Occasion inespérée - André Michoux - E-Book

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André Michoux

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Beschreibung

Un homme, anéanti par la disparition soudaine de sa femme, part dans les Alpes pour une randonnée en solitaire...

Comme beaucoup d’histoires d’amour, celle-là se termine tragiquement : Cécile est emportée dans un accident de la route. Et Étienne ne s’en remet pas. Ni ses enfants, ni son métier d’enseignant, ni la séduisante et ardente collègue de travail n’arrivent à étouffer sa douleur. Pour fuir la maison du bonheur perdu, il part dans les Alpes, là où il se rendait souvent « avant ». Lors d’une randonnée en solitaire, il est victime, sur un sentier escarpé, d’une très mauvaise chute. Sans le passage inopiné de cet éleveur, il ne revoyait pas les siens. Il est ainsi recueilli et soigné par Alain et Marinette qui vivent dans un chalet d’alpage isolé. Le couple invite spontanément l’imprudent à séjourner avec lui, le temps nécessaire pour se rétablir avant de redescendre dans la vallée. Étienne remercie le ciel d’avoir mis sur son chemin des gens aussi généreux. Cet instant de grâce ne durera pas : le randonneur va soudainement être confronté à une situation irrationnelle et cornélienne provoquée par Marinette bien décidée à bousculer tous les principes pour parvenir à ses fins. Une histoire sans choix, sans issue. Seul l’amour aura le dernier mot.
André Michoux est l’auteur de précédents romans parus aux éditions Lucien Souny, dont Le Sabotier du plateau, Le Goût amer du nectar.

Étienne parviendra-t-il à se sortir de cette situation inédite ? Plongez-vous dans cette romance insensée, pleine d'action et de suspense !

EXTRAIT

Lorsque minuit sonna, ils se levèrent pour se souhaiter santé et bonheur. Étienne se sentit troublé. Il mit son émotion sur le compte de l’alcool. Les premières détonations du feu d’artifice éclatèrent. Ils sortirent. Dans ce cadre montagneux, le spectacle prenait une dimension surnaturelle et féérique. Delphine frissonna.
— Il faut que j’aille chercher un anorak.
— Tu veux que je te tienne par les épaules ?
Elle le regarda, étonnée.
— Si tu veux, finit-elle par dire après un moment d’hésitation.
Comme deux adolescents, appuyés l’un contre l’autre, ils fixaient, sans bouger, les étoiles blanches et multicolores qui scintillaient sous leurs yeux avant de s’évanouir. Le bouquet final mit un terme à la magie. Seules les lumières du village, qui paraissaient maintenant bien pâles, demeurèrent. Des cris d’allégresse s’élevèrent de toutes parts. Ils rentrèrent. Delphine commença à ranger. Elle lui fit comprendre qu’elle ne souhaitait pas son concours pour tout remettre en ordre. Il n’insista pas. Elle l’informa que, dans quelques heures, Désiré se réveillerait et qu’elle devrait s’en occuper avant de préparer le repas du déjeuner, car, l’après-midi, des groupes l’attendaient sur les pistes. Ils se souhaitèrent une bonne nuit et se quittèrent.
Étienne se tournait et se retournait dans son lit. Delphine ainsi que le petit être qui dormait à ses côtés perturbaient son sommeil. Il avait promis de considérer l’enfant comme étant celui d’Alain. Il fallait qu’il arrivât à se persuader qu’il n’avait fait que « rendre service ».

À PROPOS DE L'AUTEUR

Enfant, André Michoux a passé toutes les vacances scolaires chez ses grands-parents, entre la ferme et l’atelier du sabotier. De nombreuses histoires se racontaient, toujours tragiques et souvent les mêmes. Au fil des années, elles l’ont profondément marqué, au point de lui appartenir en quelque sorte.

