Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Après avoir vécu des aventures tumultueuses, Arthur et Marion mènent une vie heureuse à Los Angeles. Cependant, leur bonheur est éphémère, car ils se retrouvent plongés dans une violente course-poursuite à travers Londres, traqués par un gang de proxénètes sans pitié. Cette épreuve permettra à l’homme qu’est devenu Arthur de briser les chaînes de l’asservissement, mais à quel prix ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Commercial de l’édition à la retraite,
Gilles Cochet crée des univers et des histoires pour égayer le quotidien de ses lecteurs. Après "Obscurs desseins", paru en février 2023 chez Le Lys Bleu Éditions, il présente "Nobles Causes", deuxième tome d’une trilogie inspirée par ses aventures et son vécu.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 314
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Gilles Cochet
Nobles causes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gilles Cochet
ISBN : 979-10-422-1054-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Introduction
Il connut ce port improbable, ce bout de quai entre chien et loup, l’attente avant la corne de brume, l’annonce du départ signant la fin de la rêverie.
La cabine n’eut que peu d’utilité, y poser le bagage et quitter l’étroitesse du lieu, tel fut le seul et fugitif lien avec la chambre 225. Il déambula quelque temps dans les coursives, puis remonta sur le pont supérieur.
Le soleil couchant dessina sur la Mer du Nord des arabesques mordorées, les eaux ce soir-là eurent la clarté d’un miroir, nulle ride ne vint flétrir la lisse quiétude de ce qu’il prit pour un souvenir lointain : Le lac de Côme, en son écrin alpin, lui revint en mémoire, cette mer par son inhabituelle tranquillité raviva le souvenir d’une croisière romantique, sa compagne de l’époque ayant insisté, mise en scène digne de Visconti. Le tragique qui suivit la promenade lacustre n’en fut que plus cruel, quoique fort banal. C’en était fini de l’aventure amoureuse qu’il croyait éternelle, pauvre naïf.
La Mer du Nord, dans sa grande sollicitude, le ramena à la réalité maritime, la houle fit son effet, reliquat d’une tempête plus à l’Ouest.
Seul à présent sur le pont, il se dirigea vers le bar de l’entrepont. Il ne chercha à aucun moment à lier la conversation, les personnes présentes à cette heure-là ne se souvinrent aucunement de son passage. Un fantôme eût traversé la salle, l’effet eût été le même. Étrange transparence, notre homme s’assit néanmoins au comptoir et commanda un alcool fort. Le regard dans le vide, il songea à sa réaction d’alors, quand il descendit, seul, du bateau italien, franchit lapasserelle et regarda le bâtiment s’éloigner avec sa bien-aimée, son ex-amour perdu pour toujours.
***
Deux semaines plus tard, il avait pris l’avion pour la Norvège et de là, l’express côtier.
Le whisky qu’il but n’eut pas l’effet anesthésiant qu’il escomptait. Il sortit du bar. Les commerces ouverts à cette heure ne le virent pas flâner entre les rayons de babioles touristiques et autres fascicules.
Un homme seul parcourut les couloirs interminables du paquebot. Le soir tombé, la lumière blafarde de la nuit scandinave dessina une ombre portée sur le solarium. La clarté des cieux aurait pu inspirer le poète, le balancement dû aux vagues régulières berça le sommeil des passagers, l’ombre, elle, ne bougea pas.
Le matin vint, le lever du soleil au milieu de la nuit écourta la quiétude d’une tranquille traversée, surprenant certaines personnes, non avisées de la courte durée de la vie nocturne sous ces latitudes.
L’express côtier fit son parcours habituel, jusqu’à Tromsoe puis…
L’on trouva un sac dans la chambre 225, vide de tout indice quant à l’identité de son propriétaire.
***
Quelle heure pouvait-il être quand l’ombre bougea ? Le silence régnait sur le navire endormi. D’un pont à l’autre, au plus près de l’eau, le bateau faisait entendre le chuintement de l’élément liquide sur la coque, une éclaboussure vint troubler l’harmonie de la vitesse maîtrisée. Un œil averti eut distingué, à la lueur d’une lune montante, un être en mouvement dans les ondes, peu de sillage, seule la houle ondulait par cette nuit calme. Il se dirigeait vers la côte toute proche. Moins d’une heure à cette allure serait suffisante pour atteindre le rivage.
