Une femme au pluriel - Marie Jat-Belle-Isle - E-Book

Une femme au pluriel E-Book

Marie Jat-Belle-Isle

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Beschreibung

Le hasard de la vie réunit trois femmes : Chris, Véro et Caro. Alors que rien ne les y prédisposait, elles se lient d’une amitié profonde, une amitié à toute épreuve. Seulement, est-ce vraiment une coïncidence ? Ces trois vies, âmes et destins ne seraient-ils pas le vécu d’un seul être, être au féminin ? Sous le couvert de sentiments forts, entre cris, peines, sourires et soupirs, Marie Jat-Belle-Isle vous invite à découvrir la femme dans toutes ses nuances.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Des grands classiques aux livres découverts en chinant, la lecture a toujours été une fidèle compagne pour Marie Jat-Belle-Isle. Quelques nouvelles écrites au fil du temps apportaient un support à son imagination. Puis le temps vint où elle couchait sur le papier les mots d’une vie passée à voyager, à observer, à comprendre les « autres » et à aimer leurs différences. Tous ses voyages ont aiguisé sa curiosité tout en lui apprenant le rapport aux gens de tous horizons et la richesse qui en découle.

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Seitenzahl: 199

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Marie Jat-Belle-Isle

Une femme au pluriel

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie Jat-Belle-Isle

ISBN : 979-10-377-5611-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes enfants

I

La rencontre

Elle marchait au hasard dans les rues de Paris, indifférente à l’animation qui régnait autour d’elle. Il faisait froid, elle était peu couverte et n’y prêtait pas attention. Des larmes glissaient le long de ses joues et elle les laissait couler sans prendre la peine de les essuyer. Les extrémités de ses doigts commençaient à devenir blanches, dépourvues de chaleur. Les passants la bousculaient comme toujours à cette heure de sortie des bureaux, mais elle ne sentait pas les coups de coudes et d’épaules.

Comment avait-elle pu se tromper à ce point ? Elle s’était pourtant juré de ne jamais retomber dans le piège des sentiments, ceux que l’on se jure éternellement au tout début d’une belle histoire. Quelle monstrueuse erreur !

Sa vie n’avait été qu’une succession d’erreurs, d’évènements non maîtrisés. Et si parfois elle avait l’impression de tout contrôler, elle se retrouvait de nouveau face à son impuissance de réaliser ses désirs. Elle n’était pourtant pas exigeante et n’aspirait qu’à une petite vie tranquille, aimer et être aimée, être entourée d’amis, avoir un bon travail sans trop de stress et surtout pas de prises de tête. Eh bien ! c’était raté.

Mais là, il fallait qu’elle se reprenne, qu’elle sèche ses larmes et retrouve ses esprits. Tout le monde disait toujours qu’elle était une battante, forte, précisaient-ils tous. Cette image lui collait à la peau et ses proches en étaient convaincus. Pourtant, s’ils avaient pu apercevoir toutes ses failles, ses blessures, ils auraient certainement été très étonnés.

En attendant, elle avait les pieds en piteux état car cette marche si longue avait épuisé le potentiel de solidité des semelles de ses chaussures. Heureusement que son potentiel d’autodérision était toujours aussi présent, sinon elle aurait succombé à l’appel du désespoir frôlé de justesse ou à l’envie de prendre un bain définitif dans la Seine, pourtant si polluée. Mais, cela n’arriverait jamais car l’amour pour ses enfants lui permettait de garder la tête froide à tout moment et en toutes circonstances.

Alors ce n’est pas un individu lambda responsable de son mal être du moment qui allait balayer, par son ignominie, ce sentiment vital qui la reliait à ses enfants. Elle continuerait son chemin et enjamberait précautionneusement les embûches qui se présenteraient devant elle.

Le temps ressemblait à son état d’esprit et le plafond gris très bas chargé d’humidité de la fin du mois de février collait parfaitement à sa journée si triste. Elle avait froid, commençait à grelotter et ses doigts glacés étaient douloureux mais elle préférait sentir cette douleur physique que celle de son cœur. Elle ressentait la fatigue liée à cette marche sans but, et l’accablement qui l’envahissait devenait un poids lourd et difficile à porter. Ses épaules s’affaissèrent, ses pieds refusèrent de continuer et des douleurs parcoururent ses jambes. Tout son corps lui criait de s’arrêter, de stopper cette marche inutile et douloureuse.

