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Perché au bout du monde, le village isolé de Kercréac’h semblait offrir à ses habitants une vie tranquille, à l’abri des tumultes extérieurs. Mais un événement inattendu vient ébranler cette harmonie apparente, dévoilant des tensions latentes et des secrets longtemps dissimulés. Laure, Roman, Arnaud, trader respecté, sa femme Virginie et leur fils Clément, un adolescent en quête de repères, se retrouvent pris dans un enchevêtrement de circonstances intrigantes. Au centre de cette toile complexe se dresse un lieu singulier : un cybercafé, point névralgique des mystères, et un personnage insaisissable, connu seulement sous les initiales H. E., dont l’apparition bouleverse les équilibres. Qui est H. E. ? Quels liens obscurs unissent ces vies entremêlées ? Entre drame poignant, comédie subtile, manipulations habiles et suspense haletant, Kercréac’h vous plonge dans une aventure où chaque page révèle un nouveau frisson.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Isaline Remy, à la tête de l’atelier d’écriture de l’Académie des Lettres de Saint-Quay-Portrieux, incarne l’excellence et la passion littéraire. Membre de la Société des Gens de Lettres, elle a su marquer le monde des lettres par de nombreuses publications couvrant divers genres. Son engagement et son expertise font d’elle une guide pour tous ceux qui souhaitent perfectionner leur art de l’écriture.
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Seitenzahl: 223
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Isaline Remy
Noir algorithme en Goëlo
Roman
© Lys Bleu Éditions – Isaline Remy
ISBN : 979-10-422-5885-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Cet ouvrage collectif a été rédigé sur une période de deux années, à l’atelier d’écriture de l’Académie des Lettres, dirigé par Isaline Remy.
Toute ressemblance concernant nos personnages ne serait que fortuite.
Les auteur(e)s
Michèle David, Françoise Gaillard, Vincent Larnicol, Catherine Malassenet, Isaline Remy.
Atelier d’écriture de l’Académie des Lettres en collaboration animé par Isaline Remy àSaint-Quay-Portrieux.
1
Le vent de nord-est s’était levé au beau milieu de la nuit, l’automne s’annonçait frileux. Soudain, Arnaud s’était réveillé en sursaut, tandis que Virginie dormait à poings fermés, aidée par le somnifère qu’elle prenait chaque soir avant de se coucher. Ce n’étaient pas les hurlements du vent qui l’avaient sorti de son sommeil, mais une fenêtre qui tapait, semble-t-il. Pourtant, il se souvenait l’avoir bien fermée.
La tête dans le cirage, il se leva doucement afin de ne pas réveiller sa femme, mit ses chaussons, son peignoir et descendit les escaliers avec précaution sans faire craquer les marches en bois. Un air frais pénétrait la maison de bas en haut. Il se dirigea tout d’abord vers la porte d’entrée qui était toujours fermée à double tour. Ses pas l’emmenèrent directement à son bureau dont la porte était ouverte. Pourtant, chaque soir, ce sanctuaire était fermé, une zone interdite en quelque sorte. Arnaud vit que l’unique fenêtre était grande ouverte et s’aperçut qu’elle avait été fracturée sous la pression, probablement d’un pied de biche. Interloqué, il resta figé durant quelques minutes, les yeux fixes, et, lorsqu’il se retourna, il constata que son ordinateur avait été ouvert et qu’il était resté allumé en veille. Arnaud comprit immédiatement qu’un intrus avait violé son domicile… mais pas seulement.
D’instinct, il vérifia les données de son ordinateur, le traçage et les codes d’accès. Rien d’apparent. Son disque dur probablement piraté. Dépité, il ne savait plus que faire : appeler la gendarmerie à cette heure de la nuit, ou attendre plutôt le lendemain matin ?
Quel était le dossier volé au trader ? Il avait plusieurs secteurs de marchés importants qui lui rapportaient beaucoup d’argent. Le suivi de chaque jour, presque de chaque instant, faisait monter ses actions en bourse. Et si toutes les données avaient été visitées, l’intrus pouvait tout recopier sur une clef USB en quelques manipulations expertes.
