Oda Nobunaga - Charles-Pierre Serain - E-Book

Oda Nobunaga E-Book

Charles-Pierre Serain

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Beschreibung

Un roman qui met en lumière l'action de l'un des trois guerriers unificateurs du Japon.

Depuis cent ans, ce pays est livré aux luttes intestines, aux appétits féroces de chefs de clan qui tous ne font que s’entre-détruire. Regarde le Japon ! C’est un immense champ de bataille où chaque victoire est suivie par une défaite au moins aussi provisoire. Au final, à part des milliers de morts sur les champs de bataille, la situation est toujours aussi chaotique. Le shôgun n’a presque plus de pouvoir. L’empereur l’a perdu à jamais. Ce sont des bandes de guerriers assoiffés de sang qui détruisent nos villes, nos monastères, nos villages et appauvrissent un peu plus chaque jour cette terre. Il faut quelqu’un pour arrêter cela, pour stopper enfin ce gâchis. Et ce quelqu’un, ce sera moi.

Vous apprécierez ce récit épique qui vous fera découvrir tout un pan de l'histoire japonaise !

EXTRAIT

Nobunaga se prit à penser à tout ce qu’il aurait pu finir, si le destin lui en avait laissé le temps. La conquête du Japon était en voie de réalisation. Il aurait pu arracher la paix à ce pays et arrêter les combats. Il aurait pu en faire un pays uni et fort, sous son commandement. Il aurait pu tout changer et rassembler les guerriers sous une bannière unique et les obliger à cesser leurs guerres meurtrières. Oui, c’est vrai, il aurait pu. Mais n’était-ce pas ces guerres et la conquête du pouvoir qui lui avaient tant plu ? N’étaient-ce pas le bruit des batailles et la soumission des autres qui l’avaient motivé durant tant d’années ? Une fois tout cela terminé, quel intérêt aurait-il trouvé à la vie civile ? Était-il vraiment fait pour la paix ? « Non, pas vraiment », pensa-t-il. Juste pour la conquête et les batailles. Le reste, il le laissait aux autres.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

À la lecture, il se dégage des pages de ce livre un grand réalisme dû à l'expertise de l'auteur sur le Japon médiéval. Le livre mêle vision romancée et reconstitution historique précise des événements. - Glesker, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Charles-Pierre Serain se consacre depuis 30 ans à l’étude du Japon médiéval. Il a créé en 2001 le premier site internet français consacré aux Samouraïs, et un autre site sur le Japon traditionnel récompensés par plusieurs prix.
Il a publié en 2012 un ouvrage sur les grands guerriers du monde, dont une partie est consacrée aux Samouraïs Japonais.

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ODA NOBUNAGA

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Contexte historique

1534 : Dans le château de Shobata, à l’ouest de l’actuelle ville de Nagoya, une naissance va changer l’histoire du Japon. La vie du jeune Nobunaga, fils du seigneur Oda, débute dans un monde tourmenté et violent. Depuis près de soixante-dix ans, le pouvoir central s’est effondré sur lui-même, laissant libre cours aux ambitions personnelles de quelques seigneurs de guerre assoiffés de puissance. Dans ce chaos meurtrier, aucun des prétendants ne parvient cependant à prendre l’avantage sur les autres, ce qui fait perdurer un état de guerre permanent. Pis, quand un chef militaire semble affirmer sa prééminence, tous les autres généraux se liguent contre lui pour l’abattre.

Cette période noire du Japon est entachée de destructions et de folie meurtrière. Kyôto, la capitale impériale, si riche de temples anciens et de palais somptueux, est livrée à la sauvagerie des combats et aux flammes des incendies. La moitié de la citée est détruite. L’empereur lui-même est obligé de se terrer dans son palais au centre de la ville, et son aura ne dépasse pas les murs de sa prison. Même leshôgun, pourtant censé gouverner le pays, en est réduit à nouer des alliances précaires avec des clans de guerriers.

Le sentiment de nation et de peuple unique a sombré dans les affrontements sanglants que se livrent les généraux et leurs armées. L’appartenance à une province et à son seigneur, ledaimyô, est dorénavant ce à quoi se raccrochent les habitants, toujours inquiets de voir la guerre ravager leurs familles et leurs maisons.

Fils d’un petit seigneur d’une modeste province, le jeune Nobunaga n’a aucun espoir de compter parmi les grands seigneurs qui se livrent bataille pour le pouvoir suprême. Mais ce qui le différencie des autres guerriers, c’est ce sentiment que seul un homme peut stopper cette folie et redonner au Japon son honneur et son prestige. Il y consacrera sa vie.

L’héritier irrespectueux (1551-1559)

Château de Shobata – 5 septembre 1551

Les visages étaient fermés. Les yeux fixés vers le sol, les longues colonnes de dignitaires ne bougeaient pas. De temps à autre, le vent soulevait les pans d’un kimono sombre qui retombaient aussitôt. L’atmosphère était pesante et seuls quelques murmures dans les rangs de l’assistance venaient – à peine – troubler le silence qui régnait dans la grande salle du donjon.

La lourde porte de la salle s’ouvrit lentement et, en un seul mouvement, la totalité des personnes présentes se prosterna, le front pratiquement appuyé sur le sol en bois foncé de la pièce. Après quelques secondes, la veuve du seigneur défunt entra enfin dans la salle, suivie par ses dames de compagnie. Son visage blanc ne laissait transparaître aucune émotion, apparemment indifférent à la douleur, comme l’exigeait la coutume des femmes de bushi1. Sa tenue très sobre, faite d’un kimono noir, sans aucune décoration, mettait en avant les armes du clan imprimées en blanc sur le tissu. Ce mon2 composé d’une fleur de mokku3 entourée d’un cercle blanc était l’emblème de la famille Oda depuis des générations.

Lentement, la veuve du seigneur Oda traversa la grande salle et passa entre les deux rangs d’invités toujours prosternés. Parvenue devant l’estrade où reposaient les restes incinérés du corps du seigneur Nobuhide enfermés dans un vase de céramique sobre, elle se prosterna, ainsi que ses servantes, devant la dépouille de son mari. Au bout d’un long moment, elle se redressa et, se tournant vers la droite, alla se placer avec ses fils déjà présents au premier rang. Peu de personnes notèrent une légère surprise dans son regard, lorsqu’elle constata l’absence de son fils cadet. Néanmoins, elle s’assit lentement à la place qui lui était réservée sans poser la moindre question à ses autres enfants.

Voyant que la veuve du seigneur était prête, les prêtres bouddhistes décidèrent de commencer l’office religieux des morts. Pour cela, ils vinrent s’incliner trois fois devant l’urne funéraire et commencèrent à réciter les litanies bouddhistes, seulement accompagnés du tintement régulier d’une clochette. La récitation lente et monotone des prêtres résonna à travers la grande salle, contrastant singulièrement avec le profond silence des participants.

La prière avait commencé depuis dix minutes lorsque, tout à coup, la grande porte de la salle s’ouvrit avec fracas, brisant l’atmosphère de recueillement qui régnait dans la pièce. Les prêtres cessèrent immédiatement de chanter et se tournèrent comme le reste de l’assemblée en direction de la grande porte. La veuve du seigneur Oda tourna elle aussi son regard vers l’entrée de la salle en redoutant de voir se concrétiser ce à quoi elle pensait depuis son arrivée. Et ceci se concrétisa irrémédiablement.

