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L'opiniatre et authenthique journaliste Titoan Coustou, arpente les rues de Montpellier pour sonder les failles et les tourments du Clapas d'aujourd'hui. Première incursion de l'auteur dans l'univers du polar Occitan, avec ce roman où l'intrigue débute par l'assassinat d'une vieille dame. Avec ses ruelles médiévales, ses terrasses de café si prisées des touristes, ses petites boutiques, ses trésors cachés et ses jolies fontaines... qui pourrait imaginer que Montpellier abrite un meurtrier sans scrupule ?
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Seitenzahl: 355
Veröffentlichungsjahr: 2020
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Cette histoire repose sur des faits imaginaires, avec des personnages et des scènes fictives donc toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, serait pure coïncidence. Une large part de ce roman et de ses protagonistes relève de la liberté de fiction exercée par l'auteur. Si les lieux publics sont authentiques, ne recherchez, ni les commerces, ni les bars ou restaurants, ils ne sont que le fruit de son imagination.
Il n'est pas de sanctuaire pour le meurtre ; il n'y a pas de barrière pour la vengeance.
William Shakespeare ; Hamlet (1603)
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Le département de l'Hérault n'est pas seulement une vieille terre romane, ni le lieu touristique des plages caressées par la mer avec son arrière-pays languedocien, ses jolis villages pittoresques lovés dans des écrins de nature et ses paysages préservés à l'écart des sentiers battus.
Il est aussi celui des pics et des gouffres profonds, c'est également une terre de poètes et de mythes, de rêveurs et de rebelles, c'est aussi et surtout une belle terre mystérieuse, celle des légendes et d'une Histoire, riche d'événements trop souvent sanglants à présent oublié.
Événements cachés mais, qui, tels une source, profondément enfouis dans le creux et le sol des monts de l'arrière-pays quelquefois resurgissent avec violence.
Dans les garrigues héraultaises, comme en Corse et comme ailleurs, sous l'apparence prodigieusement paisible, d'un vignoble écrasé sous le soleil, d'un versant du mythique et solitaire Pic Saint-Loup, où dans les rues de Montpellier, ville bourgeoise et alanguie, flottait dans l'air comme une sorte de menace.
Ce jour-là il courait au soleil, livrant son âme et son corps à la liberté et la solitude, le sentier grimpait doucement à flanc de coteau par le sud, la température était idéale il ne faisait pas trop chaud.
Dressées sur une crête dentelée du Pic Saint-Loup, isolées au milieu de la garrigue qui l'étouffe, les ruines du château de Montferrand, figées dans la pierre, défiaient le temps et se déchiquetaient sur la crête dentelée de la colline.
L'homme chauve courait encore entre capitelles et garrigues odorantes. Cette ascension lui était familière. Le printemps couvrait la nature de mille couleurs. Jaune des genets d'Espagne, blanc des asphodèles, rose des cistes, bleu de la lavande, du romarin et de l'aphyllante. Thym, romarin, origan, sarriette exhalaient leurs arômes, leurs parfums délicats s'épanouissaient chaque jour davantage. Le sentier serpentait au milieu des pins d'Alep et des arbousiers, où alternaient les zones planes et les pentes raides, les cailloux et les petits rochers.
Lorsqu'il courait dans ces lieux, il avait une impression de liberté, liberté d'avancer à son rythme, de choisir son chemin, de découvrir de grands espaces, de profiter de la beauté des paysages avec le plaisir de l'effort, de la performance.
Il avait cette sensation un peu primitive de plénitude au milieu des éléments. Ici il savait exactement qui il était, rien ni personne n'aurait réussi à le faire changer.
Certains coureurs à pied possédaient un lecteur audio avec lequel ils écoutaient de la musique, cette distraction correspondait d'une certaine manière à se dissocier ou plus précisément à occuper l'esprit.
Il ne fonctionnait pas ainsi, car il souhaitait pouvoir également se concentrer intensément sur ses objectifs. L'accentuation de sa concentration modifiait peu à peu son état de conscience et pouvait s'apparenter à un état d'hypnose, son niveau de transe étant plus ou moins profond.
Parvenu tout en haut, il s'autorisa à reprendre son souffle et s'arrêter pour admirer le point de vue sur l'impressionnant profil du Pic Saint-Loup, ce paysage l'émouvait encore, plaisir toujours renouvelé et qui lui était cher.
La sueur salée dégoulinait sur son visage et pénétrait dans ses yeux, elle lui troublait la vue et lui coulait dans la bouche, il l'essuya avec le bas de son T-shirt.
A présent, son regard embrassait le magnifique panorama et le château de Montferrand. Tout un symbole, pour lui. Un était une fois dont il ne reste que des pierres.
Démantelé par la volonté de Louis XIV et de l'évêque Colbert de Croissy en 1698, il n'en restait que les ruines et les sillons creusés dans la roche par les lourds chariots ferrés qui montaient au château du temps de sa splendeur. Le monument fut livré aux caprices du temps totalement délaissé de tous. Les vestiges de l'enceinte, des communs, des logis, et le donjon se dressaient encore fièrement au bord de la vertigineuse falaise nord.
Le bruit courait que l'hiver, les soirs de grand vent, on pouvait encore entendre encore les plaintes des prisonniers affamés, enfermés dans les terribles geôles souterraines du château.
Objet d'effroi pour toute la région, ce nid d'aigle faisait peur à tous les habitants, qui osaient à peine lever les yeux pour le contempler. Mais dans toute légende, dit-on, il y a un fond de vérité.
