Pas de clémence pour Titus - Thierry Viala - E-Book

Pas de clémence pour Titus E-Book

Thierry Viala

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Beschreibung

Le Ravin des Arcs est l'une des randonnées les plus appréciée des habitants de la région de Montpellier avec son décor minéral de canyon que les crues violentes des cours d'eau ont lentement façonné durant des siècles. Mais si certains se baladent, d'autres y meurent. C'est le cas d'un paisible retraité de l'enseignement qui disparaît le jour d'une tempête. Mais était-il si paisible ? Est-ce un suicide ou bien un crime ? Avec une obstination d'archéologue le duo de journalistes Titoan Coustou et Florentin Ventadour va tenter de reconstituer la personnalité complexe d'Arcisse Poissenot et découvrir peut-être d'inquiétantes zones d'ombre. Nous retrouvons ici les protagonistes découverts lors de leur première enquête : Mortelles Résurgences en Clapas.

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Seitenzahl: 359

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés fictivement.

Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes serait pure coïncidence. D'autre part, ceci est un roman, et toute erreur doit donc être nécessairement interprétée comme étant un acte de fiction.

PS : Il serait vain de chercher le village de Saint Orfons sur la carte du département de l'Hérault, cette commune n'existe que dans l'imagination de l'auteur.

Thierry Viala.

J’ai décidé de ne plus rien décider,

d’assumer le masque de l’eau,

de finir ma vie déguisé en rivière,

en tourbillon, de rejoindre à la nuit

le flot ample et doux, d’absorber le ciel,

d’avaler la chaleur et le froid, la lune

et les étoiles, de m’avaler moi-même

en un flot incessant.

Jim Harrison – Poème du chalet (Cabin Poem)

Du Même Auteur

Chez le même éditeur :

Mortelles Résurgences en Clapas

Sommaire

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 1

Tout autour de lui, l’air et l’espace étaient chargés d'une sorte de noirceur comme si quelque chose de terrible et de probable, allait se produire, quelque chose dont la nature qui l’entourait avait conscience.

Il leva les yeux au ciel et espéra un orage qui anéantirait tout. C'était un après-midi agité, avec des instants éclairés par un ciel lumineux et par moments des bourrasques qui emportaient les nuages jusqu'au sommet des Cévennes, bien plus loin. Une journée singulière, mais ce n'était pas une journée pour mourir.

Il reprit sa course. Ses muscles étaient encore contractés et endoloris. Son cœur battait à une vitesse inquiétante. Sa fuite effrénée était une tentative désespérée d'échapper à ses agresseurs. Le sol était jonché de feuilles de chênes et de branches d’arbres. Dans ce secteur et à cette heure avancée de la journée, il savait qu’il ne trouverait personne qui pourrait lui venir en aide. Son salut, si salut, il y avait, il ne le devrait qu’à lui-même.

Parvenus sur le parking, lorsqu’ils tentèrent de l’assommer par surprise, il avait fait un mouvement de côté ce qui lui permis d’éviter le coup de matraque ou de gourdin, il ne savait pas trop. Ce réflexe lui avait sans doute sauvé la vie. Puis, immédiatement, profitant du bref instant de surprise, il s’était lancé dans cette fuite éperdue.

Coup de chance, il connaissait bien les lieux, mais par malheur, c’était également le cas pour ses poursuivants, il le savait. Et lui, malheureusement, n’avait plus vingt ans depuis bien longtemps.

Il était parvenu à la plaine de Cambounet et son chemin dans le creux pierreux qui progressivement se rétrécissait avant de dégringoler en d’innombrables lacets vers le fond du ravin.

Ses membres le faisaient toujours souffrir, mais il courait dans le sentier sinueux et caillouteux. Il parvint à prendre de la vitesse grâce à la pente. Il entendait derrière lui le bruit des pas et les insultes de ses agresseurs. Il était entièrement focalisé sur sa fuite, de manière presque animale. Chaque respiration, chaque battement de cœur, chaque mouvement orchestrait ses pas, accompagné de bourrasques qui fouettaient les arbres.

Il traversa rapidement la forêt de chênes verts pour se diriger vers la descente qui conduisait au ravin, mais la pente était raide et les roches rendues glissantes par les pluies de la veille. Il était envahi par une terreur panique. Il perdit l'équilibre et s’affala dans le lit caillouteux et ruisselant du Lamalou. Ce n'est qu'en se rétablissant et en reprenant sa course désespérée, qu'il réalisa qu'il venait de perdre ses lunettes. Effectuant un rapide demi-tour, il fut soulagé de les retrouver intactes sur un petit rocher.

Mais le temps perdu avait permis au groupe qui le poursuivait de se rapprocher. Aujourd’hui, il ne prendrait pas le temps d’admirer le décor sauvage et grandiose qui l’entourait. Le vent soufflait par rafales et devenait de plus en plus violent, le ciel s’obscurcissait, signe évident de la proximité de la tempête qui était annoncée. Levant les yeux, il voyait les nuages rouler, poussés par un vent puissant.

Dans sa course folle, il ne sentit pas la douleur lorsqu’une pierre jetée par l’un des agresseurs à ses trousses atteint violemment son omoplate droite. La peur décuplait sa volonté, le rendait insensible à la souffrance, lui donnait de la force, lui donnait de la vitesse. À présent, le vent s'avançait en hurlant à la mort et en sifflant entre les roches.

Il courait de façon désespérée, jusqu’à sentir ses muscles brûler, à présent, il était persuadé qu’il avait peu de chances de leur échapper. Volontaire et tenace, il essaierait jusqu’au bout. Le chemin devenait de plus en plus étroit et dangereux.