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Occasion inespérée

Le mot de l'éditeur

Bonus littéraire

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Copyright

Ce dernier soir d’août marquait la fin des vacances. Étienne Brumer, avachi dans un fauteuil en plastique, promenait un regard vague sur la surface immobile de l’eau de la piscine. Tout à coup, sa vue se brouilla et la silhouette d’une gracieuse sirène lui apparut. Elle évoluait, en lui souriant, dans le liquide bleuté. Il se frotta les yeux. La vision disparut. L’obscurité menaçante qui se refermait inexorablement sur la propriété devenait oppressante. Malgré la douceur ambiante, Étienne frissonna. Il baissa les paupières. Aussitôt, son esprit fut envahi par les images de cette soirée de mars dernier. Elles s’étaient imprégnées pour toujours dans sa mémoire. Il se remémora son amusement lorsque la sonnette avait retenti. Il s’était levé, mais avait malicieusement temporisé. Comme il s’y attendait, le timbre avait recommencé à vibrer. Cécile, comme parfois, avait décidé de se faire désirer avant même d’entrer. Bientôt, ils s’embrasseraient tendrement avant de pénétrer, enlacés, dans ce nid douillet qu’ils s’étaient aménagé depuis bientôt dix ans. Étienne, après sa séparation avec sa compagne, et Cécile, après son veuvage, avaient uni leur destinée. Leur amour et leur complicité n’avaient jamais faibli. Ce soir-là, à la vue des deux gendarmes, le sourire d’Étienne s’était bien vite dissipé. Dès leurs premières paroles, il avait compris. Il avait eu l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds et il avait dû s’appuyer au chambranle de la porte pour écouter jusqu’au bout. Sa femme chérie avait été transportée à l’hôpital dans un état très critique. Le brigadier avait relaté, sans soutenir le regard d’Étienne, les circonstances de l’accident. Depuis plusieurs jours, le soir, le brouillard enveloppait la ville de son ouate cotonneuse. Il semblait être la cause principale de la collision. Cécile, auxiliaire de vie scolaire, rentrait d’un conseil de classe qui avait nécessité sa présence. Habituée au parcours, elle avait ralenti à l’approche du carrefour, puis avait de nouveau accéléré, car le feu venait de passer au vert. C’est à ce moment, d’après des témoins oculaires, que sa voiture fut violemment percutée au niveau de la portière avant gauche.
Malgré la tiédeur vespérale, Étienne frémit. De nouveau, le film du drame se déroula en boucle. Il n’arrivait pas à chasser de son esprit l’image de Cécile, inerte, coincée dans l’habitacle du véhicule. Une obscurité sépulcrale commençait à l’envelopper. Il leva les yeux vers cette voûte céleste qu’il avait si souvent contemplée à ses côtés. Les étoiles avaient perdu de leur éclat. S’il était sûr de pouvoir retrouver son grand amour, il n’hésiterait pas à favoriser son départ pour cet univers inconnu. Les yeux embués, il se leva pour rentrer. Sans allumer, il se saisit d’une cuillère, ouvrit le frigo, y prit un yaourt et une pomme, et s’affala sur le canapé. Il mangeait maintenant le produit lacté dont la blancheur lui rappela l’épreuve du drap soulevé. Il avait confirmé que la jeune femme figée, pâle, sans expression, était bien son épouse. Par la suite, comme un automate, il avait effectué les démarches nécessaires en pareilles circonstances : les appels téléphoniques à Élise et à Marc, les enfants de Cécile, à Maylis, sa fille, et à toute la famille. Puis il avait dû contacter la mairie, les pompes funèbres, et le curé pour la cérémonie religieuse. Lors de son homélie, le prêtre s’était efforcé de présenter l’au-delà comme une terre promise, un lieu de béatitude où la défunte était attendue après son passage trop court ici-bas. Étienne, lui, considérait au contraire que le bonheur de Cécile se trouvait au milieu des siens, de tous ces êtres qu’elle chérissait. Les paroles de l’homme d’Église, au lieu de réconforter Étienne, l’avaient exaspéré. Il avait été submergé par un sentiment d’injustice et de révolte. Aujourd’hui encore, il s’étonnait d’avoir pu faire face. Demain, avant la réunion de prérentrée, il se rendrait au cimetière. Il lui fallait communier avec Cécile, caresser le marbre rose aussi froid que le corps de l’être cher si souvent câliné. D’ordinaire, il était impatient de découvrir son emploi du temps hebdomadaire. Cette année, le placement de ses heures de cours de SVT lui importait peu.