Un jeune homme venait de faire irruption dans la salle. Il avait dix-sept ans, mais son regard lui donnait déjà l’allure d’un homme mûr. Pourtant, le plus remarquable restait son accoutrement. Au milieu de tous les invités venus en tenue de grand apparat, il était vêtu d’un simple pagne d’exercice, ses cheveux longs étaient ébouriffés et maladroitement retenus par une queue de cheval. Il tenait un yari4 dans la main gauche. La sueur ruisselait tout le long de son corps.

Un mouvement de foule et un murmure sourd accompagnèrent cette entrée fracassante. Plusieurs femmes cachèrent leur visage avec la manche de leurkimonopour ne pas voir la tenue provocante du jeune homme. Seule la veuve du seigneur Oda se leva entourée de ses fils et lança un regard hostile au nouvel arrivant. Ce dernier, indifférent à la réaction outrée de l’assistance, se dirigea rapidement en direction de l’estrade centrale où était posée l’urne funéraire. La veuve se porta immédiatement à sa rencontre, mais le poids de son lourdkimonode soie l’empêcha de parcourir aussi rapidement qu’elle l’aurait souhaité la distance qui la séparait du jeune homme afin de lui barrer la route de l’estrade.

Sans se soucier de sa mère, le jeune homme se planta devant l’urne funéraire, poussant irrespectueusement du pied les trois prêtres bouddhistes qui cherchaient à l’empêcher d’avancer davantage. Un vaste cri de réprobation secoua toute l’assistance. Quelques hommes se levèrent sous le coup de l’émotion, mais n’essayèrent pas pour autant de stopper le jeune garçon, ni de lui faire des reproches.

— Nobunaga, que fais-tu ?

La veuve venait de s’adresser à lui par son prénom. Il se tourna vers elle et, de son regard dur et déterminé, la toisa en silence, puis regarda ses frères qui s’étaient eux aussi précipités autour d’elle.

— N’ai-je pas le droit d’assister aux funérailles de mon père ? déclara-t-il d’une voix suffisamment forte pour que toute l’assemblée l’entende. Ce merveilleux père que j’ai bien dû voir une dizaine de fois dans ma vie et pour qui j’ai tant compté ajouta-t-il d’un ton ironique.

— Mon frère, tu dois respecter notre père, encore plus aujourd’hui, le jour de ses funérailles. Ton arrivée bruyante, ta tenue désinvolte, ton discours sont autant de manques de respect que notre famille ne peut supporter.

Nobunaga regarda celui qui venait de lui adresser la parole. Son frère aîné de quatre ans, Nobuhiro, en tenue d’apparat, le regardait avec courroux. Il s’était interposé entre la veuve et Nobunaga, comme pour la protéger du regard du jeune homme.

— Tiens, tiens, mais voici le prétendu héritier du clan Oda qui vient recueillir la dépouille et le titre de seigneur encore tout chauds de mon père. Il n’aura pas fallu longtemps pour que les loups viennent déjà dévorer les restes.

À ces mots, un véritable cri de stupeur souleva l’assistance et le frère aîné de Nobunaga voulut se précipiter sur lui sous l’effet de la colère. Mais avant qu’il ait pu avancer, il fut stoppé rudement par la lance que tenait à la main le jeune homme. Celle-ci bloquait sa main et son sabre, l’empêchant de réaliser tout geste offensif.

— Tout doux, mon frère ! lança Nobunaga. Souhaiterais-tu provoquer un duel le jour des funérailles de notre pauvre père ? Mais tu n’y penses pas ! Quelle honte sur toi !

D’un coup sec de sa lance, il repoussa Nobuhiro sans ménagement vers sa mère, sans le quitter une seconde des yeux. Ce dernier resta immobile. La peur du scandale et la crainte des qualités guerrières de son frère le retenaient de commettre tout geste inconsidéré. Derrière lui, sa mère et ses frères restaient également sans bouger, mais leurs regards exprimaient une haine farouche à l’encontre de celui qu’ils considéraient comme un danger.

— Comme ma famille n’a pas d’autres remarques à formuler, je vais pouvoir, à présent, honorer mon cher père, avec tout le respect qu’il m’a inspiré depuis des années.

Joignant le geste à la parole, Nobunaga s’approcha de l’autel où reposaient les restes de son père. Sans même s’incliner, il tendit sa main vers un bol rempli des cendres de bois du bûcher funéraire et, d’un geste brusque, en saisit une poignée qu’il jeta avec désinvolture sur l’urne funéraire. Un nouveau cri de stupeur résonna derrière lui. L’ensemble de l’assistance était scandalisé de la façon provocatrice dont le jeune homme avait accompli ce rite ancestral.

Mais Nobunaga ne laissa paraître aucune gêne. Se retournant vers le public, il toisa tous les invités d’un regard dur, cherchant celui qui oserait s’opposer à lui. Mais un à un, tous les hommes, y compris ses frères, baissèrent le regard. Seule sa mère le fixait droit dans les yeux sans faiblir, révoltée par son comportement. Ils se défièrent ainsi plusieurs secondes et pour une fois, ce fut le jeune homme qui détourna son regard.

Le silence s’était installé dans la grande pièce sombre. On n’entendait même plus le bruissement deskimonosde soie, ni celui des respirations. Le temps semblait s’être arrêté. Le face à face entre Nobunaga et sa famille se métamorphosait en une sorte de confrontation lourde de sens pour l’avenir du clan.

Ce fut le jeune homme qui décida de rompre le silence.

— Bien, j’ai interrompu mon entraînement à cheval pour honorer mon père, mais il me reste encore des exercices à finir, et on m’attend pour la fin de la séance. Vous pouvez continuer.

Ayant regardé les prêtres en prononçant ces dernières paroles, il se dirigea vers la sortie, toujours armé de sa lance à la main, regardant successivement chacun des invités. Pourtant, dans la nuée de visages, il ne distingua pas celui d’un homme qu’il connaissait si bien. Âgé de plus de cinquante ans, Hirate regardait celui qu’il avait élevé depuis sa naissance et qui lui avait déjà causé tant de soucis. Il ne le quitta pas des yeux jusqu’à sa sortie de la grande salle.

Château de Shobata – 10 novembre 1551

Le vieil homme regardait par la fenêtre du donjon. Aussi loin que la vue portait, la brume du matin enveloppait les montagnes avoisinantes. L’hiver approchait à grands pas et Hirate sentait déjà en lui les premiers symptômes du déclin. Que de temps passé dans ce château au service du clan Oda ! Conseiller du père et à présent tuteur du jeune héritier. Posant sa main sur la rambarde froide devant lui, il soupira.

Ce n’étaient pas ses problèmes personnels qui le troublaient. Un sentiment de culpabilité pressant occupait toujours son esprit. Comment avait-il pu échouer de cette manière, lui qui avait reçu la confiance du clan ? Que s’était-il passé ? Il avait beau chercher, il ne trouvait pas d’explication concrète à son échec. Il s’était appliqué à réussir sa mission sans faille et sans relâche durant tant d’années !

Que de temps perdu ! Que d’énergie dépensée en vain ! Il devait préparer Nobunaga à prendre la tête du clan Oda et en faire un seigneur à la fois respectable et admiré. Quelle ironie ! Le jeune guerrier ne correspondait en rien à ce qu’il avait essayé de bâtir. Irrespectueux, fougueux, colérique, vivant en marge de sa propre famille… Impossible dans ces conditions d’en faire l’héritier du clan. Le professeur avait essayé de faire de son mieux pour canaliser cette énergie dévorante et cet esprit rebelle, mais le résultat condamnait tous ses efforts.

