Mayfly's Partners - Tome 1 - Marie Anjoy - E-Book

Mayfly's Partners - Tome 1 E-Book

Marie Anjoy

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Beschreibung

De prof de sport à escorte, Olivia a sauté le pas ! Mais est-elle de taille à affronter cette nouvelle vie ?

Olivia ne s’en est jamais cachée : elle aime les histoires sans lendemain. Si ces liaisons fugaces lui procurent un sentiment de liberté et d’exaltation, son travail de coach sportif, en revanche, ne la fait plus vibrer. Sur un coup de tête, elle quitte donc son emploi à la salle de sport et entreprend de créer une agence d’escortes. Elle entend ainsi monnayer la compagnie d’hommes et de femmes raffinés et, au passage, redonner un peu de piment à sa vie. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Olivia en parle autour d’elle et l’information circule. Alex, Amina, Emmanuelle et Charlène ne tardent pas à rejoindre l’aventure… ⠀


À travers les yeux des escortes de l’agence Mayfly, Marie Anjoy et Laureline Roy livrent dans ce premier tome une histoire surprenante et palpitante. Au programme : amitiés, passions, secrets et… amours...

À PROPOS DES AUTEURES

Leur goût pour l’écriture a, tout d’abord, rapproché virtuellement Marie et Laureline. Puis, au fil du temps, elles sont devenues amies. Elles se fréquentent depuis plusieurs années, et s’épaulent régulièrement sur leurs textes. Auteures de romance, elles mêlent aujourd’hui leurs plumes pour une aventure littéraire à quatre mains. Mayfly's partners : un challenge pour ces amatrices de défis.

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Avertissement sur le contenu

Ce roman est une œuvre de fiction. Si certains lieux sont réels, les situations et les principaux personnages décrits proviennent uniquement de l’imagination des auteures. Par conséquent, toute ressemblance avec des personnes et des faits existants, ou ayant existé, serait purement fortuite.

Ce livre contient quelques scènes susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes et des personnes non averties. Il ne convient donc pas aux mineurs. Les auteures déclinent toute responsabilité dans le cas où ce récit serait lu par un public non adapté.

Bonne lecture !

Marie Anjoy

« La vie est une aventure audacieuse ou elle n’est rien. »

Helen Keller

Laureline Roy

« Ouvrez vos bras au changement, mais ne laissez pas s’envoler vos valeurs. »

Dalaï Lama

Prologue

Charlène s’affaire en cuisine, apportant la touche finale aux préparatifs du repas. Tandis qu’elle s’active en maugréant devant l’ampleur de la tâche qu’elle s’est imposée, je fais mine de ne rien entendre. Accoudée à l’îlot central, je regarde le jardin par la porte-fenêtre entrouverte.

Je pourrais lui proposer mon aide, lui faire remarquer qu’elle se met la pression toute seule. Je m’abstiens. Dans le premier cas, elle refusera. Cette perfectionniste de l’art culinaire n’accepte aucune aide, et je suis juste tolérée dans son antre. Dans le deuxième, elle piquera une colère, nous nous prendrons le bec comme nous savons si bien le faire, et je ne souhaite pas rompre la quiétude de cette journée. Je me contente donc de lui tenir compagnie, l’écoute discourir, acquiesce de quelques « oui, oui, bien sûr » ou autres onomatopées qui donnent à croire que je suis la conversation avec intérêt. Mais il n’en est rien. Non, en réalité, j’observe avec attention l’activité dans mon jardin.

Alexandre et Mélanie, en maillots de bain, discutent assis au bord de la piscine en dégustant un verre de vin. Ils gardent un œil sur les enfants qui ont, cependant pour la plupart, passé l’âge d’être sous la surveillance constante de leurs parents. Mais Alex est un vrai papa poule, toujours inquiet pour sa progéniture et celle des autres.

Emmanuelle et Vincent disputent une partie de ping-pong acharnée. Je souris en songeant qu’elle ne le laissera pas gagner et mettra toute son énergie à le battre à plate couture, bien qu’il soit plus doué qu’elle. Emmanuelle ne lâche jamais rien quand elle l’a décidé.

Marie-Sophie, mon amie d’enfance, suit Valentin à la trace, craignant sûrement qu’il finisse par tomber dans la piscine tandis qu’il court derrière Vesak. Inconscient du danger, notre bout de chou de deux ans a la fâcheuse manie de se mettre dans des situations périlleuses. Il a dû hériter du goût du risque de son père pour être aussi téméraire. D’aussi loin que remontent mes souvenirs, Marie-So a toujours possédé cette fibre protectrice. En tant que maman, c’est indéniable, ses trois enfants en sont la preuve vivante, au point qu’elle ne vivait plus qu’à travers eux – et Charles, mais lui, je préfère l’oublier. Depuis quelques mois pourtant, elle amorce une lente métamorphose, et je ne peux que m’en réjouir. Elle redevient femme, et un sacré brin de femme !

Toute notre bande est réunie en ce dimanche estival, sans raison particulière, juste pour le plaisir de se retrouver. Seule Amina manque à l’appel.

Marie-Sophie et un Valentin sanglotant, accroché à son cou nous rejoignent dans la cuisine.

– Qu’est-ce qui se passe ? m’inquiété-je en m’avançant.

– Oh, rien de grave, me rassure Marie-Sophie. Il est parvenu à attraper Vesak et le chat lui a craché à la figure quand il l’a serré trop fort.

– Hum, ce chat finira par le mordre ou le griffer, un de ces jours, décrété-je.

– Bah, comme ça, il le laissera peut-être tranquille ! Aujourd’hui, Valentin a juste eu peur, conclut mon amie.

– Mouais. Si Emmanuelle pouvait garder son fauve chez elle, ça m’arran…, marmonne Charlène.

Le carillon du portail interrompt notre passionnante conversation.

– Je vais ouvrir ! lance Marie-Sophie en se dirigeant vers l’entrée après avoir déposé Valentin dans mes bras.

– Je nous croyais au complet. Marie-Sophie t’a parlé d’un autre invité ? me demande Charlène en caressant tendrement la joue humide de notre petit aventurier.

Je hausse les épaules, secoue négativement la tête et reporte mon attention sur le sopalin dont je me suis emparé pour moucher Valentin. Charlène soupire, légèrement contrariée.

– Ça me gonfle un peu, cette nouvelle habitude des enfants d’Alexandre ou de Marie-Sophie de se joindre à la fête accompagnés de leur flirt du moment.

– Il faut t’y faire, ma belle, la tempéré-je. Ce sont de jeunes adultes désormais, et moi, ça ne me gêne pas, ça apporte un peu d’ambiance à nos réunions. Mais je t’accorde que ni Alex ni Marie-So n’ont laissé entendre l’arrivée d’autres invités.

La surprise me cloue sur place quand, jetant à la poubelle mon mouchoir usagé, j’aperçois le jeune homme qui se tient dans l’embrasure de ma porte : une silhouette athlétique d’un mètre quatre-vingts au bas mot, une beauté racée d’un noir ébène et un sourire à couper le souffle !

D’une démarche féline, il s’avance vers moi après un regard d’encouragement de Marie-Sophie. Sous le choc, je me déleste de mon petit homme et le confie à sa mère, étrangement muette pour une fois. Notre invité surprise envoûterait quiconque sans le moindre effort tant il rayonne d’un charisme à damner tous les saints du paradis. Mais ce qui me frappe le plus, c’est la ressemblance flagrante avec sa mère. Arrivé à ma hauteur, il me tend une main, que je serre machinalement.

