Multiples handicaps - Bazizidi Bios - E-Book

Multiples handicaps E-Book

Bazizidi Bios

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Beschreibung

Monsieur Kams n’est ni handicapé moteur ni handicapé mental, mais la vie l’ayant contraint à être un migrant, il a souvent rencontré des difficultés d’intégration chaque fois qu’il changeait de destination. Durant son parcours, des portes lui ont été fermées car il présentait tel ou tel autre handicap. Cela l’a conduit à s’interroger sur la réelle signification de ce mot. Est-il possible qu’une personne saine du corps et d’esprit soit handicapée ?

À PROPOS DE L’AUTEUR

Théologien et philosophe, Bazizidi Bios est auteur de plusieurs ouvrages. S’inspirant d’un récit de vie, il édifie les lecteurs, de façon romancée, sur la polysémie du mot handicap.

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Seitenzahl: 276

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Bazizidi Bios

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Multiples handicaps

Syndrome de monsieur Kams

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Bazizidi Bios

ISBN : 979-10-422-0496-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

1. Simon Kimbangu,Une nouvelle ère de l’histoire, Éditions Édilivre, Paris, 2012 ;

2. Simon Kimbangu est-il le Saint-Esprit ? Pneumatologie ou mythologie, Éditions CORIPROF, Paris, 2013 ;

3. Introduction à la théologie kimbanguiste, Éditions Édilivre, Paris, 2013 ;

4. La nature du péché originel, Éditions CORIPROF, Paris, 2013 ;

5. Aide-mémoire du pasteur, un guide pastoral, Paris, 2013 ;

6. Les douze péchés de Kabila, Éditions CORIPROF, Paris, 2013 ;

7. De la kimbangologie. Vers une nouvelle discipline théologique. Une boîte à outils, Éditions Édilivre, Paris, février 2013 ;

8. Classification de la littérature kimbanguiste, conférence au 1er salon du livre et de la culture kimbanguistes tenu à Paris du 22 au 23 septembre 2013 ;

9. Le plus grand livre kimbanguiste, conférence au 2e salon du livre et de la culture kimbanguistes tenu à Paris du 26 au 27 septembre 2014 ;

10. La théologie du 21e siècle, Éditions Édilivre, Paris, 2018 ;

11. Qui est réellement chrétien ? Éditions Édilivre, Paris, 2019 ;

12. Religion, pure tour de Babel. Échec ou déception, Éditions CORIPROF, Paris, 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À tous,

Bonne lecture !

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

Ce récit est un témoignage d’un certain monsieur Kams originaire de Kinkoko, un village du Kongo central situé à 250 km de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Comme dans la plupart des régions africaines, les entreprises qui emploient ne sont implantées qu’à la capitale. En province, dans les villages, on trouve des agriculteurs seulement ; or l’agriculture africaine depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, elle est toujours physique. C’est l’homme qui y travaille à mains nues, elle n’est nullement mécanisée. Alors à la trempe de tous les jeunes africains, et après ses études, monsieur Kams a décidé de quitter son village pour se rendre dans la capitale à la recherche du lendemain meilleur.

Il a fait son école primaire dans son village natal, l’école secondaire pour la colonie belge ou le lycée pour la France et les colonies françaises au chef-lieu de son secteur d’origine, à Gombe Matadi, un grand centre attractif situé à 30 km du village Kinkoko. Dans ce centre, on peut visiter le temple et les écoles catholiques, le temple et les écoles protestantes de la mission baptiste de Gombe Lutete et les commerces. Cette mission baptiste de Gombe Lutete est l’apanage religieux de Simon Kimbagu1 qui va jouer un rôle important depuis les années 1921 dans les esprits des jeunes de cette contrée dans la lutte pour les indépendances du Congo. La plupart des jeunes de cette contrée ont été influencés culturellement, politiquement ou encore religieusement par la doctrine de Simon Kimbangu qu’ils considèrent comme leur patriarche, à telle enseigne que tous les jeunes de cette contrée se réclament du kimbanguisme de quelque manière que ce soit. Ils s’approprient tous le patrimoine kimbanguiste. À Gombe Matadi, monsieur Kams a fait des études pédagogiques qu’il a terminées brillamment avec une bonne mention.

