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Le monde d’aujourd’hui vous invite à contempler la réalité actuelle qui semble étrangement parallèle à celle d’autrefois. Il rappelle que l’Homme, loin de faire l’histoire comme l’affirmait Sartre, est condamné à la répéter inlassablement. Ceci à travers un ensemble de thèmes brûlants, tels que la vieillesse, la sixième extinction de masse, la question de Dieu et de cette mystérieuse « bête féroce » qui le caractérise, pour n’en nommer que quelques-uns. Ce livre vous emportera aussi dans un rêve éveillé, vous offrant la chance de vivre un bonheur insaisissable à la lecture de la dernière nouvelle.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Guillaume mène une double carrière de musicien et de psychanalyste, qui influe grandement sur sa plume. Parmi ses œuvres notables figurent "Le bonheur allant vers", édité en 2010 aux éditions Elzevir, ainsi que "Variations sur l’intime", publié par Le Lys Bleu Éditions en 2023. Le monde d’aujourd’hui puise son inspiration dans l’écrit de Stefan Zweig, "Le Monde d’hier", paru en 1996 chez Librairie Générale Française. Ses publications représentent autant de tableaux reflétant sa réflexion sur la société et la vie.
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Seitenzahl: 300
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Philippe Guillaume
Le monde d’aujourd’hui
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Philippe Guillaume
ISBN : 979-10-422-0720-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je ne peux rien enseigner à personne, je ne peux que les faire réfléchir.
Socrate
J’étais venu participer à une série de conférences climatiques qui se déroulait à Montpellier. Plusieurs intervenants, depuis deux semaines, avaient essayé de traiter la difficile question de la « transition écologique ». L’organisateur m’avait invité parce qu’il me connaissait, mais aussi pour l’originalité du titre de mon exposé : « Pour que le monde d’aujourd’hui ne se défasse pas, commençons plutôt par la transition psychique avant de privilégier la transition écologique ! ». Ma conférence, à l’opposé de la thématique annoncée, devait conclure ce cycle de réflexions à dominante écologique. À vos risques et périls, m’avait rajouté le programmateur avec humour, n’étant pas persuadé que j’eusse forcément un bon impact, face à ce public en majorité « écolo » !
Il ne fut pas déçu, et le public présent non plus. Je peux même dire que les deux en sortirent comme déboussolés par mes raisonnements. Nonobstant, certains d’entre eux souhaitèrent que je revinsse pour leur permettre d’approfondir les thèmes développés. Ils les avaient trouvés, me dirent-ils avec enthousiasme, difficiles, mais passionnants.
Je pensais depuis fort longtemps que l’erreur des politiques avait été de croire que la préoccupation majeure pour le devenir de notre humanité dût être en priorité « la transition écologique » ! J’essayai, pour mon public, de démontrer qu’il n’en était rien ! Je tentai de les convaincre que seule la « transition psychique » aurait permis, depuis longtemps, de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions aujourd’hui.
Je m’évertuai donc avec détermination, à leur faire comprendre à partir des savoirs de ce XXIe siècle concernant le psychisme humain, depuis Freud jusqu’à Lacan, qu’il était possible d’élaborer, aux frontières de l’utopie, une éventuelle porte de sortie, pour que ce monde ne se « défasse pas », nous avait dit Camus !
Pour en convaincre les plus récalcitrants et en rapport avec les événements que nous étions obligés de vivre malgré nous aujourd’hui ; j’introduis mon propos par cette guerre fomentée par la seule Russie et qui avait envahi l’Ukraine aux portes de l’Europe. Je leur soulignais qu’un tel procédé nous confrontait de nouveau à ce jeu d’opposition entre une énième possible guerre mondiale et ce que notre génération avait déjà vécu depuis 1945, à savoir cette pseudo période de sécurité sociétale. Pour étayer mes convictions sur la similitude entre le monde d’hier et ce monde d’aujourd’hui, je citais les commentaires de Stefan Zweig dans son livre, Le monde d’hier, datant de 1942.
Dans son chapitre : « le monde de la sécurité », il appuyait fort pertinemment sur le fait que tout événement extrême et toute violence paraissaient presque impossibles dans ce qui était devenu à cette époque de l’avant-guerre de 1914 une ère de raison. Mais au moment de la déclaration de celle-ci, il décrit l’événement par cette phrase aux résonances dramatiques dans son inéluctable et fatale répétition : Nous avons dû donner raison à Freud, quand il ne voyait dans notre culture qu’une mince couche que peuvent crever à chaque instant les forces destructives dumonde souterrain. Phrase qui deviendra le leitmotiv des guerres de 1914, 1939, et pourquoi pas celle de 2023 ?
C’était le « ça » freudien, cette partie de notre psychisme la plus chaotique et la plus obscure, animée pulsionnellement par des forces inconnues et immaîtrisables. Cette « bête féroce », nous avait dit Lacan, caractérisée par son inéluctable répétition et son existence souveraine aux antipodes de nos prédictions bibliques. Ce « ça », leur répétais-je, maintes et maintes fois, était à l’œuvre depuis les origines au plus profond de l’âme humaine et pour les siècles des siècles ! Ne pas vouloir en prendre conscience continuerait fatalement à confronter notre humanité déjà décadente, à cette sempiternelle répétition dramatique ! L’Homme ne fait pas simplement l’histoire comme nous le disait Jean-Paul Sartre, il la répète indéfiniment !
