Moi, Dédé - Marie Sakay - E-Book

Moi, Dédé E-Book

Marie Sakay

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Beschreibung

Dans cet ouvrage intime et bouleversant, Marie SAKAY retrace l’odyssée de sa famille réunionnaise, marquée par l’exil, les épreuves et la reconstruction.

Mais ce récit ne s’arrête pas à leur histoire. Il est surtout celui d’une femme qui, à son tour, a dû affronter l’inconnu, traverser les tempêtes et se relever, encore et encore, pour tracer son propre chemin. De son départ vers la métropole à ses luttes pour s’intégrer, se construire et atteindre ses objectifs, elle livre ici un témoignage sincère et inspirant sur la persévérance, l’identité et la quête d’un avenir meilleur.

Entre mémoire familiale et parcours personnel semé d’embûches, "Moi, Dédé" est un témoignage vibrant de résilience, d’identité et de persévérance.

Une histoire qui prouve que, malgré les tempêtes, il est toujours possible de se relever et d’écrire son propre destin.

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Seitenzahl: 155

Veröffentlichungsjahr: 2025

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MarieSAKAY

MoiDédé,

Préface

Dédé. Ce simple mot résonne encore dans ma mémoire comme un doux souvenir d’enfance. C’est ainsi qu’on m’appelait et qu’on m’appelle encore aujourd’hui, dans ce cocon familial empreint de chaleur et de tendresse. J’ai grandi dans une ferme pittoresque où la vie était en perpétuel mouvement. Des animaux de toutes sortes peuplaient notre quotidien, créant un spectacle vivant et vibrant de la nature. La maison, perchée sur pilotis, abritait une cuisine où les arômes de nos repas traditionnels se mêlaient à l’air pur de la campagne. Aujourd’hui, je ressens le besoin de raconter mon histoire, de partager ces souvenirs précieux avec mes enfants et mon mari. Ce livre n’est pas seulement un récit, c’est un hommage à mon grand-père et à ma grand-mère, deux figures qui m’ont profondément inspirée. À travers ces pages, je souhaite transmettre le passé, les valeurs et les traditions qui ont façonné mon identité, afin que ceux qui me sont chers puissent mieux comprendre d’où je viens et découvrir l’essence même de qui jesuis.

Pour préserver l’anonymat des personnes mentionnées dans ce récit, tous les prénoms ont été modifiés.

MoiDédé,

L’histoire

À travers mon parcours, j’ai souvent réfléchi à l’histoire de ma famille et à l’héritage de mes grands-parents. Leur migration vers Sakay et les défis qu’ils ont affrontés sont des récits qui façonnent non seulement mon identité, mais aussi ma compréhension des luttes et des espoirs qui nous unissent en tant que descendants de ces pionniers. En revisitant leur histoire, je me rends compte à quel point leur détermination et leur résilience continuent d’influencer ma vie aujourd’hui.

Babetville

Sakay et l’aventure des Réunionnais : le voyage de mes grands-parents

Sakay, autrefois nommée Babetville, fut bâtie à partir de rien par des immigrés réunionnais dès 1952. Ce village agricole fut le fruit des efforts acharnés de familles réunionnaises qui quittèrent leur terre natale pour cultiver les terres de Madagascar, dans le cadre d’une initiative de l’État français visant à développer l’agriculture dans cette région. Ce mouvement de population s’inscrit dans un contexte migratoire plus large, orchestré par des politiques telles que celles du BUMIDOM (Bureau pour l’immigration des originaires des départements d’outre-mer).

Contexte historique et économique à La Réunion

Dans les années 1950, La Réunion fut frappée par une grave crise économique, marquée par une hausse significative du chômage et un manque d’opportunités pour les familles locales. Face à cette situation, l’État français décida de délocaliser plus de deux cents familles réunionnaises, dont la mienne, vers les terres fertiles de Sakay. Ce projet visait à offrir une alternative de travail aux fermiers réunionnais, leur permettant ainsi d’espérer un avenir meilleur. Mes grands-parents, comme beaucoup d’autres, acceptèrent cette offre, portés par la promesse de nouveaux horizons et de meilleures conditions devie.

