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Président d'une importante société parapétrolière, mais aussi grand collectionneur d'art, Bernard Dampierre vient d'acheter un important lot d'antiquités à un marchand libanais habitant en Libye. Il envoie sur place un intermédiaire porteur d'une mallette remplie à ras bord de dollars pour le règlement de son achat. Depuis deux jours Bernard est sans nouvelles, ni de son envoyé, ni de la mallette, ni du marchand libanais. Il craint le pire. Fanny, son affriolante secrétaire particulière, lui suggère de faire appel à notre intrépide détective privé Tom Randal, qui accepte la mission sans trop sourciller. Tom se voit propulsé en Libye, pays en état de guerre civile larvée où s'affrontent les factions armées d'obédience politique ou religieuse, les milices étrangères et les espions de tous poils. L'enquête vire au cauchemar, les meurtres se suivent, la vie humaine n'est plus qu'une variable d'ajustement.
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Seitenzahl: 253
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Du même auteur :
« Tirez sans sommation ! » « Rouge Baltic »
à Al Oural, qui se reconnaîtra…
Tous les personnages et toutes les situations de ce roman relèvent de la seule imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec une personne vivante ou ayant vécu serait purement fortuite.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Tom Randal a réussi, en ce début de soirée, à se perdre dans les allées de cette salle du Louvre qui héberge une exposition privée consacrée à la Libye: cette nocturne a attiré hommes d’affaires, journalistes, intermédiaires, chacun venant avec une idée bien précise dans la tête…
Les mains dans les poches de la tenue décontractée qu’il portait déjà cet après-midi, il soupire, où diable se renseigner ? ah ! voici un gardien :
— Excusez-moi, où se trouvent les stands des sponsors ?
— Vous êtes à l’opposé, il vous faut traverser tout le hall, prenez cette allée, là.
— Merci bien.
Tom se remet en route, au passage il commence à s’intéresser, les sens en éveil, aux détails de l’expo. Le patrimoine culturel de la Libye est bien mis en valeur, mais Tom n’a plus en tête l’histoire de ce pays âprement convoité dans le passé. Les statues grecques sont très belles, tout comme les larges photos des ruines romaines le long de la côte, Sabratha, Leptis Magna et Cyrène. Les dunes du désert du Fezzan ont des courbes majestueuses. Tout cela lui fait regretter que les visites touristiques dans ce pays soumis à une guerre civile larvée ne soient pas vraiment d’actualité.
Il parvient jusqu’au stand du sponsor qu’il cherchait, la société Apollonia, une entreprise de 1.200 personnes dans le secteur du parapétrolier, dirigée par Bernard Dampierre. Sa secrétaire personnelle, Fanny, aperçoit Tom, elle lui fait signe de monter sur le stand. Elle est menue et vêtue strictement, tenue de travail oblige, mais il se dégage d’elle une énergie communicative, Tom la trouve vibrionnante :
— Bonsoir Tom, merci d’être passé me voir.
— J’ai eu ton message par Twiggy, ma secrétaire que tu connais bien, n’est-ce pas ? elle m’a souvent dit que vous sortiez ensemble faire les quatre cents coups, sourit Tom.
— Quelle réputation tu me fais, Tom ! mon patron n’est pas là ce jour, il doit rentrer prochainement. En fait je voulais te voir avant même qu’il ne revienne. Il m’a parlé d’une affaire à traiter et je voudrais savoir si elle peut t’intéresser, auquel cas je te le présenterai.
— Mais là tu es occupée, comment veux-tu qu’on procède ?
— Attends-moi dans un de ces fauteuils, je me libère dans une dizaine de minutes, ensuite nous irons discuter au calme.
Tom traverse le grand stand plein de monde, la plupart des visiteurs sont scotchés, si l’on peut dire, au bar, des fauteuils restent libres. Il s’assied non loin d’un grand type format baroudeur, blond et mal rasé, qui dénote parmi les invités de cette soirée.
Au bout d’une minute ce gaillard, qui l’a vu discuter avec la secrétaire de Dampierre, lui adresse la parole :
— Vous connaissez Fanny ?
— Oui, et vous ? répond Tom avec précaution.
