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« Elle : Je n’ai jamais su véritablement qui était ma mère. Cette femme est restée pour moi un mystère de désolation… Quant à mon père, nous ne le croisâmes que jusqu’à nos trois ans. Lui : J’ai été obligé de faire don imaginairement à ma mère de mon phallus, pour combler son manque avéré, ce qui, bien sûr, ne fut pas neutre quand j’essayais plus tard de choisir la femme avec laquelle je désirerais vivre ! » Bernard et Priscilla vont entretenir, du fait de leur passé, une relation avec une profonde ambivalence. Leur affection est parfois assombrie par une haine qui semble suivre chaque sentiment d’élation comme une ombre maléfique. Avec Ma sœur et moi, vous êtes invités à découvrir leurs histoires troublantes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Guillaume a exercé en tant que professeur hors classe dans les Conservatoires de musique, complétant sa formation par des études en psychanalyse à la SPP et à l’ALI à Paris. Actuellement, il est conférencier et écrivain. Parmi ses œuvres notables en 2023, on trouve "Variations sur l’intime", qui propose onze tableaux à découvrir dans la galerie de l’intime, ainsi que "Le monde d’aujourd’hui", une réponse à Le monde d’hier de Stefan Zweig.
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Seitenzahl: 202
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Philippe Guillaume
Ma sœur et moi
Tu peux savoir
Roman
© Lys Bleu Éditions – Philippe Guillaume
ISBN : 979-10-422-4566-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ma sœur Priscilla me téléphona le 14 juin 2023, pour m’inviter à passer deux semaines dans le cadre de la pension Villa Kruger, située sur la Riviera vaudoise, au bord du lac Léman.
Chaque année, nous avions prévu de nous retrouver à Montreux, sur la sépulture de notre mère, décédée depuis une bonne dizaine d’années. D’habitude, nous prenions nos quartiers à l’Hôtel Le Léman, et je fus surpris de ce changement. Qu’à cela ne tienne, je pus rapidement constater que nous ne perdions point au change, loin de là ! L’Hôtel Kruger était situé dans un magnifique jardin d’un hectare avec accès direct au lac. Un petit paradis, avait-elle insisté, et ma chambre serait dotée d’un grand balcon qui donnait sur un paysage comme je les aimais ; romantique à souhait, ajouta-t-elle, comme pour m’en persuader !
Elle réussit à me convaincre. Deux jours plus tard, vers seize heures, j’étais déjà installé dans cette pièce royalement investie ! Arrivé en voiture, je n’eus aucun mal à me faire connaître, ma sœur ayant préalablement donné mes coordonnées à l’accueil. Je fus immédiatement conduit dans mes appartements. Trente mètres carrés de superficie ! Je jubilais ! Ah ! Comme était merveilleuse la vue qu’on avait de ma méniane dallée de marbre qui plongeait sur le lac et ses environs. Il était temps que j’aille remercier Priscilla pour ce beau cadeau qu’elle m’offrait élégamment, car cette chambre avait dû coûter une fortune.
Elle était assise sur sa terrasse confortablement allongée sur une très belle chaise longue à la structure en bois d’acajou. À mon arrivée, elle se lève d’un bond et me serre dans ses bras. Veux-tu, mon cher frère, que nous allions de ce pas nous recueillir sur la tombe de maman ? Tu sais comme elle aimait les fleurs en plastique ? Regarde le magnifique bouquet que j’ai acheté chez notre fleuriste de Montreux.
Je constate en effet la splendeur de cette gerbe de fleurs aux multiples couleurs, rouge, jaune, fuchsia, orange, le tout disposé dans un lourd et large vase d’au moins cinquante centimètres de longueur ! Quel poids, lui dis-je, en essayant de soupeser l’ensemble. Ne crois-tu pas que tu as exagéré les fleurs comme le choix de cet Hôtel ? Se retournant avec grâce, elle vient vers moi et, tout en m’embrassant sur la joue, me susurre à l’oreille : « j’ai gagné vingt mille euros au loto il y a une semaine. »
Toujours aussi rabat-joie, j’insiste et lui dis :
— Ce n’était pas une raison pour dépenser tout cet argent.
— Tu n’as pas changé Bernard, exaspérant et pingre comme d’habitude ! Tu connais pourtant ma devise : « profitons dès aujourd’hui des roses de la vie », car nous ne savons jamais ce que nous réserve l’avenir !
