Personnage(s) - Elisabeth Molina - E-Book

Personnage(s) E-Book

Elisabeth Molina

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  • Herausgeber: Tourments
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Georges est un brillant avocat à qui tout réussit. Pourtant, un jour, un simple doute lui fait prendre conscience que tout ce qu'il a construit peut disparaître. À la recherche d'explications, il se rend compte que des zones d'ombre concernant son existence subsistent. En quête de vérité, il décide de mener une enquête sur lui-même et sa vie va être mise à rude épreuve.

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Élisabeth MOLINA

CHAPITRE I

Prénom : Georges

Nom : Borgès

Âge : 47 ans

Profession : avocat

Situation personnelle : marié, 2 enfants

Sport : vélo, footing

Santé : très grande forme physique et morale

Adresse : …

Téléphone : …

J’aurais pu mieux me présenter, de manière plus littéraire, moins télégraphiée. Mon prénom Georges fut choisi par ma mère, véritable fan du chanteur Georges Brassens. Elle a toujours considéré ses mélodies et ses textes comme autant de chefs-d’œuvre poétiques. Je me souviens l’entendre dire combien elle admirait sa manière si spéciale de composer une grande partie de son répertoire. Elle racontait alors, avec une lueur dans les yeux comme si elle l’avait vu faire, comment Georges Brassens créait les rimes des textes en scandant le rythme de la main sur un coin de table. Pour elle, ce qui faisait son originalité est qu’il était un homme à part qui ne se fondait pas dans le moule comme tant d’autres artistes. L’exemple qui illustrait cette idée est qu’il ne respectait pas vraiment les règles précises de l’écriture musicale. Ma mère me répétait cette belle formule que j’ai gardée dans ma tête et dans mon cœur : « N’hésite pas à te démarquer des autres et sache quand il faut enfiler l’habit de monsieur tout le monde ou au contraire ne pas te fondre dans la masse ».

Je peux aussi continuer mon descriptif de la manière suivante : je suis né au printemps, un jour de pluie qui fut ensoleillé par ma venue tant attendue. Je fais un métier qui m’a attiré dès mon plus jeune âge où l’injustice me mettait dans un tel état de révolte que j’étais persuadé que la défense des plus démunis serait le seul remède pour me sentir accompli et serein. Ma femme fut mon premier amour comme je me l’étais imaginé dès que j’ai commencé à m’intéresser à la gent féminine. Je suis tombé amoureux dès le premier regard. Partager ma vie avec elle était le plus beau cadeau : elle était belle, douce, brillante, à la fois fragile et forte, aimante, compréhensive, touchante, passionnée et son magnifique sourire guérissait toutes les contrariétés quotidiennes. Nous avons eu deux enfants merveilleux à l’image de notre amour, ils nous ont comblés de bonheur.

On peut trouver plusieurs façons de se présenter, aussi différentes les unes que les autres mais une seule identité est possible. Donner un nom c’est donner la vie. Je suis et serai toujours une seule et même personne. C’est du moins ce que j’ai toujours cru jusqu’à ce fameux jour où j’ai commencé à avoir la sensation de sortir de mon propre corps et voir un inconnu face à moi. Pourtant tout semblait parfait, si parfait… Et puis, un jour j’ai découvert la vérité … la vérité sur mon existence, sur ma véritable existence. J’ai compris alors que je m’étais menti à moi-même. Je ne suis pas plus fort qu’un autre. Comme tout le monde j’ai voulu que les choses soient autre chose, et j’ai préféré ne pas voir ce qu’elles étaient réellement. Je me suis inventé un monde, je me suis déguisé avec des vêtements que je n’avais pas choisis librement, mes gestes étaient contrôlés par une force supérieure comme si mon corps était tenu par des ficelles tel un pantin. Plusieurs questions se sont bousculées dans ma tête : ai-je existé avant ? Aurai-je droit à une autre vie après la mort ? Suis-je réellement libre dans mes choix ? Qui décide à ma place ? Qui dirige ma vie ?

Je n’ai pas fait part de ce soudain mal-être à ma femme. J’ai peur qu’elle me prenne pour un fou. Je ne lui ai jamais rien caché mais d’un côté, je ne saurais pas par où commencer et d’un autre, je préfère trouver les réponses à mes questions avant de la tourmenter. Cette confession doit donc rester secrète et je compte sut toi, lecteur, pour repérer les indices nécessaires tout au long de ce récit qui m’aideront à combler les lacunes sur ma propre existence.