— Une sacrée personnalité, non ? et quelle énergie, ajoute-t-il avec un regard égrillard.
— Je ne l’ai vue que deux ou trois fois, c’est une amie de ma secrétaire, bougonne Tom.
— Ah oui ? bon , je ne vais pas vous importuner plus longtemps, mais permettez-moi de me présenter : mon nom est Thierry Galluis, je travaille pour les collectionneurs d’antiquités, et vous ?
— Tom Randal, je suis détective privé.
— Beau métier, alors à bientôt, peut-être, conclut Thierry qui soulève sa carcasse du fauteuil où il se vautrait et quitte le stand.
Tom suit du regard ce type original, il le voit faire au passage la bise à Fanny en laissant trainer sa main dans le bas de son dos, puis partir, non sans faire un petit signe de la main à Tom.
Fanny ne tarde pas à rejoindre Tom :
— C’est bon, j’ai laissé les consignes à deux collègues, de toute façon l’expo ferme dans moins d’une demi-heure, j’ai l’impression qu’il ne reste que les soiffards sur le stand, nous pouvons y aller.
— Très bien, où pouvons-nous aller nous installer pour discuter de cette affaire ?
— Pourquoi pas chez moi ? suggère Fanny, il est déjà 22 heures et ce sera plus calme, non ? j’habite rue de Seine, nous pouvons y aller à pied.
C’est une fraiche soirée de début avril, les platanes près des quais ont déjà des feuilles, les rares promeneurs sont emmitouflés. Sur le pont des Arts, Fanny prend la main de Tom :
— Il fait frisquet, non ? dit-elle en souriant.
La rue de Seine est encore très animée, les restaurants sont pleins, « c’est là, au-dessus de cette galerie d’art » annonce Fanny qui lâche la main de Tom pour prendre ses clés.
Le temps de monter les deux étages derrière Fanny, Tom a tout loisir d’admirer son dos cambré, ses fesses rebondies et ses fines jambes galbées.
Fanny habite un petit deux-pièces, ils s’installent dans le salon, Tom sur un fauteuil, Fanny sur un canapé, jambes repliées sous elle, sa jupe obligée de se retrousser un peu, Tom s’emploie à se concentrer sur l’objet de cet entretien :
— Je t’explique, lance Fanny, Bernard Dampierre, mon patron, vient d’acheter un lot d’antiquités à un marchand d’art libanais qui habite dans la région de Tobrouk, en Libye.
— Il semble apprécier la région, d’après ce que j’ai vu sur son stand.
— Ce sont deux choses différentes : dans son job, il est en contact avec des compagnies pétrolières à qui il fournit des services extérieurs dans plusieurs pays. Par ailleurs c’est un grand collectionneur et la Cyrénaïque est un endroit magnifique à ce sujet.
— Ok, je t’écoute.
— Il s’agit d’aller chercher ces antiquités qu’il a réservées, j’allais dire tout simplement, mais en Libye, dans la situation actuelle, il faut être débrouillard, il m’a demandé de chercher quelqu’un pour faire ce voyage et rapporter sa commande. Figure-toi que j’ai pensé à toi. Par Twiggy et par les journaux j’ai suivi tes enquêtes, par exemple celle en Nouvelle-Zélande, Bernard connaissait d’ailleurs un peu ce malheureux Quentin Dervaux et son épouse, ou bien celle en Suède récemment, qui avait l’air d’avoir été une sacrée embrouille !
— C’est gentil d’avoir pensé à moi, se réjouit Tom qui se fend d’un léger sourire, mais est-ce bien le travail d’un détective ?
— Bernard a envoyé, il y a deux jours, un commis avec une mallette contenant de quoi payer la commande d’antiquités. Depuis, ce commis, Salim n’est plus joignable, le marchand libanais non plus. Il faudrait peut-être commencer par retrouver ce beau monde et l’argent !
— Ah bon ! c’est déjà plus dans mes cordes, sauf que je ne connais pas ce pays.
— Ce n’est pas cela qui t’a empêché de partir en mission dans des pays lointains, je me demande si ce n’est pas cela qui t’excite ? tu es de quel signe ?
— Signe ?