Le sommet, offrait de superbes points de vue sur les Cévennes, la Grande Séranne, le mont Saint-Baudille, la mer Méditerranée toute proche ou encore la plaine Montpelliéraine à ses pieds.
Autour de lui, l'odeur du thym et du romarin, les plantes dures et piquantes, les rochers blancs, la terre aride, les vignes, les chênes verts, les chênes blancs, les oliviers. Mais ici, sous l'apparence prodigieusement paisible d'une petite vallée, de vignes en coteaux, d'un versant de montagne, flottait comme une menace.
Son regard se porta ensuite sur le vol d'un aigle de Bonelli, en silence, le rapace déploya ses ailes, intrigué il le vit fondre sur un animal qu'il présuma être un petit lapin brun qui n'eut pas le temps de s'abriter au creux d'une crevasse, le prédateur s'en saisit et d'un vol rapide l'emporta vers une paroi rocheuse dans son nid composé d'un gros amas de branchages.
Il éclata de rire, un rictus carnassier plaqué sur le visage. C'était un bon présage.
Dans la mythologie grecque et romaine, l'aigle, roi des oiseaux était par excellence l'oiseau de Zeus, il servait de messager attitré, instrument de justice des dieux et des hommes.
Plus tard, attablé au restaurant sur la place de la Canourgue en plein cœur de Montpellier, à l'ombre des micocouliers, il savourait, un repas méditerranéen, composé d'une salade grecque et de saumon rôti aux fines herbes et citron.
Il était tranquille, détendu dans un lieu qu'il adorait, un endroit encore calme car les touristes n'étaient pas encore là.
Considérée comme l'une des plus belles places de la ville, la Canourgue était composée en son centre de parterres de fleurs aux multiples couleurs, d'arbres, de statues. De plus, les terrasses de cafés, et restaurants qui bordaient l'espace permettaient d'apprécier la sérénité ambiante et d'y passer des moments de calme et de détente.
Il y avait bien longtemps, l'un de ses vieux professeurs lui avait indiqué que le très suisse Jean-Jacques Rousseau s'était établi non loin de cette place pendant quelques mois à l'automne 1737 et venait partager ses repas à cet endroit même. Il lui avait même précisé que cet hypocondriaque célèbre n'avait pas été très indulgent dans ses propos quant à l'opinion qu'il avait de la commune et de ses habitants. La ville, magnanime, avait débaptisé la rue Basse où il avait habité en rue Jean-Jacques Rousseau.
Sur la place quelques passants se faisaient photographier devant la splendide fontaine des licornes réalisée par le sculpteur gardois Four-net qui représente Charles-Eugène-Gabriel de Castries : vainqueur de la bataille de Clostercamp, futur maréchal de France et gouverneur de la ville.
Il pouvait en profiter pour admirer encore les façades des hôtels particuliers du XVIIème siècle qui entouraient l'endroit où il se trouvait : à l'hôtel Richer de Belleval, l'hôtel de Cambacérès et l'hôtel du Sarret. Quelques instants plus tard, un sans-abri commença à se diriger vers lui. Le clochard se rapprochait en observant attentivement l'expression de son visage, mais fixant ses yeux et notant l'agressivité qu'il en émanait, il fit rapidement demi-tour, évitant le regard méprisant que le quadragénaire chauve lui avait lancé.
L'homme attendit, là, patiemment en observant l'animation aux alentours, regardant de temps en temps sa montre. Ce n'était pas encore l'heure.
Il patientait, jetant régulièrement un regard sur son portable, observant la lumière déclinante, en attendant son heure. Comme rien ne pressait, il s'offrait le loisir d'admirer la vue, d'apprendre peut-être enfin à profiter de la vie.
Plus tard, les gargouilles de la Cathédrale Saint-Pierre brillaient d'un éclat inquiétant dans la lumière des réverbères.
Du coup, il sursauta à la vue de la vieille femme qui marchait d'un pas assuré elle avait un sac en cuir brun passé à l'épaule et tenait solidement la bandoulière à deux mains. Elle se tenait droite, sans la moindre trace de l'hésitation que l'on voit trop souvent chez les femmes d'un certain âge.
Discret comme la nuit, il emboîta le pas à la vieille femme à la veste noire, jusqu'au bas de la rue Sainte-Croix. Il avait déjà repéré les lieux, plus tôt dans la journée et avait trouvé un raccourci qu'il emprunterait quand il jugerait le moment opportun, car il n'avait certainement aucun mal à deviner la direction que prenait sa proie. A la deviner ou, plutôt, à la suivre des yeux. Son regard noir trahissait ses réelles intentions.
Au bout de la ruelle la vieille dame tourna à gauche puis à droite dans la rue Lallemand, ensuite encore à droite dans la rue de Candolle pour bifurquer à gauche rue de la Providence. Elle fit quelques pas dans la rue, puis parvenue au siège de la Société Historique Montpelliéraine Anne Courtines se saisit des clés et ouvrit avec difficulté la lourde porte en bois vert.
Moins d'une heure s'était écoulée lorsque la vieille dame sortit, elle ferma la porte, s'arrêta sur le seuil, leva la tête vers le ciel, sourit à la lune, puis scruta les environs comme on le fait habituellement en sortant de chez soi. Rassurée, elle s'engagea dans la ruelle déserte. Quand elle eut tourné au coin, l'autre quitta sa cachette.
Quelques instants plus tard, se hâtant à perdre haleine, Anne manqua de peu de trébucher alors qu'elle passait sur le côté de la Tour des Pins dans la rue Armand Gautier.