La route serpentait le long du fjord. Un véhicule traçait son chemin dans un halo lumineux. Il remontait vers la mer. La côte très découpée rallongeait considérablement la distance. Regardant sa montre, un retard ne pouvant être envisagé, le chauffeur accéléra.
La lune à son zénith éclairait la grève. Un homme trébuchant dans le ressac gravissait péniblement la pente de l’estran, creusé en cet endroit par des milliers de vagues assassines. Il s’allongea sur le dos, respirant fortement, épuisé.
Un trait de lumière accompagné d’un bruit de moteur longea la plage puis s’arrêta. La lueur s’éteignit, le moteur se tut.
La lueur d’une torche balaya le sable, s’arrêta sur l’homme qui s’était assis. Celui-ci se retourna, leva le bras, sa main faisant un signe de ralliement en direction du faisceau lumineux.
D’un pas alerte, le chauffeur traversa l’étendue sablonneuse.
Ils se serrèrent la main avec force, l’autre main saisissant l’avant-bras, salutations viriles et chaleureuses.
Pas un mot ne fut échangé avant de rejoindre le van aménagé dans lequel le nageur put se sécher et se changer.
Contact établi, le pari était gagné.
Il restait à transformer l’essai et parachever le travail.
La route déroulait son ruban de bitume au milieu d’un paysage rocailleux parsemé de lacs aux multiples reflets, blanche lumière de lune. D’une allure régulière, le van emportait les deux hommes dans un ronronnement motorisé confortablement filtré, la conversation allait bon train.
***
Londres, Paris, New York, Hong-Kong, Tokyo, Singapour, il manquait singulièrement d’originalité, la moitié de la planète manquait à l’appel mais il ne pouvait mobiliser plus de forces sans éveiller les soupçons, déjà frémissants lors de la rencontre à Rome avec le directeur de cabinet du Premier ministre français, de passage à la villa Médicis pour un vernissage. Celui-ci n’avait pas été dupe de sa demande concernant la création d’une start-up, pépite censée accélérer la mise en orbite de robots donneurs d’ordre à la bourse de Paris, le modèle mathématique qu’il proposait demandait quelques informations en amont. Seul un dirigeant politique pouvait les lui procurer, c’était donnant-donnant, win-win tel qu’il le présenta au haut fonctionnaire qui néanmoins joua le jeu. Un coup de fil à Bercy permit à Max d’obtenir les clés du coffre, code d’accès que son ami informaticien demandait avec insistance, seule possibilité d’entrer dans les circuits financiers de trading à haute fréquence. Cinquante pour cent des transactions n’étaient pas pilotées par des humains. Les spéculations sur les cours se jouaient sur des mouvements de capitaux, aller-retour programmé en nanosecondes. Les sommes en jeu donnaient le vertige et rendaient Max fou de rage.
L’idée était simplissime :
Prendre l’argent là où il se trouvait et le donner à ceux qui en avaient le plus besoin, en court-circuitant les intermédiaires, qu’il ne connaissait que trop bien.
L’opération était complexe et risquée, il le savait. Son passage comme trader à la BNP n’était pas passé inaperçu, la médiatisation de l’affaire lui avait coûté son poste, la hiérarchie avait ouvert les multiples parapluies et s’il n’avait plus à rembourser les sommes délirantes en jeu, il n’en était pas moins grillé sur la place. Sa reconversion en conseiller financier pour pays en voie de développement, sous un nom d’emprunt, lui permit de se constituer une cagnotte personnelle et de prendre conscience du cynisme avec lequel opéraient les acteurs de la finance internationale.
Il ne restait plus qu’à appuyer sur le bouton.
Dans le local, une demi-douzaine de hackers s’activait devant les écrans, scrutant les opérations d’achats-ventes sur les marchés libres. Le timing était l’élément le plus déterminant, les transactions ne cessaient jamais, elles dessinaient des sinusoïdes sur les écrans. Il fallait introduire l’algorithme au moment opportun, celui qui optimiserait les gains. La tension était palpable.