Mais il connaissait cet endroit comme sa poche, sautait sur les roches et les rochers marqués par les stigmates laissés par les passages de l’eau au fil des siècles. Il n’avait pas le temps d’apprécier le travail d’érosion qui avait lentement taillé le calcaire en grottes et en marmites. Il voulait dans un premier temps atteindre l’arche, le grand arc de pierre qui lui rappelait la forme des arcs-boutants des cathédrales.

Pourtant, peu à peu, la fatigue et les crampes l’obligèrent à ralentir sa course. Sa progression était de plus en plus difficile. Il avait à présent l’impression qu’un grand désespoir prenait possession de son corps et de son esprit un peu comme si une personne malveillante lui avait administré un tranquillisant en tentant de lui faire comprendre qu'il était enfin temps de se reposer et de ne plus lutter contre son destin. Il était terrorisé. Son cerveau se mit soudain à enregistrer tous les sons qui lui parvenaient : le bruit de l'eau, le cri des oiseaux, le souffle du vent. Un hibou grand-duc hulula en haut de la paroi rocheuse qui luisait encore sous le ciel bleu de cette fin de journée d'hiver. Quand ils crient si près, c’est que quelqu'un va mourir, disait toujours sa grand-mère.

Les bruits de pas étaient tout proches à présent, juste derrière lui, à dix mètres peut-être ? songea-t-il.

Puis il tourna la tête de côté afin de voir les falaises et il sentit un petit vent qui soufflait sur l’une des pentes, à guère plus de quinze mètres. Non…il ne s'agissait pas seulement de vent mais d’une sorte d’expiration qui lui arracha un frisson. Juste au-dessus de lui, les nuages avaient pris une teinte rouge, presque pourpre. Il contempla alors le décor admirable qui l’entourait, songea un instant, combien une vie humaine est insignifiante et éphémère et mourut, il ne vit pas le coup venir, et ne ressentit aucune douleur.

CHAPITRE 2

Un mois plus tard, entre deux articles consacrés pour l’un à l’examen de la santé du Père Noël, passée au crible par les médecins et un autre à la nouvelle éruption de l’Etna qui avait déclenché un séisme de magnitude 4,8, paru une demi-page dans le Clapasien concernant la « Mystérieuse disparition d’un professeur d’histoire à la retraite » un sujet traité par Titoan Coustou.

« Il a disparu depuis un mois sans laisser aucune trace. C'est devant cette équation sans solution pour l'instant que butent les gendarmes. Arcisse Poissenot, 56 ans, un enseignant d'histoire à la retraite, célibataire, s'est volatilisé le 25 novembre dernier à Montpellier. Il n’a toujours pas été retrouvé malgré la mise en œuvre d’un important dispositif de recherches comportant entre autres des équipes cynophiles.

Après avoir envisagé toutes les pistes, de l'accident à la disparition volontaire ou l'acte criminel en passant par le suicide, les enquêteurs avouent être démunis. Le juge d'instruction Henri Mulquinier, qui multiplie les initiatives dans ce dossier toujours actif pour « disparition inquiétante », vient de décider de lancer un appel à témoins.

En quatre semaines d'investigations, la vie sans histoire de ce sympathique néo retraité a été décortiquée, analysée de fond en comble par les enquêteurs pour tenter de trouver un indice permettant de savoir ce qu'il était advenu de cet homme sans histoire. Mais aucun élément n'est apparu pour orienter les enquêteurs vers la moindre piste. Ses environnements familiaux, inexistants il est vrai, sociaux et professionnels ont été passés au crible. Sans résultat non plus. En fin d’après-midi, la veille de sa disparition, le quinquagénaire avait été aperçu par un voisin devant son domicile, descendant de son véhicule Citroën C3 gris, vieux d’une dizaine d’années. Ledit véhicule stationnait toujours devant la petite maison où logeait le très discret Monsieur Poissenot. Il est à noter que les papiers d’identité, le portable du disparu ont été retrouvés à son domicile. "Nous avons remué ciel et terre, explique le lieutenant-colonel David Baquetier, officier de permanence du groupement de gendarmerie de l’Hérault. Compte tenu du peu d’informations en notre possession et de la durée de sa disparition, nous avons de fortes inquiétudes, car il ne souffrait pas de dépression, ni de problème de santé et n’avait aucune raison de disparaître, pas de souci financier connu."

Circonstance aggravante, la nuit suivant la disparition d’Arcisse Poissenot, la tempête a fait rage obligeant la majorité de la population de l’agglomération montpelliéraine à rester confinée chez elle une journée entière. La tramontane avait soufflé fort dans la nuit, dépassant les cent kilomètres heure en rafales. Elle s'était renforcée vers la fin de nuit du 25 au 26, pour atteindre ensuite cent trentesept kilomètres heure à Montpellier, en fin de matinée. L’absence du professeur en retraite n’avait été signalée qu’une semaine plus tard, par une amie Canadienne inquiète de n’avoir pas de nouvelles de sa part. »

En avril, un nouvel article du même Titoan Coustou vint livrer un tragique épilogue à cette disparition.

« Ce mardi après-midi, des randonneurs ont fait une macabre découverte sur la commune de Saint-Orfons, non loin de Montpellier, où en pleine forêt, en s’approchant d’un bosquet, dans un endroit très difficile d’accès, ils ont découvert un cadavre au sol. Le corps semblait pendu à une grosse branche d’arbre détachée du tronc. Des lambeaux de vêtements étaient éparpillés au pied du chêne.

De nombreux gendarmes ont immédiatement quadrillé la zone, rendant impossible l’accès aux différents sentiers de randonnée qui quadrillent la commune.

