Penser et s’engager pour la réunion - Radjah Veloupoule - E-Book

Penser et s’engager pour la réunion E-Book

Radjah Veloupoule

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Beschreibung

Durant vingt ans, ces articles, extraits des courriers des lecteurs de trois quotidiens réunionnais, ont capté l’essence des débats et des enjeux sociétaux. Sélectionnés pour leur résonance avec l’actualité brûlante, ils sont enrichis par les discours politiques de l’auteur, alors conseiller régional, et par des hommages à des personnalités marquantes.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Radjah Veloupoule s’engage pour la défense de l’identité réunionnaise et la valorisation de l’interculturalité sur l’île. Il met également un point d’honneur à promouvoir la connaissance de l’histoire et la décolonisation des esprits.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Radjah Veloupoule

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Penser et s’engager

pour La Réunion

Essai

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Radjah Veloupoule

ISBN : 979-10-422-4510-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À ma fille,

Lopa Lakshmi Veloupoulé,

mon soleil intérieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– Courriers des lecteurs,
– Discours politiques,
– Hommages aux personnalités.

 

 

 

 

 

Ce qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard ni patience.

 

René Char, Fureur et mystère, 1948

 

J’habite une blessure sacrée

j’habite des ancêtres imaginaires

j’habite un vouloir obscur

j’habite un long silence

j’habite une soif irrémédiable

j’habite un voyage de mille ans

j’habite une guerre de trois cents ans

j’habite un culte désaffecté

 

Aimé Césaire

 

Vivre demande en fait beaucoup d’amour, un fort penchant pour le silence, une grande simplicité, énormément d’expérience ; il faut avoir un esprit capable de penser de manière très lucide, et qui ne soit pas sous le joug des préjugés ou des superstitions, de l’espoir ou de la peur.

 

Jiddu Krishnamurti

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

En 2006, La Soie et le Fer nous avait enchantés par sa forme mélodique, courte et percutante. Inspiré du style haïku, ce recueil de poèmes évoquait la fugace vanité de l’existence, ou encore l’illusoire beauté du monde.

 

Des Écrits pour La Réunion nous invite à nous extraire de l’introspection poétique pour nous ouvrir à une réflexion politique au sein de la société réunionnaise.

 

Deux genres littéraires qui n’entament en rien la permanence de l’ancrage de Radjah Veloupoulé dans sa conception de l’être réunionnais.

 

Sous le mode d’une veille sociétale, l’ensemble des textes qui composent cet ouvrage décrit et parfois dissèque des sujets brûlants, tels que l’exigence de penser notre identité en devenir, le péril du racisme à travers le rejet récurrent de l’autre, ou encore la révision de nos priorités pour un retour à un humanisme progressiste et éclairé.

 

Tout au long de son écriture, l’auteur insiste sur le nécessaire réveil des consciences afin de ne pas se perdre dans un consumérisme à tout-va, pour une reconnexion naturelle avec notre ancestralité à travers les valeurs de transmission.

 

Il appelle à la vigilance sur notre communauté de destin réunionnais qui se forge dans la dialectique historique du multiculturalisme et de l’interculturalité, pour se fondre aujourd’hui dans la notion plus complexe et plus réaliste de l’intraculturalité.

 

Homme de tolérance, Radjah Véloupoulé n’hésite pas à briser des tabous en juxtaposant certaines contradictions de la société, comme l’illustre le débat sur le port du burkini et de son pendant le bikini.

De même, il nous incite à penser à la mort et à toutes les questions y afférentes, aussi bien au plan philosophique qu’au plan de nos émotions. Enfin, avec pudeur, il nous sensibilise à la préservation de l’innocence de l’enfance.

 

Éducateur dans l’âme, Radjah Véloupoulé n’a de cesse de nous rappeler à notre devoir mémoriel, celui de maîtriser notre histoire, celle de nos origines, mais aussi celle plus violente de la colonisation et de ses séquelles sur notre comportement, sur notre façon d’envisager le monde.

 

Émaillée de mots de grands penseurs contemporains comme ceux d’épopées immémoriales, cette nouvelle création résonnera longtemps en nous !