– Enchanté de vous rencontrer, Olivia.

– Oh, mon Dieu, comme il lui ressemble ! s’exclame Charlène.

– Kylian est notre dernière recrue, annonce Marie-Sophie, désormais responsable de l’agence. Il vient tout juste d’accepter ma proposition d’embauche. J’imagine que tu entrevois tout son potentiel, hein, Livy ?

Je reste sans voix, submergée par l’émotion, soudainement projetée dans le passé, lors de ma première rencontre avec sa mère, cette femme extraordinaire présentée par Alex. L’une des premières recrues pour l’agence d’escortes que je venais de fonder. Le début d’une aventure qui allait bouleverser nos vies.

Chapitre 1 :Un vent de folieOlivia

Début août, quatre ans plus tôt

Je sors de l’ascenseur en finissant de réajuster ma jupe et, sans un regard pour le veilleur de nuit somnolent, me dirige vers la double porte vitrée. J’imagine très bien ce qu’il pense de ma présence dans le hall à cette heure matinale. Une femme qui s’éclipse d’une chambre d’hôtel avant l’aube laisse peu de place à l’ambiguïté ! Et justement, je prends plaisir à l’arborer, cette insolence de la femme sans entrave qui vient de prendre son pied et qui l’assume. D’humeur cabotine et encore tout émoustillée par ma nuit de débauche, je lui offre d’ailleurs matière à plus ample réflexion en ondulant des hanches pour franchir le sas. Ma voiture m’attend sur le parking, juste à côté de la grosse Audi grise facilement identifiable de François – ou Francis, il faudra que je vérifie sur sa fiche au club de sport.

Je m’installe au volant, règle l’autoradio sur une station de musiques brésiliennes particulièrement entraînantes et ouvre les vitres en grand pour profiter de la douceur de ce début août. Dans un quart d’heure, je serai à la maison. Dans quelques heures, mon monsieur F rejoindra femme et enfants sur l’île de Ré pour des vacances en famille. Dommage qu’il parte si vite, j’aurais bien remis le couvert le week-end prochain. Pourquoi n’avais-je pas accepté son invitation plus tôt ? Ce mec me tannait depuis début juillet pour un dîner en tête à tête, arguant la solitude de ses soirées à la maison et l’absence, au bureau, de conversations légères. Un semblant de déontologie m’avait alors freinée, quel gâchis ! Parce que lorsque j’avais fini par me laisser convaincre par sa proposition de toute évidence indécente, un soir où il avait attendu la fin de mon cours de pilates pour me relancer une énième fois, il s’était avéré d’excellente compagnie, et un bon coup – un sacré bon coup même ! De mémoire, même si elle est partiellement embrumée par mon manque de sommeil, ses anecdotes sur l’exposition Delacroix, alors que nous dégustions notre pavé de marcassin sauce Grand-Veneur, étaient assez distrayantes et sa revisite du ‘trépied chancelant’, une heure plus tard, des plus acrobatiques, même pour une professeure de sport aguerrie. À bien y réfléchir, je crois que c’est la première fois que j’enchaîne un quart du Kamasutra avec un partenaire aussi enthousiaste et volontaire. Madame F ne doit pas s’ennuyer sous la couette !

Lorsque je stoppe la voiture devant le portail automatique, l’euphorie de ma nuit torride retombe enfin. Une bonne baise reste une bonne baise, mais je dois rapidement passer à autre chose, l’oublier, au moins jusqu’à ce qu’il rentre de vacances, ou jusqu’à la prochaine avec un autre. J’ai sommeil et une furieuse envie d’une douche brûlante pour délasser mes muscles et ôter ce parfum de sexe qui suinte par tous les pores de ma peau. Ma maison, c’est un peu mon sanctuaire, une terre consacrée, virginale, inaccessible aux hommes avec lesquels je partage quelques instants d’ivresse. Aux femmes aussi, d’ailleurs. Claire a été la seule, l’élue. Elle s’est volatilisée au bout de deux ans en me brisant le cœur, jusqu’à ce que je reprenne mes amours en main avec Franck, puis Grégoire, Amélie ou cette jolie blonde – une Hollandaise, je crois – dont j’ai oublié le nom, comme tant d’autres. Un très bon coup, elle aussi, malgré la barrière de la langue !

Tout en brossant mes cheveux humides, je croise mon regard dans le miroir de la coiffeuse – cadeau de ma grand-mère –, un regard bleu azur hérité d’elle, comme cette maison et ces meubles que je conserve avec nostalgie, par amour pour ce qu’elle fut, ma plus loyale alliée. Elle réprouverait en silence cette accumulation de conquêtes, hausserait finalement les épaules en me gratifiant d’un de ses irrésistibles sourires. Ma mère, elle, si elle était encore de ce monde, prendrait son air outré en me renvoyant au visage la perfection de mon amie d’enfance, Marie-So, son mariage en grandes pompes et ses magnifiques enfants, sa réussite sociale aux antipodes de ma honteuse vie de dépravée. Et Mamie de lui rétorquer : « Elle est née pour courir le monde, ma jolie gazelle. Laisse-la donc vivre comme elle l’entend ! »

Ma gazelle… Mamie avait tout compris. Courir, vivre à cent à l’heure, dans l’excès et la provocation, c’est cela, mon moteur. Courir pour ne pas marcher au pas. Courir des heures au parc, juste en face de la maison, pour ne pas faire du surplace dans le monde de mes parents à la morale bien-pensante. Courir après les hommes, les femmes, me chercher en brisant le carcan des convenances…

Je ne me suis pas à proprement parler « trouvée », mais j’ai fait de mon irrépressible bougeotte mon métier et de mes penchants sexuels un art de vivre. Pourtant, à quarante-trois ans, certains jours, j’envisagerais bien de cesser cette fuite en avant, de poser mes bagages, peut-être même de me caser une bonne fois pour toutes. Je suis sûre que Marie-So approuverait de me voir rangée. Je secoue la tête en soupirant. Quand je suis fatiguée, j’ai une forte propension à m’apitoyer sur une vie qui pourtant me convient la majeure partie du temps. Et en cet instant, entre un boulot trop prenant et une nuit de folie, je suis sur les rotules. Quelques heures de repos et je ne penserai plus qu’à mon prochain béguin ou, pour le moins, à envoyer quelques textos enjôleurs à mon expatrié de l’île de Ré pour me rappeler à son bon souvenir !

La sonnerie de mon téléphone me réveille en sursaut. Midi ! Seulement midi ! Je me maudis d’avoir oublié de le couper, et bien davantage encore lorsque je constate que c’est Fred, le patron du club, qui tente de me joindre. Il va une nouvelle fois me demander un service, un remplacement en urgence, à n’en pas douter. Depuis dix ans que nous travaillons ensemble, il n’oserait pas me pourrir un de mes rares samedis de repos pour autre chose qu’une situation désespérée. Je décroche, ma mauvaise humeur en étendard.

– Salut, Fred ! C’est quoi, le problème, aujourd’hui ?

– Houlà, salut, ma petite prof préférée ! De mauvais poil, à ce que j’entends ! J’te dérange ?

