Du chêne au baobab - Loys Dupuy - E-Book

Du chêne au baobab E-Book

Loys Dupuy

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Beschreibung

La vie professionnelle de Loys Dupuy, ingénieur agronome, se confond avec celle de l'Aide au Développement. "Du chêne au baobab" relate le parcours d'un jeune Pyrénéen ( le chêne symbolise le s Pyrénées), avide d'espaces et d'aventures, depuis son enfance, jusqu'au terme de sa carrière, retraité en Provence, après une vie dédiée aux pays du Sud, entre Cancer et Capricorne : aire du baobab. Voyageant à travers une quinzaine de pays sur chacune des rives de l'Atlantique (dont la Côte d'Ivoire, le Maroc, Cuba, le Sénégal, le Cap-Vert, le Costa-Rica) le lecteur est immergé dans les réalités des sociétés: leur histoire, leur géographie, leur culture, leur environnement précaire où la tradition l'emporte souvent sur la technique. Le récit est illustré d'anecdotes pittoresques ou insolites à travers des témoignages vivants de personnages hauts en couleur mais aussi émaillé de paysages saisissants, caractéristiques des régions tropicales

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Seitenzahl: 389

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Agronome à la retraite, Loys Dupuy a déroulé sa carrière dans les pays du Sud. Ses pérégrinations l’ont conduit à travers le continent Africain et Madagascar, ainsi qu’au cœur de l’Amérique Centrale et des Caraïbes (Cuba).

Ancien membre du CAF (Club Alpin Français), ancien pilote d’avion privé, ancien entraineur d’athlétisme et marathonien, il réside aujourd’hui à La Valette du Var où il a entrepris une ‘’seconde vie’’ d’oléiculteur et de conférencier sur des sujets sociétaux, géopolitiques ou historiques.

Son activité favorite reste l’écriture pour partager ses souvenirs d’aventurier globetrotteur.

Du même auteur

Africa Blues

deuxième édition (recueil de nouvelles) 2024

BoD

Nature en scène

recueil de nouvelles 2023

BoD

Le fantôme du campanile

recueil de nouvelles 2021 (épuisé)

Livio Editions

« Longtemps, Outre-mer a été mon esprit ... »

Saint Louis.

TABLE

BIENVENUE

CHAPITRE UN

Qui traite de la course à pied comme moyen de réveiller le passé

CHAPITRE DEUX

Comment des rencontres peuvent façonner un destin

CHAPITRE TROIS

Où il est question de rigueur, de discipline et d’ascétisme, et aussi de philosophie, de sciences et de religion...

CHAPITRE QUATRE

Où des évènements initiatiques laissent augurer de la suite...

CHAPITRE CINQ

Où des évènements de même nature continuent de préparer l’avenir…

CHAPITRE SIX

Qui raconte comment l’avenir se concrétise en terre africaine et fait état, entre autres, d’une bizarre histoire de crocodiles

CHAPITRE SEPT

Des aventures qu’il advint, à l’occasion de l’édification d’un grand barrage au cœur de la Côte d’Ivoire…

CHAPITRE HUIT

De la manière dont le Président Houphouët-Boigny entreprit, juste après l’Indépendance, de développer son pays et où l’on raconte comment s’y prendre pour créer un ranch d’élevage en terra incognita...

CHAPITRE NEUF

Où une course en montagne devient l’occasion de méditer sur la condition africaine

CHAPITRE DIX

Comment « l’appel de la savane » permet de découvrir de nouveaux horizons à travers des paysages et des hommes…

CHAPITRE ONZE

Où l’on s’intéresse à un nouvel abécédaire pour prendre un peu d’altitude...

CHAPITRE DOUZE

“Vingt ans après”, ou comment un pèlerinage en terre ivoirienne conduit à de multiples interrogations…

CHAPITRE TREIZE

Des tribulations du système capitaliste au Bénin, empêtré dans le culte vaudou, le socialisme scientifique

CHAPITRE QUATORZE

Comment les méthodes d’analyse économique et financière des projets vous propulsent au plus haut sommet de l’Europe

CHAPITRE QUINZE

Où l’on découvre un pays hautement touristique et comment la riziculture intensive fait augmenter le prix des femmes à marier

CHAPITRE SEIZE

Où il est question de « Sodade » au « petit pays de Césaria Evora : « Dess nha terra d’Sao Nicolau »

CHAPITRE DIX-SEPT

Qui fait état d’une institution française, créée par le Général de Gaulle et célébrée par un prix Goncourt, devenu territoire de l’Empire du Milieu

CHAPITRE DIX-HUIT

Qui raconte les déconvenues des agriculteurs d’un pays propice à l’agriculture

CHAPITRE DIX-NEUF

Comment un cadeau de la nature devient au fil du temps un produit dont le prix fait ou défait l’économie

CHAPITRE VINGT

Qui traite d’une manière originale de découvrir la Grosse Pomme

CHAPITRE VINGT-ET-UN

Où l’on découvre que Courteline est toujours vivant

CHAPITRE VINGT-DEUX

Comment l’agriculture du Livradois-Forez peut t’amener à la découverte d’Hispaniola, de ses roses de Noël et d’une certaine pierre bleue

CHAPITRE VINGT-TROIS

De ce que découvrit ton serviteur de la mer des Caraïbes au Pacifique

CHAPITRE VINGT-QUATRE

Où l’on revient sur le littoral de l’Atlantique et de la Méditerranée, au pays des épices et des oasis, des hauts sommets, de l’argan et des palmiers

EPILOGUE

BIENVENUE…

Avec l'âge, à ce moment où le soleil décline, m'est venue cette exigence de plus en plus obsédante de la mémoire des autres. Et me voici à égrener les souvenirs qui remontent et se bousculent dans ce passé vécu au fil des espaces et du temps. Au cours de ces années, j’ai eu le privilège d’habiter nombre d’histoires qui m’appartiennent à peine mais vont sûrement disparaître avec moi si je ne les dis pas.

Certes mes notes et mes carnets illustrés de photos sont là, mais la photo ne suffit pas, elle relève du cliché, de l’instant « t » ; elle ne rend compte ni du contexte, ni de l’humeur : elle ne raconte pas la vie. Alors j’ai écrit. Ecrit les mots qui font naître des images, images qui font vivre les mots. Ecrit, comme pour consigner ma vie, vivre une seconde fois, revenir à mon point de départ et retrouver, en quelque sorte, « la jeunesse de l’homme âgé ».