Deux magistrats du parquet de Montpellier et un médecin légiste se sont rendus sur place. La scène où se trouvait le corps a été gelée pour permettre tous les relevés ADN et autres indices par les techniciens de la cellule d’identification criminelle du groupement de gendarmerie de l’Hérault. »

« Le parquet de Montpellier a confirmé que le corps découvert dans un bois proche de Saint-Orfons, mardi 8 avril dans l'après-midi est bien celui d'un homme. Une autopsie doit être réalisée ce vendredi en matinée afin de savoir s'il s'agit du cadavre d’Arcisse Poissenot, 56 ans, un enseignant d'histoire à la retraite, célibataire, disparu de son domicile depuis le 25 novembre dernier. Compte tenu de l’état dans lequel se trouvait le corps lorsqu’il a été retrouvé, il était évident que le décès remontait à plusieurs semaines, voire plusieurs mois

Arcisse Poissenot avait été vu pour la dernière fois devant son domicile de la rue des Tourterelles où il habitait depuis plus de 5 ans.

Malgré une forte mobilisation des gendarmes aidés d'un hélicoptère et de chiens, dont un Saint-Hubert, chien spécialisé dans la recherche de personnes, provenant de la Compagnie de Gendarmerie d’Auch (Gers), les investigations n’avaient depuis lors rien donné. »

Le vendredi matin paru un nouvel article :

« Le corps retrouvé pendu au pied d’un arbre, mardi 8 avril, dans les bois de Saint-Orfons, est bien celui d’Arcisse Poissenot. Des examens dentaires effectués lors de l'autopsie l'ont confirmé. Le procureur de la République de Montpellier, Eric Racol, l'a annoncé lors d'une conférence de presse ce jeudi 10 avril. Il a également précisé qu’aucun signe d'agression n'était apparent. La piste du suicide par pendaison reste donc la piste privilégiée par l'enquête. Le retraité de 56 ans avait disparu de son domicile depuis le 25 novembre dernier. »

CHAPITRE 3

Titoan Coustou avait passé un excellent week-end en randonnée, à arpenter les chemins de la Côte Bleue, vers les calanques de Méjean entre Martigues et Marseille. Il possédait déjà à son actif quelques marches de bon niveau et conservait encore en mémoire les superbes vues sur les falaises, la mer, le ciel bleu. Ce matin-là, le soleil laissait tomber sur les rues une douce clarté, qui ne brûlait pas, il marchait d’un pas léger vers son journal Le Clapasien, bien que gêné par les ampoules aux pieds causées par sa rude marche de la veille.

Tout à ses souvenirs, il fut surpris lorsque Florentin Ventadour, qui semblait l’attendre, lui sauta carrément dessus dès son arrivée en bas de l’immeuble du journal. Ce dernier s’avança vivement vers lui et lui glissa d’une voix nerveuse :

— Titoan ! Il faut absolument que je te parle ! affirma-t-il, d’un ton qui n’admettait pas de réplique, en jetant sa cigarette dans le caniveau.

— Oh là ! Vieux pirate ! Qu’est-ce qui se passe ? Je te sens bien angoissé, presque nerveux, je ne te reconnais pas !

— Non, pas angoissé, mais stimulé ! Il faut qu’on cause !

— Tu as perdu un pari ? Ton équipe préférée a perdu un match ? Plus grave, l’équipe de Montpellier s’est fait étriller à domicile ? Rassure-toi ce ne sera ni la première ni la dernière fois.

— Mais non, mais non, ce n’est pas ça. Cela n’a rien à voir, tu n’y es pas. Allons au café du coin, nous y serons mieux pour discuter.

— Ah-là, je te reconnais ! Ce lieu ressemble davantage à mon Florentin ! L’homme aux belles phrases, le meilleur journaliste sportif du coin, celui qui passe plus de temps à l’extérieur du journal qu’au siège.

— N’exagère pas, petit. Ce n’est pas ma faute si l’inspiration me vient mieux dans le brouhaha des bars, des cafés et des stades que dans le silence feutré des salles de rédaction.

— Le petit, comme tu dis il a quarante balais et il a déjà bien roulé sa bosse.

De guerre lasse, Titoan céda et ils se rendirent non loin de là au café qui faisait l’angle du Boulevard Louis Blanc. Un petit établissement tenu par une Colombienne très sympathique dont le breuvage sud-américain, était aussi délicieux que les croissants livrés par le boulanger voisin.

À cette heure matinale, un lundi, les clients étaient plutôt rares. Pour tout dire, ils n’étaient que cinq dans l’établissement en comptant la patronne Laura. Celle-ci semblait avoir une quarantaine d’années, elle était brune, portait un jean, un chemisier blanc, une queue-de-cheval dépassait de sa casquette Atletico Nacional.

— Bon, je t’écoute.

— Tu devrais prendre des notes.

— OK, vas-y, maugréa Titoan, en soufflant et sortant de son sac de berger un bloc de papier et un stylo.

— C’est à propos de l’affaire Poissenot.

— D’accord et….

— Deux cafés s’il vous plaît ! lança Florentin à la serveuse, qui lui sourit en acquiesçant de la tête.

Quelques instants plus tard, Laura leur apporta deux tasses de café Quindio.

Florentin la remercia puis revint vers Titoan. Ils ne touchèrent pas au sucrier, aucun des deux n’avait l’habitude de sucrer le café.

— C’est au sujet de la mort d’Arcisse Poissenot, le professeur d’histoire.

— Je connais le sujet, j’ai suivi l’affaire avec le plus grand intérêt depuis le début. J’ai fait plusieurs papiers sur le suicide de ce pauvre homme.

Florentin hocha la tête, rajustant ses lunettes avec son pouce et poursuivant en considérant son ami :

— Je sais... je sais. La police a conclu à un suicide, il n’y avait pas de place pour un homicide, ou un accident dans les conclusions de leur enquête.