– C’est mon jour de repos, alors oui, tu me déranges. Vas-y, annonce la tuile.

– Katia ne peut pas assurer les cours de fitness de cet aprèm, elle s’est fait une entorse hier soir. Arrêtée pour une quinzaine. Y a plus que toi pour voler à mon secours.

– Comme d’hab, non ? Parfois, j’ai l’impression de faire tourner seule la boutique. Tu ne peux pas enquiquiner quelqu’un d’autre ?

– C’est les vacances, ma chérie, les effectifs sont réduits. Mais la clientèle paie pour des prestations haut de gamme et tu es la meilleure. Alors, tu peux, de quatorze à seize heures trente ? Payée en heures sup, ça va de soi.

Dix ans à côtoyer Frédéric, être sa plus ancienne employée et considérer le club huppé du Plessis-Robinson comme ma seconde maison laissent, hélas, des traces qui me retiennent de refuser. À treize heures trente, je suis sur le pont, pas franchement motivée, mais présente. Par bonheur, dès la porte franchie, je repère Alexandre, un de nos habitués, qui s’apprête à enfourcher le rameur. Bien que marié – ce qui n’est en aucun cas un obstacle –, j’ai tenté ma chance, une fois, alors que nous nous connaissions à peine, dévorée d’envie d’en faire mon quatre-heures. Mais tout juste l’éventuel rencard évoqué – et si poliment décliné – que j’avais regretté. Depuis, une improbable amitié nous lie et, à mes yeux, Alex est devenu quelqu’un à part, intouchable. Dieu sait pourtant que je le trouve beau gosse, mon quadra à la gueule d’ange ! Je ne suis même pas sûre qu’il ait pleinement conscience de son sex-appeal, et souvent je le taquine à ce propos.

Il arbore aujourd’hui son sourire coutumier, un teint hâlé de pâtre grec et des pectoraux, sous son tee-shirt moulant, que je ne peux qu’imaginer. Il me sort de ma contemplation en m’enlaçant d’une accolade amicale et quelque peu virile.

– Salut, la plus belle ! T’es pas en vacances ? C’est pour bientôt ?

– Salut, Alex ! Non, seconde quinzaine d’août peut-être, ou pas. Ça va dépendre des arrêts maladies de certaines tire-au-flanc. Et toi, ces vacances ? Mélanie et les enfants en ont bien profité ? Tu sais que t’es beau comme un dieu grec et que t’as pas pris un gramme ? T’as bossé tes fessiers, ça se voit.

– Hein, quoi, mon short est trop moulant, c’est ça que tu veux dire ?

– Houlà, non, ne change rien, laisse-nous baver un peu sur ton corps d’Apollon ! Tu as prévu quoi, comme programme, aujourd’hui ? On a le temps de se boire un truc vite fait entre mes deux cours ?

– Rameur et étirements. Mais OK, je t’attends pour qu’on discute un peu. T’as l’air d’en avoir besoin. On t’a pas dit que t’avais une petite mine ?

– Non, mais sympa de me le faire remarquer. T’as le chic pour me remonter le moral. Tu ne pouvais pas te taire, ou mieux, mentir ?

– Quoi, tu veux que je te brosse dans le sens du poil ? C’est pas ton style… Ça va, Olivia ?

– Oui, t’inquiète ! Une courte nuit et un après-midi boulot qui n’était pas prévu. Rien de grave. On se parle plus tard, je dois préparer le cours. Rame bien… Et augmente la résistance de ta machine d’au moins un niveau, tu es capable de bien mieux que ça, moussaillon !

– Oui, chef !

Je le quitte le sourire aux lèvres, ravie de ce rappel insolent à la hiérarchie. Oui, ici, au club, je suis un peu la patronne. Mon ancienneté me confère ce pouvoir, bien que jamais officiellement acté par Frédéric. Il y a quelques mois, ce dernier m’a pourtant proposé de racheter des parts du club, mais j’ai refusé, bien que j’en possède les moyens financiers. Si je dois un jour m’engager, ce sera à mon propre compte, pas à cinquante pour cent avec un associé collé aux baskets !

Je rejoins la salle de fitness encore déserte et allume mon téléphone pour synchroniser ma playlist du cours aux enceintes Bluetooth. Le SMS d’un numéro inconnu apparaît en rappel, que j’ouvre et lis, étonnée qu’il me parvienne si rapidement.

Encore merci pour ta présence, hier. Ta compagnie m’a, sur bien des points, conforté dans l’idée que nous devrions nous revoir. 

Je souris aux souvenirs de nos ébats. Monsieur F. me relance pour un second round, et j’avoue que je m’y vois déjà.

 Plaisir partagé, je t’assure. Mais n’oublie pas que la discrétion s’impose au club. Une idée aussi savoureuse que la première pour notre prochaine rencontre ? 

 Et si tu envisageais un engagement plus concret que de simples rendez-vous à la sauvette ? 

 Une relation suivie entre nous ? Je croyais que tu ne souhaitais pas d’investissement trop personnel. Du sexe sans conséquence, ce sont tes propres mots. Alors qu’attends-tu de plus que ce que nous avons déjà partagé ? 

Notre échange prend une tournure qui m’indispose. Jamais il n’a été question d’un quelconque engagement entre nous et voilà que Monsieur change d’avis !

 Un partenariat, si tu préfères, une sorte de contrat qui nous satisferait tous les deux. Je te laisse même toute latitude pour en définir les termes. Réfléchis-y. Cordialement, F. Carnot. »

Mais pour qui se prend-il ? Et surtout, pour qui me prend-il ? Une denrée monnayable, une poule de luxe ? Tout dans son message me révulse : son petit ton condescendant, sa proposition de « contrat », son aval à peine déguisé pour choisir les modalités de nos rencontres. Même son « cordialement » me débecte tant il est teinté d’indifférence. Nous avons tout de même baisé dans les quatre coins de la chambre et expérimenté des positions à faire rougir Clara Morgane !

Un coup d’œil sur l’heure m’indique que je dispose encore de dix bonnes minutes pour lui retourner une réponse à la hauteur de ma colère… jusqu’à ce que me revienne en mémoire le code déontologique de l’établissement : pas de fricotage avec la clientèle sous peine de licenciement pour faute grave. Si mon monsieur F. Carnot venait à se plaindre de mon attitude, même à mots couverts, auprès de Frédéric, intransigeant sur le sujet, je risquerais de perdre ma place. Mieux vaut que je couvre mes arrières en l’obligeant à poser par écrit ses propositions scabreuses.

 Quel genre d’arrangement exactement ? 

 Ta présence lorsque j’en aurais besoin contre une rémunération substantielle. Le principe ne te choque pas, au moins ? 

 Si tu parles de me payer pour quelque chose que je fais gratuitement d’ordinaire, si. 

 Envisage-le comme une prestation de service. J’ai apprécié ta compagnie. Ma profession m’amènerait probablement à faire appel à tes nombreuses qualités pour satisfaire certains de mes clients importants. 

Satisfaire certains de mes clients… Quel culot ! Voyant l’heure avancer et mes premières sportives passer la porte, j’arrête de tourner autour du pot et me jette à l’eau sans plus y mettre les formes.

