Partenaires de sang - Eveyblood Loveworker - E-Book

Partenaires de sang E-Book

Eveyblood Loveworker

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Beschreibung

Pendant toute son enfance, Victoria a vécu avec une épée de Damoclès au dessus de la tête. Elle a grandi en sachant qu'à son seizième anniversaire, elle devrait quitter sa famille adoptive pour rejoindre ses parents biologiques. Elle ne les a jamais vus, n'a jamais compris pourquoi et s'est révoltée contre la situation en vain. Lorsque sa nouvelle vie commence, elle fait face à des révélations qui dépassent tout ce qu'elle n'a jamais pu imaginer.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

PARTIE 1

GENÈSE DES VAMPIRES

GENÈSE DES LYCANS

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

CHAPITRE 32

CHAPITRE 33

CHAPITRE 34

PARTIE 2

GENÈSE DES MERMAIDS

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

PARTIE 3

PROLOGUE

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

CHAPITRE 32

CHAPITRE 33

CHAPITRE 33

ÉPILOGUE

PARTIE 1

GENÈSE DES VAMPIRES

Dieu avait créé la Terre, puis les hommes. Même s’ils accomplissaient des choses merveilleuses, ses enfants commettaient également des erreurs, car Il ne les avait pas créés parfaits. Il souhaitait les aider, mais c’était impossible. Il s’était fixé des règles.

La première, toujours maintenir une barrière, entre eux et Lui. S’Il voyait tout et savait tout d’eux, la réciproque n’était pas vraie. Il aurait aimé ne pas garder son existence secrète, mais n’avait pas le choix. Sa progéniture, cet être vulnérable et mortel, perdrait la raison, si ses yeux se posaient sur l’entité toute puissante qu’Il incarnait. Il lui faudrait attendre sa mort, le moment où il quitterait son enveloppe charnelle, pour être en mesure d’affronter la présence de Son créateur. Cela le déchirait donc Il avait choisi de se dissimuler, ayant pour seule consolation la possibilité de contempler, à volonté, ses filles et fils qu’Il chérissait tant.

La deuxième règle, ne pas intervenir. C’était le plus beau cadeau qu’Il leur avait fait : le libre arbitre. Ce n’était pas des marionnettes qu’Il pouvait diriger selon son bon vouloir. Cela les aurait peut-être mieux protégés contre leurs erreurs mais à quoi bon leur donner la vie, si c’était pour les diriger comme des pantins ?

Cette autonomie supposait également des échecs. L’homme pouvait s’égarer et, livré à lui-même, prendre les mauvaises décisions. Leur Père avait le plus grand mal à s’y résoudre. Après avoir réfléchi, Il trouva la solution.

Il allait faire naître des anges. À mi-chemin entre l’humanité et la perfection, ils pourraient aller et venir entre le Paradis et la Terre pour guider les hommes. Alors, Il arracha une plume de ses propres ailes. Elle se mit à briller, puis grandir. Elle prit la forme d’une femme. Une femme aux immenses yeux bleu-ciel et aux cheveux blonds comme les blés. Sa peau était immaculée et ses traits parfaits. Des ailes blanches ornaient son dos. Leurs regards se croisèrent. C’était sa fille et Il pouvait lui parler, la toucher.

Il s’arracha plusieurs plumes et en créa d’autres, des filles et des garçons. Alors, il décida de donner vie à un être différent des autres, conçu non pas à partir de Lui, mais d’un matériau familier aux hommes. Ce fils serait plus à même de guider ses pairs, sur Terre. Il prit un rayon de soleil, lui insuffla la vie et celui-ci devint de plus en plus lumineux, grossit, devint solide, jusqu’à former une personne. Un jeune être aux ailes majestueuses, aux cheveux d’un roux flamboyant et aux yeux dorés. Il était plus beau que tous les autres. Il le nomma Lucifer, ce qui signifiait « fils du soleil ».

Dieu avait une affection particulière pour Lucifer. Cependant, ce dernier se sentait différent des autres. Sa sensibilité n’était pas la même. Par ailleurs, l’impatience le rongeait de plus en plus, à la perspective d’aller sur Terre. S’il ne se sentait pas à sa place avec les autres anges, peut-être serait-ce différent, avec les humains.

Un jour, son vœu fut exaucé. Dieu les rassembla tous dans le temple de la Lune, qui rendait hommage à cette planète, l’une des plus puissantes sources de magie qu’Il avait générée. Lucifer était assis au premier rang et fut l’un des premiers à voir arriver le Créateur, magnifique, royal avec son diadème posé sur ses longs cheveux blond pâle qui encadraient son visage céleste, dont les iris étaient une réplique miniature de la nuit étoilée.

Dieu s’avança et regarda chaque membre de l’assemblée avec la même bienveillance. Le regard qu’Il adressa à Lucifer était chargé d’amour mais aussi d’une fascination assez perturbante.

— Mes chers enfants, aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Vous le savez, n’est-ce pas ?

Lucifer se leva tandis que les autres acquiesçaient. Dieu l’encouragea, d’un sourire, à prendre la parole.

— Nous allons descendre sur Terre. Nous allons accomplir notre mission.

— C’est bien plus que cela. C’est une nouvelle vie que je vous offre, la possibilité de côtoyer les êtres humains, l’espèce la plus fascinante qui soit. Vous irez sur Terre et serez leurs guides.

— Vous ne nous avez jamais dit comment nous y prendre. Jamais, lâcha Lucifer.

Il sentit l’impatience grandir en lui et s’en voulut. Encore une défaillance qui le distinguait des autres. Était-ce pour cela que son père l’observait d’une manière si différente de ses autres enfants ?

— C’est vrai et je ne vous le dirai pas davantage maintenant.

Lucifer serra les poings. Son créateur se moquait-Il de lui ? Il sentit une douleur lui envahir la poitrine. Quel était donc ce sentiment ? C’était à la fois douloureux et puissant, semblable à de la colère. Les humains y étaient souvent sujets. Pas les anges. Sa raison l’incitait à dompter cette émotion, mais une part de lui voulait l’extérioriser.

Il fut ramené à la réalité par la main de Dieu, posée sur son épaule.

— Quelque chose ne va pas ?

Lucifer sentit sa colère s’atténuer. Lorsqu’il leva les yeux vers Lui, il avait retrouvé un semblant de calme.

— Je suis inquiet.

— Tu étais si impatient de te rendre sur Terre et maintenant, tu as peur ?

— Non ! Je pensais que vous nous diriez tout, le moment venu.

— Je n’ai qu’un seul conseil à vous donner. Laissez-vous guider par l’amour. Le reste suivra.

Dieu accompagna ses anges jusqu’à l’entrée du Paradis, que Lucifer quitta avec une sensation de liberté. Il s’évadait pour la première fois, perçant les nuages. Le vent lui caressait la peau.

Bientôt, l’épais mur de nuages commença à se dissiper, tandis que ses frères et lui descendaient. Lui apparurent alors, en miniature, des pics gris foncé, des espaces bruns et verts. La Terre. C’était la première fois que Lucifer la voyait de ses propres yeux. Fasciné, il plongea et put bientôt distinguer l’eau, les arbres, les champs, les montagnes. Ce monde serait désormais sien.

L’ange sentit alors la présence d’êtres humains. Sans aucun doute, ses frères et sœurs l’éprouvaient également. L’excitation monta en lui et il se dirigea vers ce qui l’attirait. Il descendit en flèche et atterrit à la lisière d’une forêt, dans un village. Tous l’imitèrent. Il y avait des maisons dont on voyait qu’elles avaient été dessinées, façonnées et bâties par des mains grossières. Les hommes étaient là. Ils les regardaient d’un air fasciné. Ces êtres étaient physiquement très différents des anges, mais ce n'était rien, en comparaison de ce qui choquait Lucifer. Il ressentait des émotions, leurs émotions. De la peur, du désir, de la jalousie, de l'admiration... absolument tout ce qu'ils éprouvaient était absorbé par Lucifer, qui était à l'agonie. Il essayait de ne pas perdre ses moyens, malgré sa souffrance étourdissante et regarda ses pairs. Ils semblaient heureux de rencontrer les hommes. Il était donc le seul à l'agonie. Son père l'avait-Il fait exprès ? Il ne laissait rien au hasard, n'est-ce pas ?