Le reste de la pièce n’avait pas été fouillé et par déduction il n’y avait plus de doute. Il pénétra dans tous les recoins du rez-de-chaussée en prenant soin de s’armer du tisonnier de la cheminée au cas où quelqu’un se serait caché. Puis il revint dans son espace de travail.
Arnaud referma tant bien que mal la fenêtre à l’aide d’un gros scotch gris d’emballage laissé sur son bureau, suffisamment costaud pour arrêter le vent qui ne cessait de vouloir s’engouffrer. Il était pâle, à la limite du malaise vagal, et se rendit à la cuisine pour boire un verre d’eau ; son souffle était court et son cœur battait plus vite que d’habitude, la peur envahissait son corps. Comment allait-il annoncer cela à sa femme à qui il ne parlait jamais de ses affaires, tout était top secret ? Se consacrant pleinement à son art, Virginie, artiste-peintre, ne se préoccupait d’ailleurs pas du métier de son mari ; financièrement, tout allait bien et c’était le principal, la vente de ses tableaux lui permettait très largement de pourvoir à ses besoins de fonctionnement. Elle était bien reconnue, surtout en Bretagne. Elle avait longtemps fréquenté l’École de Pont-Aven et son mouvement artistique. Paul Gauguin était son maître incontestable. D’autres artistes aussi l’avaient influencée ; cependant, elle avait développé son propre style, un style qui lui ressemblait, ses personnages étaient physiquement généreux comme elle, une belle rousse d’un mètre soixante aux cheveux longs, avec des yeux verts très myopes, qui l’obligeaient à porter des lunettes dont la monture était très colorée ; un visage rond et plein couvert d’éphélides, un nez légèrement épaté aux narines, une bouche au large sourire, une tête bien faite, portée par un corps légèrement enrobé. Toujours habillée de façon plutôt excentrique, elle ne laissait pas le regard indifférent.
Arnaud sortit de la cuisine et remonta l’escalier d’un pas traînant, portant un corps ébranlé par le choc émotionnel. Sur le palier, il regarda machinalement l’heure affichée à la pendule du couloir : 3 h 40. Il entra dans la chambre et réveilla Virginie tout doucement.
— Pourquoi tu me réveilles ?
— Nous avons été cambriolés !
— Quoi ? Je n’ai rien entendu !
— Moi non plus, c’est la fenêtre de mon bureau qui tapait, heureusement les carreaux ne sont pas cassés.
— Appelle la gendarmerie !
— Non, c’est trop tôt ! Si les gendarmes arrivent maintenant, ça va ameuter les voisins, tu sais bien que je suis venu m’installer ici pour la tranquillité et, je pensais aussi, la sécurité. J’appellerai à 8 h. De toute façon, le mal est fait !
— Qu’est-ce qu’ils ont pris ? Des objets ?
— Non chérie, c’est mon ordinateur qui a été visité !
— Heureusement que Clément est en pension, au moins il aura évité une grosse frayeur, les ados se remettent moins vite que les adultes des traumatismes.
— Tu ne sembles pas trop effrayée, on dirait ?
— Pas plus que ça, je sais que mon petit mari va trouver une solution et le principal c’est que nous n’ayons pas été agressés !
— Oui, tu as raison, cela aurait pu être pire !
— Tu veux que je fasse un café ?
— Oui, merci chérie, de toute façon je ne pourrai pas me rendormir.
Arnaud, empreint d’une certaine nostalgie, se mit à penser à son enfance, à ses parents et surtout à son parcours professionnel passionnant et aux multiples rebondissements.
2
Arnaud, déjà tout petit, était un rebelle intelligent. Né en Bretagne dans les Côtes-d’Armor d’une mère institutrice dans une école privée et d’un père pêcheur hauturier, il passa son enfance et son adolescence protégé par sa mère surtout.
Elle avait les mêmes horaires que lui, le veillait en permanence, car il passa sa scolarité dans la même école qu’elle. Il fut marqué à vie. Pour le meilleur, il apprit à lire dès cinq ans, sous la vigilance de toute l’équipe pédagogique.
Son père partait souvent, pour quinze jours, voire plus.
