Mourir sous les pins - Virgine BOUGANT - E-Book

Mourir sous les pins E-Book

Virgine BOUGANT

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Beschreibung

Pas de vacances pour Walczak, l’Officier de police judiciaire bordelais au nom imprononçable. Alors qu’il passe quelques jours dans les Landes auprès de son fils, une sombre histoire de meurtre le rattrape : le corps sans vie de Maria, une des patientes de son ex-femme, est retrouvé sous les pins. La gendarmerie enquête quand Lorian, son ami journaliste, débarque à l’improviste et commence à s’intéresser à cette affaire. Un peu trop au goût des locaux, dont le comité d’accueil n’est pas des plus amicaux.
Une ex harcelée par un pervers, une série de meurtres irrésolus dans un village des Landes, et des types cagoulés qui se baladent armés en pleine forêt, le décor est planté pour une nouvelle aventure d’Éric Walczak. Un peu moins citadine, mais tout aussi trépidante !


À PROPOS DE L'AUTEURE

Rédiger, trouver la bonne formule, faire savoir, donner du sens, mettre en relation, organiser, synthétiser, travailler en équipe...Plus de 15 ans d’expérience en communication.
Après une formation journalistique, grâce à laquelle Virginie Bougant a pu développer des qualités rédactionnelles et une capacité de synthèse, elle a travaillé de 2004 à 2022 comme chargée de communication et des relations presse pour la ville de Mérignac (Gironde, 70 000 habitants). Elle occupe aujourd’hui la fonction d’attachée de presse à Bordeaux Métropole. Elle est également passionnée d’art, de sport (cyclisme longue distance) et auteure de romans. Son premier roman Rouge Bordeaux a rencontré un succès d’estime.

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Virginie Bougant

 

Mourir sous les pins

 

 

Roman

MARIA VERNON

Janvier 2014, Lit-et-Mixe

Je regarde la toile pour la cinquantième fois sans saisir ce qui cloche vraiment dans cette composition.

Quelque chose est instable.

Je replonge mon pinceau dans l’amas jaune sur la droite, me recule, évalue, soupire.

On ne fait pas des miracles tous les jours.

Je vais prendre l’air au cap de l’Homy pour recharger mes batteries. L’océan est un paysage inépuisable, renouvelable à l’envi ; d’un jour à l’autre rien n’est pareil. C’est une des raisons qui m’a incitée à m’installer ici, dans les Landes.

Je n’ai jamais été aussi créative que depuis que j’habite à Lit-et-Mixe. La forêt et l’Atlantique m’offrent une palette de couleurs inégalable. D’ailleurs, il faut que je sélectionne les toiles que je dois proposer à mon galeriste de Biarritz pour ma prochaine exposition.

Voilà trois ans, quand j’ai vendu mon appartement à Paris, certaines connaissances ont assimilé mon départ à un caprice : la bourgeoise qui réalise son rêve d’artiste à la campagne. J’en ai connu d’anciennes collègues s’adonnant à la céramique le dimanche dans leur maison du Perche. Tant mieux pour elles. Ce que les mauvaises langues n’ont pas compris, c’est que cet envol soit définitif. Je voulais une vie toute neuve, et je me la suis autorisée.

Arrivée ici tout s’est enchaîné : j’ai acheté ma maison, j’ai peint, j’ai trouvé un galeriste, mes toiles ont plu et se sont vendues. En parallèle, à mon grand étonnement, moi qui n’avais jamais été très sociable à Paris, j’ai rencontré des personnes avec qui j’ai rapidement tissé des liens d’amitié.

Lionel, un type qui semblait plus intéressé pour me mettre dans son lit que pour disserter sur Gauguin s’est avéré cultivé et plein d’humour. Il ne cache pas qu’il a fait de la prison et qu’il a donc eu tout le temps de lire des bouquins. Aujourd’hui, il tient un bar non loin de la plage. C’est là que j’ai rencontré Jade, une fille qui a bourlingué et avec laquelle j’aime discuter. Nous faisons de longues marches sur la plage en refaisant le monde.

J’enfile mon manteau et déglutis lentement. Encore ce point douloureux dans la gorge. Si ça continue, il faudra que j’aille consulter.

