Ogrino - Livre 2 - Jean-Pierre Jentile - E-Book

Ogrino - Livre 2 E-Book

Jean-Pierre Jentile

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Beschreibung

Une course contre la montre engagée contre des forces obscures anime ce second volet. Zwangler traque implacablement les criminels, Gervolt se débat contre une malédiction insidieuse, Rhénus affronte un étrange spectre, tandis qu’Ogrino et les Neuf se lancent dans une quête périlleuse aux confins des mers australes. Leur découverte mène les Neuf jusqu’à l’énigmatique Île Spectrale, où ils font face à de redoutables sorcières et leur sinistre armée. Umfrey, l’un de leurs mercenaires, se rebelle pour rejoindre la cause des Neuf. Cependant, la véritable révélation se trouve derrière la mystérieuse porte d’Entre-les-Mondes, où Ogrino sera confronté à l’Innommable, une puissance maléfique dont l’ombre plane sur tout l’univers. Le sort du Grand Équilibre repose sur le fil du rasoir et chaque décision pourrait avoir des conséquences cataclysmiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Jentile a puisé une source intarissable d’inspiration de ses nombreuses rencontres et voyages à travers le monde. Sa carrière, en tant qu’auteur d’Heroic Fantasy, a débuté, il y a des années, au travers des histoires qu’il inventait pour ses deux enfants au moment d’aller dormir. Depuis, l’écriture est devenue sa seconde nature, car il ne peut plus s’empêcher de partager son imaginaire et ses valeurs auprès du jeune public.

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Ogrino

Au Sud de nulle part

Livre II

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Jentile

ISBN : 979-10-422-1156-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet ouvrage est dédié à ceux qui se sentent accompagnés

 

 

 

 

 

Précédemment

 

 

 

Erasmus, le chef du Conseil des Sages a dû gérer la transformation de la Cité qui a suivi la fin de la Grande Guerre. Tâche rendue extrêmement difficile à cause de cette mystérieuse pandémie qui affecte tout le Royaume. Même Thémistomène, le roi des Lutins des forêts, n’a pas trouvé de remède dans toutes ses potions magiques. Cette maladie, les gens l’ont appelée la Souillure Grise, car elle vous rend amorphe et donne à votre peau un teint grisâtre. Il semble que son origine provienne d’un mal très profond, un mal qui ne vient pas de ce monde. Tous les Royaumes sont affectés. Les humains, bien sûr, mais aussi les peuples du Monde Légendaire. Personne n’est épargné, ni les Lutins du Monde du Dessous, ni ceux des forêts, ni même ceux du monde sous-marin. Delphoros, le roi des mers, doit d’ailleurs affronter des monstres de métal aux formes préhistoriques.

 

Mais ce n’est pas le seul fléau qui ronge le Royaume. Des disparitions massives ont lieu. Des milliers de personnes ont été enlevées. Ceci a l’air de faire partie d’un plan très organisé. Il se pourrait même que les ravisseurs et leurs captifs aient quitté le Royaume à bord d’un étrange navire à moteur. Il y a aussi ces crimes étranges qui sont commis à travers les villes et les campagnes. L’inspecteur Zwangler mène l’enquête. Son flair l’oriente vers d’anciennes sectes que l’on croyait disparues. Il a même réussi, avec ses policiers, à capturer tous les Wougans, une sorte de fraternité de surhommes. Mais ils ne sont pour rien dans tous ces maux.

 

Est-ce la pratique de rituels occultes qui expliquerait ces crimes ? Qui sont ces monstres que certains témoins semblent avoir vus ? Zwangler rassemble des éléments d’enquête, mais, pour l’instant, ne réussit pas à avoir une vision claire de ce qu’il se passe. Pourtant, son instinct lui inspire qu’il y a peut-être un lien entre tous ces malheurs. Il doit faire vite s’il ne veut pas que le Royaume soit dévasté par ces crimes qui ne cessent de se répandre de plus en plus.

 

Gervolt, un Maraudeur, sorte de vagabond-voleur, doit faire face à une malédiction qui le poursuit. Il se retrouve mêlé à des scènes de crime partout où il va. Un monstre sanguinaire semble le poursuivre, mais pourtant l’épargner, à chaque fois. C’est à n’y rien comprendre.

 

Ogrino a acquis de nouveaux pouvoirs en devenant le frère de sang de Razenbruck. Il est désormais un Majogre, capable de s’approprier les dons de n’importe quel animal. Il peut courir à l’allure d’un cheval, bondir comme un tigre, grimper tel un singe ou nager aussi bien qu’un poisson. Normalement, il devrait aussi être un Passe-murailles comme Razenbruck, mais cela n’a pas l’air de fonctionner. Pourtant, cette transformation en Majogre représente un atout dans la nouvelle mission que lui a donnée Felicia, la reine des Elfes. Il a dû aller dans le désert du Nord pour trouver la Petra Caeli qui, seule, permettra de refermer la Porte d’Entre-Les-Mondes. Avec l’aide du professeur Lovestone et de sa montgolfière, Ogrino a réussi à se rendre sur place. Suite à leur accident dû au Zargmound, le terrible vent de sable, il a poursuivi sa quête, seul, aidé des Hommes Mauves, le peuple du désert. Il a ensuite été sauvé par les Argns, les hommes-araignées, jusqu’à ce qu’il trouve, enfin, le Vorann, le mythique griffon du désert. Ensemble, ils ont arraché un morceau de Petra Caeli du cœur même d’un volcan.

 

Ainsi, Ogrino a pu continuer sa mission. Il a rassemblé un petit groupe hétéroclite composé de ses amis, Erasmus, Thémistomène, Précélestin, Razenbruck, Lovestone, Aristophane, et de ses parents, Hogar et Tiboursio. Ce commando va se baptiser, les « Neuf ». Ils sont accompagnés d’une horde d’animaux. Il y a des lionnes, des buffles, des gorilles, des kangourous, des rapaces, des koalas et bien d’autres encore. Sont là, aussi, ceux du Cirque de Pantaléone qu’Ogrino a réussi à convaincre de bien vouloir laisser partir. Il a donc, avec lui, ses plus anciens amis que sont Réale, Colossus et Goumbo. Ce petit monde s’est embarqué à bord de L’Indomptable, en route vers le Sud. Tout semble indiquer que la Porte d’Entre-Les-Mondes se trouve dans cette région. Le voyage va s’avérer dangereux. De grands monstres sous-marins vont les attaquer avec l’intention les couler. C’est sans compter sur la force et l’ingéniosité d’Hogar, Tiboursio et Razenbruck pour les vaincre. Le manque de vent va pousser Jonathan, le capitaine de l’Indomptable, à mener son navire jusqu’au « Mur ». Cette vague brûlante et haute comme une montagne a failli détruire le navire, mais grâce à la magie de Thémistomène et de Précélestin, tous ont survécu et poursuivi leur périple sains et saufs jusqu’au Maréphare. Cet immense bâtiment, créé par les Géants, aura donné à Ogrino une vision de l’Antique Guerre, d’avant les âges, entre les Géants et les Dragons. Cela explique une partie de l’énigme du si long sommeil du Métanor.