Il formait un couple fusionnel avec sa mère. Son père l’avait accueilli dans la joie, mais au fil du temps il faisait office de figurant, parfois même de fantôme dans la vie familiale.
Il resta fils unique, avec seulement des copains de classe.
Pas de cousins ni de cousines.
Dans sa solitude, il se tourna vers l’ordinateur pour compenser d’inévitables angoisses. Ce fut son compagnon le plus fidèle qui le comprenait 24/7.
Il suivit un cursus classique jusqu’à un diplôme de niveau Bac plus cinq. Pas d’université, mais une école d’ingénieur à Rennes, avec une formation complémentaire en finance. Il partit pour Londres, sans idée de date de retour. Mais au bout de quelques mois, cette séparation lui sembla une éternité. La mer entre son présent et sa vie d’antan. Il revint au bout d’un an.
Il se sentait étranger au milieu de ce monde éloigné. Les personnes qu’il avait rencontrées n’avaient été que des ombres auprès de qui il avait appris la langue de Shakespeare parfaitement ainsi que les balbutiements de la vie de trader.
Sans nul doute, Arnaud était devenu un professionnel calme. Un trader à jouer dans les logiciels backtesting. Son caractère indépendant le poussait à développer ses propres indicateurs et des stratégies comme un joueur d’échecs. Ce n’est qu’un jeu après tout ! CV, CV envoyés qui s’envolaient via les écrans. La réponse tomba au bout de quelques jours.
Arnaud fit ses valises pour Paris. Une grande banque l’avait engagé.
Dans son nouveau bureau situé dans la tour Jumanga au 40e étage, faisant face au ciel parisien qu’il percevait comme un océan, Arnaud travailla d’arrache-pied.
Bel appartement sur le boulevard Raspail, Porsche 718 Cayman. Dîners entre pairs, on ne buvait que du champagne Ice Impérial, on se nourrissait de plateaux sushis et sashimis. Des sorbets aux fruits de la passion à la poire vanille, et des amarettis de toutes les couleurs. Vivant, caché et exhibé, c’était le charme de la ville : être à l’abri ou à découvert.
Arnaud était doué, même très doué. D’un grand sang-froid, il était le trader cool à qui tout réussissait dans ce premier emploi. D’emblée, il avait eu à cœur de bien servir cette grande banque dont il était fier et de s’investir dans son activité comme il l’aurait fait pour lui-même. Très vite, il s’adapta à son nouveau rythme de travail, il se révéla très endurant et de plus en plus performant. Il lui arrivait, bien sûr parfois, d’hésiter sur la conduite à tenir face à un marché boursier en constante effervescence. Il en référait d’abord à son supérieur immédiat qui lui semblait toujours très frileux et souvent il regrettait de lui avoir demandé conseil.
Un jour, il décida de s’adresser directement au responsable de son secteur, prêt à rétrograder s’il était mal accueilli. Bien au contraire, sa hardiesse incita l’homme à l’orienter vers des manœuvres à haut risque, mais potentiellement très rémunératrices. À partir de ce jour, la vie lui sourit encore, l’argent affluait et depuis peu il était amoureux.
Il était très apprécié professionnellement et impliqué dans de petits secrets de transactions qui devaient rester discrètes. Aucun problème.
C’est dans cette période qu’on lui attribua un nouveau bureau en rapport avec ses performances et beaucoup mieux orienté. Dans cette aile du bâtiment, les plis importants tout comme le courrier ordinaire étaient distribués par un employé handicapé, Raymond, un ancien, connu de tous, qui, malgré son bras atrophié, parvenait à desservir en un temps record le vaste secteur auquel on l’avait affecté.
À peine Arnaud avait-il fait sa connaissance que l’homme glissa quelques jours plus tard à l’entrée du self de l’entreprise et se fractura son bras valide en heurtant le carrelage. Il fut remplacé à la hâte par une des hôtesses d’accueil chargée d’orienter les visiteurs dans cette immensité, toute de verre et de métal. Elles étaient cinq, on choisit la moins jolie, une petite boulotte à l’œil vif, à la mémoire exceptionnelle, et qui connaissait sans hésiter l’emplacement de tous les services.
