potentiels, non cela elle savait faire. C’était autre chose de recruter, former son personnel pour un objectif de haut niveau dans le service. Peu de personnes pouvaient tenir sur la durée, offrir des prestations de haut, voire très haut de gamme, et difficulté majeure, dans des délais défiant souvent l’entendement.

Quant à renouveler la performance pour en faire un véritable standard… Cela relevait de la prouesse.

Il fallait donc sélectionner des collaboratrices à son image, et les rémunérer à la hauteur des exigences.

Clémence avait dû faire preuve d’une imagination sans cesse renouvelée pour étoffer son offre et justifier de prix élevés à la mesure de la diversité des services proposés dans le catalogue… Les clients savaient qu’au-delà de ce recueil on pouvait tout oser demander à « Masters Services »… Rares étaient les réponses négatives et encore plus rares, avec le temps et l’expérience, les déceptions. Des clients des grands hôtels par exemple avaient participé à fidéliser la marque en ne voulant pas d’autres intermédiaires pour répondre à leurs demandes de services.

 

— Allo la réception ?... Pourriez-vous me fournir une personne pour m’accompagner pendant deux jours sur des visites de la ville, qui parle anglais et espagnol afin de m’assister auprès de mes deux invités ?... Quelqu’un de chez « M. S. » si possible et de préférence…

 

Un des points forts avait été de proposer des services et produits de nurserie dans les chaînes d’hôtels mais aussi les villages vacances et Centres de Tourisme. Les jeunes mères pouvaient se procurer le nécessaire pour leur bébé, du change au couffin, poussette, produits de toilette, etc. Elles avaient aussi la possibilité de louer les services de nurses pour s’occuper de leur progéniture. Pendant ce temps sans culpabiliser de délaisser leur enfant, elles se faisaient du bien dans les hammams, les centres de thalasso…

Au départ, ces services étaient l’apanage des grands hôtels, mais le succès rapide aidant, ces propositions Masters Services firent parties des réels attraits de tous les sites vacances qui les présentèrent.

 

Des enseignes, pas encore prestigieuses, avaient renoncé à leurs propres services « maison » pour collaborer avec « M. S. » et ainsi asseoir plus vite et mieux leur notoriété.

Voir ces produits et services dans les hôtels et salons signifiait que ces derniers avaient été choisis aussi par cette marque. Et c’était alors déjà un signe de qualité de l’hôtel ou de la chaîne moins prestigieuse que d’autres.

 

En résumé de son parcours, pour aussi témoigner de sa fierté, de sa volonté de voir perpétuer son travail, son idée de la société civile et professionnelle, et sous forme de boutade, elle avait souvent coutume de dire :

 

— Je n’ai pas quitté le « Club Personnalities », meublé de caciques et de nombrilistes pour me retrouver dans un groupuscule d’activistes, fussent-elles des femmes.

 

Elle rappelait ainsi son souvenir désagréable de sa première intégration dans un groupe d’hommes d’affaires, dont elle avait quelque peu forcé la porte de l’alcôve, « Elle les valait bien »… persiflait-elle presque sans humour…

 

Pendant un de ses périples professionnels en Grande-Bretagne, elle avait été plusieurs fois invitée chez les « Gentlemen’s club » de Londres.

Hauts lieux de l’autocratie masculine, où les traditions parfois éculées ne l’emportaient cependant pas, face à la volonté farouchement surannée de ne pas admettre la moindre mixité.

 

Ces clubs avaient les relents des salons qu’elle avait vus dans des films des années cinquante soixante, sur les colonies britanniques aux Indes ou en Afrique noire. Les boiseries certes rares mais lourdes, les cuirs certes classieux mais so classiques, les décors paraissant sortis de pillages de tombes ou de pyramides ou de trésors tribaux. Tout en son ordre et placement semblait entraîner son visiteur dans une remontée du temps. Les tapis, les tableaux, les ors et velours… tout était trop, too much… So british…

Et en plus, il fallait qu’elle soit en permanence accompagnée dans la visite de ces clubs. Et rappel humiliant de sa condition féminine, certains salons lui étaient strictement interdits. Certaines boissons aussi.