 Et pour l’après-dîner, faut-il l’envisager comme un incontournable et y adjoindre une tarification ? Parce que si tel est le cas, nous parlons de prostitution. Es-tu vraiment prêt à payer pour ça aussi ? 

 Comme tu y vas ! Jamais je n’ai évoqué d’incontournables, et justement, le point que tu abordes faisait partie des termes laissés à ta discrétion. Je n’impose rien, que ce soit dans le cadre d’un échange privé entre toi et moi, ou professionnel avec l’un de mes collaborateurs. 

Alors là, je vois rouge. Il insiste, il s’imagine sérieusement me proposer à ses potes de coucheries !

 Encore heureux que tu me laisses ce choix ! C’est juste dégradant et immonde, ce que tu proposes ! 

 Ne te fais pas plus prude que tu n’es. Tu m’as prouvé, la nuit passée, que tu es plutôt large d’esprit. 

 Ma largesse d’esprit a des limites, que tu franchis avec ton histoire de contrat, tu t’en rends compte ? 

 N’y vois que de l’accompagnement personnalisé. Ni plus, ni moins. Ces pratiques existent déjà. Mais le fait est que je n’avais jusqu’alors jamais trouvé de sites ou de femmes assez fiables pour en user moi-même. 

 Et tu as pensé à moi ? Je ne sais pas si je dois me sentir flattée… 

 Tu peux, tu excellerais dans ce rôle, j’en suis convaincu. Mais prends le temps de la réflexion, je ne suis pas pressé. À très bientôt, j’espère, ma chère Olivia. Amicalement, F. 

Ce connard prétentieux vient de me raccrocher au nez par SMS interposé ! Mais tandis que je salue distraitement mes sportives en legging qui s’attroupent dans la salle, je ne peux m’empêcher de disséquer ses messages. Prestation de services, aucune autre contrainte que celle de mon éthique personnelle – fort malléable au demeurant –, ses arguments ainsi tournés demandent peut-être que je me penche plus avant sur la question. Et qu’entend-il par rémunération substantielle ? Je dois hélas couper court à mes interrogations, réalisant que le bruit de fond ambiant s’intensifie et que ces dames s’impatientent. Je plaque mon plus beau sourire sur mes lèvres, tape des mains pour attirer l’attention et lance la musique en énonçant les consignes des exercices.

– Et un, deux, trois, quatre… Escort-girl, c’est un vrai boulot, ça, ou juste un à-côté ? … Allez, mesdames, plus haut, les genoux !… Et ça paie combien, une soirée au resto à distraire un vieux rasoir ?… Attention, on change de côté ! Et huit, sept, six… Plus que trois et on a fini la série. Courage, mesdames ! … Aurais-je vraiment toute latitude pour refuser ces petits extras ? Parce que, comme l’a dit l’autre con, je ne suis pas prude, mais y a quand même des limites. Hors de question que je me tape n’importe qui pour du pognon ! … Soufflez, buvez un coup, on reprend dans une minute !

L’heure s’achève sans que je sois plus avancée sur l’aspect pratique du concept. J’ai même le cerveau encore plus en vrac qu’en début de cours. Pourtant, l’idée générale fait son chemin, à tel point que je l’envisage maintenant comme une opportunité éventuelle et plus comme un marchandage dégradant. Profitant du quart d’heure de pause avant le cours suivant, je file vers le bureau, un œil sur Alex qui me signale qu’il a encore besoin de quelques minutes pour achever sa série d’étirements. Discrètement, je consulte la fiche adhérent de mon Monsieur Carnot, François – ma mémoire n’est pas si défaillante –, cinquante-deux ans, une adresse dans les beaux quartiers de Sceaux et le forfait le plus onéreux du club, puis, pour camoufler mon indiscrétion, le planning des mois à venir. Quelle n’est pas ma surprise de découvrir ce dernier complètement remanié et mes vacances repoussées aux calendes grecques ! Encore une fois, mon boss me croit corvéable à merci. Sauf qu’aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur à me laisser exploiter, pas deux fois dans la même journée et par deux mecs différents.

Lorsque Fred passe la tête par l’embrasure pour m’annoncer innocemment que mon prochain cours débute dans moins de cinq minutes, ce rappel de l’horaire, bien qu’anodin, s’avère le mot de trop, et j’explose.

– C’est quoi, ce planning ? Tu délires ? Elles sont où, mes vacances ? J’en ai marre que tu te serves de moi à ta convenance. Je veux bien dépanner de temps en temps, mais là, tu te fous carrément de moi ! Ben, tu sais quoi ? Tu vas te les coller où je pense, tes heures sup, parce que je me barre de cette boîte, et pas plus tard que maintenant. Tu peux même te garder mon salaire d’août ou m’envoyer aux Prudhommes, j’en ai rien à battre !

Je claque la porte du bureau sans lui laisser l’opportunité d’argumenter. Sous le coup de la colère, les mots ont dépassé ma pensée, j’en prends conscience immédiatement. Mais étrangement, je n’éprouve aucun regret, juste du soulagement et un sentiment de liberté que j’avais presque oublié. Je stoppe net au milieu de la salle de musculation. Mon esclandre n’est pas passé inaperçu, les clients ont tous interrompu leurs exercices. Alexandre s’avance, la mine interrogative. L’inquiétude que je lis dans son regard m’est insupportable ; je m’élance vers lui et le gratifie d’une accolade qu’il me rend maladroitement. Et bien que j’aurais souhaité m’éclipser avec un peu plus de discrétion, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.

– Oh punaise, que ça fait du bien, tu ne peux pas imaginer !

– Tu m’expliques ?

– Plus tard. Là, je récupère mes affaires avant de partir. J’ai besoin d’un bon bol d’air.

– Non mais tu quittes vraiment le club ? Tu démissionnes comme ça, sur un coup de tête ?

– Bah oui. On a qu’une vie, non ? Et le changement a du bon, il ouvre le champ des possibles… Oh purée, j’ai une patate, moi ! Tu m’accompagnes ? Je vais au parc.

Je récupère mon sac de sport, pose mon badge en évidence sur le comptoir de l’accueil, pousse la porte vitrée, m’arrête sur le trottoir, le nez en l’air face au soleil, et inspire à pleins poumons. La gazelle s’était égarée, elle vient d’opérer un retour fracassant !

Dans mon dos, Alex se racle la gorge pour signaler sa présence. Il n’ose à l’évidence pas me questionner, mais je lui dois pourtant une explication. C’est ce qui se fait entre amis : partager ses mauvais comme ses bons moments et rassurer lorsque cela s’avère nécessaire. Je l’entraîne sans un mot vers le bois de la Garenne. Lui et moi connaissons parfaitement le lieu ; nous y courons régulièrement, d’autant qu’il est proche de nos domiciles respectifs. Alex me suit, tout aussi silencieux, jusqu’à ce que nous nous allongions à l’ombre d’un grand chêne.

– Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu claques la porte comme ça ?

– Un ras-le-bol général, rien de bien grave, ne t’inquiète pas.

– Bien sûr que je m’inquiète ! Tu comptes faire quoi, maintenant ?

– Je ne sais pas. Donner un nouveau souffle à ma vie. J’ai quelques économies, je ne suis pas pressée.

– T’es folle d’avoir lâché ton job sans avoir de solution de secours. Je te savais impulsive, mais là, tu m’en bouches un coin. Moi, je n’aurais jamais osé faire un truc pareil.