Des pas résonnèrent dans l’escalier. Le vieil homme avait demandé à Nobunaga de venir le voir, mais il ne savait pas s’il allait accepter l’invitation. Son attitude provocante à la mort de son père l’avait encore plus marginalisé. Cela faisait à présent des semaines qu’il essayait en vain de discuter avec lui. Mais celui-ci avait fait tout son possible pour éviter les reproches du maître. Il rebroussait chemin s’il le rencontrait. Cela rendait très triste Hirate, qui conservait malgré tout de l’affection pour son élève.

Le vieux professeur se retourna. Nobunaga était là. Il se tenait à la rampe de l’escalier, vêtu pour une fois d’un kimono de cérémonie. Cette tenue formelle l’étonna, mais il ne fit aucune remarque. Néanmoins, c’était un réconfort de voir que son élève avait enfin fait un effort de présentation. Ce dernier avança jusqu’au milieu de la pièce et s’inclina. Hirate fit de même, avec une inclinaison plus respectueuse devant l’héritier du clan Oda. Il leva alors ses yeux sur le visage de Nobunaga. Il était fermé. Mal à l’aise, le jeune homme détourna le regard vers les fenêtres du château, semblant s’intéresser aux montagnes noyées dans la brume au loin.

— Merci, Seigneur, d’avoir répondu à mon invitation.

Nobunaga fit semblant de ne pas entendre. Il tournait à présent le dos à son précepteur, cherchant visiblement à gagner un peu de temps. Puis, il se retourna lentement vers son interlocuteur, et cette fois-ci le regarda droit dans les yeux.

— Bonjour maître.

— Cela fait longtemps que nous n’avons pas discuté ensemble. Ces dernières semaines ont dû être difficiles pour vous après la mort de votre père.

Le visage de Nobunaga se durcit d’un seul coup et sa colère explosa :

— Je n’ai pas envie d’entendre tes remarques ni tes reproches ! Ma conduite ne te regarde plus. Pendant des années, j’ai dû subir ton enseignement et celui-ci n’a jamais été conforme à ma façon de vivre et de voir les choses. Je ne suis pas le genre d’homme à suivre les conseils de prudence et de bienséance que tu as voulu m’imposer à tout prix. Fini, les reproches ! Fini, les conseils ! Ne vois-tu pas que tu es inutile ?

Le vieil homme sentit une fatigue profonde l’envahir. Nobunaga était toujours aussi rude, insultant avec ses proches, sans aucun effort pour les autres. Toutes ces années d’éducation n’avaient pas réussi à changer la brusquerie de son discours. Il gardait les manières de ses soldats, criant, hurlant, n’écoutant personne. Comme ces phrases étaient dures à entendre pour Hirate !

— Pourquoi m’avez-vous évité si longtemps, Seigneur ?

À cette question, Nobunaga sembla se calmer un peu. Sa colère retomba presque aussi vite qu’elle était apparue. Mais il restait tendu et agité.

— Tu le sais bien. Je sais que tu désapprouves ma façon d’être. Tu n’es pas d’accord avec mes idées et mes ambitions. Mais, pis que tout, tu me méprises pour la façon dont j’ai agi il y a plusieurs semaines lors des funérailles de mon père. Tu t’associes avec ceux qui veulent me mettre à l’écart, qui pensent que je ne suis pas un héritier convenable et qu’en aucun cas je ne peux diriger et représenter le clan Oda.

Il s’arrêta quelques secondes et reprit plus calmement.

— C’est déjà suffisamment difficile quand il s’agit de ma mère ou de mes frères, mais encore plus si cela vient de toi. Durant toutes ces années, tu es le seul qui se soit occupé de moi, qui ait cherché à m’aider. Pour cela, je te suis reconnaissant, mais je suis en même temps extrêmement en colère de te savoir rangé avec mes ennemis.

Le vieil homme baissa les yeux vers le sol. La tristesse lui serra le cœur. Nobunaga n’avait toujours pas compris que lui, Hirate, restait le dernier à le défendre contre tous. Comment sa colère pouvait-elle l’aveugler au point de ne plus distinguer ses alliés de ses adversaires ? Pour ne pas montrer ses sentiments, il s’inclina. Puis, après quelques secondes, il releva la tête et regarda devant lui :

— Seigneur, comment pouvez-vous penser cela ? Comment pouvez-vous imaginer cela ? Comment une telle idée a-t-elle pu arriver jusqu’à vous ? Celui qui vous a toujours soutenu contre votre père, et même contre vos frères, c’est moi. C’est moi qui ai expliqué combien le clan Oda méritait d’avoir un héritier fort. Si vous doutez de vos plus fidèles alliés, comment pouvez-vous imaginer réussir à succéder à votre père ? Comment pouvez-vous espérer gagner le respect de vos gens ?

Le regard d’Oda, toujours dur, se modifia imperceptiblement. Une question germa en lui. Hirate était-il vraiment toujours de son côté ? Comment était-ce possible ? Son attitude provocante à l’enterrement de son père n’avait-elle pas éloigné son maître de lui à tout jamais ? Il avait bafoué tout son enseignement à la face du clan entier. Comment son maître pouvait-il encore s’intéresser à lui ? Et pourtant, c’est lui qui l’avait invité, n’est-ce pas ?

Gêné, il baissa son regard vers le sol. Comme à chaque fois, il ne pouvait s’expliquer comment cet homme frêle et âgé avait autant de pouvoir sur lui. Même son père n’avait jamais réussi à le faire plier, mais Hirate avait cette faculté.

— Si ce n’est pas pour m’adresser des reproches, quelle est la raison de cette invitation ?

— Seigneur, j’avais pensé à vous exprimer ma réprobation pour votre attitude il y a plusieurs semaines. Mais j’ai changé d’avis. Vous êtes désormais l’héritier du clan et mon rôle de formation est terminé. Quoi que je pense, je ne peux plus le dire à présent. Officiellement, vous n’êtes plus mon élève et je ne suis plus votre maître. En vérité, je voulais vous parler de l’avenir du clan Oda.

« Votre position en tant qu’héritier est très délicate. Votre frère Nobuyuki a la préférence de votre mère et de vos généraux et votre oncle Nobutomo, plus puissant que vous, rêve de confisquer notre domaine. Le mariage que j’ai arrangé pour vous il y a deux ans avec Nohime a servi à assurer une alliance avec la province de Mino, mais vos ennemis sont aujourd’hui dans votre famille. Si vous ne changez pas votre attitude tout de suite, vous ne serez jamais le chef du clan Oda.

Nobunaga se leva d’un seul coup. Il porta la main à son sabre et le dégaina brusquement. De telles paroles étaient un affront inacceptable qu’il ne pouvait supporter. Saisissant à deux mains la longue poignée, il arma son bras et se prépara à décapiter la tête du vieil homme assis devant lui. Celui-ci ne bougea pas et, fermant les yeux, se prépara à affronter son destin sans peur.

Il fallut une maîtrise extraordinaire au jeune homme pour s’empêcher de commettre l’irréparable et d’abattre son sabre sur le vieillard. Agité par une colère qui le faisait trembler, il rejeta son bras en arrière, puis s’étant reculé, il se dirigea vers l’escalier et disparut en criant.