***

Ces réflexions sont récentes et partent d’un événement tout à fait banal qui a eu lieu le mois dernier. Je marchais tranquillement dans la rue avec Rodolphe Bioy, mon meilleur ami, nous étions sur le chemin du retour. Tous les week-ends nous avons pour habitude d’aller nous promener. Nous n’habitons pas très loin et le point de rendez-vous est toujours le même, à l’entrée d’un parc.

— On remet ça la semaine prochaine Georges.

— Avec plaisir.

— Passe le bonjour à Elsa.

— Je n’y manquerai pas.

— …

Rodolphe fronce les sourcils en regardant derrière mon épaule. Je me retourne et vois un vieillard qui titubait sur le trottoir ; il avait la main sur le cœur et l’autre main contre le mur tenait son poids qui semblait lourd.

— Il est à deux doigts de faire un malaise.

Nous nous dirigeons aussitôt vers lui pour l’aider. Il semblait retrouver peu à peu son souffle.

— Je vous remercie messieurs de votre attention.

Cette remarque m’a fait quelque peu de la peine car je me suis rendu compte que, bien souvent, nous oubliions les personnes âgées.

— Nous pouvons vous ramener chez vous si vous voulez, propose Rodolphe.

— C’est gentil, j’habite juste au bout de la rue.

Nous l’avons accompagné jusqu’à la porte d’entrée de son immeuble. Il a appuyé sur le bouton droit de l’interphone, au rez-de-chaussée.

— C’est moi.

La porte s’est ouverte. On a aperçu rapidement l’intérieur du bas. Un chantier, en pleine rénovation, à vrai dire on avait du mal à savoir s’il s’agissait d’une construction ou d’une destruction.

Le vieil homme nous remercie et nous fait un geste de la main quand nous tenons la porte d’entrée pour nous indiquer gentiment que nous ne devons pas le suivre. De l’autre côté de la vitre, le vieillard m’a dévisagé. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être que je lui rappelais quelqu’un. J’ai toujours eu la fâcheuse manie de vouloir tout interpréter, ce doit être mon côté littéraire. Mais en général, je ne me pose pas ce genre de questions non plus, je ne tergiverse pas et tranche assez vite. Je reste quand même persuadé que le regard peut quelquefois en dire plus long que des mots. Et ces yeux semblaient vraiment vouloir me révéler quelque chose.

Je suis rentré chez moi. Ma femme et l’étude d’un dossier pour une nouvelle affaire ont vite accaparé mon temps. Les enfants ayant grandi et quitté la maison, ma vie tournait à présent autour de mon épouse et de mon travail. Notre rythme continuait à être effréné, ce qui laissait peu de temps à la réflexion sur des sujets considérés comme anodins. Pourtant, ce vieil homme continuait à m’interloquer.

***

Sans vouloir me vanter, en vingt ans de carrière je n’ai perdu que deux procès. Pour ma part, il s’agit de deux fois de trop. J’ai horreur de l’échec. En même temps, vous me direz, qui n’aime pas réussir ? Le plus pénible pour les familles des victimes est l’attente. La justice est malheureusement bien longue et même si le jour du verdict apaise les esprits, le deuil est loin d’être fini. Afin de prendre de la distance je me concentre sur un numéro, j’essaie d’oublier le nom des plaignants que je remplace par l’affaire numéro 10 par exemple. Mais depuis quelques temps, je ne sais pourquoi, c’est la liste des noms de ceux que j’ai défendus qui s’énumèrent dans ma tête comme si seulement en les citant je souhaitais leur donner vie.

Pendant que le jury délibère en privé, je lance un regard à celui qui se tient à mes côtés et me retourne pour en faire de même à l’assemblée. Ils comprennent dans mon regard que je connais déjà la décision du jury. En observant la salle, je me rends vite compte d’une certaine mise en scène, la tension est palpable. Tout le monde se lève et écoute avec attention le jugement prononcé par les juges. Toujours la même formule : « Dans l’affaire… coupable... Non coupable… ». Et puis vient ce seul rapprochement que j’accepte : chaque membre de mon camp me prend dans les bras pour me remercier. Je ne me lasse pas de ce genre de gestes.