Kinkoko est un village paisible, traversé par un ruisseau dit « Nkalazi » aux eaux douces, fraîches et claires. Kinkoko compte près de 60 maisons construites en matériaux durables de part et d’autre d’une grande route s’annexant à la nationale No 1 – Kinshasa-Matadi. Alors les maisons longent cette fameuse route. Avec une population de près de 500 habitants (croyants et non croyants), un temple à l’entrée du village, une infirmerie à l’autre bout du village, une petite école primaire de 3 salles et une boutique de fortune sont érigés dans ce village prospère et calme. C’est un village qui a de l’avenir et qui promet du miel et du lait. Sa population jeune en majorité vit de l’agriculture, de la chasse et du commerce vers les grands centres tels que Kimpese, Mbanza Ngungu, Matadi et Kinshasa.

Le bonheur comme un mirage lui échappant toujours de justesse l’amène jusqu’en Europe ; fréquentant la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest : l’Angola, le Congo-Brazzaville, l’Espagne jusqu’à s’installer en France ; l’infatigable M. Kams résout de partager son expérience qu’il prend comme modèle de persévérance et de déterminisme. Ces voyages lui ont fait devenir un intègre homme expérimenté et très sage.

C’est cette expérience qu’il m’a racontée que je vais essayer de partager sous forme de roman. Avec son autorisation, bien entendu, il a été convenu que sous forme de roman cette expérience soit publiée. Ce n’est pas un livre d’histoire ni de géographie ni de politique, il est un roman.

Mais quel titre faut-il donner à cet ouvrage ? C’est la question majeure que nous nous sommes posée avec M. Kams après qu’il m’eut raconté son expérience. On verra dans les lignes subséquentes la quintessence de notre source d’inspiration.

 

***

 

Monsieur Kams suffisamment instruit jusqu’au niveau de professeur eut toujours du mal à s’intégrer dans toutes les sociétés qu’il eut fréquentées. Souvent handicapé soit par la langue (l’anglais ou le portugais) qu’il ne maîtrisait pas, soit par la couleur de sa peau, soit encore par nationalisme des autochtones. En adoptant la migration, M. Kams s’est confronté à un éternel apprentissage de la culture des autochtones : langue, us et coutume ; à un éternel recommencement de la vie, à un éternel processus de réadaptation. Il lui a fallu toujours un temps d’intégration. C’est dans ce cadre que son attention se concentrait souvent sur les réactions de ses interlocuteurs.

Alors de ses diverses réactions, le mot « handicap » revenait le plus souvent et commençait à indisposer ses oreilles. Son attention devenait de plus en plus éveillée sur ce fameux mot. Partout où il passait, il était toujours coincé par quelque chose lié très souvent à sa nature ; ainsi, ses interlocuteurs lui répétaient toujours ce réputé mot « handicap ».

En fait, tout au long de son périple, on arrêtait pas de lui répéter toujours : « Monsieur, vous avez un handicap, vous venez d’arriver et vous ne maîtrisez pas notre langue encore moins notre culture. Il faut prendre du temps pour exercer dans cette société… Monsieur, vous avez un handicap, vous êtes trop qualifié pour exercer dans cette société… » Personne ne lui donnait les vraies raisons du refus sinon de cette réticence. C’est le mot « handicap » qui devenait cacophonique dans ses oreilles. Il l’a tellement entendu qu’il a commencé à chercher, à éplucher le sens intrinsèque de ce mot et en découvrir différentes connotations. Puisque de lui-même, il ne se reconnaissait pas handicapé.

Ce mot « handicap » a tellement sonné dans ses oreilles que le monsieur a décidé de témoigner expressément et de se confier à un écrivain afin que celui-ci lui développe le sens de ce mot en rapport avec lui-même qui n’avait aucun handicap physique ni mental. Dans des circonstances différentes, il l’a trop entendu, partout où il est passé, il en avait donc marre. Il voulait que cela s’arrête, mais son rêve ne se réalisait toujours pas, le mot était devenu magique pour ses interlocuteurs comme s’ils s’entendaient avant de le rencontrer.

Voilà pourquoi après notre conversation, j’ai résolu d’intituler ce livre « Handicap, syndrome de monsieur Kams ». C’est un récit tiré d’une histoire vraie quoique M. Kams soit un nom fictif qu’on s’est choisi pour désigner l’acteur principal de ce roman. J’aurais pu l’intituler aussi « Courage et persévérance ».