Nous nous rendons dans l’heure au cimetière et après avoir déposé nos fleurs sur la tombe, nous nous plaçons l’un à côté de l’autre devant celle-ci.
Le soleil resplendissait derrière nous et nos ombres fidèles et muettes nous devancèrent comme un désir inconscient qui me donne l’envie de m’arrêter sur leurs contours grotesques. Je demande alors à Priscilla de les photographier pour qu’on puisse les distinguer recouvrant la dalle de granite. Ce ne fut guère aisé pour elle, car il fallut qu’elle se contorsionnât pour éviter que l’on ne voie son téléphone portable. Le positionnement s’avérant trop contraignant, je décide de légèrement bouger de notre posture initiale. Elle me rétorque alors qu’il est bien difficile de reconnaître son Moi dans de telles caricatures.
Après avoir récité ensemble un Notre Père et un Je vous salue Marie, nous décidons d’aller baguenauder autour du Lac. Il faisait un temps magnifique et la fin d’après-midi s’annonçait prometteuse. Nous allions assurément assister à un superbe coucher de soleil. Revenant sur nos pas au bout de deux heures de marche, nous trouvons un banc à proximité de notre Hôtel et nous attendons que les rayons déclinant de l’astre millénaire flamboient à l’horizon de mille éclats dégradés de couleurs radieuses et fluorescentes. L’envie me prend de mettre mon bras sur l’épaule de ma sœur et tout en me tournant vers elle, je vois soudain ces quelques larmes qui coulent sur ses joues vermeilles. Je lui tends un mouchoir qu’elle saisit avec délicatesse et s’essuie l’ensemble du visage en sanglotant de plus belle. Elle me dit alors :
— Je n’ai jamais su véritablement qui était ma mère. Cette femme est restée pour moi un mystère de désolation. Les seuls souvenirs marquants qui me restent en mémoire pendant nos vacances, ce furent ces moments dramatiques où chaque fois elle se présentait à nous avec ce masque de douleur, après s’être charcutée avec un de ses robots domestiques dont elle raffolait ou encore, avec sa paire de ciseaux de couture dans cette entreprise de voiture d’enfant, à proximité de notre maison. Combien de fois avons-nous de notre fenêtre ouverte, entendu les cris de cette femme quand elle s’était blessée, le plus souvent profondément, en coupant les tissus qu’elle utilisait pour confectionner les nacelles de ces petites voitures. Ses cris déchirants résonnaient jusqu’à nous dans un déluge de souffrance qui semblait nous être adressé ! C’était immédiatement le branle-bas de combat, tout le monde devait s’en inquiéter et se déplacer au risque d’un danger imminent pour sa modeste personne ! Nous partions alors tous ensemble à la clinique la plus proche et étions contraints de rester pendant des heures aux urgences avant qu’elle n’en sorte avec cette affliction qui nous assurait qu’il faudrait tout prendre en charge à la maison pour soulager la pauvre femme de ses pulsions de mort qui la taraudaient jour après jour. Mon Dieu !
Quant à notre Père, il n’était pas souvent à la maison et nous ne le croisâmes que jusqu’à nos trois ans, à l’âge de l’Œdipe. Il disparut après sans laisser d’adresse, ce que maintenant, avec le recul, je peux comprendre, tellement ma mère, même avec nous, semblait enfermée dans une armure dans laquelle elle piétinait, sans amour, sans tendresse, sans affection. Ce fut aussi, malheureusement, ce que notre père, trop longtemps, eut à subir au centuple, sans échanges charnels en plus ! Que dire également de cette phrase combien de fois répétée par notre mère et pendant des années après son départ : « Ton père pour ne pas le nommer ! » Te rends-tu compte du désastre sur notre psychisme d’un tel propos ? Plus d’une fois, j’aurais voulu le lui faire avaler comme on étouffe quelqu’un avec un foulard en lui enfonçant progressivement dans la gorge. J’ai fini, je ne te le cacherai pas, par développer une haine farouche et définitive pour cette femme. Se tournant vers son frère :
— Et toi le psy tu ne dis rien ?
