Meurtres à Agen - Muriel Carchon - E-Book

Meurtres à Agen E-Book

Muriel Carchon

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Beschreibung

Une époustouflante enquête policière, menée d’un ton enjoué, qui tente de dénouer les liens entre une famille sicilienne et la naissance d’un enfant, dit sacré.
Jacques, dans un récit, évoque l’Ordre de chevalerie datant des croisades : les Gardiens du Phénix. Margot, sa compagne, thanatopracteur l’a lu. Un jour, dans la morgue, l’incroyable se produit : un homme assassiné porte le blason de cet ordre, tatoué sur une épaule. Neuf siècles les séparent ! Comment est-ce possible ? Ils décident d’assister aux obsèques de l’inconnu. Le lieutenant de police Pascal Rollin, du SRPJ d’Agen, les observe puis les prend en filature. Entrent en scène un redoutable cardinal, une femme de chambre, une religieuse à moto… Tous impliqués et peut-être victimes… Une traque implacable emporte le lecteur sur un rythme effréné des catacombes de Palerme au bain turc de Syracuse, en passant par la Cité de Carcassonne.


À PROPOS DE L'AUTEURE


De ses années d’enfance en Algérie, Muriel Carchon, née en 1953, garde le goût de l’ailleurs. Eternelle voyageuse, elle aime rencontrer l’Autre, est curieuse de tout, toujours enthousiaste... Elle pose sa besace au Pays de Cocagne. Elles vit à Lauraduc (11).

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Muriel Carchon

Meurtres

à Agen

La Croisade de l’élu

à Yvan, compagnon de route,

vieux baroudeur de l’Écriture

Vanité des Vanités ! Tout est vanité !

l’Ecclésiaste

Jacques et son récit

Jacques habitait dans un minuscule studio. Avec, pour compagnie, trois représentants de la gent animale. Parfois il se demandait, les regardant évoluer apparemment heureux, chacun dans son élément, comment il avait pu insérer leur habitat entre le minuscule frigo et un placard du même acabit. Espace nécessaire pour que, sur une petite table branlante, prennent place la cage de Zébulon le hamster, le bocal d’Oscar, le poisson rouge, un magnifique voile de Chine et la volière de Cri-Cri, le superbe mandarin. Ce dernier avait vue sur la rue et profitait des premiers rayons du soleil.

Il faut dire que leur installation avait été le fruit d’une longue réflexion de la part de Jacques. Un agencement savamment élaboré par le maître des lieux. En fait, Jacques avait choisi l’étage de chaque locataire en fonction de son activité. Zébulon, le hamster, qui tel Sisyphe tournant inlassablement sa roue, méritait d’être posé directement sur la table. Il ne pouvait menacer l’équilibre fragile de l’édifice par son animation nocturne. De plus, le bocal d’Oscar, empli à moitié d’eau, finissait de stabiliser le tout. Alors seulement Jacques songea à poser l’élégante volière de Cri-Cri, sur un socle cylindrique qui s’inscrivait miraculeusement dans le col rond du bocal d’Oscar.

Cet ordre, qui pouvait paraître hasardeux, obéissait aux besoins des activités de chacun. Zébulon, dormant le jour, n’avait pas besoin de vue. Oscar, c’était bien connu tournait en rond comme un poisson dans l’eau. Le premier étage lui fut donc attribué d’emblée. C’était largement suffisant pour sa curiosité circulaire. Le grand gagnant, dans cette cohabitation verticale, était l’élégant Cri-Cri, le favori de Jacques. Il surplombait le tout et pouvait apercevoir de sa cage, par la fenêtre, l’activité des bipèdes qui marchaient en tous sens dans la rue.

Cri-Cri dominait ce petit monde d’un regard étincelant. Avec parfois une pointe de malice. Surtout quand, dès les premières lueurs de l’aube il poussait ses étranges cris, qui éveillaient Jacques subitement. Il ne manquait pas de grommeler dans son sommeil en tirant sa couette encore plus haut. On pouvait alors apercevoir, s’échappant de ce nuage blanc, quelques mèches de cheveux en bataille d’un roux flamboyant.

Un matin, il en fut tout autrement. Jacques repoussa le drap, s’étira longuement en tous sens et bondit hors de son lit.

