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Élevée par ses grands-parents, Nathalie cherche sa voie. Face à la violence du monde, une prise de conscience soudaine l’assaille et modifie son destin. Son chemin croise celui de nombreuses personnes, certaines s’arrêtent, d’autres passent mais laissent leur empreinte. Parmi celles-ci, une femme mystérieuse l’intrigue. Qui est-elle ? Quelle est sa quête ? Le tourbillon de la vie ne lui laisse pas le temps de résoudre l’énigme. Pourtant… Le propre du destin est de rendre possible l’inconcevable, celui de Nathalie est riche en évènements.
A PROPOS DE L'AUTEURE
Marie Jat-Belle-Isle couche sur le papier les mots d’une vie passée à voyager, à observer, à comprendre les autres et à aimer leurs différences. Tous ses voyages ont aiguisé sa curiosité, lui ont appris le sens relationnel avec les personnes de divers horizons et la richesse qui en découle.
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Seitenzahl: 268
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Marie Jat-Belle-Isle
Nous sommes tous des passants
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marie Jat-Belle-Isle
ISBN :979-10-377-5221-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes enfants
Après une nuit de nouveau agitée, Nathalie s’était réveillée angoissée, et désorientée, ne sachant plus où elle se trouvait. Heureusement, le soleil qui entrait dans sa chambre lui indiqua rapidement qu’elle ne risquait rien, qu’elle était à l’abri dans cette petite maison qu’elle avait choisie dans ce pays si cher à son cœur, la Grèce. Sa sérénité retrouvée, elle s’étira longuement pour évacuer le stress et répartir son énergie à travers son corps et surtout son esprit qui en avait bien besoin. Elle se leva, sortit de la maison, marcha lentement en direction de la minuscule plage proche de chez elle qui s’offrait à sa vue, et après avoir ôté son t-shirt, elle s’avança dans la mer encore fraîche. À cette heure de la matinée, l’eau était calme, aucune vague, aucun remous, elle ressemblait à un lac immense dont la couleur s’assombrissait en suivant la courbe descendante de sa profondeur. Elle resta un moment sur la rive à observer ses doigts de pied comme à travers la transparence d’une mince plaque de verre que rendait la mer si proche du bord. Elle avança doucement, elle se laissait caresser par la douceur de l’eau et du sable confondus. Elle ferma un moment les yeux pour mieux apprécier ce moment « divin » où les éléments prenaient son corps en otage, le soleil, la mer, le sable et quelques galets lisses et doux sous les pieds. Puis elle s’allongea, et se mit à fendre cette surface immobile en brasse lente et mesurée. Elle s’appropriait cet espace liquide qui glissait sur sa poitrine, son ventre et ses cuisses. Toute l’angoisse de sa nuit hantée par des cauchemars s’évaporait pour laisser la place à une sérénité si longtemps oubliée. Après avoir nagé presque une heure, elle revint vers le bord, récupéra le t-shirt laissé dans la crique miniature, et remonta vers sa maison. Ce lieu lui appartenait vraiment, et elle ne réalisait toujours pas la véracité de cette affirmation.
Elle n’aurait jamais imaginé investir de cette manière, et si quelqu’un lui avait parlé de cette éventualité quelques années auparavant, elle l’aurait traité de fou. Pourtant, sa maison cachée au fond de cette crique encaissée et à l’abri du regard des autres était bien à elle.
Elle prit une douche froide, et prépara son petit déjeuner. Ce repas était son préféré, elle prenait le temps de cuire son œuf à la coque, d’aligner les pots de confiture et de miel à côté du fromage de brebis grec acheté au détail, de faire griller ses tranches de pain, de choisir des fruits de saison achetés au marché local, et de faire infuser son thé, elle pouvait alors déposer l’ensemble sur la table ronde posée à l’ombre d’un immense olivier. Elle prenait le temps de déguster chaque bouchée, tout en admirant le paysage unique qu’elle avait sous les yeux. La mer s’invitait à son repas, et lui offrait son immensité en partage. Elle ne connaissait pas l’aspect du paradis mais était certaine qu’il était ici, dans ce lieu extraordinaire. Deux heures déjà depuis son réveil mais le temps qui passe lui importait peu, elle avait la journée devant elle pour vaquer à ses occupations. Tranquillement, elle débarrassa la table, fit un brin de vaisselle, aéra son lit et ferma les volets pour que la chaleur naissante mais déjà prononcée ne pénètre pas dans la pièce durant la journée. La température pouvait déjà atteindre les trente degrés en plein soleil à cette saison. Le printemps était précoce cette année, et annonçait un été caniculaire mais elle s’en réjouissait sans appréhension. Elle trouvait toujours un endroit ombragé et légèrement venté pour se rafraîchir et la mer, dans laquelle elle pouvait se prélasser des heures, lui apportait la fraîcheur dont elle avait besoin.