Le souffle coupé par ses sanglots, les yeux embués par les larmes, les mains tremblantes, la vieille femme s'arrêta, essoufflée contre le mur où quelques poubelles avaient été rassemblées à proximité d'une bouche d'aération.
Peinant à se tenir droite après sa course, elle se retourna brusquement en hoquetant à la recherche de son poursuivant, et n'apercevant rien de celui-ci, soupira de soulagement. Elle pensait qu'elle devenait folle, car tout au long de la journée elle avait eu parfois l'impression qu'il y avait quelqu'un, qui ne voulait pas se montrer, qui la suivait, qui l'espionnait.
Non loin de là, dans la Cathédrale Saint-Pierre était proposé un concert baroque : des extraits de Giulio Cesare en Egitto de Haendel. Déformées par le vent des bribes de musique plus lointaine à présent flottaient aux oreilles d'Anne.
Passant une main sur ses yeux pour essuyer ses larmes, rassurée de n'avoir plus personne à ses trousses, elle se retourna enfin, pour esquisser un pas en direction de l'autre extrémité de la rue. Mais elle poussa un hurlement de terreur lorsqu'elle aperçut à quelques mètres derrière elle l'homme qui, elle en était à présent persuadé, lui voulait du mal. Le halo de lumière du lampadaire lui avait permis de reconnaître son visage. Elle était certaine qu'il avait décidé de l'éliminer pour la réduire définitivement au silence, pour l'empêcher de divulguer les secrets qu'elle avait découverts.
Âgée, sans défense, isolée dans cette rue où il n'y avait âme qui vive. Elle n'avait pour seules armes dérisoires dans son sac, que du papier, un stylo et sa volonté sans failles. Tout ce qui comptait, c'était d'échapper à son agresseur.
Tandis qu'elle courait, Anne réalisa qu'elle pleurait et gémissait d'une petite voix qui lui était totalement étrangère.
Dans un sursaut d'énergie, elle se dirigea le plus rapidement qu'elle put vers l'entrée du jardin des Plantes dont elle espérait qu'elle ne soit pas fermée comme elle aurait dû l'être, mais, si elle se souvenait bien on lui avait précisé que quelquefois les gardiens un peu désinvoltes oubliaient de cadenasser le portail. L'homme avait heureusement été retardé par l'arrivée d'un tramway qui remontait lentement le boulevard Henri IV.
Parvenue à l'entrée, elle tourna la poignée métallique du grand portail, pesant de tout son modeste poids et après un effort important pour elle, la lourde grille s'ouvrit enfin. Elle avait un goût de sang dans la bouche.
Pénétrant dans le Jardin qu'elle connaissait comme sa poche, Anne prenant garde en descendant les escaliers étroits, se dirigea vers les allées, insensible ce soir-là, aux parfums des massifs, aux essences odorantes et médicinales de verveine, de menthe, et de sauge.
Déterminée, rien ne pouvait l'empêcher de parvenir à son but. Elle était trop effrayée pour hurler. De toute façon, il n'y avait d'ailleurs personne pour l'entendre. Personne, à part l'homme qui venait vers elle.
Son agresseur qui semblait ne pas être un habitué des lieux, désorienté, ne pouvait se fier qu'aux bruits que sa proie effectuait en cherchant à s'enfuir. Mais une vieille dame ce n'est pas bien lourd et ses déplacements étaient silencieux.
Ses sens aux aguets, comptant sur ces facultés de perception, il écoutait les bruits alentour.
Au bout d'un temps qui lui parut une heure, il perçut enfin une sorte de bruissement sur sa gauche il s'y dirigea immédiatement, rapide, souple, retenant son souffle et sans bruit. Son but était de s'approcher d'elle furtivement par-derrière et lui ravir la vie.
Rien n'est plus facile à condition de faire preuve de précision et de concentration. Il se demanda si elle savait. Il avait entendu dire que certaines personnes savaient, le jour d'avant, une heure avant, qu'elles avaient rendez-vous avec elle. Et, malgré cette intuition, elles n'étaient pas prêtes. La mort était toujours là, en embuscade et chacun évidemment sait qu'il doit mourir un jour. Malgré cela, tout le monde était pris par surprise.
Anne n'entendit pas le battement d'ailes d'un choucas prenant son envol depuis le haut de la Tour. Si elle avait suivi l'oiseau des yeux, elle aurait peut-être vu apparaître tout en haut des 25 mètres de l'édifice, une silhouette qui rodait dans la nuit, un homme vêtu d'une robe à capuchon noir qui pendait sur son corps décharné.
Elle amorça le plus hâtivement que son vieux corps le lui permettait, une manœuvre afin de trouver la sortie, un crissement de gravier, un froissement derrière elle la fit sursauter, elle se retourna et vit le faciès déformé par la haine d'un homme qui lui asséna un grand coup sur la tête. Une fureur sauvage l'habitait.
Il exultait, ivre de rage et de bonheur. Pour lui, sentir qu'il prenait une vie, c'était devenir un dieu l'espace d'une fraction de seconde.
Le dernier son que perçut Anne fut le chant du castrat soprano jouant le rôle de Sextus qui attaquait le Svegliatevi nel core de Haendel. Elle poussa son dernier soupir aux pieds du monument de Rabelais.
Le meurtrier s'empara ensuite du sac de la vieille femme et s'enfuit dans le dédale des ruelles du Clapas, dans le silence complet et complice de la lune. Les pas de sa course martelant doucement le sol pavé, leur bruit quelque peu masqué par l’écho de la musique qui s’échappait de la Cathédrale.