La décision de s’établir àSakay

Grâce à leur travail acharné, Sakay devint rapidement un centre majeur de production porcine, se classant parmi les leaders mondiaux dans ce domaine. La coopérative agricole mise en place reçut des subventions du ministère des Outre-mer et du conseil général de La Réunion, soulignant l’importance stratégique de ce projet pour l’État français. Cependant, cette réussite ne suffit pas à effacer les défis rencontrés par les familles réunionnaises sur place.

Les conséquences de l’indépendance de Madagascar

En 1975, l’indépendance de Madagascar bouleversa la vie des Réunionnais établis à Sakay. Sans préavis, ils se retrouvèrent confrontés à une situation dramatique : les autorités malgaches, considérant leur présence comme indésirable, ordonnèrent leur expulsion. Mes grands-parents, ainsi que d’autres familles, durent quitter leur foyer en un temps record, laissant derrière eux des terres cultivées et des rêves brisés. Ma grand-mère se souvient de cette période avec une grande émotion, décrivant un climat de tension palpable, presque comme si une guerre se préparait. Les couvre-feux instaurés et le départ précipité laissèrent un goût amer à ceux qui avaient construit leur vie à Sakay.

L’impact du BUMIDOM sur leur migration

À cette époque, le BUMIDOM jouait un rôle crucial dans l’accompagnement des familles ultramarines. Cependant, après leur expulsion de Madagascar, les autorités françaises leur déconseillèrent de retourner à La Réunion, toujours en proie à une crise sociale. C’est ainsi que mes grands-parents envisagèrent l’option de la Guyane, une autre promesse d’avenir. En acceptant l’offre de l’État français de s’installer en Guyane, ils espéraient bénéficier de terres fertiles et d’un soutien pour relancer leur activité agricole, tout comme cela avait été promis à Sakay.

Le défi de l’installation en Guyane

Malheureusement, la réalité qu’ils rencontrèrent en Guyane fut bien différente des promesses faites. À leur arrivée, ils se retrouvèrent dans un environnement isolé, en pleine forêt, sans accès à l’eau ni à l’électricité, plongés dans des conditions de vie précaires et souvent difficiles. Les financements promis par l’État pour les aider à s’installer ne virent jamais le jour, et mes grands-parents s’endettèrent rapidement, confrontés à une lutte pour survivre.

Malgré tout, cinq familles décidèrent de tenter cette nouvelle aventure en Guyane. Mes grands-parents, accompagnés de leurs cinq enfants, se lancèrent dans ce périple, espérant que cette terre serait enfin celle de leur rédemption. Ma mère, alors lycéenne à La Réunion, rejoignit la famille quelques mois plus tard, marquant un nouveau chapitre dans l’histoire de notre famille.

Le douloureux adieu à Madagascar

Au moment de leur expulsion, mes grands-parents, qui avaient bâti une existence riche et pleine de promesses à Sakay, durent renoncer à tout ce qui leur était cher. Escortés par la police jusqu’à l’aéroport dans l’urgence, ils quittèrent Madagascar avec une hâte désespérée en direction de Paris. Ils laissèrent derrière eux leur vaste plantation, leurs animaux et une multitude de souvenirs, n’emportant que quelques vêtements et quelques photos, vestiges fragiles d’un passé révolu. Fidel, leur fidèle chienne, les regarda partir, le cœur lourd de tristesse, tandis que deux ouvriers malgaches, attachés à leur savoir-faire, restèrent pour veiller sur ce qui ne pouvait être emporté. Paradoxalement, alors que ma mère poursuivait ses études à Saint-Denis, mes grands-parents, submergés par la peur et la douleur dans un contexte où la mort avait fauché de nombreux compatriotes français se précipitèrent pour fuir ce pays en perdition. Cet adieu brutal, chargé de renoncements et de chagrin, accentua encore leur résilience, forgeant ainsi l’héritage inébranlable qui résonna encore enmoi.

Résilience et héritage

Le parcours de mes grands-parents, marqué par l’espoir et la désillusion, illustre non seulement les défis auxquels ils ont été confrontés, mais aussi leur résilience face à l’adversité. Leurs expériences, ancrées dans l’histoire migratoire de la Réunion et de ses habitants, continuent de résonner dans ma propre vie, me rappelant que chaque défi surmonté est un pas vers l’avenir.

