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Avec Jade, Gisèle, François, Emma, Marthe, Henri et bien d'autres encore, de La Flaque à L'imposture, en passant par Le jour de sa naissance, il est de ces instants où se joue et s'instrumente la violence ordinaire. Celle que l'on assène ou relaie, que l'on s'inflige, celle reçue et subie, celle qui se tait et se cache derrière les apparences, celle encore liée aux circonstances de la vie. Ces parcelles de vie livrées sans a priori ni jugement interrogent ce qui résonne en nous et invitent à un éventuel changement de point de vue pour, peut-être, cesser de caresser le poisson dans le sens des écailles. Avertissement de l'auteure Inspirés de faits réels, certains lieux et prénoms ont été modifiés pour servir la fiction.
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Seitenzahl: 140
Veröffentlichungsjahr: 2023
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« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »
Aux rencontres, entre réalité et fiction.
« L’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir inné et indomptable, de juger avant de comprendre. » Milan Kundera – L’Art du roman
« La violence sucrée de l’imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. » Roland Topor
L’hypothèse…
… Des circonstances
Jade 1985 Un hôpital en province
Émile, Françoise, Quentin et les autres… 1914 – 1975 Paris, Brasserie de l’horloge
Marthe 1911 Le Sud, un mas en Provence
Martha et Ludwig 1941 Quelque part en Allemagne
À cet adolescent inconnu 2019 le Sud, un village en Provence
Sylvain 1998 Maisons perdues
Une famille en urgence 2017 La salle des fêtes
Annick 2007 Un hôpital en France, service des urgences
Entretien avec sol 2005 Cette nuit-là
… De l’enfance
Solange et Marie 1950 Une épicerie-bar-tabac
Sylviane 2004 La Garenne-Colombes
Jacqueline 1985 L’école du village
Nathan et Solène 1987 Un jumelage sous fenêtres
Antoine 1990 Sur l’autoroute A6
Patricia, Coline et Juliette 1965 Lons-le-Saulnier un pensionnat pour filles
Jacques 1952 - 2019 Un hameau en bord de Loire
Odette 1980 Montpellier, journée de la fête des mères
… Du silence, de la méprise au mépris
Martin 1991 Paris, une chambre sur cour
Gisèle et Jean 1996 Paris, Café de la Paix
Corinne 1998 Angers, un matin
Paul 2020 Souvenir d’octobre 61
Jeanne et Félix 1921 Une loge de théâtre
Dominique 1977 Hôtel du Rivage
Henri 1975 – Lyon, quartier de La Guillotière
Elle, Lui 2010 Quelque part, d’un bureau à l’autre
Juliette 2017 Cassis, avec vue sur la baie
… Des caractères
Denise Dans les années 2000 À l’heure du thé
Francine 1975 Paris 14ème, Parc de Montsouris
Claude 1997 Paris 12ème, le temps d’un déjeuner...
Gilles.M. 1992 Bordeaux, le garage d’un pavillon de banlieue
Harry 1930 L‘Ohio, la nuit
… Du vide et de l’absence
Frédéric 2005 Une banlieue, à minuit
Gaëtan 2010 Lyon 6ème, une chambre de bonne sous les toits
Julien 2021 Poème en bandoulière
Blanche 2009 Un village dans l’Ain, Place de la mairie
Edward 1942 New-York, à un angle de rue
Un homme dans la foule 2015 Lyon, Place Bellecour
André 1927 Le Café du village, en Provence
Rose 1931 Un hameau en haute-Loire
Auguste 1952 - 1982 Sous l’horloge
Georges date inconnue Ailleurs – un peu de partout, un peu de nulle part
Paule 2005 Poitiers, La belle-des-prés
Claire 2019 L’Ain, un lieu hors du temps
Avez-vous déjà observé les poussières de bruine, à la tombée de nuit ? Avez-vous ressenti leurs effets, alors que la pluie qui les précédait s’achève en elles ? Il en est des poussières comme il en est des personnes : éphémères, rémanentes, grossières ou fines, grises, blondes, brunes, jaunes, blanches, rouges… multiples et transparentes. Toutes restent suspendues à l’air qui les porte, gorgées des matières qu’il charrie. Elles s’immiscent dans votre espace en une valse lente et imperceptible de gouttelettes minuscules… Une toile humide tissée en fond d’écran… Elles annoncent un Il était une fois, une seule dans cet instant et dans cette fissure du jour qui s’agrandit… Cicatrice… Comme un présentiment d’une autre chose, d’une autre histoire. Le paysage du premier plan se rétrécit, filtré par leur loi ; celui de l’arrière-plan se déplace au centre, à la façon des miroirs de sorcière. Elles ternissent l’arbre imposant, tout près, le confondent à ne plus en distinguer l’élan vers le ciel. Elles soulignent au loin une courbe tout en effaçant le chemin qui l’instruit, n’en balbutient que le reflet naissant. Et l’horizon s’empèse. Les poussières de bruine fragmentent la lumière ; ses éclats s’emprisonnent dans leurs globes minuscules. On ne sait si elles s’échappent du ciel ou s’évadent de la terre. À la tombée de nuit, leurs bulles se cristallisent de gris, recèlent la mémoire du jour et s’offrent de la densité. Le ciel connu s’efface, peu à peu, pour s’évanouir sous l’effet du vertige de la terre. Réverbères d’un monde qui s’enfuit en cloques particulières, prêtes à éclater leur frontière fragile.