Sa raison était en berne et c’est machinalement qu’elle poussa la porte d’un café. La chaleur la saisit, le rouge lui monta aux joues et ses doigts revenus à la vie lui firent mal. Elle eut envie de consommer un alcool fort qui la secourait étant donné qu’elle n’était pas habituée à boire. Un gin-tonic lui donnerait un élan nouveau en lui permettant de lâcher prise et de diluer ses pensées tristes et mauvaises à la fois. Ce sentiment mauvais était nouveau, mais il était normal car, lorsque vous venez de subir un choc émotionnel à cause d’un crétin, de mauvaises idées vous viennent à l’esprit, mais le passage à l’acte est impossible. Ses pensées alternaient entre la peine éprouvée et l’envie de faire du mal à l’autre pour qu’il connaisse la même souffrance. Elle savait que c’était inutile et stupide, mais à cette pensée, elle éprouvait un soulagement !

Elle s’assit à une table près de la baie vitrée, passa sa commande et attendit d’être servie. Quand le serveur déposa son verre devant elle, elle ne s’en aperçut pas. Elle regardait les lumières de la ville à travers la vitre, les passants pressés de rentrer chez eux, ou de retrouver des amis, ou d’aller au cinéma, ou peut-être de fuir aussi une situation triste ou déplaisante. Elle prenait son temps. Elle en avait tellement maintenant, du temps. Certains courent après, ce n’était pas son cas. Elle posa ses lèvres sur le rebord de son verre et ressentit la force de l’alcool qui la réchauffa immédiatement.

Et maintenant, qu’allait-elle faire ? Une chose était certaine, elle resterait seule un bon moment. Elle n’avait plus envie de revivre ce genre de situation. Alors tout son temps lui appartenait et elle allait le gérer comme elle le souhaitait. Reste à trouver comment ?

Une fine pluie commença à tomber. Elle recouvrit les vitres du café et le monde devint flou.

Des ombres passaient, encore plus pressées que d’habitude. C’était presque drôle de les voir hâter le pas, puis courir pour éviter les gouttes. Elle continua de voir dehors sans rien regarder de spécifique, afin d’oublier cette douleur lancinante qui lui serrait le cœur et lui faisait monter les larmes. Elle essayait de minimiser cette rupture, car, en définitive, ce n’était qu’un passage dans une vie. Et pourtant, elle avait cette fois tellement espéré.

— Salut !

Et voilà, impossible de pleurer tranquille. Encore un mec en mal de solitude qui espérait une petite soirée accompagnée…

Elle releva la tête, et oh surprise, la voix rauque provenait d’un visage surmonté d’une touffe de cheveux en bataille et d’une haleine à faire fuir les moustiques du marais le plus glauque qui soit.

Tout ceci n’expliquait pas son intrusion dans ma sphère de lamentations. Elle n’avait d’ailleurs pas l’air plus en forme que moi, et ses yeux cernés par des nuits sans sommeil en étaient la meilleure preuve.

— Bonsoir, répondis-je.

Cela suffit pour l’autoriser à prendre une chaise et s’asseoir en face de moi. Après avoir passé commande d’un mojito, le silence s’installa. J’ignorais pourquoi elle avait choisi ma table et surtout pourquoi elle m’avait choisie, moi, avec mon air triste à faire fuir n’importe quel homme qui serait en manque de compagnie après des mois de traversée dans le désert.

Alors, qu’attendait-elle ? qu’espérait-elle ? J’étais tiraillée entre l’envie de lui dire de partir et de me laisser tranquille, mais ma curiosité naturelle fut la plus forte.

— Si vous espériez du réconfort de ma part, cela va être difficile car je ne suis pas trop en forme en ce moment !

Et de nouveau ce silence obsédant.