Il avait le sentiment d'avoir agi proprement, sans possibilité d'établir un lien avec lui, sans risque d'indice ni de piste, sans rien qui le trahisse, sans rien qui suggère qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'une mort de hasard telle qu'il s'en produit régulièrement dans toutes les villes. Mais surtout, cet instant fut comme un révélateur, comme si une partie lui dont il ignorait jusqu'alors l'existence s'éveillait. Il ne s'était jamais senti aussi lucide, aussi sûr de lui. Il ne s'était jamais senti aussi vivant. Il eut la certitude qu'il contrôlait enfin sa vie. Il en éprouva un immense bien-être.
La vie de Titoan Coustou n’était pas un roman d’aventures. Il s’était absent quelques années de Montpellier sa ville natale, puis y était revenu. Journaliste indépendant depuis quelques années, après avoir tenté d'intégrer sans succès une grande rédaction, il avait collaboré avec près d'une dizaine de titres en presse française et anglo-saxonne, assez prestigieux pour certains.
Mais, cela ne l'avait pas empêché de connaître à peu près toutes les galères possibles : les confrères qui piquaient ses sujets ; les articles commandés, annulés et jamais payés. Ceux à qui il avait fait parvenir un sujet très pointu avec des détails très précis et qui répondaient qu'ils avaient décidés peu de temps auparavant de traiter ce sujet en interne. Et pourtant, il continuait. Parce qu'écrire était la seule chose qu'il aimait vraiment faire.
Il avait la passion de la vérité et lorsque c'était possible il essayait de rendre compte de la complexité de la vie quotidienne.
Tout n'était pourtant pas si noir au pays des pigistes. Au cours de sa jeune carrière, il avait rencontré nombre de personnes carrées et bienveillantes, qui lui avaient dispensé des conseils judicieux. De ceux qui se préoccupaient de savoir si vous aviez bien été payé, à temps et qui vous félicitaient lors de bons échos sur l'un de vos papiers. Hélas, ces personnes étaient minoritaires.
Son employeur régulier était actuellement le journal Le Clapasien. Ce n'était pas un journal bien important et à la différence des autres quotidiens ou hebdomadaires son but n'était pas d'influencer l'opinion publique ni les décisions des hommes publics.
Le sympathique et vieux briscard Max en était le rédacteur en chef. C'était un journal à faible diffusion, fier de son indépendance où le petit nombre de journalistes faisait de son mieux pour couvrir tous les domaines possibles.
Les sujets que Coustou proposait étaient souvent des expositions artistiques, commémorations, d'inaugurations, d'événements concernant le sport amateur local, de vœux, de noces d'or, de Noël... bref pas les chiens écrasés mais, presque. Sauf cette fois où Max lui avait donné carte blanche avec ce fait divers.
Car il avait la particularité d'être tenace et d'avoir la capacité à regarder derrière le miroir, il lui semblait être bien apprécié du petit nombre de Clapasiens qui lisaient ses billets, il possédait de bonnes qualités relationnelles et surtout il savait écouter, aussi, parfois, il décrochait des informations que d'autres journalistes plus professionnels et plus expérimentés ne parvenaient pas à obtenir. Il avait un don pour faire parler les gens, poli, discret et courtois, parfaitement inoffensif aux yeux des hommes ou femmes de confiance qui savaient rassurer les concitoyens. Il recoupait et vérifiait toutes ses informations. Quand les professionnels du mensonge s'apercevaient de leur erreur, il était généralement trop tard.
Cette semaine, il avait proposé à ses lecteurs un article sur un sujet délicat et difficile, qui faisait l'objet de toutes les conversations. Le meurtre d'une vieille dame du centre-ville. Il avait écrit un article sur ce drame pour Le Clapasien, journal qui paraissant deux fois par semaine sur Montpellier et qui le sollicitait régulièrement. Il savait que cet entrefilet allait déclencher chez les gens cet émoi, mélange d'épouvante et de quiétude, qui se produisait lorsqu'on apprenait une mort tragique, parce qu'on en était préservé et qu'on se contentait d'en lire le récit. Comme au cinéma ou bien à la télévision, en spectateur, en parfaite sécurité. Bien tranquille, chez soi.
Dans la pensée d'un journaliste, le plus précieux est ce moment solitaire de la première intuition. Et il avait eu l'intuition que derrière ce drame il pourrait découvrir quelque chose de plus important qu'un fait divers mineur.
"Les commerçants et membres des différentes sociétés culturelles du Centre Montpellier organisent ce vendredi à 19 heure 15 une marche silencieuse en hommage à Anne Courtines, assassinée dans la nuit de lundi et dont les obsèques seront célébrées samedi matin.
Ils appellent toutes les personnes qui le souhaitent à se joindre à eux pour un "hommage solennel et sans prétention". Le cortège partira de l'église Saint- Roch pour rallier la rue Four des Flammes, où se situait le domicile de la nonagénaire. Car celle-ci effectuait ce parcours de deux cents mètres quotidiennement pour aller se recueillir à l'église.
Une personne âgée discrète et distinguée assassinée non loin de chez elle. Un quartier du centre-ville bouclé par la police.
Hier matin, Montpellier s'est réveillée avec boule au ventre et une étrange anxiété. Qui a tué Anne Lecloitre veuve Courtines, quatre-vingt-onze ans ?
Elle n'avait plus que peu de temps à marcher pour arriver, saine et sauve, à son domicile. Anne, est décédée dans le Jardin des Plantes à Montpellier, après avoir été violemment agressée par un ou plusieurs inconnus qui voulaient sans doute lui voler son sac à main.