 

Chacun essaie d’y voir plus clair dans sa quête. Zwangler pense que la secte des sorcières, nommées les Damnées, pourrait être pour quelque chose dans le fléau qui frappe le Royaume. Le Prélat Yoannes également. Il a convaincu Rhénus, le plus grand des voleurs, de s’introduire dans le manoir des Damnées afin d’y recueillir des contre-sorts. Les talents de cambrioleur de Rhénus pourraient bien s’avérer déterminants pour la suite des événements. Avec l’aide de Tamul, un autre Maraudeur, Gervolt va tout faire pour échapper à sa malédiction. Ils vont mettre le plus de distance possible entre eux et le monstre, dans l’espoir qu’il perde leurs traces.

 

Ogrino et les Neuf poursuivent leur périple sur les mers, avec un cap toujours plus au Sud. Ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver. Ils savent juste qu’ils risquent d’y perdre la vie. Le maintien du Grand Équilibre est en jeu, alors, ils n’ont pas d’autre choix que de réussir, mais à quel prix ?

 

 

 

 

 

Misoa

 

 

 

Une multitude d’îlots apparut au loin. Ogrino, qui était de vigie, fut le premier à les voir.

— Terre, terre, droit devant ! cria-t-il.

À mesure que l’Indomptable glissait sur l’onde, on voyait se dessiner des fonds multicolores, au travers d’une eau cristalline.

— C’est magnifique, s’émerveilla, Tiboursio. On dirait que l’on a peint le fond de l’océan.

— Oui, ce sont des coraux. Il y en a des verts, orange, bleus, jaunes et des rouges aussi, là-bas, dit Précélestin.

— Ça réconcilierait presque un Ogre avec la mer.

— Combien de tirants d’eau ? lança Jonathan.

— 30 pieds, répondit Aristophane.

— Mouillez l’ancre, maintenant ! cria le capitaine.

En un clin d’œil, Hogar la jeta par-dessus bord et noua la corde autour du bastingage de la poupe. Le bateau s’immobilisa immédiatement. Quand ils regardèrent l’eau, on aurait dit qu’elle avait disparu, tant elle s’avérait transparente. Jonathan sauta joyeusement dans l’onde. Il atterrit debout. La moitié du corps sortant des flots.

— Faites sortir les animaux. La plupart auront pied. Les autres prendront les canots. Nous allons nous installer sur cet îlot pour quelques jours. Le temps de refaire le plein d’eau et de fourrage pour les ruminants et les éléphants.

C’était la première fois que la ménagerie sortait de la cale depuis le début de la traversée et les animaux en étaient tout excités. Il fallut une bonne heure pour faire migrer ce petit monde vers la terre ferme. Le lieu était recouvert d’un sable très fin et d’un blanc, presque étincelant, sous le soleil de midi. Après quelques mètres d’une plage légèrement inclinée émergeait une nature luxuriante faite de palmiers et de fougères arborescentes. Des cacatoès multicolores s’envolèrent à l’approche des singes qui montèrent illico en haut des cocotiers. Quand les Neuf arrivèrent à leur tour, ils trouvèrent des monceaux de noix de coco au pied des arbres.

— C’est quoi ? demanda Tiboursio.

— Des fruits, répondit Thémistomène.

L’Ogre en prit trois dans sa main et les broya d’un coup de mâchoire.

— Humm, c’est pas mauvais. C’est même crémeux et puis y a un arôme, un arrière-goût délicat.

Ceci étant dit, il en prit deux poignées qu’il engloutit aussitôt.

— Chai vraiment bon ! Hogar, viens goûter.

Ils firent une orgie de coco, à tel point que les singes durent piller encore pas mal d’arbres pour alimenter le reste de l’équipage.

 

Les Neuf travaillèrent toute l’après-midi, évacuant le fourrage souillé et le remplaçant par du frais, arraché à la savane de l’île. Le soir, ils se reposèrent autour d’un grand feu où rôtissaient lentement des tapirs capturés par les Ogres. Cette île était vraiment paradisiaque. Il y avait du gibier et de l’eau en abondance. Cette halte s’avérait vraiment salutaire. Elle permettait aux Neuf et aux bêtes de se détendre et de s’ébattre après le confinement et la promiscuité vécue sur le bateau. À la fin du repas, où Ogrino s’était délecté de viande grasse, il alla marcher sur la plage pour admirer les reflets de la lune sur l’écume immaculée des vagues. Il sentait le vent des alizés, chargé d’iode, lui ravir les narines. Il ferma ses paupières, afin de mieux profiter de l’instant. Il ressentait un sentiment de liberté et de plénitude, au contact de cette nature accueillante et magnifique. Quand il ouvrit les yeux, il aperçut une petite lueur qui vacillait sur les flots. Il scruta l’horizon et vit que la lumière grossissait. Au bout d’un moment, il distingua clairement une embarcation. Cinq silhouettes dépassaient d’une la coque basse qui se dirigeait droit vers lui. En quelques minutes, les marins accostèrent sur le rivage. La barque intrigua Ogrino, car d’elle partaient latéralement deux longues tiges de bambou fixées à un flotteur parallèle à l’embarcation. Il se demandait encore à quoi cela pouvait bien servir quand les arrivants se plantèrent devant lui. Il sursauta. Maintenant qu’ils étaient là, tout près, il les voyait distinctement. Des formes alambiquées formaient des dessins noirs, sur leurs corps et leurs visages. À tel point que l’on aurait dit qu’ils portaient des masques.

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? demanda l’homme à l’épaisse chevelure bouclée, d’un noir d’ébène qui était le plus proche.

Le ton ne sembla pas agressif à Ogrino, il y discerna plutôt un étonnement.

— Nous sommes en route vers le Sud pour trouver la source d’une étrange maladie qui ronge notre monde.

— D’où venez-vous ?

— Nous avons fait un long voyage depuis les terres du Nord près de la Forêt Ancestrale.

— Vous êtes bien loin des routes maritimes. Vous vous êtes perdus ?

— Non, mais nous ne savons pas exactement où nous devons nous rendre. Nous comptons sur la providence et Felicia Regina pour guider nos pas.

— Felicia Regina ? La reine des Elfes ?

— Oui, c’est elle qui nous envoie. Nous sommes en mission pour préserver le Grand Équilibre.

— Alors, bienvenue en Nanonésie, notre archipel aux mille îles ! Je suis Moganwa et voici mes frères. Nous appartenons à la tribu des Ulurahi, les fils du Grand Bleu. Nous sommes pêcheurs de perles.

— Moi c’est Ogrino et mes parents et amis se trouvent derrière la dune. Venez, je vais vous les présenter.

Les Nanonésiens suivirent le jeune Ogre jusqu’au campement. Ils sursautèrent quand Tiboursio et Hogar, assis auprès du feu, se levèrent d’un bloc. Leur stature et surtout l’œil unique de Tiboursio les impressionnèrent. Ils réalisèrent qu’ils n’étaient pas en présence d’hommes, mais de créatures du Monde Légendaire.