L’un des hommes prit la parole, d’une voix chargée d’émotion.

— Vous êtes des dieux ! Les dieux sont venus sur Terre !

Sur ces mots, il s’inclina et ses compagnons l’imitèrent. Lucifer, nauséeux, prit la fuite.

— Lucifer ! s’exclama Gabrielle, inquiète.

— Laisse-moi ! Tu ne peux pas comprendre ! éructa-t-il.

Il tenta de s’enfuir, mais avait bien du mal à mettre un pas devant l’autre et un homme se trouvait sur son chemin. Ses yeux bleus étaient emplis d’une tristesse infinie. Il connaissait ce regard. Dieu.

— Tu es là ? haleta-t-il avec espoir. Aide-moi !

Il en oubliait même de le vouvoyer, tant son désarroi était grand.

— Je suis toujours là, répondit-Il. Et je ne peux pas t’aider.

L’incrédulité s’empara de Lucifer.

— Quoi ? Mais si, Père. Vous pouvez m’aider. C’est vous qui m’avez créé. Apaisez ma souffrance !

— Je ne peux pas. J’ai pris un risque, en te créant. Tu n’es pas comme les autres. Ta réaction face aux humains pouvait être merveilleuse comme terrible. Je vois que tu es désormais incontrôlable. C’est contraire à mes principes mais je dois faire passer la sécurité des hommes avant tout. Je dois t’envoyer dans un endroit où tu seras hors d’état de nuire. Tu seras incarcéré en enfer et les ténèbres te neutraliseront. Je suis vraiment désolé, je n’ai pas le choix.

Lucifer sentit la colère et la panique monter en lui.

— Non ! Aidez-moi à gérer cela ! Pour quelqu’un de tout puissant, vous vous refusez beaucoup de choix et ne vous autorisez que les mauvais !

Un éclair de souffrance frappa le visage de Dieu. Il y avait aussi du mécontentement. Il sembla le réaliser et parut horrifié.

— Tu viens de me mettre en colère... non seulement tu es dangereux, mais tu es capable de me rendre comme toi. Je suis vraiment désolé, je dois te tenir éloigné de moi. De ce monde, dans sa totalité. Adieu, mon enfant. Je suis tellement désolé.

Ses ailes s’arrachèrent de son dos, le faisant hurler de douleur. La terre trembla et s’ouvrit sous ses pieds. Il fit une longue chute dans les ténèbres et atterrit durement sur ce qui ressemblait à des épines glacées. C’était atroce. Tout était noir et froid autour de lui, il agonisait, tout en étant aveugle. Il tituba et tomba dans un lac à l’eau visqueuse et brûlante. De la lave. Au début, il se laissa engloutir. Puis il décida de lutter. Lucifer se débattit brutalement et au bout d’un combat acharné, réussit à se tenir debout et à absorber la douleur. Il avait repris le contrôle. Il sortit du lac et réalisa qu’il voyait assez nettement pour distinguer les épines et les éviter. Satisfait, il voulut faire apparaître un miroir et cela fonctionna. Ses pouvoirs n’avaient pas disparu. Il n’était plus tout à fait prisonnier de cet endroit, au final. Il n’était plus le même. Ses cheveux roux s’étaient assombris, ses yeux étaient d’un noir d’encre et des veines du même ton couraient et s’entrelaçaient sur son visage. Il décida de changer de nom, puisqu’il ne connaîtrait jamais plus la lumière. Désormais, il serait Satan. Dieu avait été injuste avec lui. Il avait des failles et Satan était dans un tel état de révolte à son égard qu’il décida de lui faire comprendre qu’il n’était pas apte à gérer l’Univers, en lui montrant jusqu’où pouvaient aller les conséquences de ses erreurs. À partir de la lave, il créa des êtres qui pourraient aller sur Terre, contrairement à lui, et qui y resteraient. Ils se nourriraient de sang humain, tuant ainsi ceux qu’Il chérissait tant. Ils seraient à son image. Satan les envoya sur Terre pour asservir les humains, ceux qui étaient à l’origine de toute sa souffrance.

Dieu, endeuillé, interdit aux anges de retourner sur Terre, pour limiter les risques de déviance. Il en avait assez fait avec Lucifer et fut d’autant plus affecté par l’apparition des vampires sur Terre. Il avait cru qu’en Enfer, son enfant si unique serait hors d’état de nuire. Cependant, Il pouvait encore limiter ses pouvoirs. Il obligea Lucifer à ne créer plus qu’un vampire par siècle. Il donna également à ces vampires le libre arbitre. De la même manière que son fils était passé de Lucifer à Satan, les vampires seraient dotés d’une sorte de dualité. Ils auraient le choix entre tuer ou laisser en vie les humains. Ceux qui choisiraient la seconde option seraient récompensés, en trouvant leur âme sœur, parmi leurs proies. C’était la plus belle chance à leur offrir. L’amour. C’était une maigre consolation mais les créations de celui qu’il avait aimé et aimait toujours auraient la possibilité d’être heureux, eux.

GENÈSE DES LYCANS

Dieu était profondément perturbé par ce qui s’était passé avec Lucifer. Haniel avait remarqué que ce dernier n’était pas comme les autres, à la fois plus fragile et fascinant. Il était étrange, mais attachant. Blâmer Dieu était absolument impensable, c’était l’Éternel, le Tout-Puissant, l’Omniscient, la Bonté. Cependant, Haniel se faisait du souci pour son Père, mais aussi ses pairs, qui n’étaient peut-être pas tout à fait à l’abri de l’éventualité que les choses tournent mal, également pour eux. De plus, ils étaient tous profondément déçus de ne pas pouvoir accomplir la mission pour laquelle ils avaient été conçus et d’être, qui plus est, privés de la compagnie des humains, à jamais. Dieu avait cherché à limiter les dégâts, en dotant les vampires d’une dualité, leur permettant de trouver l’amour. Cependant, Haniel n’était pas dupe, c’était en réalité une manière de s’excuser auprès de Lucifer, de la part de Dieu, même si cela ne réparait pas son erreur, loin de là. C’était une décision qui venait du cœur et pas uniquement de la raison. Peut-être donnerait-elle des résultats plus positifs. Déjà, certains vampires avaient commencé à trouver des consorts humains, fondant ainsi une nouvelle espèce. Les Pénitents allaient devenir bien plus nombreux que les Déchus, si tout se passait bien. Aussi, Haniel était pour le fait de faire des choix en suivant son cœur. Il pensait également que Dieu avait besoin d’être épaulé. Gabrielle pensait comme lui, si bien qu’elle avait suggéré à leur Père de fonder la communauté des Archanges. Ils prenaient des décisions, aidaient à gérer ce qui se passait dans l’Au-delà et veillaient sur les humains, à distance. Malheureusement, ils ne pouvaient plus interagir directement avec eux et Haniel en souffrait, énormément. Pour cette raison, il redoutait de s’assombrir et de vivre quelque chose de similaire à la tragique expérience de Lucifer. De plus, ce dernier lui manquait. Progressivement, il réalisa ce qui pourrait le rendre heureux et puisque ça venait de son cœur, cela pourrait contribuer à rendre meilleur le monde auquel Dieu tenait tant. L’idée fit son chemin dans son esprit et il finit par en parler à son Père. Il lui fit part de sa conception des choses, de ce qui justifiait sa requête, avant d’oser l’exposer clairement. Cela arracha un sourire amusé au Tout-Puissant.

— Eh bien, mon fils, viens-en au fait. Dis-moi ce que tu veux, sans plus de détour.

— Je voudrais que tu me donnes un peu de ton pouvoir de création. J’aimerais fonder une nouvelle espèce.