Dans la nuit du lundi au mardi, la nonagénaire, qui vivait seule, avait été retrouvée inanimée au petit matin par un SDF, le corps étendu au milieu de l'Allée des Étudiants, aux pieds du monument dédié à Rabelais dans le jardin des Plantes et le visage en sang.
Décrite comme « vive et sympathique » par ses voisins, Anne avait passé sa vie à Lyon, où elle avait été la secrétaire médicale de son époux le docteur Courtines, originaire également de Montpellier.
Elle était revenue dans sa région d'origine il y a vingt ans, où elle et son époux avaient choisi de passer leur retraite.
Sans enfant, devenue veuve, « elle était encore très alerte, et n'était pas du genre à se laisser faire », se souvient son voisin, Paul.
Décrite par un ami comme « discrète, mais aimant beaucoup bavarder », elle passait l'essentiel de ses journées à promener dans le centre-ville, aller fureter à la Bibliothèque Municipale, aux Archives Départementales, lorsqu'elle n'était pas présente à la Société Historique Montpelliéraine rue de la Providence.
Quelques heures après les faits, le sac à main d'Anne a été retrouvé par les forces de police à plusieurs centaines de mètres du lieu de l'agression, mais vide.
Si aucune piste n'est écartée, « celle du rôdeur en quête d'argent est privilégiée », indique un policier. C'est le syndrome de la violence ordinaire.
Une enquête pour « vol avec violence ayant entraîné la mort » a été ouverte, et une autopsie ordonnée par le parquet de Montpellier.
« Le quartier est bouleversé : c'est le prototype de la victime isolée, vulnérable, qui ne demandait rien à personne », glisse une source proche de l'affaire.
Un appel à témoins a été diffusé pour tenter de retrouver le ou les agresseurs.
Qui pouvait bien pouvoir assassiner cette vieille dame, un petit bout de bonne femme d'un mètre cinquante-quatre et cinquante kilos, propriétaire d'un appartement cossu de la rue Four des Flammes à Montpellier, au point de décider de l'éliminer ?
La veuve du docteur Bernard Courtines dont le corps a été retrouvé mardi matin aux Jardins des Plantes non loin de chez elle, est morte « dans des circonstances violentes d'origine criminelle certaine », confirme Jean Soulet, le procureur de la République. Un décès survenu « à la suite d'un ou plusieurs coups donnés à l'aide d'un objet contondant », ajoute-t-il, préférant ne pas donner davantage de précisions. "
L'autopsie de la victime était toujours en cours à l'Unité médico judiciaire et l'institut médico-légal. Ce service qui ne traite pas uniquement des morts, comme on pourrait le croire, mais qui gère chaque année près de 3000 examens de victimes vivantes, mais aucune information particulière de la part des Services de Police n'avait encore filtré."
Il existe des coïncidences dont on pourrait supposer qu'elles sont l'œuvre d'une main occulte, d'un marionnettiste maléfique doté d'un sens machiavélique très développé et qui agite des personnages, qui, sans son action ne se seraient jamais rencontrés.
Tout avait commencé au Marché aux Puces et à la Brocante à la Mosson le dimanche matin précédent. Un rendez-vous traditionnel et incontournable pour de nombreux montpelliérains, un endroit où il avait l'habitude de se rendre régulièrement, en effet, les plus de 400 exposants : brocanteurs, soldeurs professionnels et vendeurs occasionnels lui avaient permis de faire quelquefois des affaires.
Mais il ne faut pas rêver. Dans une braderie, on ne trouve ni peintures de Cézanne ou de Salvador Dali, et ce d'autant moins que les professionnels sont "au cul du camion" avant l'ouverture, à la recherche d'objets d'une certaine valeur pas encore déballés. Pour trouver une pièce rare ou celle qui manque à sa collection, il est préférable de venir tôt, avant la foule.
Après avoir garé sa BMW 6 coupé relativement loin du marché pailladin, sécurité oblige, l'homme aux lunettes noires et au crâne rasé, habillé d'un pantalon gris et d'une chemise blanche, se dirigea vers le Marché aux Puces, des voitures étaient stationnées partout. Sur les trottoirs, le long de la route principale. Il croisa des piétons qui regagnaient leur véhicule, luminaire, tapis, sur l'épaule, chaise sur la tête ou coussins sous le bras. Les chineurs ou simples visiteurs, étaient venus nombreux comme chaque semaine Du simple curieux au chineur invétéré.
Sur le site, dès onze heures, les tables des espaces restauration avaient été prises d'assaut. Frites et sandwichs partent comme des petits pains. En fait, on trouve de tout aux Puces de la Mosson. De la vaisselle, des bibelots, des meubles, des livres, des jeux vidéo, des affiches, des bijoux, des robinets, du matériel de couture, des vieilles cartes postales…Tout se mélangeait au rien. Un service de vieux verres, un sac en cuir racorni côtoie des collections de cartes anciennes ou d'affiches de cirque ou de cinéma, des disques vinyles anciens.
Certains chineurs cherchaient des objets très précis. Lui, s'intéressait aux cartes postales, aussi, tout en déambulant à travers les allées il fut surpris de constater qu'un exposant jamais remarqué auparavant proposait des cartes postales anciennes.
Comme il s'approchait, il constata que le brocanteur vendait également de vieux appareils photo dont le Zeiss Ikon Nettar, albums photos, timbres-poste et sacs de tris postaux chinois, japonais...
Focalisé sur les présentoirs de cartes postales il jeta son dévolu sur le premier présentoir à la recherche du sujet qui lui tenait à cœur : les représentations des cartes postales du Zeppelin, le dirigeable de fabrication allemande. Fouinant dans les cases où le classement plutôt original du vendeur lui laissait peu d'espoir de découvrir l'une de ses pièces manquantes le LZ 129 : le Hindenburg.