— Je n’ai rien d’autre à rajouter ma chère sœur. Notre mère avait effectivement une structure avec un gros noyau obsessionnel. Cela a été ravageur pour moi, mais je n’avais pas pensé que ce le fût autant pour toi. Car la névrose obsessionnelle d’une mère est cliniquement beaucoup plus ravageuse pour un fils et un mari.
— Que veux-tu dire ?
— Souviens-toi de la façon entre autres qu’avait notre mère de détruire le désir. La haine symbolise ce qui est hors narcissisme. Dès lors, penser, compter, travailler, prier journellement deviennent d’excellentes couvertures du désir, un excellent moyen de s’empêcher de désirer et de renoncer à l’obscur objet du désir ! Mais son moi s’étant épuisé à devoir maintenir autant de défenses, son sujet entrât dans un état dépressif qui ne semblait avoir d’autres motifs que de se nuire à elle-même ! Et pourtant nous en fûmes particulièrement affectés corps et âme.
Quant à moi j’ai été astreint de réparer un dommage (ma mère n’avait pas le phallus dontj’avaishérité), celui de me faire le chevalier, le serviteur servant, le boy de la dame, pour renoncer à l’usage de mon propre organe et lui en faire don imaginairement. Ce qui, bien sûr, ne fut pas neutre quand j’essayai plus tard de choisir la femme avec laquelle je désirerais vivre ! Car l’obsessionnel que je suis devenu grâce à elle, n’eût affaire depuis, qu’à trois sortes de femmes, clinique oblige et se vérifie, une pour baiser, une à aimer et une à désirer ! Celle à aimer étant la femme imaginaire en tant que représentante du phallus, la femme à baiser, qui est le phallus et la femme à désirer purement symbolique. Eh oui ! Tu comprendras pourquoi nos frères humains qui ne vivent qu’en prenant en compte la seule réalité, aient tant de difficultés à résoudre cet impossible à vivre et de le rendre un tant soit peu possible. Quand proposerons-nous, au plus tard vers l’âge de 12 ans, d’accéder à la compréhension de cette autre scène ; de ce sujet du désir refoulé, mais intimement lié à ce grand Autre : notre mère !
Car enfin et nous en sommes pour la majorité toujours là, depuis de nombreuses années et présentement plus de sept décennies en ce qui concerne ma modeste personne ; jamais je ne me suis posé la question, pourtant fondamentale : Avec qui avais-je échangé corps et âme depuis ma naissance ? Toute ma vie jusqu’à mon analyse, pas une seule fois la question ne me vint à l’esprit : Qui donc s’était penché sur moi quand je n’étais encore qu’un bébé, totalement dépendant de cet Autre, que j’appelais plus tard ma mère ? Et toi, chère sœur, la connais-tu beaucoup plus aujourd’hui, maintenant qu’elle est décédée ? Que dire aussi de nous ? Croyons-nous vraiment nous connaître ? Et même quand tu discutais avec tes semblables, ces « petits autres » qui finalement n’étaient pour toi encore, plus étrangers qu’étrangers ! Quand tu aimais ou haïssais, pour quelles raisons as-tu été contrainte durant de si longues périodes de questionner ces trop nombreuses aberrations de comportements, les tiennes comme celles de tes semblables, te confrontant régulièrement à cet impossible à vivre avec eux ? Qui était donc ce Père, cette mère, ce frère, et ces deux femmes pour moi qui l’une après l’autre sans rien en savoir véritablement, décidèrent de devenir mes compagnes et moi dans la totale ignorance de ce que je pouvais être à l’époque, leur compagnon ?
Qu’étaient-ils tous ces êtres humains pour qu’ils remplissent de cette manière l’espace et le temps, comme si nous eussions dû leur accorder sans réfléchir une totale confiance. Il fallut aussi que nous adhérions sans réflexion à quelques-uns d’entre eux, dont on nous assurait de leur consistance jusqu’à les nommer pour certains comme des repères fondamentaux indispensables à notre devenir !
Durant nos vingt premières années, nous restâmes dans ce méconnu de nous-mêmes et de tous ces êtres qui nous entouraient.
N’était-ce pas ce que vous vécurent chers lecteurs comme nous tous, lors de vos premières années de vie ?