Château du clan Ikoma – 22 septembre 1552

Kitsuno leva les cieux vers le ciel. La fin de l’été approchait, mais le soleil répandait encore généreusement sa chaleur sur les montagnes environnantes. Le souffle tiède du vent se faufilait entre ses longs cheveux noirs qui volaient au-dessus de son kimono bleu ciel. Elle aimait tout particulièrement ces fins de journée, juste avant que le crépuscule ne donne à chaque objet une nouvelle forme sombre.

Elle entendit des pas derrière elle. Des voix et des cliquetis d’armes lui apprirent qu’un groupe d’hommes se dirigeait dans sa direction. Ils étaient peu nombreux et elle reconnut tout de suite la silhouette élancée et la voix de son père qui menait le groupe. Trois autres guerriers en tenue de chasse l’accompagnaient. Leur discussion était animée et joyeuse. Visiblement, la battue avait été bonne cet après-midi et le gibier abondant.

Son père l’aperçut de loin et lui sourit. Kitsuno était sa fille préférée, non seulement à cause de sa beauté, mais surtout pour sa gentillesse et sa profonde compassion pour ceux qui l’entouraient. Sans cesser de lui sourire, il changea alors de direction et décida d’emmener le groupe à sa rencontre.

C’est alors qu’elle l’aperçut. Le jeune homme discutait de vive voix avec son père. Il était svelte et sa moustache était amusante pour un si jeune guerrier. Ses cheveux longs tirés en arrière par un ruban détonnaient dans un univers d’hommes où tous portaient le chonmage5. Mais ce qui attira le plus Kitsuno, c’était son regard, franc, alerte, perçant, différent de celui des autres hommes.

— Seigneur Oda, je voudrais vous présenter mon plus beau trésor, à part celui qui est caché dans le donjon, bien sûr, dit son père en riant.

La jeune fille s’inclina devant le groupe de guerriers. Son geste était simple, mais la grâce qu’elle y mettait éveilla l’intérêt du jeune Nobunaga. Il n’avait pas prêté attention à elle jusque-là, mais quand elle se releva, il s’arrêta net de parler au père de la jeune fille. Son regard s’attarda sur ses yeux et son visage, et surtout sur son sourire énigmatique, comme si une question inconnue allait lui être posée.

— Je suis… Oda Nobunaga, l’héritier du clan Oda…

À sa grande surprise, le jeune homme ne put ajouter quoi que ce soit d’autre. Lui qui commandait, qui décidait, se trouvait pour la première fois à court de mots, à court d’idées, à la simple vue de ces yeux et de ce sourire. Son esprit cherchait désespérément une idée, une répartie, un sujet pour lui redonner une contenance, mais rien ne venait. C’était le vide, tout simplement. Rien qu’elle… devant lui. Tout avait basculé en un instant, sans qu’il y puisse quelque chose.

Kitsuno ne disait rien non plus. Elle souriait à cet homme différent des autres, qui la contemplait sans rien dire. Elle était troublée par ce changement brusque d’attitude. Il était si puissant, il y a quelques instants, et il était devenu si faible tout à coup.

— Hum…

Le père de Kitsuno et les autres guerriers étaient un peu gênés par ce silence qui s’installait dans la conversation, sans vraiment oser l’interrompre. Mais plus ils se sentaient exclus d’une chose exceptionnelle qui se déroulait, plus leur malaise grandissait.

Bon diplomate, le père se tourna vers les autres samouraïs en leur indiquant l’une des constructions du château.

— Voilà, c’est ce que je voulais vous montrer, cette tour de guet permet de surveiller tous les environs.

Nobunaga ne se rendit même pas compte que le petit groupe s’éloignait. Il ne pouvait détacher son regard de Kitsuno. Ses cheveux noirs balayés par le vent du crépuscule masquaient de temps à autre ses yeux et la jeune femme tentait à chaque fois de remettre en place sa chevelure. Un peu gênée par la puissance du regard du jeune garçon, elle se tourna et indiqua d’une main très blanche la chaîne de montagnes au loin.

— Elles ont connu de nombreuses générations de ma famille. Nous les aimons et nous les vénérons, car elles nous ont protégés durant longtemps de nos ennemis. Avez-vous aussi des montagnes qui vous sont chères, Seigneur Oda ?

Soulagé d’avoir enfin trouvé un sujet de discussion, Nobunaga se détendit un peu et sourit à la jeune femme. Il retrouvait peu à peu son assurance, mais il se demandait comment Kitsuno l’avait jugé durant ces quelques instants. Il sentait confusément qu’il avait eu l’air d’un simple d’esprit et il s’inquiétait de ce qu’elle avait dû penser.

— Je n’ai jamais pensé ainsi à nos montagnes, mais vous avez raison, elles sont en moi et j’ai probablement besoin de leur présence sans le savoir. C’est étonnant, personne ne m’avait fait remarquer cela avant vous. C’est comme si vous aviez lu en partie dans mon esprit.

La jeune fille se retourna vers lui doucement en lui souriant. La beauté du geste qu’elle faisait lorsqu’elle tournait ses cheveux parut irréelle au jeune homme, comme si c’était la première fois qu’il assistait à un tel spectacle. Tout lui sembla nouveau avec elle. Sa façon de poser les mains sur son kimono ou de se déplacer prenait étonnamment une dimension magique. Nobunaga était sous le charme le plus puissant qu’il avait jamais rencontré, incapable de savoir réellement quel était cet état qu’il découvrait pour la première fois.

Kitsuno le regardait droit dans les yeux, sans la gêne habituelle que le protocole aurait dû lui enseigner. Elle aurait dû éprouver de la crainte envers cet homme, mais elle sentait se nouer une relation à la fois simple et différente d’avec les autres. Il lui sembla qu’elle captait toute son attention et qu’elle l’avait tout à elle, alors qu’elle le voyait pour la première fois.

Le silence dura plusieurs secondes. Les deux jeunes ne se quittaient pas des yeux, sans besoin de remplir le vide par des paroles banales. Puis Nobunaga, sans détacher d’elle son regard, s’apercevant néanmoins qu’ils étaient seuls, lui dit simplement :

— Je reviendrai… vite.

Il lui sourit une dernière fois et se retourna pour rejoindre le groupe de samouraïs déjà au loin. Mais le jeune guerrier qu’il était quelques minutes auparavant avait déjà fait place à un homme nouveau.

Château de Shobata – 15 juin 1553

L’homme était accroupi sur le tatami, ses jambes parfaitement repliées sous lui, comme l’exigeait la tradition. Son kimono blanc, immaculé, ne se détachait pas des paravents également blancs déployés autour de lui. La lumière du soleil se réfléchissait ainsi sur toutes les parois, donnant à la salle une clarté inhabituelle.

Posée à terre devant le guerrier, une petite boîte traditionnelle en bois blanc portait un long poignard protégé par une feuille de papier blanc. Le manche de l’arme était lisse, sans la poignée ornementée qui l’accompagnait habituellement. La longue lame d’acier reflétait les rayons du soleil des premières heures de la journée. On pouvait y voir courir une légère vague bleutée qui indiquait la partie la plus tranchante de l’acier.

Quatre guerriers en kimono entouraient le vieil homme. Sans laisser paraître la moindre émotion selon le code des guerriers, ils ressentaient néanmoins un malaise profond devant ce spectacle. Mais leur éducation et leurs règles les empêchaient d’exprimer la moindre remarque ou le moindre désaccord à celui qui allait les quitter.