Était-ce le hasard ou le destin ? Certains disent que le destin attend au coin de la rue. Il suffit parfois d’une simple rencontre fortuite pour faire basculer le destin d’une ou plusieurs personnes.
Son attention fut attirée par une vieille femme qui se trouvait à ses côtés et qui feuilletait minutieusement un album photo d'un format d'environ 25 par 30 centimètres. Ce dernier semblait en piteux état, toutefois elle se penchait vers chaque photo avec une concentration de plus en plus soutenue.
Cette attitude l'intrigua, alors il se mit à observer à présent la vieille dame tout en simulant une recherche attentive dans le bac des cartes postales.
— C'est combien Emile ? demanda-t-elle à l'exposant.
— Cent euros, madame Courtines.
— Ecoutez ! Marchander, c’est pour moi le plaisir de chiner. Mais il ne faut pas que vous, les vendeurs, vous me preniez pour un pigeon, ou plutôt pour une pigeonne, sous prétexte que je suis une vieille femme. C’est trop ! Vous me prenez pour qui ? une américaine ? lui dit-elle sur un ton acerbe.
— Quatre-vingt euros et c'est mon dernier mot, fut la réponse du marchand.
— Beaucoup de personnes vendent ce type d'album photo, j'imagine que ça se revend assez mal ? Cela n'intéresse plus personne, cela fait plusieurs mois que vous cherchez à le vendre sans doute, sans y parvenir. Écoutez, je peux vous en débarrasser, il ne vous encombrera plus et vous ne l'aurez plus sous les yeux à chaque brocante, si vous acceptez de me faire une ristourne de dix euros. Qu'en pensez-vous ?
Le brocanteur hésitait encore, car il lui semblait que la vieille dame tenait réellement à cet album, mais celui-ci l'encombrait parmi tous les objets qu'il avait à vendre et il lui paraissait si insignifiant...
Il songea un instant que, peut-être, il pourrait en obtenir plus.
— Soixante-dix euros. Rappelez-vous que si vous avez tiré un bon prix de vos différentes ventes de journaux et de documents à la Société Historique c'est un peu grâce à moi.
Emile, battit en retraite et opina du chef en signe d'acceptation.
— Bon d'accord on fait affaire, voulez-vous un sachet pour le porter, madame Courtines ?
— Oui, je veux bien, ... sans rancune Emile ?
— Évidemment madame Courtines !
— Avec ça tu pourras faire un joli cadeau à ton épouse, répliqua-t-elle joyeusement, en le payant.
Emile fit une mimique, à mi-chemin entre la moue et la grimace, comme s'il avait un goût amer dans la bouche.
Lorsque le vendeur tendit un petit sac avec son achat à sa cliente, le sachet glissa et l'album photo s'ouvrit en son milieu découvrant deux photos aux pieds de l'amateur de cartes postales de Zeppelin, celui-ci blêmit en fixant l'un des deux clichés qui était apparu à présent sous ses yeux. Son étonnement fut remarqué par la personne âgée qui le dévisagea.
D'abord abasourdi il resta là, figé, pendant que l'alerte nonagénaire ramassait en maugréant son achat et s'éloignait à petits pas rapides vers la station de tramway la plus proche. L'homme regarda longuement la femme qui s'éloignait. Elle l'avait dévisagé, bien regardé dans les yeux, comme si elle le connaissait ou reconnaissait. Il y avait quelque chose dans son regard qui vous transperçait.
Après quelques pas, elle trébucha légèrement et dû s'arrêter, mais elle reprit immédiatement sa marche en avant.
Retrouvant ses esprits, l'homme choisit une carte postale un peu au hasard et s'adressa au brocanteur.
— Voilà j'ai trouvé ce qu'il me faut, j'ai été moins long que la vieille dame qui vous a acheté cet album.... Il vous faut beaucoup de patience pour exercer ce métier de brocanteur.
Il remarqua que celui-ci portait un tatouage sur l'avant-bras. Le fer à cheval est largement connu pour sa vertu de porte-bonheur, se rappela-t-il.
— A qui le dites-vous ! Mais bon avec l'âge on apprend à conserver son flegme et la patience. De plus, cette cliente est une habituée, une cliente régulière et je la connais bien, madame Courtines, elle n'est pas méchante, un peu râleuse comme le sont les vieux Clapasiens.
— J'ai vu que vous regardiez mon tatouage, c'est un fer à cheval. Le tatoueur m'a précisé que ce symbole avait des propriétés magiques, le métal était très cher dans l'Antiquité, c'est pourquoi le fait de trouver un fer à cheval a toujours été considéré comme un bon signe, parce que cela signifiait pratiquement toujours obtenir de l'argent et la chance donc.
L'acheteur approuva d'un hochement de tête.
— Et c'était quoi cet album ?
— Oh ! un vieil album photo que j'avais dans mon débarras depuis quelque temps et que j'ai décidé de proposer à la vente, ce sont de veilles photos de famille de la région me semble-t-il. Enfin c'est une supposition car il n'y a aucune note ou remarque particulière, dans les marges ou les photos, mais je crois avoir reconnu une photo avec l'Arc de Triomphe, pas celui de Paris, le nôtre celui de l'avenue du Maréchal Foch.
— Il s'agit peut-être de la famille de madame Courtines ?
— Peut-être, en tout cas elle n'en a pas fait mention ou bien est-ce l'aspect patrimoine local qui l'intéresse. Madame Courtines est une des responsables de la Société Historique Montpelliéraine, rue de la Providence. Elle anime régulièrement des conférences sur l'histoire locale.