Pour soutenir mes commentaires sur ce sujet primordial que représentait pour moi cette « transition psychique », je m’appuyais durant toute cette conférence sur différents écrits comme Le monde d’hier de Stefan Zweig et mes auteurs préférés de Freud jusqu’à Lacan ; mais aussi sur les développements de mes livres à savoir : Paysages lointains, La faim du monde, Réalité ou autre scène ?, La femme et l’Amore, et mes onze tableaux de Variations sur l’intime.
L’impact fut mitigé, c’était normal, il y a chez l’Homme une volonté d’ignorer toute Autre scène risquant d’affecter sa subjectivité. Il préférait se complaire dans ce « palais des mirages » qu’était son Moi et qui ne voyait le monde qu’à travers des images. Comme nous l’avait dit J.D. Nasio dans son livre, Les yeux de Laure : Ce Moi-images qui n’apercevra qu’un monde-images, sous l’égide du désir sexuel signifié par le signifiant Phallus. Les publicistes depuis longtemps nous manipulaient allégrement avec toutes ces connaissances ! Quant à nous, nous nous laissions de façon permanente illusionner par le sujet de la science qui ne répondait qu’au besoin et à la demande, bâillonnant systématiquement le sujet du désir, celui de l’inconscient.
La conférence terminée, après avoir été submergé par de multiples questions, mais aussi de nombreuses calembredaines, je sortis tant bien que mal de l’Université, exténué par si peu de reconnaissance et autant d’agressivité à mon égard.
Juste au moment où je me dirigeai vers le parking du centre-ville pour récupérer ma voiture hybride, une passionnée d’un âge avancé, jolie femme d’au moins quatre-vingt-cinq ans, vint à ma rencontre en me demandant si éventuellement nous pourrions nous asseoir à la terrasse du café qui faisait le coin de la rue ? Elle souhaitait, me dit-elle, échanger avec moi sur ce que j’avais développé, mais aussi me questionner sur mon cheminement personnel.
— Vous êtes journaliste, chère Madame ?
— Que nenni, Monsieur, rassurez-vous. Je ne suis qu’une simple admiratrice de votre savoir !
Pendant un instant, je me suis surpris à hésiter. Allais-je une nouvelle fois répondre à la demande d’une hystérique notoire en quête de vouloir me questionner, séduite par mon désir d’avoir voulu en savoir un peu plus que les autres ? Car l’hystérique va toujours chercher son désir dans le désir de l’autre !
J’acceptai finalement, fatigué par ma performance publique, mais aussi animé par mon envie de reconnaissance, tout en avalisant sa « reconnaissance de désir de désir », pensai-je intérieurement avec un léger sourire ; mes connaissances psychanalytiques et mon analyse, me permettant de rester bien ancré sur mon piédestal.
Nous nous assîmes à la terrasse de cette brasserie et commandâmes chacun une boisson différente. Je fus surpris par son choix, celui d’un double whisky en plein après-midi ? Elle prit la parole :
— En dehors de votre obligation de proposer une image adéquate à vos interventions en tant que conférencier, comment voyez-vous le monde d’aujourd’hui du haut de vos idéaux personnels ?
Surpris par la question qui risquait de m’engager à nouveau dans un monologue piégeant où je mettrais effectivement à découvert mon désir de Maître du savoir, je lui renvoyai la balle :
— Avez-vous été intéressée par les thèmes abordés lors de ma conférence ?
Bien sûr ! me répondit-elle avec un sourire charmant. Mais c’était dans le cadre de votre conférence. Là, nous sommes dans une certaine forme d’intimité. Elle posa sa main sur la mienne. Je la retire sans ménagement.
— Que cherchez-vous et qu’attendez-vous de moi, chère Madame ?
— Que vous me fassiez le privilège de me raconter votre vie à partir de votre naissance. En quoi cela m’intéresse, pourriez-vous me demander ? Eh bien, sachez que j’ai connu vos parents à Nice ; vous aviez cinq ans ! Ils résidaient au Mont-Boron et nous étions voisins. Vous devriez avoir aujourd’hui, si je ne m’abuse, aux alentours de soixante-dix ans, n’est-ce pas ?
Je ne répondis pas immédiatement. Pour la première fois, je pressentis quelle épaisseur de secret cachait cette mise à jour d’une vérité que je trouvai franchement pénible, ne connaissant cette femme ni d’Eve ni d’Adam ! Je compris que je n’échapperais pas à son désir d’en savoir un peu plus sur ma vision de ce monde d’aujourd’hui. Après tout, me dis-je, elle sera assurément une auditrice des plus attentive. Je savais en plus que d’ici une semaine, je devrais être à Lyon pour tenir la même conférence. Comme celle-ci ne m’avait pas entièrement satisfait quant à son contenu et son impact vis-à-vis du public, je pourrais ainsi m’exercer plus à propos pour la prochaine ! J’acceptai donc !