— Mes enfants, aujourd’hui est un grand jour !

Oui, il lui arrivait de leur parler. Il arrive parfois qu’une trop longue solitude mène à ce type de comportement. Mais Jacques avait trouvé l’astuce. Il ne vivait pas en solitaire puisqu’il avait à charge trois vies qui dépendaient de lui. Donc, dans son studio, il ne parlait pas seul mais à ses trois colocataires.

— Bon alors ? Pour ces messieurs-dames ce sera – oui, il avait décidé que Zébulon était une demoiselle – ce sera comme d’habitude…

Et là, une mouche aurait pu assister à un ballet somptueux ayant pour soliste, sur scène, un Jacques virevoltant de ci, de là. Apportant de l’eau à l’un, oui, pas à Oscar qui n’en avait pas besoin. Des graines à l’autre et au troisième un os de seiche

Il avait filé sous la douche et failli s’ébouillanter. Il lui faudrait penser à faire régler ce chauffe-eau, songea-t-il en sautant dans un jean. Il passa un certain temps avant de trouver son T-shirt roulé en boule sous son oreiller. Un vague coup de peigne pour ses cheveux.

C’est bon, il était prêt. Il passa près de son ordi et d’un geste rapide ramassa la clé USB sur son bureau. Cri-Cri, interloqué, n’avait même pas vu la main se saisir de l’objet et faillit s’étrangler dans un cri étouffé.

— Eh oui, Cri-Cri, plus rapide que moi, tu meurs !

Fier de ces paroles, il arracha aussitôt le blouson du dossier de l’unique chaise du studio, ouvrit la porte et la claqua aussitôt. Il était déjà dans la rue le nez au vent, en se dirigeant vers le bistrot où il avait ses habitudes de célibataire. Il arriva en trombe, commanda un chocolat à Jeannot, le patron et montrant la clé USB, il jeta :

— Je vais chez Corep, le temps pour toi de le faire et je suis de retour…

Le patron le connaissait bien. Souvent, il se disait, c’est une vraie tornade. Le temps qu’il aille prendre une commande au fond du bar, Jacques de retour, était installé en terrasse – enfin un espace étroit pour deux tables – et le patron arrivait, une tasse fumante avec une chocolatine.

— Ah Jeannot ! C’est bon ces rayons de soleil matinaux ! On revit !

Jeannot qui desservait l’autre table s’exclama en essuyant soigneusement le plateau,

— Tu revis ? Toi ? J’savais pas que t’étais mort ! Je te jure qu’avec toutes tes allées et venues, franchement, pour moi, t’as jamais été mort ! La mort, vois-tu…

Un client fit signe, emportant Jeannot et son grand discours sur la vie et la mort. En fait, quand l’activité était au ralenti, les deux hommes se plaisaient à échanger des considérations sur l’actualité, les malheurs du monde et de l’homme. Jeannot possédait le riche bon sens de l’autodidacte, l’homme qui s’était fait seul.

Jacques se retrouva devant son chocolat fumant, l’esprit vacant. Il se situait comme entre parenthèses. Il éprouvait le besoin de souffler, de vivre sans projet précis. Seulement le besoin de goûter au temps qui passe, de regarder tranquillement la vie s’éveiller autour de lui. Il faut dire que ces deux dernières années avaient été éprouvantes.

Lui, qui était un solitaire forcené, s’était trouvé mêlé à une histoire d’un autre âge, digne d’un roman ésotérique, avec cape, épée et adoubement de chevalier. Il avait cru un temps avoir rêvé, mais le domaine de Béthanie existait réellement.

Il en était devenu l’unique gardien, depuis le départ de Julie et Jacques de Layens.

Et puis, il avait rencontré le grand amour… Enfin, c’est ainsi qu’il ressentait ce qu’il vivait avec Margot. Il avait vécu bien des fredaines, comme on dit dans les mauvais romans, mais avec Margot, c’était du sérieux. Il l’avait senti aussitôt. Cette fille l’avait pris aux tripes. Non, pas le bas-ventre mais son cœur s’était noué quand ils s’étaient rencontrés. Il l’avait compris dès le premier instant et était tombé raide amoureux. Il était perdu !