— Vous êtes les Envoyés ! balbutièrent-ils.

— Les quoi ? demanda Hogar.

— Une antique prophétie annonçait la venue d’Envoyés. Des êtres magiques qui devaient nous ramener l’harmonie. Les temps semblent accomplis, car notre peuple souffre. Le poisson se fait rare et nos pêches sont de plus en plus maigres, ce qui nous pousse à aller toujours plus loin en mer. Nos jeunes sont malades et les soins de nos chamans ne suffisent pas à les guérir. La morosité s’installe peu à peu dans nos tribus.

— La Souillure Grise, dit sobrement Précélestin, en s’avançant.

Jusqu’à présent, il avait été, en partie, caché par l’ombre des grands Ogres. Lorsqu’ils virent sa longue barbe, les Nanonésiens reculèrent, en signe de respect.

— Vous devez être… le roi des Lutins… du Monde du Dessous, osa dire Moganwa.

— En effet. L’heure est suffisamment grave pour que j’aie dû quitter mon Royaume et partir aux confins du Sud, afin de lutter contre cette maladie. Elle est l’expression d’un fléau qui souille tout ce qu’il touche, même dans le monde souterrain.

— Hé moi, je suis Thémistomène, le Prince des végétaux, le gardien de la nature.

Il s’avança, du pas assuré d’un vrai monarque. Les Nanonésiens restèrent bouche-bée.

— Alors, il n’y a plus aucun doute, vous êtes bien les Envoyés. Ceux qui vont affronter le cœur du Mal, affirma Moganwa. Nos chamans se sont passé cette prophétie, de bouche à oreille, de père en fils. Elle se réalise aujourd’hui. C’est une grande joie pour notre peuple !

Ogrino bâilla.

— Vous devez être fatigués. Nous devrions tous aller nous coucher, car demain la route sera longue pour rejoindre notre île-mère, là où siège notre chef, Mungalawa.

— À combien de miles se trouve votre île ? demanda Jonathan qui était resté silencieux et en retrait, jusque-là.

— À un bon jour de rame, répondit Moganwa.

— Hum, nous devrions y être en trois heures avec l’Indomptable.

— L’indomptable ?

— Oui, ma caravelle. Elle peut atteindre trente-cinq nœuds, en vent arrière.

— Wahouuu ! s’exclamèrent en chœur les Ulurahi. Dans ce cas, fêtons cela avec du vin de palme !

Ils sortirent des petits tonneaux de bois et versèrent un liquide teinté de jaune dans des écorces de noix de coco. Ogrino quitta le groupe au moment où tous portaient un toast. Il vit du coin de l’œil son père et Tiboursio se vider abondamment dans la bouche, le reste des tonneaux.

 

Le lendemain à l’aube, les Ulurahi réveillèrent les Neuf à coups de longs sons graves provenant de grands coquillages pointus, nacrés et multicolores. Hogar avait la mine réjouie. La beuverie de la veille et une nuit sur la terre ferme ravivaient sa bonne humeur. Lui et Tiboursio avaient beaucoup pris sur eux, pendant la traversée. Bien qu’ils soient désormais plus à l’aise sur les flots, la mer restait, tout de même, un élément étranger pour des Ogres. De mauvaise grâce, il fit monter les animaux sur l’Indomptable, aidé des Neuf et des Nanonésiens perplexes, devant tant d’animaux étranges et inconnus. Au bout d’une heure, la caravelle était appareillée pour le départ.

— Levez l’ancre ! cria Jonathan.

Tiboursio tira hardiment sur la chaîne et le bateau se mit à voguer vers le large. Les Nanonésiens avaient amarré leur embarcation à la poupe et regardaient, fascinés, ce navire qui fendait les flots, à grande vitesse avec élégance. Il ne leur fallut pas plus de deux heures et demie pour rejoindre Muncatungalowa, l’île principale de l’archipel Nanonésien. C’est là que résidaient les autorités de la Fédération, constituée d’une Chefferie et de Chamans. Ils s’assuraient de la bonne harmonie des échanges entre les différentes îles et de la gestion des problèmes quand ils touchaient l’ensemble de l’archipel. Cela avait été le cas, plusieurs fois dans l’histoire du peuple Nanonésien. Des raz de marée avaient, jadis, affecté de nombreuses îles. Des cyclones s’y étaient abattus, parfois, détruisant les habitations. Le peuple avait souffert de périodes de disette quand les bancs de poissons s’étaient raréfiés. Toutes ces épreuves et leurs conséquences néfastes n’avaient pu être traversées et résolues que grâce à la solidarité des Nanonésiens, sous l’impulsion de la Chefferie. En effet, les chefs locaux bénéficiaient d’une grande autonomie dans l’administration de leur île, mais la Fédération apportait une sécurité appréciable à l’ensemble de la Nanonésie. Il faut dire que ces mille îles étaient parfois séparées les unes des autres par des centaines de kilomètres et que l’archipel s’étendait sur une surface plus grande que le Royaume. Cette géographie expliquait la grande connaissance que les Nanonésiens possédaient de la mer, de ses courants et du cycle des vents. Ogrino pensait que c’était une bénédiction d’avoir rencontré ces hommes à la peau tatouée de dessins aussi esthétiques que bizarres. Il était sûr qu’ils allaient pouvoir les aider dans leur mission. Certainement encore un clin d’œil de Felicia.

— Jetez l’ancre ! ordonna Jonathan.

Hogar lança la lourde chaîne par-dessus bord et l’instant d’après, l’Indomptable s’arrêta près d’un sol sablonneux. Une foule nombreuse s’amassa sur la plage, pour examiner ces curieux visiteurs et leur étrange navire. Il est vrai que, rarement, des bateaux venaient mouiller dans ces eaux et rien que cela constituait déjà une attraction, en soi. Les Neuf furent accueillis sous les hourras, bien que les Ogres, tant par leur taille que par leur aspect, suscitaient un peu de crainte. Une haie d’honneur se créa spontanément à leur approche. Au bout, un homme de bonne stature les attendait, immobile. Il portait des habits colorés qui, à mesure que les Neuf s’approchaient, s’avéraient être de longues plumes d’oiseaux. Des coquillages nacrés magnifiques, aux teintes multicolores et brillantes, ornaient son poitrail. Le plus impressionnant était son couvre-chef fait de grandes palmes vertes et ocre, plantées dans un casque d’os qui lui couvrait le haut du crane. Le tout formait une sorte de couronne qui mesurait bien un mètre d’envergure. On aurait dit qu’un soleil couchant auréolait sa tête. Quand Ogrino fut assez près, il vit que l’homme était tatoué de partout. Chaque centimètre carré de sa peau portait un dessin alambiqué à la teinte sombre. L’ensemble faisait penser à une tapisserie aux motifs resserrés. C’est pourtant le visage qui impressionna le plus Ogrino. Des tatouages géométriques mettaient en valeur des yeux bleu azur, encadrés d’une chevelure ondulée, d’un noir luisant. Le plus surprenant provenait des ossements plantés dans les narines qui formaient des spirales de part et d’autre de la bouche à la manière de moustaches rigides. Tout cet accoutrement lui donnait un air royal qui inspirait naturellement le respect.