Dès qu’il eut allumé, Étienne fut percuté par la photo du bonheur, en évidence sur l’étagère du meuble du salon. C’est lui qui l’avait prise un an auparavant. On y voyait, au centre, Cécile rayonnante, tenant par le cou ses deux enfants. Élise souriait, la tête appuyée contre celle de son compagnon, et Marc entourait la taille de son épouse. Maylis, assise par terre, sur le devant, complétait le tableau. Ce cliché représentait une étape dans l’existence de la famille puisque, au cours de ces vacances, on avait fêté le départ pour la vie active de chacun de ces jeunes. Marc avait, à cette époque, vingt-cinq ans. Après des études universitaires, il avait fréquenté, à Leeds, une high school en tant qu’assistant, pendant une année scolaire. Là, il avait rencontré Sarah, une jeune Britannique qui était devenue, depuis, Mme Brunet. Titulaire de son CAPES d’anglais, il avait été nommé dans un collège de Strasbourg où sa jeune épouse avait trouvé un emploi d’interprète. Élise, âgée de vingt-quatre ans, s’était installée à Dijon où elle exerçait le métier d’infirmière. Son compagnon, Jean Vilemet, poursuivait son internat dans le service de cardiologie du même centre hospitalier qu’elle. Quant à Maylis, elle était, comme son conjoint Christian Toccom, professeure d’EPS. Ils enseignaient tous les deux à Albertville, elle au collège et lui au lycée. Cécile et Étienne étaient fiers de cette photo qui symbolisait la réussite de leurs enfants et leur envol. Ils avaient décidé de penser davantage à eux. Étienne ne put retenir quelques larmes. C’était vraiment trop injuste. Aucun des derniers projets qu’ils avaient envisagés n’allait voir le jour.
Étienne, jusqu’alors très en phase avec les lycéens dont il avait la charge, était devenu agressif à la moindre négligence de leur part. Un manque d’écoute, un travail non terminé ou un résultat insuffisant le faisaient sortir de ses gonds. Il avait conscience que ses colères, son attitude et son ton souvent caustique étaient inadaptés, mais il n’arrivait pas à se dominer, à contrôler ses émotions. Son malheur le rendait injuste avec son entourage. Lors de la première réunion de parents, de nombreuses remarques, toutes formulées avec tact, l’avaient amené à réfléchir. Il devait se reprendre et ne pas transformer son mal-être en méchanceté à l’égard d’autrui. Le proviseur l’avait convoqué pour l’inciter à faire preuve de plus de compréhension et d’esprit pédagogique vis-à-vis de ses élèves. Son comportement devait rapidement évoluer, sinon il allait en être victime. Les critiques, dont il avait été l’objet, et l’entretien avec le chef d’établissement l’avaient profondément affecté, mais l’avaient poussé à durcir encore un peu plus son intransigeance. Les autres professeurs, qui, depuis la rentrée, lui avaient manifesté beaucoup de gentillesse et d’attention, commencèrent à devenir un peu plus distants. Puis il y eut cette première évaluation commune à toutes les classes de première. Étienne avait préparé l’épreuve. Ce soir-là, après les cours, il rejoignit sa collègue dans la salle des professeurs pour lui soumettre son travail, le valider et déterminer avec elle le barème de correction. L’enseignante se concentra sur le devoir. Elle lut attentivement, parcourut de nouveau l’ensemble du test, puis se tourna vers Étienne.
— Tu es sûr que ce n’est pas trop difficile ? Personnellement, je n’ai pas encore terminé le chapitre sur lequel portent plusieurs questions. Il faudrait procéder à quelques modifications, sinon ils vont se planter.
— Alors, contentons-nous de leur proposer un QCM ou de leur suggérer les réponses, rétorqua Étienne, d’un ton peu aimable.
— On ne peut tout de même pas leur proposer un contrôle en sachant pertinemment qu’ils n’auront pas la possibilité de le traiter d’une façon complète !
— Ils n’ont qu’à apprendre.
— Si tu en es d’accord, on va prendre le temps de retravailler ensemble ce contrôle.
Étienne se leva.
— Puisque tu me trouves incompétent, prépare-le toi-même et mets-le dans mon casier demain matin. J’accepte d’ores et déjà ta mouture. Tu as mon assentiment.
— Étienne, ne prends pas la mouche, je voulais juste…
Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, la porte avait claqué derrière lui.