Margot avait refusé de rejoindre sa ménagerie. Chacun vivait chez soi. Elle avait des obligations, besoin d’espace. Il faut dire que Margot avait pour compagne, Mouna, une magnifique chatte angora rousse aux yeux verts. La première fois que Jacques était venu, il sut qu’il ne serait que toléré chez la belle Mouna. Elle ne le lâchait pas du regard et il fallut ruser, cette nuit-là, pour que Margot et lui se retrouvent seulement à deux sous la couette.

À ce souvenir Jacques eut le sourire. Bientôt un an qu’ils se connaissaient bibliquement. Une harmonie parfaite ! Une seule chose l’ennuyait et le tracassait. Il lui cachait quelque chose d’important et ce n’était pas dans sa nature de garder le silence sur une partie de sa vie. Il souhaitait s’en libérer, tout lui confier.

Mais il avait prêté un serment qui l’engageait à ne rien révéler. Aussi insolite que cela puisse être à notre époque, il était lié par une promesse de silence à un Ordre de Chevalerie et à son Vénérable Maître. Sa vie en avait été bouleversée.

Il secoua la tête comme pour chasser une rêverie. Il se devait de lui révéler son histoire, mais comment ? Il ne pouvait continuer ainsi. Qu’elle ne sache pas tout sur lui le mettait mal à l’aise. Il se sentait en porte à faux. Ce n’était pas lui. Il n’aspirait qu’à une chose, tout lui dire. Et le silence sur cette période récente de son histoire, restée malgré lui dans l’ombre, lui était devenue insupportable. Il aspirait à la plus grande transparence. Il songea à un subterfuge.

Écrire un soi-disant roman-récit pour Margot !

Elle serait l’unique lectrice de ce texte. Cela lui permettait ainsi de lever le voile sur une partie de sa vie sans rien en révéler vraiment… Puisque ce n’était qu’un roman !

Jacques goûtait à cet air matinal et dégustait son chocolat brûlant à la terrasse du café. Son esprit vagabondait. Un lézard se chauffait au soleil… Tiens un lézard, songea-t-il. Mais il renonça vite à l’idée de l’adopter, imaginant la tête de Margot en découvrant le nouveau locataire dans le studio.

Il s’étira comme un chat sous les premiers rayons du soleil toulousain. Les quelques miettes de sa chocolatine firent le bonheur des trop rares moineaux qui fréquentaient encore le trottoir de Jeannot. Il les regardait se disputer dans des grands cris et battements d’ailes.

Le bruit de la ville n’arrivait pas jusqu’à lui. Il se sentait chanceux et envisageait même de sérieux projets avec Margot en ligne de mire. Avec elle, il pensait, sinon refaire le monde, au moins le peupler. C’était pas un beau projet, ça ?

Il partit d’un pas alerte, conquérant, prêt à pourfendre l’ennemi, s’il s’en présentait un…

Mais pour l’heure il entra chez l’épicier arabe acheter divers légumes pour cuisiner un fabuleux tajine pour sa princesse des mille et une nuits. Pour le premier anniversaire de leur rencontre.

Enfin, il espérait qu’elle ne serait pas requise en catastrophe par son employeur. Il faut dire qu’elle était très recherchée dans son domaine et excellait dans son métier de thanatopracteur, aux pompes funèbres.

À plus de vingt et une heures, le tajine commençait à être caramélisé mais Jacques ne s’en souciait guère. Il ajouta une pointe d’eau. Le tour était joué. Quand il entendit le martèlement nerveux des talons de Margot dans l’escalier du vieil immeuble, il ouvrit la porte en grand. Elle était là, les joues rosies par la rapide ascension des six étages.

— Je suis désolée…

Elle n’eut pas le temps d’en dire plus. Jacques la fit tournoyer et la gratifia d’un long baiser sous l’œil placide d’Oscar. Le jeune homme la lâcha pour s’engouffrer dans la salle d’eau et revint aussitôt avec une rose d’un velours pourpre et une liasse de feuillets reliés.

— J’ai rédigé un récit ! C’est pour toi ! Je ne suis pas très doué pour écrire, mais j’avais besoin de le faire… Je dirais que… ça s’est imposé !

Il se passait les mains dans les cheveux, nerveusement, comme pour les remettre en ordre. Opération impossible, vu sa tignasse.