— Voici notre Chef, Mungalawa, dit avec déférence, Moganwa.

Les Neuf inclinèrent la tête, en signe de salut.

— Bienvenue aux Envoyés ! dit, en réponse, Mungalawa, dans un large sourire.

Le peuple lança des hourras et des viva. Certains soufflèrent dans des coquillages et d’autres entonnèrent un chant joyeux, fait de cliquetis et de cris aigus. Puis le Chef leva la main et le silence se fit.

— La nuit dernière, les Chamans ont vu, dans les astres, votre venue. Il y a des siècles qu’une prophétie prédisait ce moment. Alors, venez. Allons dans la case de la Chefferie, les Anciens et les Chamans nous y attendent. Nous avons à parler. Ils arrivèrent devant une longue bâtisse aux murs de bambous et au toit de feuilles de palmiers. Les volutes d’une fumée grise s’échappaient de son sommet. Les Neuf rentrèrent les uns après les autres par la large porte. Seuls Hogar et Tiboursio eurent un peu de mal à passer. Tous furent invités à s’asseoir autour d’un grand feu. Dans la pénombre, on distinguait une douzaine d’hommes tous tatoués de la tête aux pieds. Ils portaient des costumes semblables à Mungalawa, mais en plus sobre, et, surtout sans la coiffe qui restait l’emblème au Chef. La réunion dura des heures où les Ulurahi voulait tout savoir de chacun des Neuf. Puis, vinrent les palabres incessantes sur l’interprétation de la prophétie. À la fin, Ogrino en avait mal à la tête. Il demanda la permission de sortir, immédiatement suivi d’Hogar et Tiboursio qui ne supportaient plus de rester enfermés. Ils marchèrent tous les trois sur une plage de sable blanc, savourant, à pleines narines, le grand air iodé.

 

Le soir, les Neuf furent invités à dîner dans la case du Chef Mungalawa. Ils durent grimper une longue échelle de bambous qui tangua sous le poids des Ogres. Elle menait à une plateforme de rondins, puis à une seconde, avant d’arriver à la maisonnette de trois pièces qui abritait toute la petite famille, à dix mètres du sol. L’édifice monté sur de très hauts pilotis donnait sur l’océan et la vue était superbe. À mesure que le jour déclinait, les étoiles s’allumaient, une à une, drapant la voûte céleste d’un manteau scintillant. Ogrino avait le nez en l’air et n’écoutait que distraitement les propos de Mungalawa, tant la pleine lune, d’une teinte rousse, semblait proche d’eux.

— Ici, l’air est si pur que l’on pourrait presque la toucher, déclara, amusé, Mungalawa, en regardant, Ogrino, droit dans les yeux.

Ce dernier, confus, ne savait plus où se mettre, en réalisant son impolitesse.

— J’allais justement vous présenter ma fille, reprit le Chef. Misoa ! Ma chérie, il est temps de saluer nos invités.

— J’arrive tout de suite, père, mais je viens d’avoir une touche et je ne voudrais pas la perdre.

— Elle adore pêcher et sa chambre donne sur un tombant sous-marin très profond ce qui est propice à de grosses prises, expliqua Mungalawa.

On entendit soudain, un cri et la case s’ébranla. Une sorte de tremblement de terre arracha toute la partie gauche de la maison. Ogrino, déstabilisé glissa sur le sol, désormais oblique, en direction du vide. Il se raccrocha, in extremis, à une des poutres du plancher juste avant de voir Misoa disparaître dans les flots.

— Ma fille ! cria Mungalawa, en se penchant sur le trou qui avait été une chambre.

Misoa réapparut bien vite. Excellente nageuse, à l’instar de tout le peuple des Ulurahi, elle surfait sur les vagues vers le rivage. Tout à coup, un énorme remous fut suivi de l’éruption d’une gigantesque masse sombre qui creva les flots. Une large gueule béante, remplie de crocs acérés frôla la frêle jeune fille. Ne cédant pas à la panique, Misoa redoubla d’efforts pour échapper au monstre. Ogrino ne put s’empêcher de penser au Métanor et un frisson le parcourut. Misoa n’avait aucune chance d’échapper au dragon. À ce moment-là, il vit une sorte de longue palissade ocre fendre l’eau à la poursuite de sa proie. Misoa atteint un des piliers de la case et, s’y cramponnant, s’éleva au-dessus de l’eau. Les mâchoires d’acier du monstre se refermèrent sur le pilier et le sectionnèrent comme de la paille. Toute la structure s’affaissa et la maison bascula sur le côté jusqu’à se retrouver à quelques mètres de la surface.

— Le Krazoar ! hurla Mungawala en s’agrippant à un montant de porte. Le Krazoar va dévorer ma fille et nous avec !

 

Ogrino avait deviné par la forme du dos de l’animal qu’il ne s’agissait pas du Métanor, mais il n’avait aucune idée de ce que pouvait être un Krazoar, si ce n’est qu’il devait être monstrueusement gros et féroce. Il lâcha prise et se retrouva immergé dans l’eau. Remontant à la surface, il prit une bouffée d’air et remit la tête sous l’eau, à l’affût. Avant qu’il n’ait pu distinguer quoi que ce soit, il sentit un frôlement derrière lui. Il fit volte-face, prêt au combat. Une prise ferme lui serra l’épaule. La forme devant lui était celle de Misoa qui lui faisait signe de se retourner. Toujours sous l’eau, il vit alors une scène d’horreur. Un requin de la taille d’un cachalot fonçait sur eux, la bouche grande ouverte, son museau hérissé de cornes et de dents courbées. Ogrino n’eut que le temps de pousser sur Misoa pour créer un espace sur la trajectoire du monstre qui passa juste au milieu d’eux. Ils furent pris dans le tourbillon engendré par le Kraozar. Réussissant à se stabiliser, Ogrino remonta à la surface pour respirer et rechercher Misoa. Rien n’émergeait des vagues, alors il replongea. Le monstre fondait sur lui, ses crocs exubérants, en avant, tels ceux d’un crocodile géant. Il fit une pirouette, évitant de justesse une gigantesque mâchoire qui se referma, dans un claquement, sur du vide. Solidement accroché à l’épine dorsale du Krazoar, Ogrino avait l’impression de chevaucher un cheval en furie. Le monstre piqua vers les profondeurs. Il fallait faire vite, car Ogrino savait qu’il ne tiendrait pas longtemps du fait de la pression croissante de l’eau. Il mordit de toutes ses forces le dos de l’animal. Celui-ci de broncha pas, indifférent à la douleur, malgré l’épais filet de sang qui s’échappait de sa blessure. Alors Ogrino rampa vers la tête du requin, s’accrochant aux pics dorsaux et aux moindres aspérités de la peau. Il arriva au niveau des yeux et y planta ses doigts. Le Krazoar secoua la tête de manière désordonnée et se mit à tourner sur lui-même pour faire lâcher prise à son agresseur, mais Ogrino tenait bon. L’air commençait à lui manquer et il avait mal aux tympans. Dans un sursaut d’énergie, il lâcha sa main gauche et la ramena à l’orbite de l’œil droit du monstre, puis il hissa son visage à son niveau et, avec force, mordit le globe oculaire du Krazoar. Cette fois, l’animal se débattit avec rage et par une série de soubresauts particulièrement violents, il se débarrassa d’Ogrino. Désorienté, fou de douleur, le Krazoar disparut dans un halo de sang. Ogrino, à demi rassuré, mobilisait ces dernières forces pour remonter à la surface coûte que coûte. Par manque d’oxygène, des vertiges apparaissaient. Il palmait des jambes et battait des bras à la manière d’un oiseau. Ses gestes devenaient mécaniques, il ne contrôlait plus vraiment ses membres, la tête lui tournait. Il ressentait une ivresse. Il vit des ondulations lumineuses et colorées au-dessus de lui, puis plus rien…