Généralement, parler de handicap fait penser directement au physique ou au mental, et pourtant d’autres appréhensions peuvent aussi bien exister dans l’étendue sociologique du mot handicap que je veux sociétal alors différent du physique ou du mental. Ainsi, dans ce livre, je vais définir le terme « handicap » et ensuite suivre mon sens que je pense développer de ce terme « handicap » dans une société humaine en général et dans une entreprise en particulier. Toutefois, pour situer le lecteur, je vais parler sommairement de la société au sens sociologique et économique pour situer le terme « handicap » sitz im leben2. Le lecteur découvrira quelques explications plus techniques sur certaines terminologies, telles qu’intérimaire, contrat à durée déterminée ou indéterminée, cela juste pour l’imprégner dans ce sujet très particulier. En fait, ce sont des mots utilisés dans le monde du travail, mais ils apparaissent ici pour insinuer les différentes étapes du processus d’intégration de M. Kams et les différents quand, pourquoi et comment de ses handicaps. Parfois les acrobaties académiques se feront en même temps que la narration, parfois elles se feront séparément sans se détacher de l’exercice littéraire que je me suis assigné.

C’est seulement après cet effort intellectuel, après cette démarche, on dirait, académique que je vais relater l’histoire de monsieur Kams en détail. Habitué à rédiger des ouvrages scientifiques, l’effort a été mien pour que ces écrits soient romancés, afin d’attirer l’attention de certaines personnes qu’elles ne soient pas surprises quand elles seront confrontées à de pareilles situations et que leur morale reste normale face aux différentes situations qu’elles rencontreront tout au long de leur croisière.

 

 

 

 

 

 

Premier chapitre

Un handicap, c’est quoi ?

 

 

 

Handicap, ce mot exprime beaucoup dans le langage courant comme dans le langage littéraire. Mais très simplement, on dira que le « handicap » c’est l’infirmité, c’est aussi l’atrophie, la débilité, l’impotence, l’incapacité, l’invalidité, la mutilation, l’inconvénient… Tous les dictionnaires le définissent comme ça. Chacun peut alors le situer dans son contexte, chacun peut se l’approprier et l’appliquer à sa situation pour bien se faire comprendre des autres.

Eh bien ! On parle généralement du handicap mental et du handicap physique, mais on ne parle pas souvent du handicap dit « sociétal », une sorte de handicap qu’éprouve une personne quand elle intègre une société donnée. Ce handicap, je l’appellerais aussi le syndrome de l’immigré qui s’apparenterait au complexe d’Ulysse selon des psychologues comme Charles Di, Emmanuel Meunier et Marie Rose Moro dont je cite ci-dessous l’article intitulé : Le complexe d’Ulysse ou les métamorphoses de l’identité dans le contexte de l’immigration.

Habituellement parler du complexe d’Ulysse fait penser à la nostalgie du pays natal (il s’agit d’un migrant qui pense à son pays natal et qui en est chagriné). Tous ne voient en Ulysse qu’un simple nostalgique du pays natal. Mais les travaux de Charles Di, d’E. Meunier et de M.R. Moro que j’ai estimé coopter proposent une autre lecture intéressante, en montrant que l’Odyssée métaphorise des situations typiques du parcours de migration et ses effets sur l’identité du migrant. En outre, le péril et le naufrage, au cœur de l’expérience d’Ulysse, évoquent immanquablement les épreuves, parfois mortelles, qu’affrontent la plupart des migrants qui dans des embarcations de fortune tentent de rejoindre la « forteresse Europe ». Dans ces périples, le migrant doit parfois ruser, allant jusqu’au déguisement ou à la renonciation de son identité, pour survivre à la menace de destruction, d’anéantissement. Comme le dit Devereux, la renonciation ou le déguisement de l’identité sont les défenses de choix contre la destruction, puisque c’est la connaissance de son identité qui révèle la vulnérabilité de celui dont on connaît l’identité3.

Charles Di, E. Meunier et M.R. Moro soutiennent que la migration serait, tout d’abord, un processus marqué par une succession d’épreuves qui obligent le migrant à transformer, à ajuster et à adapter son identité, face à un monde qui, à ses yeux, n’arrête pas, à l’instar des métamorphoses de Protée, de changer. Cette situation comporte un risque considérable d’emballement générateur de confusion et de désorientation. Cette absence de point de repère pourra néanmoins être compensée par la rencontre d’une personne secourable (la déesse empathique par exemple ou simplement un Moïse, un sauveur), capable d’aider le sujet à trouver la voie d’un ressaisissement de lui-même et la possibilité d’une maîtrise du monde de dehors, ne fut-elle que parcellaire.