Hirate regarda sans crainte la couleur de l’acier. Dans quelques instants, le calme et la pureté de cette pièce feraient place à la violence de sa mort. Les murs blancs, son kimono immaculé seraient éclaboussés du rouge flamboyant de son sang. Et les gémissements qu’il ne pourrait refréner briseraient également l’harmonie de ce jour naissant.

Le vieil homme avait longtemps mûri sa décision. Il ne voyait plus que cette solution pour résoudre ce mal qui le rongeait depuis tant d’années. Toute sa détermination et son obstination n’avaient servi à rien et les années passées avaient un goût amer d’échec. Lui qui avait servi trois générations du clan Oda terminait sa vie sur un échec.

— Hirate sama6, êtes-vous prêt ?

Le samouraï qui se tenait à présent devant lui devait l’aider à commettre son seppuku7. Il l’avait choisi pour sa précision au sabre, garantie de ne pas trop souffrir au dernier moment et de rester digne jusqu’au bout. Le vieil homme hocha la tête pour donner son assentiment et le guerrier vint se placer légèrement en retrait à sa gauche. Il ne portait qu’un sabre court à sa ceinture. Un jeune page tenant son tachi8 se plaça à deux mètres de lui.

Hirate regarda une dernière fois le paysage des montagnes qui se dessinait par la fenêtre. Il pensa à tous les guerriers morts avant lui qu’il allait rejoindre. Mais dans son cas, pas de mort glorieuse au combat, juste l’échec d’une mission ratée. Nobunaga était cet échec de toute une vie. Au lieu de l’écouter, il n’avait fait qu’empirer la situation depuis deux ans. Les relations avec sa famille s’étaient encore détériorées : son frère Nobuyuki était à présent soutenu par tous les généraux effrayés par le comportement de Nobunaga. Pis, quelques jours auparavant, son oncle s’était emparé du château de Kiyosu, siège du pouvoir du clan Oda. L’anarchie régnait à présent dans la province avec trois candidats possibles au titre de chef de clan. Pour couronner le tout, Nobunaga était tombé amoureux de Kitsuno Ikoma, ruinant ainsi le mariage avec le clan Saito qui redevenait une menace au nord de la province. Tout ce qu’avait fait le jeune héritier avait été d’affaiblir son camp jour après jour. À ce rythme-là, la province deviendrait une proie facile pour ses voisins, dont celui de l’est, le clan Imagawa, qui ne cachait pas ses ambitions d’absorber ce petit domaine.

La perte du château principal de Kiyosu venait de précipiter les événements, il y a quelques jours, et l’absence de réaction de Nobunaga avait décidé le vieux Hirate à pousser le jeune homme à agir en commettant ce suicide. En sacrifiant sa vie, il pouvait ainsi contester le comportement de son maître, sans perdre l’honneur de son nom. Appelée kanshi, il s’agissait de la seule forme d’indignation qu’un seigneur pouvait accepter. Pour Hirate, c’était également la seule possibilité de sortir avec dignité de son échec, sans que son nom soit taché à jamais. La seule…

Le moment était venu. Respirant le plus lentement qu’il pouvait, le vieil homme s’inclina devant les quelques personnes présentes dans la salle. Regardant chacun d’eux, il déplia un message qu’il brandit devant lui afin que chacun puisse en découvrir le contenu. Sur la grande feuille de papier blanc, une succession d’idéogrammes tracés avec élégance expliquait en termes officiels la raison de ce suicide. Afin que le message soit bien clair, Hirate le lit d’une voix forte et assurée.

— Moi, Masahide Hirate, au service du clan Oda en tant que conseiller spécial, responsable de la formation du jeune héritier du clan, déclare par ma mort attirer humblement l’attention du seigneur Nobunaga sur les menaces pesant lourdement sur l’évolution de notre clan et le prie instamment de bien vouloir y remédier pour la prospérité de la province. Ma fidélité et mon attachement au clan ont toujours été pour moi le but de toute ma vie et c’est pourquoi j’offre celle-ci avec joie aujourd’hui en témoignage de cet engagement.

Tenant toujours la lettre à deux mains devant lui, Hirate s’inclina brièvement, puis, lentement, la replia et la posa devant lui sur le tatami, à côté du poignard dont il allait se servir. Puis, sans lire un traditionnel poème d’adieu, il se prépara au suicide.

De ses deux mains, il écarta doucement les deux pans de son kimono blanc, révélant son torse âgé. Lentement, il prit dans sa main droite le poignard enveloppé dans la feuille de papier blanc et plaça la pointe de la lame sur son abdomen, sans appuyer. Son esprit était étrangement calme, à présent. Il avait déclaré publiquement ce qu’il avait sur le cœur depuis des années et cela ressemblait à une telle libération pour lui, qu’il en ressentait un vrai plaisir. Ce qui allait arriver dans les minutes à venir n’avait plus d’importance.

Sa main gauche se posa sur son abdomen et chercha l’endroit le plus souple pour y engager la lame. Quand elle l’eut trouvé, elle s’arrêta précisément à cet endroit. De sa main droite, Hirate amena le poignard exactement à l’endroit choisi et figea son geste. Il était prêt à présent pour son passage vers l’au-delà.

C’était le signal pour lekaishakunin9. Celui-ci se leva et tira le sabre de son fourreau tenu par le jeune page. Puis, ce dernier prit une louche d’eau dans un seau et la versa sur les deux côtés de la lame, afin de protéger l’acier du sang qui allait s’y coller. Lesamouraïinspecta alors la lame soigneusement puis, satisfait, vint se placer debout derrière le vieil homme assis sur le sol. Il leva son sabre verticalement à la hauteur de son visage, et quand il fut prêt à frapper, il s’adressa au vieux guerrier.

— Je suis prêt.

— Merci de m’assister en ce moment précieux Tanage san10. Adieu. Nous nous reverrons dans une autre vie.

Il y eut un moment de silence, puis sans attendre, Hirate, les deux mains crispées sur le poignard, enfonça lentement la lame dans son bas-ventre. Une onde incroyable de douleur le submergea, qu’il chercha immédiatement à oublier pour se concentrer sur son geste. N’écoutant que sa volonté, il incisa horizontalement sa chair pour amener la lame jusqu’au côté droit de son ventre. Le sang rouge commença à apparaître sur ses mains et rapidement se répandit sur sonkimonoblanc.

Lekaishakuninessayait de deviner le moment opportun pour agir. Il ne pouvait donner le coup mortel trop tôt sans laisser le vieux guerrier prouver son courage, mais il ne voulait pas le laisser souffrir inutilement le martyre. Un combat interne bouillait en lui sur la décision qu’il devait prendre. De sa position, il voyait mieux que quiconque les tremblements du corps et la mare de sang rouge qui à présent commençait à inonder le tatami. Normalement, le vieil homme devait pratiquer une deuxième incision verticale pour achever leseppuku, mais il voyait bien que les forces commençaient à lui manquer du fait de son âge.

Hirate était dans un état de semi-conscience. La douleur fulgurante du début avait laissé la place à un univers confus où des voiles rouges et noirs se succédaient rapidement. Il avait du mal à sentir ses mains et à les contrôler. Son énergie commençait à l’abandonner. Il eut peur de ne pas arriver au bout de son sacrifice et que sa mort ne soit pas exemplaire. Sa dernière pensée fut pour cette volonté d’être digne jusqu’au bout. Puis ce fut le néant.

La lame du sabre faucha la tête du vieil homme au moment où celui-ci s’affaissait déjà vers le sol. Elle retomba et rebondit sur le tatami à quelques mètres des spectateurs. Hirate venait de hurler son dernier reproche à l’héritier du clan Nobunaga.