 

Elisabeth Ponama,

historienne, intervenante à l’Université de La Réunion

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

 

J’ai tenu à publier cet ouvrage pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’âge avançant, j’ai 53 ans, et ayant toujours entretenu une conscience aiguë du temps qui passe, voyant ma fille grandir et entrer dans l’adolescence, je me suis dit que personne ne décide vraiment de la fin de notre voyage terrestre. Venu donc le moment de montrer et d’informer qu’elles furent les priorités et les exigences de ma première moitié de vie à ma descendance et à autrui, tellement m’ont manqué les témoignages de mes grands-parents que je n’ai pas ou très peu connus. Quand on connaît ce qui a motivé ceux qui nous ont précédés, on envisage mieux son propre avenir.

 

La deuxième, c’est que je pense vraiment qu’une existence comporte plusieurs vies. J’ai eu la chance d’en avoir plusieurs, toujours dominées par l’amour de la connaissance, il est vrai, mais tour à tour, étudiant, fonctionnaire, chef d’entreprise, président d’association, politique, militant culturel, chômeur, écrivain, critique, chroniqueur radio, journaliste, enseignant, et j’en oublie sûrement. Beaucoup de gens possèdent cette pluralité de missions offertes par la destinée, mais j’ai tenu à consigner les traces de quelques expériences marquantes. Sans doute pas les plus importantes, car être chômeur, en apprend plus et inflige des leçons bien plus essentielles, que la réussite dans d’autres domaines.

 

 

La troisième, c’est que la jeunesse de la Réunion a besoin de s’engager pour l’avenir de notre île. Certains le font déjà, le renouvellement de la classe politique en atteste, et c’est une très bonne chose, mais d’autres font preuve de résignation et de fatalisme, ce qui est une erreur de mon point de vue. Nous avons franchi des étapes extraordinaires en un peu plus de 300 ans d’histoire, mais peut-être, l’essentiel reste à construire. L’engagement citoyen reste un défi fondamental que les générations actuelles se doivent de relever avec ardeur, courage et enthousiasme. Beaucoup d’injustices flagrantes et cachées continuent de pervertir le vivre-ensemble réunionnais, et sous des dehors de carte postale, notre société révèle des traumatismes et séquelles de périodes passées, qui nuisent à son développement et à son harmonie. La stratification socioprofessionnelle, les écarts scandaleux de revenus, le partage très biaisé des richesses, la stigmatisation des ethnies défavorisées, l’inégalité de traitement salarial, la non-valorisation culturelle de certaines civilisations d’origine de notre peuplement, autant de problématiques qui passées sous silence, ou très peu évoquées, provoquent désespoir, violence et marginalité.

 

Enfin, je soutiens que les femmes de notre île doivent prendre une part plus active dans la vie politique, intellectuelle, et culturelle, en termes de leadership, car détentrices des civilisations à traditions matriarcales telles que l’Inde, l’Afrique, la Chine, et les pays de l’océan Indien, Mayotte, Madagascar, Les Seychelles, Les Comores, Maurice et Rodrigues. L’évolution et l’émancipation féminines n’ont pas pour seul modèle l’Occident, avec les outrances et les déviations aisément repérables au quotidien.

 

Pour conclure, je souhaiterais que ces écrits soient sujets à la critique constructive, objets de débats publics, dans l’esprit réunionnais de partage, de confrontation et de tolérance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Philosophie

 

 

 

 

 

Éléments de la philosophie de l’hindouisme

 

 

 

Lundi 15 avril 2019

 

Au sein de la Bhagavad-Gita, Le chant du Seigneur, livre phare de l’hindouisme, nous pouvons distinguer trois grands Yogas pour réaliser l’union avec le Divin :

 

1) Le Bhakti-Yoga : le yoga de la dévotion, qui se traduit par le culte rendu aux divinités, que l’on vénère soit au temple, soit chez soi, et par extension, au sein de la Nature, qui est une création divine, qui reflète par sa perfection, l’équilibre du monde et de l’humain. Il est notable que les déséquilibres écologiques actuels font écho au malaise ressenti par l’humanité, qui a perdu les valeurs qui permettaient de s’aligner sur l’harmonie originelle. Le divin doit être recherché d’abord à l’intérieur de soi, puis l’extérieur devient lui-même divin. L’effort devient de plus en plus important pour ne pas amener une rupture définitive entre ce que nous sommes et ce qui nous entoure. La prière permet la reconnexion au grand Tout (Pakriti).