Annette, c’est ainsi que tout le monde l’appelait, mais il semblait qu’elle devait porter le prénom d’Anne-Laure, peu importe, elle remplaça à contrecœur le malheureux Raymond. On lui présenta sa tâche, elle s’y appliqua. Elle apprit à trier les destinataires selon le secteur où se trouvait leur bureau, où déposer les magazines et les publications spécialisées, que faire quand le destinataire était inconnu ou quand son nom ne figurait pas sur l’enveloppe, la renvoyer à l’expéditeur ou la mettre au rebut ? Elle était consciencieuse, mais pas très rapide. On aurait même dit qu’au fil des jours sa vitesse moyenne stagnait ; le courrier qui devait être acheminé avant midi n’arrivait que vers 13 h 30, et pourtant elle ne déjeunait qu’après avoir fini sa première tournée. On apprit alors par une indiscrétion qu’elle venait de faire une déclaration pour coups et blessures contre un ex-compagnon qui la harcelait.
Elle n’avait donc pas toujours été solitaire, était-ce possible ! Certains s’interrogeaient sur l’identité de l’individu, les uns soupçonnant un employé de la maintenance informatique, d’autres évoquant de mauvaises fréquentations : elle avait été aperçue à l’entrée du RER avec un homme à l’air sombre qui ne portait même pas de cravate…
Elle bénéficiait, paraît-il, d’un arrêt de travail pour raison médicale, mais elle n’avait pas voulu le faire valoir, son job lui était trop précieux, voire indispensable.
C’est à cette période que, on ne sait comment, le contenu de son dossier personnel fut livré à la curiosité du personnel, depuis le service social en passant par l’équipe médicale et les trois psychologues attachés à l’établissement. Elle en fut doublement meurtrie, mais persévéra dans sa nouvelle tâche, en silence. Puis on apprit alors qu’elle élevait seule un soi-disant neveu pour qui l’acquisition du langage était une vraie difficulté, de surcroît un enfant au caractère taciturne. Elle avait dû l’inscrire dans un établissement spécialisé au prix de grands sacrifices financiers, mais il progressait et faisait sa joie.
Un matin, au cours de sa distribution, elle trouva la porte du bureau d’Arnaud entrouverte, elle le crut absent et se précipita sans frapper pour y déposer un dossier classé urgent. Absorbé par son écran et tapotant fébrilement son clavier, il sursauta en l’entendant, comprit qu’elle avait perçu son malaise et commença à l’insulter en hurlant. Surprise, elle quitta immédiatement la pièce en s’excusant sans tenter de se justifier.
Depuis, quand elle l’apercevait dans les couloirs, elle se détournait pour l’éviter et elle ne pénétrait dans son bureau que les yeux baissés. D’ailleurs, c’était devenu chez elle une posture, on la voyait aller et venir inlassablement d’un service à l’autre, le pas légèrement traînant et la tête penchée. Personne ne pouvait deviner ses pensées, ni son amertume, elle était devenue parfaitement opaque, elle laissait courir les rumeurs et ne montrait à personne ses blessures, si bien qu’elle parvint à se faire oublier.
Un jour, un visiteur se présenta à l’accueil, grand, la démarche assurée ; il avait rendez-vous pour 14 h 15 avec un confrère qui travaillait ici depuis longtemps. Une hôtesse avait contacté ce dernier, il était retardé, il allait arriver, elle le pria de l’attendre dans le hall. Au sortir de l’ascenseur, l’homme aperçut une employée qui s’approchait, une enveloppe cartonnée à la main. Il lui demanda le bureau 4007. Retrouvant ses automatismes d’hôtesse, elle s’empressa de l’accompagner jusqu’à la porte. Elle allait frapper pour l’introduire, mais il l’interrompit. C’était inutile, son confrère retenu à l’extérieur avait demandé qu’il l’attende sur place. Elle n’avait qu’à lui ouvrir, puisque visiblement un gros trousseau pendait à sa ceinture. C’est impossible, dit-elle. Il riposta vivement : c’était convenu, ancien collaborateur, il n’avait nullement l’intention de redescendre dans le hall d’entrée. Désolée, non… Agacé, il lui mit sous le nez le feuillet sur lequel l’hôtesse avait inscrit l’étage et le bureau où il devait se rendre. Son ton n’admettait plus l’hésitation. Elle ouvrit donc et l’homme s’assit dans l’unique fauteuil placé face à la gigantesque table de travail couverte de dossiers au milieu desquels se trouvait l’ordinateur.