On le voit avec Ménélas qui finit par apprivoiser Protée4. Mais pour se ressaisir et retrouver quelques repères, jusqu’au chemin du retour, le migrant ne saurait faire l’impasse sur l’idée que la migration l’a effectivement transformé, comme Ménélas dans l’Odyssée se déguisant en phoque.

D’où cette seconde dimension du parcours de migration : le migrant, pour retrouver une carte du monde, pour s’y réorienter, doit consentir à s’exposer à l’inévitable transformation de son identité, processus périlleux qui peut vider le sujet de sa vitalité. C’est comme plus loin, on verra M. Kams dans cette posture, cherchant à camoufler son identité du départ du Maroc vers l’Europe. Ce récit d’Odyssée, selon Charles Di, E. Meunier et M.R. Moro, montre aussi qu’il existe des dieux qui veillent sur les migrants, même s’ils conditionnent leur aide à la réalisation d’épreuves. Dans ce cas, il y a lieu d’avouer que toutes les divinités indigènes ne sont pas absolument attachées à leurs lieux, à leurs territoires ; il en existe qui habitent les lieux changeants et mouvants pour protéger ceux qui errent sur les terres et les mers. Très peu de migrants doutent de l’existence de ce genre de dieux, la plupart y croient sans autre forme de procès d’autant plus qu’ils sont obnubilés par leur objectif. On dirait que c’est peut-être lié à la croyance, mais personne ne peut en découdre l’évidence.

Par complexe d’Ulysse, on voudrait entendre donc les différents états que peut traverser la psyché5 assaillie par des processus de transformations parfois radicales et violentes de l’identité dans un contexte purement migratoire. On y présente, à cet effet, le parcours d’Ulysse en distinguant deux parties : l’épreuve de la désorientation et du délabrement de l’identité, et l’épreuve de la transformation de soi et de la construction du sens6.

Avant d’analyser le récit de l’Odyssée, Charles DI, Emmanuel Meunier, et Marie Rose Moro ont apporté quelques précisions sur sa structure. Si la tragédie – de par la fonction d’un chœur qui met des mots sur ce que subissent (pathos) les personnages – entretient des liens étroits avec le logos, c’est-à-dire le discours rationnel tourné vers la quête d’une vérité, le récit épique entretient, lui, un lien étroit avec la Métis, c’est-à-dire l’intelligence créative, adaptative, ingénieuse. C’est l’esprit de créativité, d’inventivité, différent de l’esprit de survie, qui est instinctif. Ce dernier est le souci de survivre à une situation donnée après une période de peur intense. L’esprit de survie n’est pas objectif cependant l’esprit de créativité l’est.

Les Grecs antiques distinguaient toujours trois formes du savoir 7: le « mythos » qui, par son pouvoir de métaphorisation, exprime les liens qui unissent les hommes entre eux, et les liens de ceux-ci avec le cosmos et les divinités ; le logos, le discours rationnel, qui permet de discerner le vrai du faux et enfin la « Métis » qui est, elle, le savoir issu de l’expérience, dont la validité, à l’instar du travail, est déterminée par la réussite ou l’échec ; c’est le savoir issu de la praxis. Autant la tragédie articule « mythos » et logos (ce qui est particulièrement vrai de l’Œdipe de Sophocle, où la trame est formée par une enquête et une recherche de vérité), autant le récit épique tend à articuler « mythos » et « Métis ». Ce qui est particulièrement vrai de l’Odyssée, Ulysse est dit « poluMétis » : il est la « Métis » faite homme, l’homme ingénieux par excellence. La « Métis » est une intelligence créative, mais rusée, expérimentale qui permet d’inventer des solutions face à l’inconnu, de s’adapter face à l’adversité et à l’indéterminé.

Il y a toujours lieu de noter que le sens contenu dans le récit épique n’émerge pas d’un discours rationnel. Il se déduit des leçons, je dirais même des conseils moraux, que le lecteur peut tirer des expériences, des réussites et des échecs d’Ulysse. C’est en fait le sens même du « roman ». Ajoutons que « Métis » est aussi une divinité qui possède, comme « la divinité Protée », le don de métamorphose et qu’elle fut la première épouse de Zeus et la mère d’Athéna –, déesse qui joue un rôle éminent dans L’Odyssée8.