— Zodiacal !
— Ah ! je ne sais pas, sagittaire, je crois.
— Voilà, tout s’explique, éclate de rire Fanny qui poursuit : ce soir je voudrais savoir si cette mission peut t’intéresser, avant que je n’en parle à Bernard.
— J’aurais une aide sur place ?
— Ah le sagittaire qui aime la sécurité ? sourit Fanny, non, je ne connais pas les détails d’une telle mission, mais Bernard te fournirait bien sûr tout le support logistique nécessaire.
— Dans ces conditions, oui, cela peut m’intéresser, annonce Tom enjoué.
— Alors fêtons cela !
D’un bond elle saute de son canapé, fonce vers un bahut d’où elle sort une bouteille de whisky ainsi que deux verres qu’elle remplit.
Tom se lève et la rejoint, prend le verre qu’elle lui tend, « sans glaçons, skol, Tom ! ». D’un trait ils vident leur verre, Fanny lui agrippe le bras, « viens, je te fais visiter l’appartement », façon de parler pour ce minuscule deux-pièces, elle ouvre la porte de la chambre, l’emmène toujours en riant jusqu’au lit contre lequel il trébuche en s’esclaffant.
Fanny se jette sur lui, déboutonne sa chemise, défait la ceinture de son pantalon, tout en se débarrassant de son propre chemisier mauve, ils n’arrêtent pas de glousser, de se trémousser jusqu’à se retrouver nus tous deux.
Fanny essoufflée s’interrompt, elle passe ses mains dans la tignasse bouclée de Tom, tandis que lui prend ses deux petits seins ronds et insolents dans ses mains, ils se jaugent un instant avant de se donner l’un à l’autre.
Un franc soleil réveille Tom, il sent Fanny collée contre lui et n’ose pas la tirer de son sommeil, il veut se soulever pour voir l’heure, diable déjà 8 heures 30.
Il voudrait bien se lever mais Fanny qui surgit de ses rêves se met sur lui pour bloquer toute tentative de sortie du lit.
Quelques minutes plus tard, Tom annonce qu’il va prendre une douche, Fanny le libère et le suit amoureusement du regard.
Soudain elle aperçoit l’heure sur son réveil, elle sursaute et bondit hors du lit, mais un coup de sonnette retentit, la clouant sur place. Qui cela peut-il être ? très peu de personnes connaissent son adresse, elle glisse jusqu’à la porte, un autre furieux coup de sonnette déchire le silence, elle croit comprendre, elle ouvre délicatement…
— J’ai appelé le bureau, tu n’y étais pas, tu fais la grasse matinée ? tonne la grosse voix de son patron.
— Je…
Bernard Dampierre, grand, le teint hâlé, les lunettes de soleil précocement juchées sur son nez pour un début avril, la chevelure grise magnifiquement peignée, retardant avec ténacité l’approche angoissante de la soixantaine, se tient devant elle tel la statue du Commandeur, drapé dans un long manteau de cachemire beige :
— Toujours aussi jolie toute nue, tu me tentes, s’exclame Bernard Dampierre, en admirant sa secrétaire, jeune trentenaire.
— Non, Bernard, bredouille Fanny en essayant de le maintenir sur le seuil de la porte, mais que fais-tu là, je croyais que tu étais en…
Elle doit s’interrompre car Tom vient de sortir de la salle d’eau, en sifflotant, une serviette cachant tout juste son intimité. Lui aussi s’arrête sur place, cherchant à comprendre la situation.
— Qui est ce… ? commence à articuler Bernard.
— Tu ne vas pas me faire une scène, toi ! tu sors d’où ? tu étais avec ta Japonaise, toujours et encore, attaque Fanny.
— Mais d’où sort ce type ? enfin quoi il…
— Laisse-moi maintenant, on verra tout cela ce soir, balance Fanny qui ne peut pas dire « à tout de suite au bureau »…
— Ce soir ? mais comment cela… ?
— Allez, on perd son temps, je dois aller travailler, s’exclame sans vergogne Fanny, repoussant Bernard qui, bouche bée, ne trouve rien à répliquer.