Elle se leva et de façon surprenante, m’embrassa sur la joue, juste avant de se rasseoir. Je suis tout ouïe, me dit-elle avec ce sourire qui lui donnait trente ans de moins !
Je commençai enveloppé par les effluves de son parfum Shalimar :
— Depuis 1949, date de ma naissance après les deux grandes guerres de 1914 et 1939, mes parents à l’époque eurent sûrement conscience qu’une nouvelle ère de prospérité et de « bonheur » serait enfin possible à l’horizon de ce XXe siècle.
En ce qui me concernait, malgré cette élation familiale et cette alacrité sociétale qui aurait dû me convaincre d’adhérer, comme mes parents, à cette nouvelle existence au prime abord idyllique, je fus, indépendamment de moi-même, obligé, à un moment clé de ma maturation existentielle, celle de mon premier mariage et non pas de mes premières expériences de couples, de prendre conscience de l’absurdité de mon existence terrestre. Ce fut le jour où je m’aperçus de l’illusion de cette réalité dans laquelle nous étions malgré nous plongés dès notre plus tendre enfance et bien après, dans ce cycle infernal de la répétition psycho familiale et sociétale. Ces cycles étaient comme inscrits dans notre inconscient collectif. Le déterminisme des lois du langage humain, bien avant notre propre naissance, nous assujettit déjà dans cet engrenage répétitif incontournable ; mariage, carrière, enfants, loisirs, etc.
Je revins souvent lors de mon exposé sur cette période fatidique qui m’astreint à conclure que le monde d’aujourd’hui finalement n’existait pas. Ce monde ne faisait que se répéter inexorablement ; seuls les décors changeaient, mais les rapports sociaux n’évoluaient pas d’un iota !
À repérer peut-être, aujourd’hui plus qu’hier, ces différences notoires qui caractérisaient spécifiquement notre époque : la disparition progressive de « la névrose de papa » au profit de cette nouvelle « économie psychique » du tout est possible et du n’importe quoi qui nous entraînait progressivement vers la perversion. Vous aurez également noté le mariage pour tous qui favorisait le fait que les homosexuels, homme ou femme, pouvaient réaliser leurs fantasmes d’avoir des enfants, mais aussi la recherche systématique et mortifère de l’égalité entre l’homme et la femme. Femme qui pourtant était la seule à pouvoir mettre au monde des êtres humains.
Sans compter cette aberration scientifique à savoir la possibilité de changer de sexe grâce à des opérations chirurgicales sans aucun questionnement préalable et ces ados qui choisissaient des prénoms ni filles ni garçon, comme les « genderfluids » appelés également les « non binaires ». Par exemple, Cloé, 21 ans, souhaitait se faire appeler CAMI, un prénom sans genre défini, etc. Ces mêmes ados qui luttaient en plus au quotidien pour que leur neutralité sexuelle soit reconnue ? Le commun des mortels vous parlera alors d’évolution ???
Pour revenir aux fondamentaux, nous sommes tous nés d’un père et d’une mère, dans le génie de notre être sexué, garçon ou fille, quoique je me sentisse déjà assujetti à mettre des réserves quant au père. Pères qui étaient de plus en plus susceptibles d’être remplacés par un simple agglomérat surgelé de spermatozoïdes et les mèrespar des « mères porteuses », le tout rendu disponible sur le « marché public » par le sujet de la science qui répondait, comme à l’accoutumée, au besoin et à la demande, niant le sujet de l’inconscient, celui du désir. Conséquence, le risque avéré, sans père autre qu’inconnu ou géniteur, de la systématisation de la PMA et bientôt de la GPA, avec la recrudescence des perversions tous azimuts à venir !
À force de vivre inconsciemment le présent comme si les fondamentaux du passé n’avaient jamais existé, nous n’avons pu échapper depuis nos origines à la déraison du ça freudien !
« Satan » sera-t-il alors le grand gagnant ? Ne l’a-t-il d’ailleurs pas toujours été depuis les débuts de l’humanité ? Car l’homme n’a cessé d’être cette « bête féroce » et a continué sa course effrénée aux technologies les plus performantes pour concevoir également des armes nucléaires de plus en plus redoutables et destructives.
Depuis ma naissance, j’avais l’habitude de dire que cette chape nucléaire meurtrière au-dessus de nos têtes était devenue, ô paradoxe, un bouclier de survie. Malheureusement, en ce printemps 2022, elle redevient une arme fantasmatique de destruction massive ! Je dis fantasmatique, car il est de coutume aujourd’hui d’entendre dire qu’il serait impossible que nous nous en servissions ! Il est vrai qu’aucun des dirigeants de ce monde, grâce aux centaines de satellites qui tapissent notre éther, ne pourrait s’autoriser à lancer un éventuel missile nucléaire sur telles ou telles capitales mondiales, sans risquer inévitablement de déclencher la riposte et une troisième guerre catastrophique pour l’humanité ! Mais cette logique du bon sens sera-t-elle suffisante pour arrêter la folie d’un homme parmi les hommes ? L’histoire, qui ne sert décidément qu’à se répéter, avait déjà répondu par la négative, à cette cruciale question existentielle.