Elle continuait à aspirer sur la paille de son mojito, le regard dans le vague. On aurait dit que tous les malheurs du monde pesaient sur ses épaules. Elle semblait complètement perdue mais en même temps, des moments de lucidité traversaient son regard. Elle devait avoir entre quarante-cinq et cinquante ans, des cheveux châtains et des yeux bleu intense. Elle ne m’avait regardée que d’une manière furtive avant de s’asseoir mais son regard m’avait transpercée en une fraction de seconde. J’avais alors eu le sentiment qu’elle lisait et décryptait tout ce qui me hantait. Curieusement, sa présence m’apaisait.

— Moi, c’est Caro ! dit-elle enfin.
— Et moi, Véro ! répondis-je tout en réalisant que nous échangions nos diminutifs.
— Désolée de m’imposer mais j’avais tellement besoin d’une présence !
— Pas de problème.

Et le silence s’installa à nouveau.

J’en profitais pour l’observer, et ce sans discrétion. A priori, cela ne dérangeait pas Caro qui continuait à regarder dehors, tout en sirotant son verre. Elle semblait complètement étrangère à la situation et au monde qui l’entourait.

Après réflexion, elle devait avoir la cinquantaine, bien que son âge soit difficile à définir étant donné son aspect négligé. Ses cheveux châtain clair mi-longs encadraient son visage un peu rond. Ses yeux bleus lui donnaient un air un peu enfantin quand elle regardait fixement un point à l’infini. Son mascara avait légèrement coulé sur ses joues mais elle n’y prêtait pas attention. De taille moyenne, agréable à regarder, elle dégageait une sensualité qui ne devait pas laisser les hommes indifférents. Elle était un mélange de femme sûre d’elle, décidée et battante, et de femme presque enfant fragile et lasse de se battre. Elle instaurait un mur infranchissable vis-à-vis des autres et pourtant semblait réclamer d’être prise entre des bras bienveillants et compréhensifs.

J’en étais là de mes réflexions lorsqu’elle se tourna vers moi avec un léger sourire très doux.

— Veuillez m’excuser de m’être imposée à votre table. Vous auriez peut-être préféré rester seule. En vous voyant, je n’ai pensé qu’à trouver une présence réconfortante et j’avais tellement besoin d’une compagnie même silencieuse !

Tout cela fut dit d’une traite et sans se départir de son sourire.

— Ne soyez pas désolée, j’avais aussi besoin de compagnie mais n’étais pas prête à discuter, donc votre intrusion a été tout aussi bénéfique pour moi.
— En fait, je viens d’apprendre que je suis virée. Les raisons sont complètement farfelues et injustifiées mais je n’ai pas le choix autre que celui d’accepter sinon ils vont me pourrir la vie, et pour ça, ils sont forts. Le choc est rude surtout quand vous bossez comme une malade sans compter vos heures et votre énergie. Bref, je m’en remettrai mais je dois juste prendre le temps de digérer l’annonce et préparer la négo pour partir sans être trop perdante. Et voilà, vous savez tout ou du moins les grandes lignes. Et pour vous, qu’en est-il ? Ne vous sentez pas obligée de parler même si je me suis épanchée.
— La réciproque n’est pas obligatoire ! dit-elle en émettant un petit rire rafraîchissant.

Je ne suis pas enclin à faire des confidences à la première venue mais Caro m’inspirait confiance. Elle s’était livrée et j’aimais sa franchise.

— Oh ! c’est très simple, et cela n’a rien d’original. Déception amoureuse ! le mal le plus ancien depuis des siècles. Par contre, cela intervient après plusieurs autres et c’est la déception de trop. Celle qui provoque un ras-le-bol définitif des tentatives infructueuses d’engagement sentimental. Alors, j’ai claqué la porte et je suis partie sans savoir où j’allais. En attendant de trouver, j’avais besoin d’un alcool suffisamment fort pour faire le vide, à défaut de faire le point.
— Quelle équipe on fait ! dit-elle en éclatant de rire.

Sa réaction me surprit, mais prise de court, j’éclatais de rire à mon tour. A priori, nos situations respectives n’étaient pas catastrophiques. Nous n’étions que les représentantes parmi d’autres cas similaires aux nôtres. Rien de très grave, en définitive.

Caro ajouta : Je peux vous dépanner. J’ai une chambre de libre dans mon appartement, alors si ça vous dit, vous pouvez venir dormir à la maison. Je peux même vous trouver une brosse à dents… ajouta-t-elle en souriant.