– Mais toi, c’est différent. Tu as une femme et des enfants. Tu es soutien de famille. Moi, je suis libre comme l’air, sans attache, je peux me permettre de papillonner.

– Ouais, pour papillonner, tu papillonnes, et pas que dans le boulot ! Non, mais sérieux, t’as pas une petite idée de ce que tu vas faire maintenant ?

Je me contorsionne pour sortir mon portable de mon sac, posé en oreiller sous ma tête. En fait, si, j’ai bien une vague idée de la direction à donner à ma vie, une idée insensée, une idée à ma mesure ! Je surfe quelques instants sur le net, concentrée, attentive à ma lecture, qui s’avère des plus enrichissantes, puis me tourne vers Alex qui semble assoupi à mes côtés.

– Tu dors ?

– Non, je pense à toi et à tes conneries.

– Rhô, tu penses à moi ? Flattée, mon chou ! Bon, tu veux savoir ce que j’ai envie de faire ? Je crois que j’ai trouvé.

Je lui tends mon portable, la page d’accueil du site d’escortes à l’écran, puis me rallonge et ferme les yeux pour le laisser méditer en paix sur ma dernière lubie. Son juron étouffé me fait sourire et les soupirs exaspérés qui suivent me poussent à revenir vers lui.

– Alors, tu en penses quoi ?

– T’es pas sérieuse, là ? Tu te rends compte de ce que c’est, ce site, j’espère ?

– Oui, parfaitement. Tu as tout lu dans le détail ? Tu as vu qu’il propose des missions d’accompagnement pour des dîners ou des soirées ? Qu’il s’adresse aussi aux sociétés, que ce sont des prestataires de services – et donc de vrais contrats, pas des passes sous le manteau ? Et qu’est-ce que tu penses des tarifs, édifiants, non ?

– Arrête, tu sais très bien que ce n’est qu’une façade pour vendre de la chair fraîche à des mecs friqués qui veulent prendre du bon temps ! Depuis quand es-tu si crédule ?

– Depuis qu’un mec friqué qui avait déjà pris du bon temps gratos m’a proposé le même genre d’arrangement. Et il a été clair : le sexe est optionnel, au bon vouloir de l’accompagnatrice. Réfléchis ! Ce gars est prêt à payer pour que je distraie ses clients importants le temps d’une soirée pour une somme honteusement surévaluée au vu du boulot à effectuer.

– C’est surréaliste, ton histoire ! Tu vas t’engager dans un monde dont tu ne connais rien, je trouve ça risqué. Non, imprudent.

– C’est pas surréaliste, juste exaltant ! Je ne te savais pas l’esprit si… étriqué.

– Étriqué, moi ? OK, tu veux délirer ? Délirons. Quitte à foncer tête baissée, je t’imagine parfaitement offrir tes services de coach sportif en plus des soirées. Et sport en chambre, bien évidemment. Tu ne te caches pas d’apprécier grandement la chose ! Mais si tu te fais rémunérer pour la formule « all inclusive », je n’ai pas besoin de te rappeler comment ça s’appelle.

– Oh, arrête avec cet aspect du boulot ! Tu restes focalisé sur ce point de détail alors que je peux tout à fait monter une agence où il ne sera justement pas mis en avant, voire pas du tout mentionné. Après, tu me connais, si une agréable opportunité se présente, je ne bouderai pas mon plaisir de…

– Bon, tu me laisses poursuivre ou tu fantasmes déjà ? Je suis en train de poser les bases de ta future petite entreprise bien sous tous rapports, comme tu veux me le laisser croire, et tu me coupes dans mon élan créatif.

– Désolée. Vas-y, continue et développe le fond de ta pensée, je suis tout ouïe.

– Merci. Bon, je sais que tu proposais des séances de sophrologie, à la salle. Rajoute-le à ton CV, c’est porteur comme activité et les hommes d’affaires sont toujours trop stressés. Et puis, tu vas rapidement recruter, allez, disons deux ou trois nanas intelligentes et bien gaulées, avec des compétences complémentaires. Une ou deux bilingues, ce serait parfait : anglais, russe et… chinois. C’est bien, ça, pour la clientèle étrangère ? Oh, et des mecs aussi, pour les femmes d’affaires. Faut pas les oublier, celles-là ! Et comme c’est super bien payé, je vais même lâcher mes gardes de nuit à l’hôpital pour te rejoindre dans ta super agence. Comme ça, je…

– Chiche !

– Chiche quoi ? Je déconne, là !

– Eh ben, chiche quand même que tu bosses avec moi ! Par contre, comme je suis nulle niveau organisation des plannings, il me faut quelqu’un pour m’aider. Et un comptable aussi. C’est indispensable si je monte ma boîte. Sans oublier qu’il est primordial de créer un site, mais l’informatique et moi…

– Ah, tu en es déjà à créer un site et chercher un comptable ? T’es sérieusement motivée, à ce que je vois. Pourquoi me demandes-tu mon avis si, dans ta petite tête survoltée, ta décision est prise ?

– Parce que tu es l’un de mes meilleurs amis et que j’ai besoin de ton soutien.

– Mon soutien moral, tu l’as. Ma participation active à ce projet insensé, beaucoup moins, j’avoue. Au mieux, je peux t’aider à gérer un planning. Pour le reste, je ne suis pas qualifié. Encore moins prêt à quitter mon poste d’infirmier pour jouer les gigolos. Je me foutais juste de toi !

– Comment ça ? Tu ne veux pas devenir le premier employé de l’agence Mayfly et mettre du beurre dans les épinards avec quelques soirées agréables dans de bons restaurants ? Pour ce que j’en ai vu, c’est cinq cents balles au bas mot la soirée, c’est pas rien quand même.

– Mayfly? c’est quoi, ce nom ?

– « Éphémère », en anglais. J’aime bien la symbolique. On est là, lumineux, hypnotiques, on virevolte et pouf, on disparaît aussi vite… C’est beau, non ?

Ma petite envolée poétique vient de me faire perdre Alex. Il botte en touche, c’est flagrant. Sur le dos, les mains sous la nuque et les yeux rivés sur le feuillage qui nous surplombe, il est plongé dans ses pensées. Je l’observe un instant avant de me rallonger sur l’herbe rase en soupirant. D’ordinaire, surtout quand il rêvasse, il chantonne, un tic que je trouve adorable. Alors quand Alex reste muet, c’est qu’il réprouve et qu’il n’ose plus contre-argumenter de peur de blesser. Son silence, en cet instant, est donc mauvais signe : je n’ai pas son approbation, encore moins sa coopération, et cela me blesse tout autant qu’une bonne dispute constructive. Marie-So aurait-elle la même réaction, la même aversion pour ce que je m’apprête à entreprendre ?

– Si j’accepte d’y réfléchir, ce serait uniquement pour m’assurer que tu ne t’engages pas dans un truc louche. Mais je ne promets rien de plus, on est d’accord ?

J’opine de la tête, incapable de formuler le moindre mot. Si j’ouvre la bouche, je risque de le remercier avec tant d’empressement que cela en deviendrait indécent et déplacé entre nous.

– Hé, on est bien d’accord ?

– Oui… Tu ne crois pas que je suis un peu dingue ?