Comme l’avait écrit Stefan Zweig dans son livre, Le monde d’hier : Contre ma volonté, j’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de labrutalité qu’atteste la chronique du temps ? N’est-ce pas ce que nous sommes en train de réitérer ? Et plus loin, il m’arrive souvent, quand je dis ma vie sans y prendre garde : Mavie, de me demander involontairement : Laquelle de mes vies ? et j’enchaîne pour ce qui nous concerne : celle d’avant la future guerre nucléaire à venir (celle de 1945 à nos jours), ou l’enfer qui sera à vivre, une fois celle-ci déclarée de 2023 à… ?
Serais-je comme Zweig le témoin sans défense et impuissant de cette inimaginable rechute une nouvelle fois de l’humanité, dans un état de barbarie et de dogme antihumaniste consciemment érigé en programme d’action ? Ce jeu permanent d’opposition est caractéristique du psychisme humain, Dieu sait si Freud et Lacan nous l’ont révélé maintes et maintes fois dans leurs différents écrits. C’est toujours le même depuis des siècles entre « la bête sauvage », qui régresse sans cesse dans le domaine de l’éthique, de la déontologie, du mensonge, de la barbarie et à l’opposé, les prodiges inouïs de la créativité, de l’intelligence des techniques appliquées à la construction des plus beaux ponts suspendus, du numérique, de la fibre, des fusées interplanétaires, des satellites, de la médecine, etc., mais aussi malheureusement des armes de guerre. Freud avait eu raison de nous démontrer le rôle de la pulsion anale dans son rapport métaphorique à l’argent qui décidément dirigeait l’action de l’Homme à travers le monde depuis les origines.
Comme hier et peut-être encore plus présentement dans notre civilisation d’images continuelles, point d’évasion, point de mise en retrait ne sont possibles. Quand les bombes réduisent à néant « Marioupol » en Ukraine, nous le vivons dans notre salon, avant que les blessés ou les morts eussent été retirés des décombres. Ce qui se passe à 3000 kilomètres de notre pays bondit jusqu’à nous en images animées et quelquefois trafiquées ! Sans compter le tri que nous sommes obligés de faire à cause de ces « fake news ». La seule protection que nous eussions contre ces informations non-stop serait de refuser de participer de façon permanente à ces images extérieures qui nous entraînent dans cette quête de voyeurisme insatiable et illimitée !
Je suis conscient des conditions très défavorables du devenir de ce monde, mais que puis-je ? Je songe plein d’appréhension aux paroles de Shakespeare : So foul a sky clears not without a storm.1Je ne puis que constater la réalisation morbide des prédictions de mes psychanalystes préférés depuis des lustres : Freud, Lacan, Melman, Pommier, mais aussi du philosophe Stiegler. L’Homme avait pourtant, grâce à eux, les moyens de comprendre nos ambivalences, mais aussi de finir par les gérer sereinement. Mais il préfère le monde des apparences et se noie de plus en plus dans des images qui, malheureusement, lui sont dictées par la toute-puissance des médias. Médias dirigés par les jean-foutre du n’importe quoi et du n’importe comment, eux-mêmes dépassés souvent par leur propre pouvoir, les conduisant à des comportements irresponsables, voire par ricochets meurtriers à courts ou longs termes, suivis de près par les diaboliques réseaux sociaux ! Aujourd’hui, avril 2022, un seul homme, à cause des médias, est mondialement connu et à l’ordre du jour. Un certain Poutine. Il est regrettable de penser que ce personnage en si peu de temps fît bouger les limites de l’inacceptable. De dictateur, il est devenu criminel de guerre, accumulant les crimes contre l’humanité, voire jusqu’au génocide d’un peuple, celui de l’Ukraine, faisant de nous, les Occidentaux, de simples voyeurs avides d’informations et de supputations journalières à la limite quasiment indécentes !
Cet individu se prétend d’origine russe. Assurément jamais au grand jamais, il n’a dû lire ou apprendre à connaître Tolstoï, cet apôtre de la non-violence, ni la richesse culturelle de son peuple pour entraîner celui-ci comme il le fait dans l’inanité de son existence à venir ! J’ai envie de citer une nouvelle fois Stefan Zweig qui, en 1928, fut invité en qualité d’écrivain autrichien à assister aux fêtes du centième anniversaire de la naissance de Léon Tolstoï en Russie afin d’y prendre la parole lors de la soirée solennelle célébrant l’événement.
Que ce soit avec Tolstoï ou Gorki, pour lui, ce fut vivre avec eux la Russie et l’âme vaste, forte et obscure de son peuple éternel. Je le cite : C’est précisément le caractère muet et pourtant impulsif de cette cordialité qui était irrésistible et elle exerçait ses effets avec une ampleur et une chaleur inconnues chez moi et que j’éprouvais là-bas sensuellement… Je dois reconnaître qu’en bien des moments en Russie je fus moi-même près de devenir lyrique et de me laisser emporter par l’enthousiasme général.