Avez-vous remarqué comme elles opacifient le présent, l’instant qui se vit ? Elles nous entraînent à projeter au premier plan des relents de sensations, puis d’émotions anciennes, à nous embrouiller l’esprit, à rendre le corps à ses douleurs et le cœur à ses soubresauts… Palpitations, apnées… Au début et sous leur caresse, les grains de la peau se resserrent, se rassemblent, puis s’unifient sous leurs picotis… Sensation de fraîcheur… Le froid s’ensuit. Après avoir percé la barrière protectrice, l’eau se libère au-dedans. Billes séparées au-dehors ; ruissellement au-dedans. Une lutte s’engage alors entre la chaleur du corps et la froideur de l’extérieur ; les frissons s’enchaînent. Par instinct, les têtes s’inclinent, à protéger leur front. Les dos se voûtent, les nuques se soumettent, les épaules se contractent. Les souffles se raccourcissent ; les postures s’affaiblissent. Les corps s’arrondissent, miment les sphères opaques, s’y arriment en un tout tandis que le vide s’aimante à ce tout et l’absorbe.
Sous les poussières de bruine, la solitude ressurgit, installe ses forteresses : ce qui se confiait s’arrête à michemin, ce qui se cachait par pudeur devient secret. La fluidité de l’air assure l’équilibre d’un tel système. Respirer fort. Mais un souffle suffit-il à les chasser ? Il faut un revers de main, une claque pour en éclater quelques-unes, vite remplacées l’instant d’après par des suivantes à l’infime différent. De floutage en flottement, d’autres nettetés apparaissent ; entre elles, le silence joue sa partition. Par la parole retenue, le regard s’étouffe, force les mouvances, crache les contours. L’horizon disparaît et la conscience des choses se dilue avec lui, au-dehors, à nous rendre une liberté dont on ne sait que faire. Certains s’agitent alors, d’autres s’immobilisent.
Enfant, les poussières de bruine m’égayaient, trop jeune pour en éprouver leurs effets, puis elles m’assombrirent. Aujourd’hui je les crains. J’en suis arrivée à penser que chaque poussière de bruine emprisonne un évènement du jour qui passe, témoigne en écho d’une expérience, les raccroche à la mémoire de chacun au vu de tous. À me questionner si celle-ci, ou celle-là, mêlée à la multitude, m’appartient bien et ne serait pas celle d’un autre qui s’y enchevêtrerait, pour peu que l’instant et le lieu nous soient communs ?
C’est ainsi que l’Autre devient Je, à vivre la singularité de cet ordinaire qui le façonne.
Jade, Émile, Françoise, Quentin, Marthe, Annick, Martha, Sylvain…
Le jour de sa naissance
« … Je me souviens de la première fois où j’ai pleuré de désarroi ; quand j’ai senti, en une fraction de seconde, un quart de nano seconde, une chape de plomb s’abattre sur moi, m’alourdissant à chaque respiration et, alors que j’haletais – pour la bonne cause me répétait-on – je m’épuisais à retrouver de la légèreté, à vider la charge, à évacuer le sable qui s’infiltrait – le gravier plutôt, comme Poucette et ses gros cailloux – et qui m’étouffait.