Aujourd’hui, elle devait se lancer dans un bricolage particulier. Il s’agissait d’enduire les murs de la maison de chaux blanche. La veille, elle avait préparé les murs comme le lui avaient appris des amis grecs du village voisin. Elle les avait brossés puis arrosés généreusement pour qu’ils restent humides, ce qui permettrait à la chaux de bien accrocher. Elle avait toujours admiré les maisons blanches si typiques de ce pays, elle savait que les habitants prenaient un soin particulier à enduire de chaux leurs maisons, le bord des terrasses et même le tronc des arbres mais elle en ignorait les raisons hormis celle de l’esthétisme. Lors de l’achat de sa maison, l’ancien propriétaire lui avait expliqué qu’elle devait le faire tous les ans de manière à garder le frais dans les pièces mais aussi à désinfecter de manière naturelle les surfaces enduites. Depuis ce jour, elle pratiquait ce geste ancestral perpétué par toutes les générations, elle participait au respect des traditions et cela lui procurait un immense plaisir. Par cette action simple, elle intégrait une communauté fidèle aux coutumes, quelles qu’elles soient. Elle aimait éprouver ce sentiment d’appartenance à un groupe. Ce sentiment était nouveau pour Nathalie qui n’avait jamais eu l’opportunité d’en faire l’expérience malgré avoir toujours travaillé étroitement avec d’autres collègues, et avoir affronté des situations très difficiles. Cette fois-ci, c’était autre chose, c’était un choix délibéré, consenti par sa propre volonté, sa propre envie, ce n’était pas imposé et cette différence était cruciale.
Son travail de peinture l’occupa une grande partie de la matinée malgré la petitesse de la maison. La chaleur commençait à s’intensifier et elle décida de remettre la couche à appliquer sur son toit-terrasse au lendemain. Elle avait du temps, et rien ne la poussait à toujours tout terminer dans un temps limité. La notion de temps avait complètement changé, et elle n’y accordait plus aucune importance. Elle vivait au rythme du jour et de la nuit, et pouvait même déroger à cette règle en restant éveillée toute la nuit et dormir une partie de l’après-midi en pratiquant un sport national, celui de la sieste au moment le plus chaud de la journée, donc en début d’après-midi. Elle respectait les demandes que son corps lui faisait en fonction de ses besoins vitaux, pour le reste, elle n’avait aucune obligation. Elle était passée « maîtresse » de son temps, et rythmait ses journées selon son bon vouloir. La liberté absolue était devenue sienne.
Après son pseudo travail qui l’avait accaparée toute la matinée, elle nettoya méticuleusement ses outils, puis décida qu’une petite salade grecque rafraîchissante lui ferait le plus grand bien. Une de ses premières activités lorsqu’elle s’installa dans ce lieu fut de créer un potager susceptible de lui apporter quelques légumes pour sa consommation personnelle, et elle était satisfaite du résultat. Elle était fière des tomates qui rougissaient, des courgettes qui prospéraient, ainsi que des concombres, poivrons, et autres légumes qui poussaient et mûrissaient facilement dans cette terre qu’elle avait retournée plusieurs fois avant de commencer les plantations. Mais pour l’instant, le jardin était vide et il faudrait attendre cet été pour consommer sa production. Elle avait donc acheté les ingrédients qui provenaient des serres avoisinantes pour sa salade, et déposa les tomates coupées en tranches, les rondelles d’oignons, les morceaux de concombre et poivrons puis assaisonna le tout avec l’excellente huile d’olive produite à base d’olives provenant de l’oliveraie d’une amie, et elle ajouta quelques brins de thym qui poussait de manière sauvage. Puis elle coupa une large tranche de feta qu’elle se procurait à l’épicerie du village, et que la patronne avait prélevée directement dans un grand tonneau en bois. Quelques tranches de pain grillé, et elle fut prête à déguster son déjeuner avec toujours ce spectacle naturel dont elle ne se lassait pas.