— Tout à fait. Rien ne peut laisser place à une suspicion de crime ou d’accident d’après les résultats du légiste. Plusieurs mois après la disparition de la victime, vu l’état du corps, il lui aurait été difficile d’en tirer des conclusions différentes. N’oublie pas que celui-ci a été découvert dans une zone reculée et difficile d’accès.

— Je sais, mais…

— Mais quoi ? Il s’est pendu, il avait une corde autour du cou. Enfin du cou, de ce qui en restait lorsqu’on l’a retrouvé….

— Épargne-moi les détails macabres de cette découverte sordide. Il avait quand même une fracture du crâne.

— Fracture causée par le choc du corps contre le sol quand la branche a cassé, lors de la tempête.

— C’est là encore une supposition du légiste.

— Tu sais que je ne mets que rarement en doute l’opinion des professionnels, quel que soit leur métier. Et puis ce n’est pas simple de faire une analyse complète plusieurs mois après la mort.

— Je sais, je sais.

— N’empêche que les promeneurs ont retrouvé le corps en état de décomposition avancé, quasiment réduit à l’état de squelette. À partir de là, difficile d’en tirer des conclusions différentes.

Un couple pénétra dans le petit établissement, les conversations moururent brusquement. Tous les regards des clients présents dans le café se retrouvèrent braqués sur l'homme et la femme qui venaient de pousser la porte, qui sans se démonter parcoururent des yeux la salle et allèrent s'installer à une table proche de l'enceinte qui laissait s'échapper de la musique colombienne. Les dialogues reprirent.

— J’ai lu tous tes articles sur ce sujet. Je sais tout cela. Mais ne me raconte pas que tu es persuadé à cent pour cent qu’il s’agit d’un suicide.

— Et pourquoi pas ? Quelle autre cause ? Un paisible prof d’histoire, retraité… qui lui en voudrait ? Et pour quelles raisons ? Où veux-tu en venir exactement, Flo ?

— Peut-être nulle part, je veux seulement te faire comprendre que tout n’est pas clair dans cette histoire.

— Quoi par exemple ?

— La corde justement, ne me dis pas que tu n’y as pas pensé ?

— Quoi la corde ?

— La corde ! Comment a-t-il fait pour se trimballer avec une corde de chez lui à Saint-Orfons ?

— La corde aurait pu poser problème. Mais le professeur Pois-senot a pu transporter la corde dans son sac à dos. Sac à dos que la police a retrouvé en lambeaux à côté du corps. On peut supposer qu’il s’est rendu en stop non loin du lieu de sa mort, car je le vois mal le faire avec une corde sous le bras. Donc elle était dans le sac à dos.

— C’est possible, ton raisonnement se tient.

— Il semblait avoir tout prévu en laissant également sa voiture à son domicile, son portable et ses papiers. Tout cela pour qu’on ne le retrouve pas trop tôt ou bien pour qu’il ne se laisse aucune chance de changer d’avis, je ne sais pas. Je l’ai écrit cela, tu ne l’as pas lu ?

— Si, si, bien sûr…

— Alors qu’y a-t-il ?

Florentin Ventadour but un peu de café, soufflant d’abord sur la surface de la tasse pour le refroidir, puis rompit le silence :

— Les preuves racontent parfois des histoires que la vérité contredit. Hier matin vers onze heures, j’ai reçu un appel de Sabine Audet, une ancienne amie. Elle vit au Québec depuis plus de trente ans. On s’était perdu de vue, poursuivit Florentin.

— Et… le coupa Titoan.

— Sois patient mon bonhomme. Elle connaissait Arcisse Pois-senot. Si j’ai bien compris ils ont fait leurs études ensemble, du moins une partie de leurs études, car si lui s’était spécialisé en Histoire, elle vers la Sociologie, puis la Médecine.

— OK. Elle le connaissait, depuis plus de trente ans.

Titoan prenait des notes sur son carnet tout en observant attentivement son ami. Le regard de Florentin se déplaça et se porta sur une petite armoire non loin du comptoir dans laquelle étaient rangés de nombreux romans dont il savait que la majorité d’entre eux avait pour auteur Gabriel Garcia Marquez.

— Elle m’a assuré au téléphone qu’ils continuaient à correspondre par mail depuis des années de façon régulière. En fait, ils avaient eu une aventure lorsqu’ils étaient étudiants, cela n’avait pas marché. Elle était partie au Canada, ils s’étaient retrouvé grâce à des réseaux sociaux, genre copains d’avant ou d’école ou de fac, je ne sais plus trop... Mais bon, en résumé, ils avaient renoué des contacts amicaux et se donnaient des nouvelles régulièrement. C’est elle qui a alerté la Direction de la Sécurité Publique pour disparition inquiétante d’Arcisse Poissenot.

— Tu vas donc me dire qu’elle ne croit pas au suicide.

— Evidemment qu’elle n’y croit pas, sinon nous n’aurions pas cette discussion.

— Cela sous-entend que tu n’y crois pas non plus.

— Exactement.

— Bien alors dis-moi pourquoi. Je t’écoute, quels sont tes arguments ?

— OK Tout d’abord, Poissenot, n’avait aucun problème, pas de difficulté financière, pas de désespoir sentimental, cela faisait longtemps qu’il était divorcé, pas de rupture familiale non plus car il n’avait pas d’enfant, plus de parents, frères ou sœurs, aucun problème de santé. Et il n’était pas dépressif. Comment expliquer son geste alors ?

— Je ne sais pas, la solitude peut-être …L’excès de solitude ? Voilà un motif ! Le suicide est rarement un choix froidement raisonné. C’est la plupart du temps une réaction à des sentiments de solitude, de désespoir, d’inutilité ou d’abandon d’une grande intensité. Tu me dis qu’il n’était pas dépressif, je vais me permettre de nuancer. Il n’était pas soigné pour dépression. Et puis le suicide est une affaire privée. La plus privée qui soit.