Je ne pris même pas la peine de réfléchir. J’en étais d’ailleurs bien incapable. L’alcool commençait à m’embuer le peu de neurones qui restaient actifs dans mon petit cerveau d’abandonnée du cœur.

— C’est d’accord.

Et sans se concerter, on fit signe au serveur pour une nouvelle tournée. Un gin-tonic pour Véro et un mojito pour Caro. Notre rencontre datait de la demi-heure précédente et on semblait se connaître depuis des années.

Nous étions reparties dans nos pensées respectives, mais le silence ne nous dérangeait pas.

Nous ne nous étions pas concertées et avions cessé de parler simultanément.

Sans nous donner plus d’explications ni de détails, nous regardions les gens se hâter sous la pluie. Nous étions calmes, plus de trace de mal être, de peur ni de larmes.

Après avoir réglé les consommations, nous sortîmes du café et descendîmes vers la première station de métro. Cette fois-ci, l’odeur nauséabonde et la saleté ambiante ne me touchèrent pas. Mon mode olfactif s’était mis en sourdine.

J’ignorais son adresse et je marchais à ses côtés sans me poser de question. Pour la première fois de ma vie, je me laissais guider. Je ne réfléchissais pas, ne pensais à rien, mon regard frôlait les gens, les lieux sans rien accrocher de spécifique. Et surtout, je n’avais plus de crainte.

Après un quart d’heure de marche, nous arrivâmes au bas d’un immeuble un peu décrépi au charme désuet. Trois étages plus tard, sans ascenseur, je pénétrai dans l’appartement de Caro. Nous ne prîmes pas le temps d’une visite en règle, étant donné l’heure tardive et l’effet euphorisant de l’alcool ingurgité quelque temps auparavant, et pas encore effacé. Les nouvelles que nous avions dû affronter, et la solution que nous avions trouvée pour essayer d’oublier, nous avaient fortement fatiguées.

Caro m’indiqua une chambre et je m’effondrai sur le lit pour sombrer dans un sommeil profond, sans rêve ni cauchemar, l’esprit libre.

C’était tellement agréable cette sensation de vide, sans tristesse, sans peur du lendemain et surtout sans aucune pensée. J’avais l’impression de démarrer une nouvelle vie, un nouveau départ. J’avais comme effacé tout ce qui m’avait pollué la vie jusqu’à maintenant. Je m’endormis sereine.

— Bonjour ! le petit déjeuner est prêt.

La silhouette de Caro se dessina devant la fenêtre dont elle avait tiré les rideaux. Les cheveux toujours autant en bataille, mais le visage tout en sourire, elle me transmit son énergie. Et j’en avais vraiment besoin car l’alcool et ma fuite en avant d’hier m’avaient épuisée. Son entrain était communicatif.

La cuisine était petite mais une porte-fenêtre, qui donnait sur un minuscule balcon, laissait entrer la lumière. Les plants de tomates cerises avaient subi la fraîcheur de cette fin d’hiver. Les plantes aromatiques que Caro avait plantées dans des petits pots de couleur tenaient bon. La pièce humait bon le café chaud et le pain frais.

Pendant un court instant, j’oubliais la dispute, les pleurs, la rage et la douleur. J’oubliais la porte qui claque et la fuite dans les rues sombres de Paris sous la pluie. Par contre, mon léger mal de tête me rappelait les quelques gin-tonics de la soirée.

Caro nous servit un grand bol de café chacune et s’assit face à moi. Je découvris de petites taches de rousseur sur son visage qui lui donnait cet air enfantin.

— Tu as bien dormi ? me demanda-t-elle.
— Curieusement oui, malgré les évènements mouvementés de la veille. Je pense que l’alcool y est certainement pour quelque chose !

Elle éclata de rire et confirma :

— Si ma mémoire est bonne… on a fait fort toutes les deux et le spectacle devait être assez comique ! Heureusement, j’ai retrouvé le chemin pour rentrer à bon port. Je n’ai pas l’habitude de boire des alcools aussi forts et on aurait aussi bien pu se retrouver à l’autre bout de Paris errant comme deux malheureuses à la recherche de la bonne adresse… Si tant est que je m’en sois souvenue…

Nous nous mîmes à rire toutes les deux sans pouvoir nous arrêter, jusqu’à ce que les larmes nous voilent les yeux.