 

Elle ne supportait plus d’être chaperonnée et lorsque la parole lui était accordée, elle sentait cette condescendance hautaine, là aussi toujours so british, qui émanait de son auditoire. Même les silences lors de ces interventions lui semblaient plus commandés par leur désir de voir abréger son allocution. Il s’agissait pour ces représentants de la haute économie ou politique anglaise de reprendre au plus vite leurs échanges de certitudes en la suprématie de l’Union Jack, face à cette Europe cosmopolite et vaniteuse.

L’esprit insulaire, se disait-elle…

Depuis l’invasion des Vikings et des Anglo-saxons, cette île et ses occupants se sont renforcés dans leurs convictions des vertus de force quarantaines, qui éviteraient les pires sources de contaminations… Sanitaires mais aussi idéologiques et révolutionnaires… se plaisait-elle à caricaturer.

 

Madame Gallard était redoutablement reconnue dans son monde professionnel, non seulement en France mais aussi en Europe.

Elle avait pris des responsabilités au sein de la chambre professionnelle nationale des services à la personne, et à ce titre elle répondait régulièrement aux invitations de ses confrères étrangers.

Elle eut aimé à l’époque être recommandée auprès de consœurs, mais très peu figuraient dans l’intelligentsia européenne.

 

Souvent, elle trouvait que les hommes manquaient de simplicité et plus encore d’humilité, et ses relations étaient toujours empreintes de tentatives de séductions plus ou moins sourdes, parfois lourdes et quelques fois volontairement marquées de véritables manques de respect.

Comme si elle devait, pour reconnaître le pouvoir machiste de ces institutions, accepter ces débauches insultantes et salaces…

Si elle reconnaissait que certains de ces confrères pouvaient être charmants, subtils intelligents, séduisants… L’espoir d’aventure sombrait par leurs tentatives trop grossières à vouloir la connaître en position horizontale le plus rapidement possible.

À de rares exceptions, elle n’avait jamais répondu favorablement à ces propositions de joutes nocturnes.

Car point d’illusion, il ne s’agissait en aucune occasion d’aventures romantiques nourries par de véritables attirances sensuelles et sophistiquées.

Bien sûr, elle avait parfois favorisé les rencontres en ne déclinant pas ou que mollement les propositions de fin de repas, de milieu de nuit, de sorties de boîtes…

Elle ne les avait pas toujours regrettées… et elle eut aussi sa période débridée. Il n’y avait pas que les hommes de pouvoirs qui pouvaient s’enorgueillir d’une séduction infaillible et d’un tableau de chasse corporatiste…

C’était plus pour se persuader qu’elle pouvait contrôler ce genre de relation. Et puis ne pas être toujours seule le soir… dans des hôtels certes luxueux pour la plupart mais aux standards aseptisés. Les saunas et jacuzzis ne remplaçaient pas toujours la chaleur d’un corps masculin…

 

Elle avait souvent réfléchi au moyen d’entamer cette hégémonie masculine.

Elle était persuadée qu’en regroupant une vingtaine de compétences diverses, et exclusivement des femmes, il y avait plus à obtenir qu’avec des mélopées revendicatrices, pilotées par des égéries aussi efficaces soient-elles.

 

Charlotte Moneyron n’était pas le bouffon de la reine mais au contraire la caution de sa mission. Elle irait plus loin que n’importe qui et sans démolir le monde. C’est Charlotte qui avait eu l’idée de leur logo. Une abeille de la taille d’une reine, semblait-il, sur un fond d’alvéoles, une sorte d’armoirie, de blason.

Elles avaient beaucoup ri pour le choix de leur symbole. Elles n’étaient qu’une petite poignée au départ, déjà assez hétéroclite, à la recherche d’une identité visuelle et symbolique. Elles n’allaient quand même pas sortir en uniforme… Aussi sexy soit-il. Non elles préféraient voir les mecs moulés dans leurs pantalons et vareuses, plutôt qu’elles standardisées dans une coupe approximative d’une étoffe bon marché.