 

— Tu nous as fait une de ces peurs. On a cru que la Krazoar t’avait dévoré !

Ogrino ouvrit les yeux et vit son père qui lui souriait.

— Nous avions sauté à l’eau pour te prêter main forte. Nous t’avons cherché longtemps, éclairés par des filets remplis de poissons fluorescents, mais tu avais disparu avec le monstre.

— Heureusement que Razenbruck t’a aperçu et qu’il s’est transformé en calamar géant pour te remonter rapidement à la surface, enlacé dans ses tentacules. Tu étais inconscient. Le manque d’oxygène assurément. Tu es resté dix minutes sous l’eau, ce qui est déjà un exploit en soi, précisa Lovestone.

Ogrino se tourna vers le Lutin, le regard rempli de reconnaissance. Razenbruck souriait, sans rien dire, en signe d’amitié. Il remarqua que l’ensemble des villageois était rassemblé sur la plage en compagnie du Chef et des Neuf.

— Misoa est saine et sauve, et toi comment te sens-tu ? demanda Erasmus.

— J’ai mal à la tête. À part ça, ça va.

— Le Krazoar semble avoir abandonné sa chasse, ce qui est rarissime. D’ordinaire, il ne lâche pas sa proie aussi facilement, déclara Mungalawa.

— Je lui ai donné une leçon qu’il n’est pas près d’oublier.

— Qu’est-ce à dire ? demanda Aristophane.

— Je lui ai crevé un œil et abîmé l’autre. Il aura plus de mal à chasser à présent.

Tous se mirent à rire.

— Tu es le digne fils de ton père, renchérit Hogar.

— Tu as sauvé ma fille, dit le Chef en prenant la main d’Ogrino et la plaçant sur son cœur. Je ne l’oublierai jamais. Tu es des nôtres désormais. Ma tribu te doit reconnaissance et respect jusqu’à la fin des temps.

— Merci, c’est trop d’honneur. Vous auriez fait la même chose à ma place.

— Bien sûr, mais ton courage n’a d’égal que ta modestie. Viens ma fille, viens remercier ton héros.

Ogrino quitta sa position allongée et se remit debout pour accueillir Misoa. Lorsqu’il la vit, sa tête tournait encore. La jeune fille avait la peau d’une couleur brune et les traits fins, avec de longs cheveux torsadés. Ses yeux étaient verts et, sur une bonne partie du corps, elle avait des dessins qui dépassaient de son pagne. Ogrino la trouva jolie et le rouge lui monta aux joues. Sous l’eau et dans l’excitation du combat, il n’avait pas remarqué tous ces détails qui le ravissaient à présent.

— Je... tu... enfin, je voulais dire...

— Ne dis rien. C’est à moi de parler, en mon nom, et en celui de mon peuple. Ta bravoure te met au rang des miens. Aucun d’entre nous n’avait osé affronter le Krazoar avec une telle détermination. Non seulement tu m’as sauvé la vie, mais, en plus, tu as contribué à nous débarrasser d’une menace qui a endeuillé mon peuple depuis des générations. Jamais ce monstre n’avait subi pareille défaite. Ni nos flèches ni nos harpons n’avaient réussi à le mettre en déroute. Pour tout cela, je te remercie du fond du cœur.

Elle l’embrassa avec fougue sur la joue, près de ses lèvres. Elle embaumait un parfum ambré et ses yeux invitaient à s’y perdre. Il en fut gêné et essaya de cacher autant que possible la teinte cramoisie qui se diffusait sur son visage jusqu’aux oreilles.

— Et maintenant, buvons du vin de palme à la santé d’Ogrino « le Dompteur de Krazoar », déclara Mungalawa.

Les Neuf empoignèrent les verres, posés sur une longue table pleine de poissons, et trinquèrent à la fin de la malédiction du Krazoar et à la joie d’être ensemble. Ensuite, ils se mirent à manger. Ogrino fit sensation en goûtant à tous les plats et surtout en se re-servant moult fois, jusqu’à ce qu’il ne reste rien dans les assiettes, casseroles et autres marmites. Cependant, Ogrino n’arrivait pas à quitter Misoa des yeux. Sa grâce, sa fraîcheur, son énergie le subjuguaient. Il arborait un sourire béat et se trouvait incapable d’aligner deux mots alors qu’elle lui racontait comment elle avait échappé au monstre grâce à lui. Ogrino ne pouvait détacher son regard de son visage si fin et de ses bras si longilignes. Les marques noires, qui ornaient sa peau, l’intriguaient.

— Qu’est-ce que c’est ? osa-t-il enfin demander.

— Ça, ce sont des Alundaya !

— Des quoi ?

— Des signes des Dieux.

— Ça veut dire quelque chose ?

— Oui et non. Comme ma mère, Miloa, est la femme du Chef, à chaque fois qu’elle est tombée enceinte, le sorcier Monunga a fait des imprécations pour que ses enfants soient en bonne santé, courageux et qu’ils soient protégés. Mes deux frères et moi, nous sommes tous nés avec ces marques. Les Alundaya nous confèrent une puissance bénéfique qui nous accompagne tout au long de notre vie. Aujourd’hui, tu en es la preuve.

— Comment ça ?

— Au moment où j’aurais dû être dévorée, tu es intervenu et cela a changé le cours de mon destin. C’est ça l’influence des Alundaya.

— Moi, j’appelle ça de la chance.

— Oui, c’est vrai, mais quand elle se répète tout le temps, c’est plus que de la chance, c’est une protection.

— Moi aussi, j’ai une protection annonça fièrement Ogrino en sortant son Losange de dessous sa chemise.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un cadeau d’une grande valeur donné par une personne qui m’est très chère, Felicia la reine des Elfes.

— Tu connais la reine des Elfes ? demanda Misoa très excitée.

— Oui, elle me l’a remis personnellement, en me donnant sa bénédiction et depuis j’œuvre pour elle et elle me protège.