Il souligne néanmoins ce qui pourrait expliquer l’inexplicable de ce peuple, quant à son adhésion à ce soi-disant combat de Poutine contre les prétendus nazis ukrainiens, en dehors bien sûr de l’impact de la propagande des médias russes allant dans ce sens ; je cite Zweig : … Tous, du premier au dernier, étaient persuadés qu’ils participaient à une œuvre formidable, qui intéressait l’humanité entière, tous étaient pénétrés de la conviction que ce qu’ils devaient consentir de privations et de restrictions servait une mission supérieure. L’ancien sentiment d’infériorité à l’égard de l’Europe s’était renversé en un orgueil enivréd’être en avance, en avance sur tous les autres. Sur cette tonalité exhaustive, il n’est pas étonnant que l’on pensât que sur ce registre, l’on puisse manipuler facilement ce peuple comme semble le faire ce Potentat ! Ah ! ce Poutine, j’ai l’impression que cet aphorisme du grand poète Rainer Maria Rilke qui exécrait au centuple le bruit et toute espèce de véhémence aurait dû être pour les Européens prémonitoire :
Ils m’exténuent ces gens qui crachent le sang, c’est pourquoi je n’use plus des Russes qu’à très petites doses, comme des liqueurs fortes.
Aurait-il fallu que ce despote le fréquentât à l’époque, ce sublime poète, car pour Rilke, il était inimaginable que quiconque en sa présence, n’étouffât pas tous ses éclats et ne perdît toute présomption. « Sous l’effet de l’espèce de vibration qui émanait de son calme, sa retenue se communiquait autour de lui comme une force mystérieusement agissante, une force éducatrice, une force morale. »… On éprouvait alors son intime bonté, comme un rayonnement qui réchauffait et guérissait en pénétrant jusqu’au tréfonds de l’âme. (Zweig)
Mon interlocutrice se tourna vers moi :
— Dommage effectivement qu’ils ne pussent se rencontrer !
— Aujourd’hui encore, il est impossible pour les artistes occidentaux de tous bords de nier que nous devons beaucoup à cette Russie ! Quelle folie que l’on n’arrête pas le comportement sanguinaire, mythomaniaque et mégalomaniaque de ce personnage, pour sauver en profondeur la toujours resplendissante âme de ce grand peuple. Aura qui restera inextinguible sur le plan culturel et artistique ! Je pensais bien sûr aux incontournables chefs d’orchestre, Valery Gergiev, Tugan Sokiev, aux grands interprètes comme Mstislav Rostropovitch, David Oïstrakh né en Ukraine, Maxim Vengerov et le jeune et génial pianiste Daniil Trifonov, mais aussi aux merveilleux compositeurs comme Sergueï Prokoviev né en Ukraine et Dmitri Chostakovitch, Sergueï Rachmaninov, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Igor Stravinski…
Mon « admiratrice » prit la parole :
— Dans son chapitre, « Les rayons et les ombres sur l’Europe », que vous nous citâtes si souvent, je notais que Stefan Zweig déclarait à propos de sa rencontre avec Romain Rolland et plus particulièrement de la lecture de son article « L’Aube » dans « Les cahiers de la quinzaine », arrêtez-moi si je me trompe :
Là était enfin l’œuvre qui servait non pas une seule nation européenne, mais toutes et leur fraternisation ; là était l’homme, l’écrivain qui mettait en jeutoutes les forcesmorales : la connaissance aimante et la volonté sincère de connaître une justice éprouvée…
Vous avez ajouté ; le premier soin de Zweig fut de s’informer à Paris de son existence en se souvenant de la parole de Goethe : Il a appris, il peut nous instruire. Sa rencontre avec lui fut inoubliable : Son savoir faisait honte par son étendue et sa diversité, il possédait la littérature, la philosophie,l’histoire, les problèmes de tous les pays et de tous les temps, il le jugeait comme étant le seul homme qui, à l’heure décisive, serait la conscience de l’Europe. Avec Verhaeren et Freud, ces trois intellectuels devinrent les trois amitiés les plus fructueuses pour la direction à donner à sa vie, soulignait-il ! Il est dommage qu’aucun de nos politiques aujourd’hui n’ait acquis ce niveau de culture.
Je vous raconte cela dans la continuité de vos précédents propos, car ce fut par hasard que Zweig découvrit Romain Rolland grâce à une « Russe » qui faisait de la sculpture ! Vous ne le saviez peut-être pas ? Elle avait à Florence invité Zweig à prendre le thé pour lui montrer ses travaux et pour tenter aussi de faire une esquisse de lui. Après l’avoir fait entrer dans son atelier, elle le pria d’attendre. Pour ne pas perdre son temps, Zweig raconte qu’il saisit machinalement ces Cahiers de la quinzaine et y découvrit l’article de Romain Rolland. Devrions-nous encore une fois y voir un signe quant à cette Russie omniprésente ? La question que nos dirigeants occidentaux auraient pu se poser depuis longtemps est : que représentent encore pour eux aujourd’hui ces penseurs de l’Europe qu’ils semblent avoir littéralement mis aux oubliettes ?