 

L’abeille c’était le choix proposé qui s’était rapidement imposé. Les abeilles comme les femmes étaient porteuses de vie, sans la pollinisation à laquelle elles participaient très assidûment, bien des espèces végétales ne verraient plus le jour ou subiraient forcément des modifications génétiques pour s’adapter. Par conséquent l’ensemble des espèces animales, se verraient aussi directement affectées. Les abeilles devenaient rares à cause de la pollution mortelle par les produits phytosanitaires, et à cause du frelon tigre en provenance de Chine… forcément…. Les abeilles nourrissent leur reine afin qu’elle garantisse la création puis l’envol d’un prochain essaim. Elles sont très structurées, ouvrières, nourrices, soldats, ventileuses…

 

— Et puis c’est plus sympa que les fourmis ! enchérit Françoise l’éleveuse bovine,

Tu peux poser ton derrière dans l’herbe sans te sentir envahie par une rousse ou une noire… je parle de fourmis hein les filles !

 

— Les abeilles produisent du miel ! claironna Judith… Comme nous !!!

 

Un tonnerre d’approbations aiguës et de commentaires plus ou moins gracieux et graveleux vint saluer cette découverte…

C’était définitivement une très bonne idée ce logo. Il signifiait tellement de choses, qu’il n’y avait pas besoin de l’expliquer.

Les équipières bien installées dans la vie pour certaines, en recherche de consolidation professionnelle ou personnelle pour d’autres, s’arrangeaient pour porter plus ou moins en vue ce symbole, sous forme de bague, de pendentif, d’accessoires divers ou de tatouage.

Qu’elles soient en quête d’une situation, d’un job, d’un avenir, qu’elles portent beau ou peu ou magnifiquement les marques tendance, le logo s’imposait, comme une personnalisation, comme une distinction statutaire.

Les tatouages… c’était de plus en plus souvent le choix des filles… pas forcément le premier… mais le choix le plus souvent évoqué en doublon… D’abord un qui se voit et ensuite un second qui se découvre…

 

— C’est chouette non ?

Une abeille sur mon sein gauche…

 

— Je me vois bien avec cette petite bête dans mon cou ou sur mes reins… ainsi même en petite tenue, on saura qui je suis. Je préciserai ainsi à celui pour qui je me suis dévêtue que je ne suis pas aussi nue qu’il le croit.

Et dard pour dard…

 

Les éclats de rire couvrirent la fin de la déclamation définitive…

Bien sûr, tout était possible, pourvu que ce fût validé par Clémence. Il fallait éviter le mauvais goût… mais où commençait-il ?...

 

Vanessa avait trouvé cela excitant.

Elle aimait cette émulation dans le groupe. Elle s’y trouvait bien et espérait apporter toujours plus.

Un jour, elle avait été contactée par l’une des fondatrices, pour les rejoindre, au départ d’une des filles du début de l’asso. Il n’était pas encore arrivé qu’une les quittât pour un autre avenir plus conventionnel et individuel.

Nouvelle recrue séduite et convaincue, elle se dit alors qu’il s’agissait d’une association de compétences pour le bien du groupe.

Rien de bien exotique dans l’ensemble. Des femmes en pleine activité et installées dans la vie locale se retrouvaient pour échanger, partager, et s’amuser. Le fil conducteur s’il y en avait un essentiel, c’était qu’elles se devaient assistance en général, et pour la promotion de la femme en particulier.

 

Le message avait toujours été identique ou à peu près.

 

— Entendons-nous bien les filles, pas question de faire la guerre aux hommes, ni la grève des sentiments ou du sexe, susurrait Clémence en provoquant rires et acquiescements. Nous avons affaire à des hommes charmants…

 

Rires…

 

— Pas question de les émasculer…

 

Rires et quolibets…

 

— Plus sérieusement, il nous faut vivre selon nos désirs et en conciliant nos vies de femmes, aussi diverses soient-elles, nous ne sommes pas des clones et il n’y en aura pas.