Pour le soleil, on repassera, mais au moins, il ne pleut pas. Je chausse mes baskets et m’engouffre dans l’air froid de janvier.

Je peux le dire : je suis heureuse.

CHAPITRE I

Une jeune femme à l’air maussade lui rend la monnaie. Eric Walczak sort de la station-service et rejoint sa voiture. Il s’assoit sur le capot et ouvre la barquette en plastique qui enveloppe son sandwich « suédois ». Il plante ses dents dans le pain blanc et mou en se demandant pourquoi cette chose insipide s’est vue attribuée la nationalité suédoise. La gastronomie scandinave n’est peut-être pas la plus renommée mais là, ça tient quand même de l’humiliation. Il pense à tous ces touristes nordiques venant chercher le soleil durant les mois d’été qui, à l’occasion d’une pause sur les aires d’autoroutes françaises en direction du littoral atlantique, doivent penser qu’on se fout de leur gueule avec nos sandwiches suédois.

Walczak jette les vestiges de son en-cas dans une poubelle et remonte dans sa Ford Focus de location. Il a quinze jours devant lui. C’est sans doute beaucoup trop long. Il verra, il improvisera en fonction de l’accueil de Delphine.

Il ne l’a pas vue depuis si longtemps. Plus de deux ans. Son appel, un soir à vingt-deux heures, l’a étonné. Il a d’abord eu peur et pensé à un problème avec Alexandre. Et puis, la voix calme et posée de Delphine l’a rassuré. Il n’y avait pas de problème, elle était même plutôt amicale, posait des questions, voulait savoir comment il allait. Elle prenait son temps en empruntant des chemins détournés, ce qui était assez déroutant. Car Delphine est plutôt du genre bulldozer : ça passe ou ça casse. Enfin, avec lui, elle a toujours été comme ça, mais avec ses patients, elle sait se montrer à l’écoute, compatissante, tout en faisant preuve de l’autorité attendue d’un médecin.

Walczak, elle sait lui régler son compte en trois phrases. Circulez, y’a rien à voir ! Alors forcément, ce coup de fil nocturne plein de sollicitude avait de quoi surprendre. Elle était finalement arrivée au but : Alexandre voulait mieux connaître son père.

Il avait raccroché la tête vide, encore sous le choc de la surprise. Son rôle de père avait jusque-là été réduit à sa simple expression. D’ailleurs, d’un point de vue sémantique, le terme « géniteur » serait plus approprié.

Delphine s’était installée dans les Landes alors qu’Alexandre n’était qu’un nourrisson. Le peu d’enthousiasme de Walczak avait usé ses nerfs d’acier. Elle avait décidé d’élever seule ce bébé. Finalement c’était plus simple que de se cogner le regard morne de l’homme qu’elle avait aimé. De toute façon, il n’était jamais là. Son boulot de commandant de police occupait tout son temps. Lui ne l’avouerait jamais, même sous la torture, mais il avait ressenti un soulagement quand Delphine avait mis les voiles. Il disait rarement qu’il avait un fils, car cette paternité restait très abstraite.

Alexandre veut le connaître. Walczak retourne cette évidence dans sa tête depuis cent kilomètres. Il lui envoie un cadeau à chaque Noël et anniversaire, ainsi qu’un chèque à Delphine tous les mois – même si elle ne lui demande rien. Mais cela ne lui en dit pas plus sur son fils, sur qui il est, ce qu’il pense, fait.

Alexandre a dix ans. Walczak n’a pas la moindre idée de ce qui intéresse un gamin de cet âge. Delphine lui envoie de temps en temps quelques photos. Le gosse a les cheveux châtains comme lui, il a aussi ses yeux gris. Il sourit souvent. Walczak croit se souvenir que Delphine a parlé de judo et de bandes dessinées. À part ça, nada. Il a annoncé sa venue pour quelques jours. Il n’est pas présomptueux, il sait que le temps ne se rattrape pas et a décidé de faire de son mieux.

Le soleil essaye péniblement de trouer les nuages. Walczak roule légèrement au-dessus des limites de vitesse. Il surveille le compteur, aimerait écraser la pédale. Il a réservé un hôtel près de l’océan.