Après un déjeuner d’affaires bien arrosé, Arnaud revint légèrement euphorique et satisfait d’avoir mené à bien ses négociations. Oubliant qu’il avait lui-même fermé son bureau à clef, il entra avec élan pour finaliser par écrit ce qui venait d’être convenu oralement. À la vue d’un inconnu installé là, violant son intimité professionnelle, il s’affola, l’empoigna pour l’obliger à se lever et le jeta dehors. Puis, se ravisant, il le rejoignit et lui demanda : « Qui vous a ouvert ? » « Une femme avec un trousseau ! » cria l’autre narquois. Furieux, il envoya chercher Annette qui comprit immédiatement pourquoi. Elle se prépara à lui exposer calmement les faits, elle s’était contentée de respecter les indications de l’hôtesse. Mais, avant même de l’entendre, il lui lança à travers le couloir : « Pour vous maintenant, ce sera l’entretien des chiottes ou la porte, choisissez ! » C’est ainsi qu’elle se trouva rétrogradée au statut de « technicienne de surface » affectée aux toilettes. Faute de revenus suffisants, elle dut retirer son neveu de l’établissement spécialisé pour le faire entrer, en cours d’année, dans l’école publique du quartier.
Longtemps, on l’aperçut, coiffée d’une charlotte, rangeant son matériel juste avant l’ouverture des bureaux, s’affairant à nouveau, les dents serrées, entre midi et quatorze heures, puis revenir le soir au moment des derniers départs. Un jour, elle disparut…
Arnaud venait de tomber très amoureux de Louise, une belle tradeuse blonde. Pas la grande blonde épaisse à forte poitrine, souvent représentée d’une façon caricaturale, mais une petite mince vêtue d’un classique tailleur noir près du corps et d’un chemisier en soie dont les couleurs suivaient chaque jour celles de l’arc-en-ciel. C’était chacun chez soi, ils avaient les moyens ; de temps à autre, ils s’offraient une nuit entière, souvent chez lui.
Au petit matin, il préparait le petit déjeuner à sa douce Louise : café velouté fondant, biscottes légères. Souvent, encore et encore, pendant ce moment où il était affairé à la cuisine, l’air de rien, elle fouinait négligemment sur les trois écrans qu’Arnaud possédait.
Ils coulaient des jours heureux, Arnaud ne voyait rien que les chiffres, que les actions qui s’envolaient et qui faisaient de lui un trader à la réussite affirmée. Il ne prêtait même pas attention à Louise qui l’épiait. Elle qui travaillait pour une autre banque dirigée par un certain Jojo Korbal. Très influençable et habile escroc…
Arnaud était un trader amoureux, était-ce compatible ?
Mais un jour, il eut un sursaut de lucidité et s’affola. Il se mit à marcher de long en large sur le parquet chêne bâton rompu. Il ferma la fenêtre par où le vent s’engouffrait. Il s’arrêta à son bureau et rédigea sa démission comme il le ferait sur un marché financier, à la vitesse de la lumière. D’ici quelques semaines, il ne reviendrait plus au bureau de La Défense.
En quarante-huit heures, il avait tout quitté. Gare Montparnasse, Quai 5 TGV 8630. Il ne pensait qu’à retourner dans sa Bretagne, retrouver les siens. Comme une femme de marin, sa mère était là, elle serait toujours là.
Il lui fallait une activité de courte durée où il ne serait pas trahi, jamais trahi.
Day trading, sa vie serait bercée par le Day trading. Il vivrait à la journée sans se soucier du lendemain. Depuis le matin, assis à son bureau face à la mer bleue, souvent agitée, il passerait des dizaines d’ordres quotidiennement et clôturerait avant la fin du marché. De petites plus-values et il s’apaiserait en gagnant entre 0,5 et quelques petits pourcentages.