Selon ces travaux, l’Odyssée peut être lue aussi comme un « guide de survie » pour les migrants, comme un recueil d’expériences métaphorisées, qui doit permettre au migrant de penser les processus de fragilisation et de métamorphose de son identité inhérents au parcours migratoire. Mais c’est aussi une tribune par laquelle le pays d’accueil peut se représenter non seulement les difficultés, les égarements, les méprises et les souffrances des migrants, mais aussi prendre la mesure des compétences que mettent en œuvre ceux qui viennent d’ailleurs. Le témoignage de monsieur Kams m’a bien rappelé le bien-fondé de cet article que j’ai jugé bénéfique pour son illustration. Le rapporter en partie introductive du témoignage de monsieur Kams a été d’un grand apport pour les lecteurs de ce roman.

Il y a lieu de savoir que la civilisation grecque fut une civilisation de migrants : des hommes et des femmes quittaient volontiers leur cité pour s’installer en terre inconnue, sur le pourtour de la Méditerranée ou de la mer Noire, pour y établir des cités nouvelles. La pauvreté de la Grèce, la faiblesse de ses ressources, tant en minerais qu’en bois ou en terres agricoles, poussaient les jeunes gens à fuir la misère en partant au loin, en cherchant à se faire accepter par les autochtones, en négociant avec eux un pacte commercial, qui leur permettrait d’établir une cité nouvelle, indépendante – voire concurrente – des autres cités grecques. La civilisation grecque – au contraire de la civilisation romaine – est « thalassocratique » : ce qu’il importe de dominer, c’est la mer comme espace d’échange et non les terres et les peuples. Aussi ceux qui migrent recherchent-ils un modus vivendi avantageux, pour eux-mêmes, mais aussi pour les autochtones, afin d’assurer la sécurité de leurs comptoirs commerciaux et maritimes. Les historiens ont observé que le livre d’Homère contenait de nombreuses informations sur la partie occidentale de la Méditerranée, cette sorte de « Far West » grec. Il est vrai que la migration d’aujourd’hui n’a pas les mêmes raisons d’existence que celle des Grecs antiques, quoique les objectifs de migrants restent les mêmes, car les migrants d’aujourd’hui viennent des pays naturellement riches, mais trahis par d’une part la mauvaise gestion et l’égoïsme de leurs dirigeants, d’autre part par le système international actuel mis en place par les multinationales et les organismes internationaux. Les conditions sont créées de façon que les riches s’enrichissent davantage et que les pauvres s’appauvrissent de plus en plus, la transition (passage de la pauvreté à la richesse) étant rendue difficile et compliquée.

L’Odyssée contient en outre des conseils précieux pour les voyageurs : elle décrit précisément les techniques et manœuvres nautiques ou les étapes de la construction d’un radeau de sauvetage. Ce que nous supposons, c’est que le récit d’Homère ne contient pas seulement des conseils pratiques, mais aussi des conseils sur la manière d’aller à la rencontre d’autrui et sur l’expérience de la migration9, sur le comportement des autochtones. C’est pour cela qu’on pense que cette leçon ne vaut pas seulement pour le migrant, mais elle vaut autant pour ceux de la terre d’accueil, comment réagissent-ils devant ceux qui arrivent ?

La première étape du périple d’Ulysse et de ses compagnons est l’île de Kikones, une cité qu’ils investissent en se comportant en pirates, ne se privant ni de piller, ni de tuer ceux qui s’opposent à eux, ni de capturer et violer les femmes qu’ils rencontrent. Ce comportement des migrants grecs n’a pas empêché les autochtones de réagir dès le lendemain. Ces Grecs furent rejetés à la mer par les habitants de Kikones et leurs alliés. Cela vaut un avertissement pour les candidats à l’immigration : vous pouvez toujours vous percevoir comme supérieur aux autres peuples, mais cela ne garantit en rien votre victoire. Et puis l’autochtone ne vous connaît pas et ne reconnaît rien de votre grandeur et de votre gloire. Il n’en est pas impressionné d’où il refusera de se laisser subjuguer. Vous n’avez pas beaucoup de chances de le dominer dans la durée, car il dispose d’alliés. Tout recours à la force brute comporte un grand risque d’échec à effet boomerang. Même quand le migrant après avoir été accepté se livre aux actes de dévergondage, de violation des règles sociétales établies, l’autochtone finit par le mettre à la porte.