Comme à son habitude, elle prit ensuite son livre, s’installa confortablement sur la chaise longue mais s’endormit rapidement abandonnant sa lecture à plus tard. Un léger bruit la réveilla en sursaut. Elle avait gardé cette habitude issue de son ancienne vie, d’entendre le moindre effleurement, aussi discret soit-il, et d’être immédiatement sur le qui-vive. Ce n’était pas faute d’essayer d’oublier ces anciens réflexes qui l’avaient préservée du pire pendant des années.
Elle se releva et scruta les alentours à la recherche d’une présence, mais elle dut se rendre à l’évidence, son instinct s’était fourvoyé. Aucune présence n’était à proximité, et peut-être le passage d’un petit animal avait provoqué ce chuintement discret. Elle savait qu’une présence n’était pas forcément synonyme de danger, mais elle avait tellement eu l’habitude d’associer les bruits étrangers à des dangers, qu’elle réagissait encore de cette manière défensive. Le temps lui apporterait aussi cette quiétude mais il lui fallait être patiente.
Elle reprit sa lecture où elle l’avait laissée avant de s’assoupir. Nathalie avait repris goût à ce passe-temps qu’elle avait abandonné pendant toutes ces années d’activité intenses, et ce à contrecœur, mais elle n’avait alors ni la disponibilité dans le temps ni la disponibilité intellectuelle pour se concentrer sur un texte quelconque. Son esprit tout entier était accaparé par son métier qu’elle avait pratiqué au tout début en prenant le recul nécessaire à la réflexion mais qui était devenu au fil des années un automatisme dénué de réflexion. Alors maintenant, grâce aux conditions idéales qui l’entouraient, elle rattrapait le temps perdu à se perdre dans des lectures de toute sorte, hormis ceux à « l’eau de rose » qui ne lui réservaient aucune surprise. Elle accumulait une telle quantité de livres qu’elle avait dû acheter un coffre en plus de la bibliothèque qui couvrait un mur entier de son petit repaire. Mais elle avait aussi choisi de partager sa passion avec des amis proches, ou des connaissances férues de littérature française et étrangère, et ils échangeaient leurs livres, les donnaient, les distribuaient à qui était intéressé. La culture voyageait, s’échangeait, se transmettait et tenait enfin son vrai rôle de fédérateur entre les sexes, les âges, les nationalités et les sensibilités culturelles diverses.
L’après-midi passa ainsi aussi tranquille que les jours précédents, dans la quiétude et l’abandon. Elle alla ouvrir à nouveau les volets de la maison car la chaleur était tombée, laissant place à la douceur de la soirée. Elle arrosa les plantations de son potager avec la réserve d’eau de pluie qu’elle avait faite enterrer pour éviter son évaporation. Une petite pompe de relevage permettait d’alimenter le tuyau d’arrosage percé installé dans chaque sillon pour distribuer un filet d’eau mince mais régulier. Elle avait eu cette idée, et en était très satisfaite. Ainsi, ne gaspillait-elle pas l’eau potable qui était un bien précieux dans ce pays où la chaleur pouvait atteindre de très forts degrés de température, et qui pouvait connaître des mois entiers sans une goutte de pluie. Toute goutte était un trésor qu’il fallait protéger.
C’était aussi le moment qu’elle affectionnait, celui du dernier bain de mer de la journée qu’elle prenait avant que le soleil ne disparaisse. Il effleurait alors la nature de ses rayons apaisés et apaisants. Il terminait sa course littéralement happé par la mer. Elle retira ses vêtements, et se glissa lentement dans l’eau réchauffée par la chaleur de la journée. Elle s’allongea sur le dos, le visage tourné vers le ciel, les yeux fermés pour mieux ressentir la douceur des éléments qui lui caressaient la peau, puis elle fit quelques brasses en direction du large et revint s’allonger sur le sable de la berge encore tiède. Ce moment de communication avec la nature était privilégié, elle le redécouvrait à chaque fois sans jamais s’en lasser. Elle put ainsi terminer sa journée avec un dîner léger mais goûteux, et se mit à l’écriture d’une lettre adressée à une de ses amies restée en France, et qui s’était inquiétée du retrait social de Nathalie après la vie trépidante qu’elle avait eue. Elle avait compris son choix extrême, et n’avait pas essayé de l’en dissuader, d’autant qu’elle connaissait le caractère affirmé de cette amie en qui elle avait une totale confiance. Elle avait donc préféré la soutenir, et garder un contact régulier qui la rassurait. Nathalie l’avait invitée à venir lui rendre visite avec deux autres amies communes, et elles avaient prévu de se retrouver toutes les quatre au prochain été.