Il restait scotché à ce local improvisé de 9 h à 17 h 30, sans quasiment bouger.
— Des pâtes, ça te va ? Ou encore une « pizza trois fromages » ? lui proposait sa mère inquiète de le voir courbé, le teint gris, les yeux baissés, rivés à l’écran. Il jouait beaucoup, beaucoup, pour que cela rapporte, réfléchissait la nuit et dormait mal. Arnaud était devenu insomniaque, se tournait et se retournait dans son lit, volets souvent ouverts. Il aimait regarder le ciel étoilé et les nuages qui passaient à vive allure.
Cette nouvelle vie lui plaisait, malgré tout, retrouver sa solitude, juste sa mère.
Parfois, dehors dans le jardin, il lui arrivait de siffloter, de chantonner. Il s’arrêtait pour arracher une mauvaise herbe, sentir les quelques rosiers plantés juste sur la pelouse du devant. Il s’octroyait une promenade avant ou après la fermeture des marchés. Sa vie était rythmée par le réveil et le sommeil des marchés boursiers.
S’octroyer un ou deux jours de congé, de paresse. Il n’y arrivait pas, il avait essayé une fois, de se promener, se poser sur la plage, une immense absence l’emplissait. Il revenait à son ordinateur, son ami de toujours. Il appuyait, appuyait sur les touches. L’argent tombait presque malgré lui, son compte en banque gonflait, gonflait sans limites. Arnaud s’en foutait, il ne savait faire que ça.
Juste en face de la demeure familiale où il lui restait quelques souvenirs d’enfance, il apercevait la cour vide, il pensait au jardin juste derrière où il jouait avec Virginie, son amie d’enfance, aux cheveux roux abondants dont les boucles lui cachaient en partie son visage lorsque le vent breton balayait sa chevelure. Son regard incertain, celui d’une myope qui ne verrait pas la vérité de la vie, juste des ombres et des paysages aux contours troubles. Elle avait des lunettes, mais ne les mettait que quand elle ne pouvait pas faire autrement : regarder le tableau noir dans la classe, lire des panneaux dans la rue. Arnaud se souvint de ses robes courtes multicolores, de ses salopettes bleu denim. Elle était rarement en blue-jean.
La maison était désespérément vide depuis tant d’années. Enfants, ils allaient l’un chez l’autre jouer avec les autres, à cache-cache ou au ballon. Ils descendaient à la plage, admirant une mer bleu azur, calme l’été ou ravagée de vagues écumeuses quand l’automne arrivait. Ils couraient à la rencontre de cette eau délicieusement remuante ou immergeaient leurs corps dans les flots accueillants. Ils pouvaient aller loin, très loin.
L’été, ils restaient allongés à se sécher devant cette mer douce et lisse. Ils regardaient les mouettes au ventre de velours. Il arrivait à Arnaud de ramasser un bout de bois flotté, il le jetait aussitôt, violemment. Virginie regardait l’eau l’éclabousser. Cela avait duré jusqu’à la sixième, ils devaient entrer tous les deux au collège. Arnaud, au Collège Privé Saint Yves, et Virginie, au Collège Public, à quelques kilomètres de là. Ils prenaient le même autocar. Ils avaient commencé par s’asseoir l’un à côté de l’autre. Le car s’emplissait de plus en plus. Un jour, Virginie lui avait faussé compagnie et ne venait plus s’asseoir contre lui, juste un sourire ou un geste de la main. Ils s’oubliaient petit à petit.
— Bonjour.
— Bonsoir.
— Comment vas-tu ?
L’été, Virginie n’était plus là. Elle partait à l’étranger faire un stage de langue ou de sport. Arnaud restait au bord de mer avec sa mère et quelques copains. C’est à ce moment-là qu’il commença à s’intéresser à l’informatique.
Un vendredi soir de la mi-septembre, Arnaud, alors en troisième, avait pris le car qui le déposait vers 18 h 30.
— Maman ?
— Oui, lui répondit-elle.
— On dirait qu’il n’y a plus personne en face.
— Oui, ils ont déménagé.
— Et Virginie ?
