Paris partout - Nérée Désarbres - E-Book

Paris partout E-Book

Nérée Désarbres

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Beschreibung

Extrait : "À Paris, comme ailleurs, tout le monde mange, mais nulle part la manière de se nourrir n'est aussi variée ; les usages des quatre-vingt-neuf départements peuvent s'y retrouver. Chaque quartier, chaque profession a des habitudes de table particulières : le faubourg Saint-Antoine n'absorbe pas comme le faubourg Saint-Honoré ; le faubourg Saint-Germain ne vit pas comme le faubourg Saint-Jacques."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 115

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Paris à table
I

À Paris, comme ailleurs, tout le monde mange, mais nulle part la manière de se nourrir n’est aussi variée ; les usages des quatre-vingt-neuf départements peuvent s’y retrouver. Chaque quartier, chaque profession a des habitudes de table particulières : le faubourg Saint-Antoine n’absorbe pas comme le faubourg Saint-Honoré ; le faubourg Saint-Germain ne vit pas comme le faubourg Saint-Jacques.

Ce n’est donc pas cette multiplicité de modes d’alimentation, avec des différences dans les heures et dans les mets du repas, que je veux photographier aujourd’hui.

TOUT PARIS Y ÉTAIT, disent généralement les journaux le lendemain d’une fête ou d’une représentation extraordinaire.

C’est de ce tout Paris que je parlerai ; de ce Paris qu’on voit partout le soir, mais qui se meut et bruit le jour, depuis le boulevard Bonne-Nouvelle, y compris les rues adjacentes et aboutissantes, jusqu’à l’église de la Madeleine ; ce Paris alambiqué et quintessencié dont on fait presque toujours partie, ne fût-ce qu’un moment dans sa vie.

II

Les gens qui sont dans des affaires quelconque déjeunent et dînent.

Les oisifs déjeunent, dînent et soupent, si toutefois leur fortune et leur estomac le leur permettent.

Les viveurs, par goût, dînent et soupent ; on conçoit que, se couchant très tard, ils n’aient pas le temps de déjeuner. « Est-ce que réellement il y a du monde dans les rues avant midi ? » me disait un de mes amis, qui ne s’est jamais couché avant six heures du matin et levé avant deux heures du soir.

Les gens de théâtre, par nécessité, déjeunent et soupent.

III

Le matin, en se levant, chacun sait où il déjeunera ;

Prévoit où il dînera ;

Ignore presque toujours où il soupera.

Le déjeuner est commandé par les exigences de la position qu’on occupe dans le monde, dans le commerce, dans l’industrie, dans les arts ou dans la littérature ; on déjeune avec ses relations d’affaires.

Le dîner est laissé au choix des affections ; on dîne avec ses amis (le sexe n’y fait rien), avec sa famille.

Le souper appartient à l’imprévu ; on soupe avec une personne (souvent au féminin), que le hasard vous fait rencontrer, que vous n’aviez, peut-être, jamais vue et que vous ne reverrez peut-être jamais, à moins que cependant vous ne soyez destiné à ne la plus quitter… pendant plusieurs années.

IV

Là où l’on déjeune, on ne dîne pas.

Là où l’on dîne, on ne soupe pas.

Là où l’on soupe, on ne déjeune pas.

Ce qu’on mange à dîner, on ne le mange pas à souper.

Ce qu’on mange à souper, on ne le mange pas à déjeuner.

Maintenant il est des gens qui, faisant leurs trois repas, ne déjeunent pas, ne dînent pas, ne soupent pas ; ils mangent trois fois.

Peut-être même ruminent-ils.

On déjeune au café Riche, et au café Foy.

On dîne aux Frères-Provençaux et au café de Paris.

On soupe à la Maison-d’Or, au Café-Anglais et chez Brébant (ci-devant Vachette).

Qui peut plus, peut moins : là où l’on soupe, on dîne très bien.