— D’accord, d’accord ! Mais Sabine m’a donné un élément qui nous était inconnu jusqu’à présent.

Titoan porta son attention vers le jeune couple qui était rentré dans le café peu de temps auparavant, ils prenaient leur petit déjeuner, en silence, chacun rivé à l’écran de son portable.

— Lequel ?

— Son ami Arcisse était inquiet.

— Inquiet ? demanda-t-il incrédule, juste inquiet ? Cet argument te suffit ? Et pour quelles raisons cette inquiétude ?

Florentin pencha la tête imperceptiblement, lança un coup d’œil vers les autres tables du café puis reporta son regard vers Titoan.

— Elle ne sait pas. Elle pourrait sans doute te donner plus d’éléments si tu l’appelais. En tout cas avant sa disparition, elle m’a affirmé qu’il lui avait écrit un message suffisamment inquiétant pour qu’elle tente de le contacter, mais il n’avait pas répondu à son appel.

— C’était quand ?

— De très bonne heure, le matin de sa disparition.

— En a-t-elle fait part à la Police ?

— Oui, mais ils n’ont pas donné suite. Pour eux, c’est un suicide, voilà tout, un parmi les 10 000 qui ont lieu chaque année en France. Tu sais comment ça marche. Les enquêteurs se forgent leur propre avis dès qu’ils obtiennent les premiers témoignages ou indices et ensuite, leur opinion faite. Il s'instaure un processus presque inconscient pour en chercher la confirmation.

— Je comprends, mais que disait le message ?

— Je ne sais pas. Elle est restée évasive lors de son coup de fil. Je te demande de l’appeler. Mon grand-père disait que pour connaître la réalité, il faut toujours écouter les femmes, elles sont souvent uniques témoins fiables du déroulement réel des histoires privées. Ecouter ne veut pas dire prendre pour argent comptant tout ce qu'elles disent, mais c'est toujours utile.

— Toi tu es du genre à écouter les femmes quand cela t’arrange. Mais c’est d’accord, les nouveaux éléments que tu m’apportes m’intéressent, je pense que je peux me permettre d’y consacrer un peu de temps, car je n’ai rien à me mettre sous la dent actuellement. Si Max, le Rédac Chef l’accepte bien sûr. Mais si je n’accroche pas, si les éléments ne me paraissent pas intéressants, j’abandonne, c’est d’accord ?

— On est en phase ! Et puis pour Max, tu sais très bien qu’il ne peut rien te refuser. Et comme tu le dis souvent, le journaliste est un déchiffreur d’indices.

— Rien me refuser c’est le dire vite, cela fait six mois que je n’ai pas eu de congés et si cette affaire prend de l’ampleur et s’il ne s’agit pas d’un suicide, mes vacances en Irlande ne sont pas pour demain.

— Bon si tu es d’accord, tu appelles Sabine. Mais il fait encore nuit au Québec, le décalage entre Montpellier et le Québec est de six heures, il va te falloir attendre un peu avant de la contacter, tiens voici son numéro, fit Florentin en lui donnant un petit bout de papier.

— Que disait le vieux proverbe chinois ? Le chemin le plus long commence par un premier pas. J’ai encore une question Flo.

— Cela m’aurait étonné que tu n’en aies pas, curieux comme tu l’es. Vas-y, je t’écoute.

— Je suis comme ça quelqu’un qui pose des questions.

Il but une gorgée de son café fort et riche en arôme en regardant le plafond qui représentait un ciel ensoleillé peint en trompe l'œil.

— Tu l’as connu comment cette Sabine, vieux pirate ?

Florentin rit doucement, soutint le regard de son ami, mais il ne réagit pas à la question. Puis il considéra le poster géant de la Cité Perdue de Tayrona qui se trouvait face à lui et dans le dos de Titoan et lui glissa :

— C’est une longue histoire, je te la raconterai peut-être plus tard, mais cela n’a rien à voir avec cette affaire.

Son ami ne répliqua pas, il regarda son complice et collègue d’un air pensif, mais accepta la réponse d’un sourire en hochant la tête.

— Au fait, ta randonnée sur la Côte Bleue s’est bien passée ?

— Super. Beaux paysages, des couleurs fantastiques. On a emprunté le sentier des douaniers de Méjean vers la calanque de l’Erevine. Nous avons fait le retour par le vallon sauvage du Pérussier. En cheminant le long du littoral, j'ai pu admirer de magnifiques points de vue sur la rade de Marseille et les îles du Frioul.

— Tu as raison d’en profiter à quarante ans, tu peux encore crapahuter. Mais tu n’étais pas tout seul ?

— Non, nous étions une quinzaine.

— Et combien de jolies femmes ?

— Je te vois venir… J’étais là pour me rapprocher de la nature, pour me ressourcer, pour libérer mon esprit et faire un peu de sport, pour entretenir ma forme.

— C’est cela oui... Les femmes te courent après, malgré ton physique d’intello ...imagine si en plus tu étais beau ?

— Oui bon… J’ai noté quelques contacts.

— Et bien…. Voilà…convint Florentin dans un grand éclat de rire.

CHAPITRE 4

Installé à son bureau, le dos bien calé dans son fauteuil de cuir noir, Titoan avait attendu 15 heures avant d’appeler. Il ouvrit son cahier, bien déterminé à prendre note de l’ensemble des éléments qui lui sembleraient utiles. Estimant que l’heure était venue, il prit son téléphone et composa le numéro de Sabine Audet.

Quelques instants plus tard, une voix féminine au léger accent québécois lui répondit.