Maylis actionna la sonnette de l’interphone placée à droite du portail d’entrée. Au bout de quelques instants, l’appel étant resté sans réponse, elle renouvela l’opération en maintenant plus longuement son doigt appuyé sur le bouton. Son visage devait apparaître sur l’écran, à l’intérieur de la maison. Au moment où elle prenait son téléphone portable dans son sac, le bruit d’un déclic lui apprit que le portillon était déverrouillé. Étienne n’était pas sorti pour l’accueillir. Elle emprunta l’allée de gravier. Dès qu’elle eut franchi le seuil, elle ressentit une émotion désagréable. Elle surmonta difficilement son trouble. En cette fin de matinée, son père était vêtu d’une robe de chambre et ses cheveux ébouriffés prouvaient qu’il n’avait pas fréquenté la salle de bains. Des vêtements étaient éparpillés dans différents endroits de la pièce. Une seule chaise n’était pas encombrée et le canapé n’offrait plus qu’une toute petite place. Sur la table basse, un bol, à la propreté douteuse, indiquait qu’il avait dû contenir du café. Il côtoyait un verre et une bouteille de whisky. La cuisine était dans un désordre indicible.
— Comment se fait-il que tu ne m’aies pas prévenu de ta visite ?
— D’abord, bonjour, mon petit papa, répliqua-t-elle en se jetant à son cou et en l’embrassant tendrement. Tu m’offres un café ?
Alors qu’Étienne préparait le breuvage, elle enchaîna :
— En fait, ma visite n’est pas désintéressée. Christian est en train d’aménager les combles dans la maison que nous avons achetée, pour y installer un bureau, une chambre et un cabinet de toilette. Tu viens sans doute de comprendre que nous avons besoin d’aide, et, comme on connaît tes talents de bricoleur, on a pensé que tu pourrais séjourner chez nous et nous donner un coup de main.
— J’aurais bien aimé, mais je vais recevoir Élise et Marc. Ils désirent aller se recueillir sur la tombe de leur mère.
— Je suis au courant, mais ils n’arrivent que la veille de la Toussaint, dans dix jours. Donc, rien ne t’empêche de venir passer une semaine chez ta fille. S’il te plaît, dis oui…
Étienne feignit d’hésiter, mais, au fond de lui-même, la proposition de Maylis lui faisait plaisir. S’il restait à Tours, il passerait ses journées à ruminer, à tourner en rond comme un ours en cage, lorsqu’il ne serait pas planté devant la tombe de Cécile, à fixer le marbre, à caresser la photo de ce visage souriant maintenant inaccessible. Il ne voulait pas cependant donner l’impression d’accepter trop facilement.
— Je ne vais pas être un hôte très agréable ; et puis, mes cours pour la rentrée ne sont pas prêts, fit-il remarquer, sans grande conviction.
— Allons, sois raisonnable. Tu dois à tout prix te changer les idées. À ton retour, tu mettras les bouchées doubles pour tes préparations et tes corrections. Ce soir, je t’emmène manger une pizza et, demain matin, on part.
Étienne abaissa la poignée de la scie à onglet, et la lame fit gémir le matériau stratifié à l’endroit exact défini par la ligne rouge du trait laser. Depuis le début de l’après-midi, Étienne et Christian étaient occupés à découper des lames de parquet flottant qu’ils fixaient les unes aux autres par un système d’emboîtement. Ce revêtement de sol s’étalait sur un isolant et, au fur et à mesure de l’avancement de leur besogne, les deux hommes contemplaient, avec un certain plaisir, le résultat. Seuls les mots essentiels étaient prononcés, mais chacun avait l’air de s’en accommoder.
Maylis avait hérité de sa mère non seulement une belle couleur de peau brun clair, mais également l’optimisme et la joie de vivre des gens des îles. Elle s’était beaucoup révoltée lorsque Mélissa s’était séparée d’Étienne pour retourner vivre avec son amant à la Martinique. Depuis, les choses avaient évolué et Maylis se rendait toujours avec plaisir dans ce lieu paradisiaque, éloigné de la métropole. Là, en compagnie de Christian, elle pratiquait, avec enchantement, la plongée et d’autres sports nautiques.
— C’est l’heure de prendre l’apéritif, cria-t-elle depuis le bas de la montée d’escalier. Le repas va être prêt.
— Est-ce que tu peux patienter encore quelques minutes ? questionna Christian.
— Bien sûr, je cuisine rarement des soufflés !