Lorsque Delphine a déguerpi un matin de novembre, il n’y avait pas de vraie raison à son choix géographique si ce n’est le remplacement d’un médecin. Elle s’est finalement attachée à la région et à ses patients. Le docteur en question a fini par partir à la retraite et Delphine a pris la suite.

Walczak se dit qu’elle aurait pu choisir un coin plus vivant, surtout l’hiver. Pourtant, il n’est pas étonné : elle n’est pas du genre à aimer la vie facile et les petits parasols dans les cocktails. Il est même surpris qu’elle ait renoncé à l’hôpital, aux gardes qui n’en finissent pas et à la fatigue qui vous perfore le corps. Quand ils étaient ensemble, ils se croisaient. Tous les deux travaillaient sans cesse, par passion ou pour occuper le vide, ils n’auraient pas su dire, un subtil dosage qui les aidait à affronter la vie. Ils tombaient l’un sur l’autre au petit jour, des cernes sous les yeux. Delphine passait ses doigts sur sa joue rugueuse, ils bavardaient, riaient aussi. Elle était hyperactive, parfois cassante, autoritaire, mais il se souvenait qu’ils se marraient beaucoup tous les deux. Et puis elle était tombée enceinte.

Cet épisode est flou dans sa tête. Ils n’avaient jamais parlé de devenir parents. Delphine prenait trop épisodiquement sa pilule et puis c’était arrivé. Il ne saura jamais si elle avait décidé la venue de cet enfant. Lui n’en voulait pas.

Une pluie fine commence à étoiler le pare-brise. Walczak se demande ce qu’il va dire à Alexandre. Et le gamin, que veut-il savoir sur lui ? Par où commencer ? Comment expliquer qu’il n’ait pris le temps de le voir que trois fois depuis sa naissance et toujours en coup de vent. Peut-être parce qu’il ne sait pas faire autrement ? Pour lui, c’est le modèle courant du père : un homme absent, lointain. Lui au moins n’est pas violent. Parce que des raclées, Walczak s’en est pris un paquet quand il était gosse. Son père, il le voyait tous les jours, mais cela n’a jamais comblé l’indifférence entre eux. Abel était coléreux, rongé par l’insatisfaction d’une vie merdique. Et son aigreur retombait sur la gueule de son fils, de sa fille et de sa femme. Il y en avait pour tout le monde.

Walczak serre le volant en repensant à ces soirées irrespirables. Il avait commencé à rompre le cercle en devenant interne dès le collège. Handball, course à pied, natation… Il faisait beaucoup de sport et s’inscrivait à toutes les compétitions, rencontres, tournois, démonstrations, tout plutôt que de rentrer chez lui le week-end.

Enfin, quand il dit qu’il n’est pas violent, ça dépend avec qui ! C’est sûr, il ne lèvera jamais la main sur une femme ou un gamin. Mais les salopards, il n’a aucun scrupule à leur casser la gueule. Et dans son boulot, des salopards, il en croise souvent. Il est flic depuis plus de quinze ans, il se sent souvent épuisé mais n’a jamais songé à changer de métier.

Walczak roule depuis une heure sur l’A63. Il a déjà faim, le sandwich suédois ne tient pas ses promesses nutritionnelles. Et puis il a envie d’un café. Il enclenche le clignotant et se rabat pour entrer dans une station Shell. Il se gare, sort de sa voiture et regarde alentour. C’est calme mais pas désert. Des gens seuls, un jeune couple, des retraités, des routiers, un kaléidoscope de vies. Walczak entre dans la boutique et se dirige vers les machines à café. Il suit attentivement les consignes affichées sur le distributeur et pense à tous ceux qui ne savent pas lire. Pour ceux-là, les problèmes commencent ici.

Il se décide pour un café long sans sucre, ce qui est probablement une erreur. Un faisceau bleu illumine la machine, un gobelet tombe et un jet noir commence à couler, une touillette fait le plongeon final, Walczak retire sa boisson. Il boit en regardant le parking et le ballet des voitures, il surveille aussi discrètement la sienne : il ne tient pas à se faire braquer sa planche de surf. Son attention est attirée par une ombre qui se glisse près d’une des portières arrière. Walczak finit son café et ressort.