Une fois la porte close, elle reprend ses esprits face à Tom resté sur place sans rien comprendre :
— Mais enfin Fanny, qui était ce vieux beau ?
— Ah tu ne vas t’y mettre toi aussi, il s’est trompé de jour, voilà tout, n’en parlons plus, allez on s’habille et on y va, je suis en retard.
— Heureusement que ton patron n’est pas là aujourd’hui, n’est-ce pas ?
— Oui, oui, mais je dois quand même être ponctuelle tous les jours, on arrête de discuter, habille-toi.
— Quand est-ce qu’on se revoit ? j’ai de nouveau envie de toi, Fanny.
Elle ne répond pas, va chercher des sous-vêtements propres dans une commode, enfile prestement un pantalon turquoise qui trainait dans une armoire, boutonne un chemisier blanc découvert dans un tiroir, glisse ses pieds dans les chaussures de la veille, agrippe une veste et ses clés :
— Tu claqueras la porte en partant, Tom chéri, je t’appelle bientôt.
— On s’appelle, on se fait une bouffe ? propose Tom toujours presque nu, ceint de sa serviette, tel un empereur romain sortant de ses thermes.
Il n’a pas de réponse, la porte vient de claquer.
De la rue de Seine Tom n’a eu que quelques pas à faire pour rejoindre le comptoir de la Brasserie de l’Odéon où il avale un croissant trempé dans un café allongé accompagné d’un pain au chocolat.
Dehors le trafic du boulevard Saint Germain est intense, les piétons tentent de se faufiler entre les voitures lorsque les feux de circulation leur sont favorables.
Une belle journée se prépare, mais Tom sourit encore à la nuit passée. Il vient d’avoir 35 ans et commence à se sentir bien dans son job de détective qui lui évite toute routine.
Il n’entend ni les cris des serveurs lançant leurs commandes au bar, ni les chuchotements des couples attablés s’échangeant leurs derniers secrets avant de se quitter pour la journée de travail.
Il revient sur terre, c’est son téléphone qui l’y aide, Twiggy veut le voir d’urgence, il la rassure, il est à deux pas du bureau.
D’un pas lent, il remonte la rue de l’Odéon, l’esprit toujours ailleurs.
L’accueil survolté de Twiggy, lorsqu’il franchit le seuil de l’agence Randal, lui éclate dans les oreilles, il veut se réfugier dans son bureau, mais Twiggy le suit :
— Dis donc, Tom, tu n’as pas dormi de la nuit ?
— Pourquoi ?
— Ok, bon, passons, j’ai eu un appel de Fanny que tu devais voir hier après-midi, tu te souviens ? est-ce que tu l’as vue ?
— Oui, bien sûr.
— Bref elle a fait le rapport de votre discussion à son patron, il parait que tu es d’accord pour une mission en Libye ?
— Oui…
— C’est où exactement ? s’inquiète Twiggy.
— Euh…entre la Tunisie et l’Egypte.
— Bref, son patron veut te rencontrer d’urgence, il propose de passer te voir en fin de matinée, vers 11 heures 30. Sachant qu’il est déjà 10 heures passé, tu as intérêt à donner ta réponse vite fait pour ce rendez-vous, Tom.
— Dis-lui que c’est d’accord, approuve Tom épuisé.
— Tu sais, Fanny n’avait pas l’air très normale non plus au téléphone. D’abord j’ai cru qu’elle voulait t’avertir de quelque chose, mais en fait c’était juste ce rendez-vous.
Tandis que Twiggy calmée reprend son travail et donne des coups de fil professionnels, Tom assis sur son siège de bureau pivotant fait face à la rue, les pieds sur le rebord de la fenêtre ouverte.
Il revoit le corps de Fanny, sent encore sa peau douce, tous les vallons qu’il a explorés, il est ailleurs. Twiggy dit quelque chose depuis sa pièce mais il n’entend pas.
Le soleil se hisse péniblement au-dessus des immeubles, jetant enfin quelques rayons par la fenêtre du bureau. Tom soupire.
On sonne à la porte de l’agence. Tom est toujours face à la fenêtre, les pieds sur le bord. Twiggy se lève et va ouvrir :
— Bonjour, dit une voix tonitruante, je suis Bernard Dampierre, j’ai rendez-vous avec monsieur Randal.