Demandez au docteur Véron.

V

Puis il y a les restaurants d’été, le Petit-Moulin-Rouge, le Pavillon d’Armenonville, la Maison de Madrid, au bois de Boulogne.

Ce que l’on boit l’hiver, on ne le boit pas l’été ; l’hiver, c’est du bordeaux, amené à une douce température ; du bourgogne, naturellement chaud. L’été, c’est de la tisane de Champagne, et, pour les bonnes têtes, du vrai sillery frappé de glace.

Ce qu’on mange l’hiver, ce sont des viandes noires épicées, des gibiers faisandes, des poulardes truffées ; l’été, des primeurs, des légumes, des crustacés froids, de la volaille et du mouton en adolescence, c’est-à-dire à l’état de poulet de grain et d’agneau ; des canards, des perdrix, des cailles, à l’état de canetons, de perdreaux, de cailleteaux.

VI

Dans certains restaurants, la carte a disparu ou tend à disparaître.

Des mets confectionnés à l’avance, des poissons, des rôtis, des jambons, des pâtés de foie ou de gibier, des chauds-froids, étalent leur somptuosité et leur bonne mine, sur un dressoir tenant le milieu de la principale salle de l’établissement, et excitent les convoitises des estomacs en quête de nourriture.

Vous arrivez avec votre menu tout préparé, vous aurez beau faire, bon gré mal gré, vous mangerez ce que le maître d’hôtel, dans sa sagesse, a décidé que vous mangeriez.

Ce n’est plus la carte forcée, c’est le plat forcé.

Mais, en entrant, sur votre figure, sur votre mise, sur votre ton, vous avez été jaugé et imposé d’avance. Que vous consommiez plus ou moins, votre chiffre est arrêté, et votre addition montera nécessairement au prix fixé dans l’esprit de la personne chargée de la rédaction de la note.

Que si vous réclamez contre l’exagération du total, et que vous demandiez comme justification la carte du restaurant, on aura toutes les peines du monde à vous la trouver, et quand, voyant votre persistance à l’attendre, on vous l’apportera, on vous préviendra que depuis quelque temps, tous les prix sont changés, et que, d’ailleurs, vous avez été servi d’une manière exceptionnellement copieuse.

Ce que vous avez de mieux à faire, c’est de payer.

VII

Il est de bon ton, parmi les gens d’un certain âge qui veulent se donner un cachet de fins gourmets, de déplorer les fermetures successives du Rocher de Cantale et du restaurant Véry. Mon Dieu ! si tous ceux que nous avons vus pleurer ces disparitions eussent vécu régulièrement dans ces établissements, les propriétaires en seraient devenus millionnaires, et par ce fait, retirés des affaires, ils eussent trouvé de nombreux successeurs.

Il se peut maintenant que les restaurateurs regrettés, sacrifiant leurs intérêts à leur réputation culinaire, et livrant leurs chefs-d’œuvre aux consommateurs, à des prix inférieurs à ceux de l’acquisition de la matière première, perdissent d’autant plus qu’ils avaient de plus nombreux clients.

Ceci cependant paraît bien invraisemblable.

VIII

Ce qui m’a toujours effrayé lorsque j’y réfléchis, c’est l’habitude qu’ont tous les restaurateurs, les plus humbles comme les plus renommés, d’aller, dans leurs jours de liesse et de régal, prendre leur repas chez leurs confrères.

Pourquoi ? Chacun en particulier se méfie donc de sa cuisine ?

Il vaut mieux croire que leur but, en faisant ainsi, est d’étudier l’art culinaire et de le faire progresser par l’éclectisme entre les divers systèmes.

