Nature en scène - Loys Dupuy - E-Book

Nature en scène E-Book

Loys Dupuy

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Beschreibung

La nature est omniprésente dans ces nouvelles au sein desquelles évoluent des personnages parfois utopistes, souvent rêveurs, mais toujours attachants. Vieux paysan, garde forestier, lieutenant de louveterie, photographe ou géologue... tous sont amoureux de leur terroir et désireux de sa préservation. Sans activisme, mais avec constance, ils aiment et protègent la nature, même si celle-ci ne leur est pas forcément favorable. Une nature grandiose, sauvage, intemporelle, propice à la rêverie et au voyage intérieur sans limite, à travers des sites exceptionnels de la Provence, des Pyrénées, des Alpes ou du Mercantour.

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Seitenzahl: 71

Veröffentlichungsjahr: 2023

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À Urka

Ceux qui ont vécu enfants à la campagne, le savent : le temps passé avec un décor, un paysage, des lumières, crée — comme avec des êtres — des attachements, des émotions, un enchantement impérissable.

Il y a un continuum entre la Nature, les paysages, les cultures et les hommes…

L. D.

« Le vieux Lakota était un sage : il savait que le cœur de l'homme, éloigné de la Nature, devient dur.»

Mac Luhan.

in ''Pieds nus sur la terre sacrée''.

SOMMAIRE

– L'inconnu de la Verne

rencontre avec la nature.

– Ultime randonnée

adieu à la nature.

– Retour vers le futur

souvenirs de nature.

– 2042

la nature... demain.

– Elle portera son nom

la nature implacable.

– Naître ou ne pas être

la nature en Provence.

– Le bonheur esquissé

rêves de nature.

– Le sentier interdit

la nature fragile.

– Taïga

la nature sauvage.

– No pasaran !

pays, paysan... paysages.

L'INCONNU DE LA VERNE

J’étais arrivé très tôt en ce matin d’automne, par une route étroite et sinueuse, laissant derrière moi les paysages paisibles des vignobles mordorés de Collobrières. Je m’élevais dans le massif des Maures, dont les forêts furent travaillées pendant des siècles : il fallait beaucoup de main-d’œuvre pour prélever l’écorce des chênes-lièges et, plus encore, pour ramasser les châtaignes, bien utiles quand la farine venait à manquer. J’avais garé ma voiture au parking désert et m’étais engagé sur le sentier qui longe le monastère de la Verne.

Le temps était doux, le soleil glissait ses rayons entre les branches, constellant le sol de ses éclats dorés. Dans l’air encore frais flottaient des parfums de sève sucrée et de genévriers sauvages. Tandis que le ciel lançait des sagaies de lumière, la forêt m’enveloppait comme une matrice si prégnante qu’il me semblait en faire partie. J’avais prévu un circuit d’environ douze kilomètres qui me permettrait des points de vue variés sur la forêt : rien ne me fascine tant que les plus vieux êtres vivants de la planète comme ces chênes portant le poids des siècles. La lumière était parfaite pour prendre des photos.

Un premier arrêt m’ouvrit une belle perspective sur le lac de la Verne en contrebas. Impossible de résister à l’attrait de cette nappe d’eau nichée dans la verdure. Je décidai de faire un détour. Sur les berges du lac, des légions de chênes-lièges démasclés, aux troncs rouge sang, se projetaient dans le miroir poli de l’eau, avec un éclat et une précision tels qu’on aurait pu confondre les originaux et leurs reflets. De temps à autre, le bruissement d’ailes d’un circaète en quête de nourriture troublait le calme absolu.

J’étais resté longtemps au bord du lac avant de retrouver mon chemin initial et j’avançais d’un bon pas, m’accordant cependant quelques pauses pour goûter une arbouse et photographier cet arbuste capable de présenter au même moment ses petites fleurs blanches et ses fruits dont les nuances varient du jaune au rouge selon le degré de maturité. Une grande bruyère attira mon regard et mérita une prise de vue en gros plan.

Une halte plus longue me permit de profiter d’un panorama sublime : derrière moi, au-dessus du chemin, la forêt avec sa végétation caractéristique des zones acides : arbousiers, bruyères et surtout ces vénérables chênes-lièges aux troncs énormes portant les cicatrices laissées par les écorceurs. Plus au sud, près de la Côte, là où la végétation devient plus rase, là où la lavande à toupet se fraye un passage entre les plaques de schistes, la chaude lumière du ciel bleu contrastait avec les roches rouges plongeant dans la mer argentée. Face à moi, des camaïeux de vert et de bleu : un espace immense dénué de toute trace humaine, uniquement végétal avec, dans le lointain, la mer et le golfe de Saint-Tropez où se répand la vie factice et bruyante de la jet set.