La Guyane, l’eldorado

Forêt en Guyane

Mon enfance

Mon grand-père, un « yab », terme créole désignant les « blancs des hauts » de La Réunion avait quarante ans lorsqu’il arriva à La Carapa, en Guyane, déterminé à reconstruire sa vie après des années de dur labeur. Il voulait offrir un avenir meilleur à sa famille et bâtir une ferme qui subviendrait à leurs besoins. C’était un homme de couleur blanche aux yeux bleus, issu d’une famille d’agriculteurs illettrés de la campagne réunionnaise. Bien qu’il ne sache que peu lire et écrire, maîtrisant seulement quelques chiffres, cela ne l’empêcha pas de développer une incroyable résilience face aux épreuves de la vie.

Son père avait combattu pendant la Seconde Guerre mondiale et fut fait prisonnier en Allemagne, ajoutant une dimension de sacrifice et de souffrance familiale à leur histoire. Avant lui, son grand-père avait servi durant la Première Guerre mondiale (1914-1918), ce qui fait de cette famille une lignée de travailleurs et de combattants marqués par les conflits mondiaux.

À ses côtés, ma grand-mère, une femme métissée aux cheveux courts et au caractère bien trempé, ne montrait jamais ses émotions. Très active jusqu’à aujourd’hui, elle incarnait une force tout aussi puissante. Issue, elle aussi, d’une famille d’agriculteurs illettrés, elle tenait à apprendre à lire et écrire pour pouvoir gérer les formalités administratives et échanger avec les autres. Elle suivait des cours du soir, à ce qu’on appelait « l’école marron », après une longue journée de travail à la ferme. Pour elle, l’apprentissage était une priorité, même au milieu de ses nombreuses responsabilités.

Ensemble, mes grands-parents travaillaient sans relâche, de jour comme de nuit, pour faire prospérer leur exploitation agricole. Les conditions de vie à l’époque étaient rudimentaires : il n’y avait ni électricité ni eau courante, et la terre était dure à cultiver. Pourtant, rien ne pouvait entamer leur détermination. Ils affrontaient chaque obstacle, qu’il s’agisse des intempéries, des maladies ou des difficultés économiques, avec une force de caractère inébranlable.

Le travail à la ferme était épuisant, mais il était vital pour assurer un avenir meilleur à leurs enfants, et plus tard, à nous, leurs petits-enfants. Ils savaient que chaque sacrifice était un investissement dans l’avenir, un avenir qu’ils voulaient plus stable et prospère que celui qu’ils avaient eux-mêmes connu. Leur engagement inébranlable envers leur famille devint un héritage de courage, et de persévérance qui continue de résonner dans nos vies aujourd’hui.

Je me souviens encore de ces moments passés à la ferme, où chaque membre de la famille jouait un rôle essentiel. Ma mère, l’aînée de la fratrie, travaillait comme secrétaire à Cayenne. Mes tantes, quant à elles, jonglaient entre les tâches domestiques et leurs études, tandis que mon oncle s’impliquait dans les travaux de la ferme aux côtés de mes grands-parents, son engagement envers l’héritage familial était une source de fierté pour nous tous. Chaque jour était un défi, mais c’était aussi une vie de solidarité et d’entraide, où chacun contribuait à la survie de la ferme.

Ces souvenirs d’enfance à la ferme sont profondément ancrés en moi. Je me souviens particulièrement de Caroline, notre grande vache tachetée de noir et blanc. Après la traite, j’adorais boire son lait tout chaud, une douceur simple, mais inoubliable. J’avais aussi un petit caneton que j’avais affectueusement surnommé Mitterrand, et, avec mon imagination d’enfant, je lui avais mis un collier de Barbie autour ducou.

Et puis, il y avait Roger, le singe de la famille. Il était espiègle et adoré de tous. Roger grimpait souvent sur l’épaule de mon grand-père lorsqu’il allait nourrir les cochons, et ce qui le rendait encore plus spécial, c’était sa manière de manger des yaourts, exactement comme nous, avec sa petite cuillère. Il était vraiment adorable, mais, malheureusement, il fut attaqué par des chiens, un événement qui nous attrista tous profondément. Le soir, nous nous retrouvions tous dans le salon pour partager des moments de convivialité. Nous avions un perroquet, qui, avec un talent impressionnant, imitait non seulement les bruits des animaux de la ferme, mais aussi nos conversations. Ma grand-mère était particulièrement attachée à lui. Ces instants, apparemment ordinaires, étaient empreints de chaleur et de tendresse. Ils symbolisaient ce qui comptait le plus pour mes grands-parents : l’unité familiale, le travail commun et la transmission de valeurs solides. Malgré leurs efforts incessants, la vie à la ferme n’était pas de tout repos. Chaque jour apportait son lot de défis : la gestion des cultures, l’élevage des animaux et les aléas climatiques rendaient le quotidien souvent imprévisible. Pourtant, cette vie était aussi empreinte de solidarité et d’entraide. Ce lien familial, forgé par le travail commun, nous unissait et nous rendait plus forts face aux épreuves.