Dieu eut une sorte de rire nerveux.

— Rien que ça. En quoi consisterait-elle ?

— Tu connais mon affinité pour la lune, plus la nature, en particulier les loups. J’aimerais créer une communauté d’êtres semblables aux humains, si ce n’est qu’ils auraient la possibilité de se métamorphoser en loups. La pleine lune leur donnerait des facultés spécifiques.

Dieu plissa le front, soucieux.

— Je vois que tu as mûri ce projet depuis un moment. Seraient-ils nocifs envers les humains ?

— Non, bien sûr que non. En revanche, je ne sais pas pourquoi mais je ne les imagine pas se mêler à eux. Ils trouveraient l’amour entre eux, contrairement aux Pénitents qui le choisissent parmi les humains. Comme les lycans sont inoffensifs, vis à vis des enfants que tu chéris tant, ils n’auraient pas besoin de tomber amoureux, pour se pacifier vis à vis d’eux.

Petit à petit, l’angoisse de Dieu fit place à de la curiosité.

— C’est plutôt bien pensé. Néanmoins, seraient-ils immortels ? Avec les Pénitents qui se reproduisent partiellement, il ne faudrait pas que la Terre se retrouve surpeuplée.

Haniel sourit modestement.

— Je pense avoir prévu le coup. Ils ne vieilliraient pas, jusqu’au jour où ils rencontreraient leur moitié et pourraient s’accoupler avec elle, fonder une famille.

Dieu approuva, songeur.

— Ça me plaît bien. Néanmoins, cela risque d'être difficile pour eux, de choisir entre amour et immortalité. Donnons-leur une très longue espérance de vie, une fois leur famille fondée. Cinq cent ans. C’est beaucoup plus élevé que pour un être humain.

Haniel se réjouit. Non seulement Dieu avait accepté sa requête, beaucoup plus facilement qu’il l’aurait cru mais en plus, il avait perfectionné son projet avec l’idée de l’espérance de vie. Une nouvelle espèce allait naître, Haniel allait être père à son tour et les vampires ne seraient plus une espèce à part. Cela le rapprocherait, même à distance, de son frère, qu’il avait tant pleuré.

CHAPITRE 1

Je courais dans la forêt sombre, poursuivant ma proie, une jeune fille blonde, d’une douzaine d’années. Elle fuyait le plus vite qu’elle pouvait mais était loin d’égaler ma rapidité. On était en automne et les rayons du soleil couchant éclairaient les feuilles écarlates et dorées des arbres. L’agréable odeur de la forêt, de la verdure et des bois pénétrait mes narines, mais l’odeur du sang de ma proie était la plus forte. C’était un arôme sucré et envoûtant, extraordinaire. Je ne réfléchissais plus, ne songeant qu’à me rapprocher de ce fumet appétissant.

Arrivée au bord d’un étang, je rattrapai ma proie et la plaquai au sol. Ses grands yeux bleus étaient écarquillés de terreur et elle tremblait. Je sortis un couteau et fis une entaille dans sa chair blanche et rosée, au niveau du poignet. J’aspirai le sang frais, jusqu’à ce qu’il apaise la brûlure de ma gorge. Ma soif enfin apaisée, je m’écartai de son cadavre et observai mon reflet dans l’eau. Mes yeux étaient d’un noir d’encre et des veines noires étaient apparues sur mon visage et mes bras.

Je m’éveillai en sursaut, la gorge brûlante. Encore ce cauchemar. J’avais fait le même, juste avant de me réveiller, ce matin-là et voilà que ça recommençait.

— Victoria ?

La voix de Robert me ramena à la réalité. Où étais-je ? Dans le train. Fatiguée et stressée, je m’étais endormie. Je reportai mon attention sur lui.

— Ça va ? s'inquiéta-t-il.

— C’était juste un horrible cauchemar. Et non, ça ne va pas.

J’avais conscience d’être agressive, ce qui, selon mon entourage plus ou moins proche, ne me ressemblait pas en temps normal, mais j’avais des circonstances atténuantes. Pour commencer, depuis ce matin, ma gorge me faisait mal. J’avais du mal à avaler quoi que ce soit. Mina m’avait préparé tous mes plats préférés, en plus de mon gâteau d’anniversaire, puisque ce jour-là, j’avais fêté mes seize ans. Cela m’avait touchée mais j’avais dû me forcer à manger. Mon estomac était noué et les aliments n’avaient plus aucune saveur. C’était psychosomatique, sans aucun doute.

En effet, ma situation actuelle avait de quoi bouleverser n’importe qui. Mina et Robert, qui faisaient à présent le voyage avec moi, étaient mes parents adoptifs. Ils m’avaient élevée de manière correcte, mais m’avaient habituée à les appeler par leurs prénoms, et non « Papa et Maman ». Sympa, hein. En effet, il avait toujours été convenu qu’à mon seizième anniversaire, j’irais vivre avec mes parents biologiques, à Paris. J’ignorais pourquoi, c’était ainsi. Je ne les avais jamais rencontrés. J’avais longtemps piqué des crises et m’étais rebellée contre cela, ne comprenant absolument pas cette situation. J’avais beau eu mettre Mina et Robert au pied du mur des tonnes de fois, ils étaient toujours restés évasifs, se contentant de me promettre que je comprendrais tout, en temps voulu. Il fallait que je profite de mon enfance en attendant, sans trop me poser de questions. Facile à dire. Personnellement, j’aurais mis n’importe qui au défi de jouer sous une épée de Damoclès intitulée Abandon. Cependant, si je ne savais pas à quoi ressemblaient Éric et Viviane, mes parents biologiques, j’avais souvent parlé avec eux au téléphone. Depuis toute petite, on m’avait habituée à les appeler papa et maman, si bien que cela me paraissait un peu moins bizarre que cela n’aurait dû l’être. N’empêche, j’avais beaucoup de mal avec cette situation, vraiment pas normale.

— Je suis désolé, s’excusa Robert.

Je ne répondis pas, me contentant de le dévisager en silence. Ses cheveux grisonnants, son visage strié de quelques rides m’étaient familiers. Il fallait en profiter tant que je l’avais devant moi. De même que celui de Mina, ses courts cheveux bruns, ses yeux verts, remplis de tendresse. Même si c’était difficile d’accepter la situation, le fait qu’ils restent auprès de moi pendant mes premiers jours à Paris était rassurant. J’avais grandi avec eux, après tout et ils m’avaient relativement bien traitée donc je m’étais attachée à eux. Ils étaient mon repère, mine de rien.

— Tu as toujours mal à la gorge ? s’enquit ma mère adoptive.

— C’est de pire en pire. J’espère que je pourrai aller chez le médecin, à mon arrivée.

Elle parut embêtée.

— À ce sujet... j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. J’ai eu Éric et Viviane au téléphone. Tu sais qu’ils étaient en voyage et auraient dû revenir il y a quelques heures. Eh bien, leur avion a été annulé. Ils ne pourront pas être là avant lundi soir.

— Ce n’est pas vrai ! m’exclamai-je, incrédule. Ils ne seront pas là pour nous accueillir ?

— Non, et ils en sont les premiers embêtés. Aussi, c’est ta cousine Valérie et son petit ami Ethan qui vont nous accueillir. Ils leur ont confié les clés de la maison.

Valérie. Ce nom ne m’était que très vaguement familier. Viviane avait dû la mentionner, quelques fois. Aussi, retarder la rencontre tant attendue et appréhendée avec mes parents biologiques, pour être accueillie par une étrangère, était des plus gonflants. Cependant, ce n’était pas de la faute de cette dernière. Il fallait donc que je prenne sur moi, et tente d’ignorer un phénomène étrange qui s’était accru au fil de la journée, à savoir la perception d’une odeur délicieuse qui émanait de la plupart des personnes que je croisais. Cela m’attirait inexplicablement vers elles, me donnant le tournis et m’empêchant de me concentrer sur quoi que ce soit.