IX

Les endroits où, en hiver comme en été, on dîne le plus confortablement, sont les cercles aristocratiques ; car, où trouverez-vous (je ne dis même pas à prix égal), les plantureux repas de saison qu’offrent à leurs habitués l’Ancien-cercle et le Jockey-Club ; malheureusement…

 

Non licet omnibus…

X

Bien loin, après les cercles, viennent les hôtels des boulevards et des alentours ; mais l’inconvénient des dîners de table d’hôte, c’est la nécessité où vous êtes d’y apporter avec vous votre société, et plusieurs dictionnaires. Dans le cas où vous négligez de prendre ces précautions, vous êtes sûr de ne rencontrer aucune figure de connaissance, de ne pouvoir ni placer un mot ni comprendre une phrase.

On entend toutes les langues, l’italienne, l’anglaise, l’allemande, l’espagnole, la négresse même, toutes enfin, excepté la langue française.

C’est, pour un Parisien, une tour de Babel d’idiomes inconnus.

XI

Les dîners d’hôtels de deuxième et troisième catégorie, non plus que ceux dits à prix fixe, n’entrent pas dans notre cadre.

XII

Mais les repas que je ne dois pas oublier sont ceux que la généralité du monde parisien prend chez soi ; car enfin tous les ménages n’ont pas leurs marmites renversées et ne vivent pas au cabaret ; quand ils y vont, c’est par extraordinaire ; telle famille que je connais n’y a jamais mis le pied.

Certaines maisons particulières de la rue Laffitte, de la rue Saint-Georges, de la Chaussée-d’Antin, du boulevard des Italiens, ont des tables mieux tenues que les hôtels les plus fréquentés.

Certains bourgeois possèdent un cuisinier plus expert en diverses choses spéciales et succulentes que les chefs disputés des restaurants à la mode.

Certains artistes ont, pour l’exécution de leurs idées gourmandes, un cordon-bleu plus habile dans son petit doigt que bien des Vatel patentés.

Sur ce, cher lecteur, que vous déjeuniez, dîniez ou soupiez chez vous, à l’hôtel, au cercle ou au restaurant, bon appétit : c’est le meilleur préparateur culinaire que je puisse vous souhaiter.

Paris en voiture
I

Le Parisien aime essentiellement la voiture. Il en a fait une des choses indispensables de sa vie, et ne peut pas plus s’en passer que de pain et de spectacles.

Sur le seul boulevard des Italiens il passe, dit la statistique, 10 750 véhicules par vingt-quatre heures ; les Champs-Élysées qui ne sont guère fréquentés que dans l’après-midi, en comptent en moyenne 10 000 dans le même espace de temps.

Le Parisien est donc plus exigeant que le Romain de la décadence, qui demandait seulement

Panem et circences

Quand je dis le Parisien, je me sers sciemment d’une expression impropre, c’est l’habitant de Paris que je devrais écrire.

« C’est bien singulier, me confiait un jour le concierge d’un des plus importants immeubles de la rue Laffitte, dans ma maison, excepté moi, il n’y a pas un Parisien ; encore suis-je né à Yvetot. »

Au reste, tous les soirs, à l’heure du dîner, adressez-vous à douze personnes isolées ou prises une par une dans les groupes différents du boulevard, et demandez-leur de quel pays elles sont : leurs réponses vous convaincront que Paris est à peu près composé comme la maison dont je parle plus haut.

Sur les douze personnes interrogées, vous trouverez, avec quelques variations peut-être, trois Bordelais, deux Marseillais, deux Lyonnais, deux Italiens, un Russe, un Anglais et un Parisien.

Que si, au lieu de prendre à droite et à gauche, vous questionnez les gens d’une même société, stationnant ou se promenant, vous tomberez sur des groupes entièrement composés de Bordelais, de Marseillais, de Lyonnais, d’Italiens, de Russes, d’Anglais, mais je vous défie de trouver réunis douze vrais Parisiens, nés à Paris.

C’est donc uniquement pour la facilité de la phrase, que je me sers du mot parisien.

