Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Pairs vers un monde meilleur plonge profondément dans les complexités de la souffrance psycho-sociale, en explorant à la fois ceux qui l’endurent et la perpétuent. Cet ouvrage cherche à informer, sensibiliser et encourager une compréhension plus intense de cette souffrance, tout en remettant en question une société qui tolère les injustices et les inégalités ; ceci en opposant autorité et résignation. Dans cette démarche, la parole se révèle essentielle pour dévoiler l'horreur et éclairer les esprits.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Comme une abeille, Ilham Ibrahimi a butiné dans une multitude de savoirs et de disciplines. Elle est auteure de Jours de fête au Maroc, paru en 2004, et co-auteure de Marrakech, lieux évanescents publié en 2018. À présent, elle nous livre Pairs vers un monde meilleur, des textes singuliers, sans concession, qui ne laissent pas l’esprit du lecteur en paix.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 121
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ilham Ibrahimi
Pairs vers un monde meilleur
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Ilham Ibrahimi
ISBN : 979-10-422-0612-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Quand j’ai lu l’ouvrage d’Ilham, j’ai tout de suite été séduit par la qualité de son écriture puis rapidement par la justesse de son propos. Pairs vers un monde meilleur est un ouvrage agréable malgré la dureté du témoignage.
Jean Charles Bouchoux,
Psychanalyste et écrivain.
En cas de malheur, avoir toujours le choix de subir ou de réagir.
Auteur inconnu
Malika se réveilla sous les caresses d’Albert sur ses longs cheveux et ses joues. Réveille-toi ma reine, c’est l’heure d’aller au Consulat.
Le sommeil de Malika fut agité cette nuit-là. Elle était heureuse, délivrée, mais inquiète aussi et encore incertaine d’avoir fait le bon choix.
Ce matin-là, elle s’est sentie belle, de la tête aux pieds et, devant la glace de la salle de bains, elle s’est surprise à admirer la couleur de sa chevelure noir ébène, les traits de son visage et son décolleté, comme à seize ans, lorsqu’il lui arrivait de s’oublier devant le miroir et que les cris de sa mère la ramenaient à la réalité.
Elle se trouvait si belle et rêvait déjà de ce prince charmant qui allait venir la prendre au milieu de tant d’autres filles, l’emmener vivre avec lui. L’idée à elle seule, lui donnait une si agréable sensation qui apaisait une soif de liberté, un désir grandissant et un besoin de délivrance du carcan familial étouffant, quitte à vouloir concrétiser son rêve, à travers le cadre étriqué du mariage, faisant fi de ses ambitions qu’elle trouvait utopiques dans une société à dominante machiste. Peut-être que dans le couple, les relations d’assujettissement et d’obéissance seraient amoindries et qu’elle aurait enfin un compagnon, un interlocuteur et un conjoint qui la considérerait. Et Ahmed arriva.
Il était enseignant depuis quelques années déjà, alors qu’elle ne faisait qu’entamer ses études universitaires. Ahmed l’avait suivie jour après jour, sans lui adresser la parole, guettée et surveillée tout au long de cette première année universitaire et ne l’avait jamais vue autrement que rentrant dans l’enceinte de la faculté ou se dirigeant vers le domicile de ses parents, seule et discrète, et elle, en était fière. Fière de reproduire fidèlement l’image idéale de la femme à marier, disposée à être, à vivre sous tutelle.
Elle ignorait que ce qui attirait le plus Ahmed chez elle, était cet effacement dans sa façon d’être et une docilité certaine, fruit d’une éducation trop sévère, dans laquelle elle se complaisait à défaut d’avoir pu tenir front. Elle était si sévèrement habillée et si timidement parée. La famille avait déjà entamé le processus qui lui faciliterait la prise des commandes.