Lorsque les deux bricoleurs descendirent, la table était dressée et une bouteille de champagne attendait, à la température adéquate, dans un seau rempli de glace. Maylis et Christian, tous deux sportifs accomplis, se nourrissaient d’une façon équilibrée et saine, et ne buvaient que rarement de l’alcool, mais ils faisaient parfois une entorse à cette règle de vie. Au moment où ils levaient leur verre pour se souhaiter une bonne santé, Maylis surprit l’esquisse d’un sourire sur les lèvres de son père.
Étienne avait repris le chemin du lycée avec un peu plus de dynamisme qu’au cours des deux premiers mois de classe. Les conseils de ses collègues et de ses amis, son séjour à Albertville chez sa fille, la venue de sa belle-fille et de son beau-fils, l’avaient amené à réfléchir. Malgré l’affection sans borne qui avait uni Élise et Marc à leur mère, et en dépit du chagrin incommensurable que son décès leur avait causé, ils ne s’étaient pas laissé abattre par ce drame, ils ne s’étaient pas repliés sur eux-mêmes et ils s’étaient efforcés de continuer à vivre en se préoccupant de leurs proches. Pendant les deux journées qu’ils passèrent à Tours, les échanges qu’ils eurent avec Étienne permirent à ce dernier d’évoluer quelque peu dans sa façon d’être. Avec beaucoup de délicatesse, ils lui firent comprendre que Cécile n’aurait pas aimé qu’il s’abandonnât à un désespoir quasi permanent. Étienne fut impressionné par leur force de caractère. Il décida de faire un effort pour améliorer ses relations avec son entourage professionnel. Cependant, ce début décembre était propice aux idées noires. Les rues illuminées, les vitrines aux ornements scintillants, le regard émerveillé des enfants devant les automates des magasins et l’exposition des jouets, concouraient à rendre Étienne triste et mélancolique. Il ne pouvait s’empêcher de se remémorer la fièvre qui s’emparait de Cécile à cette époque de l’année, son enthousiasme à décorer la maison, le sapin, à installer la crèche… Elle s’évertuait à vouloir rendre tout le monde heureux, à essayer de trouver le cadeau qui ferait le plus plaisir. Et puis, elle prenait un soin tout particulier à la préparation et à l’élaboration des repas, questionnant sans cesse Étienne et faisant mine de bouder lorsqu’il s’amusait de sa frénésie. Elle avait été tellement privée d’amour et de ces bonheurs familiaux lors de son enfance et de sa jeunesse qu’elle semblait vouloir compenser au centuple ces moments perdus.
L’approche des vacances préoccupait Étienne, car, même en compagnie, il devrait affronter une terrible solitude. Bien que Maylis l’eût convié avec insistance à venir passer le réveillon et le jour de Noël à Albertville, il avait refusé catégoriquement. S’il appréciait Christian, il trouvait ses parents hautains et il ne voulait pas qu’on le considérât comme antipathique ni que sa tristesse inévitable rendît l’atmosphère pesante. Pour justifier son refus, il avait prétexté un séjour chez ses parents au cours de cette période. Ces derniers, il est vrai, avaient manifesté le désir de l’accueillir au haras, mais il n’avait pas encore donné sa réponse. Finalement, il décida, malgré quelques réticences, d’accepter l’invitation. Il aimait beaucoup Isabelle, sa mère, mais il lui reprochait sa trop grande indulgence vis-à-vis de son mari François qui avait régulièrement, au cours de sa vie, entretenu des liaisons amoureuses avec plusieurs de ses employées. Quoi qu’il en soit, il ne désirait pas rester seul. Cela aurait été beaucoup trop éprouvant. Il avait proposé aux enfants de Cécile de venir à Tours, mais, comme pour lui, le souvenir des Noëls passés aurait été fort pénible à supporter. Élise avait consenti, à la grande satisfaction de sa collègue, à travailler au cours de cette nuit de la Nativité. Son compagnon s’était, de ce fait, lui aussi, porté volontaire pour assurer une garde à l’hôpital. Tous deux se rendraient le lendemain chez les parents de Jean pour y déjeuner. Marc, lui non plus, ne désirait pas affronter le vide laissé par sa mère. Avec Sarah, il séjournerait chez ses beaux-parents à Alcester, près de Stratford-upon-Avon, ville de l’illustre Shakespeare.