Mais je m’égare en rapport avec ce que je souhaitais soulever comme interrogation :
Quels sont actuellement les Maîtres du savoir qui ont joué le même rôle pour vous que ceux cités à l’époque avec un tel enthousiasme par Zweig ? Corrigez-moi si je me trompe, mais en vous écoutant lors de votre conférence j’oserais citer : « Jacques Lacan digne fils spirituel de Freud, Charles Melman disciple de Lacan, Gérard Pommier autre disciple différent de Lacan et enfin le philosophe marginal Bernard Stiegler. Vous nous aviez dit concernant ce dernier : Une voix originale s’était tue, reprenant la citation d’Olivier Burgelin à propos de la disparition de Roland Barthes ! »
— C’est vrai que Stiegler est décédé le jeudi 6 août 2020 à l’âge de 68 ans. Son passé favorisa plus d’une fois l’ostracisme, à cause de comportements fallacieux et à la limite difficilement acceptables (braquage d’une banque avec emprisonnement). De ce fait, il n’a jamais pu se faire reconnaître comme il aurait dû par les philosophes de l’intelligentsia bien pensante.
— Vous disiez néanmoins qu’il était devenu le philosophe de la « disruption ». Vous nous expliquâtes sa théorie selon laquelle il affirmait qu’avec la connexion planétaire des ordinateurs, des smartphones et des foules que tout cela avait abruties, les organisations sociales et les individus qui tentaient de s’approprier cette évolution foudroyante de la technologie arrivaient toujours trop tard. Cette faramineuse puissance installait un immense sentiment d’impuissance qui rendait fou le commun des mortels !
— Vous aviez raison et je vous conseille de lire son ouvrage : Dans la disruption : comment ne pas devenir fou ?
Un autre livre majeur pour moi de ce XXIe siècle, et les suivants j’espère, dont vous avez sûrement noté le titre, était L’homme sans gravité de feu Charles Melman. La plupart de mes raisonnements sont empreints de ses développements concernant notre devenir.
Souvenez-vous lorsque le public s’est senti mal à l’aise lorsque je déclarais avec conviction que la seule chose sérieuse, c’était le sexe ! J’avais cité alors les propos du Maître : En matière de causalité psychique, il n’y a qu’une chose qui soit sérieuse, une seule. Et tout propos qui ne lui accorde pas une place centrale est à prendre comme un propos de défense contre la vérité. Cette chose, nous le savons grâce à Freud et depuis Freud, c’est le sexe ! Pourquoi ? Nullement, bien sûr parce que nous serions portés à une lubricité particulière, mais pour des raisons éminemment logiques : le sexe, jusqu’à ce jour, se supporte du manqueet du même coup, vient incarner etreprésenter notre vérité subjective. Il en est l’enceinte, le défenseur.
— C’est exact, ce passage de votre exposé m’avait semblé des plus intéressants. J’avais d’ailleurs noté la suite également, si je peux me permettre ?
— Faites, je vous en prie, rétorquai-je avec un sourire de satisfaction.
— À partir du moment où vous récusez la sexualité et on comprend bien que cela soit à l’intention des scientifiques, vous faites émerger effectivement des sujets délivrés de toute gravitation, complètement allégés. J’évoquais la gravitation autour de l’objet, mais le sujet de cette nouvelle économie psychique tourne autour de l’objet sans aucun style, sans qu’on puisse repérer les modalités de son parcours, sans aucune identité assurée, sans aucune personnalité. Il est caractérisé par une espèce de plasticité subjective qui le rend, en tant « qu’animal humain », disponible pour toutes les manipulations et susceptible de connaître toutes les paniques dès lors qu’il n’a plus rien qu’il puisse utiliser comme rempart. On arrive désormais à en faire ce que l’on veut ! un mouton !
— Voilà un propos significatif, vous en conviendrez, mais qui a systématiquement empêché Charles Melman de pouvoir passer comme l’on dit sur les médias. Trop subversif pour nos contemporains !
En ce qui me concerne, je dirai que sa réflexion la plus pertinente et qui dépeint au mieux ce qui caractérise notre « monde d’aujourd’hui », c’est quand il affirme que nous sommes en passe d’abandonner une culture, liée à la religion qui contraignait les sujets au refoulement des désirs et à la névrose de papa, pour nous diriger vers une autre où s’affiche le droit à l’expression libre de tous les désirs et à leur pleine satisfaction, ouvrant ainsi les portes du tout est possible, mais aussi du n’importe quoi ! Cette mutation radicale a entraîné, nous dit-il, une dévaluation rapide des valeurs morales et politiques et les figures pétrifiées de l’autorité et du savoir semblent s’être délitées d’une telle façon que l’on pourrait penser être, à l’heure actuelle, aux portes de la force nue, voire de la barbarie. N’est-ce pas ce qui se vérifie notamment jusqu’au génocide en Ukraine ? Le fait que l’on n’ait pu arrêter cette violence barbare, aux frontières de l’Europe, aura bien sûr des conséquences gravissimes sur nos pays occidentaux qui sécréteront bientôt, comme ce fut le cas des djihadistes français, des criminels plus nombreux encore, simples citoyens atteints psychiatriquement et s’autorisant les pires méfaits, voire les plus atroces crimes sans références à un programme établi, c’est-à-dire gratuitement. Ils n’auront eu qu’à puiser dans la réalité de l’horreur de ces images médiatiques, la révélation soudaine du tout est possible. D’autres pays « autoritaires » suivront l’exemple aux risques de multiples conflits à travers le monde. Cette mondialisation de la communication aura favorisé au centuple cette déliquescence sociétale quasiment invisible à nos dirigeants.