— Il vous attend, Monsieur, je suis Twiggy, sa secrétaire, entrez, je vous prie.
— Je vous remercie, Twiggy, déclare Bernard, déployant son regard sur la tenue affriolante de la jeune femme, pull fin moulant une poitrine qui ne demande qu’à s’exprimer, jupe invariablement courte légèrement fendue, talons stratosphériques, coiffure blonde à la Jeanne d’Arc, maquillage léger mais audacieux, la bouche en offrande.
— Veuillez me suivre, Monsieur Dampierre, susurre Twiggy, flattée par le court hommage du regard de Bernard.
Dans sa pièce Tom émerge de ses rêveries, se rajuste, se tourne pour accueillir Bernard.
Twiggy entre et annonce « voici Tom Randal, cher Monsieur », mais elle s’aperçoit que Bernard n’a pas suivi, au contraire il est resté sur le seuil du bureau de Tom, comme foudroyé :
— Monsieur Randal est là, si vous voulez bien…avancer monsieur Dampierre, insiste Twiggy, tandis que Tom est aussi demeuré près de sa table sans chercher à se rapprocher du visiteur.
— Enchanté de vous…rencontrer, je suis… Tom Randal, finit-il par bafouiller.
— Vous êtes la seule personne que je ne voulais pas voir ce matin…déglutit Bernard.
— Je ne sais pas quoi dire, reconnait Tom qui vient de se remémorer l’homme à la magnifique chevelure grise, vêtu d’un manteau cachemire beige, c’est bien celui qui est de nouveau devant lui maintenant.
— Je ne crois pas utile de poursuivre cet entretien, coupe Bernard.
— Attendez, je vous prie, bondit Tom qui s’adresse à Twiggy : tu as une course à faire, je crois, vas-y tout de suite.
— Qu’est-ce que tu racontes, Tom ? s’inquiète Twiggy.
— S’il te plait, Twiggy, tout de suite, lance Tom.
Bernard n’a pas bougé, Twiggy roule des yeux furibonds, retourne dans sa pièce, prend son sac, son manteau et sort en claquant la porte :
— Je vous en prie, monsieur Dampierre, prenez place, je vous présente mes excuses, je ne savais pas ce matin qui vous étiez, je suis désolé pour cette situation.
— …
— Comment était cette Japonaise ? ose Tom.
— … vous…fait Bernard qui éclate de rire, vous alors, quel culot ! finalement on va peut-être s’entendre. Mais quelles sont vos intentions concernant Fanny ?
— Comment répondre ? je l’ai vue hier soir, pour la première fois si j’excepte une ou deux fois où je l’ai juste croisée quelques minutes. Nous avons passé la nuit ensemble, elle devait aller à son bureau, nous allions nous quitter, nous n’avons parlé de rien de personnel sinon.
— Bon…réfléchit Bernard du haut de ses cinquante-huit ans, nous sommes des adultes, alors passons sur cette nuit.
— Je vous remercie ! en fait Fanny avait appelé hier ma secrétaire car elle voulait me rencontrer afin de savoir si cette mission en Libye pouvait m’intéresser, je dois dire qu’elle m’intéresse…euh la mission n’est-ce pas, s’embrouille Tom qui se promet de revenir à un ton plus professionnel, je vous écoute, conclut-il soulagé de la tournure que semble prendre la conversation.
— Bien…alors je vous explique : vous savez que j’ai commandé des antiquités à ce marchand libanais qui habite à Shahat, je dis souvent « près de Tobrouk » pour fixer les idées, mais sa ville est bien Shahat, lui s’appelle Maroun Chehab. Il voulait un paiement en liquide, j’ai donc préparé une mallette contenant un million de dollars américains en grosses coupures que j’ai confiée à un individu qui m’avait été recommandé par un …, comment dire, un intermédiaire dans les trafics d’antiquités, il est bien introduit auprès des musées, des grands collectionneurs, il a pignon sur rue. Il s’appelle Thierry Galluis…
— Ah mais je l’ai croisé sur votre stand hier soir, il était assis à côté de moi quand j’attendais que Fanny finisse sa journée de travail.