Un instant, il repensa à la villa Médicis, la clé… et l’artiste qui va avec.
En simultané sur les six places financières choisies, le siphonnage commença. Il ne devait durer que quelques minutes, amplement suffisantes, au-delà, le système serait susceptible de… s’effondrer sur lui-même, ce qui n’était pas le but.
Max, les yeux rivés sur son Apple Book, n’en croyait pas ses yeux. Sur l’écran apparut le solde des comptes ouverts à Jersey, aux îles Caïmans et dans l’État du Delaware.
Le calme qui suivit avait un côté « œil du cyclone » qui ne trompait personne dans l’équipe.
Avant la tempête…
… Qui n’eut pas lieu.
Ce premier prélèvement opéré par Max et ses coéquipiers ne représentait qu’une goutte d’eau dans le flux financier international. Le grand soir n’était pas pour tout de suite, le test du jour avait été probant.
Les 50 milliards de dollars ventilés sur plusieurs sociétés offshore attendaient leurs bénéficiaires.
Au bord de la piscine, Max marche de long en large, nerveusement, un verre dans une main, le téléphone dans l’autre. Il est de très mauvaise humeur. Cela fait plus de huit mois que les fonds sont totalement disponibles et… personne n’en veut.
Arthur se lève et prend congé.
Max et lui ont fait connaissance à Londres lors de la première de « Snatched », Enlevés, en français avec eux dans les rôles-titres, Gary Oldman dans le rôle de Bennett, Colin Firth et Tom Hiddleston dans ceux de Kenwood et Matthews, le frère de Christopher Nolan, Jonathan, assurant la mise en scène. Après la projection, les agapes se prolongèrent dans le salon de réception d’un palace. Arthur et Marion furent les héros de la soirée, quelque peu émerveillés par ce basculement soudain de leur existence. Max fut leur sauveur ce soir-là. Ancien trader à la City, il avait gardé l’entregent indispensable pour être invité aux premières richement fréquentées, nécessaire à sa nouvelle activité dont Arthur ne perçut pas tout de suite les tenants et les aboutissants. Gary Oldman fut assez vite hors course, le frère Nolan disparut rapidement, peu mondain dans ses manières et les deux Anglais conversaient avec leurs compatriotes. Max les enleva et ils finirent la soirée dans son superbe loft donnant sur la Tamise. Il se trouva là à la première parisienne ainsi qu’à celle de Berlin puis à New York et à Los Angeles, marathon éreintant qui les occupa tout juin. Le Feel Good Movie eut un succès public et… critique au-delà du raisonnable.
Au cours de leurs multiples rencontres, Max expliqua à Arthur ce qu’il avait fait l’an passé, au même moment où eux se faisaient enlever, sans rentrer dans les détails. Fasciné par ce personnage, Arthur en devint l’ami, Marion le trouvait fort sympathique. Les amis dans le milieu du cinéma sont rares, en trouver un en dehors les rassurait.
Si Max veut mettre de l’argent dans ce milieu, pourquoi pas ? Il peut y jouer un autre rôle que celui de jouer la comédie, la mise en scène ou l’écriture, il ne sait pas.
Adapter un classique de la littérature, ou un ouvrage peu connu, était une possibilité. Max aime beaucoup échanger sur la culture en général, Arthur, comme Marion, l’écoutent, il sait captiver son auditoire, sa proposition n’est pas une surprise. La question de l’argent étant résolue, le choix du texte lui appartient.