 

2) Le Karma-Yoga : le yoga de l’action, qui à notre époque représente le travail, rémunéré ou non, les initiatives pour supporter les plus faibles, soutenir le Dharma, « l’ordre cosmique », et sortir de la torpeur individuelle que représente le matérialisme et la recherche constante de plaisirs, au détriment du devoir moral et collectif. L’action bonne se caractérise par la non-considération des fruits de cette action, la gratuité, et l’abandon de tous les avantages liés à l’égoïsme, à l’enrichissement, et au devenir personnel. De cette manière, le dévot se rapproche du Pourousha (l’Être premier). Nous pouvons voir que le monde adopte, dans sa majorité, la démarche exactement inverse, ce qui rend difficile tout karma-yoga, et au progrès collectif substitue la volonté de se placer au-dessus des autres, dans un narcissisme juvénile.

 

3) Le Jnana-Yoga : le yoga de la connaissance, qui s’adresse à l’intellect et au progrès vers l’Atman (l’âme) et le Brahman (le principe universel), ce qui représente le savoir livresque, mais aussi l’abandon de tous les vasanas (impressions mentales) issus de la vie antérieure et de l’éducation erronée de l’enfance, la plupart du temps. Se délester des illusions de Maya (la tromperie des cinq sens) par l’étude, les austérités, la discipline, et la ferme intention de mourir en ayant progressé hors des attraits du monde, révèle une résolution de ne plus devoir s’incarner par épuisement du Karma actuel (loi de causalité qui engendre des actions aux conséquences néfastes ou gratifiantes). Ainsi, toutes les actions de la pensée, de paroles ou d’actes, fait rejaillir sur l’individu des retombées qui ne sont que l’apanage de ses choix.

 

Il est évident que la conjugaison de ces trois yogas dans une attitude méditative constitue l’unité nécessaire à l’évolution individuelle, et par extension, collective, puisque la société n’est que la somme des éléments qui la compose.

 

POUTTANDOU VAJTOUKKEL à l’ensemble de la population réunionnaise.

 

 

 

 

 

Actualité de la philosophie :

l’interdépendance, le bouddha

 

 

 

Jeudi 5 août 2021

 

L’interdépendance dans le bouddhisme est le principe selon lequel aucun objet, être, ou phénomène d’aucune sorte, n’existe indépendamment, seul, sans les autres. La vie, elle-même, est tributaire de facteurs essentiels, tels que l’eau, le soleil, l’oxygène, la terre, et pour revenir à nous, un homme ou une femme ne saurait perdurer sans les autres humains. Bien que l’enfer c’est les autres, selon la formule de Sartre dans Les mains sales, l’humanité ne dure que collectivement, et même l’individualisme occidental, très affirmé depuis trois siècles, avec l’émergence du sujet pensant, ne saurait survivre dans un environnement où le vivant ne trouverait plus sa place.

 

« Nous nous influençons tous mutuellement », soutient le bouddhisme, et chacun de nos actes portera des conséquences, à tel point que toute la théorie du karma est basée sur la loi de cause à effet, et nul ne peut échapper à la responsabilité de ses actions, ni en cette vie ni dans la prochaine, puisque la réincarnation servira à épurer tout ce que nous n’avons pas purgé en cette vie présente.

Le virus qui occupe l’actualité mondiale, nous en donne une illustration pertinente. Même si 3 milliards de doses vaccinales ont été injectées dans le monde aujourd’hui (OMS), la population mondiale étant de plus de 7 milliards, l’immunité collective est loin d’être atteinte. À une échelle moindre, si l’Europe parvenait à vacciner tous ses ressortissants (220 millions vaccinés, actuellement, la moitié, source Commission européenne), elle ne serait pas à l’abri, car tant que des non vaccinés circuleront, les mutations du virus se feront indéfiniment. Donc, plus que jamais, nous sommes interdépendants, et sur un territoire aussi restreint que la Réunion, 80 % de vaccinés reste le seuil à atteindre pour espérer se sortir de la spirale des variants.

 

Agissez bien, tout ira bien, agissez mal, tout ira mal.

 

Le 14e Dalaï-lama

 

 

 

 

 

Actualité de la philosophie :

Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979)

 

 

 

Vendredi 6 août 2021

 

Hans Jonas (1903-1993) est un philosophe allemand, qui est célèbre pour avoir développé le présupposé anthropologique suivant : l’homme est doté d’une part, de la connaissance, et d’autre part, de la liberté, c’est-à-dire de la possibilité d’agir de telle ou telle façon, il est responsable de son action, il ne peut s’y dérober.