Il ajouta, emprunté :

— Tu n’es pas obligée de le lire, tu peux même le laisser tomber si ça ne te plaît pas…

— Mais tu es fou ! Pour moi ? Tu m’avais caché ce talent !

Margot le regardait, prêtant à son embarras la pudeur d’un jeune auteur confiant son manuscrit à un proche. Elle ne se doutait pas que ces pages la feraient voyager, au-delà de tout. Et découvrir une histoire palpitante.

Elle le regarda avec gourmandise.

— Je suis très partagée entre te dévorer d’amour, déguster ce tajine au fumet délicieux et commencer à lire ce…

— Récit ! C’est un… récit que j’ai imaginé…

Bien sûr, ils vécurent ces instants évoqués par Margot dans le désordre. Mais la vie avait-elle un ordre ? Ils s’aimèrent longuement, dévorèrent le tajine plus que mijoté et quand Jacques s’assoupit profondément, Margot alluma la veilleuse et commença à lire « Les Gardiens du Phénix ».

Au petit matin, la main de Jacques chercha le corps de Margot. L’oiselle s’était déjà enfuie pour se pencher sur un autre corps. Jacques songea à ce travail de thanatopracteur. Quel étrange job ! Alors que Margot incarnait la vie même… Il se secoua et passa directement sous la douche, quand Cri-Cri l’intrigua par son vol, tout excité. Margot avait osé introduire un verre d’eau dans sa cage pour la rose qui s’ouvrait au soleil et qui embaumait l’espace.

— Eh bien ! Tu es gâté, Cri-Cri ! Gare à Oscar, il est jaloux, il te fait ses yeux ronds !

Jacques, d’humeur joyeuse, siffla sous la douche. Il nota que son récit avait disparu. Margot l’avait pris avec elle. Peut-être le lirait-elle pendant sa pause ? Le temps était au beau fixe. Le changement climatique continuait son œuvre inexorable, alors que chacun vaquait à ses occupations habituelles.

Il décida d’aller vagabonder sur les quais de la Garonne et de visiter l’exposition sur les photographies de Reporters du Monde, exposition installée dans des containers place de la Daurade. Il se sentait le plus léger des hommes.

Margot et le mort

Margot travaillait à mi-temps dans le service d’une grande société de pompes funèbres. Elle tenait à arriver toujours un peu plus tôt afin de se préparer. En fait, elle avait un rituel pour démarrer sa journée. Elle se plaçait face à un grand miroir, juste à côté de l’armoire frigorifique où reposaient les corps et elle se maquillait. Non pas d’une manière outrancière, mais légèrement.

Elle s’appliquait à bien se regarder avant de commencer tout travail. Comme si elle tentait d’apercevoir son âme dans le miroir. C’était une discipline qu’elle s’imposait chaque matin, afin d’être préparée à rencontrer la grande dame, la Mort. Ainsi, ce regard intérieur lui permettait d’aborder sereinement tous les coups, blessures, outrages qu’un corps pouvait subir. Et qu’elle devait dissimuler. Elle enfila sa blouse. Elle était prête.

Ce matin-là, elle était radieuse. Son rituel achevé, elle ouvrit le tiroir numéro 9 et fit glisser le corps sur la table. Elle pouvait opérer sans l’aide de personne, grâce à la technologie. Celui-ci, mort depuis quelques heures, était froid. Il était déjà passé par le légiste de la police criminelle. Elle devait œuvrer à rendre à ce corps, sinon l’air vivant du moins un air serein qui aiderait la famille pour ces derniers instants, la rassurerait pour ce passage délicat et allégerait un temps, sa peine.

Chacun sait qu’un jour, à son tour, il sera comme ce corps, allongé, livré au simulacre d’un dernier geste de maquillage pour imiter la vie qui s’en sera retirée, songea-t-elle.

Margot regarda l’homme. Il était jeune, la trentaine, brun, typé, certainement un étranger. Elle lut la fiche et sourit. Rien de particulier. Un simple règlement de compte au couteau qui avait mal tourné, en l’occurrence dans le poumon. Presque la routine.