Encore une nuit mouvementée, passée en palabres infinis sur l’évolution du monde, son passé, son devenir, et les rêves ou fantasmes de chacun, sur la manière personnelle de les appréhender. L’alcool et les drogues diverses aidant, personne n’avait montré le moindre signe de fatigue, et tous étaient restés jusqu’au lever du jour. Nathalie était partie dans le sillage des derniers noctambules qui participaient à tous les évènements nocturnes les plus insolites qu’ils soient, pourvu qu’ils durent jusqu’au bout de la nuit avec abondance de substances « tonifiantes ». Les lieux étaient divers et très variés selon les envies et la liberté de chacun. Nathalie avait découvert un monde jusqu’ici inconnu, car ce n’était pas dans sa province natale qu’elle aurait pu se permettre ce genre « d’activités », si tant est qu’il y en ait eues, ce dont elle doutait. Une liberté totale d’action la portait vers des personnes « peu recommandables » comme auraient dit les notables de son village, mais ces personnes lui ouvraient des portes d’où l’imaginaire pouvait s’évader à l’infini. Les débats étaient sans retenue, les avis divergeaient, les idées fusaient dans tous les sens sans aucune logique laissant à l’abandon le pragmatisme parfois sectaire, parfois utile, mais par définition à leurs yeux, bridé et réducteur… bref le symbole du bourgeois rationnel et ennuyeux… archétype de ce qu’ils allaient devenir pour la plupart d’entre eux mais ils l’ignoraient à ce stade de leur vie. Une chose était certaine, l’ennui n’était jamais l’invité du jour, et bien plus souvent, de leur nuit.
Nathalie s’était parfaitement intégrée au groupe qui se modifiait régulièrement mais dont le noyau dur était toujours le même, soit six membres actifs parfaitement soudés malgré des divergences d’opinions passagères qui agrémentaient et pimentaient les débats. Comme le monde qu’ils créaient, puis défaisaient, pour le construire à nouveau, était lumineux, plein d’espoir et d’amour ! Le monde idéal à l’échelle microscopique d’un groupe de jeunes et parfois de moins jeunes qui idéalisaient leur devenir.
Cette nuit-là, elle rentra directement chez elle, dans sa chambre de bonne perchée au dernier étage d’un immeuble situé non loin de l’ancien quartier des halles. Cet endroit était en pleine effervescence. Elle avait pu assister à la fin des travaux pour la construction du centre Georges Pompidou qui avaient duré de nombreuses années et elle avait participé de loin à l’inauguration de cet étrange bâtiment très critiqué qui allait abriter un monde dédié aux arts et à la culture. L’architecture futuriste constituée de tuyaux multicolores s’imposait aux yeux des passants comme un navire perdu en pleine terre.
Elle prit une baguette et un croissant encore chauds à la boulangerie qui venait juste d’ouvrir ses portes, et grimpa jusqu’au 6e étage en faisant grincer les dernières marches en bois qui menaient au sommet. À peine entrée, elle quitta ses chaussures et se laissa tomber sur son canapé qui lui servait aussi de lit, elle s’endormit aussitôt. Après quelques heures de sommeil, elle émergea un peu vaseuse d’un rêve qui lui promettait un avenir meilleur. Au moins, elle pouvait espérer en dormant, et c’est sur ces notes positives qu’elle alla prendre sa douche. Le mince filet d’eau qui coulait lui procura un plaisir immense, et la délassa d’une nuit agitée. Les cheveux emmaillotés dans une serviette, elle sortit le croissant acheté de bon matin, se fit un grand bol de café bien fort pour se donner un coup de fouet, et s’assit face à la vue qu’elle avait de sa fenêtre. C’était le seul avantage de cette chambre, une vue sur Paris qui s’étendait jusqu’à la Seine et l’île de la Cité. Nathalie laissait son regard survoler les toits des bâtiments parisiens, et se perdait en direction de Notre-Dame dont elle entendait les cloches qui sonnaient déjà midi, l’heure de son petit déjeuner, ce qui aurait été paradoxal, voire saugrenu, l’année précédente. Son esprit s’évadait, et sa mémoire la propulsait des années en arrière lorsqu’elle vivait encore chez ses grands-parents qui prenaient soin d’elle depuis son plus jeune âge, depuis la disparition de ses parents.