Lorsqu’il l’aborda, il lui parla directement de mariage et Malika en fut doublement touchée. D’abord, Ahmed correspondait bien à l’image qu’elle s’était toujours faite de l’homme de sa vie. Il était beau, mûr, plus âgé qu’elle et savait choisir les mots qu’il fallait pour la circonstance. Ensuite, le fait qu’il eut immédiatement abordé le sujet du mariage lui prouva qu’il était sérieux et qu’elle pouvait compter sur lui à l’avenir. Elle pensait aussi, de son côté, qu’elle était une fille distinguée de celles de son âge qui se réunissaient en cercles, à la sortie des cours, discutaient, riaient et sortaient avec des étudiants de leur âge, que Malika trouvait frivoles et superficielles.
Pourquoi les hommes calculent-ils tout, pendant que nous, femmes, nous nous basons essentiellement sur les rêves et les sentiments ? Pourquoi, leur donne-t-on la chance de choisir, de partir et de faire des erreurs pour se construire et nous, nous demeurons réduites à rester dans la maison familiale jusqu’à ce qu’un homme daigne venir nous en délivrer pour nous faire changer de statut et perpétuer la tradition patriarcale ?
Malika se souvient de sa mère, voyant en chaque signe de féminité sur son corps, une atteinte grave à sa quiétude. D’abord, ce fut l’apparition de ses seins qui l’inquiéta et, toutes les occasions étaient bonnes pour lui reprocher de n’avoir pas attendu encore un peu. Ensuite, ce furent ses règles précoces qui la révoltèrent au plus haut degré et, à chaque fois, elle lui demandait la raison de sa précipitation pour ça, mais justement, Malika n’avait pas de réponse. Enfin, ce fut le tour des interdictions irrévocables de s’habiller et de se coiffer à sa convenance, de rire à voix haute et de s’amuser avec insouciance. Elle n’eut dorénavant le droit qu’à obéir, camoufler ses rondeurs qui s’exprimaient chaque jour davantage et à suivre le droit chemin tracé par ses parents.
Même pour ses études supérieures, il lui a fallu accepter ce qu’ils avaient choisi pour elle et ils avaient choisi ce qu’il y avait d’accessible, sur place.
Elle n’avait pas le droit d’aller ailleurs, ni le droit de choisir, ni même celui de réfléchir. Ses parents avaient réfléchi pour elle.
Malika fit une toilette très brève, s’habilla et se précipita dans la chambre où Albert, déjà prêt, avait rangé ses affaires dans la valise et était en train de prendre son petit déjeuner. Il l’invita avec un sourire à se joindre à lui, lui servit son café au lait sucré et choisit pour elle les viennoiseries les plus croustillantes. « Mange ma reine, je descends payer la chambre et je t’attends en bas ».
En effet, Malika avait passé sa nuit à l’hôtel avec Albert. Ses parents, tout comme le réceptionniste de l’hôtel, ne s’y sont nullement opposés. Son père a même dit que lorsque l’intention de se marier existait déjà entre les deux partenaires, ils pouvaient se considérer comme mari et femme devant la société et devant Dieu. « Quel changement dans les mentalités ! ». Quand Malika pensa à la réaction farouche de son père, lorsqu’elle épousa réellement Ahmed. Il refusa qu’elle se rendit au domicile conjugal avant la cérémonie du mariage pour laquelle Ahmed n’était pas prêt à faire des dépenses qu’il estimait superflues.
Malika voulut bien mettre cela sur le compte de son divorce qui avait duré trop longtemps, au goût de ses parents, qui voulaient en finir au plus vite, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’Albert, en monnayant tout, avait réussi à faire revenir ses parents sur certains de leurs principes et croyances.
Le pouvoir de l’argent est avéré et immédiatement palpable, mais le pouvoir de la parole est quant à lui, impalpable, et son effet insaisissable. Ahmed avait opté pour le second pouvoir, qu’il maîtrisait à merveille.