Du chêne au baobab relate mon parcours de jeune pyrénéen (le chêne symbolise les Pyrénées), avide d’espaces et d’aventures, depuis mon enfance jusqu’au terme de ma carrière professionnelle retraité en Provence, après une vie dédiée à l’aide au développement des pays du Sud : aire du baobab...

Voyageant à travers une quinzaine de pays sur chacune des rives de l’Atlantique (dont la Cote d’Ivoire, le Maroc, Cuba, le Sénégal, le Cap-Vert, le Costa Rica …), le lecteur est immergé dans les réalités des sociétés : leur histoire, leur géographie, leur culture, leur environnement précaire où la tradition l’emporte souvent sur la technique.

Le récit est illustré d’anecdotes pittoresques ou insolites à travers des témoignages vivants de personnages hauts en couleur, mais aussi émaillé de paysages saisissants caractéristiques des régions tropicales.

L’ouvrage raconte la vie et le métier d’un agronome du développement et fait découvrir les méandres de la mise en œuvre de projets agricoles et d’aménagement rural. Le constat, un brin désabusé, consacre l’échec de cette vaste entreprise de Coopération dans trop d’Etats du Tiers-Monde des années soixante. Cette situation interpelle sur ce gâchis qui explique les phénomènes actuels de migration constants et croissants qui deviendront, à terme et si rien n’est fait, politiquement insupportables.

Les dernières pages livrent enfin un condensé de réflexions sociétales suscitées par les ravages d’un monde sans solidarité, aux mutations incontrôlables.

CHAPITRE UN

Qui traite de la course à pied comme moyen de réveiller le passé…

Après demain jeudi 1er février 1990 est prévue au Ministère de l’Agriculture de Bujumbura, la réunion de restitution de ma mission au Burundi où je suis arrivé depuis déjà une dizaine de jours. Y assisteront outre le ministre tous les chefs de projet de mon secteur – celui du développement rural – les responsables nationaux techniques ou institutionnels et enfin le chef de la Mission de Coopération, structure administrative représentant dans le pays le Ministère français du même nom.. La tâche sera assez compliquée car les projets financés par la France sont nombreux dans ce petit pays de quelques six millions d’habitants situé en Afrique de l’Est.

La France est en effet le premier bailleur de fonds au Burundi et les priorités de nos contributions doivent rester dans la ligne des programmes en cours axés sur les secteurs clés du développement économique agricole que sont l’agro- industrie, la recherche agronomique, l’élevage, le développement rural intégré et le crédit rural.

Courir, en cette fin d’après-midi sur la piste bordant le lac Tanganyika, comme proposé par le vétérinaire assistant technique en charge du projet d’amélioration génétique bovine, qui connaît bien mes habitudes, me sera profitable pour mettre un peu d’ordre dans les grandes lignes de cette réunion. Le parcours est somptueux, à travers une végétation de rêve : flamboyants, bougainvilliers, passiflores, hibiscus, sapotilliers, strelitzias et autres frangipaniers y disputent la variété de leurs couleurs aux subtilités de leurs parfums.

Après un échauffement insuffisant à mon goût, mais je suis bien obligé de suivre mon coopérant de véto qui a tenu à m’accompagner, je suis surpris par le nombre de pratiquants que nous croisons, européens ou africains ; mais il est vrai qu’ils sont nombreux ces burundais sur les podiums des compétitions internationales …

Mais pour l’instant point de compétition ; voilà qu’après une petite demi-heure de course mon compagnon de route se plaint d’un point de côté insupportable qui le contraint à me laisser poursuivre seul. Ah ! Ces jeunes … je lui ai pourtant recommandé de démarrer doucement, de monter très progressivement en puissance. Me voici donc admirant sur ma gauche ce que les géographes ont baptisé avec le Rwanda « le pays des mille collines ». Situé au cœur de l’Afrique, cette zone montagneuse a un climat doux et même frais parfois. Cultures et pâturages, à plus de mille mètres d’altitude, composent l’essentiel d’un paysage vallonné et verdoyant et, évidemment cela n’est pas sans me rappeler mes Pyrénées. Je dîne ce soir chez l’ambassadeur, énarque mais sympathique : il est chti. Il garde un souvenir ému d’un court séjour à Pau, il sera ravi, en guise de récréation, d’entendre parler des Pyrénées. Alors ? La réunion d’après demain ou l’évasion ? Il fait bon, je me sens léger, le clapotis de l’eau à ma droite m’invite à gamberger à plusieurs milliers de kilomètres d’ici. La réunion ? demain je reviendrai courir …

Imaginez-vous dans l’espace, Monsieur l’Ambassadeur, l’œil tourné vers la Terre. Les Pyrénées ? C’est ce petit point totalement insignifiant noyé dans la masse des continents. Vous descendez un peu et là, les Pyrénées vous apparaissent comme une cicatrice reliant la péninsule Ibérique au reste du continent européen. Descendez encore plus bas : des vallées orientées nord –sud tailladent le relief qui relie les cinq cents kilomètres séparant les eaux de l’océan Atlantique de celles de la mer Méditerranée.

Plus bas encore, vous distinguez les diverses tonalités de vert suivant les essences forestières, les pâturages, les villages, les granges, les cabanes dans les estives : oui les Pyrénées sont là, bien vivantes !

Attention, n’allez surtout pas dire à un pyrénéen que ses montagnes sont insignifiantes ou à un amoureux de ces sommets qu’ils sont dérisoires face à ceux des Alpes ou des Andes, la réaction risquerait d’être vive …

C’est dans l’effort et la lenteur de la progression de la randonnée que j’ai découvert, année après année, et relativement jeune ces Pyrénées, pas à pas, itinéraire par itinéraire. Chaque village est différent, chaque vallée à nulle autre pareille. On les dit méditerranéennes ou atlantiques, espagnoles ou françaises, ariégeoises ou béarnaises : les Pyrénées sont plurielles dans leur nature comme dans l’esprit des hommes. Alors à chacun ses Pyrénées, au rythme de ses pas, de ses regards, de ses humeurs ou de ses désirs …

Les miennes, où se situent les Frontignes, dans le Comminges, (Antichan des Frontignes) sont situées rigoureusement au centre de la chaîne - de la cordillère si vous avez la tripe espagnole – c’est à dire dans la partie la plus élevée où les sommets dépassent souvent les trois mille mètres. Elles sont entaillées par de nombreuses vallées, fermées, en cul de sac et offrent une originalité à la fois climatique - le passage du tunnel de Vielha pour accéder au versant sud peut donner des changements saisissants entre la pluie et la végétation verdoyante de chez nous et le ciel bleu et l’aridité du versant espagnol - et politique : depuis plus de six cents ans, le Val d’Aran, correspondant à la haute vallée de la Garonne appartient à l’Espagne. Si bien qu’à la pluralité des paysages s’ajoute une note d’exotisme tout proche : le val d’Aran étant situé à moins de vingt kilomètres. .