— Donc ce Thierry m’a présenté un Syrien, Salim Idriss, qu’il avait déjà utilisé pour des missions confidentielles, il dit avoir toute confiance en lui. Le problème, c’est que Salim, Maroun Chehab et ma mallette sont introuvables, comme volatilisés dans la nature !
— Vous voulez donc que je retrouve ces gens et votre mallette, et que je rapporte vos antiquités ? s’inquiète Tom qui trouve la situation un peu compliquée.
— C’est exactement cela !
— Vous avez peut-être une idée de ce qui a pu se passer là-bas ?
— Non, je reconnais que la Libye est dans une situation politique très compliquée…
— Bernard, vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?
— Bien sûr !
— Vous ne m’expédiez pas , j’espère, dans un capharnaüm sans nom ?
— Mais non, Tom, ce n’est pas pire que ce que vous pouvez lire dans les journaux, bien sûr le pays a souffert d’insécurité après la chute de Khadafi, mais il fonctionne, disons à sa façon, sourit Bernard.
— Je n’ai aucune idée de l’histoire de ce pays.
— Faisons simple : la Libye se compose essentiellement de trois provinces, dont deux côtières, à l’Ouest la Tripolitaine avec comme capitale Tripoli et à l’Est la Cyrénaïque, du nom de Cyrène l’ancienne métropole grecque, avec sa capitale Benghazi, ces deux grosses provinces étant séparées par le golfe de Syrte, région qui, avec ses terminaux pétroliers, attise, je dois le dire, toutes les convoitises. C’est d’ailleurs dans cette région de Syrte que ma société a des contrats avec les pétroliers. Je ne vous parlerai pas, plus au sud de la troisième province, le Fezzan et le Sahara, un désert où vous n’irez pas, heureusement, car il est infesté par des bandes armées incontrôlables, des trafiquants en tous genres, des passeurs avec leurs lots d’immigrants africains.
— Je vais donc rester pour ma mission plutôt le long de la côte?
—Plus ou moins, oui, mais essentiellement en Cyrénaïque qui est contrôlée en ce moment par un ancien officier de Khadafi, le maréchal Haftar, soutenu par l’Egypte. Il y aurait peut-être aussi la milice russe Wagner qui traine par là.
— Et sinon ? veut plaisanter Tom qui trouve que le tableau s’assombrit sérieusement.
— Les Turcs, eux, sont plutôt près de Tripoli qui est aux mains des Frères musulmans, mal vus de l’Egypte. Mais votre mission ne devrait pas vous mener en Tripolitaine, je l’ai dit.
— Me voici rassuré, Bernard.
— Ah ! j’oubliais : il reste aussi près de Shahat, la ville où habite mon marchand libanais d’antiquités, notamment vers la grosse ville d’El Beïda, des petits fiefs intégristes. Bref cela pourrait ressembler un peu à un capharnaüm, c’est vrai. Au fait, Tom, savez-vous d’où vient ce mot ?
— Euh…non, balbutie Tom qui perd pied.
— Figurez-vous qu’à l’origine c’était un village de Galilée sur le lac de Tibériade.
— Heureusement que ce n’est pas par là-bas que vous m’envoyez !
— Pas d’inquiétude, ce sont juste des données à garder en tête, pondère Bernard.
— Comment dois-je tenir compte de tout cela ?
— En restant sur vos gardes et être prêt à tout, c’est votre métier, vous le connaissez bien mieux que moi, assène Bernard avec un grand sourire.
— Bon, avez-vous d’autres précisions à me donner avant mon départ ?
— Oui, votre départ est possible demain matin à Roissy pour Le Caire, votre billet vous sera donné à l’aéroport par Thierry Galluis qui s’occupera de toute l’intendance depuis Paris. Du Caire vous prendrez un vol pour Marsa Matruh, toujours en Egypte et toujours avec un billet donné à Roissy par Thierry.
— C’est noté.
— Thierry vous donnera aussi les coordonnées de Maroun Chehab à Shahat, ainsi que le code de la serrure de la mallette sans lequel, si l’on cherche à forcer l’ouverture, on déclenche la destruction totale du contenu.