Un chien est assis devant la voiture. De taille moyenne, noir avec de longs poils et quelques traînées de roux dans son pelage, l’animal le regarde de ses yeux jaunes, la langue pendante. Walczak tend la main et commence à lui caresser la tête en cherchant des yeux son propriétaire. Le jeune couple sort de la station, il leur fait un signe :

— Il est à vous ? demande-t-il.

La fille plisse les yeux comme si cela allait l’aider à mieux entendre. Elle s’approche. Walczak lui désigne le chien en répétant sa question.

— Non, répond-elle en se retournant, visiblement déçue.

Walczak regarde autour de lui, personne ne semble chercher le clébard. Il pénètre dans la station et s’adresse au caissier.

— Excusez-moi, il y a un chien sur le parking, vous savez à qui il est ?

— Oh ! Il est revenu ? dit l’homme. Walczak hausse les épaules. Jérôme ! crie le caissier à son collègue au fond du magasin, le chien est revenu !

Jérôme pose un carton de chips par terre.

— Je vais lui faire passer l’envie de traîner ici, à ce clebs !

— Non, mais c’est pas grave… marmonne Walczak.

— Ah si ! Il commence à nous faire chier à vouloir monter dans toutes les bagnoles ! On n’a pas que ça à faire, nous…

— Il est là depuis longtemps ?

— Il traîne depuis quoi… Dix jours, je dirais. Bon, il est où que je lui foute un bon coup de pied au cul ?

— Non, laissez tomber.

— Ben faudrait savoir !

— Quoi donc ?

— Vous nous dîtes que le chien vous emmerde et après, faut rien faire !

— Je ne vous ai pas dit que le chien m’emmerdait.

— Bon, on a du monde, dit le caissier en montrant du menton une femme derrière Walczak.

Obéissant, il se pousse, et fourre les mains dans ses poches. De retour sur le parking, le chien est toujours assis devant sa portière, la gueule ouverte comme s’il se marrait. Walczak regarde à droite, à gauche, et ouvre la portière, le chien se faufile à l’intérieur de la voiture en un éclair et prend place sur le siège passager, impassible.

Walczak monte à son tour, boucle sa ceinture, tourne la clé de contact, enclenche la première… et fait un doigt d’honneur au caissier qui le scrute, ahuri, à travers la vitrine.

Il s’est arrêté une fois pour faire pisser le chien qui ne s’est jamais éloigné de lui. Ils ne se quittent pas du regard, se jaugent. Quand Walczak ouvre la paume de sa main, le chien vient y loger son museau. Après cette courte pause, ils remontent en voiture, le chien en copilote.

 

Le jour commence à décliner quand il quitte l’autoroute. Au bout d’une quarantaine de minutes, il arrive à l’Hôtel de la Plage. Malgré un nom prometteur, la plage est à quelques kilomètres, un vent glacé cogne régulièrement la façade en faisant trembler les stores mal fermés. Walczak a voulu donner leur chance aux propriétaires audacieux qui avaient baptisé ainsi leur établissement. Il se gare sur le parking qui longe la réception, coupe le contact et retient le chien à l’intérieur de la voiture en repoussant doucement la portière.

L’air est humide. Les embruns s’engouffrent dans les terres. Walczak entre dans le bâtiment au crépi blanc sale. Une réceptionniste est debout derrière le comptoir d’accueil. À l’exception d’une télé allumée dans un coin, tout est silencieux, il n’y a personne. La jeune femme le regarde avancer jusqu’à elle. La lumière du plafonnier se reflète dans ses cheveux auburn, elle lui sourit lorsqu’il est devant le comptoir.

— Bonsoir, vous avez réservé ?

— Oui, au nom de Walczak.

La fille tape sur son clavier d’ordinateur, lui indique les horaires du petit-déjeuner. Walczak peut apercevoir par l’échancrure de son chemisier un tatouage remonter vers son épaule. Elle lui donne ses clés et coule un regard vers la voiture, le chien les observe assis sur son siège.