Les historiens nous expliquent que l’habitant lambda de cette région et notamment celui des hautes vallées est en généralfort et robuste, vif par caractère, circonspect par habitude et par réflexion. Rarement il résiste à l’autorité par des actes de violence mais il l’use, il la mine par sa force d’inertie ; il ne dit pas « je ne veux pas faire » mais il ne fait pas et son opiniâtreté à cet égard est incalculable. Las, à l’image de ses vallées, l’autochtone pur jus ne communique pas, n’échange pas. Replié sur lui-même, il reste fermé, évolue en solitaire et voit d’un mauvais œil l’incursion de « l’étranger » sur son territoire. L’étranger : celui qui arrive du département voire du canton voisin… C’est pour cette raison sans doute qu’il arrive aux touristes en mal de cliché de qualifier, à juste titre, ces gens de montagne de dernières tribus «d’aborigènes pyrénéens »…

Les paysages ici sont d’une grande diversité, on l’a déjà dit, mais d’une non moins grande fragilité ; les lacs sont de plus en plus artificialisés alors que sur quelques rares faces nord se meurent les derniers névés et glaciers. Les trop nombreux chantiers « d’aménagement de la montagne » : exploitation forestière, voies de communication, pistes de ski et autres améliorations pastorales compromettent irréversiblement cette mosaïque paysagère laissée à l’abandon par une société montagnarde frappée autant par l’exode que par la résignation.

La forêt recolonise les anciennes prairies, la friche s’installe dans les chemins ou, à l’inverse, ces anciens chemins devenus routes forestières sont envahis par des engins motorisés en tout genre conquérants et pétaradants : quads, quatre- quatre, motos … à la recherche d’on ne sait quelle émotion. Alors il faut monter, grimper, aller au-delà des estives dans ce monde minéral des cirques sculptés par les glaciers, des éboulis mouvants et des crêtes aiguisées par le gel qui se mirent, comme dans un gigantesque palais des glaces, dans les mille facettes des étangs.

… La nuit approche, j’ai soudainement un doute pour retrouver l’itinéraire emprunté à l’aller : je n’ai pas souvenance de l’intensité du parfum exhalé par ce champ de caféiers en fleurs… La fraîcheur du soir, à mille deux cents mètres d’altitude, accentuée par l’humidité ambiante, doit certainement favoriser ces émanations si douces et si prégnantes à la fois. Dix huit heures ! Cela fait deux heures que nous avons quitté l’habitation du coopérant ; le soleil encore chaud portait des reflets mouvants sur le lac alors que je n’arrive plus à distinguer la surface de l’eau qui s’étend à l’infini. Il est temps de rentrer, il ne serait pas très sérieux d’arriver en retard à l’ambassade. Le dîner est convivial, détendu, sans protocole et savoureux. Après avoir rassuré le représentant de la France sur le bien fondé de l’utilisation des deniers de nos braves contribuables, les Pyrénées reviennent à l’honneur.

« Passionnant vos montagnes ! Mais dites –moi, vous faisiez un parallèle entre les paysages agrestes du Burundi et votre village : forêts, pâturages, élevages ? .. »

Le « pays » des Frontignes est une micro entité géomorphosociologique riche d’une dizaine de villages – ou plutôt de hameaux – représentant moins de mille habitants rattachés au canton de Barbazan, lui-même administré par la sous-préfecture de Saint Gaudens. Il est situé rive droite du cours supérieur de la Garonne, large vallée - unique dans les Pyrénées - où le rabot glaciaire a modelé à la perfection une topographie en auge, typique des livres d’école de mon enfance : la fameuse vallée en U.

Au-dessus des abrupts de l’auge peuplés de chênes verts, un pseudo plateau suspendu doit sa formation à un épanchement latéral du glacier de jadis marqué par le lac « sans fond » de Saint-Pé-d’Ardet.

Les Frontignes sont là, à travers des calcaires sculptés par l’érosion et servant de soubassement à d’épaisses forêts de hêtres et d’épicéas au pied desquelles s’étalent, ça et là et timidement quelques prairies. C’est ici que les Pyrénées se donnent à voir et s’offrent autant aux envies de savoir qu’aux désirs de conquête. Droit devant, plein sud, le spectacle d’une splendeur sans faiblesse qui aimante le regard.

Aussi loin que porte ce dernier, on observe une véritable mosaïque de forêts, de rocs et de crêtes orientés est-ouest et se succédant à la faveur de plans successifs dont le dernier marque les confins méridionaux de l’Occitanie et de la France.

Rien ne vient jamais interrompre l’infinie perspective que fait l’axe de la vallée si ce n’est, à l’automne, un long ruban de palombes qui se détache au-dessus des brumes d’un vert turquoise, pour traverser les neiges célestes de la Maladetta espagnole et rejoindre le grand Sud.

Mont de Galié est le village le plus élevé de ce pays des Frontignes.

Notre chalet est l’habitation la plus élevée de Mont de Galié entouré de chênes centenaires. Il domine le village comme il domine la vallée. Je l’ai fait construire là dans les années soixante dix comme un refuge, port d’attache de notre vie d’expatriés. Ici je communie littéralement avec la montagne ; je ne l’habite pas, c’est elle qui m’habite. Pablo Neruda, chilien Nobel de littérature, a terminé sa vie au bord du Pacifique qui le fascinait, ce qui lui a inspiré « El mar » : « La Mer ».

Je reprends ce poème à mon compte en l’adaptant sans le trahir :

« La montagne débordait de la carte ;

On ne savait où la mettre !