Plus d’une heure de trajet est nécessaire pour rejoindre le nid d’aigle perché sur les hauteurs de Beverly Hills. C’est là ou ce n’est pas la peine d’habiter L.A, a coutume de rétorquer Marion lorsqu’on lui fait remarquer que ce genre d’adresse est l’apanage des plus grands et que le côté m’as-tu-vu a ses limites. Le voisinage ne trouve rien à redire, tout le monde s’en fiche, les petits Français ont le droit de s’amuser, ici, cela dure le temps des rêves. C’est le souci d’Arthur, qui prépare l’après, et avec Max, la confiance va de soi. C’est un homme de convictions. La colossale manœuvre financière qu’il a mise en place est techniquement un travail d’orfèvre. Arthur a fouillé dans certains magazines spécialisés pour financiers et traders de haut vol. Le fait d’armes est mentionné, sans plus. Personne n’a intérêt à la publicité autour du tour de passe-passe. Aucune somme n’est mentionnée. À l’heure où le train de vie des très riches défraie la chronique, où celui des très pauvres est dans l’indicible, où les États sombrent dans la mendicité, Max a raison quand il s’énerve des postures effarouchées d’ONG dans le besoin. Il est tenté par une révélation fracassante, suicide contre-productif, effet d’annonce vite retombé et emmerdements XXL.
En Californie, les opportunités sont légion et d’une grande diversité. Le tri entre l’esbroufe sophistiquée et les vrais entrepreneurs est souvent difficile à faire.
L’installation dans une villa de bord de mer sur Santa Monica n’est pas due au hasard. C’est moins cher que sur les hauteurs, très prisées, mais très appréciées par les Européens de passage et les financiers de la Côte Est que Max reçoit, comble de l’ironie, avec un plaisir revanchard à peine dissimulé.
Il cherche des partenaires, non pas par besoin d’argent, mais pour partager les risques.
Max a 38 ans, célibataire originaire du sud-ouest de la France, côté océan. Sa mère vit toujours dans la région, à Bordeaux. Le père n’est plus de ce monde, infarctus, 60 ans, bon vivant, il en est mort. Chef d’entreprise parti de rien, négoce de vin, de fruits, de bouffe en tous genres, il a prospéré, tenté de refiler le bébé au fils, non merci, à sa fille, plus portée sur les arts plastiques, qui décline. Il revend l’affaire au plus offrant, retraite abrégée et vie confortable et solitaire pour sa veuve. Max va peu à Bordeaux, n’aime pas cette ville et ses hypocrisies, adossée aux vignobles, réputation surfaite selon lui, Mauriac avait raison de dépeindre cette vieille bourgeoisie rancie, confite dans son eau de vie. À fuir. Il a fui, d’abord à Paris puis à Londres, ville à la mesure de son talent de magicien financier, la City accueillit le prodige, lui allongea des ponts d’or, à moins de trente ans.
Il revint à Paris, mal du pays sans doute. Mauvais choix, il rentra à la BNP. La trop grande exposition des risques qu’il prit lui valut une amende salée, des poursuites judiciaires, peine réduite en appel. Il en fut réduit à retourner quelques mois dans le Bordelais. Il eut tout le loisir de méditer et de s’adonner aux sports nautiques, surf, natation et planche à voile. Il lut aussi pas mal d’essais philosophiques, retrouvant quelques fondamentaux, cherchant sa voie. Les écrits ainsi digérés furent à l’origine d’une prise de conscience de la nature foncièrement néfaste de son corps de métier. Il découvrit que l’argent n’était pas une fin en soi, mais un moyen. Banale constatation qui l’amena à considérer ses compétences, immenses, sous un autre angle. La vacuité évidente de la finance internationale, sa nocivité lui sautait aux yeux, elle se nourrissait sur l’homme, le vampirisait, envoyait des millions de gens dans des territoires sans vie, et donnaient à d’autres des pouvoirs sans légitimité, organisations occultes officiant dans l’ombre. Il fallait que cela cesse.
Il sourit au bord de sa piscine de la naïveté confondante dont il a fait preuve pendant toutes ces années, il soupire en songeant à sa non moins grande ingénuité sur l’efficacité de sa croisade contre les circuits financiers. Au moins peut-il envisager de faire le bien, tel qu’il a pu le lire chez Gandhi, Tolstoï ou Thoreau. Les philosophes des lumières l’ont bluffé. 250 ans plus tôt, des hommes ont pu envisager un monde meilleur, Rousseau devisait au bord du Lac du Bourget sur l’évidente corruption que la société engendrait chez l’individu. Il fallait de toute urgence transformer cela, remettre en question l’organisation spirituelle et inverser le sens des priorités dans l’éducation, le tout dans un monde figé par des centaines d’années d’aliénation chrétienne.