L’important et je peux te le révéler aujourd’hui, c’est ce que je ressentis à ce moment clé de mon existence ; à mes vingt ans ! Je pris soudainement conscience qu’un certain équilibre existait en moi que je décrivais subséquemment comme un socle en béton inaltérable. Je m’en aperçus un jour par hasard, quand un de mes camarades de fac me proposa de la drogue que je refusais d’un non catégorique, venu du tréfonds de mon être ! Mais aussi plus tard quand je créai en tant que pianiste, en marge de mon poste de professeur des conservatoires, le groupe de free-jazz Confreectuel, où trois de mes acolytes s’adonnèrent au pilon. Pilon que je récusais de la même manière fermement, jusqu’à dissoudre le groupe qui refusait résolument de persévérer à créer sans cette drogue. Je continuai alors ma carrière de professeur de Conservatoire, de compositeur de musique contemporaine et de soliste sans déroger à cette règle. Mais sans jamais comprendre d’où pouvait venir ce « non », si difficile à prononcer pour certains de mes frères humains lorsqu’ils étaient confrontés aux mêmes tentations proposées par leurs « petits autres » !
Je t’entends déjà me dire ; que cherche-t-il à me faire comprendre avec ce terme de petit autre ?
Eh bien c’est sous la forme de l’autre spéculaire (notre propre image dans le miroir) que nous percevons également l’autre notre semblable. Surprenant j’en conviens ! Notre conquête de l’identité est sous-tendue de bout en bout par la dimension de l’imaginaire. Quand tu étais enfant et que tu t’es regardée la première fois dans le miroir, tu t’es identifiée à partir de quelque chose de virtuel à savoir une image optique qui n’était pas toi comme telle, mais dans laquelle tu t’es reconnue. Mais ce n’était qu’une reconnaissance imaginaire ! Néanmoins tu as acquis rapidement la conviction que cette image était la tienne. En te reconnaissant à travers cette image, tu as récupéré la dispersion « du corps morcelé », celui que ta mère (dernier maillon de sa génération matrilinéaire) avait modelé avec son toucher et son langage, en une totalité unifiée qui allait devenir la représentation de ton « corps propre », mais morcelé. C’est cela ton identification primordiale. Mais tu auras compris la prévalence de la dimension de l’imaginaire, car cette reconnaissance de soi, s’est faite à partir de l’image d’un miroir et donc extérieure et symétriquement inversée… Tu as l’air surpris de ma formulation ? Symétriquement inversée, eh oui ! Quand tu regardes dans la glace ta main droite, c’est la main gauche de l’autre en face que tu vois ! … Sais-tu pourquoi certains enfants ont des difficultés à faire la différence entre la droite et la gauche ? Il suffit que tu t’imagines à la place de ce bébé que l’on change sur sa table à langer ; quand il regarde sa mère qui tend sa main droite vers lui, et même s’il n’en a pas conscience, c’est la main gauche de celle-ci que ses yeux sont obligés de voir. Oh tu peux t’esclaffer, c’est néanmoins « spéculaire », voire spectaculaire ; tu as raison de le souligner ! Bien sûr, de tout cela tu n’auras aucune prise de conscience ma chère sœur, susceptible de te faire comprendre ces procédés auxquels tu as été assujettie durant toutes ces années. Car du même coup, c’est l’unité du corps elle-même qui s’ébauche comme extérieur à soi et inversée. Ce premier temps de l’expérience, tu l’auras compris, témoignage en faveur d’une confusion première entre soi et l’autre, d’où cette méconnaissance chronique que tu ne cesseras au cours de ta vie d’entretenir avec toi-même.
C’est cette captation par l’imago de la forme humaine qui poussera l’enfant dans ce transitivisme normal à savoir comme nous le dira Lacan (Écrits) : « L’enfant qui bat dit avoir été battu et celui qui voit tomber, pleure » ! Les conséquences ? Considérables, parce que c’est à partir de l’image de l’autre que ton sujet accédera à son identité. Tu comprendras de ce fait qu’on peut donc parler d’une dialectique de l’identification de soi à l’autre et de l’autre à soi. Par conséquent, quand un sujet communique avec un autre sujet, il advient, en raison de la division opérée par le langage, que c’est un moi qui communique à un autre moi, mais semblable à lui. Il en résulte que parler à un autre revient inévitablement à entretenir un dialogue de sourds avec lui ! Dès que nous nous servons du langage, notre relation à l’autre joue tout le temps dans cette ambiguïté.