La chambre est propre, c’est déjà ça. Côté déco, tout est à refaire. Le papier peint beige a dû être choisi en 1983, le couvre-lit matelassé marron a été acheté l’année suivante. Walczak pose sa trousse de toilette sur une petite étagère en verre et se regarde dans le miroir. Il a l’air fatigué. Normal après des nuits blanches à observer le plafond, normal quand on passe ses soirées au boulot parce que personne ne vous attend à la maison. Il inspire un grand coup : le plus dur est à venir.

Quand il se gare devant chez Delphine, il reste deux minutes, les mains posées sur le volant et s’oblige à respirer profondément.

Elle habite à Lit-et-Mixe, station balnéaire du Marensin, dans une maison contemporaine en toit-terrasse percée de grandes baies vitrées.

Walczak sonne. La porte s’ouvre au bout de quelques secondes. Delphine arbore un franc sourire. Grande, brune, les cheveux longs ramenés en arrière, elle lui fait la bise en enlaçant ses épaules. Walczak est décontenancé par cet accueil chaleureux. Une fraction de seconde, un effluve de parfum pénètre ses narines, il le reconnaît. Malgré les années, elle n’en a pas changé. Il entre.

— Alexandre ! Ton papa est là !

Walczak suit la longue silhouette de Delphine dans le salon, à moitié sonné à l’idée d’être « papa » pour quelqu’un. Un garçon châtain arrive en courant, il se plante devant lui, un large sourire illumine son visage.

— Bonjour !

Walczak se penche pour l’embrasser.

— Bonjour, mon grand.

Alexandre le regarde intensément sans parler. Walczak sent une boule se former dans sa gorge et se demande s’il parviendra à nouveau un jour à prononcer un mot.

— Tu veux jouer à Puissance 4 ? demande le gamin.

Imbattable, Alexandre a enchaîné les victoires. Walczak a beau se concentrer sur ses jetons rouges, il se laisse surprendre à chaque fois. Agenouillé par terre et accoudé à la table basse, le garçon inspecte la grille en plastique bleu du jeu. Walczak est assis sur le canapé et ne peut s’empêcher de fixer ce petit être si vif dans ses remarques et ses questions. Les paroles d’Alexandre emplissent le salon. Delphine les observe depuis son fauteuil.

De temps à autre, Walczak jette un regard vers elle. Elle n’a pas changé. Elle porte un jean délavé et une chemise blanche. À chaque fois que leurs yeux se croisent, elle lui sourit. Il sent qu’elle est heureuse qu’il soit enfin venu, mais aussi qu’il n’a pas droit à l’erreur. Avec Delphine, tout peut basculer très vite. Elle ne se privera pas de lui siffler la fin de partie s’il commet le moindre faux pas. Alexandre se lève et annonce qu’il va chercher un livre sur les mammifères marins, puis regagne sa chambre en courant.

Walczak aimerait dire à Delphine combien leur fils est fantastique, mais rien ne sort.

— Tu as fait bonne route ? demande-t-elle.

— Oui, j’ai bien roulé.

C’est à cet instant que Walczak se souvient de son compagnon resté dans la voiture.

— Je peux faire sortir le chien dans ton jardin ?

— Un chien ?

— Je l’ai récupéré sur une aire d’autoroute.

— Je ne savais pas que tu aimais les animaux.

— Moi non plus, déclare-t-il en se levant.

Walczak ouvre la porte d’entrée et se dirige vers la Ford Focus. En l’apercevant, le corniaud colle son museau à la vitre. Quand il lui ouvre, il fait plusieurs tours autour de ses jambes et s’élance dans le jardin. Alexandre le rejoint.

— Comment il s’appelle ?

— Il n’a pas de nom. Tu voudras m’aider à lui en trouver un ?