Là où nous pouvions penser que la bombe nucléaire, depuis des lustres, nous avait empêchés de nous confronter à une nouvelle guerre mondiale, elle nous oblige aujourd’hui à n’être plus que les spectateurs voyeurs et impuissants de la destruction de tout un peuple, au risque de la déclencher !
Nous sommes face à l’absurde de ce monde où décidément l’humain, animé par cette pulsion de mort originaire (Freud), est inévitablement condamné à se détruire, « bête féroce » (Lacan) qu’il aura toujours été et qu’il sera toujours, des origines jusqu’à l’apocalypse.
Même la pandémie qui aurait dû nous permettre de progresser dans les rapports humains a au contraire sécrété des escrocs de plus en plus chevronnés, ces derniers n’hésitant pas à usurper l’identité de vrais conseillers financiers et à créer des sites « clonés », de fausses cagnottes solidaires où les hôpitaux pour la plupart, n’ont jamais vu l’ombre de ces élans de générosité, etc.
The sun of Rome is set. Our day is gone.
Clouds, dews and dangers come ; our deeds are done.2
J’aimerais vous relire un extrait congruent tiré de Le monde d’hier de Zweig. Il donnera sa valeur toute relative à la soi-disant diplomatie, de nouveau à l’ordre du jour aujourd’hui pour la guerre en Ukraine. Ces pourparlers dont nos dirigeants assurent qu’ils seraient les seuls susceptibles de résoudre les conflits entre les nations.
C’est l’époque de cette illusion de quelques jours qui suivit la rencontre historique de Chamberlain avec Hitler. Chamberlain avait réussi, disait-il, à conclure avec l’Allemagne une convention qui garantissait à l’avenir le règlement de tous les conflits ! On allait enfin pouvoir vivre en paix ! Même la France proposait d’élever un monument à la mémoire de ce Chamberlain. Je sortis le bouquin de mon attaché-case et commençai à lire : Malheureusement dès les jours suivants commencèrent à suinter les détails fâcheux : on apprit combien la capitulation avait été sans réserve, de quelle honteuse manière on avait sacrifié la Tchécoslovaquie à laquelle on avait promis solennellement aide et protection.
En effet, chacun s’efforça malgré tout de persévérer dans l’illusion qu’une parole donnée était une parole donnée qu’un accord était un accord et qu’on pouvait négocier pour peu qu’on voulût parler raisonnablement avec Hitler. Dévoués au droit depuis des siècles et en vertu de nos traditions démocratiques, nos dirigeants comme toujours ne voulaient pas admettre l’évidence séculaire qu’à côté d’eux s’élaborait une technique nouvelle de l’amoralité cynique et concertée !
— Je comprends parfaitement votre raisonnement et il suffit aujourd’hui de remplacer Chamberlain par Macron et Hitler par Poutine et la Tchécoslovaquie ou l’Autriche de l’époque par l’Ukraine pour obtenir malheureusement la désolante similitude de ce que nous vivons aujourd’hui.
— Parfaitement, seul le décor a changé !
Mais Zweig, en nous entraînant dans des réflexions encore plus exhaustives, va souligner prosaïquement et de façon magistrale, cette cruelle impuissance de l’Homme face aux événements mondiaux. Il va s’adresser à tous ces Hommes qui agissent dans l’invisible, qu’on ne connaît pas, qu’on n’a souvent jamais vus et à ces quelques dirigeants dont on n’appréhende rien de leurs échanges qui, pourtant, concernent à court ou à long terme le devenir de notre vie. J’avais lu alors cet extrait de son chapitre, « L’agonie de la paix » ; souvenez-vous de ce moment qui fut suivi d’un long silence du public : Ces gens prennent des résolutions auxquelles on n’avait point de part et dont on apprend pas le détail et décident ainsi sans appel de notre vie et de celle de tous les autres en Europe. C’est maintenant entre leurs mains et non dans les nôtres que repose notre sort. Ils nous anéantissent ou nous épargnent, nous, impuissants, ils nous laissent notre liberté ou nous réduisent en esclavage, ils décident de la paix ou de la guerre pour des millions d’hommes. Et je suis là comme tous les autres assis dans ma chambre, sans plus de défense qu’une mouche, sans plus de pouvoir qu’un escargot, tandis qu’il y va de la vie ou la mort de mon moi le plus intime etde mon avenir, des pensées qui naissent dans mon cerveau, des projets déjà nés ou non, de ma veille et de mon sommeil, de ma volonté, de mon avoir, de tout mon être. On est assis là à attendre et à regarder dans le vide comme un condamné dans sa cellule, emmuré, enchaîné dans cette attente absurde et sans force… toutes les connaissances, toute l’expérience, et toute la prévoyance qu’on avait accumulée et qu’on s’était inculquées au cours des années étaient sans valeur en regard de la décision de ces hommes, de ces inconnus qui nous dirigeaient.