 

Le bouleversement qu’il introduit est éthique, puisque la responsabilité est non réciproque, elle m’oblige à l’égard d’un avenir qui n’existe pas, et auquel je ne demanderai pas de compte. J’ai des devoirs envers les générations futures alors qu’elles n’ont aucun devoir vis-à-vis de moi. Jonas construit son « principe responsabilité » en complément de celui de Kant (voir actualité de la philosophie 1). L’impératif moral chez Kant était le suivant : « Agis toujours de telle façon que la maxime de ton action puisse être universelle » (Critique de la raison pratique). C’était une éthique au présent, alors que Jonas s’adresse à l’action future. La révolution est d’ordre aussi politique : « Le nouvel impératif s’adresse plus à la politique publique qu’à la conduite privée ». Les individus seuls sont impuissants à produire des effets concrets et efficaces. La politique devra, si elle veut éviter un suicide planétaire (destruction de la planète), intégrer dans son mode d’action, un temps long, qui est le temps par lequel la nature agit. Cela rend inévitables des décisions politiques d’ampleur, qui ne peuvent procéder que d’une concertation internationale et d’une vision partagée du bien commun.

Aujourd’hui, la responsabilité est présente et future. Que diront nos enfants si nous ne prenons pas la décision de nous vacciner, alors que la pandémie présente toujours plus de variants plus contagieux, et que la jeunesse est elle-même plus exposée qu’auparavant ? Serons-nous responsables de l’inaction présente, qui forcément se répercutera sur les générations futures par ignorance voulue (aveuglement) ou subie (théorie du complot) ? Il existe 11 vaccins obligatoires en France. Le seul élément contre celui du Covid est sa précocité, serons-nous suffisamment suspicieux pour tolérer des décès contre la nouveauté scientifique, qui prouve par les statistiques son efficacité ?

 

 

 

 

 

De l’utilité de la philosophie

 

 

 

Mercredi 15 juin 2022

 

Le 15 juin 2022, ce sera l’épreuve de la philosophie pour plusieurs milliers de jeunes qui passent une matière dont on peut mettre en cause la nécessité.

 

Effectivement, philosopher, c’est avant tout l’exercice de l’esprit critique sur tous les sujets importants qui font une vie humaine. Amour de la sagesse, étymologiquement, on peut se demander si l’utilité de cette compétence est indispensable dans notre quotidien. N’est-il pas plus opportun de maîtriser les savoirs d’un métier, qui rapporte un salaire, contribue à l’évolution de la société, et évite de réfléchir indéfiniment à d’obscures questions qui n’intéressent personne ?

 

C’est un autre enjeu qui est à l’œuvre dans la philosophie, celui principalement de ne pas accepter d’emblée des faits et des préjugés, dont aucun ne remet en cause, la validité et la réalité. Établir la critique de ce qui est communément accepté, ne pas opter pour l’opinion majoritaire, et surtout ne pas se soumettre à la domination, qu’elle soit idéologique, économique ou historique.

Vous l’aurez compris : utiliser sa raison, tout remettre en question, éviter les conditionnements, se forger une existence qui ne soit pas seulement une satisfaction de besoins naturels, voilà, l’importance d’une activité qui est aussi « apprendre à mourir » (Montaigne, Les Essais).

 

 

 

 

 

Manifeste

 

 

 

Une association pour développer la philosophie à La Réunion

 

Pourquoi et pour quoi la philosophie en nos temps ? Pour qui et avec qui ? N’est-elle pas inutile, ringarde, passéiste, réactionnaire ? Ces accusations ne sont pas nouvelles, puisque nous les trouvons déjà dans la bouche du sophiste Calliclès.

 

Cependant, la philosophie est nécessaire en temps de crise, quand beaucoup d’humains ont perdu le sens de leur existence, quand cette dernière est devenue une simple marchandise, livrée à la loi mécanique du tout-marché. Dans cette abomination de la culture, l’humain se perd.

 

Il appartient à la philosophie de montrer les mécanismes de cette perte, et d’en proposer le remède. Ce remède passe par la pensée. Penser, c’est s’interroger, se questionner, c’est aussi peser, juger. Il n’y a pas de pensée véritable sans une exigence éthique qui l’anime.

Mais la philosophie ne doit pas tomber dans un moralisme impuissant. Le philosophe a les mains pures, mais il n’a pas de mains, disait-on. Le supposer, c’est méconnaître la dimension performative de la parole, de ce qui est dit et écrit. Toute expression d’une idée engage un rapport à l’autre dans son déploiement effectif, elle engage notre responsabilité devant autrui.