— Oui, bonjour, qui est au bout du fil ?

— Bonjour Madame Audet, c’est Titoan Coustou, le journaliste.

— Bonjour, Titoan. Florentin m’a prévenu par SMS de votre appel, mais appelez-moi Sabine, ce sera plus simple et plus convivial.

— D’accord.

— Je vous remercie d’avoir accepté de m’appeler ainsi que de reprendre l’enquête bâclée par les Services de Police.

— Attendez Sabine, je n’ai pas encore pris ma décision, tout dépendra des éléments que vous m’apporterez. D’autant plus qu’une enquête minutieuse a été menée par des personnes très expérimentées dans le domaine.

— Oui je comprends bien, concéda-t-elle dans un souffle. Mais il est impossible qu’Arcisse se soit suicidé. Il n’était pas suicidaire. La police estime avoir fait son boulot et ses conclusions ne heurtent personne. Leur raisonnement est le suivant, c’est le suicide d’un retraité, seul sans famille, il se justifie pleinement parmi les milliers de personnes qui se donnent la mort chaque année en France.

— Oui, mais …

— Ecoutez, le coupa-t-elle. Votre journal est connu pour son indépendance impertinente.

— C’est exact, mais …

— Florentin m’a orienté vers vous, car pour lui vous êtes l’homme de la situation, l’archétype du journaliste. Il m’a soutenu que c’était une profession taillée sur mesure pour vous car, vous êtes d’une curiosité permanente et d’une opiniâtreté sans faille.

— Ce vieux pirate fait trop d’éloges à mon sujet. Mais j’ai besoin d’éléments concrets, je vous écoute. Parlez-moi d’Arcisse. C’était votre ami, comment était-il ? Que pouvez-vous me dire sur lui ?

Il sembla à Titoan que son interlocutrice se reprenait, elle parlait à présent avec un débit plus mesuré. Lui, tentait d’instaurer un climat de confiance entre eux. Il savait que tout commençait par là.

— Arcisse vivait seul dans sa petite maison. Sa carrière de professeur d’Histoire s’est déroulée sans problème majeur à ma connaissance, partagée par la transmission de son savoir aux différents élèves des lycées dans lesquels il a enseigné et ses passions pour l’Archéologie et l’Histoire en général.

— Il a été marié si je ne me trompe pas…

— Tout à fait. Au début de sa carrière, il a rencontré une jeune femme dont il s’est entiché, manifestement, ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. Je dois vous avouer que c’était peu de temps après notre séparation, faut-il y voir un lien de cause à effet ? Sans doute. Mais je n’ai pas cessé d’avoir de l’amitié et de l’affection pour lui.

— Ils ont divorcé, n’est-ce pas ?

— Effectivement, le mariage n’a pas tenu deux ans. Sa femme était très exigeante, orgueilleuse. Il est vrai qu'elle n'avait connu que les privilèges de l'opulence dans sa jeunesse. Son père dirigeait une entreprise de travaux publics en région parisienne. Donc les beaux-parents d’Arcisse estimaient qu’elle avait commis une mésalliance en se mariant avec un petit fonctionnaire, fils d’ouvrier de surcroit. Vous savez bien que pour danser le slow, il faut être deux. Pour lui, le divorce a eu un pouvoir libérateur. Je reprends textuellement ce qu’il m’avait affirmé ce jour-là.

— Est-elle restée sur la région de Montpellier ?

— Non. Elle s’est remariée, peu de temps après leur séparation avec un architecte parisien, je crois... Aux dernières nouvelles, ils habitaient Versailles.

— Et lui ?

— Non, il ne s’est jamais remarié. C’était un sujet que nous n’abordions pas, du moins pas ensemble. Sujet trop sensible, voyez-vous. Car je suppose qu’il était toujours amoureux de moi, mais ma vie était ailleurs. De plus, son divorce était un souvenir désagréable et il y a des choses qui doivent rester secrètes parfois. D’autre part, il était en bonne santé, pas de maladie importante qui aurait pu justifier un acte aussi définitif.

— Je ne voudrai pas être indiscret, Sabine, et tout ce que me confierez restera entre nous, mais… Comment pouvez-vous en être certaine ?

— Il m’en aurait parlé, je suis médecin au Québec. Vous voyez à quel point nos trajectoires ont divergé.

La gravité qu’il percevait dans la voix de cette femme paraissait sincère. Absorbé par sa conversation téléphonique, occupé à noter dans son carnet les informations que lui communiquait son interlocutrice, Titoan n’avait pas remarqué la présence de Max le rédacteur en chef du Clapasien. Il leva la tête, surpris :

— Pas pour l'instant, articula-t-il doucement avec un geste de la main vers son responsable, sans interrompre Sabine. On se verra plus tard, je t’expliquerai.

— Vous êtes toujours là ? s’inquiéta la voix venue du Canada.

— Oui... Oui... Ne vous inquiétez pas, je vous écoute et je prends des notes. Que pouvez-vous me dire de plus sur ses activités, ses hobbies, ses habitudes ?

— Je ne sais de lui que ce qu’il voulait bien me dire, car Arcisse était très discret. Presque secret voyez-vous. Ce que je peux vous indiquer, c’est qu’il tenait sur Internet un blog sur l’archéologie et l’histoire en général et qu’il était membre d’une association de détections ou de prospecteurs. Mais tout réfléchi, je m’en rends compte à présent, il ne parlait jamais de l'univers personnel dans lequel il vivait. Il était fondamentalement un solitaire, un homme discret. Je pense qu’il n’aurait jamais dû prendre sa retraite si tôt. Je le lui ai dit.

— Que vous a-t-il répondu ?

— Qu’il ne s’ennuyait jamais, qu’il avait des livres à lire, des promenades à faire, des fouilles archéologiques à effectuer, tout ce genre de choses.