— Waahouu ! Ça alors ! Tu es vraiment un chevalier de lumière.

Ogrino rougit à nouveau avant que Misoa ne l’enlace, en le serrant fortement contre elle. Il entendait son cœur battre la chamade, en faisant un bruit de tonnerre. Il s’étonnait que personne ne l’entende, pas même Misoa. Elle le pressait de questions de toutes sortes sur sa vie, comment il avait rencontré Felicia, qui étaient les Neuf ? Ils parlèrent ainsi une bonne partie de la nuit. Ogrino ne voyait pas le temps passer tant il buvait les paroles de Misoa, son parfum et sa beauté.

— Ces Alundaya n’ont vraiment pas de signification ? insista-t-il. On dirait des cartes maritimes.

— Je n’ai jamais vraiment su. Il est vrai que je n’ai pas pensé à poser la question. Ta présence étant un bon présage, demain, nous irons demander à Monunga.

— Il est l’heure d’aller dormir, cria Mungalawa en titubant légèrement sous l’effet du vin de palme.

Hogar, aussi, ne marchait pas très droit. C’est vrai qu’il en avait bu deux tonneaux. Les autres membres des Neuf n’étaient pas très frais non plus. La journée avait été longue et chargée d’émotions. Ce moment de récréation ne pouvait leur faire que du bien, vu les épreuves à venir. La mission était loin d’être terminée. Ils furent hébergés par diverses familles de villageois, car la case était complètement détruite. Ogrino se retrouva chez la sœur de Miloa dans la même chambre que Misoa et ses cousins. À peine couchée, elle s’endormit aussitôt, le visage tourné vers Ogrino, un beau sourire sur les lèvres. Lui, ne pût trouver le sommeil, tant il était envahi de sentiments nouveaux, tous engendrés par la présence de cette belle indigène à la peau chocolat.

 

Le lendemain matin d’une nuit trop courte, Ogrino s’éveilla peu après l’aube, les yeux rougis par le manque de sommeil, mais le cœur en fête, en découvrant Misoa si proche. Pendant ses songes nocturnes, elle avait roulé sur le côté et se trouvait maintenant tout près d’Ogrino qui mourait d’envie de lui caresser le visage, mais n’osait pas la toucher, de peur de la réveiller. Finalement, il prit sur lui et passa sa main dans ses cheveux bouclés. Ils étaient doux, pareils à de la soie. Il se rapprocha pour mieux sentir leur odeur. Un parfum de miel et de jasmin l’envahit, un vrai délice. Cette fille était un ravissement des sens. Il aurait voulu rester là à la regarder, pour le reste de ses jours. Finalement, elle s’étira et ouvrit les yeux. Il fit semblant de dormir, le cœur secoué de battements désordonnés. Il sentait son souffle tout près. Elle se rapprochait. Il se fit immobile telle une statue. Elle déposa un délicat baiser sur son front en murmurant son nom.

— Ogrino, il est temps de se lever, gros paresseux.

— Humm, quoi ? Je dormais moi ! mentit-il.

— Je croyais que tu avais hâte de découvrir ce qu’étaient les Alundaya.

— J’ai surtout hâte de manger quelque chose. Je dévorerai un bœuf entier.

— Nous n’avons pas de vaches ici, mais un thon devrait faire l’affaire si tu as vraiment faim.

— Un thon ! J’en voudrais plutôt trois ou quatre.

— Tout ça !

— Oui, les émotions, ça creuse !

Après un bon petit-déjeuner où Ogrino ingurgita simplement cinq dorades, un espadon et quatre thons rouges, ils allèrent rejoindre les frères de Misoa. Mintouwo et Mulongo avaient dormi chez leur autre tante et se réveillaient à peine. L’excès de vin de palme de la veille leur faisait encore mal au crâne.

— Alors on a abusé de bonnes choses ? Un bon pêcheur est un pêcheur sobre ! Vous devriez le savoir pourtant, leur lança Misoa.

— Ouais, sauf que hier c’était la fête, au cas où tu ne le saurais pas. En ton honneur en plus. La fille du Chef miraculeusement sauvée du Krazoar par un Ogre courageux et gnagnagni et gnagnagna, dit Mulongo, en la narguant.

— On dirait que cela ne vous fait pas plaisir que j’aie échappé à la mort !

— Si bien sûr, c’est pas la question, mais il n’y en a toujours que pour toi. Toi la fifille chérie à son papa. N’empêche que c’est pas parce que t’es la fille aînée que toutes les attentions doivent toujours être centrées sur toi, asséna Mintouwo.
— C’est de la pure jalousie ! Je n’ai jamais rien demandé.
— Tu te mets tout le temps dans des situations où tu es le centre du monde, rajouta Mulongo. Hier soir, c’était le pompon. Tout le village en émoi parce que mademoiselle a voulu pêcher à la pleine lune, alors que l’on sait tous que le Krazoar sort à cette période-là et qu’il y a un risque. Musungowa, le benêt du village en a fait les frais, il y a deux ans. Et ne dis pas que tu ne t’en souviens pas. Il a été dévoré alors qu’il lançait ses filets pour pêcher en bord de falaise, juste après la tombée de la nuit, comme toi, hier.

— N’importe quoi ! ça n’a rien à voir.

— Arrêtez de vous disputer, intervint Ogrino. Des choses graves se passent et nous n’avons pas de temps à perdre en de vaines querelles.

— Qui tu es toi pour donner des ordres. Tu n’es même pas humain. Nous avons une tradition d’accueil des étrangers, mais pas des Ogres, déclara Mintouwo.

— Je ne vous demande pas de m’aimer, mais simplement de m’écouter. J’ai fait un très long chemin pour arriver jusqu’ici, car une sourde menace se répand sur la terre et vous n’y échapperez pas, vous non plus, même si apparemment vous semblez avoir été plutôt épargnés jusqu’à présent. Tous les humains du continent sont malades et nous essayons de remonter jusqu’à la source du mal.

— C’est que du charabia, tout ça ! Qu’est-ce que l’on en a à faire de tes problèmes ? Ici, tout allait bien jusqu’à ce que toi et tes copains vous arriviez, dit Mulongo.

— ASSEZ ! hurla Misoa. Nous allons chez le sorcier et vous avez intérêt à nous suivre.

— Taratata ! On ira si on veut et, aujourd’hui, on veut pas ! Hihihi, ricana Mintouwo.

— Il faut qu’ils viennent, c’est important, murmura Ogrino à l’oreille de Misoa.

— T’en fais pas, allons-y, lui répondit-elle.

Misoa prit Ogrino par la main. Il fit semblant de rien, mais il était si heureux de sentir la chaleur de sa paume sur sa peau. Ils arrivèrent à la case du sorcier, montèrent les échelles jusqu’en haut et frappèrent à la porte.

— Qui va là ?

— C’est Misoa !

— Entre, ma petite.

Ils pénètrent dans une pièce très sombre, remplie de fumée. Une odeur âcre vous prenait à la gorge. Ogrino toussa.