C’est pour cela que les régimes totalitaires emploient tous les moyens pour que les opposants se taisent. Le totalitarisme peut prendre des formes dures, mais aussi des formes molles, insidieuses, masquées, comme lorsqu’on serine l’antienne qu’il n’y a pas d’autres choix possibles.

 

Et la philosophie ne peut et ne doit pas se limiter à une civilisation donnée, mais se constituer comme l’expression des multiples représentations du monde. Longtemps l’ethnocentrisme occidental a imposé la Grèce comme berceau de la philosophie. Il s’agit de rompre avec cette vision limitative de l’esprit.

 

Il y a une urgence de nous remettre à penser. C’est pourquoi nous invitons toutes celles et tous ceux qui – quelle que soit leur formation initiale – partagent les mêmes préoccupations que nous à joindre leurs forces intellectuelles afin de créer une association visant à développer la philosophie en terre réunionnaise pour mieux nous connaître, mieux comprendre notre réalité et, si possible, construire un projet pour mieux vivre ensemble.

 

Radjah Véloupoulé

Bernard Pitou

Brigitte Croisier

Lucien Biedinger

 

 

 

 

 

Se changer, changer le monde,

Christophe André, Jon Kabat-Zinn, Pierre Rabhi, Mathieu Ricard, un ouvrage paru aux Éditions L’iconoclaste en 2013

 

 

 

Vendredi 5 août 2022

 

Quatre auteurs de premier plan, chacun dans son domaine, proposent à chacun d’entre nous, de mettre en application la célèbre citation du Mahatma Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».

 

Ainsi, Christophe André, psychologue, Jon Kabat-Zinn, professeur de médecine, Pierre Rabhi, agriculteur écologique, et Mathieu Ricard, moine bouddhiste, expliquent que le vrai changement pour sortir de la crise mondiale actuelle, consiste à adopter dans sa vie quotidienne, les solutions qui sont exposées, pour améliorer l’état de notre planète.

Que ce soit par l’adoption de la méditation, de la prise de conscience éveillée, de la culture et de la consommation raisonnée en matière d’alimentation, de la nécessaire interdépendance entre la nature et l’humanité, nous sommes conviés à une réforme de notre être au monde, car :

 

Le changement global ne pourra venir que par le changement humain. Si l’être humain ne change pas, rien d’autre ne pourra changer.

 

Pierre Rabhi, p.127

 

 

 

 

 

L’euthanasie, sans passion

 

 

 

Samedi 24 septembre 2022

 

C’est le sujet le plus grave de la condition mortelle. Tous les êtres vivants doivent mourir. Mais comment ?

 

L’humain est le seul être mortel à pouvoir choisir sa mort. Cela est unique au niveau de la nature. Donc la question est simple : ai-je le droit de choisir ou dois-je me plier au déterminisme, qu’il soit pathologique, religieux, ou de la loi en vigueur ?

La réponse interpelle la liberté humaine. Est-ce que je mets ma liberté au service de la loi, ou, dans ce cas précis, je peux m’octroyer une décision personnelle ?

C’est une question philosophique. Pour ma part, je veux rester libre jusqu’au bout. Si je décide de mourir, j’ai le droit de le faire, car mon état de santé le justifie. Si je ne peux plus assurer mes fonctions vitales, les plus élémentaires comme ne plus pouvoir respirer, me nourrir, et surtout, ne plus être en mesure de choisir la vie que je veux mener, je suis libre de partir de cette vie.

Évidemment, beaucoup d’arguments me seront opposés : quelles limites à ce vouloir vivre, dans quelle mesure peut-on dire que quelqu’un n’est plus en mesure de choisir sa vie ? Pour cette raison, je pense que la signature d’un accord pour mettre fin à des souffrances, de la part du malade, est la condition indispensable dans la plupart des cas, et dans les autres, que le médecin puisse exprimer son avis, et que la famille puisse confirmer.

Je serai toujours du côté de la liberté du sujet, surtout en ce qui concerne les derniers instants de cette ultime décision. Une vie est toujours l’occasion de multiples soumissions, puisse la mort pouvoir échapper à cette dernière servitude.