Finalement, ça s’est plutôt bien passé. C’est ce que se dit Walczak sous les néons d’une pizzeria. Il a décliné l’invitation de Delphine à rester dîner parce que c’était trop. Il ne peut pas encaisser le flot d’émotions qu’il ressent quand son fils lui parle des orques. Il faut qu’il s’habitue. Il se demande comment font les autres, ceux qui rentrent tous les soirs chez eux et regardent leurs gosses jouer aux Lego ou réciter leur poésie. Il ne parvient pas à mettre de mots sur ce trouble qui s’empare de lui, ce serrement de cœur qui l’étreint par surprise. C’est peut-être ça qu’on appelle « l’amour » ? Il pense aussi aux parents qu’il a vu s’effondrer dans le cadre de son boulot. Une affaire impliquant la mort d’un gamin. C’est ce que redoutent tous les flics.

Walczak a presque fini sa margherita quand il reconnaît la fille qui entre dans le restaurant. C’est la réceptionniste qui l’a accueilli un peu plus tôt. Elle s’est changée et porte une robe moulante noire, ses cheveux aux reflets roux sont relevés en chignon. Une branche de lierre tatouée s’enroule autour de sa jambe droite. Il est trop loin pour bien distinguer les motifs, mais des dessins à l’encre noire ornent aussi sa nuque. Un type à la carrure impressionnante l’accompagne, il est plus âgé qu’elle et porte plusieurs grosses bagues à chaque main. La lumière rougeâtre suspendue au-dessus du comptoir se reflète sur son crâne rasé, il défait sa veste en cuir et saisit la carte posée devant lui. Ils vont commander des pizzas à emporter. La fille se retourne et balaie la pièce du regard. Quand elle voit Walczak, elle lui sourit et lui fait un vague signe de la main. Il s’essuie la bouche avec sa serviette en papier rouge et lui renvoie maladroitement son salut.

*

Le lendemain matin, Walczak est réveillé tôt par la lumière laiteuse qui filtre à travers les rideaux marron. Il a eu beau lui montrer l’endroit précis sur la moquette où il devait s’allonger, le chien est étendu à ses pieds sur le lit. Il ronfle légèrement.

Quand ils sont rentrés la veille, Walczak lui a donné quatre tranches de jambon qu’il a dévorées en deux minutes avant d’en passer quinze à se lécher les babines. Walczak avait allumé la télé, mais il s’était endormi assez vite tout habillé sur son lit. Il s’était réveillé une heure plus tard, le chien était allongé à ses côtés. Walczak s’était levé, déshabillé puis avait indiqué la moquette au chien qui était descendu, à contrecœur. Puis il s’était recouché et le sommeil l’avait aspiré au bout de quelques minutes.

Il est sept heures. On est dimanche. Delphine lui a dit de venir déjeuner. Sur les coups de sept heures et demie, il sort de sa chambre, longe la coursive et traverse un bout de parking pour se rendre à la salle à manger. En trente secondes, un froid glacial le transperce de part en part. Quand il pousse la porte du hall de l’hôtel, la fille tatouée a repris sa place à la réception.

— Bonjour ! lui lance-t-elle.

— Bonjour.

— Vous êtes le premier au petit-déjeuner. En même temps, on est dimanche et vous êtes quatre dans l’hôtel.

Ses cheveux auburn sont détachés et ses lèvres sont peintes d’un carmin profond. Elle a de beaux yeux qui tirent sur le vert. Walczak remarque trois petits points d’encre noire près de son œil gauche. Ce matin, elle porte un badge qui indique qu’elle se prénomme Jade.

— Installez-vous, lui dit-elle en lui indiquant la grande pièce à sa droite. Thé ou café ?

— Café, s’il vous plaît.

Walczak pénètre dans une grande salle bordée de baies vitrées nimbées de buée. Une trentaine de tables recouvertes de nappes blanches sont disposées dans la pièce. Un renard empaillé le surveille de l’autre bout de la pièce. La vue donne sur une forêt de pins. L’animal pétrifié dans la mort n’atteindra jamais les bois. Il est impossible d’apercevoir la mer depuis l’hôtel.

— L’océan est loin ? demande-t-il à Jade quand elle pose une tasse devant lui.

— Non, le Cap de l’Homy est à vingt minutes à pied.

Elle se plante debout à côté de lui et jette un regard par la baie vitrée comme pour s’assurer que la mer n’est pas montée pendant la nuit. Puis elle reprend :

— Je vous ai aperçu à la pizzeria. En cette saison on ne propose pas de restauration à l’hôtel.