Sans trop réfléchir, Étienne s’était engagé à accompagner son père pour une marche en forêt. S’il avait deviné qu’il s’agissait, en fait, d’une partie de chasse, il aurait refusé. Malgré ses soixante-quinze ans, François avançait avec assurance au milieu d’un dédale d’arbres, d’arbustes et d’arbrisseaux. Étienne le suivait en silence. Le vent composait une musique à la fois mélodieuse et sinistre. Au sommet des grands fûts, des branches se frottaient les unes contre les autres et diffusaient, par intermittence, des plaintes. François s’arrêta, mit un doigt sur sa bouche, se saisit délicatement de son fusil jusque-là en bandoulière, regarda vers la cime d’un arbre. Étienne écarquilla les yeux, mais ne vit rien. La détonation retentit et le volatile s’abattit comme une pierre aux pieds des deux hommes.
— Encore deux, et nous aurons, au menu du réveillon du jour de l’An, un succulent salmis de pigeon dont ta mère a le secret.
Le petit corps sans vie, que François venait d’enfouir dans la poche arrière de sa veste de chasse, deviendrait froid. Ses roucoulements n’égaieraient plus la forêt. De nouveau, la mort de Cécile s’imposa à l’esprit d’Étienne. Il était contrarié.
— Tu peux te dispenser d’un assassinat pour moi, car il me sera impossible de me délecter de la chair d’un gracile oiseau.
— Qu’aimerais-tu manger, alors ? questionna François.
— Des quenelles, par exemple, répondit Étienne sans trop réfléchir.
— Pas de problème. Ton souhait sera respecté, mais, bien sûr, ajouta-t-il d’un air malicieux, il faudra éviter les quenelles de brochet ou de veau et ne pas les napper d’une sauce à base de crustacés, sinon le mets ferait suite à une tuerie.
— Je me permets de te rappeler que je suis très sensibilisé à l’écologie et opposé à la pratique de la chasse.
— Je reste intimement persuadé que la grande majorité des chasseurs ont un comportement écologique. Depuis la nuit des temps, l’homme pratique la cueillette, la pêche et la chasse. Certes, à l’origine, cette dernière activité permettait aux humains de se nourrir, mais essaie d’imaginer qu’on la supprime. La prolifération des animaux sauvages serait telle qu’elle créerait un déséquilibre. En quelques années, les sangliers et les chevreuils, pour ne citer qu’eux, auraient envahi nos villages, nos jardins et nos routes. L’agriculture serait en danger, et, à plus ou moins brève échéance, la quiétude de nos villes. Enfin, je me permets de te rappeler que j’ai dégusté, chez toi, un succulent poulet de Bresse aux morilles.
Étienne, bien qu’irrité, reconnaissait cependant que son père n’avait pas complètement tort. En fait, chacun d’eux proscrivait de leur assiette quelques produits issus de l’élevage ou de la chasse. François ne mangeait jamais de viande de cheval et Étienne considérait que la chair de certains animaux ne devait pas être consommée. Les lapins, les oiseaux et les chevreuils entraient dans cette catégorie.
Lorsque les deux hommes pénétrèrent dans le grand salon, Isabelle, souriante, sortit de sa cuisine en s’essuyant les mains sur son grand tablier.
— Je suis en train de cuire un foie gras pour le réveillon de demain et, pour ce soir, j’ai mitonné une blanquette de veau. Je la servirai avec du riz. Je me souviens que tu adorais cela quand tu étais petit, ajouta-t-elle à l’adresse de son fils. Tu aimes toujours, j’espère ?
— Bien sûr.
François annonça qu’il allait chercher une bouteille de champagne pour l’apéritif. Isabelle s’approcha d’Étienne et lui prit les mains :
— On est tellement contents que tu sois là. Évidemment, je sais à quel point Cécile te manque, mais, tu le sais, mon grand, on n’y peut rien.
Le gamin, assis près d’Étienne, n’avait pas cessé de remuer, pendant toute la durée de la montée, sans avoir essuyé la moindre remarque de la part de ses parents. À l’arrivée du télésiège, ce gosse mal élevé avait failli le faire tomber. Étienne l’avait même soupçonné d’avoir essayé.
Appuyé sur ses deux bâtons plantés dans la neige, Étienne contemplait le paysage. Tout autour de lui, les sommets surgissaient d’une mer de nuages et se découpaient sur le bleu immaculé du ciel. Cécile, qui avait le don de s’émerveiller facilement, aurait été subjuguée par ce spectacle.
— Tu viens, on a faim.