Exception faite de cet évènement tragique dont elle n’avait aucun souvenir, elle avait eu une vie normale, avait suivi un cursus scolaire traditionnel, avait connu des peines sentimentales, des relations amicales terminées sans raison, mais avait toujours été entourée de beaucoup d’amour discret mais réel de son grand-père et plus démonstratif de sa grand-mère. Leur vie s’axait sur la sienne. Puis elle avait passé son baccalauréat, et après avoir beaucoup réfléchi à son avenir professionnel, et en avoir discuté en famille, elle avait décidé de suivre des études de journalisme. Son choix ne reposait que sur son souhait de voyager, et elle était convaincue que cette filière comblerait ses envies de nouvelles découvertes. Elle s’était rapidement renseignée auprès du centre de documentation de son lycée, puis s’était inscrite en première année pour suivre un cursus général. Ses grands-parents l’avaient soutenue dans ce projet, et l’avaient aidée à trouver un logement accessible à leurs revenus modestes qu’elle compléterait en trouvant des petits boulots, et elle était partie. La séparation sur le quai de la gare avait été éprouvante tant pour eux que pour elle, qui les avait regardés s’éloigner puis disparaître de son champ de vision. Ils semblaient tout petits, minuscules, serrés l’un contre l’autre, semblant être abandonnés et perdus. Elle garda longtemps cette image en elle, et encore maintenant, ce souvenir s’imposait à sa mémoire, et lui apportait des larmes aux yeux.
*
Seulement une dizaine de jours depuis qu’elle avait emménagé à Paris, et sa curiosité était insatiable. Elle avait été si impatiente de s’installer dans cette ville, où l’imagination surpassait parfois la réalité. Elle avait quitté son village pour rejoindre la capitale où elle était bien décidée à réussir sa vie professionnelle. La rentrée à l’école journalistique était prévue à la fin du mois, et elle passait son temps à marcher dans les rues bondées où les gens courraient plus qu’ils ne marchaient, toujours pressés, et qui se bousculaient pour rentrer ou sortir de la rame de métro qui les mènerait jusqu’à leur lieu de travail. Cette hâte perpétuelle l’avait surprise, et elle était régulièrement bousculée car elle avait gardé le rythme de sa province où les gens prenaient le temps de se parler, se regarder, s’écouter.
Elle profitait du temps libre qui lui restait pour visiter cette magnifique ville qu’elle avait fantasmée en feuilletant des revues. Ce jour-là, elle s’installa à une terrasse de café, le soleil lui caressait le visage et une douce brise faisait danser des mèches de cheveux devant ses yeux.
Nathalie était surprise qu’il devine si facilement qu’elle était nouvelle arrivée, elle n’avait pas dû encore perdre son air provincial, reconnaissable par son calme et son teint frais sur les joues. Elle avait effectivement noté la peau grisâtre, les cernes sous les yeux et l’énervement toujours sous-jacent de la plupart des Parisiens. Elle espérait ne jamais leur ressembler mais elle prenait déjà l’habitude de marcher vite pour attraper le métro, et ne regardait presque plus le ciel lorsqu’elle se promenait. C’étaient les premiers signes avant-coureurs de la perte de son identité provinciale.
Elle se joignit au groupe, et ne les quitta plus depuis cet après-midi de rencontre. Leur insouciance l’avait séduite, ils ne prévoyaient et ne programmaient jamais rien, ils suivaient leurs envies. Son errance avait débuté là, à cette terrasse de café. Elle ne fit pas la rentrée scolaire, n’assista à aucun cours mais distribua des prospectus, fut serveuse de café, fit des ménages dans des bureaux, et les agences d’intérim prirent l’habitude de faire appel à elle dès qu’elles avaient un travail peu rémunérateur mais qui lui permettait de compléter la pension que lui envoyaient ses grands-parents, ignorant tout de son abandon d’ambition professionnelle et privée. Elle n’alla plus les voir, elle leur écrivait pour les rassurer sur son sort en omettant de les informer sur sa vraie situation. Elle ne regrettait rien mais avait honte de leur mentir, peut-être auraient-ils compris cette vie décousue sans projet. La perte de leur fils, le père de Nathalie, les avait souvent amenés à réfléchir différemment, et la douleur avait renforcé leur tolérance aux évènements non conventionnels mais cela, elle l’ignorait.