Walczak se demande pourquoi l’établissement reste ouvert, mais garde sa question pour lui.

— Et vous êtes ici pour le boulot ?

— Non, je suis en vacances.

— J’espère que vous n’aimez pas le soleil. La météo s’annonce pluvieuse.

— J’ai de la famille ici.

— Ah oui ?

— Je viens voir mon fils.

Ces mots l’émeuvent tant qu’il plonge les yeux dans son café en se disant qu’il devient une vraie lopette avec les années.

Il enfile ses baskets et part en petite foulée le long de la route, direction la plage. Le chien le précède de quelques pas. Au bout de plusieurs virages, une longue étendue de sable clair ourlée d’une mer aux reflets gris apparaît. Le vent est encore plus vif sur la grève. Walczak continue de courir. Il est parti trop vite, ses chaussures s’enfoncent dans le sol, mais il a besoin de cet effort violent. Le clebs galope à toute berzingue, oreilles au vent, s’avance vers les vagues puis recule et fonce vers le commandant de police qui commence à apprécier sa compagnie.

Les jambes lourdes et les poumons en feu, Walczak expire fort. Il relève la tête. Au loin, il aperçoit une silhouette. Un homme marche vers le rivage le nez au sol. Le gars inspecte chaque déchet ramené sur le sable par les vagues et passe de l’un à l’autre d’un pas rapide. Walczak n’a pas la moindre idée de l’objet de sa quête, l’homme s’ingénie à fourrager le sol sans prendre la peine de ramasser le plastique ou les coquillages à sa portée.

Le soleil essaie de se frayer un passage entre les nuages ternes. Un rai de lumière parvient à transpercer la plage lui donnant une luminosité de quartz. L’homme est maintenant de face, Walczak le reconnaît : c’est le type à la carrure de géant qui accompagnait Jade à la pizzeria.

Le colosse ne fait pas attention à lui. Lorsque Walczak passe à quelques mètres, devant lui en courant, le ballet se poursuit. L’homme examine chaque amas de branches ou de filets de pêche, enfonce le bout de son pied dans le sable pour mieux le sonder, puis poursuit sa chasse.

Au bout d’une heure, Walczak revient vers l’hôtel. Il fait un signe à Jade, derrière son comptoir d’accueil et remonte à sa chambre. Avant de se doucher, il consulte son téléphone. Philippe Lorian a essayé de le joindre. Deux fois. Lorian et Walczak se sont rapprochés au fil des années et des événements. Le journaliste et le flic. Aujourd’hui, ils se voient de temps en temps autour d’un café.

Walczak compose son numéro. Lorian décroche à la deuxième sonnerie.

— Salut !

— Salut. Vous m’avez appelé ?

— Oui, je voulais prendre des nouvelles.

Une entrée en matière plutôt inhabituelle pour le journaliste.

— Je vais bien, merci.

— J’ai appris par vos collègues que vous étiez en congé.

— Oui, ça m’arrive.

— Vous êtes où ?

— Dans les Landes.

— Qu’est-ce que vous foutez là ?

— Je suis venu voir mon fils.

Malgré leurs innombrables différences et divergences sur la manière de voir le monde, Walczak et Lorian ont un point commun : être père n’est pas une évidence pour eux.

— Et ça se passe bien ? reprend Lorian.

— Oui, je suis arrivé hier soir. Alexandre est génial.

— Moi aussi, quand je vois ma fille, je la trouve merveilleuse. Pourtant j’ai passé des années sans lui adresser la parole, ne faites pas la même connerie. On ne s’en aperçoit pas forcément de suite, mais les gosses c’est vraiment bien. Moi, il m’a fallu vingt-cinq ans pour réaliser.

— Vous êtes au boulot ?

— Non, je suis en congé aussi. Ou plutôt on m’a forcé à prendre des vacances.

— Qu’est-ce que vous avez encore fait ?

Lorian a quand même un très haut potentiel pour se foutre dans des situations improbables.

— Rien. Aussi incroyable que cela puisse paraître. Un gugusse de la DRH s’est aperçu que j’explosais leurs statistiques en ne prenant pas assez de jours de congés.