L’Odyssée contient ainsi plusieurs évocations de ce comportement de piraterie qui est durement sanctionné par les dieux. Cette condamnation de l’usage de la force tient aussi au fait qu’il n’est rien de plus opposé à la « Métis » que la force. La « Métis » est intuition, ingéniosité, expérimentation, ruse. La « Métis », c’est le cheval de Troie qu’invente Ulysse, quand s’impose l’évidence que la force ne mène à rien. Pour développer en soi la « Métis », cette intelligence qui permet de faire face à l’inconnu, il faut renoncer à user de la force. C’est une grande leçon pour le migrant. C’est à la fois une sorte d’hypocrisie positive ou alors une sublimation comportementale de l’instinct grégaire qui dominerait sur le « surmoi10 » de certaines personnes.

Un tel avertissement est explicitement adressé aux candidats à l’immigration dans les pays scandinaves par exemple, en particulier en Norvège et au Danemark. Cet avertissement s’appelle la loi de Jante (Janteloven), expression forgée par l’écrivain dano-norvégien Aksel Sandemose (1899-1965). Quand on arrive dans ces pays, on est accueilli avec cette loi pour ne pas développer ses instincts grégaires d’agression des autochtones. D’ailleurs, Marc Auchet, professeur à la Sorbonne, a rappelé les conditions dans lesquelles cette expression est née. Dans son roman au titre évocateur, Un réfugié dépasse ses limites, Aksel Sandemose transcrit les dix principes que la population de la petite région de Jante impose aux étrangers. Ils sont formulés comme des maximes11 qu’il faut impérativement respecter de crainte d’être reconduit à la frontière.

Si la loi prescrit au migrant de s’abstenir de manifestation aussi bien orgueilleuse que prétentieuse, elle ne le protège évidemment pas du mépris de l’autochtone. Dommage ! Car la loi de Jante ajoute à ces premières et prudentes recommandations cette dernière : « Tu ne vaux rien, personne ne s’intéresse à ce que tu penses, la médiocrité et l’anonymat sont le meilleur choix. Si tu agis ainsi, tu n’auras jamais de grands problèmes dans la vie. » Le principe veut que ce soit celui qui va vers l’autre qui s’humilie et non le contraire. C’est la simple loi de la nature à laquelle il faut obéir si on veut vivre paisiblement en terre d’emprunt.

Feindre la médiocrité, et même la revendiquer, ou bien encore se fondre dans l’anonymat sont des modalités de survie pour les migrants. La leçon de Kikones, c’est bien évidemment qu’aucune violence ne sera pardonnée au migrant, mais bien vite, il apprendra que toute affirmation péremptoire de ce qui fait sa fierté est perçue comme une forme de violence. Cette médiocrité contrainte, parfois intériorisée, nous la rencontrons encore dans nos villes, en ce XXIe siècle, avec le cortège de souffrance psychique qu’implique cette contrainte à l’effacement, à l’abdication de soi.

Ce renoncement à soi est facilité par les séductions qu’opère le monde des autochtones, comme en témoigne l’escale chez les Lotophages. Ces derniers sont d’aimables mangeurs de fleurs de lotos, une sorte de plante aux vertus enivrantes. Dans ce récit on constate bien que les Lotophages sont très accueillants et ne cherchent nullement à dominer les Grecs par la force. Ils n’ont guère besoin de les contraindre. Du moins c’est l’autre interprétation de la phrase : « Les plaisirs enivrants du terroir s’en chargent : Quiconque goûtait le fruit aussi doux que le miel (le lotos), ne voulait plus rentrer chez lui ni donner de nouvelles, mais ne rêvait que de rester parmi les Lotophages à se repaître de lotos, dans l’oubli du retour.12 À titre illustratif, c’est les migrants qui n’ayant jamais entendu parler dans son pays natal, des allocations familiales, du revenu de solidarité, de la sécurité sociale et d’autres avantages sociaux comparés au « lotos » qui refuseraient le retour chez soi de gré ou de force.

Les Lotophages représentent la dissymétrie du processus d’assimilation, où, dans l’ivresse de la consommation, l’avoir se substitue à l’être. Qui goûte le « lotos » devient Lotophage, et cesse d’être lui-même au point de délaisser son projet migratoire. Combien de migrants, abordant une terre de consommation, ne se muent-ils pas en consommateurs enivrés, en consommateur-objets, oublieux d’eux-mêmes ? L’illusion créée par la Liberté et sa flamme éclairant un port de New York gorgé de marchandises, ainsi que les extases procurées par la facilité et les avantages sociaux ont sans nul doute égaré nombre de migrants en les éloignant de leurs objectifs. Ulysse aura le plus grand mal à arracher ses compagnons à leur ivresse et à les ramener vers leurs navires. On a vu beaucoup des migrants bénéficiaires des allocations familiales et des revenus de solidarité oublier les raisons de leur migration et les objectifs pour lesquels ils ont migré voire même perdre leur rêve pour leurs membres de familles, et alors refuser de travailler pour devenir allocataires à vie. Et pourtant certains de ses avantages sociaux ne sont qu’éphémères.