*
Son petit déjeuner terminé, elle se prépara pour aller travailler. Elle avait de nouveau trouvé un emploi temporaire de serveuse dans un café proche de son domicile, son service démarrait à 14 h pour se terminer à 22 h. Cet horaire lui convenait parfaitement, et lui permettait ensuite de retrouver sa bande de noctambules pour la soirée et certainement la nuit à venir. Oubliés les projets de journalisme, abandonnée l’école qui lui aurait permis d’atteindre son objectif de découvrir le monde grâce à un emploi, elle en était réduite à de petits boulots peu payés, et les seules découvertes qu’elle faisait, étaient celles de gens souvent paumés, bien souvent imbibés d’alcool dès la fin d’après-midi, voire matinée, mais elle avait fait ce choix après s’être laissé entraîner dans des dérives de plus en plus profondes, elle se devait donc d’assumer.
Et des histoires, il y en avait, des tragiques, des drôles, des farfelues, des rocambolesques… le comptoir d’un café était une véritable réserve de pépites de toutes sortes, et malgré des attitudes agressives passagères, le ton retombait immédiatement devant les sourcils froncés du patron dont la carrure imposante servait de modérateur à toute velléité de violence. Nathalie se sentait donc en sécurité, et ne craignait pas d’être importunée par cette clientèle majoritairement masculine. Quelques figures féminines habituelles étaient présentes à heures régulières, des abandonnées du cœur qui trompaient leur solitude et leur chagrin dans quelques verres pris au bar, mais elles étaient plus discrètes, et plus solitaires. Nathalie observait cette réduction de société avec mansuétude soupçonnant des vies abîmées, mouvementées qu’elle évitait de prendre comme modèles. Depuis quelque temps, elle observait plus particulièrement une femme qui devait être proche de la cinquantaine, toujours élégante bien que ses vêtements soient légèrement démodés. Il lui était difficile de lui donner un âge. Cette femme, très discrète, s’installait toujours à la même table près de la baie vitrée quand il pleuvait, ou en terrasse dans le coin le plus reculé, elle prenait successivement une eau minérale, puis un thé au citron rondelle sans sucre. Ce rituel était immuable depuis qu’elle venait. Elle ne participait pas aux conversations ambiantes, ne se mêlait pas aux autres clients, et semblait perdue dans ses souvenirs avec des étoiles parfois au fond des yeux. Nathalie aurait aimé connaître sa vie, ses passions, ses espoirs, le tout qui aurait expliqué la mélancolie de cette femme si réservée. Mais elle n’osait pas, alors elle la servait en lui souriant, son regard essayant d’accrocher son attention pour créer un début de lien, mais, malgré un retour très poli, le silence demeurait.
Cette journée fut identique à la précédente. À peine son service terminé, Nathalie retourna à son appartement pour se changer, elle enfila un jean, un t-shirt, un pull-over et des baskets, et redescendit pour rejoindre ses amis dans un café proche du « trou des halles » comme le Tout-Paris appelait cet immense espace vide qui avait abrité les anciennes halles, et dont les travaux de réhabilitation avaient commencé pour aboutir, normalement dans un futur proche, à un centre commercial. Les travaux étaient monumentaux, et l’activité quotidienne dans les profondeurs de Paris pour permettre au RER puis métro de circuler dans ces sous-sols était incessante, bouleversant la vie des riverains. C’était d’ailleurs le sujet de conversation favori des clients des bars d’alentour. Depuis que les anciennes halles avaient déménagé en 1969, puis détruites en 1971 laissant à leur place, un trou immense béant comme si une bombe avait éclaté là, au beau milieu des habitations, tout contre l’église Saint-Eustache, les avis divergeaient mais la nostalgie l’emportait sur un progrès possible. Ce projet était très controversé, mais ambitieux et révolutionnaire. Il avait d’ailleurs changé plusieurs fois sur le papier. Paris se transformait à une vitesse inimaginable. Les grands pavillons de Baltard qui abritaient cette vie de marché restèrent vides pendant des années. Depuis le 12e siècle, ils avaient joué leur rôle au sein du plus vieux quartier de la ville, de « bouche nourricière » qui commençait à vivre lorsque la nuit tombait. Une catégorie de population haute en couleur avait disparu en même temps que le déménagement des halles. Il en fut de même pour certains métiers, tel que celui de l’approvisionneuse, ou celui du tasseur qui formait les pyramides de légumes de manière à ce que rien ne vienne à tomber. Tout un pan de l’histoire de la capitale s’écroulait en même temps que ces bâtiments si chers au cœur des habitants.