Maylis l’attendait un peu plus bas avec Christian. Elle le tira de sa rêverie. En deux virages, il les rejoignit et calqua sa descente sur la leur. Quand il perdait un peu de terrain, il se faisait peur en augmentant sa vitesse pour rattraper son retard. Il avait eu raison d’accepter de passer une semaine des vacances de février à Albertville chez sa fille. Lorsque la météo était favorable, ils se rendaient tous les trois à Courchevel. Christian pratiquait le ski depuis sa tendre enfance et il avait participé à des stages de compétition lors de son adolescence. Maylis, que son père avait initiée à ce sport, avait beaucoup progressé et elle évoluait maintenant à un excellent niveau. Étienne avait exigé d’offrir les forfaits des remontées mécaniques et le déjeuner. À la mi-journée, ils s’arrêtèrent donc dans le restaurant d’altitude choisi pour sa situation et son ensoleillement. Ils consommaient généralement une soupe campagnarde qu’ils accompagnaient d’un dessert et d’un café. Lorsque la température le permettait, ils utilisaient la terrasse pour jouir du grandiose panorama qu’offrait le site.
Dès qu’il eut pris sa douche, Étienne se laissa tomber dans le canapé. Il n’avait plus skié depuis plusieurs années et, aujourd’hui, avec Maylis et Christian, il s’était adonné aux plaisirs de la neige d’une façon relativement intensive tout au long de la journée. Un certain bien-être l’envahissait en même temps qu’une incontestable fatigue. Il se rendait compte que la sédentarité le faisait vieillir avant l’âge. La voix du présentateur du journal télévisé devint moins distincte, puis se transforma en un vague murmure avant de se taire complètement. Étienne s’était abandonné dans les bras de Morphée. Un léger tapotement sur son épaule le fit sursauter. Il entrouvrit les yeux, émergea, confus, de son bref sommeil. Maylis se tenait à ses côtés et arborait un franc sourire.
— À une certaine époque, j’en bavais pour te suivre sur les pistes des Contamines. Il semblerait que les choses aient un peu changé ! Demain, c’est toi qui m’ouvriras le chemin.
— Je peux aussi rester chez vous. J’ai commencé la lecture d’un livre passionnant. Je propose de préparer le repas du soir, en attendant votre retour.
— Non, non. On ne se quitte pas, le taquina-t-elle. Mais, si tu n’abuses pas trop du vin chaud, on t’autorise à faire des pauses plus fréquentes, car nous n’avons pas envie de te voir descendre sur un traîneau guidé par un secouriste. Tu décideras demain matin, mais je pense que les conditions que je te propose ne te permettent pas de refuser de nous accompagner.
Christian sortit de la cuisine avec un caquelon fumant qu’il déposa au centre de la table. Une agréable odeur de fromage fondu se répandit aussitôt dans toute la pièce. Des petites fractions de baguettes, aux formes irrégulières, s’amoncelaient dans une panière.
— Ma grand-mère estimait qu’il ne fallait pas boire de l’eau avec une fondue, annonça Christian.
Le bruit, produit par le bouchon libéré, prouva que le jeune homme avait décidé de suivre les conseils de son aïeule. Bientôt, une pâte onctueuse s’enroula autour des morceaux de pain piqués sur les fourchettes. Étienne ne put s’empêcher de penser au plaisir qu’aurait eu Cécile à partager ce moment de convivialité avec eux. Son regard s’assombrit, mais il se reprit bien vite et décida de profiter de cet instant privilégié.
Parmi les enseignants du lycée, les candidats pour accompagner les élèves d’une classe de première en Angleterre avaient été peu nombreux. Il faut dire que, si l’échange s’étalait sur trois jours du temps scolaire, il se poursuivait ensuite la première semaine des vacances de Pâques. Étienne, qui appréhendait les périodes de congé, s’était porté volontaire et sa proposition fut acceptée avec empressement. Il avait posé une seule fois le pied sur le sol britannique. Tout jeune homme, il avait effectué un bref voyage à Londres avec Mélissa et il avait visité les monuments incontournables tels que l’abbaye de Westminster et la Tour de Londres. Il s’était bien sûr rendu devant le palais de Buckingham à l’heure de la célèbre relève de la garde royale, mais il n’avait pas vraiment pu s’imprégner de l’atmosphère particulière de la vie londonienne.