Sa vision rousseauiste eût fait sourire bon nombre de ses relations. Il gardait pour lui ses pensées. Seul Arthur, perdu sur sa planète, pouvait percevoir l’universalité de son action à venir.
La conversation avec le jeune homme lui donne un peu d’air. Échanger est assez rare, envisager une concrétisation de ses idéaux encore plus. Il lui faut construire un plan d’action dans plusieurs domaines, complémentaires et synchronisés, à l’échelle planétaire.
Le trésor de guerre amassé est certes conséquent, mais insuffisant. Il se refuse à endosser le costume d’un nouveau messie, tels Musk ou Bezos, libertariens convaincus, dont la seule philosophie est l’enrichissement personnel de chacun, au détriment du plus grand nombre.
Monter une deuxième ponction financière.
L’équipe de hackers dispersés se regroupera. Elle se doit d’être enrichie de plusieurs éléments.
Max entrevoit l’organisation :
En binôme, pour les directions opérationnelles financières par zone économique. Une dizaine de bureaux seront nécessaires, au plus près des places boursières :
Agriculture : par zone climatique ;
Humanitaire : par entité politique, CEE, Amérique du Nord, du Sud, Chine, Asie du Sud-Est, Afrique, Moyen-Orient, Russie ;
Santé : même typologie ;
Éducation : Zone linguistique ou religieuse, les deux ;
Juridique : Siège central à définir ;
Sécurité : Une nécessité désagréable, autour de ma personne, puis des responsables de zone et de compétences.
Aujourd’hui, trois personnes sont présentes en permanence dans la villa et aux abords. La paranoïa est une composante nécessaire, la lucidité aussi.
À vue de nez, deux cents personnes seront au départ. Il faut des militants compétents à la conscience politique éprouvée, qui agiront dans la durée, seule garante d’une réelle efficacité.
Jo Le Cam se lève de bonne humeur ce matin. Hier soir, il a regardé, sur son tout nouveau lecteur DVD, le film avec son pote Arthur et son amie Marion. Il n’a pas compris le titre. Ce n’est même plus traduit. Il l’a regardé avec Catherine, qui vit avec lui maintenant.
« Snatched ».
Il a aimé le film. C’est bizarre de voir un copain sur l’écran avec de vrais acteurs, qui relate une histoire qu’il a entendue. Les vraies gens refont la même chose. Ils ont rajouté des trucs pour rendre l’histoire plus jolie. Il trouve que la rencontre avec Marion est plus belle dans la vraie vie que dans le film, mais c’est son avis. Catherine n’est pas d’accord, elle a pleuré la moitié du temps. Ça se finit bien, ils sont libres et heureux.
Jo et Catherine devaient faire un petit bout. Les Américains sont venus puis sont repartis. On voit juste un bout de campagne bretonne montrant où ils sont nés, enfin, presque, pour des Américains, ici, c’est pareil partout.
Jo a eu Arthur au téléphone une fois. Il habite très loin, en Amérique, là où il fait beau tout le temps. Même qu’il lui a dit que la météo n’était pas difficile à prévoir, en rigolant. Il lui a montré leur maison, trop grande, en location. Ils ne vont pas rester là-bas, Marion aimerait bien mais Arthur n’y tient pas. Ils ont un bon copain, Max, qui veut faire de grandes choses, changer le monde.
Mouais, beaucoup ont essayé, mais rien n’a bougé. C’est lui qui voit, il a beaucoup d’argent, il veut rendre les gens heureux.
Jo va bien. Mieux qu’avant, pas de doute, une femme à la maison et dans ton lit sera toujours préférable à une bouteille de mauvais vin. Il a repris le travail. Pas à la ferme, il n’y a plus de terres, il a vendu ce qu’il restait. Il garde le tracteur, pour le potager. Il a déblayé un terrain à côté de la maison, enlevé tous les détritus, les vieux clapiers à lapins, les gravats, les morceaux de clôture et toutes les ferrailles, il en a fait un immense jardin. Catherine veut faire des conserves pour l’hiver, du coulis de tomates, des confitures, framboises, fraises, cassis. Le terrain est orienté plein sud. Il a réparé le vieux poulailler, racheté des poules de réforme, mis un nouveau grillage sur le dessus, à cause des fouines et enterré celui des côtés de presque un mètre de profondeur, contre les renards.