Mina pressa mon genou, me ramenant une nouvelle fois à la réalité.

— Ça va aller. Tu vas les apprécier. Et tu te plairas dans ta nouvelle maison. Paris te séduira, même si c’est aux antipodes de notre petit village de campagne.

— Non, ça ne va pas aller. Je vais être arrachée à la famille avec laquelle j’ai grandi.

— Désolée. C’est difficile, pour moi aussi, souffla-t-elle.

Mon cœur se serra.

— Pourquoi ne le montres-tu jamais ? C’est valable pour toi aussi, Robert ! Que vous m’imposiez cette situation sans m’expliquer quoi que ce soit, c’est déjà aberrant, alors si en plus vous faites comme si ça vous était égal...

— C’est pour ne pas te rendre les choses plus difficiles ! s’écria Robert, sur la défensive. On veut avoir l’air solide, pour te rassurer !

— Mais c’est n’importe quoi ! Mettez-vous à ma place ! En quoi c’est rassurant, pour moi, de croire que vous vous en foutez ? explosai-je.

— On est bête. Tu as raison. Seulement, cette situation est tellement spéciale que nous-mêmes, nous sommes dépassés.

— Pourquoi l’avoir acceptée, dans ce cas ? interrogeai-je mon père adoptif, d’une voix affaiblie par les sanglots.

— Pour bénéficier de la chance de t’avoir comme fille, même si ce n’était pas pour toujours. On a été égoïste.

Oui, ils l’étaient, mais que ce soit par amour pour moi me rendait la chose plus acceptable. Cette situation était vraiment des plus complexes.

— Il n’y a vraiment pas moyen de faire machine arrière ?

— Non. Tu... auras besoin de tes vrais parents, pour te prendre en charge.

Je blêmis.

— Me prendre en charge. Tu en as trop dit, ou pas assez. Qu’est-ce qui m’attend ?

— Tu ne nous croirais pas... mais ça va aller.

— C’est très rassurant, cinglai-je. Je vais me transformer en loup garou ou quoi ?

— Quelque chose dans le genre, marmonna Robert.

— Très drôle, grognai-je.

Lorsque le train s’arrêta, Robert et Mina s’occupèrent de descendre nos bagages. Je voulus les aider, mais ils refusèrent, avançant que les leurs étaient bien plus légers que les miens. En effet, ils avaient une petite valise pour eux deux tandis que j’en avais une grande. Cela me serra le cœur, au sens où ça me rappelait que leur séjour serait nettement moins définitif que le mien. Arrivés sur le quai, nous regardâmes autour de nous. On attendit environ cinq minutes, avant qu’un couple s’approche. Ils semblaient tous les deux très jeunes, âgés d’une vingtaine d’année au maximum et encore, c’était essentiellement la maturité dans leur regard, qui me permettait de deviner qu’ils étaient plus âgés que moi. La jeune femme avait de longs cheveux blonds bouclés, comme les miens, une peau rose et dorée, des yeux verts pétillants et son compagnon était pâle, les cheveux bruns et les yeux marrons.

— Ce sont eux, précisa Mina.

Ainsi, elle les connaissait. Encore une source d’interrogation pour moi. La jeune femme, Valérie, s’approcha de moi.

— C’est toi, Victoria ?

Alors que j’acquiesçais, surprise par sa voix chargée d’émotions, elle eut un geste qui m’étonna davantage. Elle me serra contre elle. Chose agréable, elle ne dégageait pas cette odeur qui me donnait mal à la tête. Son compagnon non plus, d’ailleurs. Lorsqu’elle se détacha de moi, le regard brillant, ce dernier m’adressa un sourire un peu gêné.

— Bonjour, Victoria. Excuse Valérie, elle est très émotive et avait hâte de te rencontrer. Moi aussi, d’ailleurs. Je suis Ethan.

Il s’approcha pour me faire la bise. C’était étrange. Je me sentais déjà bien, avec eux. Finalement, peut-être qu’attendre mes parents serait moins angoissant que prévu.

Nous quittâmes la gare et montâmes dans leur voiture. Calée entre Mina et Robert, à l’arrière, je répondis aux questions de Valérie, qui se dévissait le cou pour me regarder et voulait visiblement tout savoir de moi. Moi aussi, j’avais envie de l’interroger, mais elle ne me laissait pas en placer une, sauf pour lui répondre.

Nous nous garâmes devant un portail doré. Robert sortit les valises du coffre et nous entrâmes. La maison était vaste et belle. Elle était blanche et pourvue de colonnes grecques, à l’avant. Des arcades encadraient les fenêtres. Le jardin était immense. Des rosiers y étaient plantés, ainsi que des arbres, que j’identifiai comme des cerisiers et des orangers.

J’entrai et regardai autour de moi. Les vastes pièces étaient séparées par des murs aux arches orientales. Il y avait un salon aux canapés et fauteuils beige clair ainsi que des rideaux bleu ciel. Des tableaux ornaient les murs. L’un d’entre eux attira mon attention. Il représentait un bois où se trouvait un homme à la beauté surnaturelle et au teint pâle qui embrassait avidement le cou d’une jeune femme. Cette image m’interpella et me fascina.

— Ce tableau te plaît ? s’enquit Ethan.

— Oui. Il m’intrigue.

— Je vais le mettre dans ta chambre, si tu veux ? Mes beaux-parents seraient OK, tu peux demander à Valérie.

— Bien sûr, fis-je, un peu étonnée.

Sur ces mots, il décrocha le tableau.

— Viens. J’y ai déjà déposé tes affaires.

Il monta l’escalier, suivi de ma cousine et moi.

— Voici ta chambre, m’annonça Valérie en ouvrant la porte.

J’entrai, émerveillée. C’était une véritable chambre de princesse. Elle était trois fois plus grande que mon ancienne et dans des tons roses et mauves. Le lit était un lit à baldaquin, presque assez grand pour trois personnes. Il y avait une coiffeuse au miroir ovale et argenté, ainsi qu’une étagère vide, en bois verni.

— C’est ta mère qui a fait la décoration, me précisa Mina. Je lui ai dit que tu aimais le rose.

— Super, murmurai-je, reconnaissante et touchée, mine de rien.

J’étais sensible à ce genre de bêtises, même si la situation, dans sa globalité, n’était pas cool envers moi.

La salle de bains était aussi surprenante. Une mini piscine, que je supposai être la baignoire, était creusée dans le sol. On se serait cru dans un conte de fées. Au château de la Belle et la Bête. Malgré cela, un mauvais pressentiment s’était emparé de moi. Cette vie de rêve avait forcément un prix. Ce n’était quand même pas sérieux, cette histoire de loup-garou ?

Valérie et Mina m’annoncèrent qu’elles allaient préparer à manger. Je m’excusai de ne pas avoir faim, mais elles ne se formalisèrent pas. D’après la première, Ethan ne mangerait pas non plus, ce soir.

Je me laissai tomber sur le lit. Il était incroyablement mœlleux. Je restai quelques instants étendue ainsi. Je ne me sentais pas si mal, pas seulement parce que je venais d’emménager dans une maison aux allures de minipalais mais aussi parce que je m’entendais bien avec Ethan et Valérie. Cependant, une part de moi se posait plein de questions et souffrait toujours de ce fichu mal de gorge.

Quand tomba la nuit, allongée sous les couvertures, la lumière éteinte, le sommeil ne vint pas. Après m’être retournée maintes fois dans mon lit, je rallumai la lumière et admirai la peinture, fascinée. La brûlure de ma gorge s’amplifia. De quoi souffrais-je, à la fin ? Ce devait vraiment être psychosomatique, vivement le moment où je verrais un médecin. Il engueulerait sûrement mes parents, adoptifs comme biologiques, car il y avait de quoi disjoncter, franchement.