— Bien. Vous savez ce que nous pouvons faire ?

— Je vous écoute.

— Vous allez me faire un mail et m’écrire tout ce que vous savez sur votre ami toutes les informations, ne vous censurez pas tout peut avoir de l’importance, même les détails qui peuvent vous paraître insignifiants. Pensez aussi à m’indiquer le nom du blog qu’il tenait.

— Oui, je le ferai sans faute.

— Pourriez-vous le faire dans la journée ? Quitte à m’envoyer de nouveaux messages si un détail vous revenait plus tard.

— Oui bien sûr. Je peux vous préciser une chose…

— Allez-y, je vous écoute.

— Arcisse tenait un blog, mais ne faisait pas partie de la catégorie des blogueurs autocentrés et égocentriques qui pullulent sur Internet. Il avait des principes, il était très ordonné, presque maniaque. Maniaque de la ponctualité, du rangement. Il était si organisé, si méthodique ; si soucieux du moindre détail, si méticuleux que l’on ne peut imaginer qu’il se soit suicidé sans laisser une lettre, un mot, quelque chose qui motive son geste.

— Ce sont des traits de caractère assez particulier. Je n’en doute pas. Je vous donne mon adresse mail et mon numéro de mobile.

Après que Sabine eut noté ces informations, Coustou enchaîna :

— Une dernière question Sabine, s’il vous plaît.

— Oui je vous écoute.

— Vous avez déclaré à Florentin que votre ami était inquiet, pourquoi ? Est-ce qu’il vous avait précisé pourquoi ?

— Non pas du tout, en tout cas par oralement, il m’a seulement fait parvenir un message sur mon portable. Cela m’a étonné, car il n’utilisait pas le portable pour me joindre. Jamais. Tout se passait par mail. Ce message disait :« Mortis exsilii. Acta est fabula ».

— Désolé, mais je n’ai pas compris, je n’ai pas fait latin en seconde langue.

— Vous n’aurez qu’à demander à Flo, s’il n’a pas trop perdu il pourra vous renseigner. En plus d’avoir été marin il a appris le latin.

— Bien c’est d’accord. Et ce message quand l’avez-vous ? À quel moment ?

— Le jour de sa disparition, le matin, indiqua-t-elle.

— Et son message précédent, c’était quand ?

— Une semaine avant.

— Quelque chose en particulier ?

— Non, rien… des banalités.

— Pourriez-vous me le transmettre tout de même ?

— Oui, bien sûr.

Coustou fit un compte rendu très succinct à Max, le rédacteur en chef.

Ce dernier souhaita qu’ils se retrouvent tous dans la salle de conférences, où collégialement, ils avaient l’habitude de se réunir pour traiter les affaires importantes. La reproduction du tableau de Jack Vettriano " Elegy for a Dead Admiral" était toujours là, placée sur le mur à droite de la porte. Coustou savait que cette reproduction avait été offerte au journal dirigé par Max, par la veuve d'un amiral écossais lors de sa visite des locaux. Celui-ci demanda à tous d'éteindre leur portable et invita Titoan à effectuer un résumé le plus exhaustif possible sur l'affaire Poissenot. Outre Max, Coustou et Florentin, le groupe se composait ce jour-là, de Martin Orbet le jeune surdoué Guadeloupéen non-voyant et de Pierrette Casterats adjointe du Rédacteur en Chef du Clapasien, rouage essentiel sans qui le petit journal ne fonctionnerait pas. Seule Matsumi Ninomae, la dernière recrue du boss, n’était pas là.

Titouan leur communiqua les informations qu’il avait en sa possession, tenant compte des derniers éléments apportés par Sabine.

Puis se tournant vers Florentin :

— La parole est à notre latiniste distingué, j’ai nommé monsieur Ventadour, ancien élève des écoles publiques, mais qui sait son latin.

— Monsieur Coustou, comme monsieur Marcel Pagnol, je pense que la connaissance du latin permet ou permettait d’avoir une vision du monde plus large et plus humaine, ce n’est pas pour rien que l’on appelait cela les humanités.

— Bien, bien, se défendit Titoan en riant. Nous t’écoutons vieux pirate, que veut dire exactement :« Mortis exsilii, Acta est fabula » ?

— « Mortis exsilii » : ce sont des menaces de mort.

— OK, je l’écris au tableau, le reste « Acta est fabula » je l’ai déjà entendu, mais cela veut dire quoi exactement ?

— Applaudissez, la pièce est jouée. Ce sont les derniers mots prononcés par l’Empereur Auguste avant de succomber à une figue empoisonnée.

— Puis-je apporter des éléments complémentaires ? souffla Martin.

— Bien sûr, accepta Max, qui avait appréciait le savoir encyclopédique de leur jeune collaborateur.

— L’auteur de cette phrase célèbre est né Octave, il fut adopté par Jules César dans son testament, puis il devient Auguste lors de son accession au pouvoir. Cet homme énigmatique décrit à posteriori comme un « caméléon changeant de couleur, tour à tour pâle, rouge, noir et puis après charmant comme Vénus. Sous son règne, l’état d’urgence permanent fut instauré. Auguste, prétendit rendre la liberté à la république pour mieux vider ses institutions de leur substance. Il instaura une dictature déguisée au cours de laquelle la plupart des citoyens furent dupés.

— Cela rappelle certains hommes politiques ! s’exclama Pierrette.

— Déduction de haut vol, reconnaissons-le, taquina Florentin qui poursuivit. C’était donc, un homme au double visage… Peut-être …murmura-t-il.

Il s'interrompit pour essuyer ses lunettes avec un chiffon bleu marine qu'il avait sorti de sa poche.