– Totalement… Bon, je vais rentrer. Mélanie a emmené les enfants à l’Aquaboulevard. À défaut de pouvoir se payer de longues vacances, faut bien leur faire un petit plaisir de temps en temps. Je vais en profiter pour potasser le sujet avant qu’ils reviennent… Tu te rends compte que je ne ferais pas ça pour n’importe qui ?

– Tu es un vrai ami, Alex, j’en ai conscience… Je vais appeler Marie-Sophie, tu sais, ma copine d’enfance. Elle sera aussi de bon conseil. Enfin, si elle ne hurle pas à l’hérésie !

Alex ajuste son sac à dos sans mot dire. Il semble pressé de partir. Me fuit-il ou, comme il l’a dit, va-t-il prendre un peu de recul pour analyser la situation à tête reposée ? Il me salue d’un geste de la main et s’éloigne en petites foulées malgré la chaleur écrasante. Je récupère mon téléphone posé sur mes genoux, lis en diagonale, puis efface sans remords le message larmoyant de Fred qui me supplie de « reconsidérer ma décision hâtive et mon emportement disproportionné », et commence à écrire :

« Salut, ma So chérie ! Je viens de plaquer mon boulot et j’ai besoin de ma meilleure amie pour lui parler d’un nouveau projet. Tu me connais, je fais rarement dans le conventionnel, mais là, il faut vraiment que je t’explique, et que tu ne me prennes pas pour une folle. Je voudrais ouvrir une agence un peu spéciale et… »

Chapitre 2 :DilemmeAlexandre

Escort-boy ! Aucun doute qu’Olivia a perdu la tête !

Certes, son projet est dans l’air du temps, sa proposition de participer à l’aventure reste à étudier, surtout si l’on ne songe qu’à la contrepartie financière que j’en retirerais. Assis sur le canapé, l’ordinateur sur les genoux, je décortique une seconde fois le site auquel ma foldingue d’amie faisait allusion. Et ses dires se confirment : cinq cents euros vite gagnés, sans compter le fait de partager de plaisants moments en agréable compagnie, tous frais payés, alors que je m’épuise à cumuler les heures supplémentaires à l’hôpital. Cependant, je ne suis pas prêt à jouer au gigolo. Même si la contribution sexuelle n’est pas de mise dans les prestations qu’elle envisage d’offrir aux clients, « escorte » s’associe fréquemment avec « prostitution ». D’après Olivia, le « plus si affinités » resterait un choix personnel des membres de l’équipe dont je suis, à cette heure, le seul potentiel membre. Or, la simple idée de vendre mon corps me révulse. Comment le pourrais-je, moi, l’homme marié n’ayant jamais cédé à la tentation d’un intermède sexuel ?

Ce n’est pas faute de sollicitations. J’ai depuis longtemps conscience que mon mètre quatre-vingts et ma silhouette athlétique me cataloguent de « beau gosse » et je me vois parfois dans l’obligation d’évincer, avec autant de diplomatie que possible, les avances de femmes entreprenantes. À la salle surtout, où je soupçonne Olivia d’inciter certaines clientes à me torturer. Elle-même ne s’est pas privée de me proposer un cinq-à-sept « torride » dès notre première rencontre. Mon refus l’a étonnée, tout comme les rejets en douceur de toutes celles qu’elle tente par taquinerie de me coller dans les pattes. Olivia est persuadée qu’un homme reste un homme, donc sensible à la tentation. Mais du sexe pour du sexe, très peu pour moi ! Néanmoins, parfois, je me retrouve par sa faute dans quelques situations embarrassantes, ce qui l’amuse particulièrement. Je la vois rire sous cape, quand elle ne se gausse pas ouvertement avec des : « Tu es mignon quand tu rougis. » Olivia peut être peste quelquefois.

Avec le temps, nous avons appris à nous connaître et nous apprécier. Après avoir décliné sa proposition flatteuse, j’ai redouté que nos rencontres au club deviennent inconfortables. A contrario, dépassé le physique, nos rapports ont évolué en une vraie amitié. Aujourd’hui, elle ose m’avouer sans détour que mon refus, bien que frustrant sur l’instant, nous a finalement ouvert les portes d’une relation bien plus riche. « Un ami, c’est mille fois mieux qu’un sex-friend », me dit-elle souvent. « Les amis, ceux sur qui on peut compter en toute circonstance, sont rares et précieux. Ils ne se remplacent pas. Les partenaires de baise sont interchangeables, et finalement assez prévisibles. Je n’ai qu’à jeter mon dévolu sur un homme ou une femme, et le tour est joué, jusqu’à ce que nous nous lassions l’un de l’autre. »

Autant Olivia croit en l’amitié, autant elle ne croit pas en l’amour durable. Pourtant, à quarante-trois ans, elle n’a pas à craindre pour son pouvoir de séduction, bien qu’il lui arrive peut-être de douter, ce qui expliquerait son besoin de cumuler les aventures. J’ai beau prendre mon couple pour exemple, elle me rit au nez. Pour elle, je ne suis que l’exception qui confirme la règle. Et de rajouter pour avoir le dernier mot : « Hum, hum, pour l’instant. De toute façon, je ne veux pas d’une existence sans réelle fantaisie, avec des mioches en prime. » Cette réflexion, elle me l’a rebattue si souvent ! Et chaque fois, elle me vexe un peu plus. Ma vie n’est ni terne ni monotone, mais au contraire riche de rencontres, dont celle de Mélanie, la plus belle d’entre toutes. Je suis fier de ce que nous avons accompli ensemble, de nos enfants, Enzo et Léa.

L’ouverture de la porte d’entrée me surprend en pleine introspection. Je coupe à la hâte l’ordinateur et me lève du canapé pour accueillir mes amours, surexcités par leur après-midi à la piscine. Léa me saute dans les bras et entame un récit détaillé de ses exploits aquatiques tandis qu’Enzo se jette sur le frigidaire en criant à l’hypoglycémie. Ma pauvre Mel ferme la marche, affublée des deux sacs de serviettes détrempées. J’envoie Léa à la douche et déleste de son chargement mon épouse éreintée mais radieuse, lui volant un baiser au passage. Elle se coule dans mes bras, en réclame un second pour son incommensurable dévouement envers nos enfants, et Olivia quitte aussitôt mes pensées.

Vingt ans après notre rencontre et malgré les aléas de la vie, nous nous aimons comme au premier jour. Jamais de coup de canif au contrat. Des disputes ? Souvent, la plupart du temps pour des broutilles. La fatigue, les problèmes financiers en sont les déclencheurs, mais elles ne durent pas plus d’un quart d’heure. Notre amour, certes moins passionnel qu’au début de notre vie commune, me semble inébranlable. Mél est mon âme sœur, ma compagne de tous les jours, ma confidente, mon amante. Sans elle à mes côtés, je serais dévasté. Pourtant, tandis que je l’observe du coin de l’œil, alanguie contre mon torse alors que le film du soir débute et que j’aimerais lui parler, je me retiens. Je pense la connaître suffisamment pour affirmer qu’elle n’accepterait pas ce boulot d’appoint qui améliorerait cependant notre quotidien. Elle a conscience que les heures supplémentaires à l’hôpital, de nuit le plus souvent, me pèsent désormais, que ce rythme en perpétuel décalage est épuisant et que plus le temps passe, plus mes absences minent notre vie de famille et notre couple. Mais notre harmonie ne serait-elle pas compromise, voire corrompue par le doute, si je venais à travailler pour Olivia ? Ne souhaitant pas briser la quiétude de notre moment, juste nous deux lovés l’un contre l’autre, je préfère me taire. Lorsque je serai sûr de ma décision, il sera toujours temps d’aborder le sujet.