— Tiens, tiens, tu es venue avec notre invité, dit une vieille voix rocailleuse.

Monunga se tenait accroupi dans la pénombre, touillant le liquide bouillonnant d’une marmite. On n’arrivait pas à voir son visage, juste sa maigre silhouette.

— Oui, il tenait à te rencontrer, car il voudrait connaître la signification des Alundaya.

— Seuls les sorciers ont accès à ces mystères. Ils ne doivent pas être dévoilés à des profanes.

— Bonjour à vous, sage d’entre les sages, lança Ogrino. Je viens à vous, car vous détenez peut-être la clé de nos recherches.

 

Il entreprit de raconter le fléau qui sévissait depuis des mois et le périple des Neuf, jusque-là. Le vieillard sortit de la pénombre et Ogrino eut un choc. Son corps n’était fait que de creux, tant il était malingre. Il semblait n’avoir pas mangé depuis des mois. On lui voyait tous les os. Ogrino ne se rappelait pas l’avoir vu la veille au soir, durant le banquet.

— Approche mon jeune ami, ordonna doucement Monunga.

Ogrino s’exécuta avec bonhomie. Ils avaient quasiment la même taille, car le sorcier était tout ratatiné, le dos courbé comme une vieille banane.

— Tu dis vrai, je le vois dans tes yeux. Pour cela seulement, je vais t’aider.

Monunga prit un coquillage sur une petite table, s’approcha de la fenêtre, en soufflant fortement dans cet instrument improvisé. Un son étrange comme une parole en sortit. Ogrino mit du temps à reconnaître les prénoms de Mintouwo et Mulongo. L’appel était sans concession, Ogrino le comprit. Quiconque entendait son nom se devait d’y répondre, il en était persuadé. Là, Ogrino sut que Monunga était un vrai sorcier. Peu de temps après, les deux frères de Misoa se trouvaient dans la pièce, haletants.

— Si je vous ai fait venir ici, c’est que j’ai besoin de vous et de votre sœur. Déshabillez-vous, ordonna le vieillard.

Bien qu’interloqués, les trois jeunes s’exécutèrent néanmoins, retirant tous leurs habits sauf leurs dessous. Misoa était mignonne avec son soutien-gorge en coquilles Saint-Jacques et sa culotte d’algues tressées. Ogrino restait sous le charme de sa silhouette gracile.

— Venez vous mettre côte à côte, Misoa, au milieu, le dos tourné face à moi, demanda Monunga.

Quand les trois jeunes furent collés, Ogrino réalisa que son intuition avait été la bonne. Les dessins sur les corps se fondaient pour constituer une immense carte de géographie. On y découvrait clairement le contour Sud du Royaume et des îles à foison avec des légendes dans une langue inconnue, rappelant très vaguement des Runes.

— Nous sommes ici, dit le sorcier, en pointant du doigt un petit point sur l’omoplate de Mulongo.

— Et qu’est-ce que c’est que ce drôle de dessin en forme ce crâne, tout en bas, demanda Ogrino.

Monunga regarda attentivement puis avec les yeux remplis de stupeur et de crainte, il prononça lentement :

— Ça, aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est une île inconnue de mon peuple. Elle… elle se trouve au… Sud… de nulle part.

— Comment cela, inconnue de votre peuple ? Vous sillonnez les océans depuis des générations et, en plus, vous aviez tout le loisir d’analyser ces Alundaya.

— Tu as raison. Cela est vraiment étrange. Non seulement aucun de nos pêcheurs n’a jamais parlé de cette île, mais je n’avais pas vu sa présence sur le bas de la colonne de Mintouwo. On dirait qu’elle est apparue récemment.

— C’est impossible, dit Misoa.

— Beaucoup de mystères nous entourent, ma jeune enfant, et ce qui paraît impossible à l’homme est une évidence pour les dieux, répondit, amusé, Monunga. Ce qui m’inquiète beaucoup plus, ce sont les signes d’Alundaya qui entourent cette île. Ils ne prédisent que du mauvais. C’est une île de spectres ! Une présence maléfique habite cet endroit. Une force du chaos comme la terre n’en a pas connu depuis l’aube des temps !

Ogrino reçut ces nouvelles de manière très optimiste. Les menaces qu’évoquait le Chaman n’étaient pas vraiment une découverte. En revanche, la localisation de cette Île Spectrale et le fait qu’elle constituait peut-être la source du fléau représentaient une grande avancée pour la mission des Neuf. Il remercia longuement Monunga et sortit avec Misoa et ses frères qui se mirent immédiatement à courir pour s’éloigner au plus vite du sorcier. Ogrino se réjouit de se retrouver seul avec la fille du Chef.

— Je dois informer les Neuf, au plus vite.
— Alors, vous allez bientôt repartir ? demanda Misoa, d’un air triste.

— Il nous faut continuer notre voyage, le temps presse. Le mal se répand inexorablement et nous devons agir avant que la situation n’atteigne un point de non-retour.

— Je comprends. Les événements nous dépassent et tu es bien courageux de risquer ta vie dans cette mission.

— Je ne suis pas seul. J’ai de puissants amis et puis Félicia m’accompagne.

— Oui, c’est vrai que c’est elle qui t’envoie. Alors, nous étions faits pour nous rencontrer. C’était la volonté des dieux.

En guise de conclusion, elle l’embrassa sur la joue, en lui mettant les bras autour du cou. Ogrino rougit et ses pommettes devinrent écarlates. Il essaya de camoufler sa timidité, en tournant la tête.

— Je dois rejoindre les autres et demander à Jonathan de tracer notre route maritime et d’appareiller au plus vite.

Elle lui prit la main et le regarda droit dans les yeux.

— Tu reviendras ? demanda-t-elle.

— Si, sur la route du retour, nous passons près de ton île, on y fera certainement une escale, répondit-il d’un ton qui se voulait le plus neutre possible.

— Tu reviendras ? insista-t-elle.

Le vert des yeux de Misoa enveloppait Ogrino, de manière hypnotique. Il restait immobile, totalement sous le charme de ce regard émeraude.

— Je… hé bien… en fait…

Elle continuait de la regarder d’un air tendre. Il inspira et finit par prononcer, enfin, une phrase cohérente qui le surprit lui-même.

— Rien ne pourra m’empêcher de te retrouver, pas même les forces du chaos. Je ne sais ni le jour, ni l’heure, mais je suis certain, au plus profond de moi-même, que nous routes se recroiseront, car cela était écrit depuis la nuit des temps.