— Elle est partie avec ses parents, voyons Arnaud, que veux-tu qu’elle fasse d’autre à son âge que de les suivre ? Tu en as de ces questions !
— Mais où maman ?
— Je crois qu’ils sont à l’étranger pour quelques années.
Arnaud se réfugia dans sa chambre et ferma la porte. Il ouvrit grand la fenêtre, s’assit sur une chaise juste devant un ciel presque rosé, traversé de traînées de couleur fumée. Voilà, elle était partie sans lui dire un mot. Il se déshabilla, laissa la fenêtre grande ouverte. Ainsi, le vent s’engouffra en vagues répétées toute la nuit. Le jour le réveilla. Il descendit, s’assit devant sa mère. Son père devait rentrer de pêche en haute mer le jeudi suivant, il le verrait dans la semaine. Virginie ne serait pas là, non, elle ne serait plus là. Arnaud avait les yeux dans le vague et mâchait machinalement. Au milieu de la tartine, il s’interrompit, la posa et fila. Il hésita : l’ordinateur ou l’estran à quelques mètres de chez lui ? La mer était basse, il courut longtemps, l’air iodé lui fit du bien. Quand il revint, sa mère était partie faire des courses, il grimpa jusqu’à sa chambre. Toute la journée, il eut le visage éclairé par l’écran affichant des images, des chiffres, encore des chiffres. Peut-être la propriété était-elle à vendre ? Après une décennie, la maison était désormais en mauvais état, délabrée. Le lieu, avec des ronces qui rampaient le long des murs, était devenu sauvage. Arnaud traversa la route, entra, foula les pavés de la cour, remarqua les mauvaises herbes envahissant tout l’espace. Une forêt de contes de fées, voilà à quoi ressemblait le jardin. Une forêt qui pouvait servir de cachette. Les fenêtres offraient au regard un intérieur d’une obscurité profonde, les meubles étaient recouverts de fantômes blancs. Un spectacle en noir et blanc.
Il aurait pu s’y installer, avoir son indépendance, tout en allégeant la solitude de sa mère.
Un soir de printemps tiède, il aperçut un camion, de l’autre côté de la route, et la porte ouverte de la maison. Arnaud rentra chez lui, monta rapidement l’escalier et joua de son écran toute la nuit. Il était installé face au ciel et à la mer. Il tournait le dos à la maison de Virginie.
Ce fut elle qui frappa à sa porte quelques jours plus tard, fraîche et souriante. Rapidement, ils reprirent leurs habitudes d’adolescents.
Pendant qu’Arnaud était au 40e étage à faire bouger les lignes de la bourse, Virginie faisait ses études à l’École des Beaux-Arts.
Ils étaient près l’un de l’autre sans le savoir. Ils auraient pu se rencontrer au hasard d’une rue. Leurs horaires étaient différents, ils ne fréquentaient pas les mêmes lieux.
Comme Arnaud, Virginie ayant fui aussitôt son diplôme en main. Elle n’eut qu’un désir, retrouver la lumière des peintres. Celle de la Bretagne était parfaite.
À la mairie de leur village puis à la petite chapelle juchée sur une pelouse veloutée qui venait mourir juste en haut de la falaise dominant la mer, Virginie, l’artiste-peintre et Arnaud, le trader se marièrent pour le meilleur et pour le pire. Ils s’installèrent dans la maison de Virginie.
Deux ans passèrent, Clément vint au monde à la maternité de la ville voisine où ils avaient fait séparément leurs études de collégiens.
Leur vie s’écoulait en parfaite harmonie. Clément allait à la même école que son père autrefois, il suivait les mêmes traces et passait le plus clair de son temps dans sa chambre également face à la mer, la tête dans les écrans.
3
Il y avait port et port. Le grand avec des quais à perte de vue, des alignements de caisses, de marchandises prêtes à être embarquées ou débarquées. Les énormes paquebots de croisière hauts de plusieurs dizaines de mètres, les navires de pêche qui étaient alignés chacun dans son quartier. Un port bondé de marins, de voyageurs, de commerçants, de pêcheurs, de curieux, d’hommes d’affaires. Les grues tournaient et grinçaient. Une agitation perpétuelle 24/7 animait l’atmosphère.