Pour augurer son entrée au domicile conjugal et au sein de sa famille, Ahmed lui avait sciemment préparé un terrain bien miné d’où elle ne devait pas sortir indemne. Malika ne savait pas encore qu’elle allait être prise en otage et que Ahmed, en qui elle avait mis tous ses espoirs de jeune femme, allait devenir son geôlier.
Après avoir réussi ses négociations avec la famille de Malika sur le bien-fondé d’économiser les frais excessifs et superficiels d’une cérémonie de mariage et acquis la confiance de ses parents, Ahmed fit circuler la rumeur auprès des siens, que la cérémonie serait annulée par ses beaux-parents à qui il tardait de caser leur fille au plus vite, par peur d’un scandale. Les membres de sa famille firent alors mille et une suppositions et convergèrent tous vers une affaire de mœurs : le fameux problème de virginité, thermomètre de fiabilité et condition d’éligibilité au mariage. Cette stratégie lui permit de détourner l’attention de sa propre famille sur la cousine sur qui la grand-mère avait jeté son dévolu et fait une promesse solennelle de mariage, depuis quelques années.
Le choix de l’épouse, lorsqu’il n’est pas agencé par la gente féminine, sème le doute dans les esprits et est à l’origine de rejets d’autant plus injustifiés que féroces. La première candidate au mariage avait toutes les qualités requises et l’approbation familiale en sus, mais l’esprit communautaire qui régnait dans son entourage et sa proximité avec la famille d’Ahmed risquaient d’anéantir les desseins de ce dernier et de le mettre à nu devant l’ensemble de la communauté.
Malika n’en savait encore rien, encore moins ses parents. La famille d’Ahmed, ignorant tout de l’innocence de Malika et de l’ignorance des siens, commença en entrée de jeu, à mettre des étiquettes et préjugés sur la pauvre femme.
Lorsque Malika fit part à son époux de l’hostilité de sa belle-famille envers elle, il se contenta de répliquer : « Le problème des belles familles est universel, il faudra faire avec ! »
Malika se rappela alors des consignes de sa mère : « Pour réussir son mariage, l’épouse doit faire preuve d’une patience exemplaire et pouvoir conjuguer avec tous les aléas de la vie qui se présentent à elle. ». Tenir le même discours que sa propre mère fut le signe d’un amour inconditionnel. « Il vaut mieux écouter un discours qui te fait pleurer, qu’un discours qui te fait rire : le premier est signe de sincérité et le second d’hypocrisie », ne cessait de lui répéter Ahmed lorsqu’il la sentait, offensée, à bout ! » Malika se sentait comblée et l’éleva au rang des personnes sacralisées.
Devant le Consulat, la longue file silencieuse, qui attendait avec abnégation, dossiers à l’appui, la sentence accordant ou refusant un visa, lui rappela amèrement la période coloniale au Maroc, lorsque les indigènes venaient en file, en cette période de disette dite « année du bon » s’approvisionner en denrées, munis de ces précieux bons remis par les autorités du protectorat français.
Enfant, sa grand-mère maternelle lui parlait beaucoup de cette époque dont elle reste encore profondément marquée, de son grand-père, injustement détenu à plusieurs reprises, de ses exploits pour réussir à lui rendre des visites furtives malgré la garde forcée des colons et de la dégradation de son état de santé, d’un emprisonnement à un autre. Elle finit par détester les étrangers, quelle que soit leur origine.
Quand il fut question du mariage de sa petite fille, avec un étranger justement, la grand-mère ne trouva pas mieux que de défendre Malika à l’égard des mauvaises langues, en décrétant que celle-ci, en acceptant ce mariage, a œuvré à l’expansion de l’Islam en y intégrant un non musulman et, que sa place au Paradis était ainsi déjà acquise. Mais Malika savait pertinemment que ce discours était une façon de dissimuler sa gêne et sa peine, en même temps.