Elle pensa au roman de Jacques, impatiente de le lire, puis, en excellente professionnelle, elle se consacra aux soins du corps. L’homme avait perdu beaucoup de sang, il lui faudrait forcer sur le fond de teint, le mat N° 18, pensa-t-elle. En le déplaçant sur le côté, elle fut intriguée. Un carré de peau de cinq centimètres sur cinq centimètres, à la hauteur de l’épaule gauche, avait été prélevé habilement. L’entaille était précise et une partie de la couche épidermique profonde prélevée. Du sang caillé avait séché.

Il lui fallait commencer par nettoyer les deux plaies. Elle le tourna sur le ventre. À sa grande stupeur, une fois les plaques de sang coagulé, nettoyées, un dessin apparut. Les traces estompées d’un tatouage. Des traces, bien réelles.

Son assassin a voulu faire disparaître ce tatouage, se dit-elle. Mais, pourquoi ?

Face à ce genre de situation, Margot avait une procédure stricte à suivre. Quand elle avait un doute, elle devait le signaler à un service spécialisé de la morgue. Elle sortit le portable de sa poche pour les prévenir quand son regard accrocha la pastille jaune. Cette pastille jaune attestait que le service en question avait donné son feu vert. Tout était normal. Rien à dire.

Margot se tourna, dos au cadavre, les bras croisés sur sa poitrine. Appuyée contre la table de travail, elle réfléchissait. Que devait-elle faire ? Employée, « à leur rendre belle mine », disait sa hiérarchie en parlant de son travail. Elle ne pouvait les ennuyer. La pastille jaune était sur la fiche !

Margot prit son portable et choisit de faire une photo de cette épaule et de la plaie étrangement mutilée. On ne sait jamais, si le service s’était trompé… il y aurait une trace… Rassurée par sa décision, elle prit la loupe pour mieux voir le dessin.

À onze heures trente, elle avait fini la préparation du corps. Le jeune homme, Aldo Giovanni, avait l’air d’un ange avec ses cheveux noirs encadrant un visage qui semblait assoupi. Satisfaite du résultat, elle passa dire un bonjour à sa collègue de l’accueil avant d’aller déjeuner. Aujourd’hui, un sandwich lui suffirait. Elle irait dans le jardin public, au soleil.

Elle avait rendez-vous avec Jacques… enfin, avec son texte. Elle était curieuse de continuer la lecture de son roman qui l’avait intrigué, dès les premières pages…

Lui, de son côté, impatient de la retrouver pour connaître ses premières impressions, se sentait vacant. Comme dépossédé de lui-même. Tel un zombi, il marchait à travers les rues. N’y tenant plus, il l’appela.

— Margot, j’ai annulé le ciné, on se retrouve place Wilson, ce soir. Qu’en penses-tu ?

Margot, au bout du fil, paraissant lointaine, lui répondit d’un ton indifférent.

— Si tu veux… Mais pas tout de suite… Vers 18 heures, OK ! Et elle raccrocha.

Jacques attablé devant une bière commençait sérieusement à s’inquiéter quand il l’aperçut, marchant vers lui. Il était plus de 19 heures, sa démarche d’habitude sautillante paraissait lourde comme si ses chaussures étaient de plomb.

— Ça va ? demanda Jacques encore plus anxieux devant sa mine défaite.

Elle le regarda sans paraître le voir.

— La journée a été dure ? reprit-il en lui prenant tendrement la main.

Ce geste la fit revenir à elle comme une naufragée touchant le rivage.

Puis elle parla lentement, découpant chaque syllabe.

— Ce roman ? Tu as tout inventé ? Ce blason ? Cette histoire d’enfant bleu, ces croisades… Tu as tout inventé ?

Margot parlait comme un automate, les yeux ailleurs, le regard égaré, comme n’étant pas revenue d’une contrée lointaine peuplée de fantômes. Jacques ne l’avait jamais vue ainsi. Il comprit que son amie avait reçu un choc. Mais quoi ? se demanda-t-il. Pourquoi ces questions si chargées d’angoisse, autour de… ce texte ?

— Je suis désolé, un passage t’a rebuté dans ce que j’ai écrit ? Bon, c’est ésotérique, mais ça change des polars que tu lis d’habitude ? Tu ne trouves pas ?