Nathalie aimait marcher dans ce quartier où les vieux se remémoraient le bon temps des halles, les clochards racontaient des histoires anciennes où l’entraide existait. Elle resta un long moment accoudée à la rambarde en bois qui surplombait le trou, et laissa son esprit errer vers le passé, quand les marchands attiraient le client, quand les chevaux tirant des charrettes pleines de denrées arrivaient pour décharger leur cargaison, quand tous se retrouvaient devant un verre avant de reprendre la route après une nuit active. Elle entendait encore cette gouaille parisienne lorsqu’elle servait les clients au bar, elle écoutait attentivement les anecdotes, elle s’enrichissait des expériences d’autrui. Certains avaient connu le Paris d’avant, les nuits glaciales passées dehors pour gagner de quoi vivre, et aussi, dans les rues adjacentes, les prostitués qui provoquaient le client potentiel, les « petites frappes » qui se prenaient pour des caïds. Sa vie lui paraissait alors beaucoup plus conventionnelle et pourtant, elle était décalée par rapport à celle de ses copains d’enfance. En fait, chacun avait ses propres points de comparaison et ses propres repères.
Elle se décida à quitter le bord du gouffre pour rejoindre ses amis, ou du moins la notion qu’elle avait alors de l’amitié. Ils étaient déjà tous attablés devant plusieurs verres, et Igor, le meneur de la bande, même s’il s’en défendait, l’attendait pour exposer son plan de la soirée. Il avait toujours beaucoup d’idées pour agrémenter leurs nuits mais cette fois-ci, elle était des plus farfelue.
Personne ne contesta ce choix. Tous étaient curieux, même excités à l’idée d’aller « se perdre » à 20 mètres sous terre dans un silence absolu, et non loin de l’ossuaire regroupant les anciens cimetières de Paris. Igor ajouta.
Son enthousiasme avait contaminé le groupe, et ils se levèrent avec hâte pour rejoindre l’entrée cachée qui leur permettrait de découvrir clandestinement ce lieu. Seule Nathalie semblait réticente, elle n’appréciait pas les lieux sombres et totalement clos mais elle ne voulait pas jouer les trouble-fête, et surtout rester en retrait car ils n’auraient pas hésité à la laisser sur place. Le meneur avait eu cette idée, et même s’ils prônaient tous la démocratie, la libre pensée et toutes ces belles valeurs qui s’y rattachaient, il était hors de question de le contrarier sous peine de se voir exclu du groupe. Nathalie n’avait pas conscience de cette sorte de diktat qui l’entraînait à agir parfois à contrecœur. L’influence d’Igor était telle, qu’elle n’envisageait pas d’aller à l’encontre de ses décisions suggérées.
Ils partirent tous, et traversèrent de nombreuses rues désertes à cette heure déjà avancée de la nuit. D’autres personnes rencontrées en chemin se raccrochèrent au groupe, et ils furent une dizaine à atteindre les quais de Seine qui abritaient une entrée peu connue des catacombes. La chaîne qui aurait dû garder l’accès solidement fermé était déjà à terre, justifiant ainsi des entrées clandestines qui avaient lieu régulièrement. Ils enjambèrent la chaîne, poussèrent la grille rouillée et pénétrèrent dans ce lieu sordide mais envoûtant pour celui qui aimait les émotions fortes.
Tout en avançant lentement dans les entrailles de la ville, Igor jouait au guide pour pimenter la visite nocturne.
Nathalie les écoutait et n’était pas vraiment tranquille. Elle souffrait déjà de cet enfermement humide et sombre mais sa curiosité l’emportait malgré tout. Cette expédition dans cette sorte d’enfer attisait son besoin de nouvelles découvertes, et elle marchait en silence se concentrant pour ne pas perdre de vue la lueur de la torche.
Bruno éclata de rire. Il était le joyeux luron de la bande, celui qui tournait tout en dérision, et il aimait taquiner Claudine qui pouvait avoir peur de son ombre. Venir avec eux dans ce lieu sinistre était un exploit pour elle, et Nathalie était convaincue qu’elle aurait préféré rester au café mais elle tenait à son appartenance au groupe, et n’aurait jamais avoué qu’elle tremblait d’effroi à l’idée de côtoyer des os humains à des centaines de mètres sous terre.