Lorsque je rentre chez moi, ma femme me dit cette même phrase : « Alors, tu as gagné ? ». Ce n’est pas vraiment une question car elle connaît la réponse. Aujourd’hui, quand j’y réfléchis, je trouve ce terme curieux : « gagné ». On parle de victoire alors qu’il y a eu des agressions, des tourments ou des morts. Tout le monde a envie de rendre justice et de faire payer les malfaiteurs. Mais, au fond, on sait que cela ne fera pas revenir la ou les victimes. Si seulement il était possible de toujours anticiper pour éviter le drame et réécrire l’histoire pour que la fin soit heureuse.

Quand j’ai commencé dans le métier, je ne me suis pas posé toutes ces questions. J’ai juste avancé avec ce désir de gagner pour assouvir mon ambition. Ensuite, j’ai pris mon travail pour un gagne-pain qui permettait de mettre à l’abri ma femme et mes enfants. J’allais à l’essentiel : j’ai gagné, c’est bon pour ma réputation et cet argent me servira à faire de beaux cadeaux à mon entourage et à payer les factures. Je ne sais pas si ce genre de pensées fait de moi quelqu’un de moins humain. 

Dès qu’un procès finit, je me concentre sur l’affaire suivante pour tenter d’oublier la précédente. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour éviter de déprimer. En général, je revois le soir même le résumé d’un film défilant dans ma tête qui raconte l’histoire de ces gens que j’ai défendus et le lendemain matin tout s’efface pour laisser place à un nouveau scénario. Les seuls moments où je reviens en arrière c’est lorsqu’un nouveau cas ressemble à un autre déjà traité. Je me sers donc de cette expérience pour résoudre plus vite le litige. Cela me permet de gagner du temps, comme si je devais rendre des comptes à mon supérieur dans un moindre délai.

Ce soir-là, en revanche, après avoir fêté avec ma femme cette nouvelle victoire, je ne me suis pas endormi avec l’image de ce dernier procès. Le visage qui est apparu dans mon rêve avec ce regard intense était celui d’un individu que je n’avais croisé qu’une seule fois : ce vieil homme dans la rue qui avait eu un malaise. Il me fallait résoudre cette énigme en essayant de mieux lire dans ses yeux ou en discutant avec lui. Qui était-il ?

***

Le week-end suivant, nous nous sommes retrouvés avec Rodolphe pour notre promenade habituelle. J’ai engagé assez rapidement la conversation autour du sujet intéressé.

— Tu te souviens de cet homme croisé dans la rue il y a quelques jours qui se sentait mal ?

Rodolphe semblait chercher dans sa mémoire.

— On lui avait proposé de le ramener chez lui. L’immeuble où il habitait se trouvait juste au bout de la rue, à quelques mètres.

— Ah oui, je vois.

— Je sais pas trop pourquoi mais j’ai eu envie d’aller prendre de ses nouvelles, juste comme ça.

— Et… ?

— Je suis allé sonner.

— Il allait mieux ?

— Personne n’a répondu.

— Il était peut-être sorti ?

— Un vieillard de 80 ans sort rarement après 10h du soir…

— Pourquoi t’es passé si tard ?

— Je ne sais pas…

— Il a peut-être déménagé.

 — Je ne pense pas…

 — Qu’est-ce que tu en sais ?

— C’est bizarre, j’ai une drôle d’impression ?

— Ah bon, quoi donc ?

— Tu vas me prendre pour un fou…

— Dis toujours, m’a encouragé mon meilleur ami.

— Pour moi, il n’a jamais existé…

— Qu’est-ce que tu racontes ?!

— Tu n’as jamais eu la sensation que tu n’étais plus maître de tes actes…

— Non.

— … comme si quelqu’un d’autre tirait les ficelles.

— T’as mal dormi ou quoi ? a plaisanté Rodolphe.

— Au contraire, j’ai l’impression de m’être réveillé …

— Ouh la, ça m’a l’air de bien travailler dans ta tête !

D’habitude, tu es plutôt terre à terre et tu ne te poses pas ce genre de questions.

— J’ai peut-être changé.

— On change tous plus ou moins mais là, je ne comprends pas trop ton mode de fonctionnement.