Alors, elle l’embrassa sur les lèvres et il ne se déroba pas. L’instant lui parut durer une éternité. Totalement empli de ce moment, il sentait qu’il faisait pleinement partie du Grand Équilibre. Des fils invisibles semblaient se nouer autour d’eux. Une joie, une harmonie indicible s’était emparée de lui. Il comprenait, dans sa chair, que l’univers était gouverné par une force inaliénable… la force de l’amour. Malgré toutes les épreuves traversées, malgré le Mal qui se déversait dans ce monde, quelque chose prévalait, quelque chose d’inaltérable et de sacré. Un pouvoir générateur restait à l’œuvre de manière permanente, caché en dessous des turpitudes de la vie. Les malheurs, les souffrances lui apparaissaient, soudain, comme de simples vaguelettes à la surface d’un océan de bonheur et de paix. Il respirait l’odeur enivrante des cheveux de Misoa. Il voulait se gorger de ce parfum. Il avait le sentiment que s’il s’en imprégnait au plus profond de lui-même, Misoa ne le quitterait plus. Ce lien qui les unissait ne pourrait pas être rompu et sa mission n’en serait que plus facile. Il serait désormais accompagné par l’affection de deux êtres, Félicia et Misoa. Chacune, à sa façon, lui donnerait la force de continuer jusqu’à l’aboutissement. Ils restèrent ainsi un temps indéfinissable, goûtant le miel de la vie.

— Héé, Ogrino, dit Hogar. On te cherchait. Jonathan dit que le vent du Nord se lève et qu’il nous faut appareiller maintenant.

Une infinie tristesse emplit le cœur d’Ogrino. Il embrassa longuement le front de Misoa et lui murmura à l’oreille.

— Je reviendrai.

— Tu es la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie. Je t’attendrai, lui répondit Misoa, les yeux embrumés de larmes.

Il marcha lentement vers son père, la tête tournée en arrière afin de graver cette dernière image de Misoa dans son cœur.

— Dépêche-toi, lui ordonna Hogar, tout en se rendant compte que quelque chose s’était passé entre les deux jeunes.

— Voilà, j’arrive. Je me devais de faire des adieux dignes de ce nom à la fille du Chef, c’est une question de politesse, mentit-il.

— Tu as raison, rétorqua Hogar avec un petit sourire en coin.

Il ébouriffa la chevelure de son fils quand il passa à son niveau. Ogrino regarda encore une dernière fois vers Misoa et lui fit un petit signe de la main où l’on sentait que tout, en lui, refusait ce moment.

— Allez, on a une mission cruciale à réaliser. N’oublie pas que nous nous battons pour tous les peuples. Cela vaut aussi pour les Nanonésiens, alors ne sois pas trop triste. Et puis… nous aurons peut-être l’occasion de repasser par ces îles.

Hogar lui fit un clin d’œil et Ogrino comprit qu’il avait été démasqué, mais il fit semblant de rien et accéléra le pas, en direction du port. Les voiles de l’Indomptable se gonflaient sous l’effet du vent et presque tous les animaux étaient remontés à bord. L’heure du grand départ était arrivée. Les Neuf saluèrent respectueusement Mungalawa et les Anciens puis embarquèrent sur la caravelle. Ogrino les suivit et salua machinalement la foule qui se pressait sur la plage. Montée sur un rocher, Misoa regardait, immobile, le bateau qui allait bientôt emporter l’objet de ses pensées les plus secrètes. Malgré la distance, leurs yeux restaient irrémédiablement plantés dans ceux de l’autre. Ils échangeaient, alors, des mots muets, d’une profondeur et d’une tendresse indicibles. Il en fut ainsi jusqu’à ce que l’Indomptable disparaisse à l’horizon.

 

 

 

 

 

 

Le Maréphare

 

 

 

Ogrino descendit dans la cale à la recherche d’un en-cas. Il était tourmenté par la faim. La pauvreté des pêches des derniers jours et le rationnement qui en avait découlé, lui mettaient les nerfs à vif. Un Ogre ne pouvait jeûner, c’était contre nature. Il lui fallait absolument trouver quelque chose à se mettre sous la dent. D’ailleurs, il n’était pas le seul. Hogar et Tiboursio, aussi, devenaient très irascibles pour la même raison. Après avoir passé au crible les stocks, il ne trouva rien à part des légumes qui ne pouvaient étancher ses maux d’estomac.

— Fils, tu es là ?

— Oui, papa, je suis en bas. Y’a rien à manger. Pas de rab !

— Remonte, j’ai une idée. On va pêcher d’une façon très spéciale.

— Mais on est bredouille depuis plusieurs jours.

— Ne t’inquiète pas et regarde.

Hogar noua une corde autour de sa taille et fixa l’autre extrémité à un plot du bastingage. Puis, il s’entailla la main avec son couteau et sauta à l’eau. Il se retrouva tiré par le navire qui filait sous le vent. Peu de temps après, on vit apparaître des ailerons qui fendaient la mer, juste derrière Hogar. Attirés par le sang, des requins-bouledogues affluaient. Dès que l’un d’eux s’approchait de l’Ogre, Tiboursio décochait un coup de harpon. Quand cinq requins eurent été remontés à bord, Hogar commença à se hisser le long de la corde pour revenir au bateau. Sa main saignait toujours excitant la dizaine de prédateurs qui continuaient à le suivre. Le plus gros, et le plus téméraire, s’élança hors de l’eau, la gueule béante. Alerté par le bruit des éclats de vagues, Hogar lâcha la corde. Sortant ainsi de la trajectoire du requin, il évita de peu les dents effilées tels des rasoirs qui se refermèrent dans un claquement lugubre. Il sentit l’animal le frôler et sa joue glissa contre sa peau caoutchouteuse. Il se retrouva ainsi au niveau de la queue et la saisit. Le requin déconcerté se vit, soudain, violemment tiré en arrière, traîné par le navire qui continuait sa course folle. À l’autre bout, Tiboursio mettait toutes ses forces pour ramener son neveu et sa prise. Le requin se tordait dans tous les sens pour se dégager. Hogar tenait bon, trop fier de sa capture. Erasmus, Aristophane et Ogrino vinrent prêter main-forte à l’Ogre pour accélérer la remontée. Hogar pendait désormais avec sa proie hors de l’eau. Avant qu’ils n’aient atteint le pont du navire. Précélestin avait déjà émis un rai de lumière qui heurta la tête du requin et le tua sur le champ. Hogar le balança par-dessus le bastingage, puis sauta à son tour sur le pont.

— Elle était bonne mon idée ! clama-t-il, en voyant l’abondant tableau de chasse qui encombrait la moitié du navire. Vus hors de l’eau, les requins s’avéraient encore plus impressionnants, chacun devant bien peser une demi-tonne. Ils allaient pouvoir se rassasier et nourrir les fauves.

— Pour quelqu’un qui n’aimait pas la mer, tu m’as semblé à l’aise comme un poisson dans l’eau, dit amusé, Aristophane.

— Quand un Ogre a faim, il dépasse sa peur !

Ils éclatèrent tous de rire, et le bateau frissonna sous les sursauts hilares de Tiboursio et d’Hogar.

 

 

Ils dérivaient au gré des courants, car il n’y avait plus de vent depuis plusieurs jours. On aurait dit que des forces contraires essayaient de les empêcher d’atteindre leur but.

— Nous nous écartons fortement de notre route, dit Jonathan.

— Nous sommes trop à l’Est, renchérit Aristophane.

— Oui, c’est le grand courant du Midsar, qui traverse en diagonale la mer d’Isvantour, conclut Lovestone.