Elle était si grande, fantasque et colorée

Qu’elle ne contenait nulle part ;

C’est pourquoi, ils l’ont laissée en face de ma fenêtre »

Tout est parti de ce village il y a quelques soixante ans.

Pourquoi certains souvenirs se défilent-ils si vite alors que d’autres restent d’une netteté hallucinante ? Je revois ces visages d’anciens sur le banc de la place, je respire ce fumet d’omelettes cuisinées à la cheminée, je sens l’odeur tiède des étables tandis qu’à bout de souffle nous sommes cinq six potaches à boucler à toutes jambes le nième tour du village : église –fontaine- école- église.

J’appartiens à cette race paradoxale d’hommes qui ne sont pas nés dans leur village natal. Celui où j’ai passé les meilleures années de ma jeunesse n’en reste pas moins mon village natal ; je veux dire plus natif que nature : par ancestralité.

Mont de Galié tire son nom de sa position au-dessus de Galié qu’il surplombe de quelques cinq cents mètres. « La commune est à 867 mètres d’altitude. Elle jouit d’un climat doux. Le soleil du matin au soir y darde ses rayons ; les hivers n’y sont point rigoureux, les étés n’y sont pas chauds et les automnes y sont longs. Le thermomètre y descend rarement à 12 degrés en dessous de zéro et ne s’élève guère à plus de 30°. L’air y est pur et sain. Les vents du nord et de l’est qui soufflent si fort dans la plaine se font à peine sentir à Mont de Galié : deux montagnes empêchent ces vents d’arriver au village. Il y pleut assez fréquemment, la hauteur moyenne des pluies qui y tombent chaque année est de 80 cm environ. Il n’existe pas de marécages dans la contrée et les maisons sont construites sur des terrains secs ; par conséquent une grande salubrité règne dans le pays ».

Ainsi est rédigée, à la date du 15 juin 1886, par l’instituteur du village, la « monographie de la commune de Mont de Galié » archivée au département de la Haute Garonne.

C’est là, à un jet de pierre, à Antichan des Frontignes blotti au pied du Pic du Gar, qu’est né mon père. C’est là, quelques décennies plus tard qu’il est revenu avec sa famille, chassé par le climat trop humide des plaines de l’agenais – où je suis né – qui s’acharnait avec obstination sur la santé de ma mère en perpétuelles crises d’asthme. C’est là donc que nous venions en vacances depuis Montréjeau – Gourdan Polignan, nouvelle affectation de mon cheminot de père, bourgade éloignée d’une douzaine de kilomètres de notre Montagne et nœud ferroviaire « stratégique » reliant les vallées pyrénéennes du Béarn et du Comminges à Toulouse capitale régionale. C’est là que mon destin s’est peu à peu dessiné. J’y ai appris à découvrir la nature dans ses multiples aspects, des plus subtils aux plus agréables, des plus mystérieux aux plus inquiétants, à l’âge des émotions fortes empreintes de romanesque et de poésie. C’est sans doute cette découverte qui a forgé mon imaginaire et scellé progressivement l’idée que je me faisais de mon existence : de mon futur métier, même si, à ce moment, je n’en soupçonnais pas le moins du monde l’existence.

Et c’est à Mont que je suis moi aussi revenu avec ma famille, dans les années 1970, pour y abriter mon jardin secret.

Si le pays n’a guère changé, la monographie de notre hussard de la République est à revoir. Le village est toujours là bien sûr avec ses tuiles rouges, son église, sa fontaine et son école. Il offre toujours un superbe paysage de montagne mais les prairies ont disparu, la forêt a récupéré les champs de blé, de patates et de vignes et le banc de la place est vide, désespérément froid et silencieux. Ses occupants n’ont pas été remplacés à l’exception d’un héritier irréductible que les temps modernes n’ont pas réussi à rattraper. Il partage la commune, à contre cœur, avec une famille enseignant à la ville venue s’installer là pour le calme et la beauté du site.

Mont de Galié est orphelin, Mont a perdu sa vie, Mont a perdu son âme …

CHAPITRE DEUX

Comment des rencontres peuvent façonner un destin

« On attribue aux prêtres bouddhistes le fantastique succès de la culture du thé et son utilisation en tant que boisson destinée en Extrême -Orient à combattre l’intempérance qui y régnait. Le thé lui-même – Camellia sinensis – autrefois connu sous le nom de Thea sinensis, pousse à l’état sauvage dans les forêts de mousson de l’Inde occidentale et de l’Indonésie. En tant qu’arbuste toujours vert, il peut atteindre neuf mètres de hauteur sous les tropiques.»

Je relis mon très épais « polycop » du cours d’arboriculture qui porte prioritairement bien sûr sur nos essences fruitières ou forestières rencontrées en occident : pommiers, cognassiers, châtaigniers ou autres hêtres et chênes-lièges.

Mais l’intérêt de cette lecture n’est pas là, et je me revois dans le vaste amphi de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique buvant chaque parole de mon professeur, P. Rivals, intarissable sur les séquoias géants d’Amérique, les ginkgos des temples d’Asie, les baobabs africains…Son savoir encyclopédique, sa connaissance du terrain validée par son expérience de globe-trotter, sa passion, son enthousiasme communicatif, subjuguent l’auditoire. D’autant que celui-ci est composé de jeunes, étudiant dans la monotonie des années 60, à peine émergés du cocon familial et ayant pour la plupart rarement franchi les frontières du pays voire du département. Les médias sont austères et tristes. La télévision arrive timidement dans les foyers les plus aisés.

Alors comment ne pas rêver et s’évader à l’évocation du « cacaoyer originaire du bassin de l’Orénoque dont les fleurs roses en forme d’étoiles s’insèrent sur le tronc », de « l’huile de coprah extraite de la pulpe fraîche de la noix de coco », du vin de palme, de la kola, du kapokier, du papayer, du frangipanier, du corossolier, de l’anacardier, du manguier … ou de l’huile de cananga obtenue par pression des fleurs d’ylang-ylang à Madagascar. Ou encore du sapotillier, qui pousse dans les zones humides du Mexique, dans le Yucatan, et dont la sève blanche et laiteuse fournit la gomme arabique nécessaire à la fabrication du chewing gum …

Les arbres “de chez nous ” je les ai appris et aimés lorsque, gamin, j’accompagnais dans les hautes Frontignes Léon Puccianti, bûcheron charbonnier : mon premier précepteur en la matière.