II

Le Parisien donc monte en voiture :

Pour vaquer à ses affaires, plus ou moins importantes,

Pour aller à ses plaisirs, légitimes ou non,

Pour n’être vu de personne, autant que possible,

Pour être vu de tout le monde, de son concierge même ;

Enfin, tout simplement pour… monter en voiture.

Il a, à la disposition de son goût, devenu un besoin :

Ses équipages particuliers, s’il a une grande fortune ou un rang à tenir ;

Les voitures au mois ou à l’année, s’il est seulement riche ;

Les voitures sous remise, s’il est à son aise ou s’il veut le paraître ;

Les fiacres, s’il est économe et dépourvu de vanité ;

Les omnibus, s’il n’a pas de préjugés.

En disant que, s’il a une grande fortune, le Parisien a ses équipages particuliers, je dois avouer qu’il n’abuse pas toujours de la permission.

En effet, ce ne sont pas les familles les plus opulentes qui affichent le plus grand luxe de chevaux et de voitures ; les anciennes maisons entretiennent plutôt qu’elles ne renouvellent leurs écuries.

Les millionnaires improvisés du jour au lendemain par les hasards de la hausse ou de la baisse ; quelques rares femmes à la mode, qui prennent leur capital momentané pour une rente perpétuelle ; quelques princes ou fournisseurs russes, venus en France avec ou sans autorisation de leur gouvernement, tiennent le haut du pavé sur le turf élégant.

Le sommet de la fashion est d’avoir voiture d’hiver et voiture d’été, équipages de jour, équipages de nuit.

Un homme expert, en voyant passer un attelage, immédiatement, sans en connaître le maître, vous dira à quel quartier il appartient, car rien ne ressemble moins à un carrosse du faubourg Saint-Germain qu’une calèche de la Chaussée-d’Antin ou de la rue Laffitte.

III

Moyennant la somme de 600 à 1 200 francs, on peut, en s’adressant à un loueur, sans avoir à son compte les frais d’une remise, d’une écurie, d’un cocher et d’un palefrenier, sans craindre les conséquences pécuniaires des accidents qui arrivent trop souvent aux chevaux et aux voitures, se donner pendant un mois l’air de posséder coupé, victoria ou calèche, avec armes et initiales peintes sur les panneaux, couleurs et boutons de livrées.

Ce qui peut se faire pendant un mois, peut se prolonger toute la vie, mais le grand avantage du système est de vous permettre, lorsque vous allez en voyage, à la campagne, aux eaux, d’arrêter immédiatement vos frais, et de ne pas vous exposer à être jamais volé sur l’avoine, le foin et la paille.

Il est vrai que la banalité dans la forme des voitures en location, au mois ou à l’année, tant neuves et brillantes soient-elles, que le pas mathématique des chevaux, si fringants qu’ils affectent d’être, ne peuvent établir de confusion entre elles et les équipages de maître.

IV

Les voitures dites de remise sont la grande ressource de ceux qui, ne pouvant ou ne voulant pas avoir de véhicules en propriété ou en location, mettent leur vanité à cacher, le plus possible, la nature de leur équipage à l’heure ou à la course.

Mais depuis qu’ils ont été assujettis à un numéro apparent, les remises ont perdu singulièrement de leur prestige ; plus moyen, quelle que soit, d’ailleurs, leur propreté et leur bon entretien, de se faire un brin d’illusion, et de supposer que les gens qui vous voient passer puissent vous croire un instant le propriétaire de la chose.

Il est à remarquer du reste que les personnes à équipages, lorsque, pour une raison ou pour une autre, elles ne font pas atteler, n’envoient jamais chercher que des fiacres aux plus gros numéros. Elles craignent peut-être qu’une voiture à peu près propre ne soit supposée, vue de loin, une des leurs, et ne nuise à la réputation de bonne tenue de la maison. Peut-être encore, gâtées par le confortable de leurs huit ressorts, n’admettent-elles aucune différence entre le fiacre de la station et le coupé de la remise.