Ces détails lui étaient bien utiles et lui permettraient sans aucun doute de retrouver la trace de cette femme. Tout compte fait, comme l'avait dit César Borgia en son temps : "Ce qui ne s'est point fait au dîner se fera au souper."
De la terrasse de son appartement Titoan observait la ville, un tueur s'y promenait peut-être encore, le ciel au sud brillait comme une brillante soie bleue.
Il espérait qu'il allait faire orage cet après-midi, que la pluie viendrait nettoyer les rues, le toit de son immeuble, et déferler dans les rigoles. Mais ce ne fut pas le cas.
Son logement était un lumineux trois pièces éclairé par de grandes baies vitrées. Dans sa bibliothèque il y avait de nombreux livres, dont la collection de livres ayant appartenu au grand- père paternel, mort longtemps avant sa naissance. Il y avait des livres partout, romans, biographies, livres historiques. Il y avait même une pile de livres sur la table de chevet, et sous le lit.
Il aimait sa ville, Montpellier la "surdouée" toutefois cela ne l'empêchait pas d'être objectif et impartial dans ses articles dans Le Clapa-sien. Ce qui lui valait régulièrement des lettres ou des messages d'insultes.
A partir de 1990, Montpellier avait raflé tous les prix et toutes les récompenses : de la ville la plus culturelle, de la ville la plus sportive, de la ville la plus dynamique, de la ville la plus sociale, de la ville la mieux gérée, de la ville la plus innovante… La municipalité souhaitait attirer des investisseurs, des chefs d'entreprises, des artistes et des créateurs, des grands noms de l'architecture.
Montpellier était une ville bourgeoise belle et riche ; il y avait là de vieilles fortunes et de plus récentes, de beaux quartiers. Mais, par endroits, cette beauté était aussi mince qu'une couche de vernis et cachait à peine les fissures, car ici aussi il y avait de la laideur, de la pauvreté et du mensonge, bien qu'ils fussent nombreux à prétendre le contraire.
Ce matin-là, il quitta son domicile de bonne heure, il avait rendez-vous dans un petit bistrot du vieux Montpellier avec Germain Canté, un ami de longue date, cadre à la préfecture de l'Hérault.
Il laissa ses pas le conduire lentement jusqu'au Café-Bar " La soif du mâle " situé dans l'Ecusson, le centre historique de la ville. Sur le trajet il s'arrêta pour acheter le quotidien régional de référence, se penchant sur les rubriques nécrologiques, mais comme il l'avait deviné celles-ci ne comportaient aucun élément notable qui aurait pu l'aider.
Il entra dans le bar en jetant un regard sur l'un des décors qui l'attirait le plus dans les commerces du Centre Historique, en effet, les murs étaient recouverts de photos d'acteurs célèbres des années cinquante, et d'affiches de cinéma.
Orson le metteur en scène des lieux adorait cette période de l'histoire du septième art.
D'ailleurs le nom de son bar était un clin d'œil au film d'Orson Welles, il était resté jusqu'à aujourd'hui un spectateur passionné du cinéma et du monde, engagé par l'un dans une réflexion permanente sur l'autre.
Malgré le nom de l'enseigne, le lieu n'était nullement réservé à la gent masculine car Orson était tout sauf misogyne, en fait le bar était surtout fréquenté par les cinéphiles, hommes et femmes.
Accoudé au comptoir, un jeune dégingandé et barbu expliquait à son auditoire que le tournage de Psychose n'avait failli par avoir lieu faute de moyens financiers car aucun studio n'ayant souhaité produire cette histoire de tueur psychopathe, Hitchcock avait dû hypothéquer sa maison pour la tourner avec un maigre budget de huit cent mille dollars et une petite équipe technique.
Orchestré de main de maître par une musique fantastique, un scénario puissant et maîtrisé associé à une mise en scène impeccable, Psychose méritait sans conteste d'être élevé au rang de chef-d'œuvre.
Il expliquait avec emphase et conviction que rarement un film avait fait naître auparavant un tel suspense, rarement un personnage avait été aussi inquiétant et insaisissable que Norman Bates.
D'ailleurs, voir Psychose, c'était comme assister à un condensé de tous les éléments devenus incontournables du genre : Alfred Hitchcock avait tout inventé dans ce film.
L'un de ses interlocuteurs eut tout juste le temps de préciser que lors de la fameuse scène de la douche :
La surprise du spectateur était augmentée par la terrifiante musique de Bernard Hermann. Hitchcock voulait se contenter du bruit de l'eau de la douche et des cris de Marion. Hermann le convainquit avec raison d'utiliser des violons stridents pour appuyer le côté effrayant de la scène...
L’animateur de la discussion reprit la main en précisant que pour Hitchcock, le choix du noir et blanc s'imposait, en premier lieu pour des raisons budgétaires. Il craignait en outre que la couleur ne rende son film plus sanglant, qu'angoissant et n'entraîne la censure des scènes de meurtres.
Ainsi, nul besoin de ketchup pour imiter le sang, remplacé ici par du chocolat liquide. À la sortie du film, le maître avait exigé que les portes des salles soient fermées aux retardataires.
Dans les cinémas, un message adjurait les spectateurs de ne rien révéler à leurs amis. Le film a été très mal perçu à sa sortie aux Etats-Unis par la critique, les spectateurs étant surpris par la violence de certains passages. Il termina sa prestation en concluant : le cinéma est un sismographe pour l'avenir et le miroir de la société actuelle. Il en reflète les problèmes et c'est pour cela qu'il peut parfois déranger.