À moins d’être la seule à tâter de cette expérience, ce qui me paraissait raisonnablement impossible, l’incongruité de ce que je vivais me révoltait et je criais. Pire, je hurlais de douleur pendant qu'on me soutenait, qu’on me piquait, qu’on s’inquiétait d’une telle résistance, de mes "Pourquoi ?" et de mes "Comment ?", affirmant que la technique garantissait le résultat tandis que l’affolement gagnait et occupait l’espace, agitait le temps, mon temps, et me perdait dans cette souffrance qui n’était pas physique. Bien que j’affirmais qu’elle l’était. Par la volonté, et sans le courage, il me fallait tenir le coup. Oui, il fallait résister alors que je me sentais si petite, si fragile, blessée, meurtrie... Seule.
Mourir, voilà ce qui m’attendait. À me diluer dans l’incapacité, parce que j’étais forcément une incapable, là, avec mon gros ventre qui se contractait, qui me tordait la colonne vertébrale, qui me désossait – « Tiens-toi toujours droite, quelle que soit la situation » me serinait ma grand-mère quand j’étais enfant – mais comment y parvenir dans cet état de dépendance, livrée à l’inconnu, avec pour témoins des anonymes, soumise à leurs injonctions, docile face à eux, ces promoteurs de l’injection dite antidouleur ? Et plus le poison se répandait, plus des petits drapeaux flottaient dans ma tête, prenaient possession de mes pensées, se dressaient, l’un après l’autre, m’invitant à crier victoire. Mais laquelle ? Sur cette vie en train d’éclore ou sur la mienne qui se fragmentait ? Sans savoir vers où, ni vers quoi je me dirigeais, sans ligne, sans chemin, sans repère. Peut-être m’appuyer sur mes souvenirs ? Peut-être... Bien trop difficiles, eux aussi.
Surtout, ne pas faire comme ces autres, ne pas répéter, bloquer le clapet, lui greffer un anti-retour ; refuser ! Ah, comme l’air me manquait tandis que je me répétais, encore et encore : ne pas imiter, ne pas reproduire leurs erreurs, ne pas le faire souffrir, ce petit bonhomme – mon dieu, combien je l’aimais - qui me prenait mes tripes, qui me vidait de mes regrets, qui emportait avec lui l'énergie.
Et plus je l’aimais, plus j’avais peur. Ne pas mourir ; vivre ! Oui, vivre pour lui, le protéger tant je l’aimais, mon tout petit. Comment trouver la force pour lui, ne l'ayant déjà pas pour moi ? Comment lui cacher mes défaillances ? Comment lui mentir tandis que je savais combien la vie ne se construisait pas sur le mensonge ?
Ce fut à ce moment-là, vociférant mes craintes, que je l’ai vue se précipiter, cette femme à qui je n’avais rien demandé ; je priais pour qu’elle me laisse tranquille. À la regarder s'imposer, je compris qu’elle ne s’adressait pas à moi. Je l’entendais répéter à qui voulait l'entendre que tout ceci était inquiétant, qu’il y avait autre chose derrière mes cris : une souffrance... anormale.
Mais de quoi se mêlait-elle avec son anormal ? La honte me submergea jusqu'à me posséder ; je me sentais indigne et elle me chargeait d'une nouvelle tare. Elle venait de jeter ce mot en pâture, je l’avais englouti, celui qui manquait, celui qu’il ne fallait pas prononcer, celui qui me rappelait à moi, celui que je connaissais de moi depuis que j’étais née ; elle avait deviné combien je me percevais ainsi, avec tous les sous-entendus et les non-dits, avec la violence reçue et emmagasinée qui les accompagnait, et voilà qu’elle me violentait à déposer son paquet de savoirs de soi-disant sage-femme. Ah, vouloir qu'elle se taise et l'étouffer de mes grossièretés. Et me l'interdire. Pas devant toi, mon tout petit. Même là, au cœur de cette bulle, je devais te protéger du regard et de la pensée de l’autre, de ceux-là posés sur moi, ta maman, qui tentais mon amour dans chaque parcelle de ton corps et de ton âme alors que, au creux de ma chair, je perdais une seconde fois l’illusion de mon enfance et de mon innocence ; alors qu’à combattre le poison des filiations, je me décharnais à stopper le mauvais, à le retenir sans savoir comment j'allais l'éliminer. Et tandis que mes yeux se perdaient sous les larmes, à ne pouvoir que te sentir, à vibrer et ne pas encore te voir, on te posa sur moi, tout contre moi, à l'ancre de mon cœur…
Ce fut à cet instant-là que le désarroi s’agrippa à jamais à mon élan d’amour ; j’étais devenue responsable de lui. »
La Flaque
À sa nuque, la crispation des pensées contradictoires ; à son torse, le poids de la peine en écharpe vert-de-gris. Des larmes s’accrochent aux rives de ses paupières. Le guéridon de la Brasserie, telle une frontière entre les espaces intimes, ne le protégera pas cette fois-ci. Lui chanter un Au revoir ou lui murmurer un Adieu ? Ce sera l’adieu, il ne le sait pas encore. Le lacet de sa chaussure gauche se dénoue sous l’agitation qu’il tente de contenir. Les regards indifférents des passants le traversent, nombreux en cette veille de déclaration de guerre imminente. Chacun s’affaire au départ, hésitant entre éloignement et non-retour. Tous se projettent dans l’éloignement. La victoire s’annonce et se vit à portée de mains, de baïonnettes Rosalie, et d’espoirs conjugués. Les autorités l’affirment ; il ne reste qu’à les croire.