 

 

 

 

 

Ce qui reste est comme une pépite d’or,

Christian Bobin

 

 

 

Mercredi 30 novembre 2022

 

Christian Bobin est décédé vendredi 25 novembre à l’âge de 71 ans. C’est un poète qui s’en est allé, au sens où la poésie transforme la vie, et l’embellit, même dans la douleur. Plutôt qu’un article hommage, j’ai préféré laisser la parole à celui qui continuera de transformer la vie de tous ses lecteurs futurs :

Nous sommes sans arrêt confrontés à des séparations. La vie a une main qui plonge dans notre corps, se saisit du cœur et l’enlève. Pas une fois, mais de nombreuses fois. En échange, la vie nous donne de l’or. Seulement, nous payons cet or à un prix fou puisque nous en avons, à chaque fois, le cœur arraché vivant…

Chaque séparation nous donne une vue de plus en plus ample et éblouie de la vie. Les arrachements nous lavent. Tout se passe, dans cette vie, comme s’il nous fallait avaler l’océan. Comme si périodiquement nous étions remis à neuf par ce qui nous rappelle de ne pas nous installer, de ne pas nous habituer. La vie a deux visages : un émerveillant, et un terrible. Quand vous avez vu le visage terrible, le visage émerveillant se tourne vers vous comme un soleil.

Il reste d’une personne aimée une matière très subtile, immatérielle qu’on nommait avant, faute de mieux, sa présence. Une note unique dont vous ne retrouverez jamais l’équivalent dans le monde. Une note cristalline, quelque chose qui vous donnait de la joie à penser à cette personne, à la voir venir vers vous. Comme la pépite d’or trouvée au fond du tamis, ce qui reste d’une personne est éclatant. Inaltérable désormais. Alors qu’avant votre vue pouvait s’obscurcir pour des tas de raisons, toujours mauvaises (hostilités, rancœurs, etc.), là, vous reconnaissez le plus profond et le meilleur de la personne. Toutes ces choses impondérables, qui rôdent dans l’éclat d’un regard, passent par un rire, par des gestes, qui faisaient que la personne était unique, reviennent à vous par la pensée.

Mon père, mort il y a maintenant 13 ans, n’arrête pas de grandir, de prendre de plus en plus de place dans ma vie. Cette croissance des gens après leur mort est très étrange. Comme si la vie ne finissait pas, comme si elle était un livre dont aucun lecteur ne pourra jamais dire : « Ça y est, je l’ai lu. » La vision de mon père change avec le temps, tout comme moi-même je change.

Ceux qui ont disparu mêlent leur visage au nôtre. Nous sommes étroitement liés, souterrainement, dans une métamorphose incessante. C’est pourquoi il est impossible de définir aussi bien la vie que la mort. On ne peut que parler d’une sorte de flux qui sans arrêt se transforme, s’assombrit puis s’éclaire de façon toujours surprenante. La mort a beaucoup de vertus, notamment celle du réveil. Elle nous ramène à l’essentiel, vers ce à quoi nous tenons vraiment. »

 

Entretien avec Christian Bobin,

extrait du numéro spécial de La Vie : Vivre le deuil

 

 

 

 

 

Un homme, une vie, une œuvre

Hommage à Christian Bobin

 

 

 

Mercredi 30 novembre 2022

 

Christian Bobin est né en 1951, dans Le Creusot, en France. Après des études de philosophie, il fut bibliothécaire, guide de musée, et devient rapidement un écrivain reconnu, auteur d’une soixantaine d’ouvrages, qui relève autant de la poésie que de la philosophie. Ce philosophe et poète se révèle unique en son genre, tellement son style, ses thèmes de prédilection, son lyrisme, émeuvent et bouleversent un public grandissant.

Les livres sont des âmes, les librairies des points d’eau, dans le désert du monde. Les lettres manuscrites sont comme les feuilles d’automne, parfois un enfant ramasse l’une d’elles, y déchiffre l’ampleur d’une vie en feu, à venir. Ce qui parle à notre cœur-enfant est ce qu’il y a de plus profond. J’essaie d’aller par là. J’essaie seulement. (Un bruit de balançoire, éd Folio, L’iconoclaste, 2017).

J’ai fait connaissance avec Christian Bobin par un pur hasard, si tant est que le hasard existe, en déambulant dans une librairie, et le titre d’un modeste ouvrage, par son nombre de pages, attira mon attention : La plus que vive, et jamais plus cet auteur ne m’a laissé indifférent. Personnellement, je le rapproche d’Albert Camus, dans ses pages les plus lyriques (Le premier homme) et de René Char (Fureur et mystère).

Les puristes risquent de crier au scandale. Peu m’importe, la vie n’est plus tout à fait la même après une de ses phrases :

 

Je rêve d’une écriture qui ne ferait pas plus de bruit qu’un rayon de soleil heurtant un verre d’eau fraîche.