*

Quatre jours que je rumine au travail, que je tourne la proposition d’Olivia dans tous les sens à en perdre le sommeil, que je tergiverse, m’emballe, me rétracte. Quel dilemme ! D’un côté, j’ai l’assurance d’une entrée d’argent bienvenue et conséquente, d’autant que mes heures supplémentaires sont à la baisse, vu la réglementation hospitalière en vigueur, de l’autre la perspective de m’embringuer dans une situation complexe, puisqu’une chose est sûre : je dois tenir ma femme à l’écart de ce projet qu’elle réprouverait sans hésiter. Je culpabilise de refuser de débattre du sujet avec elle, comme pour toutes nos grandes décisions, toujours prises de concert. Mais je sais pertinemment qu’elle aussi associerait escorte et sexe. Pour la première fois de notre vie commune, ce choix sera unilatéral. Sans la bénédiction de Mélanie. Mais pour une bonne cause ! Le bénéfice financier pèse lourd dans la balance, bien plus lourd qu’un secret. C’est du moins ce dont je cherche à me convaincre. Néanmoins, je suis conscient des mensonges qu’il me faudra gérer. J’envisage donc, sans réel engouement, de tenter l’expérience qu’Olivia me propose.

Je suis tout à mes questionnements intérieurs quand l’arrivée d’Amina me sort de mes sombres pensées, illuminant ma journée de travail de son sourire et de sa joie de vivre retrouvée, malgré l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

– Hello ! C’est la pause-café ? me demande-t-elle en pénétrant dans l’office1.

Elle m’embrasse avec effusion. Je lui rends son étreinte.

– Oui. Tu en veux un ? Du déca, bien sûr !

Amina soupire. Réduire sa consommation de café fut pour elle plus difficile que de s’adapter au régime sans sel et autres restrictions que lui impose sa maladie cardiaque. Comme je la comprends. La caféine est ma drogue, je ne pourrais m’en passer.

Discrètement, je l’observe en préparant sa tasse. Quelle métamorphose depuis que j’ai fait sa connaissance, deux ans plus tôt, lors de sa première hospitalisation ! À l’annonce du diagnostic, elle s’était effondrée. Seule, hormis quelques visites sporadiques de collègues de travail, elle avait dû faire face à un avenir incertain, voire morbide. Sa détresse m’avait émue, plus que de raison peut-être. Bien sûr, de nombreuses soignantes la soutenaient, touchées elles aussi par sa fragilité, conscientes des épreuves qui l’attendaient. Mais moi, j’avais franchi cette ligne qui maintient une distance entre soignants et soignés. Pendant des semaines, je l’avais vue sombrer. Je m’étais efforcé de la maintenir loin des abysses, mais rien n’y faisait, elle s’étiolait, sonnée. Puis, soudain, elle avait relevé la tête, serré les poings, et s’était battue comme une lionne, refusant la fatalité.

Mon accompagnement nous permit de tisser des liens, au point que l’infirmier devint l’ami, la patiente, la sœur que je n’ai pas eue. Je suis son confident, elle est le mien. Mél s’était inquiétée de cet attachement mutuel, anticipant ma souffrance si l’état d’Amina s’aggravait et que le pire advenait. Mais je l’avais rassurée, arguant que j’assumais pleinement mon attitude envers elle, ayant calmé ses cris et consolé ses pleurs au creux de mes bras une fois passés le déni et la colère devant une telle injustice.

Aujourd’hui, l’état d’Amina est stabilisé et elle a repris une vie normale, tout en ayant fait le deuil de son métier. Plus ou moins, devrais-je dire. Ne plus être hôtesse de l’air sur les longs courriers lui pèse ; travailler au sol ne comble pas sa soif d’aventures. Son dynamisme retrouvé, elle désespère de ne plus voyager. Sous ses airs sereins gronde toujours une colère latente, et mieux vaut ne pas être l’objet de son ire. À sa décharge, ses sautes d’humeur sont extrêmement rares, et justifiées. J’ai encore en mémoire sa hargne envers le docteur Plessin lorsqu’il lui expliqua qu’une des causes de cardiopathie était l’alcool et qu’elle devrait, à l’avenir, le bannir de ses habitudes alimentaires. Je suis certain que, désormais, il réfléchira à deux fois avant d’établir un diagnostic aussi sujet à clichés et qu’il se penchera sur toutes les autres pistes. Pour autant que je me souvienne, ce fut bien l’unique fois où je le vis aussi décontenancé face à une patiente furibonde, altercation dont aurait d’ailleurs pu se passer Amina. Son cœur affaibli n’apprécia guère : montée en flèche de sa tension et troubles de son rythme cardiaque. Depuis, elle fait du yoga avec Mélanie.

– Alors, qu’est ce qui t’amène ? Visite de contrôle, je présume ? Dans le cas contraire, tu m’aurais appelé pour me décrire tous tes maux.

– Hmm. Tu me connais par cœur, tu sais que je cogite beaucoup, que ma nouvelle vie me pèse tant je m’y ennuie… En fait, j’étais inquiète et…

– Quoi ? m’exclamé-je.

Mon amie s’agite sur sa chaise, mal à l’aise, et fuit mon regard.

– Je ne voulais pas te déranger pour rien. La preuve, le docteur Plessin l’a confirmé : je me suis encore alarmée à tort.

– Amina ! lancé-je d’un ton sévère.

– Alex, je t’en prie, arrête ! J’envahis sans cesse ton espace et je ne veux pas créer de tensions entre toi et Mélanie.

– Quelle idée ! Mélanie t’adore, tu le sais, n’est-ce pas ?

– Oui, bien sûr. N’en parlons plus, d’accord ?

– À condition que tu promettes de m’appeler la prochaine fois.

– Promis, juré, craché. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer.

Je me renfrogne à l’allusion du mensonge, songeant que je vais devoir apprendre à camoufler les miens. Exercice périlleux lorsqu’on voit comme je masque si mal mes émotions ! La preuve, Amina détecte mon changement d’humeur.

– Qu’est-ce qui se passe ? Tu as des problèmes ?

– Non. Pas encore, du moins.

– Comment ça, pas encore ?

– Eh bien… Olivia, tu sais, mon amie prof à la salle de sport, elle m’a proposé un boulot dans l’agence qu’elle veut créer…

– Tu quitterais l’hôpital ? Pour faire quoi ?

– Non ! Infirmier, c’est ma vie ! Ce serait un job d’appoint, à la place des heures sup.

– Je ne comprends pas où est le souci. Mél sera ravie. Elle se désole de te voir cumuler autant d’heures pour une si maigre compensation financière.

– C’est que le poste est un peu particulier et Mélanie n’acceptera jamais.

– J’en doute.

– Crois-moi. Si je lui en parle, c’est mort !

– Quoi ? Tu vas accepter et lui cacher ?

– Je ne suis pas sûr d’avoir le choix. La rémunération est bien au-dessus de celle des heures supplémentaires, et j’ai pratiquement atteint mon quota pour cette année. Je vais me retrouver sur la touche. Des arguments qui font pencher la balance des plus, contre les moins de mes missions futures.