CHAPITRE 2

Le week-end, nous avions visité Paris, tous ensemble. C’était une ville qui semblait s’étendre à l’infini, avec des rues incroyablement larges, encadrées par de hauts arbres, plantés le long des trottoirs. Les avenues abondaient de boutiques comme princesse Tam Tam, Zadig et Voltaire. Certaines rues étaient bordées de restaurants étrangers, japonais, chinois, mais aussi indiens et marocains. Je passai même devant un glacier Häagen Dazz, dont les parfums semblaient plus succulents les uns que les autres. On m’avait également emmenée à Pigalle, pour me montrer le théâtre des Bouffes du nord où Viviane devait jouer Théa dans Hedda Gabler. C’était une salle traditionnelle où le public était en hauteur et voyait la scène en contre-plongée. Nous avions escaladé la tour Eiffel et fait les magasins. J’avais passé un agréable week-end, si ce n’était que je n’avais rien pu avaler. De plus, la brûlure de ma gorge et mon envie de mordre les gens que je croisais persistaient. Je devenais folle. Je voulais aller chez le médecin, mais mon entourage, pour une raison qui m’échappait, voulait attendre que mes parents arrivent. Pourvu que je tienne jusque-là. J’allais finir en HP 1, si ça continuait.

Le lundi matin je me préparai pour aller au lycée. J’enfilai un sweat, rabattis la capuche sur ma tête et cachai mon nez sous une écharpe, pour ne pas respirer l’odeur des lycéens, probablement entêtante, comme celle de toutes les personnes que j’avais croisées, depuis mon anniversaire. Toutes, à l’exception de ma cousine et de son copain. Était-ce parce qu’on avait un merveilleux feeling ? N’empêche, c’était bizarre, très bizarre.

Ce fut Valérie qui me conduisit à mon nouveau lycée. Elle m’avoua que mes parents voulaient m’inscrire dans le privé, mais qu’ils n’acceptaient pas d’élèves, en cours d’année. Pour ma part, je n’avais rien contre le public, y étant familiarisée depuis toujours.

Le lycée était couvert de parois vitrées qui réfléchissaient le soleil. On aurait dit un immense cristal. La cour était vaste et comprenait de nombreux espaces verts. C’était un lieu attrayant. À l’entrée, il y avait une pancarte, sur laquelle était inscrite : Lycée Alpha. Ce nom m’évoquait une communauté d’élèves brillants. Mais ce n’était qu’un nom, après tout.

Je me rendis au bureau du directeur, monsieur Boisé. C’était un homme jeune, qui ne devait pas avoir plus d’une trentaine d’années et était très séduisant. Il avait de longs cheveux châtains, attachés en queue de cheval et des yeux verts pétillants. Quand il me vit, il m’adressa un sourire accueillant.

— Bonjour, mademoiselle ! me salua-t-il.

— Bonjour. Je suis nouvelle... je m’appelle Victoria Marie.

— Victoria, répéta-t-il. Bien sûr.

Je hochai la tête. Il fouilla dans ses papiers et me tendit une feuille imprimée.

— Voici votre emploi du temps. Vous êtes en première A. Comme ça ne va pas tarder à sonner, je vais vous accompagner à votre classe.

Drôlement attentionné, ce directeur. Et plutôt canon. Franchement, ce que je traversais était déjà perturbant, je n’avais pas besoin, en plus, de loucher sur le directeur de mon nouveau lycée. N’empêche, on avait un bon feeling. Son regard était appréciateur ou j’avais rêvé ? Non, stop, ne pas partir dans cette direction. En même temps, il faisait drôlement jeune, pour quelqu’un de sa fonction... stop, Victoria. Nous montâmes les escaliers et traversâmes un couloir, dont les murs étaient couverts de peintures, représentant une forêt et des animaux. Tous les élèves étaient déjà rentrés. Monsieur Boisé m’invita à entrer dans la salle de cours et le professeur me présenta à la classe.

La matinée se passa relativement bien, même si je dus justifier le port de mon écharpe et de ma capuche auprès de la plupart des profs, en expliquant que j’étais malade. Au moment de la pause déjeuner, une fille vint me voir. Elle était très mince et avait des cheveux bruns coupés à la garçonne parsemés de mèches roses et des yeux gris vert.

— Salut ! Je m’appelle Vanille. On déjeune ensemble ?

— D’accord, acceptai-je, bien que j’aie eu l’intention de m’isoler.

Difficile de faire autrement, elle avait l’air trop sympa. À l’instar de Valérie et Ethan, elle avait un parfum agréable, qui ne me rendait ni nerveuse ni agressive. Bizarre, mais ça tombait bien.

La cantine aussi était très élégante, entièrement vitrée et lumineuse, avec des tables en bois verni et des murs vert pâle. Les plats qu’elle proposait semblaient appétissants, contrairement à mon ancien réfectoire. Malheureusement, je n’avais pas d’appétit.

Vanille contempla mon plateau, vide.

— Je n’ai pas faim, répondis-je à son interrogation muette.

— Tu es malade ?

— Un peu. Je n’ai plus goût à la nourriture et ma gorge me brûle.

Elle me dévisagea de ses yeux gris verts.

— Okay. Depuis combien de temps es-tu dans cet état ?

— Cela fait trois jours. Depuis mon anniversaire, révélai-je.

— Tu as quel âge ?

— Seize ans.

Un étrange éclair brilla dans ses yeux, comme si elle était frappée par une révélation. Houlà. Ça lui parlait ?

— Tu as quelque chose de prévu, après les cours ? s’enquit-elle.

— Oui, répondis-je en pensant à ma future rencontre avec mes parents.

Elle parut légèrement contrariée.

— Dommage. Mon copain a eu le même souci que toi, avant que je le connaisse. Il aurait pu t’aider. Bon, je vais te donner mon numéro, tu pourras nous joindre, si ça ne s’arrange pas.

— Avec plaisir, fis-je, agréablement surprise.

Ma situation n’était donc pas unique ? En effet, je commençais à me poser la question. Ce que j’éprouvais, cette exacerbation des sens, cette agressivité difficile à réprimer, allait bien plus loin qu’un simple mal de gorge. Si quelqu’un avait subi la même chose, c’était possible d’en guérir. Tant mieux. En plus, je me sentais moins seule.

Lorsque Vanille eut fini de manger, il nous restait du temps, avant la reprise des cours. Nous sortîmes. Malgré la saison automnale, il faisait bon. Les pelouses vertes étaient couvertes de feuilles mortes, les arbres roux et blonds. Les espaces verts ne manquaient pas tant que cela, à Paris. Vanille me tira par la manche.

— Viens, dit-elle en me montrant un chêne. Nous serons bien.

Elle s’assit contre le large tronc d’arbre et je l’imitai.

— Je me plais beaucoup ici, même si c’est difficile d’y vivre.

— Pourquoi ?

Elle soupira.

— Tu vas t’en apercevoir assez vite, mais il y a deux gangs qui s’affrontent, dans ce lycée.

Je ne cachai pas ma surprise, ni ma peur. Je n’étais pas habituée à ça. Des gangs ? On n’était pas dans un livre de Simone Elkeles !

— Quoi ? Qu’entends-tu par-là ?

— Il y en a deux, les Capulet et les Monte-Cristo. Le chef du premier gang, Tybalt Thomas, sème la terreur, partout où il passe. Il rackette les élèves. Beaucoup de filles acceptent ses avances à la fois parce qu’elles ont peur et parce qu’il les fascine. Il a un physique qu’on n’oublie pas.

Je l’écoutais, sidérée. Il n’y avait rien de tel dans mon ancien lycée. Je fus prise d’anxiété. Je ne tenais pas à avoir des problèmes, ni à me faire agresser. Cependant, quelque part, le fait qu’ils utilisent des références littéraires pour se désigner me faisait sourire. Associer la littérature classique à la violence physique, ce n’était pas banal.

— Et les Monte-Cristo ? demandai-je.

— Heureusement qu’ils sont là, dans un sens. Ils protègent les victimes des Capulet en les vengeant.

— En les vengeant ? répétai-je, étonnée.