C’est que je crois qu’il est vital aujourd’hui de prendre le contre-pied des tambours modernes : désenchantement, raillerie, nihilisme. Ce qui nous sauvera, si quelque chose doit nous sauver, c’est la simplicité inouïe d’une parole.

 

Christian Bobin, ou la splendeur de la simplicité

 

 

 

 

 

 

Civilisation ou barbarie ?

 

 

 

Ce titre d’un livre de Cheik Anta Diap (Éditions Présence Africaine) correspond bien à une situation que nous vivons aujourd’hui à La Réunion, suite à la profanation de tombes dans un cimetière à Saint-Pierre.

 

En effet, comment une société qui ne respecte plus ses sépultures, donc une partie de son espace sacré, pourra-t-elle envisager son avenir, et surtout faire perdurer le respect inhérent à sa progression ?

Un élément de réponse proviendra sans doute du manque de transcendance, de repères, de valeurs, qui caractérisent aujourd’hui les sociétés occidentales. Le matérialisme, tenant lieu d’idole, génère des conduites et des comportements qui érigent chacun en propre créateur de ses références. Or, l’humanité n’est pas une espèce animale qui survit dans un espace dénué de lois (sauf celle de la chaîne alimentaire), mais se doit d’établir une morale élémentaire qui consiste à réfléchir à sa propre fin. La mort est le facteur qui laisse le moins de place à l’inégalité parmi les hommes et les femmes, car chacun sait, ou devrait savoir (l’aveuglement dans ce domaine est patent) que l’existence est une école qui « prépare à mourir » – Montaigne. De cette lucidité surgiront nécessairement le recul, la distance, le détachement, vertus oubliées dans notre société obsédée par la vitesse et le profit.

 

Que ces profanations aient été effectuées par des jeunes ou des moins jeunes, l’important n’est pas là. Ce qui inquiète, c’est la marge de violence que nous autorisons en termes physique, psychologique et éthique, sans que nous en prenions conscience. Ce qui inquiète, c’est la détresse animant ces humains, pour qui le mot « Civilisation » ne doit plus exister. Ne laissons pas le nihilisme nous submerger, et retrouvons dans notre tradition réunionnaise, constituée de toutes nos valeurs ancestrales, ce qui nous élève, nous fait coexister, et non nous rabaisser dans une « Barbarie » située au-dessous de l’animalité.

 

 

 

 

 

Vers une civilisation de l’empathie

 

 

 

Samedi 17 décembre 2016

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, au vu de l’actualité, l’Homme n’est pas naturellement agressif, matérialiste, utilitariste, et égoïste. Nous nous trouvons actuellement à l’aube d’une étape cruciale, qui devrait marquer l’avènement d’une conscience marquée par l’empathie, cette faculté de s’identifier à autrui, de le considérer comme soi-même, et prendre en compte les intérêts de chacun, à générer altruisme et coopération.

 

Ceci n’est pas la dernière dérive d’une secte anonyme, mais la thèse défendue par le très sérieux Jérémy Rifkin, développée dans son livre Une nouvelle conscience pour un monde en crise (Éditions Les liens qui libèrent, 2011). Conseiller de l’Union européenne, et de nombreux chefs d’États, président de la Fondation sur les tendances économiques, auteur de plusieurs best-sellers dont Le rêve Européen, ou La fin du travail, le penseur américain retrace avec précision et brio la grande fresque des mutations pluridisciplinaires de la civilisation humaine ou serait à l’œuvre la conscience altruiste, et ce, dans des domaines aussi variés que la philosophie, l’économie, les sciences, l’environnement, le religieux, sans que l’on ait identifié ce facteur récurrent au cours des siècles.

 

Il existe aujourd’hui une déconnexion entre notre vision pour la planète et notre aptitude à la concrétiser. Nos cerveaux, nos structures mentales, nous prédisposent à une façon de ressentir, de penser et d’agir dans le monde qui n’est plus adaptée aux nouveaux contextes que nous nous sommes créés.

 

Il s’agit de faire une révolution semblable à celle des Lumières au XVIIIe siècle. Nous nous trouvons dans une « période dramaturgique », apparue au XXIe siècle, marquant la rupture avec l’âge mythologique (Antiquité), théologique (Moyen-Âge), idéologique (XVIIIe et XIXe siècles) et psychologique (XXe siècle).

 

Toutes les sphères du savoir et de la technique sont concernées. De plus en plus complexes, nos sociétés accélèrent notre marche vers l’épuisement des ressources naturelles, tandis que le monde interconnecté nécessite une empathie universelle, amenant une interprétation nouvelle du sens de l’existence humaine. « Le capitalisme distribué » marque la troisième révolution industrielle naissante.