— Bon à savoir… glisse Tom.
— Il vous donnera aussi mon bon de commande, la liste des antiquités, que vous devez rapporter, et enfin les détails de votre expédition : vous pourrez vous appuyer sur un guide tunisien, Karim Jerandi, plutôt petit, la barbe blanche, sa sempiternelle pipe au bec, il approche la soixantaine il est très instruit, une perle rare, je l’ai déjà rencontré, vous pourrez lui faire confiance, Thierry a travaillé plusieurs fois avec lui. Vous le retrouverez à Marsa Matruh. Il aura avec lui trois pickups Toyota Land Cruiser pour transporter les antiquités. C’est de là que vous partez en groupe pour votre expédition.
— Un vrai convoi, me semble-t-il ?
— Pour ramener les antiquités ! il y aura deux chauffeurs par véhicule, les distances sont assez longues.
— Je comprends.
— La première chose à faire sera d’obtenir à la frontière libyenne votre demande de laisser-passer que vous devrez faire valider sous vingt-quatre heures au poste de police de Benghazi.
— Très bien , je sais tout ?
— Presque, votre secrétaire avait indiqué ce matin à Fanny vos honoraires, je les triple.
— Je vous remercie.
— Une dernière chose quand même, très importante : j’ai fait coudre par Thierry dans une doublure de la mallette une puce qui émet un signal qu’on peut capter sur un récepteur GPS localisant la mallette. À cette heure la puce émet toujours, c’est pourquoi il ne faut pas attendre pour partir à sa recherche. Thierry vous remettra le GPS demain matin.
— Vous savez où apparait le signal sur la carte du GPS, actuellement ?
— Oui, du côté d’El Beïda et Shahat.
— Votre émissaire, Salim, a-t-il pu perdre la mallette ?
— Perdre ? non, il l’avait attachée à son poignet avec une chainette.
— Vous pensez que votre envoyé est toujours lié à sa mallette ? balance Tom qui commence à trouver que l’affaire sent le roussi.
— Je ne saurais vous répondre, c’est une question qui m’inquiète…
— Bien, cette fois-ci j’ai toutes les informations, ah sauf peut-être encore vos coordonnées pour pouvoir vous joindre en cas d’urgence.
— Excusez-moi, voici ma carte et toutes mes coordonnées, vous pouvez m’appeler quand vous voulez.
Tom a une question qui lui brûle les lèvres, une question qu’il vaut peut-être mieux ne pas poser maintenant. Elle concerne l’origine des pièces antiques, pourra-t-on les sortir officiellement du pays ? mais Tom pense que Bernard l’aurait informé si cela n’avait pas été le cas…
L’entretien est donc terminé, Tom se lève, serre la main de Bernard, une façon de conclure le deal, une franche poignée de main.
On sonne à la porte, Twiggy entre en criant « c’est moi ! », balance son sac sur sa table de travail et avance sur le seuil du bureau de Tom.
Bernard et le détective privé dévisagent Twiggy d’un air amusé :
— Décidément votre dynamisme, Twiggy, me plait beaucoup, s’exclame Bernard, j’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir bientôt dans de meilleures conditions.
Tom raccompagne son visiteur dans l’entrée où Twiggy lui propose de signer un contrat simplifié, les honoraires journaliers, durée à déterminer, lieu : Libye.
Tandis que Bernard est penché sur ce contrat, absorbé dans sa lecture, Twiggy capte un instant l’attention de Tom et lui fait des signes muets mais éloquents, elle roule des yeux, regarde au plafond, se frappe la tempe de l’index, ce qui fait presque rire Tom qui a bien sûr décodé le message de sa secrétaire : « Tom, tu es fou ou quoi ? ne va surtout pas t’embringuer dans une telle aventure, c’est la guerre là-bas, ne te laisse pas faire, renonce, Tom, tu es… », c’est là que Bernard relève la tête, Twiggy fait semblant de terminer ses gestes en passant ses mains dans sa chevelure.
Impassible, Bernard sourit à Twiggy :
— Et vous, Twiggy, qu’en pensez-vous de cette mission ?