— En tout cas avec une nature bien particulière. Mais le choix de cette locution latine ne veut pas dire qu’obligatoirement Arcisse Poissenot avait une double personnalité, compléta Titoan. Toutefois, en ce qui concerne les conclusions de l’enquête de police il est quand même permis d’avoir un doute. On doit pouvoir effectuer quelques vérifications, histoire d’en avoir le cœur net. Suicide ou pas suicide ?

Max, le rédacteur en chef, qui jusqu’à présent s’était contenté d’écouter, donna son feu vert.

— Si l’on part sur l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un suicide, manifestement ce n’est pas un accident. Reste à trouver un mobile. Mais je pense qu’il y a tout de même des éléments qui peuvent nous permettre d’effectuer quelques vérifications afin d’y voir plus clair dans cette affaire. Titoan tu as une semaine pour nous donner plus de détails afin que nous nous fassions une opinion. Bien que la police ait enquêté, j’ai le sentiment que tout n’a pas été pris en compte. Je vous demande à tous d’être prudents et discrets, compris ?

L’équipe approuva les décisions et préconisations de leur responsable.

— Peut-être que cet homme n'avait pas besoin d'autre raison pour mourir que l'absence de raison de continuer à vivre, murmura Pierrette.

— Parfois, un avis tout fait nous empêche de voir l'évidence. C'est une chose effroyable. Ici, c’est sans doute le cas.

— C’est-à-dire ? le questionna Max.

— Si un homme et une femme sont trouvés morts enlacés dans une chambre d’hôtel, l’homme avec une arme dans la main. Tout est clair. L'évidence est qu'il s'agit d'un suicide d'amour et cela met fin à toute investigation ultérieure. Là, c’est un corps retrouvé dans la forêt plusieurs mois après sa disparition avec une corde autour du cou. Tout le monde est leurré. Un assassin intelligent sait cela et en tirera avantage, précisa Florentin qui, enfin, avait nettoyé correctement ses lunettes.

— Un suicide d’amour… Salut l’expression, je ne te connaissais pas aussi sentimental vieux pirate.

— Oui et alors ? J’ai certaines faiblesses, mais je ne m’en vante pas. Je suis comme Van Gogh à la fin de sa vie, je tourne le dos à la réalité brute du naturalisme et je reviens aux sensations sentimentales et réconfortantes de ma jeunesse.

Titoan porta son regard vers son vieil ami dont le front hâlé se tissait de rides.

— Alors ? … fais attention à ne pas te couper une oreille en te rasant.

— Petite précision mon ami. Van Gogh, qui à cette époque, habitait Arles et souffrait d'hallucinations visuelles et auditives, se trancha l'oreille avec son rasoir. Acte volontaire, en fin de soirée du 23 décembre 1888. Il pissait le sang, il traversa la ville pour aller chez une jeune femme de 19 ans, à qui il remit le lobe de son oreille enveloppé dans du papier-journal. Elle perdit connaissance en ouvrant le paquet. Joyeux Noël ! Personne ne sait ce qu'il advint du lobe restant. J’imagine que de nos jours, il rapporterait une fortune à son propriétaire. Mais ce ne serait pas le cas du mien. Donc la prudence est mère de sûreté.

— Je lui ai toujours préféré Renoir.

— Vous m’en direz tant, dit l’ancien officier de marine.

— Il savait trouver la beauté partout. Dans le « Déjeuner des canotiers », par exemple, il maîtrise parfaitement la lumière ensoleillée qui traduit la chaleur de ces déjeuners amicaux, qui pourrait nous faire croire à une certaine idée du bonheur devenue aujourd'hui l'image d'un âge d'or.

CHAPITRE 5

Titoan Coustou suivit le plan que Martin lui avait imprimé. Il trouva facilement la maison de la victime devant laquelle était toujours garée la C3 d’Arcisse Poissenot, couverte de poussière à présent. Elle n’avait pas bougé depuis plusieurs mois. La rue était tranquille.

La petite maison se trouvait non loin du Zoo de Lunaret, un endroit que Titoan connaissait bien, car il l’avait visité à de nombreuses reprises dans son enfance.

Arcisse Poissenot était passionné d’histoire et d’archéologie, il n’était donc pas étonnant qu’il se soit installé non loin du zoo. Peu de Montpelliérains le savaient, mais au douzième siècle le domaine se nommait du nom de son propriétaire initial, le seigneur de la Valette. À l’époque, on y trouvait également deux moulins, des bâtiments de ferme et des habitations qui étaient encerclées de vigne, de vergers et d’oliveraies. Ensuite, les propriétaires avaient exploité le domaine de différentes manières : on y chassait notamment la palombe, on coupait du bois, on cueillait des herbes aromatiques et on prélevait divers produits pour les activités des moulins, notamment des cochenilles dont on tirait une teinture rouge célèbre au quinzième siècle, de l’écorce de chêne vert pour tanner le cuir… Puis, toutes ces activités avaient cessé et le pin d’Alep avait tout recouvert. Et sans aucun doute l’historien devait connaître le lieu où était située la petite grotte au Sud du bois où vers 1850 avaient été découverts des ossements d'ours des cavernes, de rhinocéros, d’hyène, de cerf, de loup et de lièvre.

Relevant le col de son blouson, il jeta un coup d’œil rapide aux abords du domicile de la victime et pu constater que l’absence de murs de clôture entre les terrains voisins la rendait accessible de tous côtés.

Une deux-chevaux vert pomme s’engagea à tombeau ouvert dans la rue et s’arrêta brusquement à quelques mètres de lui, ce qui déclencha l’hilarité du journaliste. C’était Natacha, elle n’avait toujours pas changé et conservé son teint pâle, malgré le fait qu’elle habitait dans une des régions les plus ensoleillées de France.