— Parce qu’il est différent de celui que j’ai l’habitude de te montrer.

— Il est surtout plus rassurant. Là, j’ai du mal à te suivre.

— Ce n’est pas grave, laisse tomber, oublie ce que j’ai dit.

— T’es bizarre.

CHAPITRE II

Il pleut abondamment. Je regarde le ciel qui n’est ni gris ni blanc mais bleu. C’est étrange, le tonnerre ne gronde pas et l’eau qui tombe semble artificielle. Je suis debout, derrière la fenêtre du salon. J’observe un élément naturel qui me fait m’interroger sur l’univers qui m’entoure et que je semble découvrir pour la première fois. Dans ce ciel, je vois un soleil mais aussi une lune. Que se passe-t-il dehors ou plutôt dans ma tête ? Je divague ? Je regarde ma montre : 12h ou minuit ? Quelques longues minutes plus tard, je vérifie l’heure. L’aiguille n’a pas bougé. La pluie continue à tomber sans faire de bruit et quand elle s’arrête, j’entends le vacarme des trombes derrière moi.

— Ça va ?

Je sursaute. Je n’avais pas remarqué la présence de ma femme apparue comme un fantôme. Aucun mot ne sort de ma bouche. 

— Tu as l’air ailleurs, fait-elle remarquer.

Je suis pourtant bien ici.

— On va manger ? Il est plus d’une heure.

Ouf ! Le temps ne stagne plus. Nous nous mettons à table. Le repas paraît appétissant. D’ordinaire, j’aurais dit que ça sentait bon mais je n’ai aucune odeur. L’un en face de l’autre nous entamons la conversation. J’entends ce qu’elle me dit alors que ses lèvres ne bougent pas d’un millimètre, comme si je rentrais dans son esprit. J’ai envie de fermer mes yeux pour éviter qu’elle ne lise ma détresse. Pourquoi suis-je dans cet état ? Ce doit être la fatigue ou le surmenage. Passons.

***

J’étudie un nouveau dossier dans mon cabinet d’avocat. A chaque nouveau cas traité, je me pose toujours la même question : comment ces assassins en sont arrivés là et pourquoi ? Le simple fait que je me pose la question sans pouvoir y répondre avec exactitude prouve la difficulté de rendre compte d’une réalité qui paraît insaisissable. Ce constat me déstabilise. Les mêmes explications reviennent : enfance meurtrie avec un parent violent, mauvaises fréquentations, harcèlement, peur de l’abandon, folie… Je représente la partie civile. L’affaire concerne la vie d’une jeune femme Armande COMTE, maîtresse de son meurtrier. Quand elle décide de le quitter, un dernier rendez-vous permet à l’amant d’assassiner la traîtresse d’un coup de marteau à la tête puis d’un coup de couteau à la gorge. La scène de crime n’est pas belle à voir. Les arguments donnés par la partie adverse seront certainement les suivants : la question de la dignité ou de l’amour propre. J’ai vérifié la mauvaise réputation de l’accusé contre lequel plusieurs plaintes ont été retenues. Lorsqu’on rencontre une personne, on cherche tout d’abord à savoir qui il est ; mais comment peut-on connaître réellement un être ? Quelle est sa vérité morale ? Deux réactions sont à prévoir de la part de l’accusé : soit il nie en bloc, soit il avoue. Je me souviens d’un homme qui s’était rendu auprès de la justice pour avouer ses deux crimes. Il avait annoncé : « J’ai raconté toute la vérité ». Tout le monde connaît la signification du terme « vérité ». En revanche, l’utilisation du mot « tout » peut sembler exagérée car on sait rarement tout. Je ne peux donc, dès le départ, que mettre sa parole en doute. D’ailleurs, quand il déclare qu’il va « raconter » son histoire on peut se dire qu’il va inventer. Bref, on nous mène souvent en bateau.

J’ai beaucoup de mal à ressentir de la compassion pour le meurtrier qui cherche souvent un coupable pour expliquer son geste à la fois ferme, pitoyable et désespéré, comme s’il avait eu besoin de se libérer d’un poids ou de se délivrer de ses angoisses insupportables. La partie adverse explique quelquefois ce geste par le désir d’évacuer une certaine haine. Si c’est le cas, il y a franchement d’autres moyens de se sentir apaisé ! On peut rechercher les réponses dans le passé ou l’entourage mais il n’est pas certain que l’on obtienne toutes les réponses. Le doute est toujours maintenu.