Elle tarde. Sa chaise l’espère, le dossier arrondi, presque alangui dans son rotin tressé, les pieds assurés, chantournés avec élégance, pour l’assise gracile promise. Lui chanter un Au revoir ou lui murmurer un Adieu ? Espérer la force de son parfum pour le courage, s’enivrer de Patchouli pour l’inconscience. La tasse de café s’esseule à se refroidir sous l’attente. Les pièces de monnaie jetées avec dépit ternissent l’éclat de la porcelaine. De cette absence, invitée de ce rendez-vous manqué, naissent la solitude de l’homme et la trahison de ses croyances d’enfant.
Qu’il s’agisse d’une seconde ou de décennies, les espaces s’enchâssent. Parfois, un détail fixe l’attention jusqu’à l’épuisement, ou son remplacement. Ce guéridon-là aura traversé les drames comme les bonheurs, ces chaises-là, au cannage fatigué désormais, auront accueilli des dos, des épaules et des fessiers, du menu à l’imposant.
L’une éprouve encore cette jeune femme à la peau mœlleuse, surprise de se retrouver ici, face à ce boulevard bondé d’étudiants qui se pressent et s’agitent.
En mini-jupe, guerrière involontaire d’une nouvelle ère, elle se promet libertés et choix. Viendra-t-il ? Bien qu’elle se refuse à la dépendance, pire à la soumission, elle s’interroge sur le comment de son objectif. En pleine confusion d’affranchissements, elle serre avec fébrilité le Vichy-Fraise entre ses doigts aux ongles peints de rose poudré. Il est trop tôt pour un Alexandra. Peut-être quand il sera là. Les hommes des tables d’à côté rient de ses cuisses, de coups d’œil furtifs en coups d’œil appuyés. À cet instant, elle se vit comme un défi à l’ordre convenu, en oublie celui qui s’apprête à la rejoindre. Celui-là qui court et gravit quatre à quatre les marches à la sortie de la bouche de Métro. Alors qu’il s’offre à son attention, le souffle court, elle l’ignore tant elle se concentre sur son devoir de combattante. Le carré de la table a remplacé les courbes du guéridon et déforme sa perspective. Il lui apparaît si loin, si petit, perdu dans un coin de ciel, à en oublier le bleu. Son essoufflement la dérange, elle lâche un « J’ai failli attendre ! » Ses cuisses offertes lui intiment l’ordre de guerroyer. Il hésite, se détourne ; il ne reconnaît pas la charmante jeune femme de la veille. La terrasse ouverte aux quatre vents l’invite au repli, voire à la fuite. Ses pas le portent ailleurs. Sans un mot. Seuls deux haussements d’épaules partagés. Nul besoin de lui, elle décide d’occuper la place au centre d’enjeux qui la dépassent. Un père et son fils lui volent la chaise face à elle. Sans un mot. Le temps la fige alors en un tableau d’époque jusqu’à la malmener, malgré sa résistance. Se lever avec dignité. Penser à autre chose, vite un objectif simple : rêver de ce pantalon, celui de la page vingt-cinq de Marie-Claire.