Ami de mes parents, cet italien, immigré de longue date mais à l’accent encore très marqué, exerçait sur moi une sorte de fascination par sa connaissance de tout ce qui avait trait à la nature. Son regard doux et généreux me rappelait celui de Georges Brassens, tandis que sa voix calme, posée, mesurée, dispensait un je ne sais quoi de réconfortant, de reposant.

A la cinquantaine, il semblait avoir déjà atteint à ce plein équilibre fait de patience et de sérénité que la plupart n’acquièrent que dans la vieillesse.

De taille moyenne, il était droit et sec ; la peau tannée par le soleil et le froid, le visage émacié, buriné mais toujours lumineux.

A Mont, Christian avait la responsabilité des chemins. Originaire de Provence, il avait fui son pays pendant la guerre et avait élu domicile dans les Pyrénées.

Il était connu comme « l’étranger » mais surtout pour son savoir-faire : construire des murs en pierres sèches.

Ainsi vendait-il ses journées aux particuliers et aux communes ; résidant à Galié, Mont l’employait pour l’entretien des chemins. Je le croisais souvent ; il me parlait de sa Provence, du soleil, de la mer, des cigales et de son métier : murailleur. Ici il remontait les murs effondrés par le ruissellement des eaux.

Avec lui j’ai appris à les reconstruire en me servant de piquets en bois et d’une ficelle appelée cordeau pour bâtir bien droit. Comment dégager le sol, creuser un peu la terre, prendre les pierres les plus grosses pour les mettre en bas, bien choisir la face extérieure, donner du « fruit » au mur, c’est à dire une très légère inclinaison -quelques degrés – vers l’amont.

Construire un mur « en sec » est un exercice pénible mais cérébral qui enseigne la patience, la précision et la prévision. En somme la « vision d’ensemble » des choses. Il enseigne aussi à ne pas réparer uniquement un simple pan en gardant la plus grande partie possible de l’ancien mur. Cela peut surprendre mais toute bonne construction commence par la démolition …

Par cet exercice très physique, Christian m’expliquait aussi que dans la vie, une qualité très précieuse était ce qu’on appelait « le biais ». Je ne comprenais pas ce mot mais selon lui, « le biais » était une manière adroite et plus facile de réaliser toute chose. Et, effectivement, malgré la grosseur et la lourdeur des pierres Christian les manipulait sans effort et sans fatigue. Jamais il ne les soulevait, il les faisait rouler ou les déplaçait à l'aide d'une barre de fer : « Tu vois, c’est cela avoir du biais : il ne faut jamais attaquer les choses de front, la voie oblique est souvent la meilleure. Même avec les pierres on peut ruser. »

Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ...

CHAPITRE TROIS

Où il est question de rigueur, de discipline et d’ascétisme mais aussi de philosophie, de sciences et de religion….

Au Petit Séminaire, (6 Rue du Barry à Montrejeau) j’ai appris bien d’autres choses mais de manière bien différente.

Cet ancien hôtel particulier de la famille de Lassus est une bâtisse imposante. On y accède par un grand perron situé sous une avancée en terrasse surmontée des armoiries du fondateur. Un clocheton rajouté au dix neuvième siècle s’inspire de celui de l’Hôtel de Ville de Paris ; il est en ardoise et plomb et pèse plus de six tonnes.

Ma mère nourrissait le secret espoir qu’un de ses deux fils devienne prêtre. Mon frère, de sept ans mon aîné, n’ayant pas manifesté de dispositions je faisais l’objet d’une attention toute particulière très dirigée vers la religion. Après avoir réussi l’examen des Bourses et celui d’entrée en sixième le petit séminaire était le lieu idéal pour assurer mon éducation dans la voie la plus appropriée.

A onze ans, je débutais donc ma ‘carrière’ de pensionnaire puisque je le suis resté par la suite au Lycée de Saint Gaudens puis en « prépa » à Toulouse au Lycée Pierre de Fermat. Soit pratiquement une décennie. Pensionnaire ! …

Aujourd’hui encore je ressens le vertige, la sensation d’un vide abyssal comme si la vie joyeuse, lumineuse, bondissante, infinie s’estompait brusquement prisonnière des murs d’enceinte, des cloisons des salles de classe ou d’étude, de la nuit des dortoirs, de l’œil sombre sévère et froid des curés dans leur soutane noire.

Dispensées dans un cadre aussi austère, la grandeur et la majesté des Racine, Molière, Bougainville ou Vasco de Gama au programme de sixième en prenaient un coup et mon intérêt s’en trouvait singulièrement entamé.

Je m’évadais alors de la monotonie de ces journées invariables et sans fin.

Lever à six heures au son de la cloche, cruelle cloche ! Surtout en hiver où le lit est si bon. Un quart d’heure pour faire son lit et sa toilette. A six heures un quart la prière suivie de la méditation que fait monsieur le Supérieur sur des sujets divers… puis vient l’heure d’étude pour apprendre ses leçons et relire ses devoirs : l’esprit étant frais et reposé possède toute sa vigueur ! … A sept heures trente messe pour toute la communauté. Immédiatement après, une demi–heure de récréation et déjeuner. On sonne la classe à huit heures trente : chaque professeur vient prendre ses élèves ; on sort à dix heures pour un quart d’heure de récréation puis étude. Midi, Angélus et réfectoire ; le benedicite est dit par le Supérieur. Les jeunes professeurs occupent le bout des tables pour exercer la surveillance. On se tait. Midi trente récréation, puis étude ; quatorze heures trente : classe, seize heures trente goûter ; dix sept heures étude, la plus longue de toute, et par conséquent la plus favorable aux travaux importants : rédaction d’histoire, composition française. Dix neuf heures réfectoire, la journée se termine par la prière ; coucher vers vingt heures en hiver, vingt et une heures en été.