 

Clémence rappelait toujours, avec précaution et humour, ces quelques principes. Les week-ends semblables pouvaient se dérouler en petits groupes par affinités. Les hommes s’ils avaient été invités, auraient retrouvé là rien que de plus banal et coutumier dans les discussions de ces dames. Famille, enfants actuels ou à venir, maris, amants, copains, copines, mode, restos, boulot, sujets sociétaux, sport pour quelques-unes, étaient les sujets préférés.

Très rarement, la politique était leur thème, ou alors au cours de conversations liées à leur profession et dans le but de solliciter les affinités du groupe pour permettre à l’une d’entre elles d’évoluer.

 

Pour l’heure le groupe se complétait au fur et à mesure que les voitures arrivaient. Les effusions ; les embrassades et les cascades de compliments n’avaient d’égales que les toilettes très siglées et les chapeaux audacieux de la troupe.

 

Des valets en livrées non synchros avec l’époque du lieu, s’occupaient de ranger les voitures sous un immense préau à la charpente en châtaignier du 16e siècle. Des traiteurs finissaient d’aménager la salle à manger de ce beau manoir. Ne resterait que des serveuses pour le repas de ce vendredi soir et les suivants jusqu’au dimanche midi. Le réapprovisionnement se ferait, pendant que les noctambules dormiraient, à partir du petit jour. La consigne avait été donnée par Charlotte et ses assistantes, on ne devait plus voir aucun homme à partir de 9 h le matin.

 

Le lendemain soir samedi, devait avoir lieu leur soirée de gala avec la révélation de la gagnante à leur petit challenge. Il s’agirait de voter par sms, pour la recrue la plus représentative de l’idée des « T S W ».

Il y avait trois invitées sélectionnées, à leur insu, par des membres de la société. Elles avaient été ciblées pour leur profil particulier, digne de figurer dans le panel des « T S W » qui étaient maintenant bien plus que vingt…

Le vote serait tenu secret, il ne s’agissait pas de vexer les impétrantes. Il serait effectué par leur smartphone. Les résultats seraient communiqués par le même moyen, et l’intronisation se ferait plus tard.

La gagnante se verrait proposer d’intégrer le groupe à un poste en relation avec ses compétences.

C’était une cooptation d’un genre particulier et à vrai dire pas des plus flatteurs.

Déjà fallait-il se satisfaire qu’il n’y ait pas de bizutage par la suite…

Ce serait un des objectifs de la fête, avec diverses distractions toute la nuit. Chacune des membres de l’association pouvait inviter une à trois femmes, pour cette manifestation de prestige destinée à faire connaître l’objet de leur groupe. Comme toujours, le site des festivités était particulièrement accueillant, pour cette fois, le dévolu de Clémence s’était porté sur un mélange de baroque et de moderne. Un petit château du 15 et 16e siècle, dans un petit vallon, au fond de la campagne, un ruisseau à truites, dont elles n’avaient que faire, piscine indoor, des jacuzzis dont elles sauraient quoi faire, de la musique baroque donc et du métal…

 

C’était la dernière réunion de ce type de l’année et le plus gros budget festif aussi. Elles se disperseraient ensuite en emportant la valisette souvenir. Une production « Masters Services » très classe, remplie de produits cadeaux tirés du catalogue ou créés spécialement. C’était Noël avant l’heure.

Période qu’elles n’appréciaient pas forcement pour la plupart, voire qu’elles redoutaient ou maudissaient même pour certaines.

Elles ne composeraient pas dans le même registre certes, lors de cette prestation familiale.

Elles endosseraient leur rôle voire leur tablier, d’épouse ou conjointe, de mère, de fille modèle soucieuse de répondre aux attentes de leur communauté.

Agapes et festivités forcément plus fades, peut-être fastidieuses, mais forcément moins excitantes que ces retraites encanaillées.

 

Mihra Kéfir-Groyer, elle aussi était une pionnière du groupe, femme entamant sa quarantaine dans une quête de reconnaissance par ses coreligionnaires autant que par ses pairs professionnels. L’appartenance à ce groupe lui avait donné des ailes depuis une bonne décennie.