Et c’est de ce doute-là dont je n’arrive plus à me défaire depuis quelque temps concernant ma propre existence…   

***

J’ai toujours eu une excellente mémoire. Pourtant, aujourd’hui, je n’arrive pas à me souvenir pourquoi j’ai décidé de suivre des études de droit. J’ai la sensation d’avoir obtenu tout facilement dans ma vie et très rapidement : un travail, des amis, un mariage, des enfants, une maison. Je ne manque de rien. Mon destin semble avoir été tout tracé en l’espace de quelques heures seulement. Mon succès était écrit. Je devrais me sentir accompli et continuer ma vie aussi allégrement qu’auparavant mais je me heurte à quatre murs à l’intérieur desquels je suis enfermé. Cette forteresse m’empêche de respirer librement. C’est comme si du jour au lendemain ma vie pouvait m’échapper et effacer la moindre trace de mon existence. Au fond, on a tous un peu ce degré d’égocentrisme de vouloir laisser un peu de nous dans ce bas monde. Une sorte d’héritage qui nous rendrait immortel. J’ai cru au début que j’avais peur de mourir. J’ai même réussi à me persuader que j’étais atteint d’une maladie incurable. J’ai senti la fin toute proche. Je suis allé faire une prise de sang puis des examens plus poussés. En attendant les résultats, je me suis imaginé le pire : mal de tête, tumeur ; mal aux genoux, sclérose en plaques ; vision trouble, perte de vue sans oublier tous les types de cancer que j’aurais pu avoir et dont le pronostic révélerait une phase terminale. Mais rien. Je suis en excellente santé physique. Peut-être qu’à travers mon travail, à force de côtoyer la mort, celle-ci devient omniprésente dans ma vie ? Je crois que je réfléchis trop. Je ferais mieux de me mettre au travail.

***

« Une banquière de 30 ans a été retrouvée sur la route à quelques mètres de sa voiture. Suite à un accident, alors qu’elle rentrait chez elle la nuit, après avoir mangé au restaurant avec un ami puis avoir bu un verre dans son appartement, elle a appelé les pompiers. L’appel téléphonique de la jeune femme rend compte de l’angoisse que celle-ci a ressentie. La voix de ses agresseurs apparaît dans l’enregistrement… »

« UNE INQUIÉTANTE DISPARITION. Victime d’un piège sur internet, une jeune mère de famille de 29 ans est séquestrée et tuée. C’est la première fois qu’elle est convoquée pour faire des photos et devenir mannequin. Son rêve s’est transformé en cauchemar … »

« UN CADAVRE DANS LE GRENIER. Une famille est désespérée. Malgré les appels à témoins et les affiches placardées dans la ville, aucune trace du père de famille … »

« Un homme vient de mourir dans l’incendie de son magasin. L’autopsie révèle qu’il a été roué de coups, étranglé et poignardé avant d’être carbonisé …. »

« ET SI LA VICTIME ÉTAIT LE MEURTRIER ? Un homme appelle les pompiers. Sa voiture brûle et sa femme se trouve à l’intérieur. Rapidement l’homme est secouru et conduit à l’hôpital. Il dit avoir été victime avec sa femme d’un guet-apens. Mais l’autopsie est formelle. L’épouse était déjà morte lorsque l’incendie a éclaté … »

« UN SECRET TROP LOURD À PORTER. Une femme de 78 ans est retrouvée sauvagement tuée, le visage couvert d’ecchymoses, avec de multiples fractures et la tête presque décapitée. Les habitants du village soupçonnent l’entourage familial … »

Tueur en série …

Escroquerie à l’assurance vie …

Empoisonnement …

Meurtre à la ferme …

Ménage à trois mortel …

Jalousie criminelle …

Accident, la nuit, angoisse, agresseurs. Victime, piège, séquestrée, tuée, cauchemar. Cadavre, désespérée, appels à témoins, aucune trace. Mourir, incendie, autopsie, étranglé, poignardé, carbonisé. Meurtrier, pompiers, secouru, guet-apens, morte. Secret, ecchymoses, fractures, décapitée, soupçons. Meurtres, escroquerie, jalousie.