Nous sommes à l’heure actuelle dans les mêmes conditions, dans les mêmes ignorances, insistais-je avec conviction. Pire, nous sommes de plus en plus illusionnés par des médias omniprésents qui essaient de nous faire croire qu’ils seraient porteurs de quelques vérités que ce soient !
— C’est moi maintenant, si vous me le permettez, qui vais vous lire un extrait tiré du XIIIe chapitre de L’histoire de ma vie de George Sand datant du XIXe siècle.
Elle sortit son portable pour retrouver dans ses dossiers le texte en question, elle rajouta :
— Vous aviez raison de me dire décidément que le monde d’hier n’était guère différent de celui d’aujourd’hui : Ce siècle, ce triste et grand siècle où nous vivons s’en va à la dérive : il glisse sur la pente des abîmes, et j’entends des gens qui me disent : « Où allons-nous ? Sommes-nous dans le flot qui monte ou qui descend ? Allons-nous échouer sur la terre promise ou dans les gouffres du chaos ? »
— Impressionnant, c’est effectivement tout à fait d’actualité !
Rappelez-vous également de ce moment crucial de ma conférence quand j’essayais de faire comprendre à ce public confortablement installé dans cet amphithéâtre, l’importance de cette œuvre majeure de Zweig : Thersite. Souvenez-vous de leurs réactions ! Une dizaine d’entre eux allèrent jusqu’à quitter définitivement la salle, sans attendre la fin de mon exposé !
C’est à l’instant précis où je soulignai que Zweig avait proclamé que le problème de la supériorité morale du vaincu n’avait jamais cessé de le préoccuper et qu’il rappelait alors que son peuple qui avait sans cesse était vaincu par tous les autres peuples, toujours et toujours, répéta-t-il…
— Me permettrais-je, cher Monsieur, une nouvelle fois, de vous lire la suite que j’avais également notée, vu son importance primordiale ?
— Faites, chère Madame, je vous en prie !
— … Et qui pourtant leur survivait grâce à une force mystérieuse, la force précisément de transformer la défaite par la volonté affirmée d’y résister.
— J’enchaîne sur ce qui m’est apparu alors le plus pertinent dans mon intervention sur ce thème délicat, car je souhaitais leur montrer que Zweig allait nous donner un sens finalement au non-sens. À ce non-sens auquel nous sommes aujourd’hui confrontés sur un registre bien sûr différent, mais pareillement absurde. Il nous dit alors concernant le peuple juif :
Ne l’avaient-ils pas prévue, nos prophètes, cette perpétuelle existence traquée, ces perpétuelles expulsions qui, une fois de plus nous jettent présentement sur les routes comme balle au vent, et n’avaient-ils pas acceptés cette nécessité de succomber sous la violence, ne l’avaient-ils pas bénie…
— C’est à ce moment-là que les personnes dont vous parliez précédemment se sont levées et sont parties de la salle !
— C’est exact ! je continue : … Comme une voie qui menait à Dieu ? La mise à l’épreuve n’avait-elle pas été éternellement un gain pour tous et pour chacun, je le sentis avec bonheur en écrivant ce drame, le premier de mes ouvrages qui eût une valeur à mes propres yeux… En m’efforçant d’aider les autres, je me suis aidé moi-même… Dès que j’essayai de donner forme à la tragédie de mon temps, je n’en souffrais plus cruellement… J’avais rejeté loin le fardeau qui pesait sur mon âme et j’étais enfin rendu à moi-même. À l’heure où tout en moi était un « Non » à mon époque, j’avais trouvé mon « Oui » à moi-même.
— Auriez-vous tendance à vous reconnaître en lui ? Mais aussi à ce que nous sommes obligés de vivre depuis le début de ce conflit Russo-Occidental ?
— Quand j’écris comme aujourd’hui sur cette guerre d’Ukraine en sous-jacente d’une éventuelle guerre mondiale, je ne peux que constater à quel point Stefan Zweig avait raison. Il le faisait comme je le fais moi-même pour lutter à me relever et surmonter cette nouvelle crise et donner forme comme il le fit, à cette tragédie qu’il avait vécue avec ces deux guerres mondiales. Tragédie que nous vivons encore actuellement, aux risques d’une troisième guerre à l’horizon 2023 !
— Seule différence, le génocide de ce XXIe siècle n’est pas juif, mais ukrainien. Il n’est pas encore, Dieu soit loué, le nôtre !
Vous avez tenté lors de la dernière partie de votre conférence de nous donner quelques pistes utopiques, aviez-vous dit alors, pour sauver notre humanité ?
— Ma prochaine conférence ne proposera plus aucune piste en ce qui concerne le devenir de notre humanité. Je la terminerai par un pessimisme prosaïque à la Charles Melman :