Toute la tension retombait. Le flot de nos émotions négatives surgissait en cascade au travers de ce rire franc et intense. Et un nouvel élan nous animait, annihilant notre peine voire désespoir de la veille.

— Ah ! ça fait du bien. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas ri comme ça. Caro s’essuya les yeux d’un revers de manche. Et maintenant une bonne tartine avec beurre et confiture, au diable les calories, et un bol de café pour bien nous mettre les idées en place.
— Et surtout pour nous aider à démarrer la journée, ajoutais-je.
— Journée déjà bien avancée… tu as vu l’heure ? 11 h ! précisa Caro.

En définitive, vu l’heure, nous nous fîmes un brunch pantagruélique avec jambon, œufs, fromages, fruits. L’alcool de la veille et surtout le jeûne nous avaient ouvert l’appétit. Nous comblions nos manques respectifs par une alimentation fournie et surtout par une joie nouvelle et improbable quelques heures plus tôt.

Nous pûmes alors commencer à apprendre à nous connaître et Caro tint à me faire visiter l’appartement qu’elle occupait depuis quelques années déjà en plein Paris. Une telle chance n’était que la résultante d’une malchance, puisqu’il s’agissait de son héritage suite au décès soudain de ses parents. Cet appartement suivait les membres de sa famille au gré des naissances et des décès successifs. Elle y avait passé une partie de son enfance quand ses grands-parents y habitaient et se remémorait ces instants de douceur partagés autour d’un chocolat chaud.

Dès l’entrée, il était chaleureux avec son parquet en bois blond et les murs au ton clair. Un vieux porte-manteau accroché au mur semblait conter l’histoire de ce lieu familial. Cet objet anodin pour certains représentait pour moi l’âme de la maison. Il avait accueilli tant de personnes différentes aux histoires particulières.

Mais je dus suivre Caro le long du couloir qui desservait une grande pièce aménagée en salon aux fauteuils douillets recouverts de quelques plaids dans lesquels je m’imaginais m’envelopper quand le froid s’abat sur la ville. Une table ronde avec quatre chaises en bois et aux assises rembourrées et couvertes d’un tissu rouge écarlate. Cette note de couleur rayonnait dans le cadre aux couleurs naturelles de la pièce. Les portes-fenêtres donnaient sur un balcon étroit agrémenté, tout comme celui de la cuisine, de pots de fleurs colorés.

La cuisine attenante avait été en partie ouverte sur la pièce principale tout en respectant le caractère ancien de l’ensemble.

Au fond de ce couloir, une porte délimitait la partie commune de la partie privée de l’appartement. À droite, une première porte pour les toilettes, puis une seconde pour la salle de bains. Un petit cocon de poupée avec sa baignoire, sa douche, un lavabo unique, et le luxe pour Paris, une grande fenêtre qui laissait entrer la lumière mais dont la vitre opaque sur les trois quarts respectait l’intimité vis-à-vis de l’immeuble situé de l’autre côté de la rue. L’espace était réduit mais très bien proportionné pour le rendre fonctionnel.

S’ensuivaient deux chambres de taille suffisamment correcte pour accueillir un lit double, une commode avec son miroir au-dessus. Chacune de ces pièces était décorée sobrement mais avec beaucoup de goût. Et toujours cette sensation de douceur et sérénité.

Enfin, au bout du couloir, la dernière chambre avec son cabinet de toilette privé. Elle était plus spacieuse que les deux autres, très lumineuse et dotée d’une petite cheminée.

Les moulures couraient sur tous les plafonds de l’appartement.

J’aurais aimé prendre du temps dans chaque pièce pour profiter de leur ambiance propre à chacune mais je n’osais pas. J’allais repartir de ce lieu magique pour m’enfoncer dans un avenir incertain et fade. Je ne devais pas me laisser aller à assombrir le moment présent par des pensées négatives, et, au contraire, emplir mon cœur de cette paix ressentie ici.

II

Chris

La mission allait prendre fin dans peu de jours, et Chris était vraiment impatiente de conclure.