Château de Kiyosu – 22 mars 1557

La procession arriva en vue du château de Kiyosu. Bâti au milieu de la plaine, il se voyait néanmoins de loin, son donjon surplombant les constructions de la petite ville construite tout autour de son enceinte. Les dimensions restaient modestes comparées à celles d’autres citadelles des provinces du Japon. Néanmoins, son système de fortifications était habilement conçu. Une douve profonde séparait la ville de la première fortification. Un pont étroit, ne permettant que le passage de quelques hommes, aboutissait à une première porte. À double battant, recouverte de lourdes plaques de fer, celle-ci n’était en fait que la partie apparente d’une barbacane, permettant de piéger d’éventuels assaillants dans une cour étroite percée d’une multitude d’ouvertures par lesquelles ils étaient arrosés de flèches ou de pierres.

Une seconde porte permettait de sortir de ce piège et de gagner la deuxième enceinte. Comme la première, celle-ci était faite de hauts murs verticaux, composés de lourdes pierres posées les unes sur les autres et s’élevant jusqu’à dix mètres en hauteur. Posées sur cette structure massive, des tours de garde en bois foncé se détachaient nettement sur la couleur claire des grandes pierres.

Nobuyuki remarqua rapidement que des modifications avaient encore été entreprises depuis quelques mois. La puissance de son frère allait croissant depuis deux ans. Le réveil tardif de l’héritier du clan Nobunaga avait pris chacun par surprise, au moment où les dés semblaient avoir été jetés depuis longtemps. La menace que Nobunaga pouvait représenter avait été oubliée de tous et le clan Oda s’était réorganisé autour de Nobutomo, cet oncle ambitieux qui rêvait de gloire à la mort de son frère. Mais l’histoire ne s’était pas écrite ainsi. L’héritier des Oda avait frappé d’un coup sans prévenir et battu cet oncle dans une courte mais sanglante bataille, il y avait tout juste deux ans.

Les cavaliers de Nobuyuki s’arrêtèrent sur le seuil de la première enceinte. Deux gardes sortirent par une petite ouverture taillée dans l’immense porte et s’inclinèrent devant la procession de cavaliers. Leur uniforme neuf surprit Nobuyuki. Il tranchait singulièrement avec celui, plutôt fatigué, de ses propres troupes. L’officier se dirigea vers le cheval de Nobuyuki et s’inclina profondément :

— Seigneur Nobuyuki, au nom de mon maître, le seigneur Nobunaga, je vous souhaite la bienvenue au château de Kiyosu, le siège du clan Oda.

Nobuyuki grimaça. La dernière phrase était une mise en garde à peine voilée sur le rang hiérarchique que son frère aîné revendiquait sans laisser la place à quelque contestation que ce fût. Au vu de la dernière tentative d’insubordination de Nobuyuki, les paroles de l’officier prenaient une dimension particulière.

— Pouvez-vous nous mener à mon frère ? Je souhaite le voir rapidement. Son état de santé m’inquiète.

L’officier s’inclina une nouvelle fois et, désignant la lourde porte dont les battants commençaient à s’ouvrir, invita l’escorte d’une cinquantaine de cavaliers à pénétrer dans la cour de la première enceinte.

— Mon maître est toujours souffrant et vous recevra d’ici quelques heures, le temps pour vous de vous reposer du voyage et de vous changer. Vous aurez aussi l’occasion de rencontrer votre mère, dame Gozen, qui séjourne également au château.

Nobuyuki acquiesça de la tête. La présence de sa mère était encourageante. Elle était son plus grand soutien face à ce frère qui se révélait de plus en plus menaçant depuis quelque temps. Tant que dame Gozen serait là, il resterait en sécurité. C’était elle qui l’avait sauvé l’année dernière de la colère de Nobunaga après sa tentative de rébellion ratée. C’est elle qui continuait à l’encourager à ne pas baisser les bras. Et elle avait raison, car cette maladie soudaine de son frère était peut-être une fantastique opportunité de récupérer le pouvoir sans combattre.

En une dizaine de minutes, les cinquante cavaliers franchirent les deux murs d’enceinte concentriques et arrivèrent au pied du donjon. D’une hauteur de cinq niveaux, le tenshu11 était érigé sur une base faite de grosses pierres identiques à celles des remparts. Mais c’était la superstructure de bois noire s’élevant haut dans le ciel qui donnait à l’ensemble un caractère imposant. Nobuyuki entra dans le donjon avec ses principaux officiers. Le reste des cavaliers fut conduit dans les logements réservés aux soldats.

La grande salle à l’intérieur du donjon servait principalement aux réserves de nourriture et d’armes nécessaires pour soutenir un siège. Au centre de l’immense pièce, un puits permettait de fournir en eau les éventuels assiégés et, disait-on, donnait accès à un souterrain secret pour s’échapper en cas de besoin. Plusieurs hommes en armes attendaient devant un grand escalier en bois qui menait aux étages supérieurs et aux appartements de Nobunaga. Visiblement, celui-ci prenait soin de sa sécurité. Était-ce une conséquence de la tentative menée par son frère il y a plus d’un an ?

Nobuyuki entreprit la montée de l’escalier. Comme dans tous les châteaux, celui-ci était très raide et il dut s’aider de la rampe pour grimper, une à une, les marches qui conduisaient au premier niveau. Ce dernier était assez sombre, seulement éclairé par des meurtrières étroites fermées par des barreaux, utilisées en cas de siège pour détruire l’ennemi. L’espace était divisé par quelques cloisons permettant d’abriter la garde rapprochée de Nobunaga. Prosternés à même le sol, plusieurs soldats saluaient le jeune homme. L’officier qui l’avait accueilli à la poterne lui désigna l’escalier menant au deuxième niveau. Quand il eut gravi ce deuxième escalier, plus abrupt que le premier, le jeune homme nota les aménagements qui avaient été faits depuis peu. Loin de l’austérité qui régnait ici quelques années auparavant, l’ensemble de l’étage avait été aménagé avec goût. Le sol était recouvert de tatamis, les cloisons neuves séparaient l’espace en plusieurs pièces de réception ou d’habitation et, dans chacune d’elles, des objets précieux avaient été disposés dans letokonoma12.

L’officier lui indiqua une pièce devant laquelle Nobuyuki se déchaussa. En entrant, le jeune homme aperçut immédiatement dame Gozen, entourée de sa servante principale. Tandis que les cloisons mobiles se refermaient derrière lui, il se prosterna au sol devant sa mère.

— Comme je suis heureux de vous voir ici, ma mère ! Je suis venu aussi vite que possible quand j’ai reçu la lettre de Nobunaga m’informant de sa maladie. Savez-vous de quoi il retourne ?

— Bonjour, mon fils. Je suis heureuse de te revoir ici. Ton séjour forcé dans ce château de Suemori ne semble pas t’avoir trop fatigué. Comment se sont passés ces longs mois loin de Kiyosu ?

— La vie de cette petite garnison est loin d’avoir réussi à me faire oublier le faste de ce château – plus notable encore depuis que mon frère a entrepris de le restaurer, à la suite des combats contre notre oncle. Je remarque que pour faire des aménagements aussi coûteux, mon frère possède à présent l’ensemble des revenus du clan. Pour ma part, j’ai dû me contenter de baraquements militaires rudimentaires et d’un confort minimal.