L’étape suivante du récit d’Ulysse est celle de l’île des Cyclopes. Cette fois, la dissymétrie n’est plus celle de l’assimilation, mais celle de la dévoration. La force est du côté de ces monstres buveurs de lait et mangeurs de chairs crues.

La survie des Grecs va dépendre de leur capacité à se rendre invisibles13. Se rendre « invisible » est une stratégie de survie fréquemment adoptée par le migrant : ne pas se faire remarquer, ne pas faire de vague, se noyer dans la masse… Combien de migrants changent jusqu’à leur nom de famille pour effacer ou masquer leur appartenance à telle ou telle origine ? La réussite du parcours migratoire ne suppose-t-elle pas, au vu des dommages produits par la dissymétrie, la création d’un lien de symétrie relative avec l’autochtone, fondé sur un rapport d’échange ? Mangeurs de lotos et Cyclopes mangeurs de chair crue n’appartiennent pas à ce qu’Homère appelle la « race des mangeurs de pains », celle des êtres effectivement humanisés, le pain étant l’objet du partage par excellence, l’orge et le froment étant nommés par le poète la moelle de l’homme.

Établir un rapport d’échange est une condition de réussite de la migration. Mais le migrant, placé dans un rapport dissymétrique, fait coup sur coup l’expérience du fait que l’autochtone possède un pouvoir de séduction et/ou de contrainte qui peut l’amener à renoncer à son identité, et qu’il est dangereux pour lui d’affirmer la sienne. La leçon de la « lotophagie » et de la « cyclopie » tient en peu de mots en ces termes : migrant, le mieux pour toi est de renoncer à ton identité14. Il s’agit ici du fait de se faire ignorer ou d’être ignoré ou encore de se présenter comme ignorant. Tout dépend de l’accueil, certains migrants se font expressément ignorer. Ils renoncent à sa vraie identité pour s’enrober dans une autre d’emprunt. Par contre, dans certains milieux, c’est ceux qui vous accueillent qui vous ignorent entièrement. Ainsi pour des raisons de convivialité, le migrant accepte cette abnégation, cette nouvelle identité que lui attribue l’accueillant de peur de créer une situation conflictuelle. Dans certains encore, le migrant se fait ignorant, il n’est pas curieux, mais il fait semblant de ne pas connaître. Il attend que l’autochtone lui apprenne tout ce qu’il veut que le migrant connaisse.

On ne peut jamais oublier que le danger à ce conflit externe (refus de l’abnégation contre affirmation de soi) conduit très souvent à la destruction du migrant. L’autochtone n’a rien à perdre car il est chez lui. C’est au migrant de flatter le séjour. Dans l’Odyssée, le danger lié à l’affirmation de soi est symbolisé par l’imprudence d’Ulysse qui, s’éloignant de l’île des Cyclopes, estime pouvoir proclamer à Polyphème son nom véritable. Cette maladresse va lui coûter cher. Car Polyphème se plaindra à son père, Poséidon, le dieu des mers, qui pour venger son fils aveuglé obtiendra de Zeus qu’Ulysse ne puisse revenir chez lui qu’« après bien des maux, sur un vaisseau d’emprunt, privé de tous ces gens, pour trouver le malheur chez lui »15.

Le salut du migrant ne tient-il donc pas – en partie du moins – à la possibilité d’une attitude raisonnable et ouverte de l’autochtone envers lui ? Attitude qui pourrait se résumer à la reconnaissance de leur commune humanité… qui seule peut permettre de regarder l’étranger comme un autre moi et non comme un moi étrange. Le déni d’une commune humanité passe bien souvent par l’essentialisation des usages locaux, par un mépris de l’autre au motif qu’il n’a pas les mêmes usages. Les anciens savaient quoi penser de ces usages.