Son mari aussi l’avait vu évoluer en préservant son couple. 

 

Elle pédiatre, lui cardiologue, petite cinquantaine, divorcé d’une héritière d’une lignée de gros agriculteurs de la champagne berrichonne.

Il avait deux enfants de son premier lit, une fille, qui faisait sa médecine sur la ville, et donc en mimétisme quasi parfait avec son père. Un fils récemment parti pour des études de magistrat sur Bordeaux, après s’être éloigné d’une école d’arts plastiques. Il était revenu le fils prodigue de ces quelques années d’errements.

Ses parents n’avaient pas cherché à le dissuader dans cette première expérience. Lui voulait cependant ne pas rééditer le parcours du reste de la famille.

 

Mihra était discrète, intelligente et brillante, dans les dîners en ville, c’était sur elle que comptait son mari pour alimenter les conversations qu’elles fussent engagées ou futiles. Elle excellait et lui, aimait savourer ces moments d’isolement bien que siégeant au repas.

 

Ainsi ce mardi soir, environ trois semaines avant la réunion mensuelle des « T. S. W », Twenty Spécial Women, pendant ce dîner en ville du type de ceux qu’il abhorrait, d’un œil fermé Philippe Groyer regardait son épouse au travers de son verre de whisky écossais, ou de préférence de bourbon.

Il s’enivrait à écouter sa femme tenir la dragée haute à ces suffisants convives. Cet effet conjugué à celui de l’alcool le transportait loin de cette assemblée bigarrée, aux parfums trop présents qui s’entrechoquaient avec les relents d’une fin de repas.

 

Il n’était plus là, Philippe le mari. En alternant ses visées par chaque œil entre deux rasades, il s’imaginait déjà laisser sa femme ramener la voiture, et lui, glisser sa main sur la cuisse gainée de bas de son épouse, espérant ne pas avoir à négocier un quart d’heure d’intimité aussi torride qu’il le pourrait une fois regagné le lit conjugal.

 

Mihra lui refusait rarement son corps. Elle avait été follement amoureuse de son mari qui bien avant le groupe des TSW lui avait permis de se révéler aux yeux de tous. Et cela malgré sa timidité quasi maladive, au point de ne pouvoir entamer une conversation sans rougir abondamment et sans bégayer.

Philippe Groyer l’avait courtisée de longs mois, ne voulant l’effaroucher et la respectant pour sa classe et son intelligence. Il lui faisait des compliments en chapelets sans cesse, et toujours sincères.

Il était éperdument amoureux et déchiré par la peur de la perdre pour un autre homme qui la lui volerait. Il n’imaginait pas qu’elle puisse lui faire du mal en le quittant pour un homme plus jeune, plus beau, plus…. Tout… Et comme tous les hommes, il crevait de jalousie avant même que cela se produise. Qu’un autre puisse lui faire l’amour comme il lui faisait l’amour et comme elle aimait, cela le rendait fou de rage, et d’impuissance…

 

Il se demandait combien de temps il pourrait la retenir, il buvait de plus en plus, enseveli par son travail. Son cabinet fonctionnait très bien et son association avec ce jeune talent qui officiait dans la cardiologie du sport, avait fortement développé leur patientèle.

Il était tellement jeune cet associé, tellement bon, qu’il ne s’était pratiquement jamais résolu à l’inviter chez lui en cinq années de collaboration.

Seulement deux fois ! La première pour sceller leur association, la seconde à la sortie du bilan dix-huit mois après.

Il suffisait qu’il l’invite à dîner pour qu’il s’imagine déjà voir sa femme succomber au charme de ce beau spécimen.

 

Il souffrait en silence mais pas en sobriété… plus les années passaient, plus les enfants grandissaient et quittaient de plus en plus souvent le nid familial, plus il appréhendait de se retrouver face à sa femme. Elle lui était tellement supérieure qu’il se demandait comment encore, il se faisait qu’elle était avec lui.

 

Elle ne démontrait aucune lassitude, elle ne lui reprochait qu’à peine ses moments d’éthylisme.

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