– Waouh, tu m’intrigues ! C’est quoi, ce poste ?

– Escort, avoué-je sans gloire, me penchant vers elle pour éviter que ma voix porte trop vers des oreilles indiscrètes.

– Non ! s’esclaffe-t-elle en reposant sa tasse, qu’elle manque de renverser. Tu me fais une blague ?

– Absolument pas ! déclaré-je dans un sursaut de dignité. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, peut-être que ce projet pourrait aussi t’être bénéfique et remonter autant ton moral que tes finances. Je suis même sûr qu’il y aurait une place pour toi, ajouté-je pour contrecarrer son hilarité. Olivia va devoir recruter, tu pourrais postuler.

– Non mais t’es pas sérieux ? Moi, employée d’une agence d’escortes ? Et toi, tu es prêt à accepter ?! Tu vas coucher avec…

– Sûrement pas ! Chez Mayfly, nom pressenti pour l’entreprise, a priori, le sexe ne serait qu’optionnel.

– Non, ça marche pas comme ça, ce genre de boîte. Votre projet est voué à l’échec.

– Je ne suis pas de ton avis. J’ai fait des recherches sur internet. Certaines agences offrent déjà des prestations de ce genre. Et j’ai lu un article très intéressant, le témoignage de plusieurs hommes qui racontent leurs expériences. Seuls deux d’entre eux concluent la soirée par du sexe et pour autant les autres ont, malgré tout, une clientèle fidèle.

– Mouais, je suis sceptique.

– Tu devrais venir avec moi chez Olivia demain et écouter son exposé. Toi aussi, tu y trouverais ton compte. Tu t’ennuies tellement dans ton boulot ! Tu viens de le dire, en plus. Vois là une occasion de rêve pour pimenter ta vie.

– Hum, je ne sais pas, ça demande réflexion. Perso, moi, contrairement à toi, je peux me lancer dans ce genre d’aventure. Je veux dire, hypothétiquement. Et qui sait, je rencontrerai peut-être quelqu’un susceptible de m’aider dans mon propre projet. Au pire, la contre partie financière serait bienvenue pour rémunérer un avocat. Sans compter que quelques soirées hors de mon appartement me distrairaient, c’est sûr. Mais toi ? Tu ne peux pas t’engager dans un truc pareil sans en informer Mélanie !

– Malheureusement, il faudra en passer par là. Jamais elle ne croira que mes missions se dérouleront en tout bien, tout honneur. Et même si elle me fait confiance, elle trouvera ce boulot dégradant et n’acceptera jamais de me voir faire le gigolo. Parce que ça y ressemble, de prime abord. Mais si je ne prends pas ce job, adieu les extras, cinés, restos et compagnie. Alors, tu comprends mon dilemme ?

– Tu vas lui mentir. Penses-tu être capable de l’assumer jusqu’au bout ? Et si elle l’apprend ? s’inquiète-t-elle en posant sa main sur la mienne, les sourcils froncés et le regard scrutateur. Es-tu certain de vouloir prendre le risque de mettre ton couple en danger ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

– On verra, au fil du temps. Peut-être que j’abandonnerai, vu que je ne suis même pas sûr d’être à la hauteur. Alors pourquoi risquer de se disputer pour rien ? Dans le cas contraire, il sera toujours temps de lui en parler, et j’aurai des arguments pertinents pour la convaincre.

– OK, à toi de voir ! lâche-t-elle dans un soupir résigné. Mais ce serait peut-être bien que je t’accompagne demain, alors. Je pourrai me faire ma propre opinion et éventuellement postuler, va savoir. Tu crois que ma présence posera problème à ta future patronne ?

– Non, je suis sûr que non. En plus, je suis persuadé que tu vas bien t’entendre avec Olivia… Allez ! insisté-je en la sentant hésiter. Ça ne t’engage à rien.

– D’accord, mais à une condition : que tu me promettes de bien réfléchir aux risques que tu cours en n’informant pas Mélanie de ta décision.

Je les connais, ces fichues conséquences ! Mélanie sera furieuse, elle abhorre le mensonge.

– J’ai déjà bien analysé la situation. Ça reste une opportunité en or…

Amina lève les yeux au ciel, excédée par mes réponses.

– T’inquiète pas, je vais gérer. Viens avec moi demain. Au pire, tu perdras une heure de ton temps. Au mieux, tu repars avec un contrat de travail d’appoint.

– Bah, si ça te fait plaisir d’y croire ! … OK, je ne vais pas t’abandonner, même si je pense que tu t’engages sur une pente savonneuse ! Tu m’appelles pour me donner le lieu du rendez-vous ?

Génial, je l’ai convaincue de m’accompagner, et j’en suis soulagé tant j’ai besoin de son soutien. En réalité, bien que je frime un peu, j’ignore comment je vais concilier mon planning familial et professionnel avec celui d’escorte, ni si mes mensonges seront crédibles tellement je suis médiocre dans ce domaine.

Amina se lève avant que j’aie le temps de la remercier, dépose une bise rapide sur ma joue et se dirige vers la sortie. Elle y croise Victoria, une aide-soignante rencontrée lors de sa dernière hospitalisation, qui la salue d’un jovial : « Au revoir, contente de vous voir en forme ! » Rasséréné d’avoir pu confirmer de vive voix ma décision, rassuré qu’elle soit plus ou moins validée par mon amie, je regarde s’éloigner celle qui m’a si souvent traité d’ange gardien. Aujourd’hui, c’est elle, mon ange protecteur, pour le meilleur comme peut-être le pire. Mais seul l’avenir le dira.

1. Salle de pause des soignants.

Chapitre 3 :À la rescousseMarie-Sophie

Je m’éveille et m’étire ; un sourire béat se dessine sur mes lèvres au souvenir du rêve érotique qui a sublimé ma nuit. Notre trop brève étreinte, hier soir, m’aurait laissée comme de coutume sur ma faim si je ne l’avais pas égayée de décadents fantasmes et d’un brin de masturbation. Moyennant quoi, j’avais pu atteindre l’orgasme, à défaut de jouir sous les assauts soporifiques de mon mari, qui semble invariablement accorder ses efforts aux oscillations d’un métronome réglé sur valse lente.

Je rougis, un peu honteuse de cette pensée, et j’imagine le regard horrifié de Charles si je venais à évoquer un peu plus de fantaisie. Certes, je ne lui demanderai pas de tester ni pratiques trop périlleuses ni lieux peu conventionnels, j’aime trop mon confort. Cependant, j’apprécierais un peu plus d’allant, à défaut d’une fougue animale qui ne m’emballerait guère plus. J’avoue que, depuis peu, mon esprit vagabonde, influencé par des lectures d’un nouveau genre : la New Romance et ses descriptions délicieusement pimentées. Sans compter qu’Olivia se plaît à m’assommer régulièrement de son discours sur la liberté sexuelle chèrement acquise dont je ne profite pas. Pour elle, la femme n’est pas uniquement préposée à donner du plaisir à son partenaire mais aussi à en recevoir, à être actrice et non soumise aux jeux de pouvoir d’un homme. À bas les relations sexuelles comme un devoir conjugal ! Mon amie est une rebelle. Moi pas.