C’est le temps du grand silence. Quand tout le monde est au lit, le surveillant récite à voix haute la belle prière commençant par ces mots : « le sommeil est l’image de la mort … » puis l’acte de contrition. Quelques instants après tout dort, si ce n’est la lampe qui veille sur cette espèce de tombeau vivant …

La rudesse de la vie faisait partie des principes. Le bâtiment des classes était sans doute très lumineux et très aéré mais le chauffage n’avait pas été prévu. Ainsi chaque classe avait un poêle ; le tuyau soutenu par des fils de fer, sortait directement à l’extérieur à travers une tôle posée à la place d’une vitre. Les matins d’hiver, c’est le supérieur en personne qui assurait la distribution de quelques bûches aux responsables de chaque classe. On chauffait le matin, rarement l’après-midi. Le système était le même à la salle d’étude. On y passait le plus clair de la journée. Tous les élèves, grands – moyens – petits, y étaient regroupés. Il faut préciser que l’immense orangerie de l’hôtel de Lassus avait été reconvertie en salle d’étude. Le silence y règne en permanence. On y apprend les leçons, on y fait les devoirs, les prières du matin et du soir ; on y écoute la « lecture spirituelle », curieux nom ! Cela consiste en la lecture d’un chapitre de la vie d’un saint faite par un élève d’une grande classe. Les jeudis et dimanches, il est possible de s’adonner à la lecture des livres empruntés à la bibliothèque de la classe ; mais seuls ont le droit de lire ceux qui ont obtenu la moyenne la semaine précédente. La lecture d’autres livres étant sévèrement surveillée, pupitres et armoires sont régulièrement visités. Malheur à l’imprudent qui garde dans quelque pli du linge ou quelque coin d’un meuble un livre prohibé ! Ce pouvait être un cas d’exclusion sans appel !

Pendant les récréations, le jeu était obligatoire et organisé par le surveillant. Quand on ne joue pas, on ne doit rester ni seul ni avec un seul camarade.

Il était hors de question que les dortoirs soient chauffés. Quel élève ne se souvient des réveils d’hiver où l’on constatait que le gant de toilette était gelé ! Le temps du lever et du coucher était des plus brefs. Le soir, on avait le droit de se laver les pieds et les dents dans les lavabos collectifs qui servaient aussi à la toilette du matin.

On prenait la douche le samedi matin pendant l’étude. Dans tous les cas les ablutions étaient sommaires et rapides : on n’aimait pas trop l’eau en ce temps là…

Enfant, je ne comprenais pas cet univers si particulier de rigueur, d’ascétisme, d’isolement, de silence et aussi de doutes, de suspicions et de mystères, lorsque chaque samedi il fallait raconter sa vie dans l’obscurité, à son confesseur à travers une petite cloison à claire-voie - le judas- d’un confessionnal aussi sinistre qu’insolite.

Toute ma vie, le syndrome de l’enfermement m’a habité. Les jours de pluie ou de mauvais temps, je supporte encore difficilement la proximité des murs d’habitation fut-elle confortable et coquette. Ma vie est à l’extérieur, dehors. J’ai besoin d’étendues, de perspectives, d’horizons et je reste persuadé que l’espace est aussi indispensable que le temps à l’épanouissement de la vie.

En Afrique, j’ai souvent comparé notre « bigoterie » catholique aux rituels animistes appelés là-bas « gri-gri » : l’eau bénite, le chapelet, la croyance à l’efficacité des sacrements ou de certaines prières, au fait de faire brûler des cierges … et puis comment peut-on parler sérieusement de la « sagesse » des religions alors qu’elles ont été, et sont encore, la cause de tant de guerres ! ..

« Et Dieu dans tout ça ? » ajouterait Jacques Chancel, notre pyrénéen cathodique.

Jean d’Ormesson, de l’Académie, lui répond : « Dieu n’est pas seulement le rêve le plus grand qui ait jamais hanté l’esprit des hommes. Il est peut-être la seule réalité ; celle auprès de qui l’Histoire, l’existence, l’Univers, l’espace et le temps, vous et moi et tout le reste ne sont qu’un brouillard qui se dissipe, un cauchemar passager, une illusion, un néant. Il est l’origine de tout, la cause de tout, le but final et l’explication dernière. Il ne tolère aucune discussion, aucune hésitation, pas la moindre réserve. Il est toutes les réponses et ne pose aucune question. Sauf une : existe-t-il ? »

Alain Souchon, en écho et en musique s’interroge : « Abderhamane, Martin, David, et si le ciel était vide ? » C’était en 2005, le chanteur exprimait les doutes de la majorité des français puisqu’un sondage, publié à la même époque par le Monde des Religions indiquait que 35% d’entre eux se déclaraient athées, quand 30% se reconnaissaient agnostiques.

Boris Cyrulnik, spécialiste de l’éthologie humaine à l’Université de Toulon, considère Dieu comme une représentation apaisante que l’homme se fabrique dans toutes les cultures : « Dieu est une belle construction culturelle ».

Pour lui, la quête scientifique de l’existence de Dieu est incompréhensible.

Il est vrai que la croyance en Dieu n’est pas réfutable par la science ni d’ailleurs démontrable. Car pour démonter que Dieu n’existe pas, il faudrait d’abord savoir très précisément qui il est. Dire quels sont les attributs de cet être dont on dit qu’il n’a pas de réalité. Or comment connaître Dieu s’il n’existe pas ? …

Tandis que s’agrandit sans cesse le champ de nos connaissances, un domaine reste inaccessible à la science : celui de la foi. Et nous demeurons libres d’inventer notre propre vérité. C’est bien le seul domaine où nous pouvons encore dire ou croire ce que nous voulons sans crainte d’être démentis par les faits.

Et puisque la philosophie pas plus que la science est incapable de nous éclairer, il faudra bien se contenter de sentiments tout simplement humains :

« S’il y a quelque chose en moi que l’on puisse appeler « religieux », ce serait mon admiration sans borne pour les structures de l’univers pour autant que notre science puisse le révéler » nous confie Albert Einstein.

On pourrait aussi bien partager la poire en deux en rapportant cette anecdote selon laquelle le pape Jean Paul II, recevant Stephen Hawking (autre astrophysicien de renom), lui aurait déclaré : « Nous sommes bien d’accord, monsieur l’astrophysicien, ce qu’il y a après le Big Bang c’est pour vous, mais ce qu’il y a avant, c’est pour nous… » Chacun y trouverait son compte…

Mais au fond, et tout bien pesé, pourquoi ne pas s’interroger sur notre vie de tous les jours, il y a tant et tant à observer. Oscar Wilde nous ouvre une piste : « Il n’y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les apparences : le vrai mystère du monde est le visible et non l’invisible. » Tandis que Stendhal résume à merveille notre questionnement : « Je ne crois pas en ce Dieu qui me manque. »

Pour ma part je me réfère à Georges Brassens dans Le Mécréant : « si l’Eternel existe, je crois qu’il voit que je me conduis guère plus mal que si j’avais la foi. »…

Je n’ai gardé aucune rancœur, aucune animosité de ces années au séminaire volées à ma prime jeunesse. J’ai même souscrit, quand l’amicale des anciens me l’a proposé, à l’édition de l’ouvrage « Histoire de Polignan » - haut lieu de culture en pays Commingeois - établi sous la plume de Jacques Ducos à qui j’ai d’ailleurs emprunté - en contrepartie - un morceau du chapitre « images de la vie quotidienne » rapporté ci dessus.