Il a envoyé des photos à Arthur. Vu de là-bas, il doit s’en moquer de son petit monde à lui, Jo, mais il pense que non. Il pense que voir un bout de son pays fait toujours chaud au cœur.
Le film est agréable à regarder, pour tous publics. Le couple a gagné plein de sous mais Arthur a laissé entendre que l’argent file vite. Tu gagnes beaucoup, tu dépenses encore plus. Il reviendra faire un tour, voir son copain de la campagne, il en est sûr.
Marion se lève, presse des oranges, et va nager quelques longueurs dans la piscine.
La machine à café de Georges compresse bruyamment les capsules d’aluminium, un double expresso serré s’écoule dans la tasse. Les viennoiseries ont été livrées, croissants et pains au chocolat embaument le patio, le panier en osier déborde. La lumière du matin met en relief la dorure croustillante des pâtisseries. Marion se sèche dans son peignoir. Elle est dans son élément, trop sans doute. Elle regarde Arthur qui, lui, scrute l’horizon, le paysage desséché des collines du nord de la ville descend jusqu’aux zones pavillonnaires en contrebas. Le smog du matin enveloppe la ville jusqu’à l’horizon, seule la brillance du soleil sur l’océan crée une rupture dans cette image aux relents de fin du monde. Cela manque un peu de verdure, se dit le jeune homme, en visualisant les prairies de sa région natale.
Marion a une audition en début d’après-midi. Une série à succès cherche la remplaçante de l’actrice principale, en procès avec le studio, une sombre histoire de clause de « nudité », une des nombreuses absurdités juridiques créées depuis le mouvement Metoo, censées protéger les actrices contre tout harcèlement supposé ou réel. La moindre parcelle de peau dénudée, en fonction de son emplacement, faisait l’objet d’un article réglementant son apparition à l’écran.
Marion avait été contactée. Le studio supposait, à raison, qu’en tant que Française, elle serait plus à même d’accepter quelques aménagements de clauses franchement excessives. L’affaire Weinstein plombait les relations sur les plateaux de tournage, le moindre regard masculin était interprété comme du harcèlement, se terminant par une procédure à l’amiable, en l’occurrence quelques dollars, la plaignante disparaissait des plateaux aussi vite qu’elle était apparue.
Marion regarde Arthur et lui demande :
La conversation du matin s’arrête puis reprend.
La décapotable rouge démarre en silence, Tesla dernier modèle offert par Musk en personne à Marion après la première du film ici.
Arthur voit se dessiner une autre histoire. La romance avec Marion est belle, de celle que chacun aimerait vivre une fois dans sa vie. Ils vivent sur un nuage, tout leur réussit, les rencontres et les projets se succèdent avec un égal bonheur.
Arthur doute de la pérennité, il va se réveiller. Sa nature insouciante, son côté dilettante ont été fortement mis à l’épreuve dans une aventure où chaque instant est vécu comme si c’était le dernier. Le dépassement de soi permanent est un sport épuisant, pour prouver quoi, et à qui. Il est toujours très amoureux, encore serait le bon mot. Pour combien de temps ? Six mois plus tôt, il ne jurait que par ce sentiment éternel, dans un absolu définitif, l’infini étalait ses immensités, aucune barrière ne venait rompre la pureté de l’émotion originelle. Aujourd’hui, en regardant sa belle dans la décapotable rouge, sous le soleil californien, il voit un cliché, une image de papier glacé, une, presque, caricature d’un monde qui n’était pas le sien.
Rencontrer un libraire, quelle drôle d’idée semblait dire Marion avec son beau sourire. La lecture n’est pas dans ses loisirs, adapter un roman, oui, cela se fait.
Arthur avale un autre expresso et file. Assez gambergé, Max lui a laissé carte blanche sur les thèmes, un texte libre de droits, non adapté, à vocation messianique, non grandiloquent.