À l’avant de l’autobus, la voisine d’Étienne, Agathe, une collègue qui enseignait l’histoire et la géographie, coinça un doigt dans le guide pour le maintenir entrouvert et retrouver ainsi plus facilement la page abandonnée. Elle se tourna vers lui :
— Quel personnage hors du commun que ce roi Henri VIII ! S’il en est un qui a marqué l’histoire de l’Angleterre, c’est bien lui ! Non seulement par le fait qu’il eut six femmes, mais aussi parce qu’il fut à l’origine de la religion anglicane.
— Assurément, lui répondit distraitement Étienne, dont le regard flottait sur les paysages dévoilés par la route qui menait au château de Hampton Court.
Agathe comprit que le rabat-joie ne désirait pas poursuivre la conversation. Elle se replongea dans sa lecture.
De l’autre côté de l’allée centrale de l’autocar, Édith, la professeure d’anglais du lycée Rabelais de Tours, s’entretenait avec Kate, son homologue francophone de la high school de Kingston, coorganisatrice du séjour. Elles s’étaient connues alors qu’elles étaient étudiantes, elles s’étaient appréciées et elles avaient, quelques années plus tard, combiné un partenariat dont profitaient, chaque année, un groupe d’élèves. Les garçons et les filles des deux établissements s’étaient rencontrés, à l’automne, en France, et avaient déjà noué des liens d’amitié. En ce moment, un point alimentait des discussions passionnées : l’obligation, ou non, du port d’un uniforme propre à chaque institution. Les deux enseignantes, responsables de l’échange, se retournaient parfois pour inviter tel ou tel élève à réduire le volume de ses argumentations.
Chaque matin, les lycéens étaient répartis en petits groupes, pour pratiquer la langue de Shakespeare. L’après-midi, ils se retrouvaient sous la responsabilité de Kate et des professeurs français pour des activités de découvertes ou des excursions. Le soir, chacun rejoignait sa famille d’accueil. Les enseignants aussi. Édith logeait chez Kate, Agathe chez une vieille dame qui passait le plus clair de son temps devant la télévision quand elle ne promenait pas ses deux gros chiens. Étienne, lui, séjournait chez un couple de commerçants qui approchaient de l’âge de la retraite. Sans doute par gentillesse, ils faisaient sans cesse des efforts pour bavarder avec leur hôte, en s’appliquant à lui parler lentement. Étienne aurait préféré jouir d’une plus grande tranquillité. Les trois enseignants français étaient hébergés dans le même quartier, et Agathe, qui chaque soir devait prendre le thé devant une série américaine, avait suggéré à ses deux collègues de se retrouver, après le dîner, au pub. Édith avait refusé l’invitation, car elle devait préparer, avec Kate, la journée du lendemain. Étienne, qui n’avait pas envie de parler anglais toute la soirée, accepta la proposition.
Agathe et Étienne poussèrent la porte du débit de boissons. L’établissement était bondé. Ils se préparaient à ressortir lorsqu’ils aperçurent un serveur qui nettoyait une table basse près d’une banquette. Ils s’installèrent. La musique d’ambiance et la lumière atténuée créaient une atmosphère d’intimité. Étienne se leva.
— Que désires-tu boire ?
— Du cidre, s’il te plaît.
Il se dirigea vers le comptoir et revint quelques instants plus tard avec les boissons. Il se rassit et leva son verre. Elle fit de même en le fixant. Ils trinquèrent. Étienne regardait autour de lui. Un couple se dévorait des yeux. Ils s’embrassèrent tendrement, plaisantèrent, se chamaillèrent. La jeune femme caressa la nuque de son compagnon, ce qui eut pour effet de rapprocher leurs lèvres. Leur bonheur agaça Étienne. Il les imagina rentrant chez eux enlacés, prenant du plaisir avec leurs corps jusqu’au moment où leur passion les entraînerait dans une folle nuit d’amour. La beauté, la sensualité, la fougue de Cécile lui revinrent en mémoire. Il faillit se lever pour s’en aller, mais se retint au dernier moment. Il regretta d’avoir accepté cette sortie. Deux hommes jouaient aux fléchettes et semblaient s’amuser beaucoup. Entre chaque série de lancers, ils engloutissaient quelques gorgées du liquide sombre contenu dans leur pinte.
— Je ne suis pas d’une compagnie très agréable, fit remarquer Étienne.
Agathe se tourna vers lui, agacée.