— Oui. Ce sont des sortes de... justiciers.

— Cela existe encore, de nos jours ? rigolai-je franchement.

Non mais, il valait mieux dédramatiser, à ce stade. Il n’y avait pas que ma famille qui était bizarre, c’était toujours ça de pris, pour moi.

— Ce ne sont pas des justiciers ordinaires. Ils sont violents et effrayants. Leur chef, Dimitri Draven, est aussi bizarre que Tybalt. Il ressemble à un ange et dégage une aura qui séduit tout le monde.

— Dimitri Draven, répétai-je. C’est un étranger ?

— Je crois qu’il est américain. Quant à mon petit-ami, il est anglais.

Elle me surprit en m’expliquant que ses parents les avaient autorisés à vivre ensemble et se fiancer. Elle me bombarda de questions sur ma vie d’avant, mes goûts musicaux et littéraires mais surtout ma situation familiale. Il y avait de quoi être perplexe, en effet, aussi j’étais moi-même mal à l’aise, à l’idée d’en parler. Lorsque je répondais, elle m’étudiait d’une manière qui m’échappait un peu, comme si elle accordait un sens à ce que je lui dévoilais. Toutefois, j’étais contente qu’elle soit choquée par ce que je traversais et s’énerve contre ma famille. Je me sentais soutenue.

Le reste de la journée se passa plutôt bien. Je suivis Vanille un peu partout, ce qui m’évita de me sentir plus paumée que je ne l’étais déjà. Lorsque vint la fin des cours, je rentrai en bus. Heureusement, je parvins à ne pas me perdre, grâce à l’itinéraire que m’avait donné Valérie. Lorsque j’arrivai devant la maison, qui était désormais la mienne, mon cœur battait, à tout rompre. Est-ce que mes vrais parents m’ouvriraient, me confrontant, dès mon retour, à un ou deux visages inconnus ? Finalement, ce fut Mina qui m’accueillit, désamorçant une petite partie de mon appréhension. Elle me demanda comment ma journée s’était passée.

— Pas trop mal, même si le plus important est à venir.

Mina me gratifia d’un sourire compatissant, teinté d’une immense appréhension, pour toute réponse. L’angoisse me submergea. Elle m’entraîna dans le salon, où étaient déjà installés Ethan et Valérie. La première se leva pour m’embrasser, puis m’invita à prendre place, entre elle et son compagnon, ce qui me parut un peu bizarre.

— Mes parents ne sont pas arrivés ?

— Si, révéla ma cousine d’une voix chargée d’émotion.

Je parcourus la pièce du regard, sans comprendre.

— Où sont-ils ?

Robert me lança un regard anxieux. On aurait dit qu’il appréhendait ma réaction.

— En fait, tu es assise entre eux.

Bêtement, par réflexe, je regardai Ethan et Valérie, avant de laisser échapper un rire nerveux et impatient.

— Robert, d’ordinaire je suis bon public, mais ce n’est pas le moment de faire des blagues un peu bidon.

— C’est sérieux, insista-t-il.

Comme les deux intéressés l’appuyaient, je perdis patience.

— Mais vous êtes trop jeunes !

Ce fut Ethan – si c’était bien son nom – qui prit la parole.

— Nous savions que tu ne nous croirais pas. Raison pour laquelle nous nous sommes fait passer pour tes cousins. Victoria, nous paraissons avoir ton âge car nous avons arrêté de vieillir.

N’importe quoi. Tout le monde avait craqué, autour de moi, moi y compris ? Il marqua une pause devant mon regard incrédule avant de reprendre :

— Je suis un vampire et ta mère, ma compagne immortelle.

1 - Hôpital psychiatrique

CHAPITRE 3

Je regardai mes soi-disant cousins ou parents et commençai à m’énerver. Si je m’attendais à ça...

— Tout cela est ridicule. Franchement, je ne trouve pas ça drôle. Expliquez-moi ce qui se passe réellement.

Ethan me regarda d’un air tendu.

— C’est la vérité. Mina et Robert peuvent te le confirmer.

Je lançai un regard incrédule à ces derniers.

— Dites-moi que c’est une blague. Je ne comprends rien à leur délire.

Au lieu de me rassurer, ils me regardèrent tous les deux avec gravité.

— C’est la vérité, Victoria. Ton père est un vampire et ta mère, son âmesœur immortelle. Ils nous ont confié à toi jusqu’à ton seizième anniversaire, pour que tu aies une enfance normale. Mais tu ne peux plus continuer à vivre comme avant, parce que...

Je me levai, coupant court à ses élucubrations.

— Stop. Vous délirez, tous autant que vous êtes. Je m’en vais et je vous préviens, je ne reviendrai pas, tant que nous n’aurez pas arrêté de vous payer ma tête.

Je me dirigeai d’un pas furieux vers la porte d’entrée, mais fut enveloppée d’une brume blanche et scintillante. Avant même que j’aie pu comprendre ce que c’était, elle se condensa sous mes yeux et se matérialisa, prenant l’apparence d’Ethan. Impossible. Je hurlai de toutes mes forces.

— Tu nous crois, maintenant ? demanda-t-il d’une voix douce.

J’étais terrorisée. Je devais fuir !

— Je suis désolé de t’avoir effrayée. Tout comme je regrette que tu aies appris les choses ainsi. Mais il n’y avait pas de bonne manière de te mettre au courant.

Je tentai de le contourner, mais il me bloquait le passage.

— Laisse-moi partir !

Il parut attristé.

— Ce n’est pas possible. Tu risques de devenir un danger, pour les humains. Tu ne t’es pas nourrie et ta soif augmente, de jour en jour.

— Moi ? hoquetai-je, incrédule. C’est toi, qui te dis vampire !

— Condition dont tu as hérité. J’ai pu te concevoir avec ta mère, puisqu’elle est humaine.

Cela faisait trop d’informations à digérer. Moi, un vampire ? Non. C’était impossible, inacceptable, aberrant. Je tentai de le pousser pour m’échapper, mais il m’immobilisa de ses bras.

— Victoria, calme-toi. Nous ne voulons que ton bien, même si je conçois tout à fait que tu sois dépassée et terrifiée. Nous allons prendre soin de toi. Il n’est pas question de te laisser partir.

Visiblement, je ne pourrais pas m’échapper de la sorte. Je pesai le pour et le contre.

— Laisse-moi seule. Je vais dans ma chambre, et je ne veux plus voir personne.

Ma prétendue cousine et lui m’y conduisirent, pour s’assurer que je n’échapperais pas à leur surveillance. Je pus néanmoins m’enfermer à clé. Je regardai alors par la fenêtre, me demandant si je pourrais m’échapper. Non, c’était trop haut. Une question me vint alors à l’esprit : et si tout cela n’était que chimères ? Je n’avais rien mangé, pas dormi depuis trois jours. Peut-être étais-je en proie à des hallucinations. Comment distinguer le vrai du faux, dans ce cas ? Je songeai alors à Vanille. À moins que je ne l’aie également imaginé, elle m’avait confié pouvoir m’aider. Je m’emparai de mon portable et composai son numéro.

— Oui, Victoria ? répondit-elle aussitôt.

— Vanille, j’ai besoin de ton aide, sanglotai-je.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? s’inquiéta-t-elle. Dis-moi tout.

Je lui racontai tout ce qui s’était passé depuis trois jours, insistant sur les précédents événements.

— Je deviens folle, c’est ça ? Si ça se trouve, nous ne sommes même pas en train d’avoir cette conversation.

— Je peux te garantir que si. Écoute, j’arrive, avec William. Tiens bon, ça va aller.

Elle raccrocha, me laissant seule. Je continuai de pleurer, sans m’arrêter. Une demi-heure plus tard, on frappa à la porte de ma chambre.

— Victoria, c’est nous, fit la voix de mon amie. Ouvre, s’il te plaît.