William Shaffelton, patron de la librairie, arpente le labyrinthe de son magasin, gigantesque capharnaüm aux dizaines de milliers de références, neufs, occasions, vinyles aussi, nul doute que l’on pouvait y dénicher quelques pépites de l’âge d’or.
Il n’a pas vu le film avec Arthur et Marion, il s’en excuse, pas sa tasse de thé mais la démarche suscite sa curiosité. Max est passé rapidement, lui a commandé une bibliothèque entière, plusieurs centaines d’ouvrages, la liste était prête, deux employés travaillent à plein temps sur cette commande hors norme.
William Shaffelton accompagne Arthur jusqu’à la sortie.
Les choses sérieuses commencent. Arthur a le tournis. Il n’a absolument pas le niveau intellectuel requis. Sortir de sa zone de confort ne sera pas suffisant, ces grosses têtes ont écrit des livres sur des sujets de société, ils ont élaboré des théories de sortie de crise, lancé des alertes en vain. Max sait-il vraiment où il va ?
À mon niveau, se dit Arthur, je peux être utile, une interface nécessaire à la mise en place d’un fragment du plan global. Il a un autre rendez-vous en fin d’après-midi.
Il n’a pas évoqué cette rencontre avec Marion ni avec Max. Il y va la boule au ventre, non par peur, l’homme qu’il va voir le connaît, comme beaucoup le connaissent ici, mais l’initiative est née d’un éclair traversant son esprit, à la suite de la conversation avec Max. Il faut une signature pour la réalisation d’un film ou d’une série, un nom connu. L’argent ne sera pas suffisant, la crédibilité d’un metteur en scène expérimenté ne sera pas de trop pour asseoir un message à portée universaliste.
L’homme est très occupé actuellement par la réalisation de la suite de DUNE. Il s’agit de Denis Villeneuve. Il a obtenu une demi-heure. Arthur a joué de son statut de Français à Hollywood, de la curiosité de l’intitulé de son mail à la production, mail personnel du metteur en scène, intitulé provocateur :
Voulez-vous sauver le monde ? Aidez-nous, merci.
Signé Arthur Simon
Denis Villeneuve avait souri en lisant le message. Ce serait l’occasion d’un mini-break, écouter en français ce jeune homme sympathique au message si naïf. La fraîcheur du propos était revigorante dans un milieu fort peu porté sur l’innocence. Il avait échangé quelques mots avec lui lors de la soirée de lancement du film Snatched. Curieux d’entendre quelqu’un qui voulait sauver le monde.
Arthur n’a pas le temps de remonter chez lui. Il a rendez-vous à 18 heures. Y aller bien avant pour éviter les monstrueux embouteillages, il ne sera pas très loin. La Warner avait produit le film dans lequel Arthur avait joué son propre rôle. Comme le succès était au rendez-vous, il était sous contrat et se devait de faire attention aux indiscrétions liées au projet de Max. Deux scénarios étaient arrivés à son domicile, réponses à donner sous quinzaine. On ne lui mettait pas de pression, juste un coup de fil de temps à autre pour demander des nouvelles.
Le rendez-vous avec Villeneuve est l’occasion de saluer deux, trois personnes, de se rappeler au bon souvenir. Il n’exclut pas de jouer le Français de service, d’autres l’ont fait avant lui, et pas des plus mauvais, Montand, V. Cassel, Omar Sy. Il a terminé hier soir la lecture du premier scénario : un second rôle, juste derrière le couple vedette, visibilité importante, le rôle lui va comme un gant, il va dire oui, Marion sera contente, tournage en studio ici, et des extérieurs au Canada, deux semaines et en France. Il se doit de garder un pied dans le monde réel, celui que lui a ouvert cette aventure anglaise.
À l’arrivée aux studios, il montre patte blanche, badge obligatoire.
Il passe voir la responsable du casting, Emma, enchantée de la visite surprise et radieuse après la réponse positive d’Arthur. Un trafic d’influence dans le milieu politique, un consul français est chargé de jouer le monsieur bons offices, c’est le rôle d’Arthur. Il y a quelques scènes à Paris, histoire d’aller voir sa mère.