J’ai conscience que ces trois années vécues à « L’Ecole Notre Dame » de la sixième à la quatrième m’ont sans doute apporté des principes de vie. Certainement forgé aussi le caractère dans un cadre de discipline érigée en symbole : « Ce qui fait la grandeur de notre maison, c’est la discipline. » C’est ainsi que s’exprimait le Supérieur dans un toast prononcé à un réunion annuelle des anciens.

Et puis comment ne pas tirer une certaine fierté d’avoir été assis sur les mêmes bancs que le Maréchal Foch, natif de la région.

Et surtout comment ne pas reconnaître que par l’entremise d’un membre du clergé est née en moi cette attirance pour les horizons lointains.

Argentin d’origine, l’abbé Pène avait la voix grave et profonde d’un baryton d’opéra. Sa stature d’armoire à glace nous impressionnait et nous restions figés sur nos bancs quand il s’emportait – ses colères étaient légendaires – et vitupérait l’administration ou le poêle en fonte qui fumait. Je crois bien qu’à ces moments les vitres de la salle de classe tremblaient …

Il était le seul professeur qui m’arrachait à ma torpeur. Malgré ses extravagances dans une communauté aussi convenue et uniforme où aujourd’hui hier et demain étaient identiques, il lui arrivait d’être jovial. Il avait cette faconde propre aux latinos marquée par la spontanéité qui jurait avec le ton monocorde et toujours compassé des autres professeurs.

Souvent l’abbé Pène nous parlait de l’Argentine : la grandeur sauvage et calme de la Pampa aux sols inépuisablement fertiles où se dressent les fastueuses « estancias », les élevages innombrables, les gauchos à cheval à travers l’immensité des pâturages - des pampas - …

Images d’Epinal mais qui ont fortement imprégné mon imaginaire en particulier quand il nous racontait comment s’étaient constituées ces fameuses estancias.

Vers le milieu du siècle dernier – le dix neuvième – un paysan savoyard part chercher fortune en Argentine. Il fonde un commerce dans une petite ville de la province de Buenos Aires et ses affaires prospérant, il décide quelques années plus tard d’acquérir de la terre. Les terres étaient mises aux enchères à Buenos Aires. Il s’y rend et achète « un champ » : un « campo » de dix huit lieues à trois cents kilomètres de la capitale. A cette époque et dans l’immensité de ce pays les lieues étaient de … deux mille sept cent hectares. Notre paysan savoyard est donc propriétaire de quelques cinquante mille hectares…

Quelques années plus tard il se rend sur son domaine : aucune route, aucun chemin de fer, aucun aménagement mais il y a de l’eau et le sol est incroyablement fertile. Il prend conscience de sa richesse mais reste fort peu désireux de terminer sa vie dans les solitudes de la Pampa. A la veille de la première guerre mondiale sa petite fille épouse un français installé en Argentine et choisit d’aller s’établir dans le campo de son grand-père. Notre abbé conteur se souvient d’avoir séjourné dans ces lieux dans les années 1920. La ferme, l’estancia, est entourée d’un bois de plusieurs dizaines d’hectares. Elle occupe une cinquantaine d’hommes : jardiniers, maçons, électriciens, ouvriers agricoles : « peones ». Tous vivent auprès de l’estanciero dans des bâtiments construits à cet effet. L’estancia, totalement autonome, produit tout ce dont elle a besoin : son eau, son électricité, sa nourriture. Tous les bâtiments y compris le fronton de pelote basque sont construits en briques fabriquées sur place. L’estancia constitue un véritable tout organique, pratiquement sans communication avec le reste du monde sauf pour l’exportation d’animaux par milliers : bovins, moutons, chevaux et des céréales par trains entiers : blé, orge, maïs.

Parler à des gamins de dix douze ans d’un pays doté d’une aussi grande variété d’extrêmes constitue une formidable machine à rêver qui laisse au fond de soi des traces indélébiles. Ces traces resurgiront tout au long de ma vie.

Mon frère, ayant compris que le séminaire ne se donnait pas pour finalité de conduire aux écoles d’ingénieurs, lui qui y avait séjourné jusqu’au bac, avait réussi à convaincre mes parents de m’orienter vers des formations plus classiques, plus scientifiques. Plutôt attiré par les sciences dites naturelles, la philosophie, la rhétorique et les humanités étaient bien loin d’emporter mon enthousiasme. Toutefois, je me suis aperçu par la suite que la connaissance du latin et du grec constituait le complément indispensable aux études professionnelles scientifiques.

Quoi qu’il en soit le rêve de ma mère s’acheva en cette fin de quatrième qui allait me conduire vers une autre forme de pensionnat, celui du lycée de Saint Gaudens. Merci mon frère ! …

Quant au Petit Séminaire, il a cessé son activité en 1981 et abrite aujourd’hui les services publics de la ville de Montrejeau.

La plupart des hommes et des femmes de ma génération ont été « préparés » à un certain type de vie pour ensuite l’abandonner en raison de mutations multiples et profondes que le monde a connu après la guerre.