Il se sentait lamentablement maladroit et, surtout, complètement dépassé. Margot fit un geste. Comme un robot, elle plongea sa main dans la poche de sa veste et sortit son portable. D’une voix blanche, elle lui dit :

— Regarde les trois dernières photos…

Jacques, intrigué, prit l’appareil. Il vit le visage d’un homme très brun, les yeux fermés. Il regarda Margot.

— Remonte plus haut ! dit-elle.

Et là, il vit. Il reconnut aussitôt le blason, malgré l’ombre estompée. Ses doigts agrandirent la photo. Aucun doute ! Il s’agissait du blason des Gardiens du Phénix. Ses mains tremblaient.

— Remonte plus haut encore !

Il découvrit l’épaule et la plaie carrée au centre de l’omoplate. Les yeux écarquillés, il regardait Margot, d’un air incrédule, presque affolé.

— Mais où as-tu pris ces photos ? Margot, où ?

— Sur un cadavre, à mon boulot ! Tu peux m’expliquer ? Parce que moi, j’ai l’impression de perdre la tête ! Comment est-ce possible ? Que je retrouve le même tatouage dans ton roman et sur ce corps mutilé ? Ça ne peut être une coïncidence ? Tu connais ce gars ?

Et elle lui montra la photo en entier.

— Mais jamais de la vie !

— Alors, explique-moi ! Comment un personnage de ton roman peut-il être dans ma morgue ?

Jacques, bouche bée, était tout autant dépassé par la situation. Au garçon, venu prendre la commande, Margot demanda un whisky.

— Vu ta tête, tu ferais bien d’en prendre un aussi, déclara-t-elle en faisant signe au serveur.

Ils gardèrent le silence, chacun essayant de rassembler, dans leur esprit, un semblant de logique et de raison.

Jacques avait tout de même un temps d’avance, le roman relatait une histoire vraie, vécue. Mais comment ce blason médiéval pouvait-il apparaître au xxie siècle sur le corps de cet inconnu assassiné ? Et par qui ? Pourquoi ce crime ? Quel lien y avait-il entre le blason des Gardiens du Phénix et ce crime ? Un véritable mystère, pour lui !

Quant à Margot, il se devait maintenant de tout lui révéler ! Mais jusqu’où ? Il était complètement paniqué. Il fallait prévenir Armand de Layens, le Vénérable Maître de l’Ordre…

Mais d’abord, rassurer Margot ! Après le whisky, ils décidèrent de rentrer dans la salle du restaurant, dehors la soirée s’annonçant fraîche. Sous le flot des questions de Margot, Jacques tenta de relater sa rencontre avec Armand et Julie. Il commença par son enfance compliquée.

— Très tôt, j’ai été considéré comme un enfant difficile et placé dans une famille d’accueil. Famille, si on peut dire, où vivait déjà une certaine Julie. Elle-même déjà placée car abandonnée par sa mère, à sa naissance. Nous avons grandi ensemble. Un lien très fort nous unissait puis la vie nous a séparés. Nous nous sommes perdus de vue… Et, étrangement, nous avons été réunis, bien plus tard…

Jacques essayait de lui restituer un pan de son histoire.

— Julie, c’est Juliette dans ton récit ? l’interrompit Margot, qui avait deviné.

Jacques hocha la tête.

— C’est la jeune femme recueillie par ce vieux monsieur dans le manoir de Béthanie, cet homme qui meurt, laissant à un ami le soin de retrouver… Armand de Layens, son petit-fils parti en Inde ! Autant que tu connaisses les vrais noms ! Son grand-père était Bertrand de Layens. En fait, il représentait le Grand-Maître d’un Ordre chevaleresque, créé au temps des croisades par l’ancêtre de la dynastie, Guillaume de Layens.

— Ouhaou ! Que du beau monde !

Margot retrouvait ses couleurs et sa mine enjouée. Cela suffisait à Jacques, ce soir, pour être satisfait. Même si un carré de peau tatouée venait troubler et envahir son esprit, par instants.

— Alors, tout ce que tu as écrit s’est passé réellement ? demanda Margot. Elle le regardait intensément, puis, elle plongea la main dans son sac. Elle sortit le manuscrit, l’exhiba comme un trophée, puis, elle tourna fébrilement les pages, baissant la voix, et se mit à lire :

« Moi, Guillaume de Layens, siégeant à Jérusalem en l’an de grâce 1137 assure avoir, en mon âme et conscience, la volonté de n’écrire que la vérité, seule et vraie. Que Dieu m’en soit témoin !