Dans la salle, attentif et intéressé par cette discussion, Germain attendait Coustou.
Un jour, II lui avait avoué qu'il trouvait à présent plus d'intérêt aux échanges informels et sympathiques entre cinéphiles, même si quelquefois ceux-ci étaient très vifs, qu'aux conversations concernant la politique qu'il adorait lorsqu'il était plus jeune.
— Bonjour Germain lui dit-il en lui serrant la main.
— Bonjour Titoan.
— Comment ça va aujourd'hui ?
— Météorologiquement belle journée ! J’étais perdu dans mes pensées. Je m'étonnais encore de la vitesse à laquelle ma jeunesse s'est envolée, répondit-il amicalement.
Léon le patron du bar, que tout le monde surnommait Orson, vint prendre la commande.
— Deux expressos, l'informa Germain dont un serré et double pour mon ami.
Orson se dirigea rapidement vers sa nouvelle machine dont il était si fier, c'était une machine à café professionnelle semi-automatique deux groupes avec deux buses vapeurs qu'il avait reçus et installés la semaine précédente.
Le patron allait et venait sans bruit. Leurs cafés furent servis rapidement.
— Et voici, messieurs. Vous m'en direz des nouvelles, vous n'en trouverez pas un aussi bon des kilomètres à la ronde.
— Nous n'en doutons pas, convint Titoan.
— Orson, savais-tu qu'il y a cent ans environ à cet endroit, à cette même place où tu sifflotes lorsque tu fais ton service il y avait déjà un bar ? continua Germain
— Je l’ai su, mais je ne m’en rappelle pas.
— Il s'appelait " Le Cabaret du Néant". Spécialité l'absinthe : on en sortait souvent ivre et quelquefois mort.
Le patron éclata de rire :
— Ici plus d'absinthe, mais plutôt du bon café et quelquefois pour les vrais amateurs, du bon cognac.
— Cela dit, reprit Germain, il est vrai que l'absinthe provoquait des lésions cérébrales chez l'homme, mais on sait à présent que celles-ci peuvent être causées par de nombreuses choses ; exposition à des substances toxiques etc. Chaque année aux États-Unis, 80 000 à 90 000 personnes deviennent invalides suite à une lésion cérébrale traumatique et ils ne boivent pas tous de l'absinthe.
— Comment vas le moral ? cela n'a pas l'air d'aller bien fort, demanda Titoan. Ces temps-ci on n'a pas eu le temps de se parler.
— Physiquement ça va, mais effectivement, aujourd'hui, je n'ai pas le moral. Ça fait déjà quelques jours que je n'ai pas le moral. J'ai le cafard, je suis l'homme à la triste figure. Tu ne t'es jamais interrogé sur le sens de ton existence ? demanda soudain Germain.
— Chaque jour. Mais c'est le cas de tout être humain, tu ne crois pas ?
— Le temps passe trop vite. Sans avoir eu le temps de dire ouf, tu as cinquante-deux ans, et les gens avec lesquels tu as débuté ont depuis longtemps été remplacés par une génération qui discute d'autres sujets, qui a des opinions qui te paraissent aberrantes et écoute une musique différente. L'âge est un voleur silencieux. Et tu connais la dernière ? J'ai un nouveau chef... il a quarante balais, le type ! Le moment où tu sais que tu deviens vieux pour de bon ? C'est quand ton chef est plus jeune que toi. Je me rends compte aujourd'hui, que jamais je n'ai eu un patron plus jeune que moi. Ce freluquet de moins de trente-deux ans qui compte en tout et pour tout cinq ans d'ancienneté et un joli diplôme sur son CV, va donc être mon boss, moi qui ai cinquante-deux ans, dont vingt-cinq de métier.
— Voyons Germain, tout cela c'est dérisoire, qu'importe son âge ? Ces sont des préjugés, c'est psychologique, ce n'est pas justifié. Les temps ont changé. Il a sans doute de grandes qualités qui ont justifié cette nomination.
Germain maugréa, puis, redevenant sérieux, souffla :
— Je suis né et j'ai grandi ici, et je ne reconnais plus ma ville. L'assassinat de cette vieille dame est la goutte qui fait déborder le vase. La violence est dans nos murs et l'on dit qu'il faut faire quelque chose, à tout prix. Mais c'est toujours quand la question nous touche directement ou bien atteint nos portes que nous finissons par considérer que c'est un problème qu'il faut résoudre absolument.
Coustou approuva d'un hochement de tête le point de vue de son ami.
— Je suis entièrement d'accord avec toi, je suppose que tu as lu mon billet sur le sujet ?
— Oui bien sûr, c'est tragique, Montpellier était si tranquille auparavant, et la police ne semble pas avoir de piste. Cette femme était peut-être au mauvais endroit au mauvais moment. Bien que ton article laisse supposer que tu n'excluais pas des motivations plus personnelles.
— Effectivement, et j'aurai du mal à alimenter les lecteurs de notre gazette en information complémentaire si je ne trouve pas de piste. Cela me paraît nécessaire d'autant plus que l'émotion publique est à son comble. Les médias traditionnels vont encore en faire toute une histoire, sur quelques jours seulement, parce que cela fait vendre les journaux, ou écouter, la radio, ou regarder la télévision, ce qui revient au même. Après ils passeront à autre chose, un cyclone, un attentat, un tremblement de terre, un scandale politique. Certains pensent qu'il s'agit peut-être d'un meurtre de hasard, Germain. Cela arrange certains de mettre cela sur le compte de gens dérangés, sans visage, qui parcourent le pays.