Au contraire, et pour mon bonheur, cette enfance vécue au plus près de la nature conjuguée à la rencontre de personnages hors du commun révélateurs de mes aspirations latentes m’a préparé, façonné, conditionné à ma vie

CHAPITRE QUATRE

Où des évènements initiatiques laissent augurer de la suite …

Le DC8 de la compagnie UTA roule lentement sur le tarmac du Bourget pour rejoindre la piste. L’avion a retrouvé son calme après un embarquement agité et bruyant. Je suis bien assis près d’un hublot dans une travée marquée « emergency » beaucoup plus large que les autres : les jambes s’y allongent confortablement. Point fixe. Bruit assourdissant. Un coup sec, presque violent nous colle au siège. Ce jeudi sept juillet 1966, les deux cent cinquante tonnes du vol RK73 à destination de Douala, Cameroun, s’arrachent irrésistiblement à la pesanteur. Moins d’une heure plus tard le commandant de bord annonce « à droite de l’appareil vous pouvez apercevoir les Pyrénées et distinguer le pic d’Aneto »…Le jour se lève à peine. A dix mille mètres l’avion est stabilisé, comme immobile, il ronronne et nous berce. Au-dessous, la chaîne des sommets embrasée par les premiers rayons de soleil, au-dessus, le bleu du ciel embrumé par le jour. Partout où porte le regard, l’espace infini … Je savoure avec délice ce baptême aérien somptueux mais dans le même temps mon esprit vagabonde et s’interroge, s’inquiète : demain ? L’inconnu, l’aventure. J’y suis. J’ai donc tranché, décidé, parié aussi. J’ai engagé mon avenir sans connaissance de cause. Je n’ai plus le choix : début octobre, je serai à Paris sur les bancs de l’Ecole Supérieurec d’Agronomie Tropicale. Ce stage de deux mois au Cameroun – à l’Institut Français du Café et du Cacao – au fin fond de la forêt équatoriale est préparatoire à cette future année de spécialisation en « agronomie tropicale »… A ce moment précis, une vague de bonheur me submerge ; je l’ai tellement rêvé cet instant ! Depuis mon enfance je souhaite partir, loin, « voir ailleurs », de l’autre coté, à l’autre bout, mais vers le sud. Des livres, des photos, des timbres m’ont fasciné. A sept- huit ans je dessinais des paysages exotiques, des cartes de pays dits « tropicaux ». Il y a un attrait de l’exotisme ; un appel du voyage : rencontrer d’autres gens, d’autres cultures, d’autres natures. Curiosité sans doute inhérente à la nature humaine. D’autres l’ont exprimé tel P. Bruckner dans son roman « Le sanglot de l’homme blanc » : « Les peuples lointains, l’outre mer, les tropiques, nous disent par leurs cent voix, leurs prestiges, leurs mirages : Venez ! Venir vers quoi ? Ils ne précisent pas. L’étranger n’est pas une promesse ou un serment, seulement un appel ».

Il me semble que si j’avais eu un talent de poète, j’aurais émaillé mes poèmes de ces noms qui chantent le voyage, l’aventure, l’exotisme. Des noms géographiques qui doivent souvent leur renommée à l’Histoire. L’alliance de l’une et de l’autre a ainsi inspiré Aragon : dans « Le fou d’Elsa » il se promène dans l’Histoire et la géographie de l’Espagne.

« Donnez-moi le chant des fontaines

Murcie où sont les soirs si doux

Majorque et les îles lointaines

Avec leurs barques incertaines

Les barrages devers Cordoue

Le pré d’argent près de Séville

L’armoise autour d’Almeria

Et les monts comme un jeu de quilles

Sur les collines de jonquilles

Où Grenade s’agenouilla »

Des noms magiques résonnent dans ma tête : Tegucigalpa, Sao Jose Dos Campos, Casablanca, Chicoutimi, Bagdad, Vancouver, Buenos Aires, la Mer des Sargasses, Sierra Leone…

C’est pour cela que j’ai fait mes études. D’autres, et ils sont nombreux, ont eu d’autres motivations, plus idéologiques sans doute et certainement plus nobles. Depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale, un grand mouvement d’émancipation des peuples parcourait le monde. Les unes après les autres les colonies gagnaient leur indépendance ; l’Inde d’abord, puis l’Indonésie, plus tard les pays d’Afrique, l’Algérie … Si bien qu’un formidable ferment de mobilisation s’est révélé chez les jeunes de ma génération. Il s’est popularisé puis traduit en un enthousiasme débordant, quasi militant, vers ces nouvelles nations regroupées alors sous le vocable « Tiers Monde ».

Je n’ai pas été atteint par ce grand élan de générosité. Il est vrai que les idées nouvelles véhiculées par ce « tiers-mondisme » naissant, pétri de mauvaise conscience, n’ont pas trouvé, dans nos vallées reculées, un écho suffisant pour provoquer quelque élan de solidarité.

Pour avoir par la suite observé et mesuré le désarroi et la désillusion de certains de mes camarades d’école philanthropes partis comme des petits soldats, la fleur au fusil, pour réparer les « gâchis de la colonisation », je ne l’ai jamais regretté. Bien au contraire.

Je suis parti sans préjugés aucun, sans grandes théories sur le développement, sans idéal humanitaire et sans problème de conscience. Oui je suis parti presque inconsciemment, j’ai pris le pari. J’ai seulement répondu à cet appel …

Tous les jours de ma vie je bénis la providence pour cette décision. La plus importante que j’aie jamais prise, celle qui a comblé mon existence.

Douala : ciel gris, formalités de douane et de police dans un aéroport suffocant de chaleur et d’humidité avant d’embarquer à destination de Yaoundé où siège l’IFCC.

N’Kœnvone, est un village au centre de la grande forêt au sud-ouest du pays. C’est là qu’est implantée la station de recherche qui nous accueille. Une centaine d’êtres humains sont nés ici et, probablement, y mourront, isolés de tout, enveloppés par l’impénétrable où vivent les gorilles et les pygmées à la peau –dit-on – couleur de chlorophylle et qu’on ne voit jamais. La Forêt, gigantesque abdomen, à vingt mètres de notre « case de passage » développe ses anses et ses replis sur des centaines de kilomètres vers la Guinée ex-espagnole, le Gabon et le Congo .

Nous sommes parvenus là par l’unique piste carrossable venant de Yaoundé. Les premières cases, au toit de chaume, nous sont apparues au petit matin comme enfouies dans les entrailles de l’Afrique. Ecrasées par ce mur végétal, elles ressemblent à des vieillards accroupis couverts de chapeaux de paille.

Le décor est planté : je suis dans un autre monde, sur une autre planète …

Messieurs Braudeau et Llabeuf, à Yaoundé, nous ont expliqué et précisé notre travail, les documents à produire, les moyens dont nous disposons, le contenu du rapport final à remettre à la direction générale à Paris au plus tard un mois après notre retour. Il s’agit d’établir un « catalogue des clones de cacaoyers présents sur la station ». Un ingénieur, chercheur de l’ORSTOM, travaillera avec nous.