— Et vous allez faire quoi ?

— J’en sais rien. Adriana est en Italie avec sa fille.

— Pourquoi vous ne les rejoignez pas ?

— C’est opéras et musées. Vous savez, moi, je suis moins cultivé que ma femme, ce genre de truc, ça va cinq minutes.

Walczak n’a jamais compris pourquoi Lorian veut toujours se faire passer pour un abruti. Une fois qu’on casse sa carapace de fort en gueule, il s’avère très observateur et subtil. Walczak le soupçonne de s’être bâti cette armure un peu rustique pour mieux faire parler les gens.

— Bon, reposez-vous au moins, il paraît que ça sert à ça les congés.

— Vous pouvez parler… Vous allez tenir trois jours tout au plus, répond le policier.

— On verra. A bientôt.

Walczak se demande s’il aurait dû amener quelque chose : une bouteille de vin, des fleurs, un dessert ? Il est tellement à côté de la plaque dès qu’il s’agit de conventions sociales. Le chien descend de la voiture et fonce vers la porte d’entrée comme s’il connaissait parfaitement les lieux.

Quand Delphine ouvre la porte, elle tient son portable contre son oreille. Son visage est indéchiffrable. Elle leur fait signe d’entrer tandis qu’Alexandre arrive en courant dans le couloir. Walczak s’agenouille, le gamin le serre dans ses bras. Éric prend un direct dans la poitrine. C’est simple, naturel et si intense. Il enlace son fils, un corps à la fois frêle et compact plein de promesses et d’énergie.

— Alexandre, va jouer avec le chien dans le jardin, tu veux bien ? dit Delphine.

Waczak se relève et se tourne vers elle. Elle pince les lèvres, passe sa main sur son visage. Il reconnaît ces signes. Elle masque toujours aussi mal son trouble et son agitation.

— Qu’est-ce que tu as ? demande Walczak quand la porte se referme sur l’enfant.

Un instant il croit qu’elle va se mettre à pleurer, puis elle finit par articuler :

— C’était la gendarmerie. Une de mes patientes a été retrouvée morte.

— Comment ça ? À cause d’une prescription ?

— Non, non… Elle a été assassinée. Je l’ai vue hier en consultation, elle avait mon ordonnance sur elle quand ils l’ont trouvée. Ils arrivent pour me poser quelques questions.

Walczak se dit que les matins calmes de vacances ne doivent pas être faits pour lui.

*

 

Une voiture de gendarmerie se gare devant la maison. Un homme et une femme en sortent et sonnent à la porte. Walczak se recule de la baie vitrée et rejoint Delphine qui accueille les pandores.

— Le père de mon fils, dit Delphine en désignant Walczak. Il est commandant de Police.

— Où ça ? demande la femme.

— À Bordeaux.

Les deux gendarmes opinent du chef de toute leur rigueur militaire.

— Je suis la capitaine Emma Darochelle et voici mon collègue, le lieutenant Romain Brochard. Vous consultiez hier ?

— Oui, tout à fait.

— La prescription que l’on a retrouvée était libellée à l’attention de Maria Vernon. Vous confirmez avoir rédigé une ordonnance à ce nom ?

Delphine baisse les yeux, esquisse un pincement de lèvres.

— Oui, c’est une de mes patientes.

— J’aimerais que vous nous accompagniez pour nous confirmer l’identité de cette personne.

Malgré la formulation de la phrase, le ton de la capitaine Darochelle ne laisse aucune place à la possibilité d’un refus.

— De quoi est-elle morte ? demande Delphine.

— Elle a probablement été étranglée.

— Pourquoi Maman s’en va avec les gendarmes ? s’étonne Alexandre qui a rejoint Walczak devant la baie vitrée.

— Elle revient, ne t’inquiète pas.

— Elle a conduit trop vite ?

— Non, non, rien à voir. Ils ont besoin d’elle pour en savoir un peu plus sur une de ses patientes. Ils font une enquête.

— Toi aussi tu fais des enquêtes ?

— Oui.

— C’est difficile ?

— Parfois, oui.

— On joue aux échecs ?

— Je ne sais pas y jouer.

— Je vais t’apprendre.