— Oui, c’est vrai, mais ceci est quand même bien mieux que le sort que te réservait ton frère. Tu possèdes encore la vie, et c’est cela le plus important. Nobunaga m’a surprise quand il a enfin accepté ma demande de vous gracier, toi et tes deux généraux, après ta tentative de rébellion. Tu connais ton frère ; cette clémence ne lui ressemblait pas du tout. Vu le peu d’amour qu’il éprouve à mon égard, j’imagine que quelqu’un d’autre a intercédé pour toi. Probablement Kitsuno.

— Kitsuno ? Sa concubine ?

— Pas seulement sa concubine. Elle sera dans quelques semaines la mère de son premier enfant. En quelques années, elle est devenue la véritable épouse de ton frère. Il lui voue un amour incontestable. Lui qui ne s’intéressait qu’à lui, le voici à présent incapable de vivre sans cette femme. C’est une situation difficile à vivre pour dame Nohime, son épouse officielle. Elle se réfugie dans le silence, certains disent même dans l’opposition à son mari.

— Pourquoi Kitsuno aurait-elle intercédé en ma faveur auprès de Nobunaga ? Je la connais à peine. Et pour moi, ce n’est pas la femme qui doit diriger le clan Oda auprès de son mari.

— Surveille tes paroles, mon fils ! Ton frère exige un respect absolu pour Kitsuno. Et si elle a cherché à te sauver, toi et tes généraux, c’est qu’elle souhaite que ton frère quitte ses anciennes habitudes, qu’il commence à gouverner comme un vrai chef de clan, et non comme un guerrier de bas niveau. Elle va peut-être réussir là ou le vieux Hirate avait échoué.

Nobuyuki se souvint du visage du vieil homme. Son suicide spectaculaire avait réellement ébranlé Nobunaga. Pendant des mois, le jeune héritier avait essayé de salir l’image de son percepteur pour ne pas être jugé responsable de sa mort. Il était devenu encore plus arrogant et violent qu’auparavant. Mais après cette réaction initiale, il avait commencé à changer. Conscient que son attitude le menait droit au désastre, il avait commencé à mettre en œuvre peu à peu les enseignements de son ancien professeur. Son apparence elle-même s’était modifiée. Délaissant les tenues de soldats de bas rang et les coiffures de garçon de rue, il s’était progressivement conformé à l’étiquette d’un chef de clan. Il avait pris conscience des nécessaires alliances à faire autour de lui et avait rassemblé peu à peu des guerriers fidèles, y compris son beau-père et l’un de ses plus jeunes oncles. En deux ans, le vaurien s’était transformé en général de clan. Quelques mois plus tard, il livrait sa première bataille dans ce château de Kiyosu en tuant Nobutomo qui lui disputait la direction du clan. Non, le vieux Hirate n’avait pas échoué ! Loin de là. Il avait transformé son sacrifice en victoire.

Nobuyuki regarda à nouveau sa mère. Elle le soutenait toujours contre Nobunaga, mais elle devenait également plus prudente. Elle qui l’avait poussé à se rebeller contre son frère avait probablement à présent accepté de le voir régner sur le clan Oda. Mais lui n’était pas de cet avis. Le jeune homme n’avait pas abandonné ses ambitions et au fin fond de son exil, il avait de nouveau passé des accords secrets avec plusieurs seigneurs des environs pour renverser son frère. Pourtant, la maladie soudaine de Nobunaga allait peut-être lui éviter une deuxième rébellion. Qu’importe la méthode, pourvu que cet incapable quitte ce monde le plus tôt possible !

— Me caches-tu quelque chose, mon fils ? Ta mère devrait-elle savoir quelque chose que tu ne lui dis pas ?

Le visage de dame Gozen était inquiet. Contrairement à ceux de Nobunaga, qu’elle n’avait jamais vraiment cherché à comprendre, elle savait deviner les sentiments de son fils cadet. Elle s’inquiéta soudain des conséquences de ce que pourrait faire Nobuyuki. Les temps avaient changé et les prises de pouvoir contre Nobunaga étaient finies. La puissance du nouveau seigneur du clan Oda était trop forte à présent. Même elle avait été surprise du revirement inattendu de son fils aîné. Certes, Nobunaga conservait son esprit emporté et dur, mais dorénavant, il le mettait au service du clan. Finalement, pourrait-il succéder à son père ?

— Mère ! Même s’il a changé, Nobunaga reste un danger pour notre clan. Nous ne pouvons le laisser détruire notre famille, notre nom et nos gens. Cette province a besoin de survivre, et grâce à mes efforts diplomatiques avec les provinces avoisinantes, je serai en mesure de conserver ce clan. Il ne faut pas baisser les bras…

Dame Gozen baissa les yeux. Ce qu’elle avait redouté était malheureusement la réalité. Le jeune homme n’avait pas bien compris à quel point le rapport de force s’était inversé. À présent, la majorité des généraux du clan, impressionnés par la prise de ce château et par l’échec de la rébellion de Nobuyuki l’année précédente, avait juré fidélité à Nobunaga. Le sort était scellé.

— Nobuyuki, ces efforts sont vains désormais. Ton frère possède, que tu le veuilles ou non, le clan Oda. Il a fait preuve de clémence à ton égard. Profites-en ! Abandonne tes projets de rébellion avant qu’il ne soit trop tard ! On ne tente un combat que si l’on est sûr de gagner. Dans ton cas, tu es presque sûr de perdre. Ton ralliement à Nobunaga te permettra peut-être de reprendre une place importante dans le clan. Je ne veux pas te perdre. Écoute-moi…

Dame Gozen n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Des pas résonnèrent dans le couloir qui menait à la pièce d’audience. La cloison s’ouvrit lentement et un officier du clan Oda apparut. Il s’inclina devant dame Gozen et devant Nobuyuki. Levant les yeux, il s’adressa au jeune homme.

— Seigneur, le seigneur Nobunaga vous demande à présent à ses côtés. Si Dame Gozen le permet, je vais vous conduire auprès de lui.

Acquiesçant d’un signe de tête, le fils et la mère s’inclinèrent à leur tour devant l’officier. Le jeune homme se leva et salua sa mère.

— Mère, je vais voir mon frère, et ensuite je reviendrai vous voir. Nous devons terminer cette conversation.

Dame Gozen acquiesça et regarda son fils sortir de la pièce accompagné de l’officier. Dans le couloir, les gardes du corps de Nobuyuki approchèrent à leur tour pour accompagner leur maître. Comme le voulait l’usage, tous avaient dû laisser leurs sabres à l’entrée des appartements et ne gardaient que leurs wakizashi13 dans leur ceinture. Mais quand l’officier désigna au jeune homme l’escalier qui menait à l’étage supérieur, il leur bloqua le passage.

— Désolé, mais vous n’êtes pas autorisés à assister à la réunion. Le seigneur Nobunaga rencontrera seul son frère.

Les gardes du corps voulurent protester, mais Nobuyuki leva la main et indiqua à ses hommes d’obéir. Puis, suivant l’officier, il entreprit de monter les marches abruptes qui menaient aux appartements personnels de son frère. En haut, l’officier lui indiqua la salle où se tenait Nobunaga.

Il fut très surpris en entrant dans la grande pièce par le spectacle qu’il vit. Il s’attendait à trouver Nobunaga alité, entouré de ses médecins. Mais en réalité, son frère était assis au milieu de la pièce, entouré de quatre guerriers. Parmi eux, il reconnut son ancien complice, Shibata, avec qui il avait tenté sa première rébellion. Ne montrant néanmoins aucune surprise, il s’accroupit sur les tatamis et s’inclina profondément devant Nobunaga.