L’année 1981 fut marquée par plusieurs événements significatifs, mais pour moi, le plus important fut ma naissance. Ma mère, encore très jeune à l’époque, vivait intensément sa jeunesse, enchaînant soirées festives et fréquentations. Son rapport compliqué à l’alcool la rendait vulnérable, affectant parfois ses responsabilités familiales. Pourtant, il faut dire que, ma mère était une femme d’une grande beauté. Brune, avec de longs cheveux noirs, elle devait faire tourner bien des têtes. Je devais avoir quatre ou cinq ans quand elle demanda à un photographe de venir nous prendre en photo, elle et moi, ainsi que mes tantes, toutes vêtues de tenues traditionnelles réunionnaises. Ce moment reste gravé dans ma mémoire, car ce sont probablement les seules photos que j’ai jamais eues avec elle. Malheureusement, ces images, comme tant d’autres choses que j’aurais aimé conserver, furent détruites par l’humidité de la Guyane. Il ne me reste donc que ces souvenirs, flous et parfois douloureux, enfermés dans ma mémoire.

Grandir sans jamais partager ces moments du quotidien avec ma mère laissa une empreinte profonde, une absence que rien ne peut véritablement combler. Ne jamais être allée au restaurant avec elle, ne jamais avoir fait les magasins, ces petites choses qui, dans la banalité, tissent des liens et construisent des souvenirs. Ces instants qui semblent insignifiants pour d’autres deviennent, pour moi, un vide, une blessure invisible, mais bien réelle. Ce sont ces moments de partage, même les plus simples, qui permettent à un enfant de se sentir vu, aimé, reconnu. Ce vide me suivit tout au long de mon enfance, laissant des marques que le temps n’effaça pas. On dit que les blessures de l’enfance sont les plus difficiles à cicatriser, et je le crois profondément. Celles-ci, enracinées dans l’absence, le manque d’affection, la distance, continuent de peser dans ma vie d’adulte.

C’est d’ailleurs pour cela que je veille aujourd’hui à transmettre à mes enfants ce que je n’ai pas eu. Des moments partagés, des sorties, des repas ensemble pour briser la routine, pour leur montrer qu’ils comptent, qu’ils sont aimés. Ce que j’aurais voulu vivre moi-même, je l’offre à mes enfants, espérant, quelque part, apaiser en eux ce que je n’ai jamais pu trouver.

Pendant que mes tantes bâtissaient leur propre vie, chacune fondant un foyer près de la ferme familiale, mes grands-parents prirent une décision déterminante : m’élever dès mes premiers mois, en tant que première petite-fille. Ils assumèrent ce rôle avec amour et dévouement. Mes tantes et mon oncle s’investirent également dans mon éducation, m’accompagnant à l’école, m’aidant dans mes devoirs, veillant sur moi avec bienveillance. Grâce à eux, j’ai grandi dans un environnement équilibré et aimant, malgré l’absence de ma mère. Mais même l’amour de mes grands-parents ne put effacer totalement cette douleur sourde, ce manque de proximité avec celle qui m’avait donné lavie.

Mon grand-père, inquiet de l’influence néfaste de l’alcool sur ma mère, estimait que cette responsabilité ne pouvait pas lui incomber. Bien que ma mère ait une situation professionnelle stable, ses fragilités personnelles l’empêchaient de me fournir les soins et l’attention nécessaires. La décision de me confier à mes grands-parents fut douloureuse pour elle, mais elle comprenait qu’ils m’offriraient une vie plus aplomb, dans un environnement sain et sécurisant. Ainsi, je grandissais entourée de l’amour, de la discipline et du cadre familial que mes grands-parents pouvaient m’offrir.