Aîné d’une famille nobiliaire de cinq enfants, je choisis de rejoindre Jérusalem en l’an de grâce 1117 pour me mettre au service de mon roi Louis VI et de mon Seigneur Jésus-Christ, représenté par notre pape Pascal II en Terre Sainte.

Je partis avec pour tout équipage mon épée, mon fidèle cheval et une bourse bien remplie. Mon père m’affirma que je ne pouvais voyager seul en tant que chevalier, il m’octroya d’office un jeune écuyer, mon cadet, Hyppolite, fils d’un vieil ami.

Durant le trajet, je défendis avec d’autres preux chevaliers les malheureux pèlerins, qui ne pouvaient s’offrir le voyage par la mer. Ils firent route avec nous, protégés ainsi des attaques incessantes des Sarrasins.

Comme nombre de mes frères d’armes, chevaliers tout comme moi, nous nous proposâmes au service d’un nouvel ordre religieux « La Confrérie des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem » en 1120.

Pour y être admis, les moines de cet hospice qui prodiguaient des soins aux chrétiens comme aux juifs et musulmans nous demandèrent d’obéir aux trois vœux de leur ordre : pauvreté, obéissance et chasteté. Je promis et ainsi devins moine-soldat dans cet Ordre religieux. Je me devais aussi en tant que chevalier de porter ma bonne humeur aux malades et aux blessés alités, riches ou pauvres.

En 1129 Hyppolite fut ordonné chevalier. Nous continuions à défendre les pèlerins ayant fait serment de ne jamais déposer bannière devant les Infidèles. S’armer de foi au-dedans et de fer en dehors… Tel était notre combat quotidien !

Blessé gravement en 1131, je fus soigné et pus goûter à des soins prodigués avec grande attention par mes frères servants. L’âge venant, ayant perdu quelque souplesse à cheval, je demandai au connétable de rejoindre mes frères servants afin de me mettre à mon tour au service des malades. Je songeais ainsi à perfectionner mes connaissances médicales à toutes fins utiles…

Ce qui s’ensuit serait digne d’être considéré comme affabulation, mensonge, voire tromperie, pour ne pas dire invention de ma part. Il est vrai que ce climat palestinien écrase parfois mon esprit sous une chaleur torride et pourrait parfois me faire accroire que c’est d’une hallucination dont j’ai été victime. Il n’en est rien, croyez le misérable signataire de cet écrit, ayant pleine conscience et jugement.

Je m’en vais, de ce pas, vous conter ce qui me mit dans un état premier de prostration puis d’exaltation et enfin me plongea dans une profonde inquiétude quant à ma tenue en ce domaine.

Pas plus tard qu’avant-hier, j’assurai auprès d’un malade les soins nécessaires à son état quand un enfant me tira par le vêtement me faisant signe de le suivre. J’achevai mon travail en souriant à ce malheureux, ne montrant rien de la gravité de sa blessure et suivis l’enfant. Dans l’enceinte de l’hôpital, n’entraient que les moines servants, écuyers, chevaliers. Les blessés se devaient d’attendre à l’extérieur sous un bâti ombragé par des feuilles de palmes.

L’enfant, qui m’attendait patiemment, la mine sale et moucheuse, me conduisit vers ce refuge. Quelle ne fut pas ma surprise de voir une vieille femme palestinienne, tatouée, se dissimulant à l’arrière du frêle abri, un tout petit enfant entre les bras. Je fus très surpris car les femmes n’ont pas le droit d’approcher ce lieu. Je songeais que c’était pour l’enfant. Dès que je l’eus rejointe, elle parla dans un dialecte que je ne pouvais comprendre et me déposa l’enfant dans les bras. Tout en continuant à me faire de grands discours, elle agitait ses bras en tous sens, faisait non de la tête d’une manière énergique et me montrait un paquet de linge sale à ses pieds puis commença à s’éloigner.