L’Employé du Consulat la scruta furtivement d’un regard inquisiteur et se ressaisit aussitôt, pour revêtir ce masque conventionnel discret et poli. C’est vrai qu’Albert était plus âgé qu’elle d’une trentaine d’années et c’est vrai aussi, qu’au fil de ces six longs mois de procédure, elle eut droit au même traitement, dans les différents services administratifs et judiciaires du pays qu’elle avait dû fréquenter en sa compagnie, mais elle avait fini par s’en accommoder et eux aussi, avaient fini par s’y habituer, à force de voir défiler des centaines de cas semblables.
Combien de fois a-t-elle voulu exprimer à ces gens le fond de sa pensée, le désespoir qui la gagnait au fil des années qui ont commencé à trop se ressembler, la solitude qui devenait trop pesante pour elle et à laquelle les siens étaient simplement indifférents. Albert était pour elle, cette bouée de secours à laquelle l’on s’accroche désespérément, sans trop savoir si elle est suffisamment solide pour vous mener à bon port, et elle était pour Albert, cette canne sur laquelle l’on s’appuie de toutes ses forces, lorsque justement, l’on n’en a plus beaucoup. Mais Albert a su se montrer si attentionné et si affectueux avec Malika, qu’il parvint à lui faire oublier ce détail.
Malika était bien trop impressionnée par le changement effectué sur les autres filles de son village natal, parties avant elle, pour pouvoir résister à cette proposition de mariage qui lui fut faite, l’été dernier, par le jeune Hakim, devenu au fil des années, l’entremetteur des jeunes filles du village. Il avait réussi à en marier plus d’une, avec des sexagénaires, veufs ou divorcés, désireux d’échapper à l’inévitable maison de retraite et de se trouver une jeune compagne pour le ménage, un sexe à disposition et une soignante à moindres frais, mais qui savaient se montrer affectueux et bons payeurs pour cette jeunesse-là ; comme il a aussi réussi à caser quelques jeunes hommes perdus, sans avenir tracé, sans le sou et sans vie romanesque à leur âge, avec des femmes fortunées, mais seules ou avec des filles naturalisées au pays d’accueil, qui se proposent de les épouser en contrepartie, ne serait-ce que d’un semblant de vie de famille qui leur manque tant au pays de leur exil.
Malika voulait donc ressembler à ces filles parties, qui reviennent l’été, afficher le bouleversement de leur train de vie, en ramenant des cadeaux conformes aux besoins et attentes de chacun, une voiture grand format, pour pouvoir y mettre toute la famille, sans vexer les uns ou les autres, conduite par ces conjoints étrangers faisant office, pendant cette période estivale, de chauffeurs dociles, affichant un sourire permanent aux uns et aux autres ; ces filles qui, au bout de leur première année d’exil, en arrivent jusqu’à oublier la monnaie en cours dans leur pays et tous les autres détails, jouent les touristes en trouvant le pays et les gens exotiques et, se font inviter par tout le voisinage et les membres de la famille désireux de constater les changements et de comparer les unes aux autres.
Elle était également tentée par le sort de celles qui sont devenues veuves, au bout de quelques années de mariage, et se sont retrouvées à la tête d’affaires florissantes à gérer ou ont simplement hérité de maisons, dont une à la campagne ou encore, récolté une prime de décès leur ayant permis de retourner au pays, pour y vivre comme des princesses.
Malika savait que quoi qu’elle puisse faire pour sa famille, cela ne pourrait jamais avoir le même effet que l’argent qu’elle pouvait leur donner. L’argent a ce pouvoir magique qui dépasse l’effet de toutes les valeurs sentimentales et humaines, et cela, Ahmed le lui avait bien fait comprendre, depuis le début de leur mariage.
Elle ne pouvait s’empêcher de penser à lui, en ces moments-ci, non sans amertume.
Ahmed était un éternel insatisfait, du moins avec elle, et elle, par amour, par ignorance ou à cause de son jeune âge, ne cessait de se plier à ses desiderata