À distance de ce tumulte, je me sentais comme à l’abri au cœur de ce massif d’une indolente beauté et d’une indicible poésie, offrant, dans une solitude grandiose, cette imposante Chartreuse en pierre de Bormes, un peu rosée, brillante. D’un anachronisme paradoxal, ce site sauvage, rempli de lyrisme, n’était troublé que par le chant des oiseaux, le passage d’un sanglier ou, plus discret, d’un chélonien. La civilisation s’était éloignée. Le temps était suspendu.

Je quittais des yeux la mer et l’horizon pour observer la forêt qui dominait le sentier. Une construction attira mon regard. C’était une sorte de niche en pierre, fermée par une lourde grille de fer. Moi qui pensais que cette nature vivait à l’écart de l’activité humaine, voilà que l’humanité se rappelait à moi ! Je m’approchais et scrutais la cavité sombre sans rien distinguer quand, derrière moi, une voix me fit sursauter.

— Vous regardez notre citerne ! Nous avons bien travaillé, n’est-ce pas ? L’eau est si précieuse ici que nous voulons en récupérer la moindre goutte.

Je me retournais vivement pour détailler mon interlocuteur surgi on ne sait d’où. C’était un bonhomme visiblement très âgé vêtu d’une longue robe blanche recouverte d’une cape foncée. Je reconnus l’habit des moines de Saint Bruno : les Chartreux. Son visage brun et parcheminé, aux contours érodés par la fréquentation permanente de la nature, dessinait un sourire et irradiait d’une lumière intérieure que je ressentis instantanément.

Que diable faisait-il là? Il y avait longtemps que ces moines avaient déserté la Chartreuse. Ils étaient maintenant remplacés par des moniales de Bethléem qui d’ailleurs ne sortaient pas de leur couvent.

— Vous résidez ici ? demandai-je avec étonnement.

Le vieillard ne répondit pas. Il paraissait préoccupé par la grosse plaque de liège qu’il serrait contre sa poitrine. À la ceinture de son froc, on pouvait voir la hache utilisée par les leveurs de liège.

Je renouvelais ma question, mais elle ne semblait pas l’intéresser. Il parlait tout en serrant contre lui le morceau d’écorce.

— Savez-vous que nous avons fait des travaux importants pour capter plusieurs sources. Pour acheminer l’eau, nous avons même construit un aqueduc. Et les citernes comme celle-là complètent notre approvisionnement.

Il s’était mis en marche et je l’avais suivi, réglant mon pas sur le sien. Il continuait de soliloquer. J’avais renoncé à poser des questions : il les ignorait. Sans doute l’habitude de vivre en ermite était-elle responsable de ce mutisme à mon égard. Mais sa présence restait pour moi un mystère. Tout comme sa façon d’avancer lente et silencieuse alors que mes pas faisaient résonner les cailloux qui scintillaient sur le chemin.

— Cette terre est connue des hommes depuis longtemps, vous savez ! Vous avez vu les menhirs de Lambert ? Ce sont les plus hauts de la région. Regardez cette nature, ces fleurs, ces arbres ! Écoutez ces oiseaux ! Tout ici est propice à la méditation et à la contemplation. Les Chartreuses que notre Ordre a fondées sont dans des sites exceptionnels, mais je crois qu’à celle de la Verne, nous atteignons la perfection.

Nous arrivions dans la châtaigneraie aux arbres centenaires et torturés et je ne pus m’empêcher de penser à cette phrase de Guy de Maupassant : « Certains n’ont plus qu’un tronc formant des creux où dix hommes se cacheraient. Ils ont l’air d’une armée formidable foudroyée, qui monte encore à l’assaut du ciel ».

Discrètement, sans peaufiner mon cadrage, je pris une photo de mon mystérieux interlocuteur. Le vieil homme parlait comme s’il avait été trop longtemps contraint par la règle du silence. La musique de sa voix douce et tranquille m’enveloppait de bien-être quand la cloche du monastère sonna. Étonné, je tendis l’oreille, car ce tintement grave ne correspondait pas à l’appel qui, depuis la restauration de la chartreuse, annonçait l’office.

Le moine s’était arrêté avant de presser le pas en marmonnant :

— Je vais être en retard, je vais être en retard !

La cloche avait recommencé à sonner et j’avais détourné la tête pour mieux écouter. Quand mes yeux se posèrent à nouveau sur le chemin, il était vide : le moine avait disparu.

Heureusement, mon appareil photo était là ! Je repris mon cliché ; l’éclairage était parfait, c’était un très joli chemin, mais il était aussi désert que celui que j’observais devant moi. Le soleil avait-il trop tapé sur mon crâne un peu dégarni ? Avais-je eu des hallucinations ? Je commençais à douter quand mon pied heurta un objet qui traînait sur le sentier. Une grosse plaque de liège gisait là. Je levai la tête : les arbres qui me dominaient étaient tous des châtaigniers ; intrigué, je ramassai l’écorce. Elle ressemblait aux plateaux qu’on utilise dans les restaurants pour servir l’aïoli aux