L’enfant de dix ans qui était venu me chercher avait pour habitude de rôder autour de moi, de jeter l’eau sale des cuvettes et d’effectuer des menues tâches en échange d’un repas copieux. Ce qui me permettait d’être plus longtemps au service de ces malades et au plus près de leur souffrance. Je lui demandai d’aller vite chercher Hyppolite et de ramener la vieille femme.

Je regardais cet horizon ocre, doré, changeant selon l’heure. Comme à mon habitude, j’aimais méditer ainsi à l’ombre, le regard dans le vague. L’air chaud semblait danser sous mes yeux. Je restai ainsi sous le charme sans bouger et songeai : parti Chevalier pour défendre les pèlerins, je me retrouvais converti à servir mes semblables et je l’avoue, la proximité du désert aidant, à me rapprocher de Dieu.

J’aimais ce que je faisais, ce que je vivais dans ce quotidien. Loin de ma terre natale, j’avais trouvé ma place et songeais à rester sur cette Terre Sainte, tant que Dieu, dans son ineffable mansuétude, me prêterait vie pour aider mes prochains.

J’en étais là, de mes réflexions, quand l’enfant s’agita dans mes bras. Je le regardai pour la première fois. Il était couvert d’amples vêtements en coton sombre, ses cheveux mi-longs lui couvraient une partie du visage. Je soulevai d’un doigt son capuchon qui entraîna sa chevelure. Je restai médusé. Hyppolite, mon écuyer, mon frère d’armes arriva. Au loin, le gamin tirait avec vigueur sur le bras de la vieille femme, qui manifestement ne souhaitait pas revenir.

— Laisse-la ! ordonna Hyppolite.

Plus jeune que moi de quinze ans, il avait eu l’esprit de se mêler au peuple et avait appris couramment leur langue pendant vingt ans. Pour ma part, je restais réfractaire et ne parlais que quelques rudiments.

— Demande-lui ce qu’elle veut ! Je n’ai rien compris à ses jérémiades !

Hyppolite n’eut pas à demander une explication, la vieille femme s’était lancée dans une longue exposition, tout aussi agitée. Le regard parfois menaçant, parfois mouillé de larmes. Ce que me rapporta mon cher frère alors dépassa l’entendement. Mais surtout à son tour, il resta coi en découvrant la peau légèrement… bleutée de l’enfant…

Margot releva la tête, encore excitée par sa lecture.

— Et puis attends ! dit-elle ne laissant même pas l’occasion à Jacques de glisser un mot. Il y a un autre passage où son ancêtre écrit… Enfin où tu écris… attends, attends que je retrouve ce passage… Ah, le voilà ! Celui-ci, c’est mon préféré ! Je l’ai relu trois fois.

Jacques ne pouvait l’arrêter, elle faisait rouler les mots comme des galets dans le courant d’un fleuve impétueux.

Moi, Guillaume de Layens, me fis répéter les dires de cette pauvre femme grâce à la traduction de mon frère d’armes Hyppolite de Latour. Cette interprétation, je l’espère, est fidèle aux propos de cette vieille femme qui ne réclama rien en retour des révélations qu’elle nous ferait. Sinon celle d’exiger de nous, sous peine de brûler en Enfer, la promesse sur notre âme de nous occuper de l’enfant qu’elle nous confiait. Ainsi que du sac où reposait, d’après elle, un trésor.

Celle-ci ne cessa, malgré nos questions croisées, de maintenir la même version : « Il y a longtemps, très longtemps, du temps de notre Seigneur Jésus, certains se réclamaient être les vrais Chrétiens et niaient les autres. D’autres se cachaient dans des grottes pour vivre leur foi. Elle-même se déclare Chrétienne d’origine juive, disciple d’Elkasaï, celui qui a reçu « Le Livre descendu du Ciel ». Depuis de nombreuses années, depuis des siècles, son église à travers le temps s’est occupée de l’enfant sacré et de sa descendance, l’a protégé de ses ennemis.

Aujourd’hui, les disciples sont trop peu nombreux et fort âgés. Nous ne pouvons assurer notre promesse. Aussi, pour sauver notre âme et celles de tous les nôtres, nous avons donc décidé de confier l’enfant aux moines soldats vivants sur cette Terre Sainte. Nous, Elkasaïtes, sommes sur le point de disparaître mais notre cœur vivra éternellement en paix ! «