— Je suis ravi de vous trouver en si bonne santé mon frère. Les nouvelles alarmantes vous concernant m’ont incité à venir vous rendre visite le plus tôt possible.

— Est-ce toi qui es venu de ton plein gré, ou bien moi qui t’ai convoqué ?

Le ton dur de son frère le surprit. Il s’attendait à trouver un homme affaibli et hésitant, et il découvrait un guerrier autoritaire en parfaite santé. Une brusque inquiétude le saisit. Que voulait dire cette réunion bizarre ? Et que signifiait la présence de Shibata ? Il sentit un frisson lui parcourir l’échine. Comme un vrai guerrier, il ne montra pas son trouble et pour éviter de répondre à la question, se tourna vers les quatre autres guerriers.

— Messires, je suis heureux de vous savoir auprès de mon frère. Bonjour, Seigneur Shibata.

Son ancien complice, au lieu de le saluer directement, baissa la tête et évita son regard. Le jeune homme s’aperçut alors que chacun des guerriers portait ses sabres contrairement aux usages en présence de son seigneur. Ce détail le mit mal à l’aise.

— Depuis combien de temps te caches-tu, mon frère ? Est-ce que ce séjour loin de moi t’a enfin donné l’occasion de me servir ?

Il regarda Nobunaga. Et il comprit. Le regard de son frère ne faisait pas de doute. Ce n’était pas un regard familial ni celui d’un suzerain, mais celui que l’on réserve à un ennemi qu’il faut combattre. Son frère savait tout et la présence de Shibata à ses côtés le prouvait. Il avait été trahi par son ancien ami. Sa tentative de rallier à lui des guerriers pour la deuxième fois était à présent dévoilée.

— Je suis à votre service mon frère, vous le savez. Et la sécurité du clan Oda est très importante pour moi.

— Tu as raison, le clan Oda est tellement important pour toi que malgré ma bienveillance, tu essaies encore de te l’approprier. Shibata m’a informé de tes nouvelles manœuvres stupides pour tenter de m’écarter du pouvoir. Qu’espérais-tu ? Pouvoir me tromper, mener la rébellion au sein de mes hommes, me faire assassiner par des ninjas ? Qui es-tu pour affaiblir ton propre clan ?

— Mon frère, ne croyez pas tous ces mensonges ! Ce sont des essais désespérés de certains guerriers pour nous éloigner l’un de l’autre. Et si Shibata cherche à jouer ce jeu, vous devriez songer à vous en séparer…

Nobuyuki avait regardé Shibata tout en prononçant cette dernière phrase et, à sa grande surprise, celui-ci ne réagit pas à l’insulte. Ce comportement signifiait que Shibata avait visiblement la complète confiance de son maître, et rien ne pouvait l’atteindre à présent. Le jeune homme se sentit désarçonné. Il comprit qu’aucune discussion n’était possible et qu’il s’agissait uniquement de son acte d’accusation. Son regard se porta alors sur les autres guerriers présents dans la salle. Il fut étonné de découvrir que les trois hommes n’étaient pas des officiers supérieurs, mais des gardes du corps. Leur kimono simple et leurs armes sans ornement permettaient de les différencier facilement d’un guerrier de plus haut rang. En arrivant dans la pièce, Nobuyuki n’avait pas prêté beaucoup attention à ces hommes, mais leur présence sonnait comme une menace.

— Comment oses-tu ?

Il tourna son regard vers son frère. Celui-ci était dans une colère noire.

— Comment oses-tu venir insulter mes officiers ? Comment oses-tu, toi, le traître, salir l’image et le nom de mes guerriers ? Comment expliquer que je sois trahi par un membre de ma propre famille, par mon propre frère ? Pourquoi n’as-tu pas choisi la seule solution qui s’offrait à toi, celle de mourir avec honneur ?

Nobuyuki eut la confirmation, à ce moment-là, que cette invitation n’était qu’un piège, et qu’il s’était laissé berner par l’espoir fou de voir son frère disparaître. Le mot « mourir » que Nobunaga venait de prononcer scellait son destin. Il comprit que rien, ni aucune explication ne pourrait faire changer d’avis Nobunaga et que celui-ci avait déjà pris sa décision. Il se dit qu’il avait été bien naïf et que, contrairement à ce qu’il avait pensé, son frère n’avait jamais été le simple petit voyou qu’il s’imaginait, mais qu’il avait déjà l’étoffe d’un général.

Nobunaga se tut. Il continua à regarder Nobuyuki, mais la colère était déjà retombée. Pour lui, la rencontre était terminée et il n’y avait rien d’autre à ajouter. Il fit un signe discret à ses trois gardes du corps et se leva. Il regarda une dernière fois son frère, toujours accroupi sur les tatamis.

— Puisque tu n’as pas eu le courage de faireseppukuet de mourir en guerrier, je vais donc être obligé de t’aider. Pourtant, tu n’es plus mon frère à présent, pour moi tu n’existes plus. Dorénavant, j’interdis à quiconque de faire mention de ton nom. Il n’y a jamais eu de traître chez les Oda, et par conséquent tu ne peux pas être un Oda. Essaie au moins de réussir ta mort !

Puis Nobunaga invita Shibata à le suivre. Les deux hommes sortirent de la salle, laissant seuls Nobuyuki et les trois gardes du corps. Ceux-ci s’inclinèrent et, après le départ de Nobunaga, se levèrent à leur tour. Ils se disposèrent en triangle autour du jeune homme qui était resté assis sur les tatamis.

— Seigneur, je suis désolé, mais les ordres de mon maître sont clairs et je ne peux lui désobéir. Préparez-vous s’il vous plaît.

Nobuyuki sut que son dernier moment était arrivé. Il aurait aimé pouvoir s’y préparer, faire ses adieux à sa mère et à ses alliés. Mais comme tout guerrier, il devait être prêt à affronter la mort n’importe quand. Et il décida de la regarder en face, sans peur.

— Fais vite, et épargne-moi tes excuses inutiles.

Le guerrier s’inclina pour signifier son obéissance et fit un signe discret au soldat placé derrière le jeune homme. Celui-ci en une seconde tira son sabre du fourreau et l’abattit aussitôt sur le cou de Nobuyuki. La lame siffla dans l’air et fit voler du premier coup la tête du jeune garçon. Nobuyuki ne sentit rien, et quitta ce monde en un instant.

Nobunaga avait descendu l’escalier, accompagné de Shibata, et il se posta devant la pièce où se tenait sa mère. Il hésita quelques secondes puis il ouvrit la cloison. Sa mère était toujours sur letatami, discutant avec l’une de ses servantes. Elle tourna la tête, fut étonnée de voir apparaître son fils aîné, et non, comme prévu, le jeune Nobuyuki. Nobunaga, sans parler, s’assit en face d’elle et la regarda droit dans les yeux.

— Mère, je n’ai plus de frère cadet. Cet homme, que j’avais gracié à votre demande, s’est de nouveau retourné contre moi. Cette fois-ci, je n’ai pas voulu entendre vos conseils et vos demandes de clémence. C’est la raison pour laquelle vous n’avez pas réussi à me voir depuis votre arrivée. Mon officier m’a rapporté qu’il vous avait confié son espoir de me renverser, il y a à peine une heure. Ceci a confirmé ma décision.