Oui tu as raison, si nous le savions, nos relations humaines évolueraient enfin dans le bon sens. Mais ton moi n’est qu’une construction imaginaire et en aucun cas ne pourra de ce fait se prendre pour un « je », car il apparaît irréductiblement inféodé à la dimension de l’autre. Seule l’analyse finira par lui donner sa consistance !
Il est intéressant de noter que mon « non », ce refus de m’identifier à mes congénères et de ne pas répondre à leur demande de participer avec eux à fumer de la drogue, a mis en exergue ce « je » qui s’opposait à ce transitivisme si souvent à l’ordre du jour sur le champ du social. Ce socle bétonné que je ressentais en moi n’était autre que mon surmoi acquis au contact de l’éducation que la génération m’avait donnée. Je peux quand même remercier notre mère. Toi aussi par la même occasion tu peux t’y autoriser.
Il ne serait pas exclu non plus que ce « socle » ait puisé sa consistance encore plus profondément dans mes petites cellules grises. Je voulais dire dans mon passé d’enfant. Car comme nous l’avait dit Lacan : « le Moi ne peut prendre sa valeur de représentation imaginaire que par l’autre et au regard de l’autre ». De fait, l’identification de l’enfant à son image spéculaire sera rendue possible dans la mesure où elle sera soutenue d’une certaine reconnaissance par le regard de la mère. C’est ce qui a dû se passer me concernant. J’ai pu me reconnaître pleinement dans ma propre image dans la mesure où j’ai parfaitement pressenti que ma mère m’identifiait déjà comme tel. J’ai reçu ainsi du regard de l’Autre (ma mère) l’assentiment que l’image que je regardais, était bien la mienne ! Il n’est pas certain que mes drogués aient eu la chance d’une telle reconnaissance, d’un tel regard. Tous ceux qui n’auront pu avoir cet aval du regard du grand Autre (la mère) dans le miroir, développeront durant toute leur existence des fragilités existentielles qui pour faire amarre nécessiteront des inscriptions symboliques (piercings, tatouages, etc.), mais aussi seront à l’origine des difficultés pour certains à trouver du plaisir à se regarder dans un miroir.
Sur un tout autre registre, mais toujours en mettant en évidence l’importance du miroir et du regard, il me vient en mémoire ce raisonnement de François Perrier (1971), psychiatre et psychanalyste. Il affirmait que si dans le regard que la femme se lançait dans son miroir à elle pour se narcissiser, pour s’identifier à une autre, pour se faire belle ou se faire aimer, ou se faire désirable, si elle n’avait pas, en quelque sorte, deux autres regards en réserve dans sa propre prunelle pour la soutenir vis-à-vis de l’impossible question du désir et du plaisir, elle s’exilait dans l’insupportable d’être aimé ! L’amour de l’homme était dès lors une agression qui déclenchait en elle une fuite, ou une haine passionnelle ou une exigence de trahison !
As-tu vérifié qu’il n’en était pas de même pour toi ? Ou possèdes-tu aujourd’hui, cette intuition du devenir qui te permette à chaque rencontre, où tu te sens une attirance vers un homme, de percevoir en toi cette certitude d’être riche de cette identification qui te permette de te sentir belle, désirable prête à pouvoir te faire aimer et surtout de partager, amour, tendresse, reconnaissance du désir et désir de reconnaissance avec lui ? Non ! bien sûr, tu vas te laisser captiver, charmer par ce sempiternel « coup de foudre », aux risques, si tu quittes après quelque temps, l’illusion de ce moment narcissique, d’être étonnée de découvrir le véritable sujet caché derrière le masque du bonheur qui très vite se transformera en bon-heurt. Ce que Freud appela la double inscription conscient/inconscient et Lacan en topologie la bande de Möbius !
— La bande de quoi ?
— C’est Möbius au XIXe siècle qui après avoir bouclé la ceinture de son pantalon s’aperçut qu’il lui avait fait opérer un demi-tour, donnant l’illusion de deux faces. En ce qui me concerne, cela m’arrive très fréquemment ! Mais lui, frappé par cette carence, décida de lui donner son nom : « Le ruban de Möbius ». Lacan fera une analogie entre cette bande de Möbius dont la propriété est l’unilatéralité et ce que Freud avait appelé « la double inscription », où un même signifiant pouvait avoir des significations conscientes et inconscientes : « Les noms du père »/« Les non dupes errent ».