Toutes les affaires traitées tout au long de ma carrière se bousculent les unes après les autres. Pourtant, comme je l’ai affirmé auparavant, j’ai toujours eu pour habitude jusqu’à ce jour, d’oublier l’existence des personnes que j’ai défendues et attaquées. J’efface de ma mémoire les lieux, les visages, les mobiles des meurtres. Je m’enferme dans une bulle où aucun élément extérieur ne peut venir me perturber. Je me concentre ensuite sur une nouvelle affaire et j’avance sans me retourner. Je me répète, c’est pas bon signe. Depuis quelque temps un trop plein envahit mon esprit, à la limite du burn-out. Je suis surmené : je cherche mes mots, je dors mal, je n’ai plus d’appétit. Je n’ai envie de rien si ce n’est d’en savoir un peu plus sur ma vie, sur moi-même. Des zones d’ombre persistent. J’aimerais les éclaircir. Seulement, avec tout le travail qui m’attend, je ne prends pas le temps de penser à moi, tout simplement. D’un autre côté, je ne suis pas certain de vouloir mener une enquête sur ma personne, je crains trop ce que je pourrais découvrir. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre. En réalité, j’ai juste besoin de lâcher prise.

Ma femme a pris conscience de mon état : je parle peu, j’ai maigri. Elle ne m’a jamais vu ainsi. Hier, elle m’a conseillé de faire une pause pour prendre du recul. Elle a raison. Ce soir, nous ferons nos valises et nous partirons dès demain dans notre maison secondaire à la campagne. J’ai pris une semaine de congé. Nous avons besoin de nous ressourcer au milieu de la nature, loin du bruit de la ville et de ce mode de vie effréné où l’on ne cesse de courir derrière l’argent. Même si celui-ci nous facilite la vie, le bonheur se trouve ailleurs.

***

La porte est fermée, les valises sont dans le coffre, ma femme est au volant. Elle démarre. Au-revoir le courrier, au-revoir le boulot, au-revoir le quotidien. Sur la route mes soucis s’envolent derrière moi. J’ai décidé de fuir toutes les situations où le stress m’assaille. J’ai besoin d’air pur, de liberté. Quelquefois il fait bon vivre sans penser au lendemain. J’en ai assez de me sentir sans cesse sous contrôle. Je n’ai pas pris de montre qui m’impose un rythme, j’ai laissé mon téléphone portable dans un tiroir pour ne plus l’entendre sonner à longueur de journée, mon ordinateur portable est resté dans mon bureau, les nombreux mails cesseront de me harceler. Je veux respirer, ni plus du moins. J’allume le poste radio. A travers la musique je me réinvente une vie, je danse, je vole, j’oublie. Le trajet n’est pas long, le petit paradis sur terre ne se trouve qu’à une heure et demie d’où je vis. Une longue allée d’arbres nous souhaitant la bienvenue indique que nous sommes arrivés. Le lieu est magnifique. Un monde à part, calme, loin de l’agitation de la ville. C’est une maison de campagne confortable et chaleureuse. Elle constitue un véritable havre de paix où il fait bon vivre. Dès que nous descendons de la voiture, nous entrons dans une bulle. Nouveaux mots d’ordre : harmonie, fraîcheur, sérénité.

Nous ouvrons la porte. Les espaces de vie communs sont ouverts largement sur l’extérieur. Les poutres apparentes, le parquet poncé laissé à l’état brut, les couleurs naturelles et les draps de lin sont sources d’apaisement. La cuisine avec îlot connote la convivialité. Il nous arrive souvent d’inviter des amis pour profiter de bons moments. Mais cette fois-ci, nous voulons surtout nous retrouver tous les deux car cela fait des années que nous vivons ma femme et moi à côté mais pas réellement l’un avec l’autre. Les poutres peintes en blanc et les murs en pierre sont accueillants. Dans le salon, place à la détente. Canapé peuplé de coussins, au coin de la cheminée pour faire une bonne petite sieste ou discuter en refaisant le monde. Ici, le temps s’est arrêté. Les meubles modernes nous permettent de nous sentir hors du temps, portés par la modernité mais ancrés dans les vieilles pierres. La luminosité est privilégiée avec une céramique blanche dans la salle de bains.