À cette époque, notre grande ferme familiale était en pleine effervescence. Nous élevions de nombreux animaux : des vaches, des cochons, des poules, et bien d’autres. En plus de la ferme, nous possédions quatre boucheries en plein centre-ville, un commerce prospère qui assurait un revenu confortable à la famille. Ma grand-mère et mes tantes s’occupaient de l’abattage et du plumage des poules, une tâche pénible, mais régulière. Parfois, un cochon était tué pour préparer des charcuteries maison telles que du boudin, du fromage de tête, et des andouillettes, que mon oncle fumait dans un fumoir artisanal.

Ces moments de préparation culinaire, bien que très physiques, étaient empreints de convivialité. L’atmosphère, chargée de traditions et de partage, rendait ces instants chaleureux et familiaux, où chacun se retrouvait dans une tâche commune. J’adorais y participer, et les odeurs alléchantes qui envahissaient la maison apportaient une sensation de bonheur simple et authentique. Ces souvenirs de la ferme familiale sont profondément gravés en moi, témoignant de l’importance de la transmission et de l’héritage familial dans mon parcours.

Pendant mes années d’école, c’était ma tante, la plus jeune des enfants de mes grands-parents, qui prenait soin de moi. Elle veillait non seulement à ce que je fasse mes devoirs correctement, mais m’aidait également lorsque j’avais des difficultés. Son soutien inestimable contribua grandement à mon éducation, jouant à la fois le rôle d’une grande sœur attentionnée et d’un mentor bienveillant. Elle, elle m’encourageait à persévérer, à voir dans chaque épreuve une opportunité de grandir. Habitant avec mes grands-parents, nous formions un noyau familial solide, un véritable socle de stabilité et d’amour au cœur des difficultés du quotidien.

Les mercredis, vendredis et samedis étaient des journées particulièrement chargées. Ces jours-là, ma grand-mère et mon oncle partaient à l’aube pour vendre nos produits au marché, une activité essentielle pour le maintien de la ferme et la survie de la famille. Pendant ce temps, je me rendais au collège, où je faisais de mon mieux pour honorer les efforts acharnés de mes grands-parents.

De retour à la maison après l’école, je m’efforçais de contribuer aux tâches domestiques. Une de mes principales responsabilités était de préparer le repas pour mon grand-père, souvent cuit sur un feu de bois traditionnel. Ce n’était pas une simple tâche routinière : elle exigeait de la patience, une bonne connaissance des ingrédients et une parfaite maîtrise du temps de cuisson. Mais pour moi, c’était bien plus qu’une corvée. C’était un moment précieux, une occasion de renforcer le lien unique que j’avais avec mon grand-père. Nous partagions des instants de complicité autour de ces repas simples, mais savoureux. Parfois, je me lançais même dans la préparation de pâtisseries, reproduisant avec soin les recettes traditionnelles que mon grand-père m’avait enseignées. Un jour, je lui avais préparé un gâteau cuit dans une marmite sur le feu de bois. Ces moments en cuisine, loin d’être ordinaires, étaient empreints de tendresse et de transmission. Ils me permettaient de perpétuer les traditions familiales tout en apprenant l’importance du travail bien fait, de la rigueur et de la responsabilité.

Je ne voyais pas souvent ma mère, les visites étaient rares et, lorsqu’elle venait, c’était principalement pour m’apporter des vêtements ou des gâteaux. Bien qu’elle ne restât jamais longtemps, chacune de ses apparitions éveillait en moi un mélange d’émotions contradictoires. D’un côté, il y avait la joie de la retrouver, et de l’autre, la tristesse de son départ rapide, qui renforçait ce sentiment de distance et d’éloignement affectif. Ces moments passagers me laissaient souvent avec une impression de vide, comme si une barrière invisible nous séparait.

Mon père, originaire de la Guyane, fut presque absent de ma vie. La relation entre mes parents était complexe, marquée par des non-dits et une profonde souffrance. Ma mère, follement amoureuse de lui, semblait accuser le poids de ses absences répétées. Il était marié à une autre femme, avec qui il vivait et avait des enfants, ce qui compliquait encore davantage leur relation. Mes interactions avec lui se limitaient à des instants furtifs, notamment lors de la messe du dimanche. Il y assistait avec ses deux fils, qui servaient comme enfants de chœur. À chaque croisement de nos regards, ni lui ni ses enfants ne me prêtaient attention, amplifiant ainsi mon sentiment d’exclusion et de solitude. Ces moments soulignaient la douloureuse réalité de mon isolement vis-à-vis de cette partie de ma famille.