— Je… je ne sais pas…
Devant la porte d’entrée de l’agence du détective, la fameuse porte dont le vitrage translucide avait été fracassé lors de sa première grande enquête, Tom, préoccupé par l’inquiétude de Twiggy, ne peut s’empêcher de poser encore une fois la question à Bernard :
— Vous pensez que je suis la bonne personne pour une telle mission ?
— Je n’ai aucun doute, détective Randal ! il y aura forcément des hauts et des bas dans votre enquête, le pays n’est pas trop stable, mais vous avez déjà prouvé, c’est votre force, que vous savez prendre les bonnes initiatives le moment venu.
Les deux hommes se serrent à nouveau la main avec un petit sourire :
— Bonne chance, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez un problème, Thierry restera aussi à votre écoute, bonne route, Tom.
Le matin à Roissy, Thierry était là, grand, solide, l’air concentré, avec les billets d’avion Paris-Le Caire et Le Caire-Marsa Matruh, le boitier en plastique du GPS, et les coordonnées de Karim Jerandi, le guide tunisien, au cas où…
Il a ajouté celles du marchand d’antiquités libanais, Maroun Chehab, un maronite de 69 ans, qui habite à Shahat.
Il a précisé que Karim avait les réservations d’hôtel.
Tom n’avait pris que son sac cabine pour tout bagage, pour un voyage qui ne devrait pas excéder quelques jours, pensait-il.
Les deux hommes se sont quittés avec une solide poignée de main.
Le premier vol jusqu’au Caire a duré 4 heures et demi, ce qui a permis à Tom de s’imprégner des données du dossier.
Les moteurs du Beechcraft King Air 200 font un bruit d’enfer, pas moyen de se concentrer ou de lire dans ce turbo prop, heureusement le vol d’une heure depuis Le Caire se termine, l’atterrissage est prévu à Marsa Matruh dans vingt minutes.
Comme d’habitude, quand il prend l’avion, Tom s’instruit en feuilletant les brochures disponibles contre le siège face à lui.
Marsa Matruh est une grosse ville égyptienne de près de 150.000 habitants, il lit que Cléopâtre et Marc-Antoine se seraient baignés dans une piscine non loin de là. Rommel aussi, peut-être ? car la bataille a fait rage là, et jusqu’à El Alamein, que Tom a dû survoler quelques minutes plus tôt.
Les dix sièges de l’avion sont occupés, surtout par des hommes d’affaires, Tom dénote un peu dans sa tenue moitié touriste moitié baroudeur qui le rend plutôt repérable.
L’avion vire sur l’aile, Tom découvre la cité portuaire largement étendue, le pilote manœuvre les flaps, l’avion ralentit sa descente et s’approche du sol. Le pilote exécute un arrondi en cabrant l’appareil, Tom sent qu’il réduit la puissance des moteurs et relève le nez de l’avion pour augmenter la portance, un atterrissage parfait malgré un vent violent qui a secoué l’appareil et ses passagers.
Quelques instants plus tard, Tom foule le tarmac, armé de son sac cabine. De loin il aperçoit un type un peu âgé, tignasse hirsute et barbe blanche, petit et souriant, pipe solidement arrimée entre ses lèvres, qui lui fait de grands signes. Cet accueil rassure Tom qui répond par un large mouvement du bras, comme s’il retrouvait un vieil ami.
Karim Jerandi se présente, l’entraine dans le hall minuscule de l’aérogare, plus petit qu’une supérette de province, ils en sortent pour rejoindre leur chauffeur au volant d’un des fameux pickup Toyota Land Cruiser.
Karim et Tom s’installent à côté du chauffeur qui se présente « Abdelkader ! » et démarre.
Karim sourit à Tom :
— Bon voyage ?
— Oui, très bien, où allons-nous ?
— Thierry a réservé, sur mon choix, un petit hôtel en bord de mer, l’Adriatica, un hôtel historique peut-être un peu défraichi mais tranquille. Comme l’après-midi est bien avancé, il va être trop tard pour prendre la route vers la Libye.
— Quel est notre programme de demain, Karim ?
— Une longue journée de route, je pense que nous partirons vers 4 heures du matin.