Étonnée que mes pseudo-parents les aient laissé venir jusqu'ici si facilement, je déverrouillai la porte. Vanille entra, suivie d'un jeune homme auquel je ne prêtai d'abord pas attention, occupée à me jeter dans les bras de ma camarade. Elle ne parut pas effrayée. Pourtant, je la connaissais à peine.

— Ne t’en fais pas. Ça va s’arranger, tenta-t-elle de me réconforter.

Nous nous assîmes sur le lit. Je regardai alors le compagnon de celle qui était venue me porter secours. Il avait le teint aussi pâle que le mien, des cheveux châtain foncé et des yeux sombres.

— Victoria, voici William, mon fiancé.

Il s’assit auprès de moi et me regarda d’un air bienveillant.

— Vanille m’a tout raconté. Avant tout, bois ceci.

Il sortit une gourde opaque de sa besace. Je la regardai, sceptique.

— Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

— Le remède à ce que tu traverses. Tu te sentiras mieux après l’avoir bu, promis. Ensuite, on t’expliquera tout.

D’abord très méfiante, je cédai, devant le regard encourageant de Vanille. Je ne savais plus quoi faire, de toute façon, alors tant pis si je prenais la mauvaise décision. Je faisais peut-être n’importe quoi, mais je leur faisais un peu plus confiance qu’à ces cinglés qui me servaient de famille. William et Vanille étaient des quasi-inconnus, mais ils semblaient mieux me comprendre. Aussi, j’ouvris le goulot, humant une odeur enivrante qui eut raison de ma méfiance et vidai le contenu de la gourde dans ma gorge.

Le goût était... surprenant. Encore meilleur que son odeur. En vérité, ce nectar avait un goût semblable à celui du chocolat noir le plus exquis, mêlé à de l’orange très sucrée. Aucun met ne pouvait rivaliser avec cela. C’était extraordinaire. Je le bus d’une traite, réalisant ensuite que je me sentais beaucoup mieux. Je ne souffrais plus physiquement et je n’avais plus le tournis. J’étais légèrement apaisée et avais aussi l’esprit plus clair. Cela, jusqu’à ce que j’essuie ma bouche et voie des traînées écarlates, sur mes doigts.

— M... mais qu’est-ce que c’est ?

— Du sang, me répondit William d’une voix douce.

— Non ! hurlai-je. Tu... tu es comme eux ?

— Oui, tout comme toi. Nous sommes des vampires. Le sang est désormais pour toi la seule manière de survivre. J’aimerais te dire que c’est un mauvais rêve, mais ce serait te mentir. Plus tôt tu l’accepteras, plus tôt tu iras mieux.

— Non ! Mais c’est n’importe quoi, merde !

— Victoria ! Je comprends que tu refuses d’y croire. Tu n’as pas été préparée à tout ça, tes parents ont fait n’importe quoi. Néanmoins, tu dois accepter ta condition. C’est on ne peut plus réel et il en va de ta survie. Si tu ne bois pas de sang, tu meurs.

Non. Je ne voulais pas mourir. Ses mots m’interpellaient. Mon mal de gorge, mes insomnies, ma capacité à survivre pendant trois jours sans rien manger... ça dépassait l’entendement. Était-ce la preuve que ce que j’avais toujours considéré comme une chimère existait ? Néanmoins, dans ce cas... ça ne correspondait pas du tout à ma représentation du mythe des vampires. Certes, je buvais du sang, ceux qui se présentaient comme immortels n’avaient pas une ride... mais c’était à peu près tout ce qui collait ! Les vampires étaient morts, ils dormaient dans des cercueils, brûlaient au soleil et ne faisaient pas d’enfant. L’enfant ne naissait pas avec toutes les caractéristiques propres à un humain normal. Quoique... je n’avais jamais bronzé, étais hermétique à la canicule comme au froid. Cela signifiait-il que j’avais un rapport particulier avec le soleil ? Et qu’est-ce que c’était que cette histoire de compagne immortelle ? Non, ça ne tenait pas, c’était décidément n’importe quoi.

— Je n’y comprends rien. Je... j’ai besoin d’être seule, et de me reposer, laissez-moi tranquille.

William resta inébranlable.

— Non, tu as besoin de comprendre ce qui t’arrive, d’être encadrée et soutenue. Je ne te laisserai pas tomber. Je trouve que tes parents sont complètement inconscients de ne pas t’y avoir préparée plus tôt mais on ne peut pas revenir en arrière. Alors dis-moi. Qu’est-ce qui te fait le plus peur, dans le fait d’être un vampire ?

— Ça n'existe pas. Et ce qui m'arrive ne colle en rien au mythe. Toute cette histoire me paraît aberrante. L'histoire de ma vie, de ma propre vie, est une aberration totale et tu me demandes ce qui me fait peur, là-dedans ?

Il me regarda d’un air compréhensif et empli de compassion. Il semblait souffrir pour moi. Cela me toucha.

— Accueillir le surnaturel dans ta vie est difficile, en effet. Mais ne crois-tu pas que la vie en elle-même est un phénomène surnaturel ? Le fait de parler, marcher, respirer nous paraît à tous normal et personne ne le remet en cause. Pourtant, si on y réfléchit, c’est incroyable, non ?

— Je ne suis pas d’humeur à faire de la philo, soupirai-je.

N’empêche, il n’avait pas complètement tort. Oui, mais la différence, c’est qu’il y avait une explication scientifique au fait de marcher, parler et tout le tralala. La science n’avait jamais parlé de vampires à l’apparence humaine, que je sache.

— J’ai plein de choses à objecter mais il y a un truc qui me paraît prioritaire. En admettant que ce soit possible... que je sois un vampire... comment pourrais-je accepter d’être un monstre sanguinaire ?

— Tu n’es pas obligée d’en être un.

— En tant qu’humaine qui vit avec un vampire, je peux le confirmer, affirma Vanille.

— Cela aussi me dépasse, avouai-je. Ça fait partie des questions que je me pose.

— Forcément, reprit William, mais ce n’est pas le plus important. Tu as sans aucun doute intégré le mythe selon lequel les vampires tuent les humains, pour se nourrir.

Je frissonnai, ne pouvant qu’acquiescer.

— Eh bien, certains le font, mais pas tous. Il y a deux catégories de vampires. Les Pénitents, comme ton père et moi, qui se nourrissent sans tuer et ont un partenaire de sang. Nous avons des pouvoirs bénéfiques. Il y a aussi les Déchus, qui tuent les humains. Ils sont solitaires et ont des pouvoirs maléfiques.

Bon, heu... c’était de plus en plus dingue, cette histoire. Il manquait encore une multitude de pièces au puzzle. Néanmoins, si je comprenais bien, il y avait deux catégories de vampires. Les gentils et les méchants. Paye ton manichéisme. Enfin, j’avais affaire aux gentils et la possibilité de faire partie de leur bande, c’était toujours ça de pris.

— Qu’est-ce qu’un partenaire de sang ?

William attira Vanille contre lui.

— Ton âme sœur. Lorsque tu mords une personne, elle t’est liée, pour l’éternité. Son sang devient inépuisable, de sorte que tu puisses en boire éternellement et elle reçoit la vie ainsi que la jeunesse éternelle, comme toi. Vanille est ma partenaire de sang. Toi aussi, un jour, tu trouveras le tient.

Cette idée, romantique mais angoissante, expliquait probablement comment les vampires pouvaient se reproduire avec des humains. En dehors de cela, le seul fait qu’ils existent aurait dû me rendre de nouveau hystérique. Pourtant, aucun hurlement ne jaillit de ma gorge, cette fois-ci. Quelque chose de plus urgent m’inquiétait.

— En attendant de trouver un partenaire de sang, puis-je me nourrir sans tuer ? Comme je l’ai fait à l’instant ?

Il acquiesça.

— Il vaut mieux que tu te nourrisses directement à la source mais rien ne t’oblige à vider un humain de son sang. Certes, tu dois réussir à t’arrêter, sous peine de devenir un Déchu. Néanmoins, si tu ne prends qu’un peu de sang humain à plusieurs personnes chaque nuit, tu seras rassasiée.