Nous avons tellement eu l’habitude de vivre au jour le jour durant notre jeunesse, sans nous poser finalement la moindre question, que durant notre existence, nous laisserons passer tous les signes avant-coureurs qui pourtant étaient omniprésents. Le seul problème majeur c’est qu’ils étaient sur une autre scène, sorte de contrepoint structural à notre vie de chaque jour ! Tu ne dis rien Priscilla ?
— Je te laisse faire comme à l’accoutumée ta conférence. Je pressens à tort peut-être que tu n’as sûrement pas encore fini ! Tu peux continuer mon Bernard adoré, c’est très intéressant, mais je profite en même temps du merveilleux paysage. Regarde, il ne reste plus que la moitié du soleil à l’horizon et c’est d’un rouge ensanglanté qu’il disparaîtra bientôt comme aspiré par des fonds marins vampiriques.
— Chère sœur ! je ne te connaissais pas ces envolées poétiques dignes des « Chants de Maldoror » d’Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont !
J’en venais, il est vrai, à vouloir te décrire un moment heureux de nos existences humaines, mais qui malheureusement sera de courte durée. Tu vas enfin ressentir comme une bénédiction le fait que je ne sois plus contraint d’appréhender sous mes paupières, cet œil perçant qui passe son temps, m’avais-tu dit, à diagnostiquer et voir le mal partout.
Bref, parlons maintenant de l’arrivée heureuse de l’enfant au sein, si j’ose dire (rire), d’un couple.
— Je n’ai aucune mémoire d’un tel épisode de mon existence, ayant refusé d’avoir des enfants à élever, dans un monde comme le nôtre en pleine déliquescence !
— C’est volontairement empêcher une nouvelle génération, de changer ce monde ?
— Je t’en prie, tes propres analyses et celles de tes auteurs préférés, Freud, Lacan, Melman et le philosophe Stiegler, vont toutes dans le sens d’une extinction de notre humanité à court ou plus ou moins long terme. Je te rappelle la citation préférée de ton Charles Melman, ô combien pessimiste et que j’ai fini par apprendre par cœur, tellement je te l’ai entendue dire : Le vœu profond de l’humanité, c’est de disparaître. C’est l’accomplissement de la pulsion de mort. Freud s’en était étonné, mais c’est le vœu de l’humanité. Et d’une certaine manière, nous sommes en marche vers sa réalisation.
— Malheureusement c’est encore plus d’actualité aujourd’hui ma chère sœur j’en conviens. Mais avant que la luminosité du soleil couchant disparût complètement, permets-moi de revenir à ce côté positif que je souhaitais te développer concernant la naissance d’un enfant au sein d’un couple originaire, formé, faut-il le préciser, à notre époque, d’un Père et d’une mère !
Mais avant, si tu veux bien, je vais te poser une question difficile et qui nous fera remonter dans le temps à des milliers d’années en arrière ; au tout début de notre humanité, à l’époque des Hommes dits primitifs. Autour de quoi avait-il souvent l’habitude de se réunir ? Cet objet était-il à demeure, exposé au sein de la tribu ?
— Le Totem ?
— Bravo, chère sœur, le totem ! Eh bien, en ce qui nous concerne, nous l’appelons aujourd’hui le Phallus. Il est à notre époque omniprésent au milieu de chaque famille, chaque institution, dans ce que Lacan a nommé le réel. Réel qui n’a rien à voir avec la représentation du monde extérieur ! Mais il revient dans la réalité à une place où le sujet ne le rencontre pas, sinon sous la forme d’une confrontation qui réveillera celui-ci de son état ordinaire. La dépression en est un exemple parmi d’autres et plus grave, les hallucinations.
Ce phallus, la femme qui est enceinte va pouvoir inconsciemment l’appréhender au niveau de la protubérance progressive de son ventre qui lui fera découvrir qu’elle l’a enfin. Sa joie sera alors d’autant plus grande et les rires tonitruants de l’hystérique ponctueront cette période d’élation. Mais le totem, il va falloir que chaque membre de la famille se positionne par rapport à lui. Et c’est déjà là que les ennuis vont commencer ; structure de chacun oblige !
La mise en place de ce signifiant Phallus (être ou l’avoir), entre le père et la mère est fondamentalement structurante pour l’enfant (mais dans les meilleures conditions qui ne serontquerarement réunies.)