Elle avait beaucoup apprécié le travail confié et l’ambiance au sein du service. Ses collègues étaient sympathiques, son boss assez cool et elle avait pu travailler de manière très autonome comme elle en avait l’habitude. Et le contraire aurait été impossible. En effet, elle ne supportait pas d’avoir un contrôle permanent et d’avoir à rendre des comptes. La confiance était son moteur de fonctionnement. Et cela dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée.

En fait, sa vie privée était très light, elle consacrait son temps à sa passion et n’avait pas envie de se contraindre à une vie de couple qui l’aurait bridée. Elle préférait voyager, et cela nécessitait une liberté totale. Elle accumulait donc les aventures au gré de ses voyages, et ses compagnons de quelques jours lui apportaient suffisamment de satisfaction. Elle avait d’ailleurs jusqu’alors fait des rencontres intéressantes tant sur le plan intellectuel que sur le plan plus intime.

Le choix de ses études avait été guidé par cette envie de découvertes et elle s’était donc tout naturellement orientée vers la section internationale. Elle avait ensuite opté pour des missions d’intérim, car elle souhaitait découvrir différents modes de fonctionnement d’entreprises et ainsi être capable à terme de s’adapter à tout type de fonction. Elle avait ainsi géré un service export, effectué de nombreuses traductions dans de nombreux domaines hormis juridiques qui nécessitaient la connaissance d’un jargon spécifique déjà souvent incompréhensible en Français pour le commun des mortels. Était-ce là une manière d’être indispensable pour pérenniser certains métiers ?

Jusqu’à présent, malgré certaines propositions d’embauche en CDI, rien ne l’avait suffisamment convaincue pour signer un contrat.

Elle aimait cette indépendance, dangereuse selon certaines connaissances et surtout instable.

C’était le terme qu’elle entendait régulièrement quand elle entrait dans une nouvelle entreprise. Changer de travail signifiait une instabilité ! Il aurait fallu que certains comprennent que les temps avaient changé, et que la possibilité d’une carrière au sein d’une même société était révolue. Finie la stabilité de l’emploi, le train-train quotidien. Des changements significatifs étaient en train de se produire, et il fallait s’habituer au changement. Elle avait connu la machine à écrire qui faisait un bruit d’enfer à chaque changement de ligne quand on actionnait cette manette de type levier de vitesse, les touches qui se bloquaient soudainement sur le papier, parfois plusieurs en même temps, et surtout les corrections impossibles et l’usage abusif mais nécessaire du petit pot de blanco avec son pinceau. Puis la première machine à boule, tac à tac à tac… doux bruit, c’est un euphémisme, qui mesurait presque la vitesse à laquelle la secrétaire tapait.

Et oui, la secrétaire, la femme parfaite qui apportait le café, qui fermait la porte délicatement derrière elle pour ne pas déranger le maître penseur, un homme bien évidemment, qui parfois même, s’occupait de réserver le restaurant pour le dîner de Monsieur avec Madame… et surtout qui savait se taire et garder précieusement les petits secrets de la boîte. Elle faisait le lien souvent entre les employés et le directeur. Le terme a ensuite changé en assistante. Simple question de mot car la fonction restait approximativement la même. Elle en savait quasiment plus sur son manager que la propre femme de ce dernier qui ne le voyait que très peu d’heures par jour. Ce dernier point n’a malheureusement pas forcément changé de nos jours.

Et puis il y eut les premiers ordinateurs de bureau, des monstres qui occupaient tout un pan de bureau.

Et enfin, le portable… ordinateur et téléphone… celui qui nous poursuit partout, qui nous rend accessible à tout moment, qui détruit la frontière entre le professionnel et le privé. Certains progrès ont de réels avantages mais la question peut se poser quand ces progrès nous agressent.

Chris refusait d’être annihilée à un mode de fonctionnement qui privilégiait l’intrusion dans sa vie. Elle ressentait cela comme une agression permanente, une violation de sa sphère personnelle.

Elle avait donc choisi de ne pas s’ancrer à un poste contraignant. Ses compétences dans le domaine du commerce international étaient reconnues, et de nombreuses missions lui étaient confiées. Son adaptabilité immédiate à toute nouvelle situation lui ouvrait de nombreuses portes. Mais le pouvoir de fixer le terme était précieux.