 

 

Rappelons brièvement une histoire vivante exprimant la sagesse ancienne

 

Ambroise, évêque de Milan (IVe siècle) répondit à saint Augustin qui lui demandait si le jour du jeûne était le samedi – comme à Rome –, ou le dimanche – comme à Milan : « À Rome, je jeûne le samedi, à Milan, je ne le fais pas ; je suis la coutume de l’Église où je me trouve. » Réponse qui donna naissance au fameux adage « Si fueris Romae, Romano vivito more ; si fueris alibi, vivito sicut ibi » (À Rome, fais comme les Romains ; si tu es ailleurs, fais comme ceux qui vivent là.)16 Les Anciens avaient assez de sagesse pour dire : « À Rome, fais comme les Romains » et non : « À Rome, deviens Romain », car il n’y a rien de moins essentiel qu’un usage, puisque ce qui importe, c’est bien évidemment l’acte de dévotion, et non la date du jeûne en soi. À Rome, ne fait pas comme un Milanais de peur qu’on irrite les Romains. C’est une leçon de sagesse pour le migrant.

Respecter l’usage local, c’est se mettre au diapason des autochtones pour qu’une expérience (de dévotion, le jeûne) puisse être partagée avec ceux-ci. L’adoption des usages locaux ne fait sens qu’autant qu’il y a quelque chose à partager, que l’autochtone est ouvert au partage, qu’il se reconnaît lui-même et qu’il reconnaît le migrant comme appartenant à la « race des mangeurs de pain ». Autrement dit, si l’autochtone vous propose de partager un repas, il est mal venu de le refuser sous prétexte qu’il est midi et que votre habitude est de manger à 13 heures 30 ; mais pourquoi se soumettre à une injonction du type « chacun mangera dans son coin à 12 heures, car il est d’usage, ici, de manger à 12 heures », si votre préférence va à un repas servi à 13 heures 30 ? L’essentialisation des usages et l’injonction à adopter les usages locaux sans perspective de partage ne sont finalement que des expressions du narcissisme des petites différences et des contraintes conformistes à l’invisibilité imposée au migrant17.

Quand on arrive dans un village où l’on danse sur la jambe gauche, toi, le migrant, fais de même. Ne change pas de jambe de peur d’être repéré et pris pour un émeutier. C’est un principe élémentaire de la sagesse bantoue.

 

 

 

 

On enchaîne avec les leçons de l’Odyssée

 

Dans l’Odyssée, Ulysse et ses compagnons parviennent à fuir l’île des Cyclopes et ils sont accueillis par Éole, le dieu des vents. Éole confie à Ulysse une outre qui renferme les vents contraires, en telle sorte que seul soufflera le Zéphyr, vent qui les poussera vers Ithaque.

Mais hélas !

On sait ce qui adviendra : la convoitise, elle a toujours été la conséquence du manque de confiance vis-à-vis de son prochain ou de son compagnon. Les compagnons d’Ulysse, lorsqu’ils aperçoivent Ithaque à l’horizon, ils transgressent l’interdiction d’ouvrir l’outre, parce qu’ils suspectent Ulysse d’y dissimuler un trésor. Ils obligèrent Ulysse à violer l’interdiction et à ouvrir l’outre à lui confiée par Éole. Une fois l’outre ouverte, les vents contraires libérés se déchaînent et ramènent les marins à leur point de départ, nez à nez avec Éole furieux… qui finit par les chasser de son île. La convoitise et la stupidité envieuse semblent être la cause de l’échec du retour à Ithaque. C’est ce que l’on peut déduire du contenu manifeste du mythe. Mais le contenu latent du mythe indiquerait plutôt que, pour le migrant, la route du retour est barrée si, comme le disent les matelots d’Ulysse, c’est les mains vides que nous regagnons notre demeure. Un migrant ne rentre jamais les mains vides, il ne se présente jamais devant les siens avec du « vent »18. On s’oblige de ramener toujours quelque chose chez soi. Les enfants qui viendront vous accueillir à l’entrée du village espéreront goûter quelques bonbons du voyage. C’est cet entêtement de trouver quelque chose qui conduit très souvent à la cupidité, à la convoitise. Or la cupidité, la stupidité et la convoitise conduisent toujours à la ruine, à la perte. Le migrant doit devoir faire très attention pour ne pas se perdre lui-même.

Ce déchaînement des vents contraires évoque le « syndrome d’Ulysse » formulé par Joseba Achotegui, psychiatre et professeur à l’université de Barcelone, qui décrit un état dépressif chronique qui affecte l’immigrant vulnérabilisé par un pays d’accueil qui exige de lui des comportements qui dépassent ses facultés d’adaptation19