L’idée me rendit malade.

— Je ne pourrai jamais faire ça.

Il plongea son regard gris foncé dans le mien.

— Si tu veux survivre, tu dois accepter ta condition. Essaie de te voir non pas comme un monstre, mais une créature merveilleuse. Un être différent, qui conserve son humanité, dans sa manière de penser.

Ses paroles commençaient à faire mouche. Il me faudrait du temps, pour digérer tout ça mais une chose était sûre : je ne voulais pas mourir. Je voulais aller mieux, et peut-être que si j’arrivais à surmonter cette épreuve... j’y parviendrais. En tout cas, William était lui-même un vampire, mais je n’avais pas vraiment peur de lui. Il dégageait quelque chose d’apaisant, semblable à ce que j’avais ressenti quand Valérie, ou plutôt Viviane, m’avait serrée dans ses bras. Je repensai alors à eux. Il fallait qu’on ait une explication. J’étais vraiment furieuse. J’avais envie de me barrer mais où aller ? William était le seul à pouvoir m’aider à part eux, or je n’allais pas m’imposer chez lui alors que je le connaissais à peine.

— Veux-tu parler à tes parents ? demanda justement William.

— Tu lis dans mes pensées, soupirai-je. Je n’ai pas encore intégré tout ça, mais... parler ne nous fera pas de mal.

Accompagnée de William et Vanille, cette dernière agrippant fermement mon bras, comme si elle craignait que je ne défaille, nous descendîmes voir mes... parents. Ils étaient toujours dans le salon, mon père biologique et mon père adoptif faisant les cent pas. Quand ils me virent, ils parurent soulagés.

— Je l’ai un peu nourrie, précisa William.

— Ah, très bien, approuva le soi-disant Ethan. Tu te sens mieux, ma chérie ? ajouta-t-il à mon adresse.

Je me crispai. C’était bien la peine de donner dans le « ma chérie » après avoir fait de ma vie un gros bordel. Je pris sur moi, néanmoins. Il fallait qu’on organise la manière dont j’allais me nourrir, ce n’était pas le moment de s’attarder sur mon besoin de balancer à ma famille ses quatre vérités. Enfin, tant que j’arrivais à tenir.

— Un peu. William m’a expliqué les grandes lignes, mais lui-même ne comprend pas pourquoi vous ne m’avez rien dit plus tôt, sans parler du fait que vous avez choisi d’apparaître dans ma vie, à un moment pareil.

Bon, eh bien si, c’était dit. Au moins, j’avais réussi à tenir un discours cohérent, sans trop d’agressivité dans chacune de mes paroles. Il m’invita à m’asseoir.

— Chez chaque vampire, la nature se dévoile à l’âge de seize ans. Nous t’avons abandonnée, quand tu étais bébé. Cela nous déchirait mais nous voulions que tu aies une enfance normale, avec des parents normaux. Tu avais le droit de connaître une vie humaine. Nous voulions aussi te protéger de l’influence des Déchus, car ils se font discrets, mais tentent toujours de nous séduire et de nous faire changer de camp. Leurs proies sont souvent des « enfants vampires », les plus influençables. Certes, c’est une conception des choses particulière et je comprendrais que tu ne la partages pas. Cela dit, te faire vivre avec des parents et des amis humains nous semblait être le meilleur moyen pour que tu continues à les respecter, une fois éveillée. Mina était l’une de mes amies, je lui ai expliqué et fait promettre de garder le secret. Comme Robert et elle ne pouvaient pas avoir d’enfant, il s’agissait d’une faveur mutuelle. À présent, tu n’as plus de raison de rester loin de nous.

William soupira.

— Je comprends l’argument, concernant le fait que Victoria se voie comme une humaine, pour qu’elle ne fasse pas de mal à ceux qu’elle considère comme ses semblables mais il y avait peut-être d’autres moyens de la protéger. Dans ma famille, on n’abandonne pas les enfants et ça se passe très bien.

Les visages de chaque membre de ma famille se décomposèrent. Visiblement, ils étaient conscients d’avoir fait une connerie monumentale avec moi et avaient trop honte, pour l’admettre de manière audible. Non mais merde, c’est de ma vie qu’il s’agissait !

— Merci, William, renchéris-je, pour insister sur mon mécontentement à leur égard. Vous êtes donc bien Éric et Viviane, les personnes que j’ai eues au téléphone pendant toutes ces années ?

Les intéressés acquiescèrent. Mina intervint.

— Nous sommes désolés, ma chérie. On ne savait pas comment te préparer sans que tu saches la vérité, ce qui aurait été à l’encontre de la volonté d’Éric et Viviane.

Oui, eh bien, leur volonté était mal fondée. Il me faudrait du temps, pour digérer tout ça mais ce n’était pas ce qui m’angoissait le plus.

— Quand devrai-je me nourrir ?

— Pas plus tard que cette nuit.

— Quoi ? m’étranglai-je. Mais William m’a fait boire à l’instant et je me sens mieux !

— Cela ne durera pas. Ce n’est pas suffisant.

William vint vers moi.

— Je t’épaulerai, si tes parents sont d’accord.

Il lança un regard interrogateur à mon père biologique, qui hésita, avant de reporter son attention sur moi.

— Si tu en as envie, pas de problème mais je vous accompagne. Tu es ma fille.

— Ça ne t'a pas empêché d'être absent jusque-là mais soit, rétorquai-je.

Il blêmit mais ne répliqua rien.

William nous donna rendez-vous à minuit et s’en alla avec Vanille. Je remontai dans ma chambre, ayant besoin d’être seule, pour ressasser tout ce que je venais de traverser. Lorsque la brûlure commença à rejaillir dans ma gorge, je descendis et gagnai la bibliothèque.

Je m’avançai et regardai les livres, émerveillée. Il y avait de tout. Des livres reliés, brochés, anciens, neufs. Des classiques, comme Zola, Balzac ou Victor Hugo mais aussi des livres pour ados et pour enfants. Parmi cette dernière catégorie de livres, nombreux étaient ceux que je n’avais pas lus. Une main se posa doucement sur mon épaule. Je sursautai et me retournai. C’était Éric. Il me regardait d’un air hésitant, teinté de tendresse.

— Tu as découvert mon sanctuaire. De toutes les pièces de la maison, c’est ma préférée. Excepté notre chambre, où je peux admirer ta mère pendant son sommeil et ses rêves. Les vampires ne dorment pas.

Je frémis, même si je m’en étais doutée, compte-tenu de mes précédentes nuits blanches.

— Tous ces livres t’appartiennent autant qu’à moi, Victoria. Tu peux les lire, quand tu veux. Inutile de te demander d’en prendre soin, j’ai déjà remarqué que tu étais très soigneuse avec les tiens.

Et merde. Ça n’effaçait pas le reste, certes, mais là, il me prenait par les sentiments. Je n’avais pas le cœur à le rembarrer, pour le coup. Nous restâmes un moment silencieux, à nous promener autour des étagères, que je parcourus avidement du regard. Le tempérament calme de mon père était sans doute héréditaire, en plus du reste, sachant qu’on me considérait généralement comme telle lorsque je ne me retrouvais pas dans des situations critiques. Cela le rendait plus humain et l’angoisse que j’éprouvais à son égard, depuis qu’il s’était métamorphosé en brume, commençait à s’atténuer.

Subitement, il s’arrêta.

— J’ai quelque chose à te léguer, pour ce soir, m’annonça-t-il.

Il s’approcha de son bureau et prit un écrin, qu’il me tendit.

— Ouvre-le.

J’obéis et découvris un minuscule couteau en argent, finement ciselé et serti de saphirs.

— Il est magnifique ! m’exclamai-je, choquée.

— Il ne sert pas uniquement à faire joli, précisa-t-il. Il fera couler le sang de tes proies. Tu ne dois pas les mordre, car la seule personne que tu mordras deviendra ton partenaire de sang. Ne l’oublie jamais.