 

La démonstration est brillante, réaliste et convaincante. Loin de la pensée défaitiste, contaminée par la morosité ambiante et incertaine, l’auteur nous offre une perspective qui n’est pas sans rappeler celle de Mathieu Ricard avec « plaidoyer pour l’altruisme ». Deux visions qui font confiance à l’humain et nous éloignent du cynisme désespéré d’une certaine élite. Bonne lecture.

 

 

 

 

 

La prise de conscience, Descartes

 

 

 

 

Philosophe français du XVIIe siècle, Descartes s’est livré à un exercice célèbre : il décide de se détourner de toute forme de savoir susceptible de l’induire en erreur. L’enseignement, les autres, les informations, les cinq sens qui peuvent nous tromper (la ligne d’horizon, le ciel bleu), le rêve nocturne, erreur de raisonnement, bref tout cela n’est jamais sûr totalement. Que reste-t-il au bout de ce doute radical ? Le fait que je pense, donc la réalité de ma conscience.

D’où le fameux : « Je pense, donc je suis. »

 

Cependant, ma conscience, de quoi est-elle composée ? De mon vécu, de ma mémoire, de mes opinions, de mes convictions, en un mot, de ma subjectivité. Prenons un cas du quotidien : une Pandémie apparaît, avec plusieurs mutations, et l’État déclare qu’il faut se vacciner, pour éviter les formes graves pour moi, mais aussi pour protéger les autres, car ce virus est très contagieux.

 

Comment juger en conscience ?

 

Si la conscience morale me laisse de marbre, car peu importe les autres, pourvu que moi je ne sois pas mis en danger par ce vaccin découvert en un an, donc je m’abstiens, absolument. Cependant, survient un événement imprévisible : mon père ou ma mère, à qui je rends visite régulièrement, devient positif au virus, et comme je suis la seule personne qui leur rend visite, je deviens le seul facteur de contagion. Autre cas de figure, je suis moi-même positif, et me retrouve en réanimation, occupant un service surchargé.

 

Que me dira ma conscience ?

 

C’est ce que l’on appelle une prise de conscience, tardive, peut-être, mortifère.

 

 

 

 

 

Allocution d’ouverture à l’occasion

de la Conférence du professeur N’diaye

sur la philosophie africaine

 

 

 

Jeudi 21 décembre 2006

 

C’est un grand plaisir, au nom du Président du Conseil Régional, monsieur Paul Vergés, de vous souhaiter la bienvenue au sein de cet hémicycle, pour commémorer l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage, il y a de cela 158 ans. C’est aussi un honneur de recevoir, Monsieur le Professeur Aloyse Raymond N’Diaye, actuellement chargé de mission auprès du Recteur de l’Université C.A. Diop de Dakar et qui fut pendant 14 ans, Vice-Recteur à la régionalisation à l’Agence Universitaire de la Francophonie à Montréal. La liberté, que nous fêtons cette semaine, est un concept difficile à cerner. Pour que ce concept puisse se développer dans toutes ces dimensions, il est évident que le statut juridique, légal et institutionnel est absolument nécessaire. Cela a été le fruit d’une longue lutte pour le peuple réunionnais qui, en trois cents ans d’histoire, après avoir subi les pires traumatismes, a su revendiquer, et obtenir ce statut, qui faisait de chaque habitant, non plus un « meuble », mais un être humain à part entière. Le combat ne s’est pas arrêté là, il a continué encore un siècle, pour que, en 1946, le rang de citoyen de la République soit octroyé aux descendants de celles et ceux qui avaient donné leur sang pour enrichir l’Empire esclavagiste, colonial, et assimilationniste.

 

Aujourd’hui, en 2006, on pourrait penser que ce concept de liberté est acquis. Ce n’est certainement pas une évidence, car la liberté, en même temps que politique, se décline évidemment sur le plan psychologique, intellectuel, et spirituel. Chacun doit pouvoir se sentir libre dans ses choix, ses prises de position, délesté des séquelles coloniales, et dans l’expression de sa vision du monde. Ici, à La Réunion, cette vision du monde se nourrit, se construit et s’organise à la confluence de six civilisations, qui à travers les méandres de l’histoire, ont su, non pas s’exclure, mais s’interpénétrer pour aboutir à une société communielle, en opposition à une société communautaire, voire communautariste.